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Document 62016CC0029

Conclusions de l'avocat général M. H. Saugmandsgaard Øe, présentées le 26 janvier 2017.
HanseYachts AG contre Port D’Hiver Yachting SARL e.a.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Landgericht Stralsund.
Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) no 44/2001 – Article 27 – Litispendance – Juridiction saisie en premier lieu – Article 30, point 1 – Notion d’“acte introductif d’instance” ou d’“acte équivalent” – Requête aux fins d’expertise judiciaire pour conserver ou établir, avant tout procès, la preuve de faits susceptibles de fonder une action en justice subséquente.
Affaire C-29/16.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2017:44

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 26 janvier 2017 ( 1 )

Affaire C‑29/16

HanseYachts AG

contre

Port d’Hiver Yachting SARL,

Société Maritime Côte d’Azur,

Compagnie Generali IARD SA

[demande de décision préjudicielle formée par le Landgericht Stralsund (tribunal régional de Stralsund, Allemagne)]

«Renvoi préjudiciel — Compétence judiciaire en matière civile et commerciale — Règlement (CE) no 44/2001 — Article 27 — Litispendance — Identification de la juridiction saisie en premier lieu — Article 30, point 1 — Acte introductif d’instance ou acte équivalent — Notion — Requête aux fins d’expertise judiciaire pour conserver ou établir avant tout procès la preuve de faits susceptibles de fonder une action en justice ultérieure — Action au fond introduite subséquemment devant un tribunal du même État membre»

I – Introduction

1.

La demande de décision préjudicielle formée par le Landgericht Stralsund (tribunal régional de Stralsund, Allemagne) porte sur le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 2 ), et plus spécialement, en substance, sur l’interprétation de son article 30, point 1, en relation avec son article 27 ( 3 ).

2.

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige qui oppose une société allemande à des sociétés françaises au sujet de la responsabilité de la première pouvant résulter d’une avarie présentée par un bateau qu’elle a construit et vendu à l’une de ces dernières. Ladite avarie a donné lieu à diverses procédures ayant été introduites devant des juridictions d’États membres différents.

3.

Tout d’abord, un tribunal français a été saisi, par l’acheteur initial du bateau concerné, d’une requête demandant la réalisation d’une expertise judiciaire aux fins d’établir, avant tout procès, la preuve de faits susceptibles de fonder une action en justice ultérieure, conformément à l’article 145 du code de procédure civile français (ci‑après le « CPC »), opération constituant une mesure d’instruction usuellement dite « in futurum» ( 4 ).

4.

À la suite du dépôt du rapport d’expertise, survenu trois ans plus tard, le vendeur et constructeur allemand a saisi la juridiction de renvoi d’une action en constatation négative, tendant à ce qu’il soit déclaré que les défenderesses au principal n’avaient aucun droit à faire valoir à son encontre en rapport avec le bateau en question. Quelques semaines après cette saisine, une autre action au fond ( 5 ) a été introduite par l’acheteur initial, devant un second tribunal français, afin d’obtenir la réparation de son préjudice allégué et le remboursement des frais d’expertise.

5.

La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si, bien que cette dernière action soit postérieure à l’action dont elle est elle‑même saisie, elle devrait tout de même surseoir à statuer en tant que « juridiction saisie en second lieu », par application de l’article 27 du règlement no 44/2001, en raison de la procédure aux fins d’obtention de preuves qui a été engagée en France plusieurs années avant l’introduction de l’instance qui est pendante devant elle‑même. Elle estime, en effet, qu’une telle procédure probatoire pourrait former une seule unité avec l’action au fond engagée subséquemment dans le même État membre, en ce que celle‑ci s’inscrirait dans la continuité matérielle de celle‑là.

6.

Elle invite donc la Cour à déterminer si, en cas de litispendance potentielle, l’acte par lequel a été saisi le tribunal d’un État membre ayant ordonné une mesure d’instruction avant tout procès peut constituer « l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent », au sens de l’article 30, point 1, de ce règlement, à l’égard de l’action au fond ayant été introduite par la suite devant un autre tribunal de ce même État membre.

7.

Au vu des considérations que j’exposerai ci‑dessous, je suis d’avis que les articles 27 et 30 du règlement no 44/2001 devraient être interprétés de façon combinée et qu’il conviendrait de répondre par la négative à la question qui est en substance soumise dans la présente affaire.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

8.

Le règlement no 44/2001 est applicable ratione temporis en l’espèce ( 6 ).

9.

Aux termes de son considérant 15, « [l]e fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. Il importe de prévoir un mécanisme clair et efficace pour résoudre les cas de litispendance et de connexité et pour parer aux problèmes résultant des divergences nationales quant à la date à laquelle une affaire est considérée comme pendante. Aux fins du présent règlement, il convient de définir cette date de manière autonome ».

10.

Le chapitre II du règlement no 44/2001, relatif à la « Compétence », comporte une section 9, qui est intitulée « Litispendance et connexité ».

11.

L’article 27 de ce règlement, figurant à ladite section, dispose :

« 1.   Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.

2.   Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui‑ci. »

12.

Dans la même section 9, l’article 30, point 1, est libellé comme suit :

« Aux fins de la présente section, une juridiction est réputée saisie :

1)

à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur […] »

13.

Figurant à la section 10 dudit chapitre, intitulée « Mesures provisoires et conservatoires », l’article 31 énonce que « [l]es mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet État, même si, en vertu du présent règlement, une juridiction d’un autre État membre est compétente pour connaître du fond ».

B – Le droit français

14.

Aux termes de l’article 145 du CPC, qui figure dans le Livre Ier, intitulé « Dispositions communes à toutes les juridictions », titre VII, intitulé « L’administration judiciaire de la preuve », sous‑titre II, intitulé « Les mesures d’instructions », de ce code, « [s]’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

III – Le litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

15.

Il ressort de la décision de renvoi et du dossier transmis à la Cour que HanseYachts AG est une société ayant pour activité la construction et la vente de bateaux qui est établie à Greifswald (Allemagne), localité située dans le ressort territorial de la juridiction de renvoi.

16.

Par contrat du 14 avril 2010, HanseYachts a vendu à Port d’Hiver Yachting SARL, dont le siège social est situé en France, un bateau à moteur construit par elle‑même, qui a été livré le 18 mai 2010 à Greifswald puis transporté vers la France.

17.

Ce bateau a été revendu par Port d’Hiver Yachting à la Société Maritime Côte d’Azur (ci‑après « SMCA »), laquelle est aussi établie en France.

18.

Le 1er août 2011, HanseYachts et Port d’Hiver Yachting ont conclu un contrat de distribution qui contenait une clause attributive de compétence en faveur des juridictions de Greifswald, désignait le droit matériel applicable comme étant la loi allemande et prévoyait que ledit contrat remplaçait entre ces parties tous leurs accords écrits ou verbaux antérieurs.

19.

À la suite d’une avarie apparue au mois d’août 2011 sur l’un des moteurs du bateau, SMCA a saisi le tribunal de commerce de Marseille (France), par une assignation en référé délivrée le 22 septembre 2011 à Port d’Hiver Yachting, aux fins de demander une expertise judiciaire avant tout procès fondée sur l’article 145 du CPC. Elle a aussi assigné Volvo Trucks France, en qualité de fabricant de ces moteurs.

20.

En 2012, la Compagnie Generali IARD SA (ci‑après « Generali IARD ») est intervenue de façon volontaire dans la procédure, en tant qu’assureur de Port d’Hiver Yachting. HanseYachts a également été attraite à la procédure, en tant que constructeur du bateau concerné, au cours de l’année 2013.

21.

L’expert mandaté par le tribunal de commerce de Marseille a rendu son rapport définitif le 18 septembre 2014.

22.

Le 21 novembre 2014, HanseYachts a saisi le Landgericht Stralsund (tribunal régional de Stralsund) d’une demande en constatation négative tendant à ce qu’il soit jugé que Port d’Hiver Yachting, SMCA et Generali IARD n’ont aucune créance à faire valoir à son encontre en rapport avec le bateau en question.

23.

Le 15 janvier 2015, SMCA a assigné Port d’Hiver Yachting, Volvo Trucks France et HanseYachts devant le tribunal de commerce de Toulon (France), aux fins d’obtenir leur condamnation solidaire à réparer les préjudices qu’elle prétend avoir subis du fait de l’avarie litigieuse et à lui rembourser les frais générés par la procédure d’expertise judiciaire.

24.

Les défenderesses au principal ayant soulevé une exception de litispendance fondée sur l’article 27 du règlement no 44/2001, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si elle doit, en tant que « juridiction saisie en second lieu », surseoir à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal de commerce de Toulon soit établie ( 7 ), en vertu du paragraphe 1 dudit article, ou si, à l’inverse, elle peut se considérer comme étant le « tribunal premier saisi » au sens de cette disposition et, dès lors, déclarer recevable l’action au principal ( 8 ) puis procéder à l’examen du bien‑fondé de celle‑ci.

25.

Selon elle, cette dernière voie devrait être suivie s’il était jugé par la Cour que la procédure devant les juridictions françaises n’a été introduite qu’avec l’assignation au fond devant le tribunal de commerce de Toulon, délivrée en 2015, donc postérieurement à sa propre saisine, survenue en 2014.

26.

En revanche, la première voie pourrait s’imposer s’il était retenu que « l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent » par lequel les juges français seraient réputés saisis, au sens de l’article 30, point 1, du règlement no 44/2001, est constitué non pas par ladite assignation, mais par la demande d’expertise judiciaire formée dès 2011 auprès du tribunal de commerce de Marseille.

27.

La juridiction de renvoi estime que les conditions de la litispendance énoncées à l’article 27, paragraphe 1, de ce règlement sont remplies, en ce que l’action au fond engagée devant le tribunal de commerce de Toulon et l’action pendante devant elle‑même seraient formées entre les mêmes parties et auraient tant le même objet que la même cause.

28.

Dans ce contexte, par décision du 8 janvier 2016, parvenue à la Cour le 18 janvier 2016, le Landgericht Stralsund (tribunal régional de Stralsund) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Si le droit procédural d’un État membre prévoit une procédure probatoire autonome dans laquelle un expert se voit chargé de rendre un avis sur ordre du juge (ici, l’expertise judiciaire de droit français) et si, dans cet État membre, une telle procédure probatoire autonome est mise en œuvre et que, par la suite, dans le même État membre une action est intentée sur la base des résultats de la procédure probatoire autonome entre les mêmes parties :

Faut‑il considérer, dans ce cas, que l’acte qui a engagé la procédure probatoire autonome représente un “acte introductif d’instance ou un acte équivalent” au sens de l’article 30, point 1, du règlement no 44/2001 ? Ou bien faut‑il considérer que la qualification d’“acte introductif d’instance ou un acte équivalent” n’appartient qu’à l’acte grâce auquel l’action en justice a été intentée ? »

29.

Des observations écrites ont été déposées par HanseYachts, Port d’Hiver Yachting, SMCA et Generali IARD ainsi que par la Commission européenne. Le gouvernement français a apporté une réponse écrite aux questions lui ayant été adressées par la Cour en application de l’article 61, paragraphe 1, de son règlement de procédure. Il n’a pas été tenu d’audience de plaidoiries.

IV – Analyse

A – Observations liminaires

30.

Avant de procéder à l’analyse substantielle de la question posée à la Cour, j’entends présenter quelques observations concernant les limites de l’examen auquel celle‑ci devra se livrer.

31.

En premier lieu, il convient de noter que la problématique des chefs de compétence internationale respectifs de la juridiction de renvoi et du tribunal de commerce de Toulon n’est pas soumise à l’appréciation de la Cour dans la présente affaire, nonobstant les indications données par ladite juridiction à ce sujet ( 9 ) et en dépit des réserves formulées à cet égard par certaines des parties ayant présenté des observations à la Cour, notamment du fait de l’existence d’une clause d’élection de for en l’espèce ( 10 ).

32.

Il reviendra à chacune de ces juridictions nationales de se prononcer sur sa propre compétence, au regard des faits à l’origine du litige au principal et conformément aux règles de compétence résultant du droit de l’Union, en l’occurrence issues des dispositions du règlement no 44/2001, telles qu’interprétées dans la jurisprudence de la Cour y afférente ( 11 ).

33.

Je rappelle, plus particulièrement, que la règle de résolution de la litispendance qui est contenue à l’article 27 du règlement no 44/2001 ne tend pas à établir une distinction, voire une hiérarchie, entre les différents chefs de compétence prévus par ledit règlement et que cette règle procédurale, consistant à ce que la priorité soit donnée à la compétence éventuelle du tribunal saisi en premier lieu, se fonde uniquement sur l’ordre chronologique dans lequel les juridictions en cause ont été saisies ( 12 ).

34.

En outre, il est de jurisprudence constante qu’il appartient seulement à la juridiction de renvoi d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire pendante devant elle, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’elle pose à la Cour ( 13 ).

35.

À cet égard, je mentionnerai simplement qu’au vu des éléments du litige au principal présentés par la juridiction de renvoi – notamment compte tenu de la localité où le bien en cause apparaît avoir été livré par le constructeur et vendeur (HanseYachts) au premier acheteur (Port d’Hiver Yachting) – ( 14 ), il n’y a pas lieu de considérer, prima facie, qu’une décision de cette juridiction admettant sa propre compétence internationale, au moins à l’égard desdites parties, serait manifestement infondée et que la question préjudicielle posée serait dénuée de pertinence comme étant inutile pour trancher ce litige ( 15 ).

36.

En second lieu, vu les différents points de vue émis par la juridiction de renvoi et par les parties ayant déposé des observations au sujet des règles de droit national applicables en l’espèce, et notamment concernant le régime juridique des mesures d’instruction in futurum prévues à l’article 145 du CPC, je souligne que la question de l’interprétation exacte de dispositions du droit interne d’un État membre ne saurait être tranchée par la Cour ( 16 ).

37.

En effet, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, la Cour est habilitée à se prononcer uniquement sur l’interprétation ou la validité des actes de l’Union visés à l’article 267 TFUE ( 17 ). Néanmoins, appelée à fournir aux juges nationaux une réponse utile en vue de leur permettre de statuer au principal, la Cour peut leur donner, dans un esprit de coopération, les indications qu’elle juge nécessaires, à partir de l’ensemble des éléments dont elle dispose ( 18 ). Lorsqu’une incertitude subsiste quant à la teneur des dispositions de droit interne visées, elle s’efforce de se prononcer en tenant compte de ce facteur ( 19 ).

38.

Enfin, la Cour a itérativement jugé que les notions contenues dans le règlement no 44/2001 doivent en principe être interprétées de façon autonome, c’est‑à‑dire au regard des objectifs propres des dispositions de cet instrument et non en fonction des systèmes juridiques des États membres, afin d’assurer une application uniforme de ces dispositions ( 20 ). Ainsi, l’interprétation des règles de compétence énoncées par ledit règlement, et plus particulièrement celles figurant à ses articles 27 et 30, ne doit dépendre ni des conceptions retenues par les législateurs ou dans la jurisprudence de ces États ( 21 ) ni des spécificités du litige au principal ( 22 ).

B – Sur la teneur de la question posée à la Cour

39.

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur le point de savoir si, lorsque le droit d’un État membre prévoit une procédure probatoire permettant d’obtenir une expertise judiciaire avant tout procès et qu’une action au fond est ensuite intentée dans cet État sur la base des résultats de ladite procédure et entre les mêmes parties, il faut considérer que l’acte ayant initié la procédure probatoire constitue « l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent », au sens de l’article 30, point 1, du règlement no 44/2001, ou si cette qualification n’appartient qu’à l’acte par lequel l’action au fond a été introduite.

40.

La juridiction de renvoi semble incliner pour le premier angle d’approche, lequel correspond à la thèse soutenue par les trois défenderesses au principal, alors que HanseYachts et la Commission optent pour le second angle d’approche ( 23 ), lequel constitue selon moi la voie d’interprétation correcte.

41.

À l’instar de la Commission, j’estime nécessaire que la Cour procède à une reformulation de la question lui ayant été posée, pour les raisons qui suivent.

42.

Je rappelle, tout d’abord, que dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, celle‑ci doit donner au juge national une réponse utile lui permettant de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises ( 24 ). Il lui appartient aussi d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par ce juge, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les dispositions du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige pendant devant celui‑ci, nonobstant le fait qu’il ne soit éventuellement pas fait référence à ces dispositions dans l’énoncé des questions préjudicielles ( 25 ).

43.

En l’occurrence, même si, sur le plan formel, la question préjudicielle ne vise directement que l’article 30, point 1, du règlement no 44/2001, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour fournisse à la juridiction de renvoi tous les autres éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent permettre à celle‑ci de statuer sur l’affaire pendante devant elle.

44.

Or, il ressort des motifs de la demande de décision préjudicielle que, afin de déterminer si elle est tenue de surseoir à statuer en application de l’article 27 du règlement no 44/2001, la juridiction de renvoi a besoin de savoir si, dans un cas de figure tel que celui du litige au principal, elle doit se considérer comme ayant été « saisie en second lieu » au sens de cette disposition, compte tenu de la date – à identifier par la Cour au regard dudit article 30 – à laquelle une demande ayant, selon cette juridiction, le même objet et la même cause a été formée entre les mêmes parties devant un tribunal français. Il y a donc lieu, à mon avis, d’effectuer une interprétation combinée des articles 27 et 30 de ce règlement.

45.

En revanche, il ne me paraît pas utile, dans la présente affaire, de définir en tant que telle la notion de « mesures provisoires ou conservatoires » au sens de l’article 31 du règlement no 44/2001, étant donné que la juridiction de renvoi ne fait que suggérer, à la fin de sa décision, la possibilité de tenir compte de la jurisprudence de la Cour relative à cette notion aux fins d’interpréter, par analogie, l’article 30 de ce règlement ( 26 ).

46.

Au vu de ces éléments, je considère que la demande de décision préjudicielle doit être comprise comme visant, en substance, à déterminer si, en cas de litispendance potentielle, la date à laquelle a été engagée une procédure tendant à obtenir une mesure d’instruction avant tout procès peut constituer la date à laquelle « est réputée saisie », au sens de l’article 30, point 1, du règlement no 44/2001, une juridiction appelée à statuer sur une demande au fond ayant été formée dans le même État membre consécutivement au résultat de cette mesure, dès lors que la procédure probatoire et la demande au fond subséquente pourraient constituer une même entité procédurale.

47.

Si cette interprétation est rejetée, ainsi que je le préconise, il en résultera concrètement qu’un tribunal d’un autre État membre qui, comme dans le litige au principal, a été saisi d’une action au fond engagée après l’issue de la procédure probatoire mais avant ladite demande au fond, formée entre les mêmes parties et ayant tant le même objet que la même cause, doit être considéré comme étant le « tribunal premier saisi », au sens de l’article 27 de ce règlement.

48.

Avant de se livrer proprement à l’interprétation sollicitée, il convient de confirmer l’exactitude des assertions préalables de la juridiction de renvoi selon lesquelles il pourrait exister une situation de litispendance, conformément à ce dernier article, dans des circonstances telles que celles du litige dont elle est saisie.

C – Sur l’existence potentielle d’une situation de litispendance au regard de l’article 27 du règlement no 44/2001

49.

Pour justifier sa question préjudicielle, le Landgericht Stralsund (tribunal régional de Stralsund) retient comme prémisse que l’instance pendante devant lui est susceptible d’entrer en conflit avec l’action au fond introduite auprès du tribunal de commerce de Toulon et que les règles relatives à la litispendance énoncées à l’article 27 du règlement no 44/2001 conduiraient à ce que ce tribunal allemand doive surseoir à statuer en tant que « juridiction saisie en second lieu », pour autant que ladite action puisse être considérée comme ayant débuté dès le stade de la procédure probatoire introduite devant le tribunal de commerce de Marseille, avec laquelle elle formerait une seule et même unité.

50.

En revanche, il me semble que la juridiction de renvoi n’envisage pas qu’un tel sursis à statuer s’impose à elle, pour cause de litispendance, dans l’hypothèse où les deux procédures françaises seraient, au contraire, appréhendées séparément l’une de l’autre. L’obligation de surseoir doit selon moi clairement être exclue de cette hypothèse, au vu des éléments du droit de l’Union que je développerai ci‑après, dès lors que, d’une part, l’action au fond française – si elle est prise en compte de façon isolée – a été engagée à une date postérieure à l’action au fond allemande et, d’autre part, la procédure probatoire française n’avait pas la même cause et le même objet que cette dernière et n’était au demeurant plus pendante lors de l’ouverture de celle‑ci.

51.

En effet, je rappelle que l’article 27 du règlement no 44/2001 régit uniquement les situations de litispendance dans lesquelles des juridictions d’États membres différents se trouvent saisies d’instances concurrentes qui sont susceptibles de donner lieu à des décisions inconciliables ( 27 ), à savoir « lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties ». La Cour s’est déjà prononcée, à maintes reprises, sur l’interprétation qu’il convient de donner à cette triple condition d’identité de parties, d’objet et de cause ( 28 ), en soulignant que la définition de ces dernières notions doit être dégagée de manière autonome, par référence au système et aux objectifs dudit règlement ( 29 ).

52.

S’agissant du premier de ces trois critères cumulatifs, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il est rempli lorsque les parties sont les mêmes dans les deux instances concurrentes, indépendamment du fait que leurs positions procédurales soient éventuellement différentes ( 30 ).

53.

En l’occurrence, peu importe que la partie qui est demanderesse devant les tribunaux français, SMCA, soit défenderesse devant la juridiction de renvoi, et inversement pour HanseYachts ( 31 ). Il est également indifférent que l’identité de parties soit non pas totale mais partielle, comme en l’espèce, étant toutefois précisé que, dans un tel cas de figure, la juridiction saisie en second lieu n’a l’obligation de se dessaisir que pour autant que les parties au litige devant elle sont également parties à la procédure antérieurement engagée, la procédure entre les autres parties pouvant continuer devant cette juridiction ( 32 ).

54.

S’agissant du critère de l’identité de cause, la Cour a précisé que cette dernière notion doit être entendue comme comprenant « les faits et la règle juridique invoqués comme fondement de la demande» ( 33 ). La condition relative à l’identité d’objet, lequel est défini comme correspondant au « but de la demande» ( 34 ) – conçu de façon large ( 35 ) –, est parfois traitée conjointement avec le précédent critère dans la jurisprudence de la Cour ( 36 ).

55.

En l’espèce, ainsi que l’indique la juridiction de renvoi, il ressort de ladite jurisprudence que ces deux derniers critères sont remplis en ce qui concerne une litispendance potentielle entre une demande tendant à faire juger qu’un défendeur est responsable d’un préjudice ainsi qu’à le faire condamner à verser à ce titre des dommages et intérêts, telle que celle dont est saisi le tribunal de commerce de Toulon notamment à l’encontre de HanseYachts, et une demande de ce même défendeur visant à faire constater qu’il n’est pas responsable dudit préjudice, telle que celle qui est pendante devant le Landgericht Stralsund (tribunal régional de Stralsund) à l’initiative de HanseYachts, étant donné que l’une de ces procédures représente l’antipode de l’autre ( 37 ).

56.

Ce constat ne préjuge, toutefois, pas de la réponse à apporter à la question soumise par la juridiction de renvoi, portant plus spécifiquement sur le point de savoir si elle doit se considérer comme étant « la juridiction saisie en second lieu », au sens de l’article 27 lu en combinaison avec l’article 30 du règlement no 44/2001, par l’effet d’une éventuelle agrégation en une seule unité de la procédure probatoire engagée dans un autre État membre et de l’action au fond introduite subséquemment dans ce même État, thèse que je ne partage pas ( 38 ).

57.

Afin d’être complet, je précise que je pense impossible de retenir une identité de cause et d’objet entre une action au fond, comme celle du litige au principal tendant au constat d’une absence de responsabilité civile, et une procédure visant à obtenir une mesure d’instruction avant tout procès, comme celle ayant été introduite devant le tribunal de commerce de Marseille aux fins d’expertise judiciaire, même si les faits à l’origine de ces deux instances sont les mêmes. Une telle double identité doit, selon moi, être écartée dès lors que tant les règles juridiques invoquées par les demandeurs que les objectifs poursuivis par eux dans chacune ces deux catégories de procédures sont fondamentalement différents, et ce indépendamment des spécificités du cas d’espèce.

58.

En effet, ainsi que le relève la Commission, la procédure probatoire ici en question tend seulement à voir ordonner une mesure d’instruction in futurum, qui a pour but de conserver ou d’établir, avant tout procès, la preuve de faits pouvant éventuellement générer une action au fond ultérieure. Si une telle procédure peut revêtir un caractère contradictoire ( 39 ), son résultat final – en l’occurrence, une expertise judiciaire – n’emporte néanmoins pas une appréciation sur le fond des droits en présence – ici, en matière de responsabilité civile. À l’inverse, une action au fond telle que celle dont est saisie la juridiction de renvoi a pour objet de faire constater que la responsabilité du demandeur n’est aucunement engagée en ce qui concerne les dommages résultant de l’avarie apparue sur le bateau qu’il a vendu. L’objectif du demandeur est alors d’obtenir une décision sur le fond du droit, pour mettre fin au litige. Partant, le risque de décisions inconciliables, sur lequel est fondé le mécanisme de litispendance prévu à l’article 27 du règlement no 44/2001, m’apparaît inexistant en présence de procédures ayant des objets aussi dissemblables.

59.

Les différences fondamentales ainsi constatées, entre une procédure probatoire avant tout procès et une action au fond basée sur les résultats de cette procédure, plaident à mon avis contre la possibilité d’admettre, comme la juridiction de renvoi l’envisage, que l’acte ayant marqué l’ouverture de cette première procédure constitue aussi l’acte introductif de cette dernière.

D – Sur la qualification éventuelle de l’acte ayant ouvert une procédure probatoire avant tout procès comme étant équivalent à l’acte ayant introduit une instance au fond subséquente au regard de l’article 30 du règlement no 44/2001

60.

La Cour a déjà été amenée à interpréter l’article 30 du règlement no 44/2001 en combinaison avec l’article 27 de celui‑ci. À cette occasion, elle a relevé que ledit règlement ne précise pas dans quelles circonstances la compétence du tribunal saisi en premier lieu doit être regardée comme « établie » au sens de son article 27, lequel se limite à poser une règle procédurale fondée sur l’ordre chronologique dans lequel les juridictions en cause ont été saisies, mais que son article 30 définit de manière uniforme et autonome la date à laquelle une juridiction est « réputée saisie » aux fins de l’application des dispositions de ce règlement relatives à la litispendance ( 40 ).

61.

Je souligne que, comme l’indiquent les premiers mots employés à l’article 30 du règlement no 44/2001, la règle matérielle qu’il énonce s’applique à toutes les dispositions contenues dans la section 9 de ce règlement, à savoir non seulement celles applicables en cas de litispendance, figurant à son article 27, mais aussi celles applicables en cas de connexité, figurant à son article 28, et celles relatives à l’hypothèse particulière où des demandes concurrentes relèvent de la compétence exclusive de plusieurs juridictions, figurant à son article 29. Il convient donc que l’interprétation qui sera donnée dudit article 30 soit adaptée à l’ensemble de ces différents cas de figure.

62.

Dans la présente affaire, pour justifier l’interprétation large qu’elle suggère, consistant à englober la procédure probatoire dans la procédure au fond qui lui fait suite dans le même État membre, la juridiction de renvoi tire argument, en premier lieu, du texte de l’article 30 du règlement no 44/2001, dont il ressort que la saisine d’une juridiction peut découler non seulement de « l’acte introductif d’instance », mais aussi d’« un acte équivalent », ce qui pourrait, selon elle, correspondre à celui par lequel a été saisi le juge ayant ordonné la mesure d’instruction in futurum concernée.

63.

Les travaux préparatoires du règlement no 44/2001 n’apportent pas d’éclairage utile au sujet de cette formule alternative. Je relève que celle‑ci figurait déjà à l’article 19, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) no 1348/2000 ( 41 ), dont le libellé a été inspiré d’un instrument international ( 42 ). À la lumière d’indications relatives à la notion d’« acte équivalent » au sens de ce dernier ( 43 ) et d’une appréciation figurant dans un arrêt de la Cour relatif à la convention de Bruxelles ( 44 ), il me paraît très douteux que la thèse soutenue par la juridiction de renvoi puisse être retenue.

64.

Surtout, je souligne que ledit article 30 est formulé en des termes qui, en ce qu’ils sont rédigés au singulier, interdisent selon moi d’admettre cette thèse. En effet, cet article définit le moment auquel « une juridiction est réputée saisie » et se réfère pour cela, tant à son point 1 qu’à son point 2, à « la date à laquelle l’acte [est] déposé auprès de la juridiction » concernée ( 45 ), contrairement à d’autres dispositions de ce même règlement qui visent « les tribunaux » ou « les juridictions » d’un État membre dans leur ensemble ( 46 ).

65.

Cette donnée terminologique n’est pas neutre, en particulier au vu de circonstances telles que celles de l’espèce, où le tribunal français devant lequel la procédure probatoire a été introduite n’est pas le même que celui ayant été saisi de l’action au fond qui serait supposée s’inscrire dans la continuité de ladite procédure. Le fait que ces deux tribunaux siègent dans le même État membre est indifférent au regard de la règle de fixation de la date de saisine d’une juridiction spécifique, telle qu’elle est énoncée audit article 30.

66.

En deuxième lieu, la juridiction de renvoi invoque que l’article 30 du règlement no 44/2001 aurait pour objectif d’éviter que les parties ne tirent abusivement profit des différences procédurales existant à l’intérieur de l’Union. Le risque de « torpillage » mentionné par cette juridiction n’est certes pas exclu ( 47 ), particulièrement en présence d’une action en constatation négative, telle que celle au principal ( 48 ). Cependant, je considère que le « forum shopping » n’est pas en soi interdit par le règlement no 44/2001 et que, dans la présente affaire, la démarche procédurale suivie par HanseYachts est dépourvue de caractère abusif.

67.

Il ressort du considérant 15 du règlement no 44/2001 ( 49 ) et des travaux législatifs ayant précédé celui‑ci ( 50 ) que le but premier de l’adoption de son article 30 a été de réduire les problèmes et les incertitudes juridiques causés par la grande variété des dispositifs qui existaient dans les États membres pour déterminer la date de la saisine d’une juridiction, grâce à une règle matérielle permettant d’identifier cette date de façon simple et uniformisée ( 51 ).

68.

Les deux séries de critères énoncés aux points 1 et 2 de cet article 30 instaurent un mécanisme uniforme qui, comme l’indique HanseYachts, empêche de procéder à une interprétation des notions y figurant par renvoi au contenu des diverses réglementations nationales ( 52 ). Je préconise donc d’adopter une approche non extensive de la signification à donner aux dispositions dudit article 30, en vue de se conformer aux objectifs d’uniformité et de sécurité juridique visés par celles‑ci ( 53 ).

69.

En troisième lieu, la juridiction de renvoi présente, à l’appui de sa thèse, des arguments d’ordre pratique, qui n’emportent pas ma conviction. Elle soutient que la mesure d’expertise ayant été ordonnée, en l’espèce, par un tribunal français répondrait mieux aux questions de droit matériel susceptibles de se poser dans le cadre d’une procédure au fond se déroulant en France et qu’il conviendrait d’éviter les frais pouvant être causés par une éventuelle audition de l’expert en Allemagne. À mon avis, les contraintes invoquées sont loin d’être insurmontables et de telles considérations ne sauraient primer sur celles tirées tant du libellé que de la finalité de l’article 30 du règlement no 44/2001 que je viens d’exposer.

70.

Au demeurant, s’il est retenu, comme je le préconise ( 54 ), qu’une procédure probatoire avant tout procès n’a pas la même cause et le même objet qu’une instance au fond, au sens de l’article 27 dudit règlement, il me paraît difficile d’admettre que l’acte ayant ouvert cette procédure puisse tout de même être considéré comme étant « l’acte introductif ou un acte équivalent », au sens de son article 30, d’une instance au fond qui est consécutive aux résultats de celle‑ci.

71.

L’absence d’unité procédurale se vérifie plus particulièrement au regard des données du litige au principal. En effet, comme le notent tant le gouvernement français que la Commission, le libellé même de l’article 145 du CPC met en échec la thèse de l’existence d’une continuité matérielle entre la procédure probatoire prévue audit article et la procédure au fond subséquente, puisque cette disposition indique expressément que la demande de mesure d’instruction visée doit être formée précisément « avant tout procès », et non en corrélation avec un recours en justice ( 55 ).

72.

Mon analyse est confortée par le fait que les suites de la mesure d’instruction in futurum, en l’occurrence la prise en compte du rapport d’expertise judiciaire, ne sont pas gérées par le juge qui a ordonné cette mesure. En effet, ainsi que l’indique le gouvernement français, ce juge épuise en principe sa saisine dès qu’il rend une décision faisant droit à la demande d’une telle mesure ou la rejetant. En outre, ladite décision est dépourvue de toute autorité de la chose jugée au principal ( 56 ).

73.

De surcroît, une action au fond n’est pas nécessairement engagée après la procédure probatoire, sachant qu’à l’issue de la mesure d’instruction, l’intéressé, qui n’a pas l’obligation d’agir en justice, peut préférer opter pour un règlement amiable ou renoncer à tout recours contre la partie adverse. Et même lorsqu’une action au fond se trouve introduite, elle peut l’être devant une autre juridiction, comme tel a été le cas en l’espèce, étant rappelé que l’expertise a été ordonnée par le tribunal de commerce de Marseille tandis que l’action au fond a été introduite devant le tribunal de commerce de Toulon ( 57 ).

74.

À l’instar de HanseYachts et de la Commission, j’estime que la règle de suspension relative à la prescription énoncée à l’article 2239 du code civil français ( 58 ), sur laquelle la juridiction de renvoi et Port d’Hiver Yachting s’appuient pour faire valoir qu’il y aurait un lien direct entre une mesure d’instruction in futurum et l’action au fond engagée en aval, ne peut valablement remettre en question les considérations qui précèdent, dès lors que cette disposition n’établit pas l’existence de l’unité procédurale alléguée ( 59 ).

75.

La continuité évoquée par la juridiction de renvoi fait donc défaut, selon moi, dans un tel cas de figure. Il me semble que cette juridiction concède d’ailleurs que la procédure probatoire en question est juridiquement dissociée de l’action au fond, en particulier au regard de l’article 145 du CPC ( 60 ), puisque, notamment aux termes de sa question préjudicielle, elle qualifie elle‑même la première comme étant « autonome » par rapport à la seconde.

76.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, je suis d’avis que les articles 27 et 30 du règlement no 44/2001 doivent être interprétés de façon combinée en ce sens que, lorsqu’une instance au fond est introduite dans un État membre à la suite du résultat d’une mesure d’instruction in futurum, il ne saurait être considéré que cette instance a été engagée dès l’ouverture de la procédure visant à obtenir ladite mesure dans ce même État. Dès lors, un tribunal d’un autre État membre qui a été saisi, après cette procédure probatoire mais avant l’introduction de ladite instance au fond, d’une action ayant tant les mêmes parties que le même objet et la même cause que cette dernière n’est pas tenu de surseoir à statuer pour cause de litispendance en application de ce règlement, puisqu’il n’est pas la juridiction saisie en second lieu.

77.

Comme je l’ai déjà indiqué ( 61 ), il m’apparaît qu’il n’y a pas lieu d’interpréter l’article 31 du règlement no 44/2001 dans la présente affaire. Néanmoins, afin d’être exhaustif, je mentionne que, au terme de la motivation de sa décision, la juridiction de renvoi évoque la possibilité de tenir compte de l’arrêt St. Paul Dairy ( 62 ), portant sur l’article 24 de la convention de Bruxelles, lequel correspond en substance audit article 31. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que ne relevaient pas de la qualification de « mesures provisoires ou conservatoires », au sens de cet article 24, les mesures d’instruction ayant pour seul objet de permettre au demandeur d’évaluer, avant tout procès, les chances de succès d’une éventuelle action en justice ( 63 ), notamment en raison du besoin d’éviter une multiplication des chefs de compétence judiciaire à propos d’un même rapport juridique.

78.

La juridiction de renvoi suggère que les mesures d’instruction prévues à l’article 145 du CPC pourraient correspondre à celles visées par ledit arrêt et que la motivation de ce dernier serait susceptible d’impliquer, pour l’interprétation à donner de l’article 30 du règlement no 44/2001 faisant l’objet de sa question préjudicielle, que lorsqu’une mesure probatoire de ce type a été ordonnée dans un État membre, il ne soit pas permis d’introduire une action au fond dans un autre État membre.

79.

Il me semble que le point de savoir si une mesure d’instruction avant tout procès peut être considérée comme une mesure provisoire ou conservatoire, au sens de l’article 31 du règlement no 44/2001, ne nécessite qu’une brève analyse dans un tel contexte, étant observé que cette problématique n’est ici évoquée qu’à titre secondaire par la juridiction de renvoi et qu’elle a donné lieu à des points de vue divergents, plus spécifiquement au regard de l’article 145 du CPC, non seulement dans les observations et réponses écrites ayant été soumises à la Cour en l’espèce ( 64 ), mais aussi dans la doctrine ( 65 ).

80.

À cet égard, je noterai simplement que, sur le plan structurel, l’article 31 constitue la section 10 du règlement no 44/2001, relative aux mesures provisoires et conservatoires, alors que les articles 27 et 30 de ce règlement – dont l’interprétation est seule requise dans la présente affaire – figurent à sa section 9, relative à la litispendance et à la connexité. Sur le plan substantiel, à la différence de ces dernières dispositions, qui régissent l’articulation entre des procédures pendant en parallèle dans des États membres différents, l’article 31 procède d’une toute autre logique, puisqu’il énonce une règle de compétence dérogatoire – donc conçue de façon stricte par la Cour ( 66 ) –, selon laquelle une juridiction d’un État membre peut ordonner une mesure provisoire ou conservatoire alors même qu’une juridiction d’un autre État membre détiendrait la compétence pour statuer sur le fond en application dudit règlement.

81.

J’estime donc qu’il n’y a pas lieu, compte tenu de l’objet de la question préjudicielle telle que reformulée, de procéder à un raisonnement par analogie au regard de l’arrêt St. Paul Dairy ( 67 ) et que, en toute hypothèse, la teneur de ce dernier ne saurait remettre en cause l’interprétation des articles 27 et 30 du règlement no 44/2001 que je préconise d’adopter dans la présente affaire ( 68 ).

V – Conclusion

82.

Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Landgericht Stralsund (tribunal régional de Stralsund, Allemagne) de la manière suivante :

L’article 27 et l’article 30, point 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une procédure probatoire autonome tendant à voir ordonner une mesure d’instruction avant tout procès s’est déroulée dans un État membre et qu’une action au fond a été introduite devant une juridiction du même État membre à la suite des résultats de ladite mesure d’instruction, la date à laquelle cette juridiction est « réputée saisie », au sens dudit article 30, ne remonte pas à l’ouverture de la procédure probatoire, ce dont il résulte qu’un tribunal d’un autre État membre ayant été saisi dans l’intervalle d’une action au fond ayant tant les mêmes parties que le même objet et la même cause que celle susmentionnée doit être considéré comme étant le « tribunal premier saisi », au sens dudit article 27.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2001, L 12, p. 1.

( 3 ) D’emblée, je précise que la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Bruxelles le 27 septembre 1968 (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci‑après la « convention de Bruxelles »), qui a été remplacée par le règlement no 44/2001, énonçait, à son article 21, une règle analogue à celle figurant à l’article 27 de ce règlement, mais ne contenait pas de disposition analogue à l’article 30 de ce dernier. La jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de ladite convention est transposable à l’interprétation du règlement no 44/2001 pour autant que leurs dispositions sont équivalentes en substance (voir, notamment, arrêt du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a., C‑509/09 et C‑161/10, EU:C:2011:685, point 39).

( 4 ) Les mesures d’instruction ordonnées en dehors de tout procès sont ainsi qualifiées, en particulier par la Cour de cassation française (voir, notamment, arrêts de la 2e chambre civile, du 23 juin 2016, no 15‑19.671, et de la chambre commerciale, du 16 février 2016, no 14‑25.340, accessibles à l’adresse Internet suivante : https://www.legifrance.gouv.fr), par opposition à celles qui sont ordonnées au cours d’une instance (voir, notamment, Combes, G., et Ménétrey, S., « Incidents de procédure, Mesures d’instruction, Dispositions générales », JurisClasseur Procédure civile, fascicule 634, 2016, points 12 ainsi que 49 et suiv.).

( 5 ) La notion d’« action au fond » doit ici être entendue comme toute action visant à obtenir une décision définitive sur les droits et obligations en présence, indépendamment du fait que celle‑ci soit de nature positive (tel que l’octroi de dommages et intérêts) ou de nature négative (telle qu’une déclaration d’absence de responsabilité), par opposition aux demandes de décisions seulement provisoires ou ne portant que sur les règles de procédure ou de compétence.

( 6 ) Le règlement no 44/2001 a, certes, été abrogé par le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1). Toutefois, le premier de ces règlements reste applicable en l’espèce, dès lors que la procédure pendante devant la juridiction de renvoi a été introduite avant le 10 janvier 2015, date d’application du second règlement (voir articles 66 et 81 du règlement no 1215/2012). Voir, également, Beraudo, J.‑P., et Beraudo, M.‑J., « Convention de Bruxelles, conventions de Lugano et règlements (CE) no 44/2001 et (UE) no 1215/2012 – Compétence – Règles de procédure ayant une incidence sur la compétence », JurisClasseur Europe, fascicule 3030, 2015, point 62, où il est précisé que le règlement no 44/2001 doit s’appliquer lorsque l’une au moins des instances susceptibles de générer une litispendance a été introduite avant cette date.

( 7 ) Se référant à l’arrêt du 3 avril 2014, Weber (C‑438/12, EU:C:2014:212, points 49 et suiv.), la juridiction de renvoi estime qu’une décision sur le fond rendue par ce tribunal français ne serait pas exposée à un refus de reconnaissance dans les autres États membres. Elle ajoute qu’aucune compétence exclusive des juridictions allemandes ne s’y opposerait et qu’aucune clause d’élection de for ne lie la demanderesse au principal (HanseYachts) et la demanderesse à la procédure française (SMCA). Selon elle, les juges français pourraient tirer leur compétence de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, le fait dommageable s’étant produit en France.

( 8 ) Cette juridiction considère qu’elle serait dotée d’une compétence internationale sur le fondement de l’article 5, point 1, du règlement no 44/2001, applicable en matière contractuelle.

( 9 ) Voir notes en bas de page 7 et 8 des présentes conclusions.

( 10 ) Ainsi, la Commission doute que la clause attribuant compétence aux juridictions de Greifswald, qui est contenue dans le contrat de distribution conclu en 2011 entre HanseYachts et Port d’Hiver Yachting, puisse avoir un effet rétroactif, à l’égard du contrat de vente signé en 2010 par celles‑ci, et que cette clause soit opposable à SMCA, deuxième défenderesse qui n’a aucune relation contractuelle avec la requérante au principal. Toutefois, l’appréciation de tels éléments, qui relèvent des circonstances du litige au principal, incombe à la juridiction de renvoi, et non à la Cour, dans le cadre de la procédure instituée à l’article 267 TFUE (voir, notamment, arrêts du 25 octobre 2012, Folien Fischer et Fofitec, C‑133/11, EU:C:2012:664, point 24, ainsi que du 25 avril 2013, Asociația Accept, C‑81/12, EU:C:2013:275, point 41).

( 11 ) En particulier, il ressort d’une jurisprudence constante qu’en cas de litispendance, l’appréciation de la compétence du tribunal saisi en premier lieu appartient en principe à celui‑ci, et non à la juridiction saisie en second lieu (voir, notamment, arrêt du 27 juin 1991, Overseas Union Insurance e.a., C‑351/89, EU:C:1991:279, points 25 et 26).

( 12 ) Voir, notamment, arrêt du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements (C‑523/14, EU:C:2015:722, point 48).

( 13 ) Voir, notamment, arrêts du 27 février 2014, Cartier parfums‑lunettes et Axa Corporate Solutions assurances (C‑1/13, EU:C:2014:109, points 24 et suiv.), ainsi que du 3 avril 2014, Weber (C‑438/12, EU:C:2014:212, points 33 et suiv.).

( 14 ) Voir points 15 et 16 des présentes conclusions.

( 15 ) Je rappelle que la Cour ne refuse de statuer sur une question préjudicielle, comme étant irrecevable, que lorsque l’interprétation du droit de l’Union demandée est manifestement hypothétique et sans utilité aux fins de la solution du litige au principal (voir, notamment, arrêts du 22 mai 2014, Érsekcsanádi Mezőgazdasági, C‑56/13, EU:C:2014:352, points 36 à 38, ainsi que du 6 novembre 2014, Cartiera dell’Adda, C‑42/13, EU:C:2014:2345, point 29).

( 16 ) Cette mission incombe exclusivement aux juges nationaux (voir, notamment, arrêts du 15 janvier 2013, Križan e.a., C‑416/10, EU:C:2013:8, point 58, ainsi que du 11 septembre 2014, Essent Belgium, C‑204/12 à C‑208/12, EU:C:2014:2192, point 52). Je note une particularité dans la présente affaire, qui tient au fait que la juridiction de renvoi est ici allemande tandis que les règles de procédure dont la teneur est débattue par les parties sont non pas celles du droit allemand, mais celles du droit français, dont elle ne maîtrise pas nécessairement le contenu et la portée. Cependant, la Cour ne peut juger si l’interprétation qu’en donne cette juridiction est correcte (arrêt du 13 décembre 2012, Caves Krier Frères, C‑379/11, EU:C:2012:798, point 36).

( 17 ) Voir, notamment, arrêt du 22 mai 2014, Érsekcsanádi Mezőgazdasági (C‑56/13, EU:C:2014:352, point 53).

( 18 ) Voir, notamment, arrêts du 24 février 2015, Grünewald (C‑559/13, EU:C:2015:109, point 32), ainsi que du 13 juillet 2016, Pöpperl (C‑187/15, EU:C:2016:550, point 35).

( 19 ) Voir, notamment, arrêt du 17 janvier 2013, Zakaria (C‑23/12, EU:C:2013:24, point 30).

( 20 ) Cette approche autonomiste a été adoptée par la Cour depuis longtemps (voir, notamment, arrêt du 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik, 144/86, EU:C:1987:528, points 6 et 11, portant sur la notion de litispendance au sens de l’article 21 de la convention de Bruxelles, auquel l’article 27 du règlement no 44/2001 équivaut en substance) et a été confirmée régulièrement (voir, notamment, arrêt du 28 juillet 2016, Siemens Aktiengesellschaft Österreich, C‑102/15, EU:C:2016:607, point 30, portant sur l’interprétation de dispositions du règlement no 44/2001).

( 21 ) Je note que, dans la présente affaire, de multiples arguments à caractère national ont été mis en avant par les parties ayant soumis des observations à la Cour.

( 22 ) Dans sa prise de position relative à l’affaire Purrucker (C‑296/10, EU:C:2010:578, point 89), portant aussi sur l’interprétation de règles de compétence judiciaire issues du droit de l’Union, l’avocat général Jääskinen a souligné, à juste titre, que « l’approche retenue par la Cour doit être neutre, objective et détachée des contingences, tant factuelles que procédurales ou juridiques, qui sont propres au litige au principal. Les données de l’espèce […] ne sauraient orienter de façon déterminante la solution apportée ».

( 23 ) Le gouvernement français n’a pas pris position à cet égard, étant rappelé qu’il n’a pas présenté d’observations écrites dans la présente affaire mais a répondu aux questions posées par la Cour qui portaient sur la teneur du droit français, et plus spécifiquement sur les mesures d’instruction prévues à l’article 145 du CPC.

( 24 ) Voir, notamment, arrêts du 4 juin 2015, Brasserie Bouquet (C‑285/14, EU:C:2015:353, point 15), ainsi que du 20 octobre 2016, Danqua (C‑429/15, EU:C:2016:789, point 36).

( 25 ) Voir, notamment, arrêts du 13 février 2014, Airport Shuttle Express e.a. (C‑162/12 et C‑163/12, EU:C:2014:74, points 30 et 31), ainsi que du 3 juillet 2014, Gross (C‑165/13, EU:C:2014:2042, point 20).

( 26 ) Sur cette problématique accessoire, voir points 77 et suiv. des présentes conclusions.

( 27 ) Le considérant 15 de ce règlement indique que « le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum » le risque de telles procédures concurrentes et que c’est précisément à cette fin qu’ont été adoptées des règles uniformes permettant de résoudre plus aisément les problèmes de litispendance. Voir, également, arrêt du 27 juin 1991, Overseas Union Insurance e.a. (C‑351/89, EU:C:1991:279, point 16), relatif à la convention de Bruxelles.

( 28 ) Il est sans incidence que, comme le relève la Commission, la version allemande de l’article 27 du règlement no 44/2001 ne contienne pas expressément une distinction entre ces deux derniers critères, qui figure dans d’autres versions linguistiques (voir arrêt du 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik, 144/86, EU:C:1987:528, point 14, au sujet de la version allemande de l’article 21 de la convention de Bruxelles, correspondant audit article 27).

( 29 ) Voir, notamment, arrêt du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements (C‑523/14, EU:C:2015:722, point 38).

( 30 ) Voir, notamment, arrêts du 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik (144/86, EU:C:1987:528, point 13), ainsi que du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements (C‑523/14, EU:C:2015:722, point 41).

( 31 ) L’inversion des positions procédurales est d’ailleurs le propre de l’action en constatation négative dont la juridiction de renvoi a été saisie par HanseYachts, laquelle entend être dégagée de la responsabilité qui est en débat devant le tribunal de commerce de Toulon. Voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2012, Folien Fischer et Fofitec (C‑133/11, EU:C:2012:664, point 43).

( 32 ) Voir arrêt du 6 décembre 1994, Tatry (C‑406/92, EU:C:1994:400, points 34 et suiv.). Dans la présente affaire, la juridiction de renvoi précise que si elle avait l’obligation de surseoir à statuer dans la procédure opposant HanseYachts à SMCA, en application de l’article 27, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, pour cause de litispendance, elle ferait alors usage de la faculté de surseoir aussi à statuer, que lui reconnaît l’article 28, paragraphe 1, dudit règlement, cette fois pour cause de connexité, dans la procédure opposant HanseYachts aux autres défendeurs.

( 33 ) Voir, notamment, arrêts du 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik (144/86, EU:C:1987:528, point 15), où la Cour a estimé que les instances concurrentes avaient la même cause comme étant basées sur « le même rapport contractuel », ainsi que du 14 octobre 2004, Mærsk Olie & Gas (C‑39/02, EU:C:2004:615, point 38), où la Cour a, au contraire, retenu que « la règle juridique qui constitu[ait] le fondement de chacune des deux demandes diff[érait] ».

( 34 ) Voir, notamment, arrêt du 6 décembre 1994, Tatry (C‑406/92, EU:C:1994:400, point 41). Dans l’arrêt du 8 mai 2003, Gantner Electronic (C‑111/01, EU:C:2003:257, point 31), la Cour a précisé que, pour apprécier l’identité d’objet, seules les prétentions respectives des demandeurs dans les instances concurrentes doivent être prises en compte, et non les moyens de défense présentés.

( 35 ) Voir, notamment, arrêt du 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik (144/86, EU:C:1987:528, point 17).

( 36 ) Voir, notamment, arrêt du 25 octobre 2012, Folien Fischer et Fofitec (C‑133/11, EU:C:2012:664, point 49), au sujet d’une action en constatation négative. Ces deux critères ont été clairement dissociés dans d’autres arrêts (notamment, arrêt du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements, C‑523/14, EU:C:2015:722, points 43 à 46).

( 37 ) Voir arrêt du 19 décembre 2013, NIPPONKOA Insurance (C‑452/12, EU:C:2013:858, point 42 et jurisprudence citée).

( 38 ) À cet égard, voir points 60 et suiv. des présentes conclusions.

( 39 ) Lorsque le juge est saisi, non pas sur requête, mais à la suite d’une assignation en référé, comme cela a été le cas du tribunal de commerce de Marseille.

( 40 ) Arrêt du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements (C‑523/14, EU:C:2015:722, points 56 et 57), concernant l’identification de la date à laquelle une juridiction est réputée saisie, au sens desdits articles, lorsqu’une personne porte plainte avec constitution de partie civile auprès d’une juridiction d’instruction.

( 41 ) Règlement du Conseil, du 29 mai 2000, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale (JO 2000, L 160, p. 37). Ledit article 19, portant sur les cas où le défendeur est non comparant, a été repris dans l’acte ayant remplacé le règlement no 1348/2000, à savoir le règlement no 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007 (JO 2007, L 324, p. 79).

( 42 ) La proposition de directive du Conseil, présentée par la Commission le 26 mai 1999, qui a abouti à l’adoption du règlement no 1348/2000 [COM (1999) 219 final] indique que l’article 19 de celui‑ci reprend le contenu des articles 15 et 16 de la convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (voir point 4.4 de l’exposé des motifs et commentaire de l’article 19 de ladite proposition).

( 43 ) Dans son Manuel pratique sur le fonctionnement de la Convention Notification de La Haye (Wilson & Lafleur, Montréal, 2006, points 66 et 276), le bureau permanent de la Conférence de La Haye de droit international privé distingue les actes introductifs d’instance de ceux relevant de la procédure probatoire et précise que « [l]’expression “acte équivalent” comprend les actes qui ont des effets identiques à l’acte introductif d’instance, comme la citation en appel [ou] la demande en intervention ».

( 44 ) Aux termes de l’arrêt du 14 octobre 2004, Mærsk Olie & Gas (C‑39/02, EU:C:2004:615, point 59), « une ordonnance fixant provisoirement le plafond de la responsabilité[,] d’abord adoptée provisoirement par le tribunal à l’issue d’une procédure unilatérale pour ensuite faire l’objet d’un débat contradictoire[,] doit être considérée comme un acte équivalent à l’acte introductif d’instance au sens de l’article 27, point 2, de ladite convention ». Un acte d’assignation aux fins de mesure d’instruction in futurum n’est à mon avis pas assimilable à une telle ordonnance.

( 45 ) Souligné par mes soins.

( 46 ) Tel est le cas, notamment, à l’article 2, paragraphe 1, à l’article 5, point 6, à l’article 12, paragraphe 1, à l’article 16, paragraphe 2, et à l’article 22, point 4, de ce règlement. Ces dispositions s’opposent aux règles de compétence internationale usuellement dites « spéciales » parce que « désignant directement le tribunal compétent sans [devoir] se référer aux règles de compétence en vigueur dans l’État où pourrait être situé un tel tribunal » pour identifier, parmi toutes les juridictions de cet État, quelle est celle qui doit statuer sur le litige, comme indiqué par M. Jenard, P., dans son rapport relatif à la convention de Bruxelles (JO 1979, C 59, p. 22).

( 47 ) Cette juridiction fait valoir que si une mesure d’instruction est mise en œuvre dans un État membre, le défendeur à cette procédure probatoire se trouve alors averti qu’une action en justice à son encontre est imminente et il prendra probablement l’initiative, comme HanseYachts en l’espèce, de saisir au fond un tribunal d’un autre État membre susceptible de lui être plus favorable.

( 48 ) Voir rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen sur l’application du règlement no 44/2001 [COM (2009) 174 final, points 3.4 et 3.5].

( 49 ) Aux termes de ce considérant 15, « [i]l importe de prévoir un mécanisme clair et efficace pour résoudre les cas de litispendance et de connexité et pour parer aux problèmes résultant des divergences nationales quant à la date à laquelle une affaire est considérée comme pendante. Aux fins du présent règlement, il convient de définir cette date de manière autonome ».

( 50 ) Il ressort de l’exposé des motifs de la proposition de la Commission ayant abouti à l’adoption du règlement no 44/2001, du 14 juillet 1997 [COM (1999) 348 final], que la « définition autonome de la date à laquelle une affaire est “pendante” » au sens de ses articles 27 et 28 visait avant tout à « combl[er] une lacune de la convention de Bruxelles » et qu’elle tendait à « concilier les différents systèmes procéduraux tout en assurant l’égalité des armes des parties demanderesses, d’une part, et une protection contre les abus de procédure, d’autre part » (voir p. 7, 20 et 21).

( 51 ) Cette diversité des règles nationales avait été soulignée par la Cour dans l’arrêt du 7 juin 1984, Zelger (129/83, EU:C:1984:215, points 10 et suiv.), portant sur la convention de Bruxelles.

( 52 ) Cet article 30 prévoit que la date de saisine d’une juridiction est soit la date du dépôt auprès de la juridiction de l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent en ce qui concerne les États membres dans lesquels cet acte doit être notifié ou signifié ultérieurement (point 1), soit la date de la réception de l’acte par l’autorité chargée de sa notification ou de sa signification en ce qui concerne les États membres dans lesquels celui‑ci doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction (point 2). Voir, également, arrêt du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements (C‑523/14, EU:C:2015:722, point 57), et, par analogie, ordonnances du 16 juillet 2015, P (C‑507/14, non publiée, EU:C:2015:512, points 30 et suiv.), ainsi que du 22 juin 2016, M.H. (C‑173/16, EU:C:2016:542, points 24 à 28).

( 53 ) La communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, du 26 novembre 1997, intitulée « Vers une efficacité accrue dans l’obtention et l’exécution des décisions au sein de l’Union européenne » [COM (97) 609 final], mentionnait expressément que l’insertion d’une telle définition uniforme permettrait de renforcer la sécurité juridique et l’efficacité des mécanismes applicables en matière de litispendance (voir p. 11, point 15, et p. 35).

( 54 ) Voir points 57 et suiv. des présentes conclusions.

( 55 ) Le gouvernement français mentionne que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation française (voir, notamment, arrêt de la 2e chambre civile, du 5 février 2009, no 07‑21.572, accessible à l’adresse Internet suivante : https://www.legifrance.gouv.fr), une mesure d’instruction in futurum demandée alors qu’une instance au fond est déjà introduite sera déclarée irrecevable.

( 56 ) Ce gouvernement précise que, s’agissant d’un référé probatoire ordonnant une expertise, comme en l’espèce, le juge ayant ordonné celle‑ci sur le fondement de l’article 145 du CPC ne peut plus, dans le cadre de l’instance dont il a été saisi, ni ordonner une nouvelle expertise ni se prononcer sur le rapport d’expertise remis, puisqu’il n’appartient plus qu’au juge du fond, le cas échéant, d’apprécier l’expertise ainsi ordonnée.

( 57 ) Les raisons de cette différence de tribunaux saisis ne ressortent pas de la décision de renvoi.

( 58 ) Aux termes de cet article, qui figure dans le Livre III, intitulé « Des différentes manières dont on acquiert la propriété », titre XX, intitulé « De la prescription extinctive », du code civil, « [l]a prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès » et « [l]e délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ».

( 59 ) Ledit article 2239 vise à ménager aux parties un temps de réflexion pour apprécier l’opportunité d’assigner au fond après le résultat d’une mesure d’instruction, sans automaticité (voir Marchand, X., Savatic, P., et Audouy, J., « Mesures d’instruction exécutées par un technicien », JurisClasseur Procédure civile, fascicule 660, 2011, points 24 ainsi que 238 et suiv.).

( 60 ) La Cour de cassation française s’est prononcée en ce sens, puisqu’elle a jugé que, lorsqu’un litige présente un caractère international, la mise en œuvre, sur le territoire français, d’une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du CPC est soumise à la loi française, indépendamment de la législation susceptible d’être appliquée à l’action au fond qui sera éventuellement engagée à la suite de cette mesure (arrêt de la 1re chambre civile, du 3 novembre 2016, no 15‑20.495, accessible à l’adresse Internet suivante : https://www.legifrance.gouv.fr). Il est possible de dissocier la procédure aux fins de mesure d’instruction in futurum et l’éventuelle instance au fond ultérieure, et ainsi de les soumettre à des règles de droit différentes, dès lors que cette dernière n’est « pas la continuation » de la première, selon Théry, P., « Le référé probatoire et l’application dans le temps de la loi du 17 juin 2008 », RDI, 2009, p. 481.

( 61 ) Voir point 45 des présentes conclusions.

( 62 ) Arrêt du 28 avril 2005 (C‑104/03, EU:C:2005:255), dont la juridiction de renvoi vise plus particulièrement les points 19 et suiv.

( 63 ) À savoir, une mesure ordonnant l’audition d’un témoin dans le but de permettre au demandeur d’évaluer l’opportunité d’une action éventuelle, de déterminer le fondement d’une telle action et d’apprécier la pertinence des moyens pouvant être invoqués dans ce cadre.

( 64 ) En particulier, le gouvernement français estime qu’une mesure d’instruction in futurum, telle que celle ayant été ordonnée dans le cas d’espèce en application de l’article 145 du CPC, pourrait être qualifiée de « mesure provisoire ou conservatoire » au sens de l’article 31 du règlement no 44/2001, en invoquant un arrêt de la Cour de cassation française en ce sens (arrêt de la 1re chambre civile, du 11 décembre 2001, no 00‑18.547, accessible à l’adresse Internet suivante : https://www.legifrance.gouv.fr), tandis que la Commission soutient la thèse inverse.

( 65 ) Voir, notamment, Beraudo, J.‑P., et Beraudo, M.‑J., « Convention de Bruxelles du 27 septembre 1698, convention de Lugano du 16 septembre 1988 et règlement (CE) no 44/2001 du Conseil du 2 décembre 2000 – Compétence – Règles de compétence dérogatoires », JurisClasseur Europe, fascicule 3031, 2012, point 39 ; Gaudemet‑Tallon, H., Compétence et exécution des jugements en Europe, LGDJ‑Lextenso, Issy‑les‑Moulineaux, 5e éd., 2015, point 308‑1 et doctrine citée.

( 66 ) En ce sens, voir arrêt du 27 avril 1999, Mietz (C‑99/96, EU:C:1999:202, points 46 et 47), au sujet de la disposition équivalente figurant à l’article 24 de la convention de Bruxelles.

( 67 ) Arrêt du 28 avril 2005 (C‑104/03, EU:C:2005:255).

( 68 ) Voir point 76 des présentes conclusions.

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