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Document 62003TJ0217

Arrêt du Tribunal de première instance (première chambre) du 13 décembre 2006.
Fédération nationale de la coopération bétail et viande (FNCBV) (T-217/03) et Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et autres (T-245/03) contre Commission des Communautés européennes.
Concurrence - Article 81, paragraphe 1, CE - Viande bovine - Suspension des importations - Fixation d'une grille de prix syndicale - Règlement nº 26 - Associations d'entreprises - Restriction de concurrence - Action syndicale - Affectation du commerce entre États membres - Obligation de motivation - Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes - Principe de proportionnalité - Gravité et durée de l'infraction - Circonstances aggravantes et atténuantes - Non-cumul des sanctions - Droits de la défense.
Affaires jointes T-217/03 et T-245/03.

European Court Reports 2006 II-04987

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2006:391

Affaires jointes T-217/03 et T-245/03

Fédération nationale de la coopération bétail et viande (FNCBV) e.a.

contre

Commission des Communautés européennes

« Concurrence — Article 81, paragraphe 1, CE — Viande bovine — Suspension des importations — Fixation d'une grille de prix syndicale — Règlement nº 26 — Associations d'entreprises — Restriction de concurrence — Action syndicale — Affectation du commerce entre États membres — Obligation de motivation — Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes — Principe de proportionnalité — Gravité et durée de l'infraction — Circonstances aggravantes et atténuantes — Non-cumul des sanctions — Droits de la défense »

Arrêt du Tribunal (première chambre) du 13 décembre 2006 

Sommaire de l'arrêt

1.     Concurrence — Règles communautaires — Associations d'entreprises — Notion

(Art. 81, § 1, CE)

2.     Concurrence — Règles communautaires — Associations d'entreprises — Notion

(Art. 81, § 1, CE)

3.     Concurrence — Ententes — Affectation du commerce entre États membres

(Art. 81, § 1, CE)

4.     Concurrence — Ententes — Atteinte à la concurrence — Fixation des prix

(Art. 81, § 1, CE)

5.     Concurrence — Ententes — Interdiction — Cadre juridique national de conclusion de l'entente

(Art. 81 CE)

6.     Concurrence — Règles communautaires — Champ d'application matériel

(Art. 81 CE)

7.     Agriculture — Règles de concurrence — Règlement nº 26

(Art. 33 CE, 36 CE et 81, § 1, CE; règlement du Conseil nº 26, art. 2, § 1)

8.     Concurrence — Procédure administrative — Communication des griefs — Contenu nécessaire

(Règlement du Conseil nº 17; règlement de la Commission nº 99/63, art. 4)

9.     Concurrence — Amendes — Montant — Détermination

(Art. 253 CE; règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)

10.   Exception d'illégalité — Portée — Actes dont l'illégalité peut être excipée

(Art. 241 CE; communication de la Commission 98/C 9/03)

11.   Concurrence — Amendes — Montant — Détermination

(Art. 81, § 1, CE; règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)

12.   Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Montant maximal

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)

13.   Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Durée de l'infraction

(Art. 81, § 1, CE; communication de la Commission 98/C 9/03)

14.   Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances aggravantes

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)

15.   Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Montant maximal

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)

16.   Concurrence — Amendes — Décision de la Commission constatant une infraction adoptée postérieurement à une décision non susceptible de recours sanctionnant ou déclarant non responsable la même entreprise

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15)

17.   Concurrence — Amendes — Montant — Pouvoir d'appréciation de la Commission — Contrôle juridictionnel — Compétence de pleine juridiction

1.     L'article 81, paragraphe 1, CE s'applique aux associations dans la mesure où leur activité propre ou celle des entreprises qui y adhèrent tend à produire les effets que cette disposition vise à réprimer. Compte tenu de la finalité de cette disposition, la notion d'association d'entreprises doit être interprétée comme pouvant également appréhender des associations elles-mêmes constituées d'associations d'entreprises.

Pour qu'un accord entre associations tombe dans le champ d'application de cette disposition, il n'est pas requis que les associations en cause puissent contraindre leurs affiliés à exécuter les obligations que l'accord leur impose.

(cf. points 49, 89)

2.     La notion d'entreprise comprend, dans le contexte du droit de la concurrence, toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement. Constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné.

L'activité des exploitants agricoles, agriculteurs ou éleveurs, présente certainement un caractère économique. En effet, ceux-ci exercent une activité de production de biens qu'ils offrent à la vente contre rémunération. Les exploitants agricoles constituent, par conséquent, des entreprises au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE.

Dès lors, les syndicats qui les rassemblent et les représentent, ainsi que les fédérations qui regroupent ces syndicats, peuvent être qualifiés d'associations d'entreprises aux fins de l'application de cette disposition.

Cette conclusion ne saurait être infirmée par le fait que les syndicats locaux peuvent regrouper aussi des conjoints d'exploitants agricoles. Premièrement, il est probable que les conjoints des agriculteurs ou éleveurs qui sont eux-mêmes membres d'un syndicat local agricole participent également aux tâches de l'exploitation familiale. Deuxièmement, en tout état de cause, la seule circonstance qu'une association d'entreprises puisse regrouper également des personnes ou des entités qui ne peuvent pas être qualifiées d'entreprises ne suffit pas à enlever un tel caractère à l'association au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE. De même, ne saurait être admis l'argument tiré de ce que, dans le cas d'une exploitation sous forme de société, ce n'est pas celle-ci, par le biais de son représentant, qui adhère au syndicat, mais chacun des associés. En effet, ce qui importe aux fins de la qualification d'entreprise n'est pas le statut juridique ou la forme de l'exploitation en cause mais l'activité de cette dernière et de ceux qui y participent.

(cf. points 52-55)

3.     L'article 81, paragraphe 1, CE ne s'applique qu'aux accords susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. Un accord entre entreprises, pour être susceptible d'affecter le commerce intracommunautaire, doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre États.

Lorsque l'infraction à laquelle a participé une entreprise ou une association d'entreprises est susceptible d'affecter le commerce entre États membres, la Commission n'est pas tenue de démontrer que la participation individuelle de cette entreprise ou de cette association d'entreprises a affecté les échanges intracommunautaires.

Par ailleurs, des pratiques restrictives de la concurrence s'étendant à l'ensemble du territoire d'un État membre ont, par leur nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité. Enfin, lorsqu'il s'agit d'un marché perméable aux importations, les membres d'une entente de prix nationale ne peuvent conserver leur part de marché que s'ils se protègent contre la concurrence étrangère.

(cf. points 63, 66-67)

4.     L'article 81, paragraphe 1, sous a), CE prévoit expressément que constituent des restrictions de concurrence les mesures qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente. La fixation des prix constitue en effet une restriction patente de la concurrence.

Un accord conclu entre des fédérations représentant des exploitants agricoles et des fédérations représentant des exploitants d'abattoirs et fixant des prix minimaux pour certaines catégories de vaches, avec pour objectif de les rendre obligatoires pour l'ensemble des opérateurs économiques intervenant sur les marchés en cause, a pour objet de restreindre le libre jeu de la concurrence sur ces marchés, notamment en limitant de façon artificielle la marge de négociation commerciale des éleveurs et des exploitants d'abattoirs et en faussant la formation des prix dans les marchés en cause.

Cette conclusion ne saurait être infirmée par l'argument selon lequel les marchés agricoles sont des marchés régulés où les règles de concurrence ne s'appliquent pas de plein droit et où, bien souvent, la formation des prix ne répond pas au libre jeu de l'offre et de la demande. Certes, le secteur agricole présente une certaine spécificité et fait l'objet d'une régulation très détaillée et fréquemment assez interventionniste. Cependant, les règles de concurrence communautaires s'appliquent aux marchés des produits agricoles, même si certaines exceptions sont prévues afin de prendre en compte la situation particulière de ces marchés.

En outre, le simple fait de fixer les prix minimaux par référence au prix d'intervention publique ne saurait suffire à supprimer le caractère restrictif de l'accord en cause. En effet, cette référence au prix d'intervention publique ne permet pas à la grille de prix minimaux de perdre son objet anticoncurrentiel, consistant à fixer de façon directe et artificielle un prix de marché déterminé, et d'être assimilée aux différents mécanismes de soutien et d'intervention publique des organisations communes des marchés agricoles ayant pour objet d'assainir des marchés caractérisés par une offre excédentaire, moyennant le retrait d'une partie de la production.

(cf. points 83, 85-87)

5.     Le cadre juridique dans lequel intervient la conclusion d'accords entre entreprises interdits par l'article 81 CE ainsi que la qualification juridique donnée à ce cadre par les différents ordres juridiques nationaux sont sans incidence sur l'applicabilité des règles communautaires de la concurrence. En outre, la prétendue insuffisance des mesures publiques pour faire face aux problèmes d'un secteur déterminé ne saurait justifier que les opérateurs privés affectés s'engagent dans des pratiques contraires aux règles de la concurrence ou qu'ils prétendent s'arroger des prérogatives qui correspondent à celles des pouvoirs publics, nationaux ou communautaires, afin de substituer leur action à celle des pouvoirs publics.

De même, la circonstance que le comportement des entreprises a été connu, autorisé ou même encouragé par des autorités nationales est, en tout état de cause, sans influence sur l'applicabilité de l'article 81 CE. Enfin, la crise dans laquelle se trouve un secteur ne saurait, à elle seule, exclure l'application de l'article 81, paragraphe 1, CE.

(cf. points 90-92)

6.     Des accords conclus dans le cadre de négociations collectives entre partenaires sociaux en vue de rechercher en commun des mesures destinées à améliorer les conditions d'emploi et de travail ne relèvent pas, en raison de leur nature et de leur objet, de l'article 81, paragraphe 1, CE. Cependant, un accord conclu entre des fédérations de syndicats d'exploitants agricoles et des fédérations d'exploitants d'abattoirs et ayant pour objet de fixer des prix minimaux d'achat des bovins par les abattoirs et de suspendre les importations de viande bovine ne peut prétendre échapper à l'application des interdictions édictées par l'article 81 CE.

(cf. points 98-100)

7.     Le maintien d'une concurrence effective sur les marchés des produits agricoles fait partie des objectifs de la politique agricole commune. En effet, s'il est vrai que l'article 36 CE a confié au Conseil le soin de déterminer la mesure dans laquelle les règles de concurrence communautaires sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles, afin de tenir compte de la situation particulière des marchés de ces produits, il n'en demeure pas moins que cette disposition établit le principe de l'applicabilité des règles de concurrence communautaires dans le secteur agricole.

En tant que dérogation, l'article 2, paragraphe 1, du règlement nº 26, qui prévoit que l'article 81, paragraphe 1, CE est inapplicable aux accords, décisions et pratiques qui sont nécessaires à la réalisation des objectifs de la politique agricole commune, est à interpréter de manière restrictive. Par ailleurs, cette disposition ne s'applique que si l'accord en cause favorise la réalisation de tous les objectifs de l'article 33 CE, étant entendu que, compte tenu de ce que ces objectifs sont parfois divergents, la Commission peut essayer de les concilier. Enfin, aux fins de l'application de cette dérogation, des mesures ne peuvent être considérées comme nécessaires à la réalisation des objectifs de la politique agricole commune que si elles sont proportionnées.

(cf. points 197-199, 208)

8.     Le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d'aboutir à des sanctions, notamment à des amendes, constitue un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être observé même s'il s'agit d'une procédure de caractère administratif. En application de ce principe, la communication des griefs constitue une garantie procédurale essentielle. Cette communication des griefs doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure.

Dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu'elle va examiner s'il convient d'infliger des amendes aux entreprises concernées et qu'elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d'entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l'infraction supposée et le fait d'avoir commis celle-ci de propos délibéré ou par négligence, elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises à être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l'infraction, mais également contre le fait de se voir infliger une amende.

Le fait de donner des indications dans la communication des griefs concernant le niveau des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n'ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission. A fortiori, évoquer, dans la communication des griefs, la question du respect du plafond de 10 % par l'amende qui, éventuellement, sera imposée par la décision finale reviendrait aussi à anticiper de façon inappropriée cette décision.

(cf. points 217-218, 222)

9.     Lorsque la Commission impose une amende à une entreprise individuelle auteur d'une infraction, elle n'est pas nécessairement tenue, en l'absence de circonstances spécifiques, de motiver expressément le respect du plafond de 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise en cause. Cette dernière doit connaître tant l'existence de ladite limite légale que le montant concret de son chiffre d'affaires et peut, dès lors, apprécier, même en l'absence de toute justification dans la décision de sanction, si le plafond de 10 % a été ou non dépassé par l'amende qui lui a été infligée.

En revanche, lorsque la Commission sanctionne une association d'entreprises et vérifie le respect du plafond légal du 10 % du chiffre d'affaires sur la base de la somme du chiffre d'affaires réalisé par la totalité ou par une partie des membres de cette association, elle doit l'indiquer expressément dans sa décision et doit exposer les raisons justifiant la prise en compte des chiffres d'affaires des membres. En l'absence d'une telle motivation, les intéressés ne seraient pas en mesure de connaître la justification d'une telle décision ni ne pourraient correctement procéder à la vérification du respect en l'espèce du plafond légal.

(cf. points 238-239)

10.   Les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, bien qu'elles ne constituent pas le fondement juridique de la décision infligeant une amende à un opérateur économique, cette décision étant basée sur le règlement nº 17, déterminent, de manière générale et abstraite, la méthodologie que la Commission s'est imposée aux fins de la fixation du montant des amendes. Par conséquent, il existe un lien direct entre cette décision et les lignes directrices, de sorte qu'elles peuvent faire l'objet d'une exception d'illégalité.

(cf. point 250)

11.   Les ententes portant sur les prix ou sur le cloisonnement des marchés constituent par nature des infractions très graves. Par conséquent, la Commission, en exposant, au point 1 A des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, que ces types d'infractions sont à considérer comme des infractions très graves, pour lesquelles est prévu un montant de départ de 20 millions d'euros, n'a pas violé le principe de proportionnalité.

En tout état de cause, les montants forfaitaires prévus par les lignes directrices n'étant donc qu'indicatifs, il ne saurait en ressortir une violation, per se, du principe de proportionnalité.

(cf. points 252-253)

12.   L'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, en disposant que la Commission peut infliger des amendes d'un montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, exige seulement que l'amende qui sera finalement imposée à une entreprise soit réduite au cas où elle dépasse 10 % de son chiffre d'affaires, indépendamment des opérations de calcul intermédiaires destinées à prendre en compte la gravité et la durée de l'infraction. Par conséquent, l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 n'interdit pas à la Commission de se référer, au cours de son calcul, à un montant intermédiaire dépassant 10 % du chiffre d'affaires de l'entreprise concernée, pour autant que le montant de l'amende finalement imposée à cette entreprise ne dépasse pas cette limite maximale. Cette considération vaut également pour le montant maximal d'un million d'euros figurant dans la même disposition.

(cf. point 255)

13.   À la lumière du point 1 B des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, qui prévoit que la durée de l'infraction peut comporter la fixation d'un éventuel montant additionnel d'amende, par rapport à celui qui a été établi sur la base de la gravité, il apparaît que la durée très courte d'une infraction - à savoir une durée inférieure à un an - justifie uniquement qu'aucun montant additionnel ne soit imputé au montant déterminé en fonction de la gravité de l'infraction. La circonstance qu'une infraction ait été d'une durée très courte ne saurait remettre en cause, en toute hypothèse, l'existence d'une violation de l'article 81, paragraphe 1, CE.

(cf. points 134, 257-258)

14.   Constituent des circonstances aggravantes, susceptibles d'être prises en compte par la Commission pour majorer le montant d'une amende imposée sur la base de l'article 81 CE, la poursuite en secret d'un accord après que la Commission a indiqué aux entreprises ou associations d'entreprises participantes qu'elles devait y mettre fin, ainsi que l'usage de la violence pour contraindre une partie à adopter un accord ou pour s'assurer de son application.

(cf. points 271, 278-289)

15.   L'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 n'interdit pas à la Commission d'imposer des amendes supérieures à un million d'euros à des associations qui prétendument ne réalisent pas de chiffre d'affaires. L'utilisation du terme générique « infraction » à l'article 15, paragraphe 2, en ce qu'il couvre sans distinction les accords, les pratiques concertées et les décisions d'associations d'entreprises, indique que les plafonds prévus par cette disposition s'appliquent de la même manière aux accords et pratiques concertées, ainsi qu'aux décisions d'associations d'entreprises. Quand une association d'entreprises n'a pas d'activité économique propre ou quand son chiffre d'affaires ne révèle pas l'influence que cette association peut exercer sur le marché, la Commission peut, sous certaines conditions, prendre en considération le chiffre d'affaires des membres de celle-ci aux fins de calculer le montant maximal de l'amende qui peut lui être infligée.

Bien que, dans cette disposition, la seule référence expresse au chiffre d'affaires de l'entreprise concerne la limite supérieure d'une amende dépassant un million d'euros, les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, que s'est imposées la Commission, établissent, au point 5, sous a), que le résultat final du calcul de l'amende ne peut en aucun cas dépasser 10 % du chiffre d'affaires mondial des entreprises, conformément à l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17. Le plafond de 10 % du chiffre d'affaires doit, dès lors, s'appliquer même en ce qui concerne la fixation d'amendes d'un montant inférieur à un million d'euros.

Par ailleurs, le plafond de 10 % du chiffre d'affaires doit être calculé par rapport au chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises parties aux accords et pratiques concertées ou par l'ensemble des entreprises membres des associations d'entreprises, à tout le moins lorsque, en vertu de ses règles internes, l'association peut engager ses membres. Cette possibilité de prendre en compte, à cet égard, le chiffre d'affaires de l'ensemble des entreprises membres d'une association se justifie en ce que, en fixant le montant des amendes, on peut tenir compte, notamment, de l'influence que l'entreprise a pu exercer sur le marché, par exemple en raison de sa taille et de sa puissance économique, sur lesquelles le chiffre d'affaires de l'entreprise donne des indications, ainsi que de l'effet dissuasif que doivent exercer ces amendes. Or, l'influence qu'a pu exercer sur le marché une association d'entreprises ne dépend pas de son propre chiffre d'affaires, qui ne révèle ni sa taille ni sa puissance économique, mais bien du chiffre d'affaires de ses membres qui constitue une indication de sa taille et de sa puissance économique.

Il n'est toutefois pas exclu que, dans des cas particuliers, cette prise en compte du chiffre d'affaires des membres d'une association puisse également être possible même si cette dernière ne dispose pas, formellement, du pouvoir d'engager ses membres, au vu de l'absence de règles internes lui reconnaissant une telle capacité. La faculté de la Commission d'imposer des amendes d'un montant approprié aux infractions en cause pourrait, sinon, se voir compromise, dans la mesure où des associations ayant un très petit chiffre d'affaires mais regroupant, sans pour autant pouvoir les engager formellement, un nombre élevé d'entreprises qui, ensemble, réalisent un chiffre d'affaires important, ne pourraient être sanctionnées que par des amendes très réduites, même si les infractions commises par celles-ci pouvaient exercer une influence notable dans les marchés en cause. Cette circonstance irait à l'encontre, en outre, de la nécessité d'assurer l'effet dissuasif des sanctions contre les infractions aux règles de concurrence communautaires.

Partant, d'autres circonstances spécifiques, au-delà de l'existence de règles internes permettant à l'association d'engager ses membres, peuvent justifier la prise en compte des chiffres d'affaires cumulés des membres de l'association en cause. Il s'agit, en particulier, des cas où l'infraction commise par une association porte sur les activités de ses membres et où les pratiques anticoncurrentielles en cause sont exécutées par l'association directement au bénéfice de ces derniers et en coopération avec ceux-ci, l'association n'ayant pas d'intérêts objectifs présentant un caractère autonome par rapport à ceux de ses membres. Bien que, dans certaines de ces hypothèses, la Commission puisse éventuellement, en plus de sanctionner l'association en cause, imposer des amendes individuelles à chacune des entreprises membres, cela peut s'avérer particulièrement difficile, voire impossible, quand le nombre de celles-ci est très élevé.

Dans ces cas-là, en tout état de cause, la possibilité de prendre en compte les chiffres d'affaires des membres de base des associations d'entreprises doit toutefois être limitée, en principe, à ceux de leurs membres qui étaient actifs sur les marchés affectés par les infractions sanctionnées dans la décision attaquée.

Au demeurant, le fait de prendre en considération le chiffre d'affaires des membres d'une association d'entreprises dans la détermination du plafond de 10 % ne signifie pas qu'une amende leur a été infligée, ni même, en soi, que l'association en cause a l'obligation de répercuter sur ses membres la charge de celle-ci.

(cf. points 313-314, 317-319, 325, 343)

16.   Le principe non bis in idem constitue un principe général du droit communautaire dont le juge assure le respect. Dans le domaine du droit communautaire de la concurrence, ce principe interdit qu'une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois par la Commission du fait d'un comportement anticoncurrentiel pour lequel elle a été sanctionnée ou déclarée non responsable par une décision antérieure de la Commission qui n'est plus susceptible de recours. L'application du principe non bis in idem est soumise à une triple condition d'identité des faits, d'unité de contrevenant et d'unité de l'intérêt juridique protégé. Ce principe interdit donc de sanctionner une même personne plus d'une fois pour un même comportement illicite afin de protéger le même bien juridique. En revanche, il n'interdit pas de sanctionner pour un même fait les différentes associations d'entreprises qui y ont participé, en raison de la participation et du degré de responsabilité propre de chacune dans l'infraction, même si les unes ont la qualité de membre des autres.

(cf. points 340-344)

17.   Si la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation lors de la fixation du montant des amendes venant santionner la violation des règles communautaires de concurrence, le Tribunal statue toutefois, en vertu de l'article 17 du règlement nº 17, avec une compétence de pleine juridiction au sens de l'article 229 CE sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende et peut, en conséquence, supprimer, réduire ou majorer l'amende infligée. En vertu de cette compétence de pleine juridiction, le Tribunal peut notamment modifier le montant de la réduction de l'amende octroyée par la Commission à une entreprise ou à une association d'entreprises au titre des circonstances prévues au point 5, sous b), des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA.

(cf. points 352, 355-361)




ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

13 décembre 2006 (*)

« Concurrence – Article 81, paragraphe 1, CE – Viande bovine – Suspension des importations – Fixation d’une grille de prix syndicale – Règlement n° 26 – Associations d’entreprises – Restriction de concurrence – Action syndicale – Affectation du commerce entre États membres – Obligation de motivation – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes – Principe de proportionnalité – Gravité et durée de l’infraction – Circonstances aggravantes et atténuantes – Non-cumul des sanctions – Droits de la défense »

Dans les affaires jointes T‑217/03 et T‑245/03,

Fédération nationale de la coopération bétail et viande (FNCBV), établie à Paris (France), représentée par Mes R. Collin, M. Ponsard et N. Decker, avocats,

partie requérante dans l’affaire T‑217/03,


Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), établie à Paris,

Fédération nationale bovine (FNB), établie à Paris,

Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), établie à Paris,

Jeunes agriculteurs (JA), établie à Paris,

représentées par Mes B. Neouze et V. Ledoux, avocats,

parties requérantes dans l’affaire T‑245/03,

soutenues par

République française, représentée initialement par MM. G. de Bergues, F. Million et R. Abraham, puis par M. de Bergues, Mmes E. Belliard et S. Ramet, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. P. Oliver, A. Bouquet et Mme O. Beynet, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, des demandes d’annulation de la décision 2003/600/CE de la Commission, du 2 avril 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (Affaire COMP/C.38.279/F3 – Viandes bovines françaises) (JO L 209, p. 12), et, à titre subsidiaire, une demande de suppression ou de réduction des amendes infligées par ladite décision,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. R. García-Valdecasas, président, J. D. Cooke et Mme I. Labucka, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 mai 2006,

rend le présent

Arrêt 

 Cadre juridique

1       L’article 1er du règlement n° 26, du 4 avril 1962, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles (JO 1962, 30, p. 993), prévoit que les articles [81] CE à [86] CE, ainsi que les dispositions prises pour leur application, s’appliquent à tous les accords, décisions et pratiques visés à l’article [81], paragraphe 1, CE et à l’article [82] CE et relatifs à la production ou au commerce des produits énumérés à l’annexe [I] du traité CE, dont notamment les animaux vivants et les viandes et abats comestibles, sous réserve des dispositions de son article 2.

2       L’article 2, paragraphe 1, dudit règlement établit ce qui suit :

« L’article [81], paragraphe 1, [CE] est inapplicable aux accords, décisions et pratiques visés à l’article précédent qui font partie intégrante d’une organisation nationale de marché ou qui sont nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l’article [33 CE]. Il ne s’applique pas en particulier aux accords, décisions et pratiques d’exploitants agricoles, d’associations d’exploitants agricoles ou d’associations de ces associations ressortissant à un seul État membre, dans la mesure où, sans comporter l’obligation de pratiquer un prix déterminé, ils concernent la production ou la vente de produits agricoles ou l’utilisation d’installations communes de stockage, de traitement ou de transformation de produits agricoles, à moins que la Commission ne constate qu’ainsi la concurrence est exclue ou que les objectifs de l’article [33 CE] sont mis en péril. »

 Faits à l’origine du litige

3       La requérante dans l’affaire T‑217/03, la Fédération nationale de la coopération bétail et viande (FNCBV), regroupe 300 groupements coopératifs de producteurs des secteurs de l’élevage bovin, porcin et ovin et une trentaine de groupes ou d’entreprises d’abattage et de transformation de viandes en France.

4       Les requérantes dans l’affaire T‑245/03, à savoir la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), la Fédération nationale bovine (FNB), la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) et les Jeunes agriculteurs (JA), sont des syndicats de droit français. La FNSEA est le principal syndicat agricole français. Sur le plan territorial, elle est composée de syndicats locaux, regroupés dans des fédérations ou unions départementales des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA ou UDSEA). Des fédérations coordonnent, dans chaque région, l’action des FDSEA et des UDSEA. La FNSEA regroupe, par ailleurs, 33 associations spécialisées, qui représentent les intérêts de chaque production, dont la FNB et la FNPL. Enfin, les JA représentent les agriculteurs de moins de 35 ans. Pour adhérer au centre local des JA, il faut être adhérent d’un syndicat local relevant de la FDSEA ou de l’UDSEA.

I –  Seconde crise dite « de la vache folle »

5       À partir d’octobre 2000, de nouveaux cas d’encéphalopathie spongiforme bovine, dite « maladie de la vache folle », ont été découverts dans plusieurs États membres. Parallèlement, des cas de fièvre aphteuse ont frappé les troupeaux ovins au Royaume-Uni. Cette situation a provoqué une perte de confiance de la part des consommateurs, qui a eu un impact sur la consommation de viande en général en Europe et a notamment entraîné la filière bovine dans une nouvelle crise. En effet, la consommation de viande bovine a fortement baissé, particulièrement en France, les volumes importés dans ou exportés de ce pays ayant également diminué de manière notable. De même, les prix à la production des gros bovins ont baissé très significativement en France, alors que les prix à la consommation finale sont restés relativement stables.

6       Afin de faire face à cette crise, les institutions communautaires ont adopté toute une série de mesures. Ainsi, le champ d’application des mécanismes d’intervention, destinés à retirer du marché certaines quantités de bovins afin de stabiliser l’offre par rapport à la demande, a été élargi et un régime d’achat d’animaux vivants, ainsi qu’un mécanisme d’achat par adjudication de carcasses ou de demi-carcasses (dit « régime d’achat spécial »), ont été mis en place. En outre, la Commission a autorisé plusieurs États membres, dont la France, à octroyer des subventions à la filière bovine.

7       Ces mesures ont toutefois été jugées insuffisantes par les agriculteurs français. En septembre et en octobre 2001, les relations entre éleveurs et abatteurs étaient particulièrement tendues en France. Ainsi, des groupes d’éleveurs ont illégalement arrêté des camions afin de contrôler l’origine de la viande transportée et ont procédé à des blocages d’abattoirs. Ces actions ont parfois conduit à des destructions de matériels et de viandes. En contrepartie du déblocage des abattoirs, les éleveurs manifestants ont exigé des engagements de la part des abatteurs, notamment la suspension des importations et l’application d’une grille de prix dite « syndicale ».

II –  Conclusion des accords litigieux et procédure administrative devant la Commission

8       En octobre 2001, plusieurs réunions ont eu lieu entre les fédérations représentant les éleveurs de bovins (les requérantes dans l’affaire T-245/03) et les fédérations représentant les abatteurs [soit la Fédération nationale de l’industrie et des commerces en gros des viandes (FNICGV) et la requérante dans l’affaire T‑217/03]. À l’issue d’une réunion du 24 octobre 2001, organisée à la demande du ministre de l’Agriculture français, un accord (« Accord des fédérations des éleveurs et abatteurs sur la grille de prix minimum – vaches de reforme entrée-abattoir ») a été conclu entre ces six fédérations, à savoir la FNSEA, la FNB, la FNPL, les JA, la FNCBV et la FNICGV.

9       Cet accord comportait deux volets. Le premier était un « engagement de suspension provisoire des importations », qui ne faisait pas de distinction selon les types de viande bovine. Le second consistait en un « engagement d’application de la grille de prix d’achat [à l’]entrée [de l’]abattoir [des] vaches de réforme » (à savoir les vaches dont la destination est soit la reproduction soit la production laitière), dont les modalités étaient définies dans l’accord. Ainsi, celui-ci contenait une liste de prix au kilogramme de carcasse pour certaines catégories de vaches et le mode de calcul du prix à appliquer pour d’autres catégories, en fonction notamment du prix d’achat spécial fixé par les autorités communautaires. L’accord devait entrer en vigueur le 29 octobre 2001 et être appliqué jusqu’à la fin du mois de novembre 2001.

10     Le 30 octobre 2001, la Commission a adressé aux autorités françaises une lettre sollicitant des informations sur l’accord du 24 octobre 2001.

11     Le 31 octobre 2001, les requérantes dans l’affaire T‑245/03 et la FNICGV se sont réunies à Rungis (France), à l’initiative de cette dernière. Ces fédérations ont adopté le compromis suivant (ci-après le « protocole de Rungis ») :

« Réunion ‘Viande d’importation’

31 octobre 2001 − Rungis

Les entreprises françaises spécialisées dans le secteur import-export se sont réunies avec les fédérations de producteurs (FNSEA, FNB, FNPL et [JA]) signataires de l’accord national interprofessionnel du 24 octobre 2001.

[...]

Ils réaffirment l’impérative nécessité d’un rééquilibrage de l’offre et de la demande [...] 

Dans la situation de crise sans précédent que vivent les producteurs, les représentants des éleveurs demandent fermement aux importateurs-exportateurs de prendre conscience de la gravité de la crise.

En réponse les importateurs-exportateurs s’engagent à faire preuve de solidarité. »

12     Le 9 novembre 2001, les autorités françaises ont répondu à la demande d’informations de la Commission du 30 octobre 2001.

13     Le 9 novembre 2001, la Commission a également adressé aux requérantes dans l’affaire T‑245/03, ainsi qu’à la FNICGV, une demande de renseignements, au titre de l’article 11 du règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204). La Commission n’ayant alors pas connaissance du fait que la requérante dans l’affaire T-217/03 était également signataire de l’accord du 24 octobre 2001, cette dernière n’a pas été destinataire de cette demande. Les cinq fédérations en cause y ont répondu les 15 et 23 novembre 2001.

14     Le 19 novembre 2001, le président de la FNICGV a informé le président de la FNSEA qu’il se voyait obligé d’anticiper à ce jour la date finale d’application de l’accord, initialement prévue le 30 novembre 2001.

15     Le 26 novembre 2001, la Commission a adressé une lettre d’avertissement aux six fédérations signataires de l’accord du 24 octobre 2001, indiquant que les faits dont elle avait connaissance traduisaient l’existence d’une infraction aux règles communautaires de la concurrence et les invitant à lui faire connaître leurs observations et propositions au plus tard le 30 novembre 2001. Dans cette lettre, la Commission indiquait que « [f]aute de propositions satisfaisantes dans ce délai, [elle] envisage[ait] d’engager une procédure visant à faire constater ces infractions, à enjoindre qu’il y soit mis fin au cas où l’accord aurait été prorogé et pouvant, le cas échéant, comporter l’imposition d’amendes ». Les fédérations ont répondu à la Commission en précisant que l’accord cesserait le 30 novembre 2001 et qu’il ne serait pas prorogé.

16     Le 17 décembre 2001, la Commission a effectué des vérifications dans les locaux de la FNSEA et de la FNB à Paris, au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, ainsi que dans les locaux de la FNICGV dans cette ville, sur la base de l’article 14, paragraphe 2, dudit règlement.

17     Le 24 juin 2002, la Commission a adopté une communication des griefs adressée aux six fédérations. Celles-ci ont présenté leurs observations écrites entre le 23 septembre et le 4 octobre 2002. L’audition des fédérations a eu lieu le 31 octobre 2002.

18     Le 10 janvier 2003, la Commission a envoyé aux requérantes une demande de renseignements au sens de l’article 11 du règlement nº 17. Elle leur demandait notamment de lui fournir, pour les années 2001 et 2002, le montant total et la ventilation selon leur origine des recettes de chaque fédération et leurs bilans comptables, ainsi que, pour le dernier exercice fiscal disponible, le chiffre d’affaires (global et lié à la production bovine ou à l’abattage bovin) de leurs membres directs et/ou indirects. Les requérantes y ont répondu par des lettres des 22, 24, 27 et 30 janvier 2003.

III –  Décision attaquée

19     Le 2 avril 2003, la Commission a adopté la décision 2003/600/CE, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (Affaire COMP/C.38.279/F3 – Viandes bovines françaises) (JO L 209, p. 12, ci-après la « décision attaquée »), dont les destinataires sont les requérantes et la FNICGV.

20     Aux termes de cette décision, ces fédérations ont violé l’article 81, paragraphe 1, CE du fait de la conclusion, le 24 octobre 2001, d’un accord écrit en vue de fixer un prix minimal d’achat de certaines catégories de bovins et de suspendre les importations de viande bovine en France, ainsi que de la conclusion, entre fin novembre et début décembre 2001, d’un accord oral poursuivant le même objet, applicable depuis l’expiration dudit accord écrit.

21     Aux considérants 135 à 149 de la décision attaquée, la Commission a écarté l’application en l’espèce de l’exemption prévue par le règlement nº 26 en faveur de certaines activités liées à la production et à la commercialisation de produits agricoles, en considérant que l’accord n’était pas nécessaire pour atteindre les objectifs de la politique agricole commune, prévus à l’article 33 CE. De plus, l’accord litigieux ne figurerait pas au nombre des moyens prévus par le règlement (CE) n° 1254/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO L 160, p. 21), ou par les textes d’application de celui-ci. Enfin, les mesures adoptées ne seraient pas proportionnées aux objectifs prétendument recherchés.

22     Selon la décision attaquée, l’infraction a débuté le 24 octobre 2001 et a duré, au moins, jusqu’au 11 janvier 2002, date d’expiration du dernier accord local pris en application de l’engagement national dont la Commission aurait eu connaissance.

23     Compte tenu de sa nature et de l’étendue géographique du marché concerné, l’infraction a été qualifiée de très grave. Afin d’établir le degré de responsabilité propre de chaque fédération, la Commission a pris en compte le rapport entre le montant des cotisations annuelles perçues par la principale fédération agricole, à savoir la FNSEA, et ceux de chacune des autres fédérations. L’infraction ayant par ailleurs été de courte durée, la Commission n’a pas majoré le montant de base à ce titre.

24     La Commission a ensuite retenu à l’égard des requérantes plusieurs circonstances aggravantes :

–       elle a augmenté de 30 % le montant des amendes infligées à la FNSEA, aux JA et à la FNB du fait que leurs membres auraient fait usage de la violence pour contraindre les fédérations d’abatteurs d’adopter l’accord du 24 octobre 2001 ;

–       elle a retenu à l’égard de toutes les requérantes la circonstance aggravante de la poursuite en secret de l’accord après sa lettre d’avertissement du 26 novembre 2001 et leur a appliqué une majoration de 20 % ;

–       elle a tenu compte du rôle prépondérant prétendument joué par la FNB dans la préparation et la mise en oeuvre de l’infraction, en majorant de 30 % l’amende imposée à cette fédération.

25     Par ailleurs, la Commission a pris en considération diverses circonstances atténuantes :

–       eu égard au rôle passif ou suiviste joué par la FNPL, elle a minoré de 30 % le montant de l’amende de celle-ci ;

–       s’agissant de la requérante dans l’affaire T-217/03, elle a pris en compte, premièrement, l’intervention appuyée du ministre de l’Agriculture français en faveur de la conclusion de l’accord (minoration de 30 %) et, deuxièmement, les opérations illégales de blocage des établissements de leurs membres par des agriculteurs (nouvelle minoration de 30 %).

26     En outre, conformément au point 5, sous b), des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices »), la Commission a pris en compte les circonstances spécifiques de l’affaire en cause, notamment le contexte économique marqué par la crise du secteur, et a réduit de 60 % le montant des amendes résultant de l’application des majorations et minorations susmentionnées.

27     Le dispositif de la décision attaquée comprend notamment les dispositions suivantes :

« Article premier

La [FNSEA], la [FNB], la [FNPL], les [JA], la [FNICGV] et la [FNCBV] ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, [CE] en concluant le 24 octobre 2001 un accord qui avait pour objet de suspendre les importations en France de viande bovine et de fixer un prix minimal pour certaines catégories de bêtes et en convenant oralement d’un accord ayant un objet semblable fin novembre et début décembre 2001.

L’infraction a commencé le 24 octobre 2001 et a produit ses effets au moins jusqu’au 11 janvier 2002.

Article 2

Les fédérations visées à l’article 1er mettent fin immédiatement à l’infraction visée audit article, si elles ne l’ont déjà fait, et s’abstiennent à l’avenir de toute entente susceptible d’avoir un objet ou un effet identique ou similaire.

Article 3

Les amendes suivantes sont infligées :

–       FNSEA : 12 millions d’euros,

–       FNB : 1,44 million d’euros,

–       JA : 600 000 euros,

–       FNPL : 1,44 million d’euros,

–       FNICGV : 720 000 euros,

–       FNCBV : 480 000 euros. »


 Procédure et conclusions des parties

28     Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 19 et 20 juin 2003, les requérantes ont introduit les présents recours.

29     Par requête déposée le 7 juillet 2003, la FNICGV a également introduit un recours ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation de l’amende qui lui avait été infligée par la décision attaquée et, à titre subsidiaire, une demande de réduction du montant de cette amende (affaire T‑252/03). Par ordonnance de 9 novembre 2004, le Tribunal a rejeté le recours de la FNICGV comme irrecevable.

30     Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal les 2 et 11 juillet 2003, les requérantes ont introduit des demandes de mesures provisoires visant notamment à obtenir une dispense totale ou partielle de l’obligation de constituer des garanties bancaires, imposée comme condition du non-recouvrement immédiat du montant des amendes infligées par la décision attaquée.

31     Le 7 octobre 2003, la République française a introduit, dans chaque affaire, une demande d’intervention au soutien des conclusions des requérantes. Par ordonnances du 6 novembre 2003, le président de la cinquième chambre du Tribunal a admis cette intervention. Le 23 décembre 2003, la République française a présenté des mémoires en intervention.

32     Par ordonnances du président du Tribunal du 21 janvier 2004, il a notamment été sursis à l’obligation pour les requérantes – sauf la FNPL, qui n’avait pas formulé de demande en ce sens – de constituer en faveur de la Commission des garanties bancaires pour éviter le recouvrement immédiat des amendes, pendant une période déterminée et sous réserve de certaines conditions.

33     Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, les 21 février, 8 et 9 mars 2006, le Tribunal a invité les parties à produire certains documents et à répondre à certaines questions. Les parties ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.

34     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

35     Par ordonnance du 3 avril 2006, le président de la première chambre du Tribunal a ordonné, après avoir entendu les parties, la jonction des affaires T‑217/03 et T‑245/03.

36     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 17 mai 2006.

37     Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       à titre principal, annuler la décision attaquée ;

–       à titre subsidiaire, supprimer les amendes qui leur ont été infligées par la décision attaquée ou, à titre encore plus subsidiaire, diminuer leurs montants ;

–       condamner la Commission aux dépens.

38     La République française, intervenant au soutien des requérantes, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la décision attaquée ;

–       condamner la Commission aux dépens.

39     La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter les recours ;

–       condamner les requérantes aux dépens.

40     Par lettres des 19 et 22 mai 2006, les requérantes ont transmis au Tribunal des pièces faisant partie du dossier administratif de la Commission qui n’avaient pas été communiquées en totalité au Tribunal auparavant. Par ordonnance du 7 juillet 2006, le Tribunal a décidé de rouvrir la procédure orale, conformément à l’article 62 de son règlement de procédure.

41     Les parties entendues, le Tribunal a adopté une mesure d’organisation de la procédure, conformément à l’article 64 du règlement de procédure, consistant à verser au dossier les documents déposés par les requérantes les 19 et 22 mai 2006. Par lettre du 2 août 2006, la Commission a présenté des observations sur lesdits documents.

42     La procédure orale a ensuite été close le 2 septembre 2006.

 Sur le fond

43     À titre principal, les requérantes demandent l’annulation de la décision attaquée. À titre subsidiaire, elles demandent la suppression ou la réduction des amendes qui leur ont été infligées par ladite décision.

I –  Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

44     Les requérantes invoquent cinq moyens à l’appui de leurs conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée. Le premier moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et d’erreurs de droit commises dans l’appréciation des conditions requises pour l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE. Le deuxième moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et d’erreurs de droit dans l’établissement de l’étendue et de la durée de l’infraction. Le troisième moyen est tiré de la non-application à l’accord litigieux de l’exception prévue par le règlement nº 26. Le quatrième moyen est tiré de la violation des droits de la défense. Enfin, le cinquième moyen est tiré de la violation de l’obligation de motivation.

A –  Sur le premier moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et d’erreurs de droit dans l’appréciation des conditions requises pour l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE

45     Les requérantes ne nient pas la conclusion de l’accord du 24 octobre 2001, mais contestent que cet accord soit constitutif d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE. En effet, les requérantes dans l’affaire T‑245/03 critiquent leur qualification, par la Commission, d’associations d’entreprises, au sens de cette disposition, et font valoir que la Commission, dans la décision attaquée, a limité à leur égard l’exercice de la liberté syndicale. En outre, la requérante dans l’affaire T‑217/03 fait valoir que l’accord en cause n’a pas affecté de façon sensible le commerce entre États membres. Enfin, dans les deux affaires, les requérantes soutiennent que l’accord litigieux ne comportait pas de restriction de la concurrence.

1.     Sur la qualification des requérantes d’associations d’entreprises

a)     Arguments des parties

46     Les requérantes dans l’affaire T‑245/03 soutiennent, en premier lieu, que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation et violé l’article 81, paragraphe 1, CE, en considérant qu’elles constituaient des associations d’entreprises. Elles prétendent que, même si l’on prend en considération les deux échelons inférieurs de leurs organisations hiérarchisées pyramidales (à savoir les fédérations départementales et les syndicats locaux), leurs membres ne sont pas des entreprises mais des fédérations ou des syndicats agricoles. De même, les membres des syndicats locaux ne pourraient pas non plus être assimilés à des entreprises, le critère d’adhésion à ceux-ci n’étant pas celui de l’entreprise agricole, car cette adhésion ne serait liée ni à la qualité de chef d’exploitation en cas d’exploitation individuelle (le conjoint de l’exploitant individuel pouvant y adhérer) ni à celle de représentant de la personne morale en cas d’exploitation sous forme de société (chacun des associés décidant à titre individuel d’adhérer ou non au syndicat local). Elles estiment, en second lieu, que la Commission n’a pas suffisamment motivé, dans la décision attaquée, leur qualification d’associations d’entreprises. En particulier, elle n’aurait pas répondu aux observations avancées à cet égard par la FNSEA pendant la procédure administrative.

47     La Commission fait remarquer, en premier lieu, que, pour déterminer si les requérantes sont des associations d’entreprises, il convient de déterminer qui sont, in fine, leurs membres. Or, en l’espèce, il s’agirait d’exploitants agricoles, qui seraient sans aucun doute des entreprises au sens de l’article 81 CE. La Commission soutient, en second lieu, que la décision attaquée expose dans le détail les raisons pour lesquelles elle a conclu que les requérantes constituaient des associations d’entreprises au sens de cette disposition.

b)     Appréciation du Tribunal

48     Il convient de relever d’emblée que la requérante dans l’affaire T‑217/03 ne conteste pas que l’accord du 24 octobre 2001 constitue, en ce qui la concerne, un accord entre associations d’entreprises au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE. En revanche, les requérantes dans l’affaire T‑245/03 maintiennent qu’elles ne peuvent être qualifiées d’associations d’entreprises au sens de cette disposition. Elles soutiennent, en substance, que ni leurs membres directs ni leurs membres indirects ne sont des entreprises.

49     L’article 81, paragraphe 1, CE s’applique aux associations dans la mesure où leur activité propre ou celle des entreprises qui y adhèrent tend à produire les effets que cette disposition vise à réprimer (arrêt de la Cour du 29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec. p. 3125, point 88). Compte tenu de la finalité de cette disposition, la notion d’association d’entreprises doit être interprétée comme pouvant également appréhender des associations elles-mêmes constituées d’associations d’entreprises (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 26 janvier 2005, Piau/Commission, T‑193/02, Rec. p. II‑209, point 69 ; voir également, par analogie, arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Eurofer/Commission, T‑136/94, Rec. p. II‑263, point 9).

50     En l’espèce, les requérantes ont conclu les accords litigieux dans l’intérêt et au nom, non de leurs membres directs, qui effectivement sont des fédérations ou des syndicats agricoles, mais des exploitants agricoles qui sont les membres de base de ces derniers. Ainsi, l’accord du 24 octobre 2001, intitulé « Accord des fédérations des éleveurs et abatteurs », est notamment conclu par les « fédérations représentant les éleveurs », « dans l’objectif d’ouvrir des perspectives de relations nouvelles dans la filière pour une rémunération équitable et légitime de l’ensemble de ses acteurs, éleveurs et entreprises ». De même, le protocole de Rungis fait une référence explicite aux « [f]édérations de producteurs ». Il y a donc lieu de conclure que la Commission était en droit de prendre en considération les membres indirects ou de base des requérantes dans l’affaire T‑245/03, à savoir les exploitants agricoles, afin d’apprécier si celles-ci constituaient des associations d’entreprises au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.

51     Il convient, donc, d’examiner si la Commission a correctement considéré que les exploitants agricoles, membres de base ou indirects de ces requérantes, pouvaient être considérés comme des entreprises aux fins de l’application de l’article 81 CE.

52     Selon une jurisprudence constante, la notion d’entreprise comprend, dans le contexte du droit de la concurrence, toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (arrêt de la Cour du 11 décembre 1997, Job Centre, C‑55/96, Rec. p. I‑7119, point 21). Constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (arrêt du Tribunal du 30 mars 2000, Consiglio Nazionale degli Spedizionieri Doganali/Commission, T‑513/93, Rec. p. II‑1807, point 36).

53     Or, l’activité des exploitants agricoles, agriculteurs ou éleveurs, présente certainement un caractère économique. En effet, ceux-ci exercent une activité de production de biens qu’ils offrent à la vente contre rémunération. Les exploitants agricoles constituent, par conséquent, des entreprises au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.

54     Dès lors, les syndicats qui les rassemblent et les représentent, ainsi que les fédérations qui regroupent ces syndicats, peuvent être qualifiés d’associations d’entreprises aux fins de l’application de cette disposition.

55     Cette conclusion ne saurait être infirmée par le fait que les syndicats locaux peuvent regrouper aussi des conjoints d’exploitants agricoles. Premièrement, il est probable que les conjoints des agriculteurs ou éleveurs qui sont eux-mêmes membres d’un syndicat local agricole participent également aux tâches de l’exploitation familiale. Deuxièmement, en tout état de cause, la seule circonstance qu’une association d’entreprises puisse regrouper également des personnes ou des entités qui ne peuvent pas être qualifiées d’entreprises ne suffit pas à enlever un tel caractère à l’association au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE. De même, il convient de rejeter l’argument des requérantes tiré de ce que, dans le cas d’une exploitation sous forme de société, ce n’est pas celle-ci, par le biais de son représentant, qui adhère au syndicat, mais chacun des associés. En effet, ainsi qu’il a été indiqué (voir point 52 ci-dessus), ce qui importe aux fins de la qualification d’entreprise n’est pas le statut juridique ou la forme de l’exploitation en cause mais l’activité de cette dernière et de ceux qui y participent.

56     Finalement, il convient de rejeter également le grief tiré de la prétendue violation de l’obligation de motivation, au motif, en substance, que la Commission n’aurait pas répondu, dans la décision attaquée, aux observations avancées par la FNSEA pendant la procédure administrative à l’encontre de sa qualification d’association d’entreprises.

57     Il convient de rappeler que, si, en vertu de l’article 253 CE, la Commission est tenue de mentionner les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de la décision et les considérations qui l’ont amenée à prendre celle-ci, il n’est pas exigé qu’elle discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés au cours de la procédure administrative (arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, point 388).

58     En l’espèce, la décision attaquée expose, de façon sommaire, la thèse de la FNSEA selon laquelle elle n’est ni une entreprise ni une association d’entreprises, mais un syndicat professionnel, ainsi que les arguments de la FNPL et des JA à cet égard (voir considérant 97, deuxième tiret, considérant 98 et considérant 99, deuxième tiret, de la décision attaquée). Ces arguments sont rejetés en détail dans la décision attaquée. Ainsi, il est expliqué que les requérantes représentent des agriculteurs, qui exercent une activité de production de biens qu’ils offrent à la vente, et que le règlement nº 26 n’aurait aucun sens si ces derniers n’étaient pas également des entreprises (considérant 105 de la décision attaquée), que le fait que les requérantes prennent la forme de syndicats professionnels au sens du code du travail français n’enlève rien à leur qualité d’associations d’entreprises (considérants 110 et 111 de la décision attaquée), que leur activité syndicale ne leur donne pas le droit de méconnaître les règles de concurrence et que des organisations semblables ont été sanctionnées par le Conseil de la concurrence français (voir considérants 112 à 114 de la décision attaquée). Enfin, la décision attaquée rappelle également la pratique décisionnelle de la Commission et la jurisprudence pertinentes (considérants 104 et 116 de la décision attaquée).

59     Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission a motivé suffisamment, dans la décision attaquée, la qualification des requérantes d’associations d’entreprises.

60     Par conséquent, ce grief doit être rejeté dans son ensemble.

2.     Sur l’absence d’affectation sensible du commerce entre États membres

a)     Arguments des parties

61     La requérante dans l’affaire T-217/03 soutient que la Commission n’a pas prouvé que l’accord litigieux affectait de manière sensible le commerce entre États membres. Elle fait valoir que le volet dudit accord relatif à la suspension des importations a été immédiatement remis en cause par le protocole de Rungis et que, en tout état de cause, elle n’importait presque pas de bovins et donc n’était en rien concernée par cet aspect. En effet, elle regrouperait des coopératives d’éleveurs qui auraient elles-mêmes des filiales d’abattage, ces coopératives collectant et commercialisant presque exclusivement la production bovine de leurs adhérents. De plus, la Commission ne pouvait pas se limiter à fonder une telle affectation du commerce sur une analyse des effets potentiels de l’accord, mais devait examiner ses effets réels. Or, une analyse de l’évolution du marché pendant la période concernée ne démontrerait pas que l’accord ait produit des effets sur les flux d’importation. S’agissant des prix d’achat minimaux, la requérante fait remarquer que l’accord est resté en vigueur pendant près d’un mois et soutient que cette courte durée l’a privé de tous effets sur les importations vers la France.

62     La Commission maintient qu’un accord ayant pour objet de limiter les importations est par nature susceptible d’affecter le commerce entre États membres. Elle fait également valoir que l’accord sur les prix était aussi susceptible d’affecter le commerce intracommunautaire.

b)     Appréciation du Tribunal

63     L’article 81, paragraphe 1, CE ne s’applique qu’aux accords susceptibles d’affecter le commerce entre États membres. Un accord entre entreprises, pour être susceptible d’affecter le commerce intracommunautaire, doit, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d’un marché unique entre États (arrêt de la Cour du 29 avril 2004, British Sugar/Commission, C‑359/01 P, Rec. p. I‑4933, point 27, et arrêt du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T‑213/95 et T‑18/96, Rec. p. II‑1739, point 175).

64     En l’occurrence, l’accord du 24 octobre 2001 contenait un engagement de suspension provisoire des importations de viande bovine en France. Ainsi que la décision attaquée le relève, la France est l’un des principaux importateurs de viande bovine dans la Communauté. La plupart de ces importations (environ 95 %) sont, en outre, en provenance d’autres États membres (considérant 11 de la décision attaquée). Il s’ensuit que l’accord litigieux était nécessairement susceptible d’affecter le commerce entre États membres.

65     Cette conclusion ne saurait être infirmée par l’argument de la requérante selon lequel ce volet « Importations » de l’accord du 24 octobre 2001 aurait été abandonné à peine quelques jours plus tard, avec la conclusion du protocole de Rungis le 31 octobre 2001. En effet, tout accord qui réunit les conditions d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE tombe dans le champ d’application de cette disposition. En tout état de cause, comme il sera jugé par la suite (voir point 136 ci-après), le protocole de Rungis, intitulé « Réunion ‘Viande d’importation’ » visait expressément les importations et n’a pas impliqué un abandon complet des mesures de suspension des importations décidées par les requérantes.

66     Il convient de rejeter également la thèse de la requérante selon laquelle elle n’était pas concernée par le volet « Importations » de l’accord, dans la mesure où ses membres n’importeraient presque pas de bovins. D’après les chiffres avancés par la requérante, l’activité d’importation de ses membres représente un pourcentage du total des importations de viande bovine en France qui, bien que réduit, n’est pas complètement négligeable (environ 1,5 % en 2001, soit 3 865 tonnes). La Commission a d’ailleurs maintenu, lors de l’audience, sans être contredite par la requérante, que les membres de celle-ci ont importé des quantités de viande bovine plus importantes dans le passé (15 000 tonnes lors de l’année antérieure au début de la crise). Il convient de relever également que, s’il est vrai que les coopératives membres de la requérante collectent et commercialisent la production bovine de leurs adhérents, il n’en reste pas moins qu’elles peuvent aussi, jusqu’à une limite du 20 % de leur chiffre d’affaires annuel, commercialiser la production d’éleveurs qui n’en sont pas membres. Enfin, en tout état de cause, l’infraction à laquelle a participé la requérante étant susceptible d’affecter le commerce entre États membres, la Commission n’était pas tenue de démontrer que la participation individuelle de la requérante ait affecté les échanges intracommunautaires (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Montedipe/Commission, T‑14/89, Rec. p. II‑1155, point 254).

67     De surcroît, il convient de relever que, à lui seul, le volet de l’accord litigieux visant à l’établissement d’une grille de prix minimaux était susceptible d’affecter les échanges intracommunautaires. En effet, des pratiques restrictives de la concurrence s’étendant à l’ensemble du territoire d’un État membre ont, par leur nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l’interpénétration économique voulue par le traité (arrêt SCK et FNK/Commission, précité, point 179). À cet égard, il importe de rechercher notamment l’importance relative de l’entente dans le marché en cause et le contexte économique dans lequel l’entente se situe. Or, en l’espèce, il convient de constater que le cheptel bovin français représente plus du 25 % du cheptel total de la Communauté (considérant 10 de la décision attaquée). Enfin, la Cour a jugé que, lorsqu’il s’agit d’un marché perméable aux importations, les membres d’une entente de prix nationale ne peuvent conserver leur part de marché que s’ils se protègent contre la concurrence étrangère (arrêt British Sugar/Commission, précité, point 28).

68     Enfin, et contrairement aux affirmations de la requérante, la Commission n’avait pas l’obligation de démontrer que l’accord litigieux avait eu un effet sensible, en pratique, sur les échanges entre États membres. En effet, ainsi qu’il a été indiqué au point 63 ci-dessus, l’article 81, paragraphe 1, CE requiert seulement que les accords et les pratiques concertées restrictifs de la concurrence soient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres (voir, également, arrêt Montedipe/Commission, précité, point 253).

69     Par conséquent, ce grief doit être rejeté.

3.     Sur l’absence de restriction de la concurrence

a)     Arguments des parties

70     Les requérantes soutiennent, en substance, que l’accord litigieux n’était pas restrictif de la concurrence et, de ce fait, ne tombait pas dans le champ d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE.

71     Les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur en considérant que l’accord en cause avait un objet anticoncurrentiel. Elles font valoir que la Commission ne pouvait pas leur imputer le volet « Importations » dudit accord et devait raisonner exclusivement sur l’éventuelle restriction de concurrence portant sur les prix. Or, les prix de la grille litigieuse auraient été fixés en prenant appui sur les prix d’intervention établis par la Commission elle-même dans le cadre de l’organisation commune de marché (OCM) dans le secteur de la viande bovine, lesquels constitueraient la référence du marché et seraient très bas. En outre, l’accord n’aurait eu que des effets concrets très limités, voire inexistants, pendant une période très courte, et sans répercussion sur les prix à la consommation.

72     Les requérantes font aussi valoir que l’accord du 24 octobre 2001 concernait uniquement un prix minimal conseillé, dont le respect, en outre, ne pouvait pas être imposé par les requérantes à leurs membres. Or, s’agissant d’un accord vertical, la fixation de prix conseillés ne constituerait pas, par nature, une restriction de concurrence. En effet, l’article 4, sous a), du règlement (CE) nº 2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, [CE] à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JO L 336, p. 21), interdirait seulement la fixation du prix de revente à un acheteur, alors que, en l’espèce, les abatteurs resteraient libres de déterminer les prix demandés à la grande distribution ou aux grossistes. Enfin, les requérantes soulignent les spécificités du secteur agricole, qui ne permettrait pas l’émergence durable d’un équilibre spontané de l’offre et de la demande et aurait besoin d’une régulation par d’autres voies que celles du marché, les règles de concurrence ne s’y appliquant pas de plein droit. À l’appui de leur argumentation, les requérantes dans l’affaire T‑245/03 joignent en annexe un avis juridique du 2 juin 2003.

73     Par ailleurs, les requérantes font remarquer que, lorsque la Commission apprécie une restriction de concurrence, elle doit prendre en compte l’ensemble du contexte juridique et économique dans lequel l’accord litigieux a été conclu et rappellent que tout accord entre entreprises restreignant la liberté d’action des parties ou de l’une d’elles ne tombe pas nécessairement sous le coup de l’interdiction édictée à l’article 81, paragraphe 1, CE (arrêt de la Cour du 19 février 2002, Wouters e.a., C‑309/99, Rec. p. I‑1577, point 97). Un accord ayant un objet ou des effets restrictifs de concurrence échapperait à cette prohibition s’il permettait de sauvegarder des objectifs de nature différente, pour autant que lesdits effets restrictifs soient nécessaires à cette sauvegarde et n’annihilent pas toute concurrence sur une partie substantielle du marché commun. La Commission aurait donc dû procéder à une analyse approfondie et concrète de la nature et de l’objet de l’accord en cause, ainsi que de ses effets, ce qu’elle n’aurait pas fait.

74     Les requérantes font aussi valoir que la Commission a sous-estimé la situation de crise extrême dans laquelle se trouvaient les éleveurs français de gros bovins au moment des faits. Elles rappellent que les prix des bovins concernés par l’accord litigieux étaient descendus en 2001, en moyenne, à leur niveau le plus bas depuis 1980 et que les prix payés au producteur après déduction des frais d’approche étaient devenus inférieurs à leur prix de revient, même après déduction des aides reçues. La consommation européenne de bovins aurait chuté de près de 10 % en 2001, réduction qui aurait affecté directement les éleveurs français, lesquels risquaient de disparaître du marché.

75     Les requérantes prétendent également que les mesures communautaires successivement adoptées se sont révélées insuffisantes pour faire face à la crise. Notamment, le régime d’achat spécial n’interviendrait qu’au stade de la sortie de l’abattoir alors que le revenu des producteurs ne serait concerné qu’au stade de l’entrée à l’abattoir. Dès lors, la répercussion sur les producteurs des mesures prises par la Communauté en matière de prix passerait nécessairement par un accord à caractère interprofessionnel entre producteurs et abatteurs.

76     À cet égard, les requérantes dans l’affaire T‑245/03 soutiennent que la Commission aurait dû examiner l’accord du 24 octobre 2001 en tant qu’acte de régulation et font remarquer que la gestion concertée entre l’État et les fédérations syndicales est traditionnelle en France dans le secteur agricole. Les requérantes auraient répondu à la demande explicite et publique du gouvernement français, dont l’objectif était d’éviter aux producteurs de viande bovine un désastre économique qui pouvait entraîner la désagrégation de la filière bovine et qui provoquait déjà un trouble grave à l’ordre public. Elles relèvent que le ministre de l’Agriculture français a été l’instigateur de l’accord et qu’il a, dans une déclaration au Parlement français, exprimé son soutien à l’avancée de l’élaboration dudit accord.

77     La Commission fait observer que, les parties à l’accord litigieux s’étant entendues pour cloisonner les marchés nationaux et pour fixer des prix minimaux, il y a lieu de conclure que son objet même était de restreindre la concurrence. Elle soutient que, en tout état de cause, elle a bien tenu compte, dans la décision attaquée, du contexte économique et juridique de l’accord. La Commission ajoute que de nombreuses mesures ont été mises en œuvre au niveau communautaire pour juguler la crise. Enfin, elle soutient que l’incitation par le ministre de l’Agriculture français de l’époque à conclure l’accord ne relève pas d’un quelconque pouvoir de régulation.

78     Par ailleurs, la Commission demande que l’avis juridique joint en annexe par les requérantes dans l’affaire T‑245/03 soit écarté comme étant irrecevable. En effet, les annexes aux mémoires auraient une fonction purement probatoire et instrumentale (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission, T‑31/99, Rec. p. II‑1881), les questions de droit communautaire devant être examinées par les représentants légaux dans les pièces de procédure elles-mêmes.

b)     Appréciation du Tribunal

79     À titre liminaire, il y a lieu de rejeter la demande de la Commission visant à écarter comme irrecevable l’avis juridique présenté par les requérantes dans l’affaire T‑245/03. Il convient de relever que tous les documents apportés avec la requête sont nécessairement versés au dossier. Différente est la question de savoir si la requérante peut se prévaloir de certains de ces documents ou si le Tribunal peut les prendre en considération. Or, il convient de relever que le corps d’une requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des extraits de pièces qui y sont annexées, pourvu que les éléments essentiels de l’argumentation en droit figurent dans la requête elle-même (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 21 septembre 2005, EDP/Commission, T‑87/05, Rec. p. II-3745, point 155, et du 14 décembre 2005, Honeywell/Commission, T‑209/01, non encore publié au Recueil, point 57). En l’occurrence, le Tribunal estime que les requérantes ont développé à suffisance, dans leurs mémoires, leur thèse selon laquelle l’accord litigieux devrait être considéré comme un acte de régulation nationale. L’annexe en cause ne sert, par conséquent, qu’à étayer et à compléter cette thèse. Dès lors, la requérante pouvait s’en prévaloir.

80     S’agissant du grief invoqué par les requérantes, celles-ci soutiennent, en substance, que l’accord litigieux n’avait pas pour objet ni pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché unique, au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.

81     Il importe de rappeler d’emblée que l’accord conclu par les requérantes le 24 octobre 2001 prévoyait, premièrement, un engagement de suspension provisoire des importations en France de viande bovine et, deuxièmement, un engagement d’application d’une grille de prix minimaux d’achat à l’entrée de l’abattoir des vaches de réforme. Contrairement à ce que prétendent les requérantes, et pour les raisons exposées aux points 65 et 66 ci-dessus, l’examen du caractère restrictif de l’accord litigieux doit prendre en compte non seulement celles des mesures susvisées concernant les prix, mais aussi celles visant la suspension des importations.

82     Ainsi, en premier lieu, il convient de constater que l’engagement de suspension des importations prévu dans l’accord litigieux avait notamment pour objet d’empêcher l’entrée en France de viande bovine à des prix inférieurs à ceux de la grille de prix décidée par les requérantes, afin d’assurer l’écoulement de la production des éleveurs français et l’efficacité de ladite grille. Force est de constater que, de ce fait, l’accord litigieux avait pour objet de cloisonner le marché national français et de restreindre ainsi le jeu de la concurrence dans le marché unique.

83     En ce qui concerne, en second lieu, l’établissement d’une grille de prix, il importe de rappeler que l’article 81, paragraphe 1, sous a), CE prévoit expressément que constituent des restrictions de concurrence les mesures qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente. Selon une jurisprudence bien établie, la fixation des prix constitue en effet une restriction patente de la concurrence (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Tréfilunion/Commission, T‑148/89, Rec. p. II‑1063, point 109, et du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II3141, point 136).

84     En l’espèce, les requérantes se sont accordées sur une grille de prix d’achat à l’entrée de l’abattoir pour certaines catégories de bovins, qui prévoyait une liste de prix au kilogramme de carcasse pour certaines catégories de vaches et le mode de calcul du prix à appliquer pour d’autres catégories, en fonction notamment du prix fixé par les autorités communautaires dans le cadre du régime d’achat spécial. Contrairement à ce que les requérantes prétendent, il ressort de la teneur même des stipulations en cause de l’accord litigieux qu’il ne s’agissait pas de prix conseillés ou indicatifs, mais de prix minimaux, dont les fédérations signataires s’engageaient à assurer le respect. En effet, ledit accord prévoyait que « les cotisations devr[aient] au minimum être en cohérence avec cette grille ». De même, dans un message du 8 novembre 2001 des requérantes dans l’affaire T‑245/03 à leurs adhérents, faisant le point sur l’application de l’accord du 24 octobre 2001, il est fait référence à l’application de la « grille de prix minim[aux] ».

85     Or, par sa nature même, un accord comme celui de l’espèce, conclu entre des fédérations représentant des exploitants agricoles et des fédérations représentant des abatteurs et fixant des prix minimaux pour certaines catégories de vaches, avec pour objectif de les rendre obligatoires pour l’ensemble des opérateurs économiques intervenant sur les marchés en cause, a pour objet de restreindre le libre jeu de la concurrence sur ces marchés (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 30 janvier 1985, BNIC, 123/83, Rec. p. 391, point 22), notamment en limitant de façon artificielle la marge de négociation commerciale des éleveurs et des abatteurs et en faussant la formation des prix dans les marchés en cause.

86     Cette conclusion ne saurait être infirmée par l’argument des requérantes selon lequel les marchés agricoles sont des marchés régulés où les règles de concurrence ne s’appliquent pas de plein droit et où, bien souvent, la formation des prix ne répond pas au libre jeu de l’offre et de la demande. Certes, le secteur agricole présente une certaine spécificité et fait l’objet d’une régulation très détaillée et fréquemment assez interventionniste. Cependant, il convient de relever, ainsi qu’il sera examiné dans le cadre du troisième moyen, que les règles de concurrence communautaires s’appliquent aux marchés des produits agricoles, même si certaines exceptions sont prévues afin de prendre en compte la situation particulière de ces marchés.

87     Les requérantes ne sauraient se prévaloir non plus de l’argument selon lequel les prix de la grille litigieuse n’avaient pas un caractère restrictif parce qu’ils avaient été fixés par référence aux prix du régime d’achat spécial, établis par la Commission elle-même. L’examen des tableaux comparatifs produits par les parties à la demande du Tribunal révèle que, si pour les vaches de qualité moyenne ou inférieure les prix de l’accord ont été fixés en prenant appui sur les prix pratiqués dans le cadre du régime d’achat spécial, en revanche, pour les vaches de qualité supérieure (lesquelles représentaient 30 % des abattages en 2001) les prix fixés par l’accord étaient sensiblement plus élevés que lesdits prix d’intervention. En tout état de cause, le simple fait de fixer les prix minimaux par référence au prix d’intervention publique ne saurait suffire à supprimer le caractère restrictif de l’accord litigieux. En effet, cette référence au prix d’intervention publique ne permet pas à la grille litigieuse de perdre son objet anticoncurrentiel, consistant à fixer de façon directe et artificielle un prix de marché déterminé et d’être assimilée aux différents mécanismes de soutien et d’intervention publique des OCM agricoles ayant pour objet d’assainir des marchés caractérisés par une offre excédentaire, moyennant le retrait d’une partie de la production.

88     Les requérantes allèguent, par ailleurs, que, aux termes de l’article 4, sous a), du règlement nº 2790/1999, dans un accord vertical seule la restriction de la capacité de l’acheteur de déterminer son prix de revente est interdite et font valoir que la grille de prix établie par l’accord litigieux ne limitait pas la capacité des abatteurs de déterminer leurs prix envers leurs clients. Cette référence au règlement nº 2790/1999 n’est toutefois pas pertinente en l’espèce. En effet, l’article 3 dudit règlement exclut du champ d’application de l’exemption par catégorie établie en faveur des accords verticaux les cas où la part du marché détenue par le fournisseur dépasse 30 % du marché pertinent. Or, la Commission a fait remarquer, sans être contredite par les requérantes, que la production des membres des fédérations d’éleveurs requérantes dépassait largement ce plafond de 30 % du marché français de la viande bovine.

89     S’agissant de l’allégation des requérantes selon laquelle elles ne pouvaient pas imposer à leurs membres le respect des prix minimaux décidés, il importe de constater que pour qu’un accord entre associations tombe dans le champ d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, il n’est pas requis que les associations en cause puissent contraindre leurs affiliés à exécuter les obligations que l’accord leur impose (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 mai 1975, Frubo/Commission, 71/74, Rec. p. 563, points 29 à 31). Par ailleurs, il y a lieu de relever que la référence à l’arrêt Wouters e.a., précité, n’est pas pertinente en l’occurrence, étant donné que les circonstances factuelles et les problèmes juridiques soulevés par l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, qui concernait la réglementation par une association professionnelle de l’exercice et de l’organisation de la profession d’avocat, ne sont pas comparables à ceux de la présente affaire.

90     Les requérantes ne sauraient non plus se prévaloir, pour justifier l’accord litigieux, de la crise dans laquelle se trouvait le secteur bovin au moment des faits de l’espèce, laquelle aurait particulièrement touché les éleveurs français de gros bovins. En effet, cette circonstance ne saurait, à elle seule, conduire à la conclusion que les conditions d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, n’étaient pas remplies (voir, en ce sens, arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, point 740). En tout état de cause, il convient d’observer que la Commission n’a pas ignoré, dans son appréciation, la crise que traversait le secteur, ainsi qu’il ressort en particulier des considérants 10 à 15 et 130 de la décision attaquée. En outre, la Commission en a tenu compte dans la détermination du montant des amendes, en le réduisant de 60 % (voir considérants 182 à 185 de la décision attaquée).

91     Il convient de rejeter aussi la thèse des requérantes selon laquelle l’accord litigieux constituait un acte de régulation nationale, qui répondait à la pratique, traditionnelle en France, de gestion concertée entre l’administration et les fédérations agricoles et qui était justifié par l’inefficacité des mesures adoptées par les autorités publiques. À cet égard, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que le cadre juridique dans lequel s’effectue la conclusion des accords visés par l’article 81 CE ainsi que la qualification juridique donnée à ce cadre par les différents ordres juridiques nationaux sont sans incidence sur l’applicabilité des règles communautaires de la concurrence (arrêt BNIC, précité, point 17). Il importe de relever, en deuxième lieu, que, lors de l’audience, les représentants de la République française ont exclu que l’accord litigieux puisse relever de la cogestion entre l’administration et les fédérations agricoles, précisant que celle-ci se traduit par la représentation de ces dernières dans les organes consultatifs nationaux et communautaires. Enfin, il y a lieu de constater, en troisième lieu, que la prétendue insuffisance des mesures publiques pour faire face aux problèmes d’un secteur déterminé ne saurait justifier que les opérateurs privés affectés s’engagent dans des pratiques contraires aux règles de la concurrence ou qu’ils prétendent s’arroger des prérogatives qui correspondent à celles des pouvoirs publics, nationaux ou communautaires, afin de substituer leur action à celle des pouvoirs publics.

92     De même, s’agissant du rôle joué par le ministre de l’Agriculture français dans la conclusion de l’accord du 24 octobre 2001, il suffit de constater que, selon une jurisprudence constante, la circonstance que le comportement des entreprises a été connu, autorisé ou même encouragé par des autorités nationales est, en tout état de cause, sans influence sur l’applicabilité de l’article 81 CE (arrêts du Tribunal du 29 juin 1993, Asia Motor France e.a./Commission, T‑7/92, Rec. p. II‑669, point 71, et Tréfilunion/Commission, précité, point 118).

93     Enfin, il y a lieu de rejeter l’argument des requérantes selon lequel la Commission n’aurait pas démontré que l’accord litigieux avait provoqué des effets sur les importations ou sur les prix du marché. En effet, selon une jurisprudence constante, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, la prise en considération des effets concrets d’un accord est superflue, dès lors qu’il apparaît que celui-ci a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun. Par conséquent, la démonstration d’effets anticoncurrentiels réels n’est pas requise, alors même que l’objet anticoncurrentiel des comportements reprochés est établi (arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, point 741 ; arrêt du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T‑62/98, Rec. p. II‑2707, point 178). Or, comme il vient d’être constaté, la Commission a prouvé que l’accord litigieux avait pour objet de restreindre le libre jeu de la concurrence sur les marchés en cause (voir points 82 à 85 ci-dessus). La Commission n’était donc pas tenue de rechercher les effets concrets de ces mesures sur le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, notamment en France.

94     Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter ce grief.

4.     Sur la qualification de l’action syndicale

a)     Arguments des parties

95     Les requérantes dans l’affaire T‑245/03 font valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en limitant à leur égard l’exercice de la liberté syndicale, reconnue par l’article 12, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1). La Commission aurait notamment méconnu les fonctions de gestion propres aux syndicats agricoles français. De même, la Commission aurait été gravement imprécise lorsqu’elle aurait exigé des fédérations sanctionnées qu’elles s’abstiennent à l’avenir de tout accord, pratique concertée ou décision qui pourrait avoir un objet ou un effet semblable à l’infraction qui leur a été reprochée, alors qu’un syndicat professionnel serait appelé à organiser entre ses membres des actions concertées pour la défense de leurs intérêts collectifs.

96     La Commission soutient que le fait que les requérantes soient des syndicats ne les soustrait pas à l’applicabilité des règles de concurrence, qui sont des règles d’ordre public.

b)     Appréciation du Tribunal

97     Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, sous g) et j), CE l’action de la Communauté comporte à la fois un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur et une politique dans le domaine social. L’article 137, paragraphe 1, sous f), CE établit ainsi que la Communauté soutient et complète l’action des États membres dans le domaine de la représentation et de la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs et l’article 139, paragraphe 1, CE prévoit que le dialogue entre partenaires sociaux au niveau communautaire peut conduire à des relations conventionnelles. L’article 81, paragraphe 1, CE, quant à lui, interdit les accords qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun. Cet article constitue une disposition fondamentale indispensable pour l’accomplissement des missions confiées à la Communauté et, en particulier, pour le fonctionnement du marché intérieur (arrêt de la Cour du 1er juin 1999, Eco Swiss, C‑126/97, Rec. p. I‑3055, point 36).

98     La Cour a jugé que, si certains effets restrictifs de la concurrence sont certes inhérents aux accords collectifs conclus entre organisations représentatives des employeurs et des travailleurs, les objectifs de politique sociale poursuivis par de tels accords seraient sérieusement compromis si les partenaires sociaux étaient soumis à l’article 81, paragraphe 1, CE dans la recherche en commun de mesures destinées à améliorer les conditions d’emploi et de travail. Il résulte ainsi d’une interprétation utile et cohérente des dispositions du traité, dans leur ensemble, que des accords conclus dans le cadre de négociations collectives entre partenaires sociaux en vue de tels objectifs doivent être considérés, en raison de leur nature et de leur objet, comme ne relevant pas de l’article 81, paragraphe 1, CE (arrêt de la Cour du 21 septembre 1999, Albany, C‑67/96, Rec. p. I‑5751, points 59 et 60). En revanche, la Cour a déclaré que cette dernière disposition était applicable à des accords interprofessionnels conclus par des organisations représentant des producteurs, des coopératives, des ouvriers et des industries au sein d’un organisme de droit public (arrêts de la Cour BNIC, précité, points 3 et 16 à 20, et du 3 décembre 1987, BNIC, 136/86, Rec. p. 4789, points 3 et 13).

99     En l’occurrence, le Tribunal considère que la nature et l’objet de l’accord litigieux ne justifient pas qu’il soit soustrait au champ d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE.

100   Premièrement, il y a lieu de constater que ledit accord ne constitue pas une convention collective et n’a pas été conclu entre des organisations représentatives des employeurs et des travailleurs. En effet, les éleveurs ne se trouvent nullement dans une relation de travail par rapport aux abatteurs, puisqu’ils n’accomplissent pas des travaux en faveur et sous la direction de ceux-ci, ni sont intégrés dans ces derniers (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 septembre 1999, Becu e.a., C‑22/98, Rec. p. I‑5665, point 26). En revanche, ainsi qu’il a été jugé, les éleveurs peuvent être considérés comme des entreprises, aux termes de l’article 81, paragraphe 1, CE (voir point 53 ci-dessus). L’accord litigieux constitue ainsi un accord interprofessionnel conclu entre deux maillons de la chaîne de production dans le secteur de la viande bovine. Deuxièmement, l’accord ne vise pas des mesures destinées à améliorer les conditions d’emploi et de travail, mais la suspension des importations de viande bovine et la fixation de prix minimaux pour certaines catégories de vaches. Or, ces mesures ont pour objet, en l’espèce, de restreindre le jeu de la concurrence dans le marché unique (voir points 82 et 85 ci-dessus).

101   Il s’ensuit que, si les requérantes dans l’affaire T‑245/03, en tant que fédérations de syndicats agricoles, peuvent certes légitimement jouer un rôle de défense des intérêts de leurs membres, elles ne sauraient, en l’occurrence, se prévaloir de la liberté syndicale pour justifier des actions concrètes contraires à l’article 81, paragraphe 1, CE.

102   Il convient de rejeter également la thèse des requérantes selon laquelle la Commission, en leur imposant, à l’article 2 de la décision attaquée, de s’abstenir à l’avenir de toute entente susceptible d’avoir un objet ou un effet identique ou semblable à l’infraction constatée, a porté préjudice à leur mission, en tant que syndicats professionnels, de mener à terme des actions concertées pour la défense de leurs intérêts collectifs. En obligeant les requérantes à s’abstenir de répéter les comportements incriminés ou d’adopter des mesures similaires, la Commission n’a fait qu’énoncer les conséquences qui découlent, en ce qui concerne leur comportement futur, du constat d’illégalité figurant à l’article 1er de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, T‑45/98 et T‑47/98, Rec. p. II‑3757, point 311). Cette injonction est, par ailleurs, suffisamment précise et se fonde sur les éléments qui ont conduit la Commission à constater l’illégalité des comportements sanctionnés, de sorte qu’il est clair qu’une telle injonction ne porte pas sur l’activité syndicale générale des requérantes.

103   Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter ce grief.

104   Par conséquent, ce moyen est rejeté.

B –  Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et d’erreurs de droit dans l’appréciation de l’étendue et de la durée de l’infraction

105   Les requérantes contestent l’étendue et la durée de l’infraction retenue par la Commission. En premier lieu, elles soutiennent que le volet « Importations » de l’accord du 24 octobre 2001 a pris fin avec la signature du protocole de Rungis le 31 octobre 2001. En second lieu, elles nient que l’accord écrit du 24 octobre 2001 ait été prorogé par un accord oral ayant le même objet.

1.     Questions liminaires

a)     Sur la prise en compte des accords locaux

 Arguments des parties

106   Les requérantes soutiennent que la Commission ne pouvait se fonder sur des accords conclus au niveau local entre des syndicats d’éleveurs et des abatteurs individuels pour déterminer la durée de l’infraction imputée aux fédérations nationales. Elles rappellent que la charge de la preuve de la durée d’un accord pèse sur la Commission et que, dans la mesure où celle-ci a choisi de se fonder sur des preuves documentaires directes pour établir l’infraction et la participation à celle-ci, elle ne peut présumer la continuité de l’adhésion d’une partie à l’accord au-delà de sa dernière participation prouvée à une mesure de mise en œuvre (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, points 4281 à 4283).

107   Les requérantes font remarquer qu’elles ne sont pas signataires des accords locaux en cause, puisque ceux-ci ont été conclus par des entités juridiques distinctes, à savoir les fédérations agricoles départementales, les JA départementaux ou les syndicats locaux. Ces accords locaux, spécialement ceux conclus à partir du 30 novembre 2001, auraient été exclusivement le résultat de l’action de ces derniers et dépendraient de leur capacité à obtenir l’application de prix minimaux auprès de leurs acheteurs. Les requérantes évoquent à cet égard des annotations manuscrites du directeur de la FNB à l’occasion de la réunion du 29 novembre 2001 (« négocier vos grilles régionalement »). Le fait que la grille des prix de référence ait été transmise par la FNB aux fédérations départementales qui la réclamaient ne saurait infirmer cette conclusion, car cette transmission aurait été faite non pas dans le cadre de l’application de l’accord national, mais dans celui des négociations locales menées par ces fédérations. Ainsi, M. E. C., l’un des directeurs de la FNB, aurait adressé, le 11 décembre 2001, cette grille à une fédération départementale, en lui rappelant expressément que cette grille n’avait pas été reconduite par un accord. Les requérantes contestent, enfin, la thèse de la Commission selon laquelle le texte des accords locaux aurait été repris presque littéralement de l’accord national.

108   Les requérantes font encore remarquer que les signataires de ces accords locaux n’ont pas participé à la procédure administrative devant la Commission. Or, les requérantes ne pourraient répondre en leurs lieu et place. Partant, il serait contraire aux droits de la défense et à l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) que ces pièces ne soient pas écartées des débats.

109   La Commission rétorque qu’elle pouvait valablement tenir compte des nombreux accords locaux conclus après la signature de l’accord du 24 octobre 2001 dans son appréciation de la durée de l’infraction. Ces accords locaux auraient été les principales mises en œuvre de l’accord litigieux, particulièrement après l’expiration de l’accord écrit. En outre, tous les documents relatifs à ces accords auraient été saisis auprès des requérantes, ce qui démontrerait le suivi étroit par les fédérations nationales de la mise en œuvre locale de leur accord national.

 Appréciation du Tribunal

110   Les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission ne pouvait prendre en considération, aux fins de déterminer la durée de l’infraction, des accords qui n’ont pas été conclus par elles-mêmes mais par des fédérations départementales ou par des syndicats locaux d’éleveurs, d’un côté, et par des entreprises d’abattage, de l’autre.

111   Cependant, il n’est pas contesté que les fédérations ou syndicats locaux d’éleveurs en cause étaient des membres, directs ou indirects, des requérantes dans l’affaire T‑245/03.

112   Or, il importe de relever que, à la suite de la signature de l’accord du 24 octobre 2001, les fédérations nationales d’éleveurs ont appelé leurs membres à mettre en œuvre, au niveau local, ledit accord. Ainsi, dans un courrier du 25 octobre 2001 des requérantes dans l’affaire T‑245/03 à leurs adhérents, faisant état de la signature de l’accord de la veille, il est indiqué : « Chacun de nous doit désormais être très attentif à une stricte application de cet accord sur l’ensemble du territoire [...] Nous vous invitons, également, à recueillir, dans les meilleurs délais, la signature des entreprises qui n’auraient pas encore signé l’accord. L’engagement des entreprises porte également sur une priorité donnée à l’approvisionnement national. » De même, une lettre des requérantes dans l’affaire T‑245/03 à leurs membres, datée du 13 décembre 2001, contient le passage suivant : « [...] nous demandons à l’ensemble du réseau FNSEA de se mobiliser [...] pour vérifier auprès de chaque abatteur les prix pratiqués afin que nos prix minima d’objectifs à la production soient respectés. Pour cela, nous vous prions de bien vouloir organiser des démarches auprès de chaque abattoir situé dans votre département. » Enfin, un courrier du 8 novembre 2001 des requérantes dans l’affaire T‑245/03 à leurs fédérations membres révèle que ces dernières étaient tenues de communiquer aux fédérations nationales toutes les informations concernant les actions menées, afin de préparer la suite de la stratégie syndicale ; ces informations comprenaient notamment « la liste précise et détaillée des entreprises qui n’[avaient] toujours pas signé la grille ou qui l’[avaient] signé mais ne l’appliqu[ai]ent pas ».

113   Il ressort, donc, du dossier que les requérantes dans l’affaire T‑245/03 ont encouragé leurs membres à mener des actions concrètes auprès des entreprises d’abattage opérant dans leurs territoires respectifs et à participer ainsi à la mise en œuvre de l’accord litigieux. L’action des fédérations départementales et des syndicats locaux, de ce fait, s’inscrivait dans une stratégie commune avec les fédérations nationales, visant à assurer l’efficacité, sur tout le territoire français, des mesures décidées au niveau national. L’un des instruments de cette stratégie était précisément la conclusion d’accords entre les syndicats locaux d’éleveurs et les entreprises d’abattage.

114   Ainsi, dans une télécopie envoyée le 9 novembre 2001 par la Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles (FRSEA) de Basse-Normandie à la FNSEA, qui faisait suite à un questionnaire envoyé par cette dernière le 8 novembre 2001, il est indiqué : « Opérations et stratégies pour application de la grille : [...] Signature formelle d’un contrat d’engagement régional : Respect des conditions et des prix de la grille entre FRSEA [Basse-Normandie] et les abatteurs. Ils se sont tous engagés par écrit et nous ont retourné le document. » De même, dans une télécopie du 19 novembre 2001 de la FDSEA du Finistère à la FNB, l’on peut lire : « En ce qui concerne les opérations menées pour la grille [...] de prix [minimaux], des accords oraux ont été pris avec les abattoirs. L’accord écrit ne nous a pas été encore retourné et nous n’avons pas reçu de plainte d’éleveurs pour non-respect de la grille. » Enfin, dans une télécopie du 13 novembre 2001 de la FDSEA de l’Isère à la FNSEA et à la FNB figure en annexe un modèle type d’accord local ; celui-ci est intitulé « Application de l’accord national sur la grille de prix minim[aux] » et contient des clauses d’engagement de respect de la grille de prix et de suspension provisoire des importations « jusqu’à nouvelle négociation nationale ».

115   Par ailleurs, le fait que ces accords locaux aient été signés par des entreprises d’abattage et non par leurs organisations représentatives au niveau national (dont la FNICGV et la requérante dans l’affaire T‑217/03) ne justifie pas non plus que la prise en compte de ces accords soit écartée en l’occurrence. À cet égard, le Tribunal estime que l’existence d’un accord national conclu entre les représentants des éleveurs et ceux des abatteurs a été un facteur décisif pour vaincre la résistance des entreprises d’abattage à accepter les accords locaux qui leur étaient soumis par les représentants des éleveurs.

116   Enfin, il ressort du dossier que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les accords locaux en cause reprenaient souvent, en substance, le contenu de l’accord national. En fait, lesdits accords locaux n’étaient fréquemment que la transposition littérale de l’accord national (voir, par exemple, l’accord signé le 31 octobre 2001 entre, notamment, la FDSEA de la Loire et des entreprises d’abattage du même département).

117   Eu égard à ce qui précède, le Tribunal estime qu’il ne saurait être considéré que ces accords locaux ont été le fruit d’une négociation indépendante, qui ne serait pas liée à l’application de l’accord national. En effet, les accords conclus au niveau local ont constitué le prolongement et la mise en œuvre de l’accord litigieux.

118   Dès lors, le Tribunal considère que la Commission était en droit de prendre en considération ces accords locaux aux fins d’apprécier l’étendue et la durée de l’infraction imputée aux requérantes.

119   Par ailleurs, il y a lieu de rejeter l’argument des requérantes selon lequel la prise en compte des accords locaux violerait leurs droits de la défense. En effet, il convient de constater que les documents concernant les accords locaux sur lesquels la Commission s’est fondée dans la décision attaquée et qui ont été trouvés lors des inspections réalisées dans les bureaux des requérantes faisaient partie du dossier administratif. Dès lors, les requérantes ont eu la possibilité, pendant la procédure devant la Commission, de formuler des observations à l’égard de ces documents.

b)     Sur l’organisation, la sélection, la citation et l’interprétation des documents du dossier

 Arguments des parties

120   Les requérantes soutiennent que la Commission a procédé, dans la décision attaquée, à une dénaturation des notes manuscrites trouvées dans le bureau du directeur de la FNB, sur lesquelles elle s’est largement fondée pour prouver l’étendue et la durée de l’accord litigieux. Ainsi, elle n’aurait communiqué aux requérantes que les extraits qu’elle aurait elle-même sélectionnés, n’aurait pas classé ces extraits chronologiquement et ne les aurait pas non plus rassemblés, de sorte qu’ils seraient mélangés aux autres pièces du dossier. Ces annotations figureraient en outre sur des pages surchargées, de façon désordonnée et seraient souvent indéchiffrables.

121   Les requérantes contestent par ailleurs l’exactitude ou l’interprétation de toute une série de citations figurant dans la décision attaquée, en considérant qu’elles sont incomplètes, isolées de leur contexte ou erronées, qu’elles contredisent en réalité la thèse de la Commission, qu’elles ne sont pas datées et que les participants aux réunions auxquelles il est fait référence ne peuvent pas être identifiés. Enfin, elles soutiennent que la Commission, en interprétant les documents du dossier, a procédé à un renversement de la charge de la preuve, car elle a présumé la faute des requérantes et a seulement pris en compte les documents à charge et non ceux à décharge.

122   La Commission fait observer qu’elle ne peut pas citer in extenso, dans le texte d’une décision, tous les documents sur lesquels elle s’appuie et fait valoir que le fait de réaliser une sélection n’est critiquable que dans la mesure où celle-ci conduit à une dénaturation des pièces. Elle rejette par ailleurs les autres griefs invoqués par les requérantes.

 Appréciation du Tribunal

123   Les requérantes ne contestent pas qu’elles ont eu accès à tous les documents faisant partie du dossier administratif de la Commission (à la seule exception de deux lettres échangées entre cette dernière et la représentation permanente de la République française auprès de l’Union européenne). En particulier, la Commission a fait remarquer, sans être contredite par les requérantes, que celles-ci ont eu accès à une copie complète des carnets de notes manuscrites en cause du directeur de la FNB. Il s’ensuit que les requérantes ont été en mesure d’identifier et d’invoquer tous les éléments à décharge figurant dans le dossier. En outre, les requérantes n’allèguent pas que la Commission ait écarté du dossier administratif ou n’ait pas versé à celui-ci des documents à décharge identifiés ou fournis par elles.

124   Par ailleurs, il convient d’observer, à l’instar des requérantes, que la Commission, dans la décision attaquée, a souvent fondé ses conclusions sur des extraits des nombreuses notes manuscrites qui ont été trouvées et copiées lors des vérifications effectuées dans les locaux des requérantes. Ces notes ne sont, pour l’essentiel, ni signées ni datées et leur contenu n’est pas toujours très lisible. Il y a toutefois lieu de relever que l’absence de date ou de signature d’un document ou le fait qu’il soit mal écrit n’enlève pas à ce document toute force probante, dès lors que son origine, sa date probable et son contenu peuvent être déterminés avec suffisamment de certitude (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 10 mars 1992, Shell/Commission, T‑11/89, Rec. p. II‑757, point 86).

125   En l’espèce, la Commission a indiqué dans la décision attaquée quand un document n’était pas daté et y a apporté une date approximative en fonction du contenu de celui-ci ou de son contexte. De même, lorsque seules les initiales des participants à des réunions étaient mentionnées, la Commission a généralement déduit, en fonction du contexte, qui étaient les personnes ainsi désignées. Enfin, s’agissant des critiques des requérantes à l’égard de l’organisation et de la classification de ces notes manuscrites, la Commission a expliqué que les documents du dossier ont été classés chronologiquement en fonction de la date de leur émission ou de leur découverte, s’agissant des documents résultant de l’inspection, les documents ayant dans ce dernier cas été numérotés en suivant l’ordre des relevés établis.

126   S’agissant des griefs des requérantes relatifs, en particulier, à l’utilisation et à l’interprétation, dans la décision attaquée, de moyens de preuve déterminés, ils seront examinés par la suite, dans la mesure où ils sont susceptibles de mettre en cause les conclusions de la Commission concernant l’étendue et la durée de l’infraction.

2.     En ce qui concerne l’imputation aux requérantes d’un accord relatif aux importations

a)     Arguments des parties

127   Les requérantes font valoir que la signature du protocole de Rungis le 31 octobre 2001 a conduit à ce que le volet de l’accord national portant sur la suspension des importations – qui avait pris effet le 29 octobre 2001 – prenne fin seulement deux jours plus tard, le 31 octobre 2001. Le volet « Importations » de l’accord n’aurait donc pas eu le temps d’exister et ne pourrait, dès lors, leur être imputé.

128   Les requérantes soutiennent que la Commission a dénaturé les faits de l’espèce et a commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant que ledit protocole de Rungis comportait un accord visant à limiter le volume des importations. L’engagement des importateurs et exportateurs, figurant dans celui-ci, de faire preuve de « solidarité » ne viserait pas les importations et ne serait que la réaffirmation de la part de la FNICGV, à la demande des fédérations d’éleveurs, de sa poursuite de l’approvisionnement aux conditions prévues dans la grille de prix. La requérante dans l’affaire T‑217/03 fait remarquer, en outre, que, puisqu’elle n’était pas signataire du protocole de Rungis, elle n’était pas concernée, en tout état de cause, par cet engagement de « solidarité ». Enfin, les déclarations du président de la FNICGV, le jour de la signature du protocole, confirmeraient que le volet « Importations » avait été abandonné.

129   De même, les requérantes soutiennent que la Commission, en affirmant qu’il existe un lien nécessaire entre la grille de prix et la suspension des importations, procède à une confusion entre ce qu’auraient voulu les producteurs et ce qu’aurait été la réalité des faits après le protocole de Rungis. Les requérantes rappellent également la position très critique, dès le début, des abatteurs-importateurs et des grossistes-importateurs adhérents de la FNICGV envers le volet « Importations » de l’accord du 24 octobre 2001 et prétendent que l’acceptation de ce volet par cette fédération n’a été qu’un geste symbolique et qu’elle ne pouvait être maintenue.

130   De plus, les requérantes reprochent à la Commission de n’avoir pas pris en considération des documents qui démontreraient que l’accord sur les importations n’existait plus. Elles se réfèrent, en premier lieu, à un courrier du 8 novembre 2001 des fédérations nationales d’éleveurs à leurs membres, dont il ressortirait que l’application de l’accord du 24 octobre 2001 portait exclusivement sur l’application de la grille de prix minimaux, puisque aucune allusion n’était faite à une quelconque restriction des importations. Les requérantes mentionnent, en second lieu, une note manuscrite du 14 novembre 2001, indiquant : « accord restreint : aujourd’hui continuité des import[ation]s ; pas de [mesures] de rétorsion ».

131   Les requérantes font en outre remarquer que la Commission a seulement identifié un accord local, conclu après la signature du protocole de Rungis et comportant une clause de suspension des importations, à savoir celui établi dans le département de l’Isère. Les documents émanant de la FRSEA de Basse-Normandie du 9 novembre 2001 et de la FDSEA du Finistère du 19 novembre 2001 ne seraient que des comptes rendus qui ne démontreraient pas que les accords locaux concernés avaient comporté un engagement de suspension des importations. Les autres accords locaux cités par la Commission ne seraient pas postérieurs au protocole de Rungis. Ainsi, l’accord passé dans la Loire daterait du 31 octobre 2001.

132   Enfin, les requérantes font valoir que l’analyse des courbes des volumes des échanges confirme que la suspension des importations ne s’est pas prolongée au-delà du 31 octobre 2001. Elles expliquent que les prétendues baisses de volumes de viande bovine importés en novembre et en décembre 2001 s’expliquent par la constante variation des volumes mensuels d’importation, aucun lien de causalité ne pouvant être établi entre cette réduction ponctuelle et l’existence d’un prétendu accord.

133   La Commission soutient que le volet « Importations » de l’accord du 24 octobre 2001 n’a pas été abrogé après le 31 octobre 2001 par le protocole de Rungis. Elle fait valoir que ce protocole visait à assouplir le trop strict engagement de suspension totale des importations, mais, en faisant référence à la « solidarité », conduisait à limiter les importations à des meilleurs prix. Selon elle, les requérantes n’expliquent pas comment un accord de prix minimal pourrait prospérer si, simultanément, des importations à meilleur marché continuaient à avoir lieu. Enfin, plusieurs accords locaux conclus le jour du protocole de Rungis ou après celui-ci, en application de l’accord national, comporteraient toujours un engagement de suspension des importations.

b)     Appréciation du Tribunal

134   À titre liminaire, il y a lieu de rejeter la thèse des requérantes selon laquelle, dans l’hypothèse où le volet « Importations » aurait été supprimé à la suite du protocole de Rungis, ledit volet ne pourrait leur être imputé. En effet, la circonstance qu’une infraction ait été d’une durée très courte ne saurait remettre en cause l’existence d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE.

135   Par ailleurs, le Tribunal considère qu’un accord de fixation des prix minimaux nécessitait, pour être effectif, des mesures de contrôle ou de limitation des importations. En l’espèce, la viande bovine provenant d’autres États membres, dont notamment l’Allemagne et les Pays-Bas, étant moins chère que celle produite en France et, compte tenu de l’existence d’une offre excédentaire, l’efficacité d’une grille de prix dépendait nécessairement de l’approvisionnement des entreprises d’abattage établies en France auprès des éleveurs français. Si ce n’était pas le cas, non seulement cette grille de prix n’aurait pas été de nature à remédier à la crise subie par les éleveurs français, mais elle n’aurait pu que l’aggraver, dans la mesure où les abatteurs se seraient tournés vers les produits provenant d’autres États membres, voire de pays tiers.

136   En tout état de cause, le Tribunal considère, contrairement à ce que les requérantes prétendent, que le protocole de Rungis du 31 octobre 2001 n’a pas complètement éliminé les mesures de suspension des importations contenues dans l’accord du 24 octobre 2001, même si, comme la Commission l’a reconnu dans la décision attaquée, il les a limitées.

137   En effet, il y a lieu de rejeter d’emblée la thèse des requérantes selon laquelle ce protocole ne visait pas les importations mais la grille de prix. En effet, le protocole de Rungis est intitulé « Réunion ‘Viande d’importation’ ». Il y est indiqué que « [l]es entreprises françaises spécialisées dans le secteur import-export se sont réunies avec les fédérations des producteurs [...] signataires de l’accord national interprofessionnel du 24 octobre 2001 ». Les références contenues dans le protocole sont faites aux importateurs-exportateurs, le texte ne comportant, en revanche, aucune allusion à la grille de prix. Il s’ensuit que le protocole de Rungis visait le volet « Importations » de l’accord litigieux. Le message du 31 octobre 2001 du président de la FNICGV à ses adhérents confirme cette conclusion (voir point 140 ci-après).

138   Or, il y a lieu de constater que le protocole de Rungis, après quelques considérations de nature introductive, contient notamment l’extrait suivant :

« Dans la situation de crise sans précédent que vivent les producteurs, les représentants des éleveurs demandent fermement aux importateurs-exportateurs de prendre conscience de la gravité de la crise.

En réponse les importateurs-exportateurs s’engagent à faire preuve de solidarité. »

139   Étant donné les circonstances de l’espèce, dont notamment la nécessité de contrôler les importations afin d’assurer l’efficacité de la grille de prix, laquelle restait pleinement en vigueur, le Tribunal considère que cet engagement de « solidarité » accepté par les importateurs-exportateurs doit être compris, ainsi que la Commission l’a analysé dans la décision attaquée, comme une acceptation de la part de ceux-ci de limiter les importations de viande bovine, en faveur de la production des éleveurs français.

140   Cette conclusion ne saurait être infirmée par le message du 31 octobre 2001 du président de la FNICGV à ses adhérents, précité, dans lequel il est écrit : « Nous avons trouvé un compromis […] permettant aux importateurs de maintenir leur activité et assurer au mieux la libre circulation des produits travaillés et commercialisés par nos entreprises. » En effet, face aux termes clairs de l’accord du 24 octobre 2001 (à savoir l’« [e]ngagement de suspension provisoire des importations »), que le président de la FNICGV rappelle d’ailleurs dans son message, ce passage reste ambigu. Ainsi, le président de la FNICGV fait état d’un « compromis » et se réfère non à la réalisation totale de la libre circulation des produits en cause, mais à sa réalisation « au mieux ».

141   Eu égard à ce qui précède, le Tribunal considère que le protocole de Rungis n’a pas complètement supprimé le volet « Importations » de l’accord litigieux.

142   Cette conclusion n’est pas contredite par les deux documents invoqués par les requérantes afin de démontrer que le volet « Importations » n’était plus en vigueur en novembre 2001.

143   Ainsi, s’agissant du courrier du 8 novembre 2001 des requérantes dans l’affaire T‑245/03 à leurs membres, il avait pour objet « [d]eux semaines après la signature et une semaine après la mise en place de la grille de prix minim[aux], [… de] faire le point sur l’application et le respect de cet accord dans les départements ». Comme les requérantes le relèvent, ladite note ne fait référence qu’aux mesures relatives à l’application de la grille de prix. Cependant, le seul fait que ce courrier ne fasse pas allusion au volet « Importations » ne saurait suffire, à lui seul, à démontrer que celui-ci avait été abandonné.

144   En ce qui concerne les notes manuscrites du 14 novembre 2001, émanant d’un chef de service de la FNSEA, il est effectivement indiqué « accord restreint : aujourd’hui continuité des import[ation]s ; pas de [mesures] de rétorsion ». Il convient toutefois d’observer que, ainsi que la Commission le relève, il ressort de leur contexte que la partie pertinente de ces notes fait référence à la définition de la stratégie des requérantes dans l’affaire T‑245/03, afin de préparer leur réponse à la demande de renseignements de la Commission du 9 novembre 2001 (voir point 13 ci-dessus). Il s’agit, partant, de documents qui ne contiennent que la position que les requérantes voulaient faire connaître à la Commission. En effet, il y a plusieurs références dans le texte de ces notes manuscrites à « Bruxelles », à « BXL ». Ainsi, l’on peut lire : « DG Concurrence → Un texte FNSEA pour la fin de la matinée » et, ensuite, « Réponse concertée sinon commune ». Certains de ces passages manuscrits confirment que l’extrait invoqué par les requérantes faisait partie des observations à inclure dans la réponse à envoyer à la Commission. Il importe de citer, par exemple, les suivants, qui se situent à proximité dudit extrait dans le document concerné : « Axes de défense » ou « défense des producteurs ». Par conséquent, il y a lieu de conclure que les extraits invoqués par les requérantes manquent de l’objectivité et de la fiabilité nécessaires pour leur reconnaître une force probante.

145   Par ailleurs, il convient également de relever que plusieurs accords locaux comportant des clauses de suspension des importations ont été conclus le jour même de la signature du protocole de Rungis ou postérieurement à celui-ci. Ainsi, une note de la FDSEA de la Loire du 31 octobre 2001 fait état de la conclusion, à cette date, d’un accord entre la FDSEA, le centre départemental des JA et « la filière viande départementale ». Dans cette note il est indiqué que « l’ensemble des entreprises convoquées [...] ont signé l’accord et se sont engagée[s] à l’appliquer ». Or, l’accord qui figure en annexe reproduit presque littéralement l’accord du 24 octobre 2001 et comprend un « [e]ngagement de suspension temporaire des importations ». De même, il ressort du dossier que, dans le département de l’Isère, ont été conclus, en novembre 2001, au moins trois accords locaux avec des abatteurs, en application de l’accord national et comportant une obligation de suspension provisoire des importations « jusqu’à nouvelle négociation nationale » : ainsi, avant le 13 novembre 2001 avec la société Provi, le 13 novembre avec le groupe Bigard et le 15 novembre avec les sociétés Carrel et Isère Viandes et salaisons.

146   Il convient de rejeter, en outre, les critiques des requérantes à l’encontre de l’utilisation, dans la décision attaquée, des documents émanant de la FRSEA de Basse-Normandie du 9 novembre 2001 et de la FDSEA du Finistère du 19 novembre 2001, fondées sur le fait que ces documents ne seraient que des comptes rendus qui ne démontreraient pas que les accords locaux concernés avaient comporté un engagement de suspension des importations. En effet, il importe de relever, premièrement, que le document du 19 novembre 2001 n’a pas été cité par la Commission pour démontrer l’existence du volet « Importations » mais comme exemple de l’application locale de la grille de prix (voir considérant 86 de la décision attaquée et point 114 ci-dessus). Deuxièmement, en ce qui concerne le document du 9 novembre 2001, il suffit de constater que la Commission ne s’en est servie que pour illustrer l’existence de contrôles locaux de l’origine des viandes (voir considérant 80 de la décision attaquée). Le document en cause contient effectivement l’extrait suivant : « l’Orne et le Calvados font des contrôles des camions de viande d’import[ation] : rien à signaler. »

147   Il convient également de rejeter les arguments que les requérantes fondent sur l’analyse statistique des volumes d’importation en France de viande bovine. En effet, il importe de relever que, si la Commission a certes constaté, dans la décision attaquée, que les statistiques disponibles faisaient apparaître un fléchissement sensible des importations en novembre 2001 par rapport à octobre 2001 et en décembre 2001 par rapport à novembre 2001 et que les niveaux d’importations s’étaient redressés nettement en janvier 2002 (considérant 78 de la décision attaquée), il n’en reste pas moins qu’elle a conclu que cette diminution des importations ne pouvait être attribuée avec certitude à l’accord (considérant 167 de la décision attaquée). La Commission ne s’étant pas fondée sur ces données statistiques pour prouver la durée du volet « Importations », les arguments des requérantes contestant l’interprétation de ces chiffres ne sont pas pertinents. Le Tribunal estime, en tout état de cause, que les statistiques avancées par les requérantes ne permettent pas de conclure que l’accord sur les importations n’existait pas au-delà du 31 octobre 2001.

148   Par ailleurs, s’agissant de l’argument de la requérante dans l’affaire T‑217/03 selon lequel elle n’était pas concernée par l’engagement de solidarité établi par le protocole de Rungis, car elle n’en était pas signataire, il suffit de constater que ce protocole ne contenait pas de nouvel accord et ne faisait qu’atténuer la clause originale de suspension des importations contenue dans l’accord du 24 octobre 2001, dont la requérante dans l’affaire T‑217/03 était signataire. Au surplus, il importe de relever que, à la demande du Tribunal, la requérante dans l’affaire T‑217/03 a reconnu que, ni lors de la signature du protocole de Rungis ni par la suite, elle n’a informé ses membres de la prétendue suppression des restrictions aux importations de viande bovine. Elle s’est justifiée en faisant valoir que ses membres n’étaient pas concernés par les mesures sur les importations. Cependant, il convient de rappeler qu’au moins certains de ses membres importaient des bovins en France, quand bien même ces quantités étaient relativement petites par rapport aux importations globales (voir point 66 ci-dessus).

149   Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que, malgré le protocole de Rungis, le volet « Importations » de l’accord du 24 octobre 2001 n’a pas été complètement abandonné à partir du 31 octobre 2001.

3.     En ce qui concerne l’imputation aux requérantes d’un accord oral secret postérieur à la fin du mois de novembre 2001

a)     Arguments des parties

150   Les requérantes soutiennent que c’est à tort que la Commission a conclu que l’accord du 24 octobre 2001 avait été prorogé verbalement et en secret par les parties au-delà du 30 novembre 2001.

151   Elles rappellent que la prorogation d’un accord ne peut résulter que d’éléments démontrant l’expression du consentement de l’ensemble des parties. Partant, la Commission devrait prouver, en l’espèce, la concordance des volontés des fédérations de producteurs et des fédérations d’abatteurs en faveur de la poursuite de l’accord. Or, les représentants des abatteurs, soit la FNICGV et la requérante dans l’affaire T‑217/03, auraient eu toutes les raisons de ne pas le reconduire au-delà de la fin de novembre 2001, après que la Commission leur a fait savoir qu’elle considérait que cet accord violait l’article 81 CE. Ainsi, la FNICGV aurait informé ses adhérents, le 30 novembre 2001, de la non-reconduction de l’accord.

152   Les requérantes font en outre remarquer que le fait que le renouvellement de l’accord ait été envisagé ou discuté n’est pas suffisant pour démontrer qu’il a été effectivement prorogé. Elles font aussi valoir que la Commission ne pouvait pas se fonder exclusivement sur des éléments issus des déclarations unilatérales des seules fédérations d’éleveurs, qui ne contenaient que des revendications syndicales. La Commission supportant la charge de la preuve, elle était tenue, selon les requérantes, de produire des pièces provenant des abatteurs confirmant leur adhésion au maintien de la grille au plan national postérieurement au 30 novembre 2001.

153   Les requérantes contestent les conclusions que la Commission tire des notes manuscrites du directeur de la FNB concernant les réunions des 29 novembre et 5 décembre 2001. Selon elles, il ressort de ces documents que, lors desdites réunions, les représentants des éleveurs ont fait savoir que, à partir du mois de décembre 2001, c’est par l’action syndicale qu’ils tenteraient désormais d’obtenir des abatteurs, sur le terrain, l’application des prix prévus dans la grille. Les requérantes contestent également la thèse de la Commission selon laquelle cette prétendue poursuite secrète de l’accord porterait également sur les importations, en relevant qu’aucun des éléments cités par la Commission concernant les deux réunions des 29 novembre et 5 décembre 2001 ne ferait la moindre référence aux importations.

154   De plus, les requérantes indiquent que la Commission tente de justifier l’existence de l’accord oral par le caractère secret de celui-ci. Or, si le terme « secret » était évoqué dans le cahier du représentant de la FNB, cette mention serait toutefois contredite dans la pratique par la publicité faite par les fédérations d’éleveurs à leurs revendications syndicales. Les requérantes font remarquer qu’un accord secret n’avait aucun intérêt dans le présent contexte, puisque les présidents des fédérations signataires n’auraient pas pu le communiquer à l’ensemble de leurs adhérents.

155   S’agissant des prétendus accords locaux postérieurs au 30 novembre 2001, la Commission n’en aurait identifié qu’un seul, à savoir celui conclu le 18 décembre 2001 entre la FDSEA, les JA du département de la Sarthe et le groupe Socopa. Ce serait sur cet unique accord que la Commission aurait fondé sa conclusion suivant laquelle l’infraction se serait prolongée au-delà du 30 novembre 2001. Les requérantes affirment, en outre, que la Commission ne disposait pas du texte de cet accord, les documents y faisant référence ne mentionnant qu’un accord sur la grille de prix, différant de la sorte de l’accord national du 24 octobre 2001. Par ailleurs, les prétendus « accords reconduits » identifiés par la Commission ne comporteraient pas d’indication de la date, des signataires ou de la région concernée.

156   En outre, la requérante dans l’affaire T‑217/03 soutient que, la Commission n’ayant produit aucun écrit des abatteurs ou impliquant les abatteurs, elle aurait dû établir la mise en œuvre de l’accord litigieux postérieurement au 30 novembre 2001 en se fondant sur des relevés de prix sur le marché démontrant le maintien de la grille. Or, si la Commission avait essayé de démontrer l’existence de l’accord du 24 octobre 2001 par des relevés de prix au niveau national correspondant aux trois premières semaines d’application dudit accord, elle n’aurait communiqué aucun élément chiffré sur la prétendue poursuite dudit accord.

157   Enfin, les requérantes font remarquer que la Commission, par lettre du 26 novembre 2001, les avait informées que seule la prorogation de l’accord écrit du 24 octobre 2001 était susceptible de donner lieu à des sanctions. Elles concluent que, en les sanctionnant sans avoir démontré l’existence de l’accord oral qui aurait prétendument reconduit ledit accord écrit, la Commission non seulement aurait commis une erreur manifeste d’appréciation et une erreur de droit mais n’aurait pas respecté ses engagements envers elles, ce qui constituerait une violation du principe de confiance légitime.

158   La Commission fait valoir qu’un accord au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE n’est soumis à aucune exigence de forme, un accord non écrit pouvant parfaitement constituer une entente interdite. Elle fait observer que, pendant la seconde quinzaine du mois de novembre 2001, les requérantes envisageaient encore la reconduction écrite de l’accord et maintient que, après l’abandon de la possibilité d’une reconduction écrite, les parties sont convenues de la reconduction secrète de l’accord au cours de deux réunions, les 29 novembre et 5 décembre 2001. La Commission relève, en outre, que de nombreux documents démontrent la poursuite de l’accord après le 30 novembre 2001 et soutient qu’il n’était dès lors pas nécessaire d’apporter également la preuve qu’il a produit des effets. Elle conteste, enfin, l’interprétation faite par les requérantes de son courrier du 26 novembre 2001 et prétend que, en tout état de cause, l’accord ayant été renouvelé, cette question serait dépourvue de pertinence .

b)     Appréciation du Tribunal

159   Il y a lieu de rappeler que l’accord du 24 octobre 2001 prévoyait comme date d’expiration la fin de novembre 2001. Il ressort toutefois de la décision attaquée que le 19 novembre 2001, soit quelques jours après la réception de la demande de renseignements de la Commission, le président de la FNICGV a informé le président de la FNSEA qu’il se voyait « obligé d’anticiper à ce jour la date finale d’application de l’accord » (considérant 54 de la décision attaquée). Cependant, il ne ressort pas du dossier que les autres parties signataires aient effectivement avancé la date de la fin de validité de l’accord. Par ailleurs, les requérantes ne contestent pas que l’accord du 24 octobre 2001 ait expiré le 30 novembre 2001, mais le fait que cet accord ait été renouvelé, de façon orale et en secret, au-delà de cette dernière date. Il y a donc lieu de circonscrire l’examen du Tribunal à cette dernière question.

160   À cet égard, il y a lieu d’observer, ainsi que la Commission l’a confirmé lors de l’audience, que la décision attaquée caractérise l’infraction en cause comme un accord conclu entre, d’une part, des fédérations représentant des éleveurs, et, d’autre part, des fédérations représentant des abatteurs. Par conséquent, comme les requérantes le soutiennent, pour prouver l’existence du prétendu accord oral qui aurait prolongé ou renouvelé l’accord du 24 octobre 2001, la Commission devait démontrer l’adhésion à celui-ci tant des représentants des éleveurs que de ceux des abatteurs.

161   En revanche, il y a lieu de rejeter l’argumentation des requérantes selon laquelle la Commission ne pouvait se fonder uniquement sur des moyens de preuve issus des représentants des éleveurs et se devait de produire aussi des pièces provenant des abatteurs. En effet, la Commission n’était pas obligée de produire des preuves provenant directement des représentants des abatteurs, si d’autres pièces du dossier étayaient à suffisance la participation de ceux-ci à l’accord (voir, en ce sens, arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, point 512).

162   Or, il convient d’observer que, aux fins de prouver la prorogation de l’accord du 24 octobre 2001 au-delà de la fin de novembre 2001, la Commission s’est appuyée, dans la décision attaquée, sur un faisceau d’éléments : premièrement, des documents indiquant que le renouvellement de l’accord était prévu, y compris à une date postérieure à sa prétendue dénonciation par la FNICGV, le 19 novembre 2001 (considérants 46 à 53 de la décision attaquée) ; deuxièmement, des documents faisant état d’un accord de toutes les parties, assorti d’un engagement de ne pas le dévoiler, au cours de deux réunions ayant eu lieu les 29 novembre et 5 décembre 2001 (considérants 57 à 70 de la décision attaquée) ; troisièmement, des éléments traduisant la mise en œuvre de l’accord après la fin de novembre 2001 (considérants 78 à 95 de la décision attaquée).

163   Il convient donc d’examiner, par la suite, ces moyens de preuve retenus par la Commission, à la lumière des griefs invoqués par les requérantes à leur égard.

 Sur la préparation de la reconduction de l’accord

164   Dans la décision attaquée, la Commission fait observer que, pendant la seconde quinzaine du mois de novembre 2001, les parties envisageaient la reconduction écrite de l’accord litigieux (considérants 48 à 53 de la décision attaquée). La Commission s’est notamment fondée sur des notes manuscrites du directeur de la FNB et sur un courriel du 28 novembre 2001 adressé par un représentant de la FRSEA de Bretagne à la FNB.

165   Premièrement, il importe de relever que lesdites notes manuscrites font état d’une réunion de travail tenue, selon la Commission, entre le 22 et le 27 novembre 2001 et à laquelle aurait assisté le président de la FNICGV, M. L. S.. Il ressort de ces notes que l’avenir de l’« Accord de filière » après la fin de novembre 2001 a été discuté, tant en ce qui concerne le volet « Prix » qu’en ce qui concerne le volet « Importations ». Lors de ces discussions, la FNICGV aurait refusé de « poursuivre avec [l’]accord écrit ». Les notes envisagent également de « reprendre la légalité ». La possibilité d’« évoluer sur l’accord » aurait toutefois été examinée.

166   Deuxièmement, il convient d’observer que dans le courriel du 28 novembre 2001, précité, il est écrit : « Poursuite de la grille dans les semaines à venir : tous les abatteurs rencontrés se sont déclarés prêts à maintenir la grille dans la mesure où tous les opérateurs s’engageaient en même temps. » Ce passage ne révèle toutefois que la disposition de certains abatteurs à maintenir les mesures sur les prix, si un accord était conclu dans ce sens.

167   Il y a donc lieu de conclure que, si la Commission était certes en droit d’utiliser ces documents pour montrer que les requérantes avaient envisagé et discuté la prorogation de l’accord écrit du 24 octobre 2001, lesdits documents ne prouvent pas, à eux seuls, que cette reconduction ait effectivement eu lieu.

 Sur la reconduction de l’accord lors des réunions des 29 novembre et 5 décembre 2001

168   La Commission soutient que, après l’abandon de l’idée de la reconduction écrite, les parties sont convenues de la reconduction secrète de l’accord au cours de deux réunions tenues les 29 novembre et 5 décembre 2001.

–       Réunion du 29 novembre 2001

169   En ce qui concerne la réunion du 29 novembre 2001, la Commission, dans la décision attaquée (considérants 57 à 60), commence par examiner les notes manuscrites du directeur de la FNB. Ces notes font référence explicitement à la « Réunion Jeudi 29 nov. ». Ainsi qu’il ressort de son intitulé, la première partie de ces notes est consacrée à la préparation de la réponse des requérantes à la demande de renseignements de la Commission du 9 novembre 2001. L’on peut notamment lire dans cette partie : « Les import[ation]s ont continué[.] Pas respect total de l’accord de prix[.] L’accord, les difficultés → négocier vos grilles régionalement », et surtout « OK, on admet non-reconduction de l’accord ». De même, dans un encadré en haut à droite il est écrit : « Info extérieure ? + plus d’accord ? … + accord sur le prix ». Eu égard à leur contexte, le Tribunal estime que ces passages ne sont illustratifs que de la définition de la position que les requérantes entendaient défendre auprès de la Commission. Par conséquent, contrairement à ce que les requérantes font valoir, ces extraits ne prouvent pas qu’il ait été décidé de mettre fin à l’application des mesures litigieuses.

170   Ainsi, l’on peut lire par la suite : « Ne peut être reconduit en l’état [compte] tenu caract[ère] répréhensible[.] Que la pression continue pour appliquer les prix d’intervention (en fait c’est appliquer la grille)[.] Sans communiquer comme des fous. » Il ressort de ce passage que les fédérations d’éleveurs entendaient continuer à exiger l’application des prix minimaux, mais cette fois, formellement, en tant que revendication syndicale. En effet, il est écrit : « Parler de prix indicateur Grilles régionales ? ». De même, les notes contiennent l’extrait suivant : « faire courrier à FNICGV − FNCBV [.] FNB[:] on prend acte COM[,] pas d’accord à venir mais on continue nos objectifs syndicaux ». Enfin, l’on peut lire également : « COMM. Presse[.] Grille = anti-Cee donc on arrête mais on agit pour préconisations de prix[,] nous éleveurs[,] objectifs syndicaux ».

171   En outre, ces notes manuscrites contiennent des passages dont il ressort, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, que cette stratégie visant à continuer à faire respecter les prix minimaux a reçu l’accord des représentants des abatteurs. En effet, plusieurs références sont faites à « LS », que la Commission, sans être contredite par les requérantes, identifie comme faisant allusion au président de la FNICGV. Ainsi :

–       « Accord signé : on ne pourra pas le continuer (LS)[.] LS = OK pour respect d’un prix fixé pour le retrait ». Juste au bas de ces mentions figure une liste de prix pour certaines catégories de viande bovine encerclés de l’indication « OK accord » ;

–       « ‘Prix indicatif’, ‘prix d’objectif’, ‘prix objectif’[,] ‘prix rémunérateur’, ‘prix objectif éleveur’, ‘objectif éleveur’ LS = je n’écrirai rien / tel ».

172   De même, ces extraits se réfèrent à plusieurs reprises aux initiales « FT », qui semblent viser le président de la requérante dans l’affaire T‑217/03.

173   Enfin, il convient de constater que, à la dernière page de ce document (« Synthèse »), il est écrit : « Bon bilan, unanime[.] ‘accord’ pour respect des ‘prix objectif éleveur (oral/tel) ».

174   Eu égard à tout ce qui précède, le Tribunal estime, contrairement à ce que les requérantes prétendent, que les notes manuscrites concernant la réunion du 29 novembre 2001 peuvent être interprétées dans le sens que les représentants des abatteurs ont donné leur accord à la prorogation de l’application des mesures litigieuses. Il y a donc lieu de rejeter la thèse selon laquelle ces documents ne montreraient que la volonté des fédérations d’éleveurs de poursuivre l’application de ces mesures dans le seul cadre de leur action syndicale, en l’absence et en dehors d’un accord avec les abatteurs. Cette thèse, en effet, est contredite par le contenu desdites notes elles-mêmes.

175   Par ailleurs, ainsi que la décision attaquée le relève (voir considérant 63), plusieurs autres documents confirment que les requérantes se sont accordées oralement, lors de cette réunion du 29 novembre 2001, sur la poursuite de l’accord litigieux.

176   Premièrement, dans un entretien du 4 décembre 2001 du vice-président de la FNB, M. G. H., avec la Vendée agricole, disponible sur le site Internet de la FNSEA, celui-ci a déclaré : « La semaine dernière, nous avons insisté sur l’intérêt de cette grille pour stopper la spirale des prix à la baisse. Les entreprises reconnaissent son impact, mais veulent en même temps se conformer aux recommandations de Bruxelles. Désormais, nous ne parlerons plus d’accord interprofessionnel sur une grille mais d’objectif en termes de prix planchers. Nous revendiquons toujours la notion de grille syndicale ! » Le vice-président de la FNB ajoutait : « Il n’y a pas d’écrit sur ce ‘nouvel’ accord. Seulement des paroles. Mais d’une portée excessivement importante. Les représentants des entreprises au niveau national ont également communiqué oral[ement] le contenu de nos discussions. » Enfin, en référence à plusieurs abattoirs vendéens, il est indiqué : « Nous les interpellons pour savoir s’ils ont bien reçu les consignes [sur les prix discutés la semaine précédente] de leurs structures nationales identiques aux nôtres. »

177   Deuxièmement, la décision attaquée fait état, au considérant 64, d’une note d’actualité de la fédération vendéenne du 5 décembre 2001. Cette note indique : « [L]’accord verbal entériné en fin de semaine dernière par la filière bovine tarde à trouver une application concrète sur le terrain […] Toute la filière devait communiquer sur cette ‘entente’ en début de semaine. » Après avoir évoqué les discussions entre des manifestants et un abatteur, le document précise : « [L]es responsables de l’abattoir se sont entretenus avec [le président de la FNICGV]. Ce dernier a confirmé les discussions de la semaine dernière ».

–       Réunion du 5 décembre 2001

178   Concernant la réunion du 5 décembre 2001, tenue à l’occasion de la journée nationale de la viande bovine, il convient d’examiner d’abord, ainsi que le fait la décision attaquée au considérant 66, un courriel du 6 décembre 2001 adressé par un représentant de la FRSEA de Bretagne aux présidents des FDSEA de sa région. Ce courriel, qui fait référence à « la réunion d’hier », indique ce qui suit :

« Sur [l’]aspect des prix mini, les présidents nationaux de la FNICGV et de la FNCBV se sont déclarés conscients de la nécessité de maintenir des prix de marché et de la faire partager à leurs adhérents. Néanmoins nous n’aurons aucun accord écrit sur ce point et le maintien des prix dépendra de notre capacité à entretenir suffisamment de pression dans la filière. Aussi je vous propose dès cette fin de semaine de prendre contact [...] avec les abatteurs de votre département afin de s’assurer de leur engagement à maintenir des prix sur la base préexistante et actualisée et les alerter de l’action syndicale que nous pourrons mettre en œuvre dès la semaine prochaine en cas de manquement à cet engagement. »

179   Ensuite, la décision attaquée prend en considération, au considérant 67, une note d’information de la FNPL, envoyée par télécopie le 10 décembre 2001 et faisant elle aussi référence à la journée nationale de la viande bovine, laquelle aurait « entériné la poursuite de la grille ». Dans cette note, il est signalé que « les représentants des abatteurs ([FT et LS]) actent la reconduction de la grille non écrite ».

180   Enfin, la décision attaquée fait référence, aux considérants 68 et 69, à d’autres passages des notes manuscrites du directeur de la FNB, intitulés « Journée Viande bovine – 5 décembre 2001 ». Ces notes contiennent les extraits suivants : « ne disons plus ‘contre les import[ation]s’, allons en RHD [restauration hors domicile] », « [u]ne erreur = avoir écrit la suspension des import[ation]s mais on s’est fait cogner par Bruxelles et autres du COPA. Sans l’écrire, continuons sur des ‘prix d’objectif’ ou des prix en dessous desquels on ne veut pas que les prix [baissent] ». De même, juste après des observations attribuées aux présidents de la requérante dans l’affaire T‑217/03 et de la FNICGV, il est écrit : « on peut plus écrire mais continuer. » Le président de la FNICGV aurait en outre indiqué : « nous maintiendrons [notre engagement] sur PAS [prix d’achat spécial] » et « message passé à nos entreprises [...] d’[une] façon informelle, la grille va se poursuivre ». Enfin, le président de la requérante dans l’affaire T‑217/03 aurait indiqué à cet égard : « Oui OK mais il faut application par tous. » S’agissant de cette dernière mention, contrairement à ce que prétend la requérante dans l’affaire T‑217/03, la référence à une « application par tous » ne rendrait pas impossible l’application de la grille ni ne priverait de valeur probante la déclaration en cause.

 Sur la mise en œuvre de l’accord après la fin du mois de novembre 2001

181   En outre, la décision attaquée contient des références à plusieurs actions menées au niveau local qui confirment la poursuite de la mise en œuvre de l’accord au-delà du 30 novembre 2001 (considérants 92 à 94 de la décision attaquée).

182   En particulier, une note de la FDSEA de Vendée du 18 décembre 2001 relève qu’un abatteur (le groupe Socopa), après un blocage de ses installations, a accepté d’appliquer la grille de prix minimaux pour les bovins femelles jusqu’au 11 janvier 2002.

183   De même, le dossier comprend deux exemplaires d’un document intitulé « Accord du 25 octobre 2001 (reconduit) », où figure la mention suivante : « Signé et entendu applicable par la FNSEA, la FNB, la FNICGV et la FNCBV/SICA ». Ainsi que les requérantes le relèvent, ces documents ne sont pas datés. La Commission les a toutefois identifiés, au considérant 94 de la décision attaquée, comme s’agissant, respectivement, d’une télécopie de la « FDSEA 79 » du 13 décembre 2001 et d’un document adressé le même jour par la FDSEA des Deux-Sèvres à un abatteur.

184   Enfin, une télécopie adressée par un représentant de la FDSEA du Maine-et-Loire au directeur de la FNB le 11 décembre 2001 et intitulée « Contrôles dans les abattoirs du Maine-et-Loire » indique : « pas d’anomalie relevée – grille appliquée – pas d’importation ».

 Conclusions

185   Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission a prouvé à suffisance de droit, dans la décision attaquée, que les requérantes ont poursuivi l’application de l’accord litigieux, de façon orale et en secret, au-delà de la fin du mois de novembre 2001, et ce en dépit des lettres de la Commission du 26 novembre 2001 leur signalant que cet accord traduisait l’existence d’une infraction aux règles communautaires de la concurrence.

186   Cette conclusion ne saurait être infirmée par les arguments des requérantes selon lesquels une poursuite en secret de l’accord enlèverait toute efficacité à celui-ci. Il importe de constater que le dossier contient effectivement plusieurs références à la volonté des requérantes de ne pas dévoiler publiquement l’existence d’un engagement entre les représentants des éleveurs et ceux des abatteurs après l’expiration de l’accord écrit. Le Tribunal estime toutefois que ce caractère secret ne privait pas l’accord de toute efficacité, notamment dans la mesure où les fédérations d’éleveurs continuaient à demander publiquement les prix de la grille, même si cette fois sous la forme apparente d’une revendication syndicale, et à les communiquer à leurs membres. De même, le dossier permet de conclure que les représentants des abatteurs en ont aussi informé oralement certaines entreprises d’abattage (voir point 177 ci-dessus).

187   De plus, le Tribunal considère que la poursuite de l’accord ne saurait être démentie uniquement sur la base d’une note de la FNICGV du 30 novembre 2001 indiquant que « [l]a grille de prix d’achat minim[aux] des vaches de réforme conclue le 24 octobre 2001 n’[était] pas et ne sera[it] pas reconduite » et que « [t]elle [était] la conclusion de la réunion qui s’[était] tenue [le jour précédent] à Paris en présence des signataires de cet accord ». En effet, le Tribunal estime que cette déclaration faisait partie de la stratégie de communication publique de la FNICGV, notamment après que cette fédération avait été avertie par la Commission de la possibilité d’être sanctionnée du fait des accords litigieux. En tout état de cause, ainsi qu’il a été relevé ci-dessus, des documents postérieurs à cette date démontrent la participation du président de la FNICGV au renouvellement de l’accord.

188   Finalement, la Commission ayant prouvé, sur la base d’indices documentaires, la poursuite de l’accord, elle n’était pas tenue, contrairement à ce que les requérantes font valoir, de démontrer cette poursuite à partir de l’examen des effets de l’accord sur les prix pratiqués pendant la période en cause.

189   Partant, il y a lieu de considérer que c’est à bon droit que la Commission a retenu dans la décision attaquée, comme durée de l’infraction, la période allant du 24 octobre 2001 jusqu’au 11 janvier 2002.

190   Par conséquent, il y a lieu de rejeter ce moyen dans son ensemble.

C –  Sur le troisième moyen, tiré de la non-application de l’exception prévue par le règlement nº 26

1.     Arguments des parties

191   Les requérantes soutiennent que la Commission a violé le règlement nº 26 et a commis des erreurs manifestes d’appréciation et des erreurs de droit en refusant d’accorder à l’entente litigieuse la dérogation à l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE prévue par l’article 2 dudit règlement en faveur de certaines activités liées à la production et à la commercialisation de produits agricoles. Elles maintiennent que l’accord en cause était nécessaire à la réalisation des objectifs de la politique agricole commune.

192   Les requérantes font ainsi valoir que, ainsi que l’a reconnu la décision attaquée, l’accord litigieux avait pour objectif d’assurer un niveau de vie minimal aux éleveurs de bovins. Elles relèvent, en outre, que l’objectif visant à la stabilisation des marchés était également réalisé, puisque ledit accord a mis en place un mécanisme de prix qui contribuait à enrayer la perturbation existante et a permis aux éleveurs d’écouler leur production à des prix rémunérateurs et donc de faire face à la crise sans disparaître du marché. L’accord ne mettait pas en péril pour autant les objectifs d’accroissement de la productivité et de garantie des approvisionnements et de prix raisonnables aux consommateurs, par rapport auxquels il était neutre.

193   Les requérantes considèrent que, en l’occurrence, la Commission était tenue d’essayer de concilier ces divers objectifs (arrêts de la Cour du 24 octobre 1973, Balkan-Import-Export, 5/73, Rec. p. 1091, point 24, et du 17 décembre 1981, Ludwigshafener Walzmühle e.a./Conseil et Commission, 197/80 à 200/80, 243/80, 245/80 et 247/80, Rec. p. 3211, point 41). En raison spécialement de la crise exceptionnelle du secteur bovin, elle aurait dû accorder une priorité aux objectifs visant à stabiliser les marchés et à assurer un niveau de vie équitable à la population agricole. Dès lors, la Commission aurait dû considérer que la mise en balance de l’ensemble des objectifs énoncés par l’article 33, paragraphe 1, CE permettait de conclure à l’application de la dérogation prévue par le règlement n° 26.

194   Les requérantes dans l’affaire T-245/03 critiquent par ailleurs la thèse de la Commission, exposée aux considérants 146 et 147 de la décision attaquée, selon laquelle le fait que les mesures adoptées n’étaient pas prévues par le règlement nº 1254/1999 suffirait à exclure l’application de la dérogation prévue par l’article 2 du règlement nº 26. La requérante dans l’affaire T‑217/03 prétend, quant à elle, que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation et une erreur de droit en considérant que l’accord ne faisait pas partie des objectifs prévus par l’OCM. Elle soutient notamment qu’il était conforme aux objectifs posés aux considérants 2 et 31 du règlement nº 1254/1999, ainsi qu’à son article 38, paragraphe 1.

195   Enfin, les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation et une erreur de droit en ce qu’elle a considéré que l’accord litigieux était disproportionné. En outre, la Commission n’aurait pas motivé cette conclusion ni explicité quelles mesures autres que celles prévues par l’accord litigieux auraient permis d’enrayer l’effondrement des cours.

196   La Commission fait valoir que l’exception prévue par l’article 2 du règlement nº 26 doit être interprétée et appliquée de façon restrictive. En l’espèce, l’accord litigieux pourrait apparaître pertinent, au mieux, pour atteindre un seul des cinq objectifs fixés par l’article 33 CE (soit celui visant à assurer un niveau de vie équitable à la population agricole) et serait clairement étranger aux quatre autres. Il dépasserait en outre le cadre de l’OCM dans le secteur de la viande bovine et apparaîtrait, en toute hypothèse, disproportionné pour atteindre les objectifs recherchés. En définitive, l’accord ne pourrait bénéficier de la dérogation en cause.

2.     Appréciation du Tribunal

197   Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que le maintien d’une concurrence effective sur les marchés des produits agricoles fait partie des objectifs de la politique agricole commune. En effet, s’il est vrai que l’article 36 CE a confié au Conseil le soin de déterminer la mesure dans laquelle les règles de concurrence communautaires sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles, afin de tenir compte de la situation particulière des marchés de ces produits, il n’en demeure pas moins que cette disposition établit le principe de l’applicabilité des règles de concurrence communautaires dans le secteur agricole (arrêt de la Cour du 9 septembre 2003, Milk Marque et National Farmers’ Union, C‑137/00, Rec. p. I‑7975, points 57 et 58).

198   En vertu de l’article 1er du règlement nº 26, l’article [81], paragraphe 1, CE s’applique à tous les accords, les décisions et les pratiques visés par cette disposition relatifs à la production ou au commerce des produits agricoles énumérés à l’annexe [I] du traité CE, dont notamment les animaux vivants et les viandes et abats comestibles, sous réserve des dispositions de l’article 2 du même règlement. Cette dernière disposition prévoit notamment que l’article [81], paragraphe 1, CE est inapplicable aux accords, décisions et pratiques qui sont nécessaires à la réalisation des objectifs de la politique agricole commune, énoncés à l’article [33] CE.

199   S’agissant d’une dérogation à la règle d’application générale de l’article 81, paragraphe 1, CE, l’article 2 du règlement nº 26 est à interpréter de manière restrictive (arrêt de la Cour du 12 décembre 1995, Oude Luttikhuis e.a., C‑399/93, Rec. p. I‑4515, point 23 ; arrêt du Tribunal du 14 mai 1997, Florimex et VGB/Commission, T‑70/92 et T‑71/92, Rec. p. II‑693, point 152). Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que l’article 2, paragraphe 1, première phrase, du règlement nº 26, qui prévoit l’exception invoquée, ne s’applique que si l’accord en cause favorise la réalisation de tous les objectifs de l’article 33 (arrêt Oude Luttikhuis e.a., précité, point 25 ; arrêt Florimex et VGB/Commission, précité, point 153 ; voir également, en ce sens, arrêt Frubo/Commission, précité, points 25 à 27). Le Tribunal a toutefois indiqué que, en cas de conflit entre ces objectifs parfois divergents, la Commission peut essayer de les concilier (arrêt Florimex et VGB/Commission, précité, point 153). Enfin, ainsi qu’il ressort du texte même de l’article 2, paragraphe 1, première phrase, du règlement nº 26, l’accord en cause doit être « nécessaire » à la réalisation desdits objectifs (arrêt Oude Luttikhuis e.a., précité, point 25 ; voir également, en ce sens, arrêt Florimex et VGB/Commission, précité, points 171 et 185).

200   Aux termes de l’article 33, paragraphe 1, CE, la politique agricole commune a pour but :

« a)  d’accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu’un emploi optimal des facteurs de production, notamment de la main-d’oeuvre,

b)       d’assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture,

c)       de stabiliser les marchés,

d)       de garantir la sécurité des approvisionnements,

e)       d’assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs. »

201   Les requérantes soutiennent, en substance, que l’accord litigieux était nécessaire pour la réalisation de deux de ces objectifs, à savoir ceux visant à assurer un niveau de vie équitable à la population agricole et à stabiliser les marchés, et qu’il était neutre par rapport aux trois objectifs restants, auxquels il ne portait donc pas préjudice.

202   Ainsi que les requérantes le relèvent, l’accord litigieux avait pour objet principal de venir en aide aux éleveurs de bovins en France, dans le contexte de la situation de crise de ce secteur au moment des faits des présentes affaires. Dès lors, il peut être considéré comme ayant pour objectif d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, aux termes de l’article 33, paragraphe 1, sous b), CE.

203   En revanche, le Tribunal estime que l’accord du 24 octobre 2001 ne visait pas à la stabilisation des marchés, prévue par l’article 33, paragraphe 1, sous c), CE, ni ne pouvait être considéré comme nécessaire à cet égard. Ainsi que le relève la décision attaquée, la crise qu’a traversée le secteur de la viande bovine entre 2000 et 2001 était fondée sur le grand déséquilibre existant entre l’offre et la demande, provoqué surtout par la forte baisse de la consommation due à la crise de confiance résultant de la découverte de nouveaux cas de maladie de la vache folle et de fièvre aphteuse (voir considérants 12, 13 et 142 de la décision attaquée). Dès lors, la stabilisation des marchés en cause exigeait, avant tout, des mesures visant à la diminution du volume de l’offre, largement excédentaire, et à la promotion de la consommation de viande bovine, en forte régression.

204   Or, l’accord litigieux ne prévoyait pas de mesures à cet égard. De plus, les prix minimaux qu’il fixait non seulement n’étaient pas susceptibles de concourir à la stabilisation des marchés, mais pouvaient même aller à l’encontre de cet objectif, dans la mesure où ils pouvaient comporter une augmentation des prix susceptible de diminuer encore davantage la consommation et ainsi accroître l’écart entre l’offre et la demande. L’établissement d’une grille de prix représentait en outre une fixation artificielle des prix, contraire tant à leur formation naturelle dans le marché qu’aux mécanismes de soutien et d’intervention publique. Il ne pouvait s’agir, par ailleurs, que d’une mesure purement conjoncturelle, qui n’était pas à même de produire des effets à moyen ou à long terme sur les marchés en cause. Par ailleurs, la limitation des importations en France de viande bovine risquait nécessairement de provoquer une distorsion dans les échanges intracommunautaires de viande bovine et donc de porter préjudice à la stabilité des marchés en cause dans plusieurs États membres.

205   De même, un accord limitant les importations de produits meilleur marché et fixant des prix minimaux ne peut pas être considéré comme neutre par rapport à l’objectif tendant à assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs, visé par l’article 33, paragraphe 1, sous e), CE. En effet, ainsi que la Commission le relève au considérant 144 de la décision attaquée, sans être contredite par les requérantes, s’agissant en particulier du secteur de la restauration hors domicile, qui utilise largement les viandes importées, la suspension des importations pouvait vraisemblablement avoir pour effet de relever les prix. De plus, les prix de la grille, même s’ils étaient fixés au stade de l’entrée à l’abattoir, étaient aussi susceptibles d’être répercutés sur les consommateurs.

206   Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure que l’accord litigieux ne peut être considéré comme nécessaire que par rapport à l’objectif visant à assurer un niveau de vie équitable à la population agricole. En revanche, cet accord risquait de porter préjudice, à tout le moins, à l’établissement de prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs. Enfin, il ne concernait pas – et, a fortiori, n’était pas nécessaire à – la stabilisation des marchés, la garantie de la sécurité des approvisionnements et l’accroissement de la productivité de l’agriculture. Dès lors, au vu de la jurisprudence citée au point 199 ci-dessus, le Tribunal estime que la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que la mise en balance de ces différents objectifs ne permettait pas de conclure que la dérogation prévue par l’article 2, paragraphe 1, première phrase, du règlement nº 26 était applicable en l’espèce.

207   Par ailleurs, il y a lieu de rejeter les griefs dirigés contre la constatation figurant aux considérants 146 et 147 de la décision attaquée, selon laquelle l’accord litigieux ne se trouve pas parmi les moyens prévus par la réglementation de l’OCM dans le secteur de la viande bovine, dont en particulier le règlement nº 1254/1999. Contrairement à ce que prétendent les requérantes dans l’affaire T‑245/03, la Commission n’a pas conclu que cette circonstance suffisait, à elle seule, à exclure l’applicabilité de la dérogation fondée sur le règlement nº 26, mais s’est limitée à prendre en compte cet élément, à juste titre d’ailleurs, à l’appui de sa conclusion selon laquelle l’accord en cause n’était pas nécessaire à la réalisation des objectifs de la politique agricole commune (voir, en ce sens, arrêt Florimex et VGB/Commission, précité, points 148 à 151). Il y a lieu de rejeter aussi la thèse de la requérante dans l’affaire T‑217/03 selon laquelle l’accord faisait partie des objectifs de ce règlement. En particulier, les dispositions énumérées par la requérante (soit les considérants 2 et 31 et l’article 38, paragraphe 1, dudit règlement) se limitent notamment à prévoir la possibilité pour les institutions communautaires de prendre des mesures en cas de perturbation du marché (voir, à cet égard, l’article 43 dudit règlement) et ne justifient aucunement un accord privé de limitation des importations et de fixation de prix minimaux.

208   Enfin, s’agissant des arguments relatifs à la proportionnalité des mesures litigieuses, il y a lieu de rejeter le grief tiré de la violation de l’obligation de motivation. La Commission a motivé à suffisance de droit, au considérant 148 de la décision attaquée, sa conclusion selon laquelle la fixation des prix et la suspension des importations constituaient des restrictions graves de concurrence et ne pouvaient pas être regardées comme proportionnées aux buts recherchés par l’accord. Contrairement à ce que les requérantes font valoir, la Commission n’était pas tenue d’indiquer les mesures que les requérantes auraient pu adopter pour que leur accord fût en conformité avec l’article 2 du règlement nº 26. Le grief selon lequel la Commission a commis une erreur en prenant en considération, dans son examen de l’applicabilité de la dérogation prévue par cette disposition, le caractère disproportionné des mesures prévues par l’accord ne saurait non plus être accueilli. En effet, il ressort de la jurisprudence que, aux fins de l’application de cette dérogation, des mesures ne peuvent être considérées comme nécessaires à la réalisation des objectifs de la politique agricole commune que si elles sont proportionnées (voir, en ce sens, arrêt Florimex et VGB/Commission, précité, point 177). Or, en l’espèce, même au regard de la spécificité des marchés agricoles et de la crise du secteur bovin à l’époque des faits, la limitation des importations et la fixation des prix ne peuvent pas être considérées, eu égard à leur caractère d’infractions sérieuses au droit de la concurrence, comme des mesures proportionnées aux objectifs poursuivis.

209   Il découle de tout ce qui précède que ce moyen doit être rejeté.

D –  Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des droits de la défense

1.     Arguments des parties

210   Les requérantes soutiennent que la communication des griefs, qui constitue une application du principe fondamental du respect des droits de la défense, doit contenir un exposé des griefs libellé dans des termes suffisamment clairs, seraient-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés, afin qu’ils puissent faire valoir utilement leur défense avant l’adoption par la Commission d’une décision définitive (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, point 63).

211   En l’espèce, en premier lieu, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir mentionné dans sa communication des griefs que, afin de déterminer le montant de l’amende des fédérations autres que la FNSEA, elle allait prendre en compte le montant des cotisations annuelles versées par leurs membres. En second lieu, les requérantes soutiennent que la Commission n’avait aucunement indiqué dans la communication des griefs qu’elle allait calculer le montant des amendes par rapport aux chiffres d’affaires des membres qui leur sont directement ou indirectement rattachés. Ainsi, la Commission ne leur aurait pas fait connaître des éléments de fait et de droit sur lesquels la décision attaquée s’est fondée, dont notamment les principaux éléments pour opérer le calcul de l’amende, et les requérantes n’auraient, dès lors, pas pu faire valoir leurs observations à cet égard.

212   Les requérantes font remarquer que la Cour a jugé qu’une communication des griefs qui se contente d’identifier comme auteur d’une infraction une entité collective ne permet pas aux sociétés constituant cette collectivité d’être suffisamment informées que des amendes leur seront imposées à titre individuel si l’infraction devait être constatée et ne suffit pas pour les mettre en garde quant à la fixation du montant des amendes infligées par rapport à une appréciation de la participation de chaque société au comportement constitutif de la prétendue infraction (arrêt de la Cour du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, C‑395/96 P et C‑396/96 P, Rec. p. I‑1365, points 144 à 146).

213   Enfin, les requérantes font valoir que l’envoi par la Commission, le 10 janvier 2003, d’une lettre leur demandant des informations financières ne suffisait pas à assurer le respect des droits de la défense. Cette lettre étant postérieure à la présentation par les requérantes de leurs observations et à la date de leur audition, elles n’auraient plus été à même de se défendre sur les aspects en cause. En outre, cette demande ne révélerait rien des intentions de la Commission.

214   La Commission fait remarquer que, selon la jurisprudence, elle est seulement tenue, dans sa communication des griefs, d’indiquer qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et d’énoncer les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 21).

215   Selon la Commission, les requérantes ne pouvaient pas ignorer que le montant des cotisations de leurs membres allait être pris en compte et ont eu toute latitude pour présenter leurs observations au vu de la communication des griefs. Elles auraient aussi eu la possibilité de s’exprimer sur la question des chiffres d’affaires de leurs membres, puisque, le 10 janvier 2003, la Commission leur a envoyé une demande d’information à cet égard (voir, en ce sens, arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 23).

216   La Commission, enfin, conteste la pertinence de l’arrêt Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, précité, invoqué par les requérantes. En l’occurrence, la communication des griefs ferait très clairement ressortir que la Commission envisageait d’infliger des amendes aux requérantes, destinataires de ladite communication et non donc aux fédérations intermédiaires ou aux exploitants individuels. Au vu de la jurisprudence prenant en considération les membres des associations, les requérantes auraient pu parfaitement se rendre compte du risque et se défendre sur ce point au cours de la procédure administrative.

2.     Appréciation du Tribunal

217   Le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes, constitue un principe fondamental du droit communautaire, qui doit être observé même s’il s’agit d’une procédure de caractère administratif (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T‑308/94, Rec. p. II‑925, point 39). En application de ce principe, la communication des griefs constitue une garantie procédurale essentielle. Cette communication des griefs doit énoncer, de manière claire, tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure (arrêt Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, précité, point 142).

218   Selon une jurisprudence constante, dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction supposée et le fait d’avoir commis celle-ci de propos délibéré ou par négligence, elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises à être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l’infraction, mais également contre le fait de se voir infliger une amende (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 21 ; arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, précité, point 78).

219   Les requérantes soutiennent que la Commission aurait dû mentionner dans la communication des griefs qu’elle allait prendre en compte le montant de leurs cotisations annuelles afin de déterminer le montant de l’amende des fédérations autres que la FNSEA, et qu’elle allait calculer le montant des amendes par rapport aux chiffres d’affaires des membres des requérantes.

220   À cet égard, il importe de relever, en premier lieu, que la Commission, dans la décision attaquée, s’est fondée sur les cotisations perçues par les requérantes pour calculer le montant de base des amendes (considérants 169 et 170 de la décision attaquée). En effet, après avoir établi que, compte tenu de la gravité de l’infraction, le montant de base de l’amende infligée à la principale fédération agricole (la FNSEA) était de 20 millions d’euros, la Commission a utilisé le rapport entre le montant des cotisations annuelles perçues par chacune des autres fédérations et celui de la FNSEA comme critère objectif de l’importance relative des différentes fédérations agricoles et donc de leur degré de responsabilité propre dans la perpétration de l’infraction. Ainsi, ces montants ont été fixés à un cinquième (FNPL), un dixième (FNB et FNCBV) et un vingtième (JA) du montant établi pour la FNSEA.

221   Il convient de relever, en second lieu, que la Commission, comme elle l’a reconnu devant le Tribunal, a pris en compte les chiffres d’affaires des membres de base des requérantes aux fins de la vérification du respect, par les amendes imposées, du plafond de 10 % instauré par l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17.

222   Or, la Cour a jugé que le fait de donner des indications dans la communication des griefs concernant le niveau des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n’ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 21 ; arrêt ABB Asea Brown Boveri/Commission, précité, point 66). A fortiori, évoquer, dans la communication des griefs, la question du respect du plafond de 10 % par l’amende qui, éventuellement, sera imposée par la décision finale reviendrait aussi à anticiper de façon inappropriée cette décision.

223   Par ailleurs, contrairement à ce que les requérantes soutiennent, l’arrêt Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, précité, n’est pas pertinent en l’espèce. En effet, aux points 143 à 146 de cet arrêt, la Cour a établi que la Commission était tenue d’indiquer sans équivoque, dans la communication des griefs, les personnes qui seront susceptibles de se voir infliger des amendes et a jugé qu’une communication des griefs qui se contente d’identifier comme auteur d’une infraction une entité collective ne permet pas aux sociétés constituant cette collectivité d’être suffisamment informées que des amendes leur seront imposées à titre individuel et n’est pas suffisante pour les avertir que le montant des amendes sera fixé par rapport à une appréciation de la participation de chaque société au comportement constitutif de la prétendue infraction. Or, dans les présentes affaires, la Commission n’a pas imposé des sanctions aux membres, directs ou indirects, des requérantes, mais à ces dernières, en raison de leur degré de responsabilité propre dans l’infraction (considérant 169 et articles 1er et 3 de la décision attaquée), ainsi qu’elle l’avait annoncé dans la communication des griefs. En effet, le fait de prendre en considération le chiffre d’affaires des membres d’une association d’entreprises qui a commis une infraction ne signifie nullement qu’une amende a été infligée à ceux-ci (arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T‑39/92 et T‑40/92, Rec. p. II‑49, point 139).

224   Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas violé les droits de la défense des requérantes pour n’avoir pas indiqué, dans la communication des griefs, qu’elle envisageait de prendre en considération le montant des cotisations annuelles perçues par celles-ci et le chiffre d’affaires de leurs membres aux fins, respectivement, du calcul du montant de base des amendes et de la vérification du plafond de 10 % fixé par l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17.

225   Par conséquent, il y a lieu de rejeter ce moyen.

E –  Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

1.     Arguments des parties

226   Les requérantes rappellent que la motivation d’une décision faisant grief doit permettre au juge communautaire d’exercer son contrôle de légalité et à l’intéressé de connaître les justifications de la mesure prise, afin de pouvoir défendre ses droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Gruber + Weber/Commission, T‑310/94, Rec. p. II‑1043, point 40).

227   Elles soutiennent que la décision attaquée ne fait aucune référence au montant des chiffres d’affaires que la Commission aurait pris en compte pour déterminer les amendes, ni à la vérification de l’absence d’atteinte du plafond de 10 % établi par l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17. Ainsi, la Commission n’aurait pas mentionné qu’elle avait décidé de calculer ledit plafond à partir du cumul des chiffres d’affaires des membres des requérantes, ni précisé de quels membres il s’agirait. Or, une motivation extrêmement précise s’imposerait en l’espèce, dès lors que la Commission se serait saisie, pour la première fois, d’une affaire concernant des syndicats agricoles et qu’elle entendrait déroger aux conditions restrictives de prise en compte des chiffres d’affaires des membres d’une association. La demande d’informations de la Commission du 10 janvier 2003 ne pourrait pas, en tout état de cause, compenser ce défaut de motivation. Enfin, cette violation de l’obligation de motivation entraînerait, d’après la requérante dans l’affaire T‑217/03, l’annulation de la décision attaquée et non uniquement celle de la partie relative aux amendes.

228   La République française relève que la décision attaquée ne satisfait pas à l’obligation de motivation qui résulte de l’article 253 CE. Les explications que la Commission tenterait d’apporter pour la première fois dans son mémoire en défense ne sauraient remédier à cette situation (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 26 février 2002, INMA et Itainvest/Commission, T‑323/99, Rec. p. II‑545, point 76).

229   La Commission soutient d’emblée que ce moyen ne saurait fonder l’annulation de la décision attaquée dans son ensemble, mais seulement celle de son article 3, en ce que cette prétendue insuffisance de motivation concerne le niveau des amendes et n’a d’incidence ni sur la réalité des faits, ni sur leur qualification juridique. En tout état de cause, elle aurait parfaitement respecté, en l’espèce, l’obligation de motivation.

230   La Commission relève que cette obligation est remplie lorsqu’elle indique les éléments dont elle a tenu compte afin de mesurer la gravité et la durée de l’infraction aux fins du calcul de l’amende (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Enso Española/Commission, C‑282/98 P, Rec. p. I‑9817, points 40 et 41, et SCA Holding/Commission, C‑297/98 P, Rec. p. I‑10101, points 56 à 65 ; arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T‑220/00, Rec. p. II‑2473, point 218). Elle ne serait, donc, pas tenue d’indiquer dans sa décision le chiffre d’affaires pris en compte ni le pourcentage de celui-ci représenté par l’amende, la question de savoir si le seuil de 10 % est ou non atteint ne faisant pas partie de la motivation de la décision. En effet, le plafond de 10 % serait la limite maximale légale de l’amende qui peut être infligée et ne ferait pas partie des justifications de la mesure prise.

231   La Commission soutient également que l’obligation de motivation doit s’apprécier dans son contexte et rappelle qu’elle a clairement indiqué qu’elle se fondait sur les dispositions des lignes directrices, dont le point 5, sous c), lui permet d’infliger à une association une amende équivalente à la totalité des amendes individuelles qui auraient pu être infligées à chacun de ses membres. Les requérantes ne pourraient ignorer les principes qui présideraient au calcul de l’amende, notamment le fait que la Commission tiendrait compte du chiffre d’affaires de leurs membres pour vérifier que le plafond des 10 % n’était pas dépassé. En effet, il ressortirait de l’ensemble de la décision attaquée que l’infraction a été commise par les requérantes non pour elles-mêmes mais en faveur de leurs membres.

232   La Commission fait aussi remarquer que, le 10 janvier 2003, elle a demandé à chacune des requérantes les chiffres d’affaires de leurs membres. La requérante dans l’affaire T‑217/03 lui aurait fait parvenir cette information par lettre du 27 janvier 2003. Les chiffres fournis par cette fédération montreraient que le plafond de 10 % était très loin d’être atteint. Les requérantes dans l’affaire T‑245/03 lui auraient indiqué, en revanche, qu’elles n’étaient pas en mesure de fournir cette information. Face à ce refus, la Commission aurait pu adopter une décision sur la base de l’article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17, le cas échéant assortie d’astreintes ou d’amendes, ordonnant la production de ces données, mais elle se serait limitée à estimer, au vu des informations disponibles, qu’il n’existait pas le moindre risque que le seuil de 10 % du chiffre d’affaires des membres des requérantes soit atteint.

2.     Appréciation du Tribunal

233   Il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l’article 253 CE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt Cheil Jedang/Commission, précité, point 216 ; arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II-4407, point 96).

234   En l’occurrence, les requérantes reprochent à la Commission le fait de n’avoir pas motivé expressément, dans la décision attaquée, que les amendes imposées ne dépassaient pas le plafond de 10 % de leurs chiffres d’affaires, visé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, et de n’avoir pas exposé les raisons pour lesquelles, aux fins de la vérification du respect dudit plafond, elle pouvait tenir compte des chiffres d’affaires de leurs membres.

235   Il y a lieu de constater que, effectivement, aucun considérant de la décision attaquée n’est consacré à l’examen du respect du plafond de 10 % du chiffre d’affaires auquel les amendes sont soumises. La Commission n’y a pas non plus indiqué que, aux fins de la vérification du respect dudit plafond, il y avait lieu de prendre en considération, en l’espèce, les chiffres d’affaires des membres de base des requérantes ni, a fortiori, n’a justifié une telle possibilité.

236   La Commission estime, néanmoins, que le respect du plafond de 10 % du chiffre d’affaires n’est que la limite légale maximale de l’amende et ne fait pas partie de la motivation de la décision.

237   Or, il convient de relever que la limite de 10 % du chiffre d’affaires mentionnée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 vise le chiffre d’affaires de l’entreprise ou de l’association qui a commis l’infraction, laquelle, étant le destinataire de la décision, est de ce fait en mesure de vérifier le respect de ladite limite. Dans ces circonstances, aucune motivation spécifique n’est requise concernant l’application dudit plafond. Toutefois, lorsque la Commission s’écarte de son approche habituelle et prend en compte, aux fins de l’imposition de l’amende, un chiffre d’affaires distinct de celui du destinataire de la décision sanctionnant l’infraction, comme les chiffres d’affaires des membres de l’association sanctionnée, elle doit nécessairement motiver de façon spécifique sa décision à cet égard afin de permettre au destinataire de la décision de vérifier que la limite de 10 % a été respectée dans le calcul de l’amende.

238   Ainsi, lorsque la Commission impose une amende à une entreprise individuelle auteur d’une infraction, elle n’est en effet pas nécessairement tenue, en l’absence de circonstances spécifiques, de motiver expressément le respect du plafond de 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise en cause. Cette dernière doit connaître tant l’existence de ladite limite légale que le montant concret de son chiffre d’affaires et peut, dès lors, apprécier, même en l’absence de toute justification dans la décision de sanction, si le plafond de 10 % a été ou non dépassé par l’amende qui lui a été infligée.

239   En revanche, lorsque la Commission sanctionne une association d’entreprises et vérifie le respect du plafond légal du 10 % du chiffre d’affaires sur la base de la somme du chiffre d’affaires réalisé par la totalité ou par une partie des membres de cette association, elle doit l’indiquer expressément dans sa décision et doit exposer les raisons justifiant la prise en compte des chiffres d’affaires des membres. En l’absence d’une telle motivation, les intéressés ne seraient pas en mesure de connaître la justification d’une telle décision ni ne pourraient correctement procéder à la vérification du respect en l’espèce du plafond légal.

240   Cette conclusion n’est pas infirmée par la jurisprudence invoquée par la Commission au point 230 ci-dessus, selon laquelle, s’agissant de la portée de l’obligation de motivation concernant le calcul du montant d’une amende infligée pour violation des règles communautaires de concurrence, il suffit que la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation dont elle a tenu compte en application des lignes directrices et qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction. En effet, cette jurisprudence vise uniquement la question de la détermination du montant de l’amende et non celle de la vérification du non-dépassement par la sanction finalement établie du plafond de 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise ou de l’association sanctionnée.

241   Il y a lieu de conclure, par conséquent, que, en l’espèce, la Commission aurait dû indiquer, dans la décision attaquée, qu’elle s’était fondée sur les chiffres d’affaires des membres de base des requérantes – en précisant, le cas échéant, s’il s’agissait de tous leurs membres ou de catégories déterminées de ceux-ci – aux fins de la vérification du respect par les amendes imposées du plafond légal de 10 %. De même, la Commission aurait dû exposer quelles circonstances lui permettaient de tenir compte des chiffres d’affaires cumulés des membres des requérantes à cet effet.

242   La Commission, par ailleurs, ne saurait se prévaloir du fait qu’elle a indiqué, au considérant 164 de la décision attaquée, qu’elle allait se fonder sur les lignes directrices. Cette référence générique est faite dans la section concernant la détermination du montant des amendes et a pour objet uniquement de rappeler les critères qui régissent l’évaluation de la gravité de l’infraction. Au surplus, il convient d’observer que la Commission n’a fait aucune référence, dans la décision attaquée, au point 5, sous c), des lignes directrices, consacré à la possibilité de prendre en compte les chiffres d’affaires des membres d’une association.

243   La Commission ne saurait non plus se prévaloir des lettres envoyées aux requérantes le 10 janvier 2003 pour leur demander la communication des chiffres d’affaires de leurs membres. En effet, même à considérer que, à la lumière de ces demandes, les requérantes auraient pu comprendre que la décision attaquée avait pris en compte les chiffres d’affaires de leurs membres aux fins du calcul du plafond de 10 %, il n’en resterait pas moins que ces demandes ne peuvent pas compenser l’absence de motivation de la décision attaquée à cet égard, notamment l’absence totale d’indication des raisons pour lesquelles de tels chiffres pouvaient être utilisés pour le calcul du non-dépassement dudit plafond.

244   Enfin, s’agissant du fait que les requérantes dans l’affaire T‑245/03 n’avaient pas fourni à la Commission les chiffres d’affaires de leurs membres, cette circonstance ne saurait non plus dispenser la Commission d’énoncer, dans le corps de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle estimait approprié de tenir compte des chiffres d’affaires réalisés par ces membres et celles pour lesquelles elle considérait en l’espèce que le plafond de 10 % n’était pas dépassé.

245   Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission a violé l’obligation de motivation que lui impose l’article 253 CE.

II –  Sur les conclusions tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende

246   Les requérantes invoquent six moyens à l’appui de leurs conclusions tendant à la suppression ou à la réduction des amendes qui leur ont été infligées par la décision attaquée. Le premier moyen est tiré de l’illégalité des lignes directrices. Le deuxième moyen est tiré de la violation du principe de proportionnalité, d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une erreur de droit dans la détermination de la gravité de l’infraction. Le troisième moyen est tiré d’erreurs d’appréciation et de droit ainsi que de la violation du principe de proportionnalité dans la prise en compte des circonstances aggravantes et atténuantes. Le quatrième moyen est tiré d’une violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 dans la fixation du montant des amendes. Le cinquième moyen est tiré de la violation du principe de non-cumul des sanctions. Le sixième moyen est tiré de la violation du principe de proportionnalité et d’une erreur manifeste d’appréciation dans la prise en compte des circonstances prévues par l’article 5, sous b), des lignes directrices.

A –  Sur le premier moyen, tiré de l’illégalité des lignes directrices

1.     Arguments des parties

247   Les requérantes dans l’affaire T‑245/03 soutiennent, en premier lieu, que les lignes directrices violent le principe de proportionnalité. Elles font remarquer que l’appréciation de l’effet des accords ou des pratiques sur le fonctionnement du marché est un élément essentiel pour déterminer le degré de gravité d’une infraction. Cependant, pour qualifier une infraction de très grave, la Commission ne prendrait aucunement en considération ses effets, mais uniquement sa nature et l’étendue du marché géographique concerné. De plus, lorsque, aux termes du point 1 A des lignes directrices, l’infraction aurait été qualifiée de très grave, elle serait soumise à une amende d’un montant de départ minimal de 20 millions d’euros, qui serait discrétionnaire et arbitraire. Ce montant minimal interdirait en outre à la Commission de tenir compte de l’importance, de la taille et de la nature de l’entité concernée ou des profits qu’elle a retirés de l’infraction.

248   Les requérantes soutiennent, en second lieu, que les lignes directrices violent l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17. Elles font remarquer, premièrement, que le point 1 A des lignes directrices permet à la Commission de fixer le montant de base d’une amende à une somme supérieure à un million d’euros ou à 10 % du chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise incriminée. Or, d’après les requérantes, l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, en établissant que la Commission doit prendre en compte les critères de la gravité et de la durée de l’infraction au stade de la détermination du montant de base de l’amende, ne permet pas que ce montant de base – comme, d’ailleurs, le montant final de l’amende – puisse dépasser lesdits plafonds. Les requérantes font valoir, deuxièmement, que le point 1 B des lignes directrices ne prend en compte le critère de la durée de l’infraction que pour majorer le montant de l’amende, ce qui amènerait la Commission à considérer de la même façon une infraction qui aurait duré quelques jours et une infraction qui aurait duré près d’un an.

249   La Commission relève, en premier lieu, que les seuls critères explicitement mentionnés par l’article 15 du règlement nº 17 sont la gravité et la durée de l’infraction, cette disposition n’imposant pas d’autres limites ni précisions à sa marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes que le respect du plafond concernant le chiffre d’affaires de chaque entreprise. Par ailleurs, eu égard à ce que les infractions très graves seraient des pratiques dont l’objet même serait manifestement contraire aux principes du marché intérieur et afin de garantir le caractère dissuasif des amendes, il n’apparaîtrait en rien disproportionné de prendre pour point de départ un montant de 20 millions d’euros. En tout cas, contrairement à ce que les requérantes prétendent, il serait possible de descendre en dessous de 20 millions d’euros à l’intérieur de la catégorie des infractions très graves. La Commission soutient, en second lieu, que le plafonnement de l’amende doit s’opérer par rapport au montant final de celle-ci, avant l’application de la clémence, et que le fait que la courte durée ne soit pas un facteur réducteur de l’amende, mais simplement un facteur neutre, ne viole pas l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17.

2.     Appréciation du Tribunal

250   À titre liminaire, il convient de relever que, bien que les lignes directrices ne constituent pas le fondement juridique de la décision attaquée, cette dernière étant notamment fondée sur le règlement nº 17, elles déterminent, de manière générale et abstraite, la méthodologie que la Commission s’est imposée aux fins de la détermination du montant des amendes. Par conséquent, il existe, en l’espèce, un lien direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général constitué par les lignes directrices. Étant donné que les requérantes n’étaient pas en mesure de demander l’annulation des lignes directrices, celles-ci peuvent faire l’objet d’une exception d’illégalité (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, points 274 et 276, et du 29 novembre 2005, Heubach/Commission, T‑64/02, non encore publié au Recueil, point 35).

251   Les requérantes soutiennent, en premier lieu, que les lignes directrices violent le principe de proportionnalité, en ce qu’elles ne tiennent pas compte, dans la détermination de la catégorie des infractions très graves, des effets des accords ou des pratiques en cause.

252   À cet égard, il convient de rappeler que le point 1 A des lignes directrices établit que constituent notamment des infractions très graves « de[s] restrictions horizontales de type ‘cartels de prix’ et de[s] quotas de répartition des marchés, ou autres pratiques portant atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur, telles que celles visant à cloisonner les marchés nationaux ». Or, il est de jurisprudence constante que les ententes portant sur les prix ou sur le cloisonnement des marchés constituent par nature des infractions très graves (arrêts du Tribunal du 11 décembre 2003, Strintzis Lines Shipping/Commission, T‑65/99, Rec. p. II‑5433, point 168, Minoan Lines/Commission, T‑66/99, Rec. p. II‑5515, point 280, et du 27 juillet 2005, Brasserie nationale/Commission, T-49/02 à T-51/02, Rec. p. II-3033, points 173 et 174). Le Tribunal estime, par conséquent, que la Commission, en exposant, dans ses lignes directrices, que ces types d’infractions sont à considérer comme des infractions très graves, n’a pas violé le principe de proportionnalité. En tout état de cause, le point 1 A des lignes directrices prévoit, dans son premier alinéa, que l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction doit prendre en considération son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable. Il s’ensuit que la Commission doit dans certaines circonstances déterminées prendre en compte les effets de l’infraction en cause aux fins de la qualifier ou non de très grave.

253   En ce qui concerne, ensuite, le prétendu caractère discrétionnaire et arbitraire du montant de 20 millions d’euros prévu pour ces infractions très graves, il convient de rappeler d’emblée que, selon une jurisprudence constante, la Commission dispose, dans le cadre du règlement nº 17, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (arrêt Cheil Jedang/Commission, précité, point 76). Il y a lieu de relever également que les montants de départ prévus par les lignes directrices étant seulement « envisageables », la Commission a toute liberté pour fixer un montant de départ inférieur à 20 millions d’euros. Les montants forfaitaires prévus par les lignes directrices n’étant donc qu’indicatifs, il ne saurait, dès lors, en ressortir une violation, per se, du principe de proportionnalité (arrêt Heubach/Commission, précité, points 40 et 44).

254   Les requérantes soutiennent, en second lieu, que la méthode établie au point 1 A des lignes directrices pour le calcul de l’amende est contraire à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, en ce qu’elle envisage la possibilité de la fixation d’un montant de base de l’amende supérieur à un million d’euros ou à 10 % du chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise incriminée.

255   Cette thèse ne saurait toutefois être accueillie. En effet, l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, en disposant que la Commission peut infliger des amendes d’un montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, exige seulement que l’amende qui sera finalement imposée à une entreprise soit réduite au cas où elle dépasse 10 % de son chiffre d’affaires, indépendamment des opérations de calcul intermédiaires destinées à prendre en compte la gravité et la durée de l’infraction. Par conséquent, l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 n’interdit pas à la Commission de se référer, au cours de son calcul, à un montant intermédiaire dépassant 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise concernée, pour autant que le montant de l’amende finalement imposée à cette entreprise ne dépasse pas cette limite maximale (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, points 287 et 288). Cette considération vaut également pour le montant maximal d’un million d’euros.

256   Les requérantes font encore valoir que le point 1 B des lignes directrices viole l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, dans la mesure où il ne prend en compte le critère de la durée de l’infraction que pour majorer le montant de l’amende.

257   Il importe de rappeler que l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 établit que, pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci. Le point 1 B des lignes directrices prévoit, à cet égard, que la durée de l’infraction peut comporter la fixation d’un éventuel montant additionnel d’amende, par rapport à celui qui a été établi sur la base de la gravité. Ainsi, les lignes directrices distinguent les infractions de courte durée (en général inférieure à un an), pour lesquelles aucun montant additionnel ne s’impose, des infractions de moyenne durée (en général d’un à cinq ans), pour lesquelles ce montant additionnel peut aller jusqu’à 50 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction, et, enfin, des infractions de longue durée (en général de plus de cinq ans), pour lesquelles il est prévu un montant additionnel annuel de 10 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction. Les lignes directrices ne prennent donc pas en compte la très courte durée d’une infraction aux fins de réduire le montant de l’amende initialement établi.

258   Or, le fait que l’infraction soit de courte durée n’affecte en rien sa gravité, telle qu’elle résulte de sa nature propre. C’est dès lors à juste titre que la Commission a considéré au point 1 B, premier alinéa, premier tiret, des lignes directrices, que la durée très courte d’une infraction, à savoir une durée inférieure à un an, justifiait uniquement qu’aucun montant additionnel ne soit imputé au montant déterminé en fonction de la gravité de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 283).

259   Au demeurant, il convient de relever que, selon une jurisprudence bien établie, les lignes directrices ne vont pas au-delà du cadre juridique des sanctions tel que défini par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17. En effet, la méthode générale pour le calcul du montant des amendes énoncée dans les lignes directrices repose sur les deux critères mentionnés à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à savoir la gravité de l’infraction et la durée de celle-ci, et respecte la limite maximale par rapport au chiffre d’affaires de chaque entreprise, établie par la même disposition (arrêt LR AF 1998/Commission, précité, points 231 et 232 ; arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, points 189 et 190 ; arrêt Heubach/Commission, précité, point 37).

260   Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter ce moyen.

B –  Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité, d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une erreur de droit dans la détermination de la gravité de l’infraction

1.     Arguments des parties

261   Les requérantes soutiennent que la Commission n’aurait pas dû qualifier l’infraction de « très grave », mais de « grave ». Elles réitèrent que la Commission ne pouvait leur imputer le volet « Importations » de l’accord et contestent la durée du volet « Prix » de celui-ci. De plus, elles reprochent à la Commission de ne pas avoir pris en compte le faible impact des mesures litigieuses sur le fonctionnement du marché. En effet, les faits reprochés n’auraient causé aucun dommage au secteur de la viande bovine, l’accord n’ayant eu aucun impact sur les prix ni sur les importations. Ainsi, les abatteurs n’auraient jamais prétendu subir un dommage du fait de l’accord sur la grille de prix, laquelle, par ailleurs, n’aurait eu aucun impact sur les prix à la consommation. La Commission ne se serait toutefois interrogée ni sur l’importance du secteur économique en cause ni sur l’impact réel de l’accord. Or, selon les requérantes, elle ne pouvait se limiter à invoquer l’impossibilité de quantifier de manière suffisamment précise les effets réels imputables à l’accord. Les requérantes font aussi valoir que la Commission n’a pas tenu compte de l’ensemble du contexte juridique et économique de l’espèce, notamment de la crise du secteur et de l’inefficacité des mesures communautaires pour la combattre. Enfin, elles font valoir que l’infraction sanctionnait un accord vertical et non un accord horizontal.

262   La Commission soutient que, au vu de la nature de l’infraction et de l’étendue géographique du marché en cause, l’infraction était sans aucun doute très grave.

2.     Appréciation du Tribunal

263   Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, qu’il a été jugé que la Commission n’avait pas commis d’erreur en ce qui concerne la détermination de la durée et de l’étendue de l’accord litigieux. Il y a donc lieu de rejeter les critiques relatives à la qualification de la gravité dudit accord fondées sur une prise en compte erronée de la durée et de l’étendue de l’infraction.

264   Il convient de relever, ensuite, que les infractions en cause, à savoir la suspension ou la limitation des importations de viande bovine et la fixation d’une grille de prix minimaux revêtent une particulière gravité. Ainsi que le relève à juste titre la Commission au point 1 A, troisième tiret, des lignes directrices, les pratiques visant à cloisonner les marchés nationaux constituent, en principe, des infractions très graves. De même, les mesures de fixation des prix étaient constitutives, en l’espèce, d’une infraction très grave. En effet, ce volet de l’accord litigieux avait pour objet de fixer des prix minimaux pour certaines catégories de vaches, avec pour objectif de les rendre obligatoires pour l’ensemble des opérateurs économiques intervenant sur les marchés en cause (voir point 85 ci-dessus). Cette conclusion ne saurait être infirmée par l’argument des requérantes selon lequel l’accord litigieux constituait un accord vertical. Ainsi, il convient de rappeler que ledit accord avait été établi par des fédérations représentant une partie très importante tant des éleveurs que des abatteurs en France, deux des maillons de la chaîne de production dans le secteur de la viande bovine (voir point 88 ci-dessus). Par ailleurs, les infractions sanctionnées affectaient le principal marché bovin en Europe, dépassant en outre, de par la limitation des importations, le seul cadre national. Il n’est pas contesté, de plus, que les fédérations signataires de l’accord du 24 octobre 2001 étaient les principales associations dans le secteur de l’élevage et de l’abattage bovin en France.

265   Quant à la prise en compte des effets de l’accord, le Tribunal considère que, en l’espèce, la Commission a fait une juste appréciation du point 1 A des lignes directrices, lequel ne mentionne la prise en considération de l’impact concret sur le marché de l’infraction, aux fins de l’évaluation de la gravité de celle-ci, que lorsque cet impact est mesurable. Il y a lieu de relever, à cet égard, que la Commission a examiné, dans la décision attaquée, l’évolution des importations en France de viande bovine et des prix moyens pour différentes catégories de viande bovine à la suite de l’accord litigieux, en concluant toutefois qu’elle n’était pas en mesure de quantifier les effets réels de cet accord sur les échanges intracommunautaires et sur les prix (considérants 78, 81 et 167 de la décision attaquée). Enfin, s’agissant des arguments concernant le contexte économique de l’espèce, il convient de relever que la Commission a pris en considération ce contexte dans la décision attaquée, notamment au titre de l’application du point 5, sous b), des lignes directrices (voir points 350 à 361 ci-après). Cette question, en toute état de cause, sera examinée plus en détail par la suite.

266   Eu égard à ce qui précède, le Tribunal considère que, en l’espèce, la qualification de l’infraction comme « très grave » était justifiée.

267   Par conséquent, il y a lieu de rejeter ce moyen.

C –  Sur le troisième moyen, tiré des erreurs d’appréciation et de droit et de la violation du principe de proportionnalité dans la prise en compte des circonstances aggravantes et atténuantes

268   Les requérantes contestent l’augmentation du montant des amendes effectuée sur la base de certaines des circonstances aggravantes retenues par la Commission, à savoir celle relative à la poursuite en secret de l’accord ainsi que celle portant sur l’usage de la violence. Par ailleurs, la requérante dans l’affaire T‑217/03 réclame la prise en compte de plusieurs circonstances atténuantes. Les requérantes estiment que la Commission, de par la prise en compte de ces circonstances aggravantes et atténuantes, a commis des erreurs d’appréciation et de droit et a violé le principe de proportionnalité.

1.     En ce qui concerne la circonstance aggravante relative à la poursuite en secret de l’accord

a)     Arguments des parties

269   Les requérantes nient la poursuite en secret de l’accord du 24 octobre 2001 et contestent, partant, la majoration de 20 % du montant des amendes imposée sur cette base.

270   La Commission maintient que l’accord a été poursuivi, de façon secrète et non écrite, au-delà de l’expiration de l’accord écrit du 24 octobre 2001.

b)     Appréciation du Tribunal

271   Il convient d’observer que, le 26 novembre 2001, la Commission a adressé une lettre d’avertissement aux requérantes, leur indiquant que les faits dont elle avait connaissance, dont la conclusion de l’accord du 24 octobre 2001, traduisaient l’existence d’une infraction aux règles communautaires de la concurrence, à laquelle elles devaient mettre fin. Les requérantes ont répondu à la Commission que ledit accord cesserait le 30 novembre 2001 et qu’il ne serait pas prorogé (voir point 15 ci-dessus). Or, le Tribunal a jugé que, contrairement à ce que les requérantes font valoir, celles-ci ont poursuivi leur accord au-delà du 30 novembre 2001, de façon secrète, malgré l’avertissement de la Commission et en contrevenant aux assurances qu’elles ont données à cette dernière (voir point 185 ci-dessus). Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la Commission était en droit de reprocher aux requérantes, en tant que circonstance aggravante, cette poursuite de l’infraction (voir, en ce sens, arrêt LR AF 1998/Commission, précité, point 324), et de majorer ainsi de 20 % le montant des amendes.

272   Partant, ce grief doit être rejeté.

2.     En ce qui concerne la circonstance aggravante relative à l’usage de la violence

a)     Arguments des parties

273   Les requérantes dans l’affaire T‑245/03 contestent l’augmentation de 30 % des amendes infligées à la FNSEA, à la FNB et aux JA en raison du prétendu usage par leurs membres de la violence pour obtenir des abatteurs la signature de l’accord du 24 octobre 2001 et pour vérifier postérieurement son application.

274   Elles relèvent que, avant le 24 octobre 2001, les actions locales menées ont eu principalement pour objet d’obtenir du gouvernement français la mise en place d’un certain nombre de mesures, ainsi que de faire comprendre à l’opinion publique que seuls les éleveurs étaient en train de subir les conséquences de la crise. Ce serait dans un contexte de désespérance que, le 15 octobre 2001, une de ces actions aurait donné lieu à des actes de violence extrêmement graves. Cependant, la FNSEA n’aurait pas appelé à des blocages d’abattoirs ni a fortiori à des actes de violence.

275   Ces actions se seraient même considérablement aggravées, en particulier dans la journée du 23 octobre 2001, dans l’ouest de la France. Dans ce climat d’extrême tension, le ministre de l’Agriculture français aurait pris l’initiative de réunir d’urgence les requérantes et les fédérations d’abatteurs. Les requérantes en concluent que la violence n’a pas été utilisée par les fédérations nationales d’éleveurs pour obtenir des abatteurs la signature de l’accord du 24 octobre 2001, mais que c’est grâce à la signature de cet accord que la violence a pu cesser sur le terrain. Après la signature de l’accord du 24 octobre 2001, la situation aurait été différente selon les régions, les représentants des nombreux syndicats locaux ou départementaux n’ayant pas eu le même comportement. En tout état de cause, les actions qui auraient pu être menées dans certains départements l’auraient été dans le cadre de l’action syndicale exercée par ces syndicats locaux ou départementaux et ne pourraient donc pas être attribuées aux requérantes.

276   Les requérantes font enfin valoir que la Commission est tenue de respecter le principe de la personnalité des peines (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, points 78 et 79), et que, partant, elle ne pouvait retenir la violence des agissements comme circonstance aggravante que si elle apportait la preuve concrète que chacune des trois fédérations en cause avait effectivement incité ses membres à recourir à de tels actes.

277   La Commission fait observer que les requérantes ne contestent ni l’existence d’actes de violence, ni que ceux-ci ont été le fait de leurs membres indirects. Ces agissements pourraient être imputés aux requérantes, lesquelles auraient préconisé la mobilisation syndicale et auraient souvent été informées du résultat des opérations organisées et perpétrées afin de s’assurer de la mise en application de l’accord national et parfois appelées de leurs vœux par les requérantes. Ce serait donc à juste titre que la Commission aurait considéré que ces agissements constituaient une circonstance aggravante à la charge des requérantes.

b)     Appréciation du Tribunal

278   La décision attaquée constate, au considérant 173, que les agriculteurs membres des requérantes dans l’affaire T‑245/03 ont fait usage de la violence pour contraindre les fédérations d’abatteurs à adopter l’accord du 24 octobre 2001 et qu’ils se sont servis de moyens de contrainte physique pour mettre en place des instruments de vérification de l’application de l’accord, tels que des opérations illégales de contrôle de l’origine des viandes.

279   Il ressort en effet du dossier que de nombreuses actions ont été menées en France par des groupes d’éleveurs, auprès notamment d’entreprises d’abattage, aux fins d’imposer le respect de prix minimaux à l’achat de bovins et de faire obstacle aux importations de viande bovine. Le dossier montre également que, dans le cadre de certaines de ces actions, des actes de violence ont eu lieu, à savoir des blocages d’abatteurs, des destructions de viandes, des saccages d’entreprises et des contrôles illégaux.

280   Les requérantes dans l’affaire T‑245/03 admettent que de telles actions ont eu lieu. Cependant, elles contestent qu’elles puissent leur être imputées, car elles n’auraient pas été commises par leurs membres directs mais par les membres des syndicats locaux ou départementaux. Elles affirment, en outre, qu’elles n’ont jamais appelé à de tels actes de violence.

281   À cet égard, il y a lieu d’observer d’emblée que les requérantes dans l’affaire T‑245/03, dont notamment la FNSEA, la FNB et les JA, ont participé d’une façon décisive à la définition et à l’organisation de l’action syndicale visant à imposer le respect de prix minimaux pour certaines catégories de vaches et la suspension des importations en France de viande bovine. Cette action a été notamment mise en œuvre par de nombreux syndicats et fédérations agricoles, membres directs ou indirects des requérantes, ainsi que par des groupes d’éleveurs, dont il n’est pas contesté qu’ils étaient souvent membres de ces syndicats agricoles.

282   Ainsi, le compte rendu d’une réunion de coordination tenue le 16 octobre 2001 entre des représentants de la FNSEA, de la FNB, des JA et de la FNPL relève que la FNB avait proposé « d’imposer une grille du prix payé au producteur pour les différentes catégories de vaches de réforme ». Il est aussi indiqué que la stratégie syndicale proposée pour parvenir à imposer cette grille requérait, en particulier, le « contrôle de l’origine des viandes, notamment en [restauration hors domicile] » et la « mobilisation de tous les producteurs sur cet objectif, c’est-à-dire refuser de vendre en dessous du prix et/ou dénoncer ceux qui achètent en dessous ». Ledit compte rendu se réfère, enfin, au besoin de « mobiliser le réseau sur cette nouvelle stratégie ». De même, une note d’information de la FNB aux sections bovines du 19 octobre 2001 appelle à « poursuivre et intensifier la mobilisation des sections bovines sur les orientations définies par le Bureau FNB, pour l’obtention d’une grille de prix minim[aux] des vaches de réforme ». Il est ainsi indiqué qu’« [u]ne mobilisation syndicale forte [était] impérative sur cet objectif », et que celle-ci devait « se donner pour objectif d’obtenir l’adhésion des entreprises à ce principe », en précisant qu’« [u]ne action unie et coordonnée de l’ensemble des producteurs [était] indispensable ».

283   À la suite de la signature de l’accord du 24 octobre 2001, une note commune des requérantes dans l’affaire T‑245/03 à leurs adhérents du 25 octobre 2001 indique : « Chacun de nous doit désormais être très attentif à une stricte application de cet accord sur l’ensemble du territoire. » De plus, dans une autre note commune du 13 décembre 2001, il est demandé « à l’ensemble [des membres] du réseau FNSEA de se mobiliser [...] pour vérifier auprès de chaque abatteur les prix pratiqués » et, pour cela, « de bien vouloir organiser des démarches auprès de chaque abattoir situé dans [leur] département ».

284   Il y a lieu de conclure de ce qui précède que l’action sur le terrain des syndicats locaux s’inscrivait dans une stratégie organisée par les requérantes. Plusieurs pièces du dossier montrent, par ailleurs, que c’est dans le cadre de ces actions que se sont produits certains des actes de violence en cause.

285   Ainsi, un article de presse du 17 octobre 2001 rend compte du saccage des réfrigérateurs d’un abatteur à Fougères, pendant lequel des éleveurs s’étaient attaqués auxdits réfrigérateurs à coup de barres de fer et avaient brûlé des carcasses de bovins. L’article note que « [l]es éleveurs en colère [avaient] répondu à un mot d’ordre national relayé par la FDSEA et les [JA]. »De même, il est indiqué ce qui suit :

« Le président de la FDSEA de la Mayenne dénonce les importations de viande étrangère. Derrière lui, des carcasses et des piles de cartons alimentent un brasier géant. ‘On a trouvé ce qu’on cherchait. La viande stockée ici a été abattue en Hollande, en Autriche, en Allemagne ou en Italie’ ».

286   De même, un article de presse du 25 octobre 2001 fait état de blocages d’usines de transformation de viande bovine, d’abattoirs et de centrales d’achat réalisés par des syndicats agricoles français les jours précédents. L’article, après avoir indiqué que des dirigeants de ces syndicats avaient affirmé que, malgré la levée de ces blocages, « leurs troupes resteraient mobilisées, prévoyant des ‘visites’ de sites afin de vérifier si les entreprises respectent l’embargo », reproduit les déclarations suivantes du président de la FNSEA, réalisées en marge d’une conférence de presse : « On va les rencontrer. Si elles ne comprennent pas, on a des moyens persuasifs. » L’article indique, par ailleurs, que « [l]es éleveurs français [avaient] appelé [...] les Français à boycotter la viande bovine étrangère, menaçant en outre de représailles les entreprises qui en achèteraient après le 29 octobre ».

287   Enfin, dans un entretien du 4 décembre 2001, le vice-président de la FNB a affirmé que la grille de prix avait besoin, pour être appliquée, de la « mobilisation des éleveurs sur le terrain », en affirmant que, si les prix proposés par les abatteurs n’étaient pas conformes à ceux accordés, ceux-ci allaient bloquer les abattoirs incriminés.

288   Par ailleurs, il y a lieu de rejeter la thèse des requérantes selon laquelle les actes de violence n’ont pas été utilisés par les fédérations nationales d’éleveurs pour obtenir des abatteurs la signature de l’accord du 24 octobre 2001, cette signature ayant plutôt permis à la violence de cesser sur le terrain. En effet, premièrement, ledit accord prévoit explicitement que les fédérations représentant les abatteurs l’ont conclu « [e]n contrepartie du déblocage des abattoirs ». Deuxièmement, ces actions s’étant souvent produites dans le cadre de l’action syndicale lancée par les requérantes dans l’affaire T‑245/03, ces dernières ne sauraient justifier la conclusion d’un tel accord sur sa nécessité pour rétablir l’ordre public altéré par ladite action.

289   Dans ces conditions, le Tribunal considère que la Commission était en droit d’imputer à la FNSEA, à la FNB et aux JA une circonstance aggravante fondée sur l’usage de la violence et de majorer ainsi de 30 % le montant des amendes infligées à celles-ci.

290   Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté.

3.     En ce qui concerne l’absence de prise en compte de circonstances atténuantes

a)     Arguments des parties

291   La requérante dans l’affaire T‑217/03 soutient que la Commission n’a pas tenu compte de toutes les circonstances atténuantes prévues par les lignes directrices. Elle se réfère notamment à l’absence d’effet de l’accord sur le marché et à la cessation de l’infraction dès les premières interventions de la Commission. Elle invoque également son rôle exclusivement passif dans la réalisation de l’infraction, en dépit des déclarations de ses représentants. Ces éléments devraient conduire la Commission à l’exonérer de toute amende.

292   La Commission rétorque que les arguments de la requérante manquent en fait et en droit.

b)     Appréciation du Tribunal

293   En premier lieu, il importe de constater que l’argument selon lequel la requérante a cessé l’infraction depuis les premières interventions de la Commission manque en fait. En effet, il a été jugé que, contrairement à ce que les requérantes font valoir, celles-ci ont poursuivi leur accord au-delà du 30 novembre 2001, malgré l’avertissement de la Commission du 26 novembre 2001 et en contrevenant aux assurances qu’elles ont données à cette dernière (voir point 271 ci-dessus).

294   En deuxième lieu, il convient de relever que les déclarations du président de la requérante dans l’affaire T‑217/03 contredisent la thèse de cette dernière selon laquelle elle aurait joué un rôle exclusivement passif dans la réalisation de l’infraction. En effet, dans une lettre du 9 novembre 2001 au président de la FNSEA, le président de la requérante dans l’affaire T‑217/03 affirme ce qui suit : « La [requérante dans l’affaire T‑217/03] a pris une part active aux négociations du 24 octobre qui ont abouti à l’accord sur une grille de prix minim[aux] pour les vaches. Si la discussion a été difficile [...] elle a pu assez rapidement avancer sur le principe d’une grille de prix minim[aux], et je pense, avec ma fédération, y avoir fortement contribué. » En tout état de cause, la Commission a réduit de 60 % le montant de l’amende de la requérante, en prenant en compte deux circonstances atténuantes relatives à l’intervention appuyée du ministre de l’Agriculture français en faveur de la conclusion de l’accord et aux opérations illégales de blocage des établissements des membres de la requérante. Or, dans une certaine mesure, ces circonstances atténuantes se justifient par le fait que la requérante n’a pas joué un rôle prépondérant ou très actif dans l’infraction, sa participation à celle-ci s’expliquant, en partie au moins, par les circonstances particulières de l’espèce.

295   Enfin, en troisième lieu, il ne saurait être reproché à la Commission de n’avoir pas retenu en l’espèce une circonstance atténuante fondée sur la prétendue absence d’effets de l’accord litigieux sur les marchés. En effet, le Tribunal considère, contrairement à ce que prétend la requérante, qu’il ne ressort pas du dossier que l’accord litigieux n’a pas provoqué d’effets sur les marchés en cause. En particulier, le fait que la Commission n’a pas été en mesure de quantifier les effets réels de l’accord sur les prix et sur les échanges intracommunautaires (considérant 167 de la décision attaquée) ne signifie pas qu’il n’a produit aucun effet. En tout état de cause, il convient de relever que la prise en compte des effets résultant d’une infraction doit s’effectuer, le cas échéant, dans le cadre de l’appréciation de l’impact de celle-ci sur le marché aux fins de l’évaluation de sa gravité, et non en ce qui concerne l’appréciation du comportement individuel de chaque entreprise aux fins de l’évaluation des circonstances aggravantes ou atténuantes (arrêt Cheil Jedang/Commission, précité, point 189).

296   Il s’ensuit que, en l’espèce, la Commission a pu légitiment considérer qu’aucune de ces circonstances atténuantes ne devait être reconnue à la requérante dans l’affaire T‑217/03.

297   Partant, ce grief doit être rejeté.

298   Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’ensemble de ce moyen.

D –  Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 dans la fixation du montant des amendes

1.     Arguments des parties

299   Les requérantes dans l’affaire T‑245/03 soutiennent d’emblée qu’il ressort de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 que la Commission ne peut imposer à une association d’entreprises ne réalisant pas de chiffre d’affaires un montant d’amende supérieur à un million d’euros. Cette disposition, en effet, devrait faire l’objet d’une interprétation restrictive, eu égard au caractère quasi répressif des sanctions qu’elle prévoit.

300   La requérante dans l’affaire T‑217/03 fait valoir, quant à elle, que le plafond de 10 % du chiffre d’affaires s’applique à tout montant d’amende, même s’il est inférieur à un million d’euros. Autoriser une amende allant au-delà de ce plafond serait contraire aux principes d’égalité et de proportionnalité et pénaliserait systématiquement les petites entreprises.

301   Les requérantes soutiennent que les amendes imposées par la décision attaquée dépassent le plafond de 10 % de leurs chiffres d’affaires. Ainsi, le montant des recettes de la requérante dans l’affaire T‑217/03 s’élevant à 1 726 864 euros en 2002, l’amende de 480 000 euros représenterait plus de 25 % de son chiffre d’affaires. S’agissant des requérantes dans l’affaire T‑245/03, les amendes infligées représenteraient, respectivement, 200 % des cotisations annuelles de la FNSEA, 240 % de celles de la FNB, 80 % en ce qui concerne la FNPL et, enfin, 200 % s’agissant des JA.

302   Les requérantes soutiennent, à cet égard, que le calcul du respect dudit plafond ne pouvait s’effectuer en prenant en considération les chiffres d’affaires de leurs membres respectifs, directs ou indirects.

303   En effet, il ressortirait de la jurisprudence que la prise en compte des chiffres d’affaires des membres d’associations d’entreprises aux fins du calcul du plafond de 10 % n’est possible que si, en vertu de ses règles internes, l’association en cause peut engager ses membres (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C‑298/98 P, Rec. p. I‑10157, point 66 ; arrêts du Tribunal CB et Europay/Commission, précité, point 136 ; du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T‑29/92, Rec. p. II‑289, point 385 ; SCK et FNK/Commission, précité, point 252, et du 14 mai 1998, Finnboard/Commission, T‑338/94, Rec. p. II‑1617, point 270). Le chiffre d’affaires des membres ne devrait ainsi être pris en compte que si l’entente litigieuse relevait de l’objet même des statuts de l’association en question ou si ces statuts permettaient de les engager (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 4 juin 1996, SCK et FNK/Commission, T‑18/96 R, Rec. p. II‑407, points 33 et 34).

304   Or, les requérantes font valoir qu’elles ne peuvent pas engager leurs membres respectifs. Ainsi, la requérante dans l’affaire T‑217/03 prétend qu’elle a un simple pouvoir de défense morale et professionnelle de ses membres et de représentation de ceux-ci auprès des pouvoirs publics ou des organisations professionnelles et qu’elle n’est pas une association chargée des intérêts commerciaux de ses membres ou de conclure des accords pour le compte de ceux-ci. De même, les requérantes dans l’affaire T‑245/03 affirment qu’aucune disposition légale ni aucune stipulation de leurs statuts respectifs ne les habilite à contracter des engagements au nom de leurs membres. A fortiori elles seraient dans l’incapacité d’engager les « membres des membres affiliés à leurs membres », c’est-à-dire les éleveurs personnes physiques, adhérents des syndicats locaux.

305   Les requérantes dans l’affaire T‑245/03 soutiennent, enfin, que même si elles avaient eu le pouvoir, en vertu de leurs règles internes, d’engager leurs membres, la Commission ne pouvait, en tout état de cause, appliquer la méthode du cumul des chiffres d’affaires de ces derniers pour calculer en l’espèce le montant des amendes. En effet, les requérantes ne seraient pas des fédérations autonomes, mais auraient des membres communs. Partant, il aurait fallu ne prendre en considération, pour chaque fédération, que le cumul des revenus des éleveurs qui ne seraient membres que de cette fédération.

306   La Commission fait valoir d’emblée que l’argumentation selon laquelle elle ne peut imposer à une association d’entreprises ne réalisant pas de chiffre d’affaires un montant d’amende supérieur à un million d’euros repose sur une lecture erronée de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17.

307   Elle soutient par ailleurs que, aux termes de cette disposition, elle n’est tenue d’examiner le respect du seuil de 10 % du chiffre d’affaires que lorsqu’elle impose une amende dépassant un million d’euros (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 119). Or, la requérante dans l’affaire T‑217/03 s’étant vu infliger une amende de 480 000 euros, la Commission n’aurait donc pas pu méconnaître ledit seuil maximal en ce qui la concerne.

308   La Commission fait remarquer que le point 5, sous c), des lignes directrices prévoit que, dans les affaires mettant en cause des associations d’entreprises, lorsqu’il s’avère impossible d’infliger des amendes individuelles aux entreprises membres, l’association doit se voir infliger une amende globale équivalente à la totalité des amendes individuelles qui auraient pu être infligées à chacun de ses membres. En effet, se limiter au budget d’une fédération ne rendrait nullement compte du poids réel des parties à un accord.

309   La Commission conteste l’interprétation avancée par les requérantes de la jurisprudence citée au point 303 ci-dessus. Elle fait remarquer que, selon cette jurisprudence, le plafond de 10 % peut être calculé par rapport au chiffre d’affaires des membres d’une association d’entreprises « à tout le moins lorsque, en vertu de ses règles internes, l’association peut engager ses membres ». La Commission soutient que l’expression « à tout le moins lorsque » n’est pas synonyme de « à condition que », mais plutôt de « du moins » ou « en tout cas ». Cette jurisprudence n’exclurait pas que d’autres circonstances spécifiques puissent justifier de prendre en compte les chiffres d’affaires des membres d’une association. Ainsi, elle fait remarquer que, dans les présentes affaires, l’accord a été conclu par les fédérations nationales au bénéfice de leurs membres. Les requérantes n’auraient pas d’activité économique et, partant, un accord purement commercial n’aurait d’intérêt économique que pour leurs membres. Les intérêts des fédérations et ceux de leurs membres se confondraient totalement, les requérantes n’ayant aucun intérêt propre à conclure l’accord.

310   La Commission fait valoir, en tout état de cause, que les requérantes avaient en l’espèce la capacité d’engager leurs membres, au sens de la jurisprudence susvisée. Elle fait observer que les statuts d’une association ne doivent pas nécessairement mentionner cette capacité, celle-ci pouvant résulter de la combinaison de diverses dispositions. De même, l’exigence d’engager les membres n’impliquerait pas de pouvoir les lier juridiquement. En toute hypothèse, il ressortirait de l’examen des statuts des requérantes que celles-ci peuvent lier leurs membres respectifs.

311   Or, selon la Commission, si l’on prend comme base du calcul les chiffres d’affaires des membres de base des requérantes, les amendes imposées en l’occurrence n’ont pas dépassé le plafond de 10 %. Premièrement, s’agissant de la requérante dans l’affaire T‑217/03, d’après les estimations figurant dans sa lettre du 27 janvier 2003, le montant de l’amende apparaîtrait tout à fait marginal par rapport aux chiffres d’affaires de ses membres. Deuxièmement, en ce qui concerne les requérantes dans l’affaire T‑245/03, la Commission fait remarquer que, en prenant en compte le nombre des affiliés à la FNSEA déclaré par celle-ci, la répartition du total des amendes sur le nombre d’exploitants agricoles adhérents reviendrait à 48,68 euros par membre. Par conséquent, un chiffre d’affaires moyen annuel de 500 euros par membre suffirait pour éviter d’atteindre le plafond. De même, le secteur de la viande bovine ayant généré quelque 4,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2002 et la FNSEA déclarant représenter 70 % des agriculteurs français, le chiffre d’affaires de ses membres devrait représenter environ 3 milliards d’euros. Or, le montant total des amendes n’atteindrait le plafond de 10 % du chiffre d’affaires des éleveurs bovins de la FNSEA que si ceux-ci généraient moins de 160 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit représentaient 3,5 % du secteur bovin. Enfin, même en tenant compte des affiliations des éleveurs à plusieurs associations, le calcul ne changerait pas. Ainsi, en répartissant l’amende de la FNSEA sur ses 270 000 membres qui ne seraient pas affiliés aux JA, le chiffre en résultant serait de 44,44 euros par exploitant.

2.     Appréciation du Tribunal

312   L’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 prévoit que la Commission peut infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille euros au moins et d’un million d’euros au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction.

313   Contrairement à ce que soutiennent les requérantes dans l’affaire T‑245/03, cette disposition n’interdit pas à la Commission d’imposer des amendes supérieures à un million d’euros à des associations qui prétendument ne réalisent pas de chiffre d’affaires. Selon une jurisprudence constante, l’utilisation du terme générique « infraction » à l’article 15, paragraphe 2, en ce qu’il couvre sans distinction les accords, les pratiques concertées et les décisions d’associations d’entreprises, indique que les plafonds prévus par cette disposition s’appliquent de la même manière aux accords et pratiques concertées, ainsi qu’aux décisions d’associations d’entreprises (voir arrêt du 14 mai 1998, Finnboard/Commission, précité, point 270, et la jurisprudence citée). Ainsi qu’il sera précisé par la suite, quand une association d’entreprises n’a pas d’activité économique propre ou quand son chiffre d’affaires ne révèle pas l’influence que cette association peut exercer sur le marché, la Commission peut, sous certaines conditions, prendre en considération le chiffre d’affaires des membres de celle-ci aux fins de calculer le montant maximal de l’amende qui peut lui être infligée.

314   S’agissant de la question de savoir si le seuil de 10 % du chiffre d’affaires vise seulement les amendes dont le montant est supérieur à un million d’euros, il y a lieu de relever, à l’instar de la Cour dans l’arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, précité, que, aux termes de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, la seule référence expresse au chiffre d’affaires de l’entreprise concerne la limite supérieure d’une amende dépassant un million d’euros (point 119 de l’arrêt). Cependant, il importe de relever que les lignes directrices établissent, au point 5, sous a), que le résultat final du calcul de l’amende, réalisé selon le schéma prévu aux points 1 à 3, ne peut « en aucun cas » dépasser 10 % du chiffre d’affaires mondial des entreprises, conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17. Or, la Commission étant tenue de se conformer aux lignes directrices, il y a lieu de conclure que le plafond de 10 % du chiffre d’affaires devait être respecté en l’espèce même en ce qui concerne la fixation d’amendes d’un montant inférieur à un million d’euros, comme celles imposées à la requérante dans l’affaire T‑217/03 et aux JA (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, non publié au recueil, point 388).

315   Or, il est constant entre les parties que, en l’occurrence, les amendes qui ont été infligées aux requérantes excèdent 10 % de leurs chiffres d’affaires respectifs, si l’on entend par ceux-ci le montant global de leurs recettes, dont notamment les cotisations versées par leurs membres et les subventions qui leur ont été accordées. Il se pose toutefois la question de savoir si, ainsi que la Commission le soutient, le respect dudit plafond pouvait néanmoins être calculé, en l’espèce, par rapport aux chiffres d’affaires des membres des requérantes.

316   Il y a lieu de rappeler que les lignes directrices prévoient, au point 5, sous c), que, dans les affaires mettant en cause des associations d’entreprises, il importe, dans toute la mesure du possible, de rendre les entreprises membres de ces associations destinataires des décisions et de leur infliger des amendes individuelles. Cependant, dans le cas où cette procédure s’avérerait impossible (par exemple s’il existe plusieurs milliers d’entreprises membres), l’association devrait se voir infliger une amende globale équivalente à la totalité des amendes individuelles qui auraient pu être infligées à chacun des membres de cette association.

317   En effet, selon une jurisprudence constante, le plafond de 10 % du chiffre d’affaires doit être calculé par rapport au chiffre d’affaires réalisé par chacune des entreprises parties aux accords et pratiques concertées ou par l’ensemble des entreprises membres des associations d’entreprises, à tout le moins lorsque, en vertu de ses règles internes, l’association peut engager ses membres. Cette possibilité de prendre en compte, à cet égard, le chiffre d’affaires de l’ensemble des entreprises membres d’une association se justifie en ce que, en fixant le montant des amendes, on peut tenir compte, notamment, de l’influence que l’entreprise a pu exercer sur le marché, par exemple en raison de sa taille et de sa puissance économique, sur lesquelles le chiffre d’affaires de l’entreprise donne des indications, ainsi que de l’effet dissuasif que doivent exercer ces amendes. Or, l’influence qu’a pu exercer sur le marché une association d’entreprises ne dépend pas de son propre chiffre d’affaires, qui ne révèle ni sa taille ni sa puissance économique, mais bien du chiffre d’affaires de ses membres qui constitue une indication de sa taille et de sa puissance économique (arrêts CB et Europay/Commission, précité, points 136 et 137 ; SPO e.a./Commission, précité, point 385, et du 14 mai 1998, Finnboard/Commission, précité, point 270).

318   Cette jurisprudence n’exclut toutefois pas que, dans des cas particuliers, cette prise en compte du chiffre d’affaires des membres d’une association puisse également être possible même si cette dernière ne dispose pas, formellement, du pouvoir d’engager ses membres, au vu de l’absence de règles internes lui reconnaissant une telle capacité. La faculté de la Commission d’imposer des amendes d’un montant approprié aux infractions en cause pourrait, sinon, se voir compromise, dans la mesure où des associations ayant un très petit chiffre d’affaires mais regroupant, sans pour autant pouvoir les engager formellement, un nombre élevé d’entreprises qui, ensemble, réalisent un chiffre d’affaires important, ne pourraient être sanctionnées que par des amendes très réduites, même si les infractions commises par celles-ci pouvaient exercer une influence notable dans les marchés en cause. Cette circonstance irait à l’encontre, en outre, de la nécessité d’assurer l’effet dissuasif des sanctions contre les infractions aux règles de concurrence communautaires.

319   Partant, le Tribunal considère que d’autres circonstances spécifiques, au-delà de l’existence de règles internes permettant à l’association d’engager ses membres, peuvent justifier la prise en compte des chiffres d’affaires cumulés des membres de l’association en cause. Il s’agit, en particulier, des cas où l’infraction commise par une association porte sur les activités de ses membres et où les pratiques anticoncurrentielles en cause sont exécutées par l’association directement au bénéfice de ces derniers et en coopération avec ceux-ci, l’association n’ayant pas d’intérêts objectifs présentant un caractère autonome par rapport à ceux de ses membres. Bien que, dans certaines de ces hypothèses, la Commission puisse éventuellement, en plus de sanctionner l’association en cause, imposer des amendes individuelles à chacune des entreprises membres, cela peut s’avérer particulièrement difficile, voire impossible, quand le nombre de celles-ci est très élevé.

320   En l’espèce, en premier lieu, il convient de relever que les fédérations requérantes ont pour mission primordiale de défendre et de représenter les intérêts de leurs membres de base, à savoir des exploitants agricoles, des groupements coopératifs et des entreprises d’abattage. Ainsi, s’agissant des requérantes dans l’affaire T‑245/03, la FNSEA a pour objet de représenter et de défendre les intérêts de la profession agricole et, à cet effet, organise, coordonne et harmonise l’ensemble des intérêts professionnels des exploitants agricoles membres des syndicats de base (article 8 de ses statuts) ; la FNB a pour objet l’organisation, la représentation et la défense des intérêts communs de tous les producteurs d’animaux de l’espèce bovine (article 7 de ses statuts) ; la FNPL a pour mission la coordination, l’organisation, la représentation et la défense des intérêts de tous les producteurs de lait et de produits laitiers (article 6 de ses statuts); enfin, les JA ont notamment pour mission de représenter les jeunes agriculteurs et de défendre leurs intérêts (article 6 des statuts). En ce qui concerne la requérante dans l’affaire T‑217/03, aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de ses statuts, elle a pour mission, notamment, d’assurer la défense morale et professionnelle de ses adhérents, dont les groupements des producteurs de bétail et leurs filiales effectuant l’abattage du bétail.

321   En deuxième lieu, l’accord litigieux ne portait pas sur l’activité des requérantes elles-mêmes mais sur celle de leurs membres de base. En effet, les requérantes ne vendent, ni n’achètent, ni n’importent de la viande bovine. Elles ne sont donc concernées directement ni par l’engagement de suspension des importations ni par l’établissement d’une grille de prix minimaux. Les mesures établies dans l’accord litigieux n’affectaient que les membres de base des requérantes, qui étaient, en outre, ceux qui devaient les mettre en pratique.

322   En troisième lieu, il convient d’observer que l’accord litigieux a été conclu directement au bénéfice des membres de base des requérantes. En effet, s’agissant, premièrement, des fédérations d’exploitants agricoles, l’accord avait pour objectif de permettre à leurs membres qui sont éleveurs de bovins d’écouler leur production et d’obtenir des prix rémunérateurs, afin de faire face à la crise du secteur au moment des faits de l’espèce. En ce qui concerne, deuxièmement, les fédérations d’abatteurs, il convient de relever que, si les mesures adoptées, soit la fixation de prix minimaux et la suspension ou limitation des importations, peuvent sembler potentiellement contraires aux intérêts des entreprises d’abattage, dans la mesure où elles pouvaient comporter une augmentation de leurs coûts d’exploitation, il n’en reste pas moins que la conclusion de l’accord litigieux avait pour objectif, dans le contexte des tensions de l’espèce, de permettre à ces entreprises de reprendre leur activité et de diminuer, dans une certaine mesure, les menaces pesant sur celle-ci. Ainsi, ledit accord prévoit expressément que les fédérations représentant les abatteurs ont conclu l’accord « [e]n contrepartie du déblocage des abattoirs ».

323   En quatrième lieu, il importe de relever, ainsi qu’il a été indiqué, que l’accord litigieux a été mis en oeuvre notamment par la conclusion d’accords locaux entre des fédérations départementales et des syndicats locaux agricoles – soit des membres des requérantes dans l’affaire T‑245/03 – et des entreprises d’abattage (voir points 112 à 115 ci-dessus). En outre, le suivi du respect et de l’application des stipulations de l’accord a souvent été assuré par des actions concrètes de groupes d’éleveurs.

324   Dans ces conditions, le Tribunal considère que, en l’occurrence, il était justifié de prendre en compte les chiffres d’affaires des membres de base des requérantes aux fins de calculer le plafond maximal de 10 % visé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17. En particulier, seuls les chiffres d’affaires de ceux-ci constituaient une indication adéquate, en l’espèce, de la puissance économique des requérantes et donc de l’influence qu’elles ont pu exercer sur les marchés en cause.

325   Cette possibilité de prendre en compte les chiffres d’affaires des membres de base des requérantes doit toutefois être limitée, en l’occurrence, à ceux de leurs membres qui étaient actifs sur les marchés affectés par les infractions sanctionnées dans la décision attaquée, à savoir les éleveurs de bovins et les entreprises d’abattage et de transformation de viande. En effet, il convient de constater que, à l’exception de la FNB et, dans une moindre mesure, de la FNPL, seule une petite partie des membres directs ou indirects des requérantes avait des intérêts dans le secteur de l’élevage de bovins, dans le cas des requérantes dans l’affaire T‑245/03, ou de l’abattage de bovins, s’agissant de la requérante dans l’affaire T‑217/03. En effet, l’accord ne portait pas sur l’activité des membres des requérantes qui n’étaient pas actifs sur les marchés bovins, il n’a pas été conclu au bénéfice de ceux-ci, et ces membres n’ont vraisemblablement pas participé à la mise en œuvre des mesures litigieuses. Par conséquent, leurs chiffres d’affaires ne peuvent pas être utilisés, en l’espèce, aux fins du calcul du plafond de 10 %.

326   C’est à la lumière des considérations précédentes qu’il faut examiner si les montants des amendes infligées aux requérantes dans la décision attaquée ont dépassé le plafond de 10 % du chiffre d’affaires établi par l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17.

327   Ainsi, en ce qui concerne la requérante dans l’affaire T‑217/03, il ressort des estimations fournies par celle-ci dans sa lettre du 27 janvier 2003 à la Commission que l’amende qui lui a été imposée représentait entre 0,05 et 0,2 % du chiffre d’affaires en 2002 des entreprises coopératives d’abattage et de transformation qui en sont membres, selon la prise en compte ou non des entreprises qui sont membres à la fois de la requérante et du Syndical national de l’industrie des viandes (SNIV), le syndicat spécialisé regroupant les grandes entreprises industrielles du secteur.

328   S’agissant des requérantes dans l’affaire T‑245/03, le Tribunal ne dispose pas de données précises relatives aux chiffres d’affaires des éleveurs de bovins qui en sont adhérents. En effet, les requérantes, à la demande, tout d’abord, de la Commission, pendant la procédure administrative, et, ensuite, du Tribunal, dans la présente espèce, ont fait valoir qu’elles ne pouvaient pas produire les chiffres d’affaires, même approximatifs, de leurs adhérents éleveurs. Les requérantes n’ont pas non plus été en mesure d’indiquer au Tribunal le nombre d’éleveurs de bovins qui sont membres de base, respectivement, de la FNSEA et des JA, et ont fait valoir que la FNB et la FNPL n’ont pas, à proprement parler, de membres de base.

329   Les requérantes dans l’affaire T‑245/03 ont toutefois indiqué que, en 2002, le chiffre d’affaires en France lié à la production du secteur des gros bovins était de 4,552 milliards d’euros et que celui lié à l’abattage de gros bovins était de 3,430 milliards d’euros. Si l’on prend en considération le plus petit de ces chiffres, il y a lieu de conclure que les amendes imposées aux requérantes ne dépasseraient pas le plafond de 10 % du chiffre d’affaires de leurs membres éleveurs de bovins si ceux-ci représentaient au moins 3,5 % pour la FNSEA, 0,42 % pour la FNB, 0,18 % pour les JA et 0,42 % pour la FNPL dudit chiffre d’affaires global. Or, aucune des requérantes ne conteste que ses adhérents représentent une partie significative du chiffre d’affaires lié à l’abattage de gros bovins en France. À cet égard, le Tribunal rappelle que, en réponse à une question posée par le juge des référés, les requérantes dans l’affaire T‑245/03 ont admis la possibilité que les membres de la FNSEA pouvaient représenter environ 50 % des 240 000 exploitants possédant plus de cinq gros bovins en France (ordonnance du président du Tribunal du 21 janvier 2004, FNSEA e.a./Commission, T‑245/03 R, Rec. p. II‑271, point 89).

330   Le Tribunal considère suffisamment établi, dans ces conditions, que les amendes imposées aux requérantes dans l’affaire T‑245/03 ne dépassent pas le plafond de 10 % des chiffres d’affaires de leurs membres respectifs.

331   Cette conclusion ne saurait être infirmée par la thèse des requérantes selon laquelle, puisque leurs membres sont communs, la Commission aurait dû ne prendre en considération, pour chaque fédération, que le cumul des revenus des éleveurs qui ne sont membres que de celle-ci. Effectivement, ainsi que les requérantes le relèvent, tous les éleveurs membres directs ou indirects de la FNB, de la FNPL ou des JA sont, en même temps, des membres indirects de la FNSEA. Toutefois, aux fins de la vérification du respect du plafond de 10 % du chiffre d’affaires, il suffit en l’occurrence que le montant cumulé des amendes imposées aux quatre requérantes dans l’affaire T‑245/03 se situe en dessous de 10 % du chiffre d’affaires des éleveurs membres de base de la FNSEA, la fédération qui regroupe les trois autres fédérations requérantes. Or, pour que ce plafond ne soit pas dépassé en l’espèce, il suffirait que le chiffre d’affaires des éleveurs membres de base de la FNSEA représente au moins 4,52 % du chiffre d’affaires lié à l’abattage de gros bovins en France. Pour les raisons susvisées, le Tribunal estime que c’est le cas en l’espèce.

332   Enfin, les requérantes dans l’affaire T‑245/03 ne sauraient non plus se prévaloir de ce que la FNB et la FNPL n’auraient pas, à proprement parler, de membres de base, dans la mesure où aucun agriculteur ne ferait acte d’adhésion auprès d’elles, aussi bien directement qu’indirectement. En effet, il importe de constater que ces fédérations perçoivent des cotisations auprès des fédérations départementales (en fonction, respectivement, du nombre total de têtes de bétail du département et des litres de lait produit dans celui-ci). Ces fédérations départementales regroupent des syndicats locaux, auxquels adhèrent les éleveurs. Partant, les éleveurs de bovins peuvent, aux fins du calcul du plafond de 10 % du chiffre d’affaires, être considérés comme membres de base de la FNB et de la FNPL, de la même façon qu’ils sont considérés comme des membres de base de la FNSEA.

333   Eu égard à tout ce qui précède, le Tribunal conclut que les amendes imposées aux requérantes dans la décision attaquée ne dépassent pas le plafond de 10 % des chiffres d’affaires de leurs membres respectifs.

334   Par conséquent, il y a lieu de rejeter ce moyen.

E –  Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe de non-cumul des sanctions

1.     Arguments des parties

335   Les requérantes font remarquer que le principe du non-cumul des sanctions ou non bis in idem empêche qu’une personne puisse être sanctionnée plusieurs fois pour un seul fait. Ce principe, figurant à l’article 4 du protocole n° 7 de la CEDH, serait d’application constante en droit communautaire de la concurrence (arrêt de la Cour du 14 décembre 1972, Boehringer Mannheim/Commission, 7/72, Rec. p. 1281, point 3) et constituerait un principe fondamental du droit communautaire (arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 59).

336   Les requérantes soutiennent que la décision attaquée a sanctionné plusieurs fois les mêmes personnes pour la même infraction, dans la mesure où la FNB, les JA et la FNPL sont des adhérents de la FNSEA. Les personnes physiques éleveurs de bovins qui adhéreraient localement aux syndicats locaux pourraient être indirectement rattachées à la FNSEA et à la FNB, de même qu’à la FNPL (dès lors qu’elles possèdent des vaches laitières) et enfin aux JA (si elles ont moins de 35 ans). De même, certains membres de la requérante dans l’affaire T‑217/03 seraient également membres de la FNSEA. De ce fait, ces personnes subiraient indirectement plusieurs amendes, alors que la Commission ne pourrait leur reprocher, indirectement, qu’un seul et même fait. Les requérantes contestent l’argument de la Commission selon lequel le principe non bis in idem ne trouverait pas à s’appliquer en l’espèce du fait de l’existence d’une procédure unique. En l’occurrence, les procédures parallèles engagées par la Commission contre les requérantes auraient provoqué une répétition des sanctions à leur égard. En outre, l’on ne saurait limiter l’application de ce principe aux cas d’entreprises poursuivies pour la même infraction par plusieurs autorités de concurrence.

337   Par ailleurs, les requérantes dans l’affaire T‑245/03 constatent que la Commission, dans la fixation du montant de base des amendes, s’est fondée sur le rapport existant entre le montant des cotisations annuelles perçues par la FNSEA et ceux perçus par chacune des autres fédérations en cause. Or, les proportions retenues seraient inexactes, en ce que la FNB et la FNPL reverseraient à la FNSEA une partie des cotisations annuelles qu’elles perçoivent (soit, en 2001, environ 10 %, correspondant à 60 979 euros, pour la FNB, et 15 %, représentant 181 670 euros, pour la FNPL). Les proportions retenues devraient donc être diminuées à due concurrence.

338   La République française relève qu’il n’est pas contestable que, en l’occurrence, des personnes physiques sont membres de différentes fédérations, ne serait-ce qu’en raison de l’affiliation de certaines fédérations à la FNSEA, et donc que ces personnes ont été doublement frappées d’amendes pour une seule et même infraction au droit de la concurrence. Cela reviendrait à leur infliger une amende démesurée et violerait le principe de proportionnalité.

339   La Commission fait remarquer que, dans la jurisprudence communautaire, le principe non bis in idem s’applique à des cas où une entreprise sanctionnée (ou susceptible de l’être) au niveau communautaire pour des infractions aux règles de concurrence a été également sanctionnée (ou est susceptible de l’être), dans une autre procédure, dans un pays tiers ou dans un État membre (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 13 février 1969, Wilhelm e.a., 14/68, Rec. p. 1, et Boehringer Mannheim/Commission, précité). Selon la Commission, la seule identité des faits ne suffit pas à justifier l’application de ce principe, car il faut également qu’il y ait identité de parties. En l’occurrence, chaque fédération aurait été mise en cause pour sa participation propre à l’infraction, chacune, de par son influence propre sur le marché, étant nécessaire pour l’efficacité de l’accord. Le fait que certaines personnes soient membres de plusieurs de ces fédérations n’enlèverait rien à la circonstance que chacune des requérantes a pris part à l’accord. Enfin, la proportionnalité des amendes imposées à plusieurs fédérations comptant des membres communs serait assurée par le plafonnement à 10 % du chiffre d’affaires, mais ne pourrait mener à une immunité desdits membres.

2.     Appréciation du Tribunal

340   Il ressort de la jurisprudence que le principe non bis in idem constitue un principe général du droit communautaire dont le juge assure le respect. Dans le domaine du droit communautaire de la concurrence, ce principe interdit qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois par la Commission du fait d’un comportement anticoncurrentiel pour lequel elle a été sanctionnée ou a été déclarée non responsable par une décision antérieure de la Commission qui n’est plus susceptible de recours (arrêts du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, points 85 et 86, et du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, précité, points 130 et 131). L’application du principe non bis in idem est soumise à une triple condition d’identité des faits, d’unité de contrevenant et d’unité de l’intérêt juridique protégé. Ce principe interdit donc de sanctionner une même personne plus d’une fois pour un même comportement illicite afin de protéger le même bien juridique (arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 338).

341   En l’espèce, la Commission a sanctionné les fédérations requérantes en raison de la participation et du degré de responsabilité propre de chacune de ces fédérations dans l’infraction (voir considérant 169 et articles 1er et 3 de la décision attaquée). En effet, toutes les requérantes ont participé, même si avec une intensité et une implication différentes, aux infractions sanctionnées par la décision attaquée. En particulier, toutes les fédérations requérantes ont signé l’accord du 24 octobre 2001. Dès lors, la Commission pouvait légitimement sanctionner chaque fédération ayant pris part à l’accord litigieux en se fondant sur le rôle individuel que chacune a joué dans la signature et l’application de celui-ci et sur les circonstances atténuantes et aggravantes propres à chacune d’elles.

342   Cette conclusion ne saurait être infirmée, contrairement à ce que prétendent les requérantes dans l’affaire T‑245/03, par la circonstance que la FNB, la FNPL et les JA sont membres de la FNSEA. En effet, ces fédérations ont des personnalités juridiques indépendantes, des budgets séparés et des objectifs qui ne coïncident pas toujours. Ainsi, elles mènent à terme leurs actions syndicales respectives en défense d’intérêts qui leurs sont propres et spécifiques (voir point320 ci-dessus). Le fait que, en l’espèce, ces fédérations aient largement coordonné leur action, ainsi que celle de leurs membres respectifs, dans la poursuite d’objectifs communs ne saurait enlever à chacune de ces fédérations leur responsabilité respective dans l’infraction.

343   Par ailleurs, contrairement à ce que les requérantes semblent soutenir, la décision attaquée n’a pas infligé de sanctions à leurs membres de base, directs ou indirects. En effet, le fait de prendre en considération le chiffre d’affaires des membres d’une association d’entreprises dans la détermination du plafond de 10 % ne signifie pas qu’une amende leur a été infligée, ni même, en soi, que l’association en cause a l’obligation de répercuter sur ses membres la charge de celle-ci (arrêt CB et Europay/Commission, précité, point 139). Les exploitants agricoles individuels qui sont membres indirects des fédérations requérantes dans l’affaire T‑245/03 n’ayant pas été sanctionnés dans la décision attaquée, l’on ne saurait considérer que le fait que les membres de base de la FNB, de la FNPL et des JA soient aussi membres de la FNSEA empêchait la Commission de sanctionner individuellement chacune de ces fédérations. A fortiori, il n’est pas pertinent que certains des membres de la requérante dans l’affaire T‑217/03 soient également adhérents de la FNSEA.

344   Il s’ensuit que, en l’occurrence, l’identité de contrevenants fait défaut, dans la mesure où la décision attaquée ne sanctionne pas plusieurs fois les mêmes entités ou les mêmes personnes pour les mêmes faits. Dès lors, il y a lieu de conclure qu’il n’y a pas eu atteinte au principe non bis in idem. De même, les membres, directs ou indirects, des requérantes n’ayant pas été doublement frappés d’amendes pour une seule et même infraction, contrairement à ce que soutient la République française, il n’y a pas eu non plus en l’espèce violation du principe de proportionnalité.

345   Par ailleurs, il convient de rejeter les arguments des requérantes dans l’affaire T‑245/03 selon lesquels la Commission a, au moment de la fixation du montant de base des amendes, calculé erronément le rapport existant entre le montant des cotisations annuelles perçues par la FNSEA et celui issu des cotisations versées à la FNB et à la FNPL. En particulier, contrairement à ce que font valoir les requérantes, la Commission n’était pas tenue d’ajuster les chiffres de la FNB et de la FNPL en soustrayant de ces montants les cotisations versées par celles-ci à la FNSEA. En effet, le montant de ces cotisations ayant été pris en considération comme indicateur objectif de l’importance relative de chaque fédération, la Commission était en droit de considérer que les chiffres pertinents étaient ceux de leurs cotisations globales respectives, lesquelles reflètent le degré de représentativité de chaque requérante.

346   Par conséquent, il y a lieu de rejeter ce moyen.

F –  Sur le sixième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation dans la prise en compte des circonstances prévues par le point 5, sous b), des lignes directrices

1.     Arguments des parties

347   La requérante dans l’affaire T-217/03 fait valoir que la réduction de 60 % retenue par la Commission, au titre du point 5, sous b), des lignes directrices, pour tenir compte du contexte particulier de la crise bovine devait être appliquée au montant de base de l’amende, et non à la somme résultant de l’application à celui-ci des majorations et minorations correspondant, respectivement, aux circonstances aggravantes et atténuantes. Il n’existerait aucune justification pour déroger au principe de détermination des amendes, figurant au point 2 des lignes directrices, consistant à calculer un montant de base et à le minorer ou à le majorer par la suite d’un pourcentage. À titre subsidiaire, la requérante fait valoir que la Commission aurait dû considérer la prise en compte du contexte économique comme une circonstance atténuante, comme elle l’aurait fait dans d’autres affaires.

348   Les requérantes dans l’affaire T-245/03 soutiennent, quant à elles, que la Commission, en appliquant le point 5, sous b), des lignes directrices, n’a pas tiré les conséquences appropriées des circonstances suivantes, exposées dans la décision attaquée (voir considérants 181 et 184) : premièrement, l’absence de but lucratif des requérantes ; deuxièmement, les spécificités liées au produit agricole en cause ; troisièmement, le fait que la Commission sanctionnait pour la première fois une entente conclue exclusivement entre des fédérations portant sur un produit agricole de base impliquant deux maillons de la chaîne de production ; quatrièmement, la spécificité du contexte de crise exceptionnelle. Les requérantes font remarquer à cet égard que les autorités de concurrence du Royaume-Uni, dans une décision du 3 février 2003, n’ont pas infligé d’amendes à une association de producteurs de viande bovine d’Irlande du Nord ayant conclu un accord sur les prix, eu égard au contexte dans lequel celui-ci était intervenu, marqué aussi par la crise de la vache folle et l’épidémie de fièvre aphteuse. Les requérantes font remarquer que, en l’occurrence, de tels éléments n’ont pas amené la Commission à procéder à l’adaptation adéquate des amendes, les montants finals demeurant exorbitants.

349   La Commission soutient que la thèse de la requérante dans l’affaire T‑217/03 sur la méthode de calcul de la réduction relative aux circonstances prévues au point 5, sous b), des lignes directrices méconnaît tant la lettre que l’esprit de celles-ci. Le grief selon lequel le contexte économique aurait dû être pris en compte en tant que circonstance atténuante constituerait un moyen nouveau et donc irrecevable. Quant aux arguments des requérantes dans l’affaire T-245/03, la Commission fait observer que la réduction d’amende de 60 % octroyée en l’espèce n’a pas d’équivalent dans sa pratique antérieure.

2.     Appréciation du Tribunal

350   Le point 5, sous b), des lignes directrices dispose :

« Il convient, selon les circonstances, après avoir établi les calculs figurant ci-dessus, de prendre en considération certaines données objectives telles qu’un contexte économique spécifique, l’avantage économique ou financier éventuellement acquis par les auteurs de l’infraction [...], les caractéristiques propres des entreprises en cause ainsi que leur capacité contributive réelle dans un contexte social particulier pour adapter, in fine, les montants d’amende envisagés. »

351   En l’occurrence, la Commission a pris en compte le contexte économique de l’espèce, marqué notamment par la grave crise du secteur bovin, et a appliqué une réduction de 60 % au montant résultant d’une majoration ou d’une minoration du montant de base des amendes en raison des circonstances aggravantes ou atténuantes prises en considération.

352   Il convient de rejeter, en premier lieu, la thèse de la requérante dans l’affaire T‑217/03 selon laquelle cette réduction de 60 % aurait dû être appliquée au montant de base de l’amende et non au montant déjà majoré et minoré en raison des circonstances aggravantes et atténuantes retenues. En effet, les lignes directrices traitent des circonstances aggravantes ou atténuantes, respectivement, aux points 2 et 3, lesquels prévoient l’« [a]ugmentation du montant de base » et la « [d]iminution du montant de base ». En revanche, le point 5, sous b), dispose que d’autres circonstances sont prises en considération « après avoir établi les calculs figurant ci-dessus » et prévoit qu’elles servent à « adapter, in fine, les montants d’amende envisagés ». Il y a donc lieu de conclure que le mode de calcul utilisé par la Commission a respecté les dispositions des lignes directrices.

353   S’agissant, en deuxième lieu, de l’argument subsidiaire de la requérante dans l’affaire T‑217/03, selon lequel le contexte économique aurait dû être pris en compte en tant que circonstance atténuante, il importe de constater qu’il n’a été invoqué qu’au stade de la réplique et que, partant, il constitue un moyen nouveau et doit donc être rejeté, conformément à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. En tout état de cause, il convient de relever que le point 5, sous b), des lignes directrices se réfère explicitement à la prise en compte du contexte économique spécifique d’une affaire et que, en revanche, ce critère n’est pas expressément mentionné au point 3 des lignes directrices, lequel vise les circonstances atténuantes. Dès lors, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas commis d’erreur en prenant en considération le contexte économique de l’espèce au titre du point 5, sous b), des lignes directrices et non au titre des circonstances atténuantes, comme le souhaitait la requérante.

354   En ce qui concerne, en troisième lieu, le renvoi à la décision des autorités de concurrence du Royaume-Uni du 3 février 2003, il suffit de rappeler que la Commission ne saurait être liée, dans son appréciation des circonstances de l’espèce, par des décisions adoptées par les autorités nationales dans d’autres affaires plus ou moins similaires.

355   Enfin, il convient, en quatrième lieu, de répondre aux arguments des requérantes selon lesquels la Commission n’a pas tiré toutes les conséquences appropriées des circonstances de l’espèce et aurait dû, au titre du point 5, sous b), des lignes directrices, réduire davantage encore les amendes.

356   Il importe d’observer que, dans la décision attaquée, la Commission a notamment pris en compte, dans l’application de ladite disposition, le fait que la décision attaquée sanctionnait pour la première fois une entente conclue exclusivement entre des fédérations syndicales, portant sur un produit agricole de base et impliquant deux maillons de la chaîne de production, ainsi que le contexte économique spécifique de l’affaire, qui allait au-delà du simple effondrement des cours ou de l’existence d’une maladie bien connue. Ce contexte économique était caractérisé par les éléments suivants : premièrement, la chute de la consommation de viande bovine, à la suite notamment de la crise de la vache folle, qui avait touché un secteur dans une situation déjà difficile ; deuxièmement, l’établissement par les autorités communautaires et nationales de mesures d’intervention visant à rétablir l’équilibre du marché de viande bovine ; troisièmement, la situation de perte de confiance des consommateurs liée aux craintes relatives à la maladie de la vache folle ; quatrièmement, la situation des agriculteurs qui, en dépit de mesures communautaires d’ajustement appliquées par la France, se trouvaient confrontés à des prix des vaches à l’entrée de l’abattoir de nouveau en baisse, alors que les prix à la consommation restaient, pour leur part, stables (considérants 181 à 185 de la décision attaquée).

357   Eu égard à cet ensemble de circonstances, la Commission a décidé d’octroyer aux requérantes une réduction de 60 % du montant des amendes, au titre du point 5, sous b), des lignes directrices.

358   Or, il y a lieu de rappeler que, si la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lors de la fixation du montant des amendes, le Tribunal statue toutefois, en vertu de l’article 17 du règlement nº 17, avec une compétence de pleine juridiction au sens de l’article 229 CE sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende et peut, en conséquence, supprimer, réduire ou majorer l’amende infligée.

359   En l’occurrence, le Tribunal considère que les diverses circonstances identifiées et prises en compte par la Commission dans la décision attaquée, au titre du point 5, sous b), des lignes directrices, revêtent un caractère très exceptionnel. Ce caractère exceptionnel découle tant des caractéristiques particulières des requérantes et de leurs missions et secteurs d’activité respectifs, que, plus particulièrement, des circonstances propres au contexte économique spécifique de l’espèce.

360   Or, le Tribunal estime que la réduction de 60 % des amendes décidée par la Commission au titre du point 5, sous b), des lignes directrices, bien qu’elle soit importante, ne prend pas suffisamment en compte cet ensemble exceptionnel de circonstances.

361   Dès lors, pour prendre en compte pleinement et correctement l’ensemble des circonstances identifiées par la Commission dans la décision attaquée et considérant que c’est la première fois que la Commission sanctionne ce type de comportements anticoncurrentiels, le Tribunal, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, estime qu’il est approprié d’établir à 70 % le pourcentage de réduction des amendes à accorder aux requérantes au titre du point 5, sous b), des lignes directrices.

III –  Sur la méthode de calcul et le montant final de l’amende

362   Le Tribunal a conclu, aux points 241 et 245 ci-dessus, que la Commission a violé, dans la décision attaquée, l’obligation de motivation lui incombant, en ce qu’elle n’a pas indiqué qu’elle avait utilisé les chiffres d’affaires des membres de base des requérantes aux fins du calcul du non-dépassement du plafond de 10 % visé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17, ni n’a exposé quelles circonstances lui permettaient de tenir compte de ces chiffres d’affaires cumulés. Il importe toutefois de relever que le Tribunal a jugé, aux points 324 et 325 ci-dessus, que la Commission était en droit, en l’occurrence, de prendre en compte les chiffres d’affaires des membres de base des requérantes aux fins de calculer ledit plafond, pourvu qu’il s’agisse de membres actifs sur les marchés affectés par les infractions sanctionnées dans la décision attaquée.

363   Le Tribunal considère que, dans ces conditions, le défaut de motivation susvisé ne doit entraîner ni l’annulation de la décision attaquée, puisque celle-ci ne pourrait que donner lieu à l’intervention d’une nouvelle décision, identique, quant au fond, à la décision annulée (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 3 décembre 2003, Audi/OHMI (TDI), T‑16/02, Rec. p. II‑5167, point 97), ni de modification dans le montant des amendes.

364   En revanche, ainsi qu’il résulte du point 361 ci-dessus, il y a lieu de réduire le montant des amendes qui ont été infligées aux requérantes moyennant l’application d’un pourcentage de 70 % au titre du point 5, sous b), des lignes directrices, au lieu du pourcentage de 60 % appliqué par la Commission. Dès lors, les montants de ces amendes sont fixés à :

–       360 000 euros pour la requérante dans l’affaire T‑217/03 ;

–       9 000 000 euros pour la FNSEA ;

–       1 080 000 euros pour la FNB ;

–       450 000 euros pour les JA ;

–       1 080 000 euros pour la FNPL.

 Sur les dépens

365   Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs de conclusions. En l’espèce, il y a lieu de décider que les requérantes supporteront leurs propres dépens afférents à la procédure au principal ainsi que les trois quarts des dépens exposés par la Commission afférents à cette procédure. La Commission supportera un quart de ses propres dépens afférents à la procédure au principal et l’ensemble des dépens afférents aux procédures de référé.

366   En application de l’article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, les dépens exposés par la République française, partie intervenante, demeureront à sa charge.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le montant de l’amende infligée à la Fédération nationale de la coopération bétail et viande, requérante dans l’affaire T‑217/03, est fixé à 360 000 euros.

2)      Le montant des amendes infligées aux requérantes dans l’affaire T‑245/03 est fixé à 9 000 000 euros pour la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, à 1 080 000 euros pour la Fédération nationale bovine, à 1 080 000 euros pour la Fédération nationale des producteurs de lait et à 450 000 euros pour les Jeunes agriculteurs.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      Les requérantes supporteront leurs propres dépens afférents à la procédure au principal et les trois quarts de ceux de la Commission afférents à cette procédure.

5)      La Commission supportera un quart de ses propres dépens afférents à la procédure au principal et l’ensemble des dépens afférents aux procédures de référé.

6)      La République française supportera ses propres dépens.


García-Valdecasas

Cooke

Labucka

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. D. Cooke

Table des matières


Cadre juridique

Faits à l’origine du litige

I –  Seconde crise dite « de la vache folle »

II –  Conclusion des accords litigieux et procédure administrative devant la Commission

III –  Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

Sur le fond

I –  Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

A –  Sur le premier moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et d’erreurs de droit dans l’appréciation des conditions requises pour l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE

1.  Sur la qualification des requérantes d’associations d’entreprises

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur l’absence d’affectation sensible du commerce entre États membres

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

3.  Sur l’absence de restriction de la concurrence

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

4.  Sur la qualification de l’action syndicale

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

B –  Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et d’erreurs de droit dans l’appréciation de l’étendue et de la durée de l’infraction

1.  Questions liminaires

a)  Sur la prise en compte des accords locaux

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

b)  Sur l’organisation, la sélection, la citation et l’interprétation des documents du dossier

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

2.  En ce qui concerne l’imputation aux requérantes d’un accord relatif aux importations

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

3.  En ce qui concerne l’imputation aux requérantes d’un accord oral secret postérieur à la fin du mois de novembre 2001

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

Sur la préparation de la reconduction de l’accord

Sur la reconduction de l’accord lors des réunions des 29 novembre et 5 décembre 2001

–  Réunion du 29 novembre 2001

–  Réunion du 5 décembre 2001

Sur la mise en œuvre de l’accord après la fin du mois de novembre 2001

Conclusions

C –  Sur le troisième moyen, tiré de la non-application de l’exception prévue par le règlement nº 26

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

D –  Sur le quatrième moyen, tiré de la violation des droits de la défense

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

E –  Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

II –  Sur les conclusions tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende

A –  Sur le premier moyen, tiré de l’illégalité des lignes directrices

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

B –  Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité, d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une erreur de droit dans la détermination de la gravité de l’infraction

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

C –  Sur le troisième moyen, tiré des erreurs d’appréciation et de droit et de la violation du principe de proportionnalité dans la prise en compte des circonstances aggravantes et atténuantes

1.  En ce qui concerne la circonstance aggravante relative à la poursuite en secret de l’accord

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  En ce qui concerne la circonstance aggravante relative à l’usage de la violence

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

3.  En ce qui concerne l’absence de prise en compte de circonstances atténuantes

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

D –  Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 dans la fixation du montant des amendes

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

E –  Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe de non-cumul des sanctions

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

F –  Sur le sixième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation dans la prise en compte des circonstances prévues par le point 5, sous b), des lignes directrices

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

III –  Sur la méthode de calcul et le montant final de l’amende

Sur les dépens



* Langue de procédure : le français.

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