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Document 62006CJ0427

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 23 septembre 2008.
Birgit Bartsch contre Bosch und Siemens Hausgeräte (BSH) Altersfürsorge GmbH.
Demande de décision préjudicielle: Bundesarbeitsgericht - Allemagne.
Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail - Article 13 CE - Directive 2000/78/CE - Régime de pension professionnel excluant le droit à la pension de retraite en faveur du conjoint survivant plus jeune de plus de quinze ans que l’ancien employé décédé - Discrimination fondée sur l’âge - Rattachement au droit communautaire.
Affaire C-427/06.

European Court Reports 2008 I-07245

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2008:517

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

23 septembre 2008 ( *1 )

«Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail — Article 13 CE — Directive 2000/78/CE — Régime de pension professionnel excluant le droit à la pension de retraite en faveur du conjoint survivant plus jeune de plus de quinze ans que l’ancien employé décédé — Discrimination fondée sur l’âge — Rattachement au droit communautaire»

Dans l’affaire C-427/06,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesarbeitsgericht (Allemagne), par décision du 27 juin 2006, parvenue à la Cour le 18 octobre 2006, dans la procédure

Birgit Bartsch

contre

Bosch und Siemens Hausgeräte (BSH) Altersfürsorge GmbH,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts et L. Bay Larsen, présidents de chambre, M. J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Schiemann, J. Makarczyk, Mme P. Lindh, MM. J.-C. Bonichot et T. von Danwitz, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 octobre 2007,

considérant les observations présentées:

pour Bosch und Siemens Hausgeräte (BSH) Altersfürsorge GmbH, par Me J. Masling, Rechtsanwalt,

pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma et Mme C. Schulze-Bahr, en qualité d’agents,

pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. Wissels, en qualité d’agent,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme E. O’Neill, en qualité d’agent, assistée de M. A. Dashwood, barrister,

pour la Commission des Communautés européennes, par MM. V. Kreuschitz et J. Enegren, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 mai 2008,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13 CE, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16), et des principes généraux du droit communautaire.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Bartsch à la Bosch und Siemens Hausgeräte (BSH) Altersfürsorge GmbH (ci-après «BSH Altersfürsorge»), qui est un fonds de prévoyance d’entreprise, au sujet du refus de celle-ci de verser à Mme Bartsch une pension de survivant.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3

Aux termes de l’article 1er de la directive 2000/78:

«La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.»

4

L’article 6 de la même directive énonce:

«1.   Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre:

a)

la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection;

b)

la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi;

c)

la fixation d’un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d’une période d’emploi raisonnable avant la retraite.

2.   Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que ne constitue pas une discrimination fondée sur l’âge la fixation, pour les régimes professionnels de sécurité sociale, d’âges d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations de retraite ou d’invalidité, y compris la fixation, pour ces régimes, d’âges différents pour des travailleurs ou des groupes ou catégories de travailleurs et l’utilisation, dans le cadre de ces régimes, de critères d’âge dans les calculs actuariels, à condition que cela ne se traduise pas par des discriminations fondées sur le sexe.»

5

Conformément à l’article 18, premier alinéa, de ladite directive, la transposition de celle-ci dans l’ordre juridique des États membres devait intervenir au plus tard le 2 décembre 2003. Toutefois, selon le deuxième alinéa du même article:

«Pour tenir compte de conditions particulières, les États membres peuvent disposer, si nécessaire, d’un délai supplémentaire de 3 ans à compter du 2 décembre 2003, soit un total de 6 ans, pour mettre en œuvre les dispositions de la présente directive relatives à la discrimination fondée sur l’âge et [le] handicap. Dans ce cas, ils en informent immédiatement la Commission. […]»

6

La République fédérale d’Allemagne a fait usage de cette faculté, en sorte que la transposition des dispositions de la directive 2000/78 relatives à la discrimination fondée sur l’âge et le handicap devait intervenir dans cet État membre au plus tard le 2 décembre 2006.

Les lignes directrices de BSH Altersfürsorge

7

L’article 6, paragraphe 4, des lignes directrices de BSH Altersfürsorge, du 1er janvier 1984, dans leur version applicable à compter du 1er avril 1992 (ci-après les «lignes directrices»), prévoit:

«Condition de versement de la pension

[…]

4.   La pension [visée à l’article 5, paragraphe 1, sous b),] est payée à la veuve ou au veuf d’un travailleur décédé au cours de sa relation de travail […] qui avait accompli la période de carence (visée à l’article 2) lorsque et aussi longtemps que l’assurance vieillesse légale allemande lui confère un droit à une pension de survivant (pension de veuf ou de veuve). La règle correspondante s’applique à la veuve ou au veuf du titulaire d’une pension.

Les prestations ne peuvent pas être servies

a)

lorsque la veuve ou le veuf est plus jeune de plus de quinze ans que l’ancien travailleur et

[…]»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8

Il ressort de la décision de renvoi que Mme Bartsch, née en 1965, a épousé en 1986 M. Bartsch, né en 1944 et décédé le 5 mai 2004. Le 23 février 1988, M. Bartsch avait conclu un contrat de travail avec la société Bosch-Siemens Hausgeräte GmbH (ci-après «BSH»), au service de laquelle il est entré le 1er mars 1988 et pour laquelle il a travaillé comme vendeur jusqu’à son décès.

9

BSH Altersfürsorge, qui avait été constituée par BSH, s’est engagée à assumer à l’égard de Mme Bartsch les éventuelles obligations que cette société avait contractées en matière de pension d’entreprise au profit de feu M. Bartsch.

10

Il ressort, en outre, de la décision de renvoi que la relation de travail entre M. Bartsch et BSH était régie par les lignes directrices et, notamment, l’article 6 de celles-ci. La situation au principal relève des prévisions de l’article 6, paragraphe 4, second alinéa, sous a), des lignes directrices, dans la mesure où Mme Bartsch est plus jeune de plus de quinze ans que son défunt mari.

11

Après le décès de son mari, Mme Bartsch a demandé à la BSH Altersfürsorge le versement d’une pension de survivant sur le fondement des lignes directrices.

12

BSH Altersfürsorge ayant rejeté la demande de Mme Bartsch, celle-ci a saisi l’Arbeitsgericht en vue de faire constater que ledit fonds de prévoyance était obligé de lui verser une pension en application des lignes directrices. L’Arbeitsgericht n’ayant pas fait droit à sa demande, l’intéressée a saisi le Landesarbeitsgericht qui a confirmé le jugement de première instance.

13

Mme Bartsch a formé un recours en «Revision» contre l’arrêt du Landesarbeitsgericht devant le Bundesarbeitsgericht qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

a)

Le droit primaire de la Communauté européenne contient-il une interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge dont les juridictions des États membres doivent garantir l’application même lorsque le comportement éventuellement discriminatoire ne présente aucun lien avec le droit communautaire?

b)

En cas de réponse négative à la première question, sous a):

Un tel lien avec le droit communautaire est-il créé par l’article 13 CE ou, dès avant l’expiration du délai de transposition, par la directive 2000/78 […]?

2)

L’interdiction de droit communautaire de toute discrimination fondée sur l’âge qui pourrait résulter de la réponse à la première question est-elle également d’application dans les rapports entre, d’une part, les employeurs privés et, d’autre part, leurs travailleurs, actifs ou pensionnés, ou les survivants de ceux-ci?

3)

En cas de réponse affirmative à la deuxième question:

a)

Une telle interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge s’applique-t-elle également à un régime de pension d’entreprise conformément auquel la pension de survie n’est pas accordée au conjoint survivant lorsqu’il est plus jeune de plus de quinze ans que le travailleur défunt?

b)

En cas de réponse affirmative à la troisième question, sous a):

Le fait qu’un employeur ait un intérêt à limiter les risques inhérents à la pension d’entreprise peut-il être un motif de justification d’un tel régime?

c)

En cas de réponse négative à la troisième question, sous b):

L’interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge éventuellement applicable aux règles qui régissent les pensions d’entreprise emporte-t-elle des effets rétroactifs illimités ou bien son application est-elle limitée pour le passé et, en pareil cas, de quelle manière?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

14

Par les deux branches de sa première question, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande si le droit communautaire contient une interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge dont les juridictions des États membres doivent garantir l’application même lorsque le comportement éventuellement discriminatoire ne présente aucun lien avec le droit communautaire. En cas de réponse négative, ladite juridiction souhaiterait savoir si, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, un tel lien avec le droit communautaire est créé par l’article 13 CE ou par la directive 2000/78 dès avant l’expiration du délai imparti à l’État membre en cause pour la transposition de celle-ci.

15

Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’une réglementation interne entre dans le champ d’application du droit communautaire, la Cour, saisie à titre préjudiciel, doit fournir tous les éléments d’interprétation nécessaires à l’appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les principes généraux du droit communautaire (voir en ce sens, notamment, arrêt du 22 novembre 2005, Mangold, C-144/04, Rec. p. I-9981, point 75).

16

Ni la directive 2000/78 ni l’article 13 CE ne permettent toutefois de rattacher au champ d’application du droit communautaire une situation telle que celle en cause au principal.

17

D’une part, les lignes directrices ne constituent pas une mesure de mise en œuvre de la directive 2000/78 et, d’autre part, le décès de M. Bartsch est antérieur à l’expiration du délai de transposition de cette directive à l’égard de l’État membre en cause.

18

L’article 13 CE, qui permet au Conseil de l’Union européenne de prendre, dans les limites des compétences conférées par le traité CE, les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur l’âge, ne saurait, en tant que tel, placer dans le champ d’application du droit communautaire, aux fins de l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge, des situations qui, comme dans l’affaire au principal, n’entrent pas dans le cadre des mesures adoptées sur le fondement dudit article et, en particulier, la directive 2000/78 avant l’expiration du délai que celle-ci prévoit pour sa transposition.

19

Contrairement à la thèse défendue par la Commission, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 2 octobre 1997, Saldanha et MTS (C-122/96, Rec. p. I-5325), ne saurait venir au soutien d’une conclusion opposée à celle énoncée au point précédent.

20

Ledit arrêt portait sur l’application de l’article 6 du traité CE (devenu, après modification, article 12 CE), qui confère directement le droit à la non-discrimination fondée sur la nationalité (voir, notamment, arrêt du 20 octobre 1993, Collins e.a., C-92/92 et C-326/92, Rec. p. I-5145, point 34) dans le domaine d’application du traité.

21

À cet égard, la Cour a constaté, au point 22 de l’arrêt Saldanha et MTS, précité, que le litige au principal visait la protection des intérêts invoquée par un associé, ressortissant d’un État membre, à l’encontre d’une société établie dans un autre État membre. Au point 23 du même arrêt, la Cour a relevé que l’article 54, paragraphe 3, sous g), du traité CE [devenu, après modification, article 44, paragraphe 2, sous g), CE] attribuait compétence au Conseil et à la Commission, afin de mettre en œuvre la liberté d’établissement, pour coordonner, dans la mesure nécessaire et en vue de les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58, second alinéa, du traité CE (devenu article 48, second alinéa, CE) dans le but de protéger les intérêts tant des associés que des tiers.

22

La Cour en a déduit, audit point 23, que des règles qui, dans le domaine du droit des sociétés, visent la protection des intérêts des associés font partie du «domaine d’application du traité» au sens de l’article 6, premier alinéa, de celui-ci et que, partant, elles sont soumises à l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité.

23

L’applicabilité du droit communautaire dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Saldanha et MTS, précité, ne découlait donc pas de la seule circonstance qu’il s’agissait d’une discrimination fondée sur la nationalité, mais elle dépendait de la constatation selon laquelle la réglementation nationale en cause se situait dans le champ d’application du traité.

24

Ce dernier aspect distingue, en outre, la présente affaire au principal de celle ayant donné lieu à l’arrêt Mangold, précité. En effet, dans cette dernière affaire, la réglementation nationale en cause constituait une mesure de mise en œuvre d’une directive communautaire, à savoir la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO L 175, p. 43), par la voie de laquelle ladite réglementation était ainsi entrée dans le champ d’application du droit communautaire (voir arrêt Mangold, précité, point 75). En revanche, les lignes directrices en cause au principal ne correspondent pas à des mesures de transposition de dispositions communautaires.

25

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que le droit communautaire ne contient pas une interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge dont les juridictions des États membres doivent garantir l’application lorsque le comportement éventuellement discriminatoire ne présente aucun lien avec le droit communautaire. Un tel lien n’est pas créé par l’article 13 CE ni, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, par la directive 2000/78 dès avant l’expiration du délai imparti à l’État membre en cause pour la transposition de celle-ci.

Sur les deuxième et troisième questions

26

Eu égard à la réponse à la première question, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions.

Sur les dépens

27

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

 

Le droit communautaire ne contient pas une interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge dont les juridictions des États membres doivent garantir l’application lorsque le comportement éventuellement discriminatoire ne présente aucun lien avec le droit communautaire. Un tel lien n’est pas créé par l’article 13 CE ni, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, par la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, dès avant l’expiration du délai imparti à l’État membre en cause pour la transposition de celle-ci.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.

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