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Document 62011CC0415

Conclusions de l'avocat général Kokott présentées le 8 novembre 2012.
Mohamed Aziz contre Caixa d´Estalvis de Catalunya, Tarragona i Manresa (Catalunyacaixa).
Demande de décision préjudicielle: Juzgado de lo Mercantil nº 3 de Barcelona - Espagne.
Directive 93/13/CEE - Contrats conclus avec les consommateurs - Contrat de prêt hypothécaire - Procédure de saisie hypothécaire - Compétences du juge national du fond - Clauses abusives - Critères d’appréciation.
Affaire C-415/11.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2012:700

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M ME JULIANE KOKOTT

présentées le 8 novembre 2012 ( 1 )

Affaire C‑415/11

Mohamed Aziz

contre

Caixa d’Estalvis de Catalunya, Tarragona i Manresa (Catalunyacaixa)

[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Mercantil no 3 de Barcelona (Espagne)]

«Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs — Prêt hypothécaire — Possibilités de protection juridique dans le cadre d’une procédure d’exécution — Déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat — Intérêts de retard — Échéance anticipée du prêt»

I – Introduction

1.

La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ( 2 ).

2.

En vue de financer son logement, M. Mohamed Aziz, requérant dans la procédure au principal, avait conclu un contrat de crédit avec la caisse d’épargne défenderesse, ainsi que consenti une hypothèque aux fins de garantie dudit prêt. En raison de difficultés de paiement de M. Aziz, la défenderesse a demandé la saisie du bien immobilier dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire simplifiée prévue par le droit espagnol.

3.

À l’issue de la procédure d’exécution, M. Aziz a fait grief, dans le cadre d’une procédure distincte, du caractère abusif de l’une des clauses du contrat de crédit. Selon la juridiction de renvoi, le caractère abusif de clauses du contrat de crédit ne peut pas être invoqué dans le cadre de la procédure de saisie hypothécaire. Le consommateur ne peut en faire grief que dans le cadre d’une procédure au fond distincte. Cette dernière ne peut toutefois avoir aucune incidence sur l’exécution. Dans ces conditions, la juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité avec la directive 93/13 de règles procédurales nationales qui ne permettent pas d’invoquer le caractère abusif de clauses. Elle interroge également la Cour sur le caractère abusif de certaines clauses du contrat de crédit.

4.

La présente procédure offre donc à la Cour la possibilité de développer sa jurisprudence relative à la garantie effective de la protection du consommateur par le droit procédural national, ainsi que de débattre des circonstances devant être prises en considération lors de la détermination du caractère abusif d’une clause contractuelle.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

5.

Aux termes de l’article 3 de la directive 93/13:

«1.   Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

[…]

3.   L’annexe contient une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être déclarées abusives.»

6.

L’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit:

«Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.»

7.

L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive dispose:

«Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.»

8.

L’annexe de la directive 93/13, intitulée «Clauses visées à l’article 3 paragraphe 3», indique:

«1.   Clauses ayant pour objet ou pour effet:

[…]

e) d’imposer au consommateur qui n’exécute pas ses obligations une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé;

[…]

q) de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d’arbitrage non couverte par des dispositions légales, en limitant indûment les moyens de preuves à la disposition du consommateur ou en imposant à celui-ci une charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement à une autre partie au contrat.

[…]»

B – Le droit national

9.

La procédure judiciaire de saisie hypothécaire est régie par les articles 693 et 695 à 698 du code de procédure civile espagnol ( 3 ).

10.

L’article 695 de la LEC prévoit:

«1.   Dans les procédures visées au présent chapitre, l’opposition à l’exécution du défendeur ne sera accueillie que lorsqu’elle se fonde sur les causes suivantes:

1)

l’extinction de la garantie ou de l’obligation garantie, sous réserve qu’une attestation du registre soit produite faisant état de l’annulation de l’hypothèque ou, le cas échéant, du gage sans dépossession, ou d’un acte notarié attestant du récépissé de paiement ou de l’annulation de la garantie;

2)

une erreur dans la détermination du montant exigible, lorsque la créance garantie est constituée par le solde entraînant la clôture d’un compte entre le créancier demandant l’exécution et le défendeur à l’exécution. Le défendeur à l’exécution doit produire son exemplaire du relevé de compte et l’opposition n’est accueillie que si le solde figurant dans ledit relevé est différent de celui présenté par le créancier demandant l’exécution.

[…]

2.   En cas d’introduction de l’opposition visée au paragraphe précédent, le greffier procède à la suspension de l’exécution et convoque les parties à comparaître devant le tribunal ayant rendu l’ordonnance de saisie. La citation à comparaître doit intervenir au moins quatre jours avant la tenue de l’audience en question. Au cours de cette audience, le tribunal entend les parties, accueille les documents produits et adopte la décision pertinente, sous la forme d’une ordonnance, au cours de la deuxième journée.

[…]»

11.

L’article 698 de la LEC stipule:

«1.   Toute réclamation que le débiteur, le tiers détenteur ou tout intéressé pourrait formuler qui ne serait pas comprise dans les articles précédents, y compris celles relatives à l’annulation du titre ou à l’échéance, au caractère certain, à l’extinction ou au montant de la dette, est tranchée dans le jugement correspondant, sans jamais avoir pour effet de suspendre la procédure judiciaire d’exécution prévue au présent chapitre ou d’y faire échec.

[…]

2.   Lors de la présentation du recours visé au paragraphe précédent ou au cours de la procédure à laquelle ce recours donnerait lieu, il peut être demandé que l’effectivité de la décision qui sera rendue dans ce cadre soit garantie au moyen du séquestre de tout ou partie du montant qui, conformément à la procédure régie par le présent chapitre, doit être remis au créancier.

Le tribunal rend une décision ordonnant ledit séquestre, au vu des pièces produites, s’il considère que les raisons invoquées sont suffisantes. Si le demandeur au séquestre ne dispose pas d’une solvabilité notoire et suffisante, le tribunal doit exiger de celui-ci qu’il présente une garantie préalable et suffisante pour répondre des intérêts de retard et pour dédommager le créancier d’autres préjudices pouvant lui être occasionnés.

3.   Lorsque le créancier a présenté une garantie satisfaisante quant au règlement du montant demandé en séquestre à la suite de la procédure visée au paragraphe 1 ci-dessus, le séquestre est levé.»

III – Les faits et la demande de décision préjudicielle

12.

En juillet 2007, M. Aziz a souscrit, par acte notarié, un prêt hypothécaire auprès de la Caixa d’Estalvis de Catalunya, Tarragona i Manresa (Catalunyacaixa) ( 4 ). Ce contrat de prêt portant sur un montant de 138000 euros visait essentiellement au remboursement de la dette contractée auprès d’un autre établissement de crédit en vue de l’achat d’un domicile familial pour un montant de 115821 euros. Le bien grevé a continué à être le domicile familial, dont la valeur a été fixée à 194 000 euros dans le contrat de prêt notarié. À cette époque, M. Aziz avait un revenu mensuel fixe de 1341 euros.

13.

Les clauses essentielles du contrat sont résumées comme suit dans la demande de décision préjudicielle: la période d’amortissement prévue est de 33 annuités, à rembourser en 396 mensualités, du 1er août 2007 au 31 juillet 2040. Le montant des mensualités s’élève, tant que le taux d’intérêt reste inchangé, à 701,40 euros. Le taux d’intérêt ordinaire est fixé comme suit: jusqu’au 30 janvier 2008, un intérêt nominal annuel fixe de 4,87 % est appliqué et, de ce jour jusqu’au remboursement total du prêt, le taux d’intérêt nominal est variable (Euribor + 1,10 %).

14.

La sixième clause du contrat prévoit que l’emprunteur est en retard de paiement, même sans mise en demeure, s’il ne paie pas un montant à titre d’intérêts ou d’amortissement devenu exigible – même de manière anticipée. Les intérêts de retard sont calculés au jour le jour et se voient appliquer un taux d’intérêt de 18,75 %.

15.

Il est ensuite indiqué que la caisse d’épargne peut déclarer exigible la totalité du prêt entre autres si l’un des délais convenus arrive à échéance et que le débiteur n’a pas rempli son obligation de paiement d’une partie du capital ou des intérêts du prêt. Les parties conviennent d’inscrire cette cause d’exigibilité au registre foncier, afin qu’une action judiciaire en réclamation de la créance totale (capital et intérêts) puisse être, le cas échéant, exercée, conformément aux dispositions de l’article 693 de la LEC.

16.

La onzième clause porte sur la constitution de l’hypothèque, qui couvre le capital prêté de 138000 euros, les intérêts convenus pour une annuité et les intérêts de retard jusqu’à un montant maximal de 51750 euros, plus 13800 euros en prévision de frais et débours, cela sans préjudice de la responsabilité personnelle de l’emprunteur.

17.

La quinzième clause concerne l’exécution judiciaire de l’hypothèque: elle est fondée sur la valeur estimée du logement indiquée dans le contrat de prêt notarié (194000 euros). Il est convenu que la dette peut être réclamée en justice tant dans le cadre d’une procédure au fond que dans celui d’une procédure d’exécution ordinaire ou de saisie hypothécaire. La caisse d’épargne se voit expressément reconnaître le droit, notamment aux fins de l’exécution forcée, de fixer unilatéralement le montant de la dette échue, en présentant, conjointement à l’acte constitutif de l’hypothèque, une liquidation des arriérés de paiements sous la forme convenue dans l’acte notarié, ainsi que les certificats appropriés.

18.

À partir d’octobre 2007, M. Aziz a pris du retard dans le paiement de plusieurs mensualités (octobre 2007, décembre 2007, janvier, février, mars, avril et mai 2008). En raison de ce retard, la caisse d’épargne a exigé le paiement des intérêts de retard convenus. Du 31 juillet 2007 – date d’exigibilité de la première échéance de remboursement du prêt – au 31 mai 2008, M. Aziz a payé 1325,98 euros à titre de créance principale et 6 656,44 euros à titre d’intérêts contractuels et de retard.

19.

Fin mai 2008, M. Aziz a cessé le paiement plus ou moins régulier des mensualités. La caisse d’épargne a fait usage de son droit à réclamer l’échéance anticipée du prêt. Sur le fondement de ladite échéance anticipée, elle a exigé le remboursement de la totalité du prêt (créance au principal et intérêts).

20.

En octobre 2008, un représentant de la caisse d’épargne a fait établir, par un notaire, un acte constatant le montant devant encore être payé par M. Aziz. Dans ce document notarié, la dette – calculée selon des critères mathématico-financiers généralement admis – a été fixée, conformément aux conditions convenues entre les parties et aux certificats de l’établissement de crédit, à 139 764,76 euros. Ce montant est ventilé comme suit: 136674,02 euros à titre de créance principale, 3017,97 euros à titre d’intérêts ordinaires et 72,77 euros à titre d’intérêts de retard.

21.

En janvier 2009, la caisse d’épargne a envoyé un télégramme à M. Aziz l’informant de l’ouverture d’une procédure judiciaire en réclamation du montant dû par lui jusqu’au 16 octobre 2008, ainsi que des intérêts convenus à compter de cette date jusqu’au paiement total, et des frais correspondants. Le télégramme exigeant le paiement de sa dette par M. Aziz a été remis au domicile de ce dernier, le 2 février 2009, à un membre de sa famille.

22.

En mars 2009, la caisse d’épargne a ouvert une procédure de saisie hypothécaire de titres extrajudiciaires conformément au droit de la procédure civile espagnol, et a réclamé à M. Aziz 139647,02 euros à titre principal, 90,74 euros pour intérêts échus et 41 902,21 euros à titre d’intérêts et de frais. Lors de l’introduction de la demande de saisie hypothécaire, les versements échus et non encore payés s’élevaient à 3 153,46 euros. L’objet de l’exécution forcée sur les biens était l’immeuble grevé par l’hypothèque, à savoir le domicile de M. Aziz et de sa famille.

23.

La procédure de saisie hypothécaire a été attribuée au Juzgado de Primera Instancia no 5 Martorell. Ce dernier a invité M. Aziz à payer sa dette, sans résultat.

24.

La juridiction de renvoi indique que, en droit de la procédure civile espagnol, les motifs d’opposition pouvant être invoqués dans le cadre de la procédure de saisie hypothécaire sont limités. Peuvent uniquement être opposées l’extinction de la garantie ou de l’obligation garantie, une erreur dans la détermination du montant dû (lorsque la dette garantie est constituée par le solde entraînant la clôture d’un compte entre le créancier demandant l’exécution et le défendeur à l’exécution) et l’existence d’une autre hypothèque – non effacée – inscrite antérieurement. Aucun de ces motifs d’opposition n’entrerait en considération en l’espèce.

25.

Conformément à l’article 698, paragraphe 1, de la LEC, tout autre motif d’opposition du débiteur fondé sur une quelconque autre raison (comme la non-validité des clauses du contrat de prêt à l’origine de la dette) devrait être examiné dans le cadre d’une procédure civile ordinaire distincte, n’entraînant pas la suspension de la procédure d’exécution. Selon l’article 698, paragraphe 2, de la LEC, la juridiction compétente pour statuer dans la procédure ordinaire ne pourrait garantir l’exécution de son arrêt que par le séquestre de tout ou partie du montant de la vente aux enchères devant être versé au créancier.

26.

M. Aziz ne s’est pas présenté lors de la procédure d’exécution et n’a pas non plus formé d’objection contre la saisie. Il n’a pas non plus fait usage de la possibilité, prévue à l’article 693, paragraphe 3, de la LEC, de «libérer le bien» et d’empêcher la vente aux enchères en payant les versements dus au moment de l’exécution, ainsi que les intérêts, débours et frais cumulés.

27.

Un jugement a donc été rendu le 15 décembre 2009, ordonnant la vente forcée de l’immeuble grevé par l’hypothèque.

28.

La vente forcée a eu lieu le 20 juillet 2010, sans qu’aucune offre ne soit faite. La caisse d’épargne a alors demandé que l’immeuble lui soit adjugé à 50 % de la valeur estimée dans le contrat (soit 97200,00 euros), ce que permet le droit espagnol en matière d’exécution, et ce qui a effectivement eu lieu. M. Aziz a donc perdu la propriété de son domicile et continue en outre à devoir à la caisse d’épargne 40000 euros de capital d’emprunt ainsi que les frais et intérêts ouverts. Le 20 janvier 2011, la commission mandatée par le Juzgado de Primera Instancia no 5 Martorell s’est rendue à l’immeuble faisant l’objet de la vente aux enchères afin que la caisse d’épargne puisse en prendre possession. M. Aziz a été expulsé de son domicile.

29.

Dans la procédure au principal devant la juridiction de renvoi, à savoir le Juzgado de Lo Mercantil no 3 de Barcelona, M. Aziz demande, en tant que requérant, la constatation du caractère abusif et donc de l’invalidité de la quinzième clause du contrat, visant ainsi en définitive, comme l’explique la juridiction de renvoi, l’annulation de la procédure d’exécution ayant déjà eu lieu. La juridiction de renvoi a sursis à statuer jusqu’à ce qu’une décision soit prise sur les questions préjudicielles.

30.

Le Juzgado de lo Mercantil de Barcelona pose à la Cour les questions suivantes:

«1)

Le système d’exécution de titres judiciaires sur des biens hypothéqués ou gagés prévu aux articles 695 et suivants du code de procédure civile espagnol, avec ses limitations quant aux motifs d’opposition, ne constitue-t-il pas une limitation claire de la protection du consommateur, dans la mesure où il représente, formellement et matériellement, un clair obstacle à l’exercice par le consommateur d’actions ou de recours en justice garantissant une protection effective de ses droits?

2)

Il est demandé à la Cour de préciser la notion de disproportion relativement à:

a)

la possibilité d’échéance anticipée de contrats projetés pour une longue période (en l’espèce 33 ans), pour des manquements qui ont eu lieu pendant une période concrète très limitée;

b)

la fixation d’intérêts de retard (en l’espèce supérieurs à 18 %) qui ne correspondent pas aux critères de détermination des intérêts de retard dans d’autres contrats conclus avec des consommateurs (crédits à la consommation), qui, dans d’autres domaines de contrats conclus avec des consommateurs, pourraient être considérés comme abusifs, et qui, toutefois, dans les contrats immobiliers, ne présentent pas de limite légale claire, même lorsque lesdits intérêts doivent être appliqués non seulement aux remboursements échus, mais également, du fait de l’échéance anticipée, à l’ensemble des versements dus;

c)

la fixation, de manière unilatérale par le prêteur, de mécanismes de liquidation et des intérêts variables (tant ordinaires que de retard) liés à la possibilité de saisie hypothécaire, [qui] ne permet pas au débiteur contre lequel l’exécution est demandée de s’opposer au calcul du montant de la dette dans le cadre de la procédure d’exécution elle-même, le renvoyant à une procédure au fond dans laquelle, lorsqu’il obtiendra un jugement définitif, l’exécution aura déjà eu lieu ou, à tout le moins, le débiteur aura perdu le bien hypothéqué ou donné en garantie, question particulièrement importante lorsque le prêt est demandé pour acheter un logement et que l’exécution entraîne l’expulsion de l’immeuble.»

31.

Lors de la procédure devant la Cour, M. Aziz, la caisse d’épargne, le gouvernement espagnol, ainsi que la Commission européenne, ont présenté des observations écrites et orales.

IV – Appréciation juridique

A – Sur la première question préjudicielle

1. Recevabilité

32.

Par sa première question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si un système de saisie hypothécaire régi par le droit procédural national qui ne prévoit aucune possibilité d’opposition à l’exécution tirée du caractère abusif de clauses contractuelles du contrat de prêt à l’origine de l’hypothèque constitue une limitation de la protection des consommateurs et est donc contraire à la directive 93/13.

33.

La caisse d’épargne défenderesse dans la procédure au principal met en doute la recevabilité de cette question. Cette dernière serait purement hypothétique et n’aurait aucun rapport avec la procédure au principal pendante devant la juridiction de renvoi. L’objet du litige serait en effet uniquement le point de savoir si la quinzième clause du contrat est valable. Le gouvernement espagnol conteste, lui aussi, la recevabilité. La question de la limitation des motifs d’opposition dans le cadre de la procédure d’exécution pourrait tout au plus être pertinente pour le juge de la procédure d’exécution. Cette dernière serait toutefois déjà close en l’espèce. La première question préjudicielle serait donc dénuée de pertinence pour la procédure pendante devant la juridiction de renvoi, qui doit apprécier, de manière abstraite et indépendamment de la procédure d’exécution qui a déjà eu lieu, la validité d’une clause contractuelle.

34.

La Commission considère, elle aussi, que la question relative aux possibilités de contrôle du juge de l’exécution est hypothétique et donc irrecevable. Elle propose une reformulation de la question préjudicielle. Il conviendrait d’examiner la question des compétences que le juge de la procédure au fond doit avoir eu égard à la limitation des motifs d’opposition dans la procédure d’exécution.

35.

Les parties à la procédure observent à juste titre que la question concrètement posée est hypothétique, dans la mesure où le juge de renvoi n’est pas le juge de la procédure d’exécution. Ce dernier est pourtant le seul directement concerné par la question des possibilités d’opposition dans le cadre de sa procédure, et de l’incidence de la directive 93/13 sur les possibilités de protection juridique dans le cadre de la procédure d’exécution.

36.

La question de la juridiction de renvoi doit donc, comme la Commission le suggère à juste titre, être comprise, dans un sens plus large, comme relative aux possibilités de protection juridique contre l’exécution qu’un consommateur doit avoir, à tout le moins dans le cadre de la procédure au fond devant la juridiction de renvoi. Cette question pourrait, elle aussi, sembler à première vue hypothétique, car la procédure d’exécution est close. Elle est toutefois pertinente aux fins de la décision.

37.

En effet, la juridiction de renvoi laisse entendre, dans sa demande de décision préjudicielle, que le litige au principal porte également sur d’éventuelles réparations à la suite de l’exécution forcée qui a déjà eu lieu. La question de la protection juridique contre l’exécution est donc importante pour la décision de la juridiction de renvoi, qui, en raison du principe d’effectivité, peut être tenue de remédier a posteriori, par sa décision, à un éventuel manque de la procédure qui a eu lieu jusqu’alors.

38.

Il convient donc d’examiner les conditions que la directive 93/13 pose, relativement à une exécution, quant aux possibilités du consommateur d’invoquer le caractère abusif de clauses.

2. Appréciation

39.

Pour répondre à la première question préjudicielle, il convient tout d’abord d’indiquer que le système de protection créé par la directive 93/13 repose sur l’idée que le consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel, en ce qui concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer une influence sur le contenu de celles-ci ( 5 ).

40.

Compte tenu de cette situation d’infériorité, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit que les clauses abusives ne lient pas le consommateur. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des cocontractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers ( 6 ).

41.

Afin d’assurer la protection recherchée par la directive 93/13, la Cour a déjà souligné à plusieurs reprises que la situation d’inégalité existant entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat ( 7 ).

42.

C’est à la lumière de ces principes que la Cour a ainsi jugé que le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de la directive 93/13 et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel ( 8 ).

43.

La présente affaire concerne le point de savoir quelles possibilités un consommateur doit avoir d’invoquer le caractère abusif d’une clause du contrat de prêt à l’encontre de l’exécution de l’hypothèque garantissant le prêt.

44.

En l’absence d’harmonisation, dans le droit de l’Union, des mesures nationales en matière d’exécution forcée, la détermination des modalités procédurales relève de l’ordre juridique interne des États membres, en vertu du principe de l’autonomie procédurale. La liberté des États membres en la matière trouve toutefois ses limites dans les principes d’équivalence et d’effectivité ( 9 ). Une réglementation ne doit pas être moins favorable que celle régissant une situation similaire soumise au droit interne, et elle ne doit pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux consommateurs par le droit de l’Union ( 10 ).

45.

Le principe d’équivalence exige que les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de droit interne ( 11 ). Ce point ne pose pas de problème en l’espèce. En effet, l’article 698 de la LEC exclut non seulement le motif d’opposition tiré du caractère abusif de clauses dans le cadre de procédures d’exécution, mais en général tout motif d’opposition pouvant concerner la nullité du titre.

46.

Il convient d’examiner ensuite le respect du principe d’effectivité. Il ressort de ce dernier que le droit procédural national ne peut être conçu de manière à faire obstacle à l’exercice des droits conférés au consommateur par la directive 93/13. Selon une jurisprudence constante de la Cour, chaque cas dans lequel se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysé en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales ( 12 ).

47.

Selon les indications de la juridiction de renvoi, la procédure espagnole de saisie hypothécaire simplifiée est conçue de telle sorte qu’elle n’offre, dans le souci d’une réalisation effective et rapide de l’hypothèque, que très peu de possibilités de protection au consommateur. Hormis quelques exceptions, qui ne sont, selon la juridiction de renvoi, pas pertinentes en l’espèce, un débiteur doit donc accepter la réalisation de l’hypothèque indépendamment de l’existence d’éventuelles clauses abusives. Ce n’est que dans une procédure au fond distincte, portant sur la validité du titre, que le consommateur peut s’opposer à la créance à l’origine de l’exécution, et donc invoquer le caractère abusif des clauses utilisées.

48.

Le débiteur ne peut toutefois ainsi qu’influer sur la répartition du montant de l’exécution ou réclamer des dommages et intérêts au titre de l’exécution. Dans cette procédure au fond, le juge a également la possibilité d’ordonner le séquestre du montant de la vente et de garantir ainsi un droit au paiement du débiteur contre le requérant à l’exécution.

49.

Selon les indications figurant dans la demande de décision préjudicielle, le juge n’a toutefois pas la possibilité, ni dans le cadre de la procédure d’exécution simplifiée ni dans celui de la procédure au fond distincte, d’ordonner la suspension provisoire de l’exécution forcée, donc de la vente forcée de l’immeuble.

50.

Même si le caractère abusif d’une clause du contrat de prêt à l’origine de l’hypothèque s’opposait à une saisie immobilière, le consommateur n’aurait donc pas, en droit espagnol, la possibilité d’empêcher la vente forcée et la perte du bien en découlant. Le consommateur est limité à une protection a posteriori sous la forme de dommages et intérêts et doit – comme dans la situation en cause au principal – accepter la perte de son logement.

51.

De telles dispositions procédurales portent atteinte à l’effectivité de la protection visée par la directive 93/13.

52.

Notamment lorsque l’immeuble grevé d’une hypothèque est le logement du débiteur, de simples dommages et intérêts peuvent difficilement garantir de manière effective les droits que la directive 93/13 confère au consommateur. Le fait qu’un consommateur doive, au regard de clauses contractuelles abusives, accepter sans aucune protection la réalisation d’une hypothèque et donc la vente aux enchères forcée de son logement, la perte du bien ainsi que l’expulsion en découlant, et ne puisse obtenir des dommages et intérêts qu’à travers une protection juridique a posteriori, ne constitue pas une protection effective contre de telles clauses contractuelles abusives.

53.

La directive 93/13 exige au contraire que le consommateur dispose d’une voie de recours effective pour l’examen du caractère abusif des clauses de son contrat de prêt et puisse ainsi, le cas échéant, s’opposer à l’exécution forcée.

54.

L’arrêt récemment rendu dans l’affaire Banco Español de Crédito va dans le même sens. La Cour y a jugé, dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer, que, afin de respecter le principe d’effectivité au regard de la directive 93/13, un juge national est tenu, même avant l’injonction de payer, d’apprécier d’office le caractère abusif des clauses du contrat, dans la mesure où il dispose déjà de tous les éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ( 13 ). Il existerait en effet un risque non négligeable que le consommateur ne forme pas l’opposition requise ( 14 ).

55.

En résulte-t-il que le consommateur doit pouvoir invoquer le caractère abusif de clauses directement dans le cadre de la procédure d’exécution, et non pas uniquement dans celui d’une procédure distincte? Des doutes quant à la possibilité de transposer la jurisprudence Banco Español de Crédito pourraient surgir du fait que, contrairement à la procédure d’injonction de payer, dans un cas comme en l’espèce, le document notarié constitue déjà un titre exécutoire et l’intérêt du créancier à une exécution forcée rapide doit être reconnu. Par une conception formelle de la procédure d’exécution et l’exclusion très large des motifs d’opposition, le législateur vise à l’exécution rapide des créances consacrées par un titre exécutoire. Dans ces conditions, il ne nous semble pas qu’il faille impérativement considérer d’emblée que la protection juridique du consommateur est rendue excessivement difficile du fait qu’il doit, par l’introduction d’une procédure, créer tout d’abord les conditions pour que le tribunal saisi examine des clauses du contrat.

56.

Il n’y a toutefois pas lieu de trancher définitivement cette question dans la présente procédure. En effet, comme nous l’avons déjà indiqué dans le cadre de l’examen de la recevabilité, il n’y a pas lieu en l’espèce de répondre à la question visant à savoir si le consommateur doit explicitement avoir la possibilité, dès la procédure d’exécution, d’invoquer le caractère abusif d’une clause du contrat de prêt. Il y a encore moins lieu d’éclaircir s’il convient de déduire de l’arrêt rendu dans l’affaire Banco Español de Crédito que le juge de l’exécution doit, lui aussi, examiner d’office la validité de certaines clauses du contrat pouvant avoir une incidence sur l’exécution forcée ( 15 ). Enfin, la première question préjudicielle porte expressément sur les possibilités d’opposition du consommateur, la juridiction de renvoi n’ayant pas posé de question sur la possibilité d’un examen d’office.

57.

L’élément déterminant dans le cadre de la présente procédure est donc uniquement le fait que le principe d’effectivité exige en tout état de cause que le juge au fond ait la possibilité de suspendre (provisoirement) la procédure d’exécution pour stopper l’exécution forcée jusqu’à ce qu’il ait procédé à l’examen du caractère abusif d’une clause du contrat, et d’empêcher ainsi que, à travers la procédure d’exécution, des faits difficilement réparables ou irréversibles soient créés au détriment du consommateur.

3. Conclusion intermédiaire

58.

Il convient donc de répondre à la première question préjudicielle qu’un système d’exécution de titres notariés sur des biens hypothéqués ou gagés dans lequel les possibilités d’opposition à l’exécution sont limitées n’est pas conforme à la directive 93/13, lorsque le consommateur ne peut, ni dans la procédure d’exécution elle-même ni dans une procédure judiciaire distincte, obtenir une protection juridique effective visant à faire respecter les droits conférés par la directive 93/13, par exemple à travers la possibilité donnée au juge de suspendre provisoirement l’exécution forcée.

B – Sur la seconde question préjudicielle

59.

Dans le libellé de la seconde question préjudicielle, le juge de renvoi utilise la notion de «disproportion», renvoyant ainsi à la terminologie du point 1, sous e), de l’annexe de la directive 93/13. La demande de décision préjudicielle doit toutefois être comprise en ce sens que la seconde question préjudicielle vise à obtenir une interprétation de la notion générale de «déséquilibre» entre les droits et obligations découlant du contrat utilisée à l’article 3, paragraphe 1, de la directive; au lieu de cela, dans le seul cas particulier de montants d’indemnités, l’annexe utilise, au point 1, sous e), le terme «disproportionnellement».

60.

Par sa seconde question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande donc en substance une explication détaillée de la notion de disproportion au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13. Selon cette disposition, une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat.

61.

La juridiction de renvoi cite à cet égard trois clauses précises faisant partie du contrat litigieux dans la procédure au principal. Ces clauses ont été, selon les indications de la juridiction de renvoi, imposées unilatéralement au consommateur, et relèvent donc du champ d’application de la directive 93/13.

1. Sur la recevabilité

62.

Selon la caisse d’épargne et le gouvernement espagnol, la procédure au principal n’a toutefois pour objet que l’une des clauses citées par la juridiction de renvoi. La réponse relative aux autres clauses n’est cependant pas dénuée de pertinence pour la solution du litige au principal. En effet, il n’est pas exclu qu’une vision globale des différentes conditions contractuelles et de leur appréciation juridique ait également une incidence sur l’interprétation de la clause litigieuse dans la procédure au principal.

63.

En outre, il a déjà été indiqué, dans le cadre de l’examen de la recevabilité de la première question préjudicielle, que l’objet du litige au principal s’étend, selon les indications données par la juridiction de renvoi, à une éventuelle invalidité de la procédure d’exécution. Il convient de considérer que l’appréciation juridique des clauses citées dans la seconde question préjudicielle, que le juge de renvoi doit d’ailleurs également examiner d’office, pourrait elle aussi avoir des conséquences sur la validité de la procédure d’exécution. La seconde question préjudicielle est donc recevable dans son ensemble.

2. Appréciation

a) Généralités

64.

La Cour a déjà souligné à plusieurs reprises que, en se référant aux notions de bonne foi et de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, l’article 3 de la directive 93/13 ne définit que de manière abstraite les éléments qui donnent un caractère abusif à une clause contractuelle ( 16 ).

65.

Le caractère éventuellement abusif d’une clause contractuelle particulière doit être qualifié concrètement en fonction des circonstances propres au cas d’espèce ( 17 ). Cette appréciation a lieu conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13, en tenant compte de la nature des biens ou des services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.

66.

Selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient à la juridiction nationale de constater si une clause contractuelle remplit les critères pour être qualifiée d’abusive au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13. Seul le juge national peut procéder à l’examen complet des conséquences que la clause concernée peut avoir dans le cadre du droit applicable au contrat, ce qui implique un examen du système juridique national ( 18 ).

67.

L’appréciation définitive du caractère abusif des clauses litigieuses incombe au juge national et non à la Cour ( 19 ). La tâche de la Cour est d’interpréter les critères généraux permettant d’apprécier la nature abusive des clauses contractuelles auxquelles les dispositions de la directive s’appliquent ( 20 ).

b) La clause relative à l’échéance anticipée

68.

La première clause mentionnée dans la seconde question préjudicielle concerne la possibilité d’échéance anticipée de contrats de longue durée pour des manquements qui ont eu lieu pendant une période très limitée.

69.

Dans le cas d’espèce, la sixième clause du contrat de prêt prévoit que la caisse d’épargne peut exiger le remboursement de la totalité du prêt dès que le débiteur accuse un retard de paiement ne serait-ce que d’une seule des 396 mensualités qu’il doit verser au total pendant les 33 ans du contrat.

70.

La Commission considère que cette clause est de toute évidence valable, car le non-paiement ne serait-ce que d’une mensualité constituerait une violation de l’obligation contractuelle essentielle de l’emprunteur et que l’on ne pourrait attendre du prêteur qu’il continue à respecter le contrat.

71.

Le point de savoir si une clause crée, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ne peut être apprécié sans procéder à une comparaison avec la situation juridique prévue par le droit national lorsque les parties n’ont pas convenu de règle contractuelle. Ce n’est que lorsque la clause contractuelle place le consommateur dans une situation moins favorable que celle offerte par les règles de droit qu’elle crée, au détriment du consommateur, un déplacement éventuellement abusif des droits et des obligations des parties découlant du contrat.

72.

Lorsqu’une clause contractuelle place le consommateur dans une situation moins favorable que celle découlant des règles de droit, cela ne déplace pas nécessairement l’équilibre contractuel de telle sorte qu’il y ait lieu de parler d’abus au sens de l’article 3 de la directive 93/13.

73.

L’article 3 de la directive 93/13 indique au contraire expressément qu’une clause contractuelle ne doit être considérée comme abusive que si, en dépit de l’exigence de bonne foi, un déséquilibre significatif est créé, au détriment du consommateur, entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. Le principe de la liberté contractuelle est ainsi garanti et il est reconnu que les parties ont souvent un intérêt légitime à ce que leurs relations contractuelles n’aient pas la même configuration que la situation légale.

74.

Il n’est possible de savoir si le déplacement par rapport à la situation légale, causé par la clause contractuelle, crée un déséquilibre significatif, au détriment du consommateur, des droits et des obligations des parties découlant du contrat qu’au moyen d’une appréciation globale de l’ensemble des circonstances contractuelles individuelles, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13. Un déséquilibre significatif doit notamment être considéré comme injustifié lorsque les droits et les obligations du consommateur sont affectés de telle sorte que celui qui a posé les conditions contractuelles ne pouvait en toute bonne foi considérer que le consommateur aurait accepté une telle disposition dans le cadre de négociations contractuelles individuelles.

75.

À cet égard, il est entre autres important de savoir si de telles clauses contractuelles sont courantes, c’est-à-dire généralement utilisées dans le cadre de contrats similaires, ou sont surprenantes, s’il existe une raison objective à la disposition figurant dans la clause et si, malgré le déplacement de l’équilibre contractuel en faveur de l’utilisateur de la clause, le consommateur n’est pas privé de protection s’agissant de l’objet régi par ladite clause.

76.

Dans le litige au principal, il est par conséquent important de savoir, en premier lieu, de quelle manière les règles de droit relatives à la résiliation d’un prêt sont conçues, notamment dans quelles conditions le prêteur est habilité, en cas de retard de paiement de quelques échéances par le débiteur, à résilier le prêt et à le déclarer exigible dans sa totalité. La clause litigieuse devra ensuite être appréciée au regard de ce critère.

77.

À cet égard, il convient, d’une part, de considérer que l’obligation de paiement des échéances constitue l’obligation contractuelle essentielle de l’emprunteur. D’autre part, il y a lieu de garder à l’esprit, lors de la réponse à la question visant à savoir si, en cas de non-paiement ne serait-ce que d’une échéance, il ne semble en principe plus possible d’attendre de la caisse d’épargne prêteuse qu’elle respecte le contrat, que l’hypothèque constitue une garantie donnée à la caisse d’épargne et que le retard dans le paiement d’une seule échéance peut reposer sur un simple oubli et ne permet pas nécessairement de conclure à des difficultés de paiement de l’emprunteur. Le montant du prêt octroyé, sa durée ainsi que son importance existentielle pour l’emprunteur doivent en outre être mis en rapport avec l’intérêt de l’établissement prêteur de pouvoir résilier le contrat de prêt après le non-paiement d’une seule échéance du contrat de prêt.

78.

La juridiction de renvoi doit enfin également prendre en considération les possibilités que le droit national, notamment le droit procédural national, offre au consommateur pour remédier aux effets d’une exigibilité de l’ensemble du prêt ayant déjà eu lieu. La possibilité donnée à l’emprunteur par l’article 693, paragraphe 3, de la LEC de remédier finalement à l’effet de la résiliation/exigibilité de l’ensemble du prêt en payant les échéances dues est à cet égard particulièrement intéressante. Il convient d’en tenir compte dans le cadre du nécessaire examen global du point de savoir si, en dépit de l’exigence de bonne foi, le consommateur est désavantagé de manière disproportionnée par la clause litigieuse.

79.

Les considérations précédentes montrent que, contrairement à l’opinion de la Commission, qui considère que la clause litigieuse est valable de manière abstraite, indépendamment de systèmes juridiques déterminés et des circonstances, seul le juge national est en mesure de procéder à l’examen requis du caractère abusif au regard de l’article 3 de la directive 93/13.

80.

Il y a donc lieu de conclure à ce stade qu’il appartient au juge national d’apprécier, au regard de l’article 3, paragraphes 1 et 3, de la directive 93/13, le caractère abusif d’une clause figurant dans les conditions générales de contrats conclus avec des consommateurs. Relativement à une clause d’échéance anticipée d’un prêt immobilier, le juge doit notamment vérifier dans quelle mesure ladite clause diverge des règles de droit applicables, s’il existe une raison objective à la disposition figurant dans la clause et si, malgré le déplacement de l’équilibre contractuel en faveur de l’utilisateur de la clause, le consommateur n’est pas privé de protection s’agissant de l’objet régi par ladite clause.

c) La clause relative aux intérêts de retard

81.

La seconde question préjudicielle porte en outre sur une clause relative aux intérêts de retard. Dans le cas d’espèce, la sixième clause du contrat litigieux dans la procédure au principal prévoit que, en cas de retard de paiement, même sans mise en demeure, l’emprunteur doit payer des intérêts de retard de 18,75 %. Le taux d’intérêt ordinaire du prêt est toutefois initialement un taux nominal de 4,87 %.

82.

Concernant l’approche globale de l’appréciation juridique de la question visant à savoir si une telle disposition en matière d’intérêts de retard constitue une clause contractuelle invalide conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13, nous pouvons renvoyer ici en premier lieu aux considérations générales précédentes ( 21 ).

83.

Le juge national doit tout d’abord procéder à une comparaison avec le taux d’intérêt légal, puis vérifier, dans un deuxième temps, en tenant compte de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, si un taux divergent crée, en dépit de l’exigence de bonne foi, un déséquilibre significatif, au détriment du consommateur, entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ( 22 ).

84.

Dans l’annexe de la directive 93/13, à laquelle l’article 3, paragraphe 3, renvoie, sont expressément citées en tant qu’exemple de clauses abusives, au point 1, sous e), les clauses ayant pour objet ou pour effet d’imposer au consommateur qui n’exécute pas ses obligations contractuelles une indemnité d’un montant disproportionnellement élevé. La liste figurant dans l’annexe de la directive 93/13 n’est toutefois, conformément à son article 3, paragraphe 3, qu’indicative des clauses qui peuvent être déclarées abusives et n’est pas exhaustive. Par conséquent, le caractère abusif d’une clause ne peut pas être déduit du simple fait que ladite clause figure dans la liste; une telle mention constitue, cependant, un élément essentiel sur lequel le juge peut fonder son appréciation du caractère abusif de la clause ( 23 ).

85.

Lors de l’appréciation concrète, il peut être important de savoir quels sont les taux d’intérêt généralement convenus dans les prêts hypothécaires. Si, dans le droit espagnol applicable à d’autres prêts conclus avec des consommateurs, le taux d’intérêt de retard est limité à 2,5 fois l’intérêt légal, comme l’indique la Commission, cela peut être un indice d’un éventuel déséquilibre, tout comme le fait que, dans le cadre de prêts hypothécaires, les coûts de refinancement des banques et des caisses d’épargne sont généralement, en raison de la garantie donnée, bien moins importants que dans le cadre d’autres prêts conclus avec des consommateurs.

86.

Lors de la mise en balance devant être effectuée, il convient en outre de considérer quels objectifs un taux d’intérêt de retard peut légalement viser selon le droit national, s’il ne constitue par exemple qu’une indemnité moratoire forfaitaire ou s’il vise également à ce que le cocontractant respecte le contrat. Les objectifs légalement poursuivis par un intérêt de retard peuvent être distincts selon les États membres. À cet égard, le sens et la finalité de la directive 93/13 n’est pas de gommer les différences entre les cultures juridiques nationales.

87.

Si l’intérêt de retard vise uniquement à rétribuer forfaitairement le dommage moratoire, un taux d’intérêt de retard est déjà excessif lorsqu’il est bien plus élevé que le dommage moratoire concret à supposer. Il est toutefois clair qu’un taux d’intérêt de retard élevé incite le débiteur à ne pas prendre de retard dans l’accomplissement de ses obligations contractuelles et à mettre rapidement fin à un retard en cours. Si l’intérêt de retard vise, selon le droit national, à ce que le contrat soit respecté et donc au maintien de la discipline de paiement, il ne devra être qualifié d’abusif que s’il est considérablement plus élevé que ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

88.

Il convient donc de conclure, à ce stade, que, relativement à une clause en matière d’intérêts de retard, le juge doit notamment vérifier dans quelle mesure l’intérêt de retard diverge d’autres intérêts légaux applicables et s’il est disproportionné par rapport à l’objectif visé par l’intérêt de retard.

d) La clause concernant la fixation unilatérale du montant dû

89.

La seconde question préjudicielle vise enfin à obtenir des éclaircissements sur la notion de disproportion s’agissant de la quinzième clause des conditions contractuelles litigieuses dans la procédure au principal. Ladite clause prévoit que, aux fins de la procédure d’exécution forcée, le prêteur peut fixer unilatéralement le montant du prêt restant dû et créer ainsi de manière autonome une condition essentielle de mise en œuvre de la procédure de saisie hypothécaire simplifiée. Pour expliquer le cadre juridique dans lequel cette clause s’inscrit, la juridiction de renvoi indique qu’il n’est pas possible pour le débiteur de s’opposer au calcul de ce montant dans le cadre de la procédure d’exécution, le débiteur étant renvoyé à cet égard à une procédure au fond distincte. Cette dernière n’empêcherait toutefois pas la poursuite de la procédure d’exécution; le débiteur aurait donc déjà perdu le bien grevé par l’hypothèque lorsque la décision serait rendue dans la procédure au fond.

90.

À cet égard aussi, il incombe au juge national de prendre en considération l’ensemble des circonstances concrètes du cas d’espèce dans sa décision. Les critères suivants s’appliquent toutefois.

91.

Le point de départ doit à nouveau être la question de savoir quelle serait la situation juridique – en l’espèce la procédure d’exécution – si le contrat ne contenait pas la clause litigieuse.

92.

Nous comprenons ici les considérations de la juridiction de renvoi ainsi que des parties en ce sens que, sans une telle clause, la caisse d’épargne finançant le prêt devrait tout d’abord introduire contre le débiteur une procédure de fixation du montant de la créance encore due, afin de pouvoir prouver, dans la procédure d’exécution, le montant exact requis. La fixation unilatérale du montant par le prêteur rend inutile cette procédure au fond en amont. Cela a pour conséquence que le débiteur ne peut contester le montant de la créance à recouvrer avant l’exécution. La juridiction de renvoi précise toutefois, en conformité avec les observations des parties à la procédure, que le montant calculé de manière unilatérale n’a aucun effet contraignant entre les parties, qu’il peut par conséquent être contesté par le débiteur dans une procédure au fond a posteriori et que le débiteur n’est donc pas non plus désavantagé en ce qui concerne la charge de la preuve.

93.

La limitation, du fait de la clause, de la protection juridique en amont de l’exécution constitue un déplacement, au détriment du consommateur, des droits et des obligations découlant du contrat. Cela n’entraîne toutefois pas nécessairement un déséquilibre significatif, en dépit de l’exigence de bonne foi, entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, au détriment du consommateur. Ce point devra en définitive être déterminé par une mise en balance globale des avantages et des inconvénients liés à la clause pour les deux parties au contrat.

94.

Pour la caisse d’épargne finançant le prêt, la clause concernée permet la réalisation plus rapide et plus facile de l’hypothèque accordée en tant que garantie, ce qui augmente la valeur de la garantie donnée par le débiteur – également dans l’intérêt économique de ce dernier. À l’inverse, le débiteur/consommateur est exposé au risque de perdre la garantie avant que le montant à hauteur duquel la caisse d’épargne finançant le prêt peut se rembourser sur la garantie ait été fixé.

95.

Le juge national doit prendre sa décision de mise en balance globale en tenant compte des autres circonstances concrètes du cas d’espèce. Compte à ce nombre la question visant à savoir si le débiteur peut invoquer des motifs d’opposition dès la procédure d’exécution. Le libellé de l’article 695, paragraphe 1, de la LEC plaide en ce sens. Il convient en outre de savoir comment la procédure de fixation unilatérale du montant est conçue et quel est le pouvoir de contrôle du notaire intervenant à cet égard, ainsi que la manière dont il y a lieu d’apprécier le fait que, comme le gouvernement espagnol l’a indiqué, seules les banques et les caisses d’épargne soumises au contrôle bancaire étatique peuvent utiliser la clause litigieuse.

96.

Il y a lieu à ce stade de constater que, relativement à une clause de fixation unilatérale du montant dû, il convient notamment de prendre en considération les effets d’une telle clause dans le droit procédural national.

V – Conclusion

97.

Nous proposons donc à la Cour de statuer comme suit:

1)

Un système d’exécution de titres notariés sur des biens hypothéqués ou gagés dans lequel les possibilités d’opposition à l’exécution sont limitées n’est pas conforme à la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lorsque le consommateur ne peut, ni dans la procédure d’exécution elle-même ni dans une procédure judiciaire distincte, obtenir une protection juridique effective visant à faire respecter les droits conférés par la directive 93/13, par exemple à travers la possibilité donnée au juge de suspendre provisoirement l’exécution forcée.

2)

Il appartient au juge national d’apprécier, au regard de l’article 3, paragraphes 1 et 3, de la directive 93/13, le caractère abusif d’une clause figurant dans les conditions générales de contrats conclus avec des consommateurs.

a)

Relativement à une clause d’échéance anticipée d’un prêt immobilier, le juge doit notamment vérifier dans quelle mesure ladite clause diverge des règles de droit applicables, s’il existe une raison objective à la disposition figurant dans la clause et si, malgré le déplacement de l’équilibre contractuel en faveur de l’utilisateur de la clause, le consommateur n’est pas privé de protection s’agissant de l’objet régi par ladite clause.

b)

Relativement à une clause en matière d’intérêts de retard, le juge doit notamment vérifier dans quelle mesure l’intérêt de retard diverge d’autres intérêts légaux applicables et s’il est disproportionné par rapport à l’objectif visé par l’intérêt de retard.

c)

Relativement à une clause de fixation unilatérale du montant dû, il convient notamment de prendre en considération les effets d’une telle clause dans le droit procédural national.


( 1 )   Langue originale: l’allemand.

( 2 )   JO L 95, p. 29, entre-temps modifiée par la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011 (JO L 304, p. 64), qui n’a toutefois introduit aucune modification de la directive pertinente en l’espèce.

( 3 )   Ley de enjuiciamiento civil, ci-après la «LEC».

( 4 )   Ci-après la «caisse d’épargne».

( 5 )   Arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores (C-240/98 à C-244/98, Rec. p. I-4941, point 25); du 26 octobre 2006, Mostaza Claro (C-168/05, Rec. p. I-10421, point 25); du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones (C-40/08, Rec. p. I-9579, point 29), et du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, point 39).

( 6 )   Arrêts précités Mostaza Claro (point 36) et Asturcom Telecomunicaciones (point 30), ainsi que du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing (C-137/08, Rec. p. I-10847, point 47), et du 15 mars 2012, Pereničová et Perenič (C‑453/10, point 28).

( 7 )   Arrêt Banco Español de Crédito (précité, point 41 et jurisprudence citée).

( 8 )   Idem, point 42.

( 9 )   Idem, point 46.

( 10 )   Idem, point 46 et jurisprudence citée.

( 11 )   Arrêt du 18 mars 2010, Alassini e.a. (C-317/08 à C-320/08, Rec. p. I-2213, point 48).

( 12 )   Arrêts précités Asturcom Telecomunicaciones (point 39), et Banco Español de Crédito (point 49).

( 13 )   Arrêt précité, point 53.

( 14 )   Idem, points 54 et 55.

( 15 )   En tout état de cause dans les cas dans lesquels le juge de l’exécution dispose de tous les éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, voir arrêt Banco Español de Crédito (précité, point 53).

( 16 )   Arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM (C-243/08, Rec. p. I-4713, point 37).

( 17 )   Arrêts VB Pénzügyi Lízing (précité, point 44) et du 26 avril 2012, Invitel (C‑472/10, point 22).

( 18 )   Arrêt Invitel, précité, point 30.

( 19 )   Arrêts précités Pannon GSM (point 42), Mostaza Claro (point 22) et VB Pénzügyi Lízing (points 43 et 44).

( 20 )   Arrêts du 3 juin 2010, Caja de Ahorros y Monte de Piedad de Madrid (C-484/08, Rec. p. I-4785, point 33), et VB Pénzügyi Lízing (précité, point 40).

( 21 )   Voir points 64 à 67 des présentes conclusions.

( 22 )   Dans l’affaire Banco Español de Crédito, le juge espagnol avait baissé d’office le taux d’intérêt convenu de 29 à 19 % en considération du taux d’intérêt légal et du taux des intérêts moratoires figurant dans les lois budgétaires de 1990 à 2008.

( 23 )   Arrêt Invitel (précité, point 26).

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