EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62003CC0188

Conclusions de l'avocat général Tizzano présentées le 30 septembre 2004.
Irmtraud Junk contre Wolfgang Kühnel.
Demande de décision préjudicielle: Arbeitsgericht Berlin - Allemagne.
Directive 98/59/CE - Licenciements collectifs - Consultation des représentants des travailleurs - Notification à l'autorité publique compétente - Notion de 'licenciement' - Moment du licenciement.
Affaire C-188/03.

European Court Reports 2005 I-00885

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2004:571

Conclusions

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. ANTONIO TIZZANO
présentées le 30 septembre 2004(1)



Affaire C-188/03



Irmtraud Junk
contre
Wolfang Kühnel als Insolvenzverwalter über das Vermögen der Firma AWO



[(demande de décision préjudicielle formée par l'Arbeitsgericht Berlin (Allemagne)]

«Directive 98/59/CE – Licenciements collectifs – Notion de ‘licenciement’ – Obligations de consultation des représentants des travailleurs et de notification à l'autorité compétente – Portée»






1.        Le litige au principal porte sur deux questions préjudicielles déférées à la Cour par l'Arbeitsgericht Berlin (tribunal du travail de Berlin) (Allemagne) et a trait à l'interprétation de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (ci-après la «directive»)  (2) .

2.        Le juge de renvoi demande en bref à la Cour de préciser, d'une part, le sens qui doit être attribué à la notion de «licenciement» contenue dans la directive et, d'autre part, la portée des obligations d'information et de consultation mises à charge de l'employeur par cette directive.

I –    Cadre juridique

Le droit communautaire applicable

3.        Fondée sur l'article 100 du traité CEE (devenu article 100 du traité CE, lui‑même devenu article 94 CE), la directive a été adoptée en vue d'atténuer les répercussions que les différences existant entre les dispositions nationales en matière de licenciements collectifs peuvent avoir sur le fonctionnement du marché intérieur (quatrième considérant de cette directive). Elle vise à renforcer la protection des travailleurs en tenant compte de la nécessité d'un développement économique et social équilibré dans la Communauté et des principes de politique sociale énoncés par la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, adoptée le 9 décembre 1989 et par l'article 136 CE (deuxième et sixième considérants de la même directive).

4.        L'article 1 er , paragraphe 1, premier alinéa, de la directive précise la notion de «licenciement collectif» en indiquant qu'elle vise tous «les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs» lorsque le nombre de licenciements intervenus atteint, dans une période déterminée, un certain niveau calculé sur la base du nombre des travailleurs habituellement employés dans l'entreprise concernée.

5.        Les articles 2 à 4 de la directive précisent les procédures qu'un employeur doit respecter lorsqu'il décide d'effectuer un licenciement collectif.

6.        L'article 2 de ladite directive dispose:

«1.     Lorsqu’un employeur envisage d’effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d’aboutir à un accord.

2.       Les consultations portent au moins sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés.

Les États membres peuvent prévoir que les représentants des travailleurs pourront faire appel à des experts, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.

3.       Afin de permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives, l’employeur est tenu, en temps utile au cours des consultations:

a)       de leur fournir tous renseignements utiles et

b)       de leur communiquer, en tout cas, par écrit:

i)       les motifs du projet de licenciement;

ii)     le nombre et les catégories des travailleurs à licencier;

iii)   le nombre et les catégories des travailleurs habituellement employés;

iv)     la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements;

v)       les critères envisagés pour le choix des travailleurs à licencier dans la mesure où les législations et/ou pratiques nationales en attribuent la compétence à l’employeur;

vi)     la méthode de calcul envisagée pour toute indemnité éventuelle de licenciement autre que celle découlant des législations et/ou pratiques nationales.

L’employeur est tenu de transmettre à l’autorité publique compétente au moins une copie des éléments de la communication écrite prévus au premier alinéa, points b) i) à v).

[…]»

7.        L'article 3 de la même directive précise par ailleurs que:

«1.     L’employeur est tenu de notifier par écrit tout projet de licenciement collectif à l’autorité publique compétente.

Toutefois, les États membres peuvent prévoir que, dans le cas d’un projet de licenciement collectif lié à une cessation des activités de l’établissement qui résulte d’une décision de justice, l’employeur n’est tenu de le notifier par écrit à l’autorité publique compétente que sur la demande de celle-ci.

La notification doit contenir tous renseignements utiles concernant le projet de licenciement collectif et les consultations des représentants des travailleurs prévues à l’article 2, notamment les motifs de licenciement, le nombre des travailleurs à licencier, le nombre des travailleurs habituellement employés et la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements.

2.       L’employeur est tenu de transmettre aux représentants des travailleurs copie de la notification prévue au paragraphe 1.

Les représentants des travailleurs peuvent adresser leurs observations éventuelles à l’autorité publique compétente.»

8.        Il faut en outre tenir compte de l'article 4 de la directive, qui est libellé comme suit:

«1.     Les licenciements collectifs dont le projet a été notifié à l’autorité publique compétente prennent effet au plus tôt trente jours après la notification prévue à l’article 3, paragraphe 1, sans préjudice des dispositions régissant les droits individuels en matière de délai de préavis.

Les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente la faculté de réduire le délai visé au premier alinéa.

2.       L’autorité publique compétente met à profit le délai visé au paragraphe 1 pour chercher des solutions aux problèmes posés par les licenciements collectifs envisagés.

3.       Dans la mesure où le délai initial prévu au paragraphe 1 est inférieur à soixante jours, les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente la faculté de prolonger le délai initial jusqu’à soixante jours après la notification lorsque les problèmes posés par les licenciements collectifs envisagés risquent de ne pas trouver de solution dans le délai initial.

Les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente des facultés de prolongation plus larges.

L’employeur doit être informé de la prolongation et de ses motifs avant l’expiration du délai initial prévu au paragraphe 1.

4.       Les États membres peuvent ne pas appliquer le présent article aux licenciements collectifs intervenant à la suite d’une cessation des activités de l’établissement qui résulte d’une décision de justice.»

9.        Enfin, l'article 5 de la directive dispose:

«La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d'appliquer ou d'introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs ou de permettre ou de favoriser l'application de dispositions conventionnelles plus favorables aux travailleurs.»

Le droit national

10.      La République fédérale d'Allemagne a transposé la directive en adoptant le Kündigungsschutzgesetz (loi relative à la protection en matière de licenciement, ci-après le «KSchG»).

11.      Les articles 17 et 18 du KSchG ainsi que l'article 102 du Betriebsverfassungsgesetz (loi sur l’organisation des entreprises, ci‑après le «BetrVG») sont applicables au présent litige.

12.      L'article 17 du KSchG prévoit que, chaque fois qu'il a l'intention d'effectuer un nombre déterminé de licenciements  (3) dans une période de trente jours civils, l'employeur est obligé i) de fournir au comité d’établissement tous les renseignements pertinents relatifs, notamment, aux motifs du projet de licenciement, à la période au cours de laquelle le licenciement devra avoir lieu, au nombre et aux catégories de travailleurs à licencier ainsi qu’aux critères prévus pour le choix des travailleurs à licencier (paragraphe 2 dudit article) et ii) de notifier son intention à l'office pour l'emploi en lui transmettant une copie de la communication envoyée au comité d'entreprise et de l'avis de ce dernier à propos des licenciements (paragraphes 1 et 3 du même article).

13.      L'article 18 du KSchG précise que:

«(1) Les licenciements qui doivent être notifiés en application de l’article 17 ne prennent effet avant l’expiration d’un mois suivant la réception de la notification par l’office pour l’emploi qu’avec l’accord de ce dernier, ledit accord pouvant aussi être donné rétroactivement jusqu’à la date de dépôt de la demande.

(2) Dans certains cas, l’office pour l’emploi a la faculté de décider que les licenciements ne prendront pas effet avant l’expiration d’un délai maximal de deux mois suivant la réception de la notification».

14.      Enfin, l'article 102 du BetrVG prévoit qu'un licenciement effectué sans consultation préalable du comité d’établissement est dénué d'effet.

II –   Faits et procédure

15.      M me Junk était employée auprès d’AWO Gemeinnützige Pflegegesellschaft Südwest mbh (ci-après «AWO»), entreprise qui exerçait des activités d'aide à domicile et employait environ 430 personnes.

16.      Le dossier révèle que, le 31 janvier 2002, AWO a déposé une demande de mise en redressement judiciaire en raison de difficultés de trésorerie. À compter du 1 er février 2002, cette société a exempté l’ensemble des travailleurs de l'obligation d’accomplir leur tâche et elle ne leur a pas versé le salaire du mois de janvier 2002.

17.      La procédure de redressement judiciaire provisoire a été ouverte le 5 février 2002, la procédure définitive, engagée le 1 er  mai suivant  (4) .

18.      Le 23 mai de la même année, l'administrateur judiciaire est parvenu à un compromis avec le comité d’établissement sur la cessation des activités d'AWO et il a conclu un plan social en application de l'article 112 du BetrVG.

19.      Par lettre du 19 juin 2002, l'administrateur judiciaire a informé le comité d’établissement d'AWO que, compte tenu de la liquidation de la société, il avait l'intention de résilier, dans le délai maximum de trois mois prévu par la procédure de redressement judiciaire, tous les contrats de travail en cours, dont celui de M me  Junk. La communication était accompagnée d'une liste des travailleurs faisant l'objet du licenciement collectif avec indication de leurs nom, adresse, date de naissance, classe d'impôt, abattements pour enfants à charge portés sur leur carte de retenue d'impôt, et leur date d'entrée en service.

20.      Cette lettre est parvenue au comité d’établissement d'AWO le même jour.

21.      Le 26 juin 2002, le président du comité d'établissement a indiqué à l'administrateur judiciaire que la proposition qu'il avait formulée avait reçu l'accord dudit comité.

22.      Par lettre du 27 juin 2002, parvenue à M me Junk le 29 juin suivant, l'administrateur judiciaire l'a informée de son intention de résilier son contrat de travail pour des motifs inhérents à l'entreprise avec effet au 30 septembre 2002.

23.      Le 27 août 2002, l'administrateur judiciaire a notifié à l'office pour l'emploi le licenciement des travailleurs encore employés par AWO, conformément à l'article 17, paragraphe 3, du KSchG et a joint à cette notification l'avis du comité d'établissement. Cette notification est parvenue à l'office pour l'emploi le même jour.

24.      M me Junk a attaqué le licenciement devant le juge de renvoi en invoquant sa nullité.

25.      Il importe de rappeler aux fins de la présente affaire que, d'après la requérante au principal, cette nullité dépendrait du fait que l'administrateur judiciaire n'aurait pas veillé à consulter de façon régulière le comité d'établissement avant le licenciement conformément à l'article 102 du BetrVG et qu'il n'aurait pas appliqué correctement la procédure d'information et de consultation prévue pour les licenciements collectifs aux articles 17 et suivants du KSchG.

26.      L'Arbeitsgericht Berlin, ayant des doutes quant à l'interprétation de la directive, a suspendu la procédure pendante devant lui et a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes en vertu de l'article 234 CE:

«1)     La directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, doit-elle être interprétée en ce sens qu'il faut entendre par «licenciement» au sens de l'article 1 er , paragraphe 1, sous a), de ladite directive la résiliation du contrat de travail, premier acte de la cessation de la relation d'emploi, ou bien le «licenciement» désigne‑t‑il la cessation de la relation d'emploi, à l'expiration du préavis de licenciement?

2)       S'il faut entendre par «licenciement» la résiliation du contrat de travail, la directive exige-t-elle que la procédure de consultation visée à l'article 2 de la directive ainsi que la procédure de notification visée aux articles 3 et 4 de la directive soient obligatoirement closes avant la résiliation des contrats de travail?»

27.      Les gouvernements autrichiens et du Royaume-Uni ainsi que la Commission des Communautés européennes ont présenté des observations écrites dans la présente procédure.

28.      Le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission sont intervenus à l'audience du 15 juillet 2004.

III –   Analyse juridique

A –    Sur la première question préjudicielle

29.      En posant sa première question, le juge national demande en substance à la Cour de définir la notion de «licenciement» pour pouvoir déterminer si les obligations de consultation et de notification fixées par la directive ont été respectées en l'espèce.

30.      Le problème se pose, explique le juge de renvoi, parce que la version allemande de la directive utilise le terme «Entlassung»   (5) . Toutefois, poursuit le juge de renvoi, dans l'ordre juridique allemand, ce terme se réfère au moment où le licenciement produit ses effets et il se distingue nettement du terme «Kündigung» qui vise en revanche la «résiliation du contrat de travail», c'est-à-dire la manifestation de la volonté de l'employeur de mettre fin au rapport d'emploi.

31.      Appliqué aux dispositions sur le licenciement collectif, cela signifierait que, pour respecter les obligations procédurales énoncées par la directive, le moment où ces obligations devraient avoir été respectées ne serait pas celui de la «résiliation du contrat de travail» par l'employeur, mais plutôt celui de la résolution effective du rapport d'emploi. L'employeur pourrait donc aussi informer et consulter les représentants des travailleurs et notifier son projet de licenciement collectif à l'autorité publique compétente après les résiliations individuelles des contrats de travail, pour autant qu'il le fasse avant l'extinction formelle des rapports d'emploi.

32.      Considérant que cette interprétation pourrait être incompatible avec les finalités de protection des travailleurs poursuivies par la directive, le juge national demande donc si la notion de «licenciement» visée à l'article 1 er , paragraphe 1, sous a), de la directive ne doit pas au contraire correspondre à celle de «résiliation du contrat de travail» («Kündigung»).

33.      Le gouvernement du Royaume-Uni ne partage pas cet avis et soutient, en invoquant des arguments de nature littérale et téléologique, que la notion de «licenciement» applicable dans le cadre de la directive se référerait précisément au moment où le rapport d'emploi prend fin.

34.      S'agissant de l'argument littéral, ce gouvernement observe que la directive parle de «licenciements effectués» par un employeur («dismissals effected») (article 1 er , paragraphe 1, sous a). Or, un licenciement ne peut «[prendre] effet» (article 4, paragraphe 1) que lorsque le rapport d'emploi s'éteint, c'est-à-dire lorsque le travailleur cesse effectivement d'être au service de l'employeur. Jusqu'à ce moment, en effet, la résiliation du contrat de travail pourrait toujours être révoquée.

35.      Cette interprétation serait aussi confirmée, d'après ledit gouvernement, par la distinction explicite que fait l'article 4, paragraphe 1, de la directive entre la notion de «licenciement» et celle de «préavis» («notice of dismissal»). Or, la distinction entre ces deux notions serait tout à fait claire puisque l'une se réfère au moment où les licenciements «prendront effet» («collectives redundancies […] shall take effect»), tandis que l'autre indique le moment où l'employeur communique, au moyen de la lettre de préavis, son intention de résilier le rapport d'emploi. Cela exclurait toute interprétation qui assimile la notion de «licenciement» à la manifestation de cette volonté, à savoir la résiliation du contrat de travail.

36.      Le gouvernement du Royaume-Uni fait par ailleurs valoir que l'article 2 de la directive se limiterait à exiger que l'employeur procède «en temps utile» (article 2, paragraphe 1) aux consultations avec les représentants des travailleurs et que certaines informations leur soient elles aussi communiquées «en temps utile» (article 2, paragraphe 3), sans se référer de façon plus précise au moment où ces obligations doivent être respectées. Cette disposition ne s'opposerait donc pas à ce que les représentants des travailleurs soient informés et consultés, même après que l’employeur a manifesté sa volonté de résilier les contrats de travail.

37.      Enfin, l'interprétation proposée par le gouvernement du Royaume-Uni serait conforme aux finalités de la directive. Permettant en effet à l'employeur de procéder plus rapidement aux licenciements, cette interprétation permettrait de respecter simultanément les exigences de protection des travailleurs et de préservation de la solidité financière de l'entreprise. L'interprétation opposée, en revanche, ne permettant pas à l’employeur de procéder aux résiliations des contrats de travail avant la clôture des procédures de consultation et de notification, ferait perdurer une situation de crise et pourrait donc provoquer la perte d'autres emplois, voire compromettre le sauvetage de l'entreprise elle-même.

38.      Le gouvernement autrichien ainsi que, fût-ce de façon moins explicite, la Commission se rangent par contre à l'orientation suivie par le juge de renvoi en se fondant sur des arguments relatifs à la lettre et à l'effet utile de la directive.

39.      La Commission, même si elle considère en définitive que, aux fins de l'application des procédures de consultation et de notification prévues par la directive, il faudrait se référer à la résiliation du contrat de travail par l'employeur, soutient cependant que la première question serait sans objet, étant donné que l'article 1 er de cette directive ne comporterait aucune définition de la notion de «licenciement» ou une autre indication utile à l'interprétation des articles 2 à 4 de la même directive en cause en l'espèce, mais qu'il se limiterait à définir le caractère «collectif» d'un licenciement. La Cour ne serait donc pas tenue de répondre à cette question.

40.      Nous sommes cependant d'avis que le fait que la directive ne comporte pas de définition de la notion de licenciement «tout court» n'est pas une raison suffisante pour rejeter la première question. En effet, d'après une jurisprudence constante de la Cour, que rappelle à juste titre le gouvernement autrichien, lorsqu'un texte communautaire utilise une notion dont il ne fournit aucune définition et qui ne comporte aucun renvoi exprès aux droits des États membres pour déterminer son sens et sa portée, il découle des exigences de l'application uniforme du droit communautaire et du principe d'égalité que cette notion doit recevoir une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de cette disposition et de l'objectif poursuivi par la réglementation en cause  (6) .

41.      S'il n'en allait pas ainsi, l'objectif d'harmonisation ne serait-ce que partiel poursuivi par la directive serait sérieusement compromis, dans la mesure où la protection offerte par cette réglementation aux travailleurs en cas de licenciements collectifs pourrait varier d'un État membre à l'autre en fonction du sens donné à la notion de «licenciement» dans les différents droits nationaux.

42.      Il est en outre vrai, comme le souligne la Commission, que la solution du litige devant le juge national dépend non pas tant de la notion de «licenciement» visée à l'article 1 er , paragraphe 1, sous a), de la directive, mais plutôt des modalités d'application dans le temps des procédures de consultation (article 2 de cette directive) et de notification (articles 3 et 4 de la même directive). Ces deux aspects doivent néanmoins être traités ensemble puisque, comme l'ont démontré les arguments avancés par les parties, le moment où les obligations de consultation et de notification prennent naissance peut substantiellement varier selon le sens donné à la notion de «licenciement».

43.      M me Junk ne prétend en effet pas que son licenciement est nul parce que les procédures prévues par la directive n'auraient pas été respectées par l'administrateur judiciaire, mais parce que celui-ci ne les aurait pas observées avant de communiquer à l'intéressée son intention de résilier le contrat de travail. Or, comme l'explique le juge de renvoi, il n'y aurait pas de violation des dispositions en matière de licenciements collectifs si la cessation du rapport d'emploi constituait le moment à prendre en compte aux fins du respect des obligations de consultation et de notification; il y aurait en revanche violation si la résiliation du contrat de travail représentait le moment où le licenciement est effectué et donc le moment où ces obligations auraient déjà dû être respectées.

44.      Il nous semble donc que la définition de la notion de «licenciement» visée par la directive est déterminante en l'espèce et que, sur le fond, elle doit recevoir, comme toutes les notions de droit communautaire, une interprétation autonome et uniforme inspirée par les critères fixés par la Cour.

45.      Nous considérons plus précisément qu'il faut partager la thèse défendue par le gouvernement autrichien et, indirectement, par la Commission, d'après laquelle la notion de «licenciement» doit être entendue comme étant la manifestation de la volonté de l'employeur de mettre fin au rapport d'emploi.

46.      Cette interprétation découle, d'après nous, tant de la lettre que de l'esprit de la disposition en cause.

47.      Faisons avant tout observer que la référence à des licenciements collectifs uniquement «envisagés» (article 2, paragraphe 1, de la directive) ainsi qu'à la notification de «projets» de licenciement (articles 3, paragraphe 1, et 4, paragraphe 1, de la même directive) indique sans équivoque que l'employeur doit engager les consultations avec les représentants des travailleurs et notifier son projet de licenciement à l'autorité publique compétente lorsque les licenciements sont encore à l'état de projets .

48.      Du reste, si l'employeur pouvait communiquer aux travailleurs touchés par la procédure collective son intention de résilier leur contrat de travail, faisant ainsi débuter la période de préavis, avant de consulter leurs représentants et d'informer l'autorité publique compétente, on ne pourrait plus parler de projet de licenciement. Comme l'ont justement souligné le gouvernement autrichien et la Commission, la possibilité de se référer à un licenciement déjà effectué priverait les procédures de consultation et de notification de leur effet utile.

49.      L'interprétation proposée en l'occurrence ne nous semble pas contredite par le fait, souligné par le gouvernement du Royaume-Uni (voir point 34 des présentes conclusions), que l'article 1 er , paragraphe 1, sous a) de la directive parle de licenciement «effectué». En réalité, ce terme n'a pas la valeur autonome que lui attribue ledit gouvernement; il est en revanche utilisé comme lien nécessaire avec les mots suivants. En d'autres termes, il est utilisé pour préciser que la directive s'applique uniquement aux licenciements «effectués par un employeur» («effected by an employer») et non aux cas de résiliation du rapport d'emploi à la suite de la démission du travailleur  (7) . Il ne nous semble donc pas que l'on puisse tirer de l'utilisation de ce terme, qui se limite à indiquer qui est l'auteur de la résiliation, aucune autre conclusion du point de vue de la définition de la notion de «licenciement» et que, en particulier, on puisse en déduire que cette notion doit se référer au moment où le licenciement «prendra effet» conformément à l'article 4, paragraphe 1, de ladite directive (référence à laquelle nous reviendrons d'ailleurs en examinant la seconde question: voir point 62 des présentes conclusions).

50.      De la même façon, il ne nous semble pas que la mention des «délais de préavis» visés audit article 4, paragraphe 1, soit susceptible d'influencer la définition de la notion de «licenciement» aux fins de l'application des procédures de consultation et de notification. En effet, comme l'indique la lettre de cette disposition, la référence à la durée de préavis a pour seul but de ne pas affecter les dispositions nationales qui sont plus favorables pour les droits individuels en la matière. En d'autres termes, cette référence ne concerne pas la définition de la notion de «licenciement», mais sert seulement à signaler que l'objectif poursuivi par la directive est seulement d'harmoniser certaines procédures applicables aux licenciements collectifs sans interférer avec le régime des licenciements individuels.

51.      Nous en avons terminé avec les arguments de nature textuelle. Ajoutons que l'interprétation de la notion de «licenciement» que nous avons préconisée en l'occurrence nous semble aussi plus conforme aux finalités et à l'esprit de la directive. Elle garantit en effet mieux cette protection efficace des travailleurs que la jurisprudence de la Cour a toujours montré vouloir assurer en cette matière, tant dans la définition du champ d'application de la directive  (8) que dans l'interprétation restrictive des dérogations qu'elle prévoit  (9) .

52.      Nous ne croyons pas non plus que cette finalité puisse être sacrifiée, comme le propose le gouvernement du Royaume-Uni, au nom des intérêts économiques de l'entreprise de ne pas faire perdurer une situation de crise susceptible de compromettre son sauvetage, et ce non pas parce que ces intérêts ne méritent pas d'être protégés, mais parce que nous considérons qu'ils peuvent être suffisamment garantis par la faculté reconnue aux autorités publiques par l'article 4 de la directive de réduire la période de «gel» des licenciements, disposition sur laquelle nous nous pencherons encore en examinant la seconde question.

53.      Il nous semble en conclusion pouvoir dire que le terme «licenciement» visé à l'article 1 er , paragraphe 1, sous a), de la directive se réfère à la manifestation de la volonté de l'employeur de mettre fin au rapport d'emploi et que cet employeur ne peut donc pas exercer sa faculté de résiliation avant d'avoir consulté les représentants des travailleurs et notifié le projet de licenciement à l'autorité publique compétente.

54.      Nous proposons par conséquent à la Cour de répondre à la première question préjudicielle en ce sens que le terme «licenciement» visé à l'article 1 er , paragraphe 1, sous a), de la directive se réfère à la manifestation de la volonté de l'employeur de mettre fin au rapport d'emploi.

B –    Sur la seconde question préjudicielle

55.      Par sa seconde question, le juge de renvoi demande en substance s'il découle de la directive que tant la procédure de consultation visée à l'article 2 de cette directive que la procédure de notification visée aux articles 3 et 4 de la même directive doivent être clôturées avant que l'employeur puisse manifester sa volonté de résilier le rapport d'emploi.

56.      Il nous semble que la réponse à cette question peut être déduite du texte des dispositions en cause.

57.      Observons avant tout que la directive comporte une séquence procédurale qui s'articule en deux phases distinctes et consécutives.

58.      La première phase consiste dans la consultation des représentants des travailleurs qui, comme nous avons tenté de le démontrer en répondant à la première question, doit précéder la résiliation du contrat de travail.

59.      Cette interprétation est d'après nous confirmée et renforcée par l'objectif de ces consultations qui ne se limitent pas à une simple information «passive» des travailleurs, mais sont prévues «en vue d'aboutir à un accord» (article 2, paragraphe 1, de la directive) et «portent au moins sur les possibilités d'éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d'en atténuer les conséquences» (article 2, paragraphe 2, de la même directive). Cet article 2 impose donc pour le moins une obligation de négocier.

60.      Comme l'ont fait observer à bon droit le gouvernement autrichien et la Commission, la réalisation de cet objectif serait sérieusement compromise sinon impossible si l'employeur pouvait résilier le rapport d'emploi avant la fin des consultations. Dans ce cas, en effet, l’employeur ne serait certainement pas disposé à une discussion utile avec les autres parties pour éviter les licenciements ou en limiter les effets négatifs, puisqu'il aurait déjà pris la décision de procéder aux licenciements. Autrement dit, les travailleurs seraient confrontés au fait accompli et la disposition serait privée de tout effet utile.

61.      La deuxième phase consiste dans la notification du projet de licenciement collectif à l'autorité publique compétente. Or, selon nous, cette communication ne peut qu'être postérieure à la phase des consultations, étant donné que l'employeur doit rendre compte de cette phase dans la notification (article 3, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive).

62.      Il nous semble par ailleurs que cette solution est la seule qui soit compatible avec les finalités de la phase en cause. Celle-ci prévoit en effet l'intervention de l'autorité publique «pour chercher des solutions aux problèmes posés par les licenciements collectifs envisagés» (article 4, paragraphe 2, de la directive) et donc principalement en cas d'absence d'accord entre les parties.

63.      Faisons encore observer que, en vertu de l'article 4, paragraphe 1, de la directive, le licenciement notifié à l'autorité publique ne pourra, en principe, «prendre effet» au plus tôt que trente jours après la notification prévue à l'article 3, paragraphe 1, de cette directive «sans préjudice des dispositions régissant les droits individuels en matière de délai de préavis».

64.      Le Royaume-Uni et la Commission ont toutefois une lecture opposée de la portée de cette disposition: selon le gouvernement du Royaume-Uni, il ressortirait clairement de la lettre dudit article 4, paragraphe 1, que cette disposition implique uniquement le gel de l'efficacité du licenciement, tandis que pour la Commission, qui invoque principalement l'effet utile de la procédure de notification, le gel concernerait aussi la faculté de résiliation de l'employeur.

65.      Précisons immédiatement que nous ne sommes pas convaincu par la thèse de la Commission. Non seulement le fait que cet article, comme le relève à juste titre le gouvernement du Royaume-Uni, se réfère expressément au moment où les licenciements «prendront effet», mais aussi le renvoi aux dispositions nationales en matière de «délais de préavis», renvoi qui n’aurait aucun sens si la période de suspension s'appliquait à la résiliation du contrat de travail et non à la cessation effective du rapport d'emploi, sont des arguments qui vont à l'encontre de cette interprétation.

66.      En effet, ce renvoi garantit l'application de périodes de préavis d'une durée supérieure aux trente jours prévus par la directive, puisqu’il fait en sorte que les dispositions nationales plus favorables en matière de préavis ne sont pas affectées. Or, ce renvoi s'explique seulement si l'article 4, paragraphe 1, de cette directive, suspendant l'efficacité du licenciement, peut influencer la durée de la période de préavis. Il ne serait par contre en rien nécessaire en cas de suspension de la résiliation du contrat de travail, puisque cette suspension aurait uniquement pour effet de différer la date du début du préavis.

67.      L'interprétation que nous préconisons en l'occurrence ne nous semble pas non plus contraire à la finalité de la phase de notification qui, contrairement à la phase de consultation des représentants des travailleurs, ne porte pas tant sur le principe du licenciement mais plutôt sur les conséquences de celui-ci ou sur « les problèmes posés par les licenciements collectifs» (article 2, paragraphe 2, de la directive). Durant cette phase de «gestion» des effets du licenciement, la suspension de la possibilité de résilier les rapports d'emploi est donc moins nécessaire par rapport à la phase précédente de consultation, qui avait pour but principal d'éviter ou de réduire les licenciements.

68.      Nous considérons par conséquent que l'article 4, paragraphe 1, de la directive suspend l'efficacité du licenciement, mais non la manifestation de volonté. L'employeur peut donc procéder à la résiliation à partir de la notification du licenciement collectif à l'autorité publique compétente.

69.      Cette conclusion ne se heurte évidemment pas à la pratique, déjà suivie par certains États membres conformément l'article 5 de la directive, consistant à assurer une plus grande protection des travailleurs en interprétant la disposition en cause en ce sens qu'elle suspend non seulement l'efficacité du licenciement, mais aussi la manifestation de volonté de l'employeur de résilier le rapport d'emploi.

70.      Les observations qui précèdent nous induisent par conséquent à proposer à la Cour de répondre à la seconde question préjudicielle en ce sens que l'employeur ne peut manifester sa volonté de résilier le rapport d'emploi qu'après la clôture des consultations prévues à l'article 2 de la directive et après la notification du projet de licenciement collectif visée à l’article 3 de cette directive.

IV –   Conclusion

71.      Nous concluons donc en proposant à la Cour de répondre aux questions posées par l'Arbeitsgericht Berlin en ce sens que:

«1)     Le terme «licenciement» visé à l'article 1 er , paragraphe 1, sous a), de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, se réfère à la manifestation de la volonté de l'employeur de mettre fin au rapport d'emploi;

2)       L'employeur ne peut manifester sa volonté de résilier le rapport d'emploi qu'après la clôture des consultations prévues à l'article 2 de la directive 98/59 et après la notification du projet de licenciement collectif visée à l’article 3 de cette directive.»


1
Langue originale: l'italien.


2
JO L 225, p. 16.


3
En particulier, le nombre de licenciements devant être effectués dans une période de trente jours, qui est nécessaire pour donner lieu à la procédure en cause est fixé comme suit:

«1. plus de 5 travailleurs dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 60 travailleurs;

2. 10 % des travailleurs habituellement employés ou plus de 25 travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 60 et moins de 500 travailleurs;

3. au moins 30 travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 500 travailleurs».


4
Il ressort du dossier que, durant la période qui a suivi l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, de nombreux travailleurs ont démissionné, de sorte que, à la mi-juin 2002, 176 travailleurs seulement étaient encore employés par AWO, et que, à la fin d’août 2002, ce nombre était de 172.


5
Voir la version allemande de l'article 1 er , paragraphe 1, sous a), de la directive:

«Für die Durchführung dieser Richtlinie gelten folgende Begriffsbestimmungen:

a) ‘Massenentlassungen’ sind Entlassungen, die ein Arbeitgeber aus einem oder mehreren Gründen, die nicht in der Person der Arbeitnehmer liegen, vornimmt und bei denen – nach Wahl der Mitgliedstaaten – die Zahl der Entlassungen [...]».


6
Voir, notamment, arrêts du 18 janvier 1984, Ekro (327/82, Rec. p. 107, point 11), et du 7 janvier 2004, Wells (C-201/02, non encore publié au Recueil, point 37).


7
Voir, sur ce point, arrêt du 12 février 1985, Nielsen & Son (284/83, Rec. p. 553, points 8 et 11).


8
Voir, notamment, arrêts du 8 juin 1994, Commission/Royaume-Uni (C-383/92, Rec. p. I-2479), concernant la notion de «licenciements collectifs», et du 16 octobre 2003, Commission/Italie (C-32/02, Rec. p. I-12063), concernant la notion d'«employeur».


9
Voir arrêt du 17 décembre 1998, Lauge e.a. (C-250/97, Rec. p. I- 8737), concernant la dérogation applicable aux licenciements collectifs découlant de la cessation de l'activité de l'entreprise à la suite d'une décision de justice.

Top