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Document 61990CC0159

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 11 juin 1991.
The Society for the Protection of Unborn Children Ireland Ltd contre Stephen Grogan et autres.
Demande de décision préjudicielle: High Court - Irlande.
Libre circulation des services - Interdiction de diffuser des informations au sujet de cliniques pratiquant des interruptions volontaires de grossesse dans d'autres Etats membres.
Affaire C-159/90.

European Court Reports 1991 I-04685

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1991:249

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. WALTER VAN GERVEN

présentées le 11 juin 1991 ( *1 )

Sommaire

 

Les faits et le contexte juridique

 

La compétence de la Cour

 

La notion de services au sens de l'article 60 du traité CEE

 

Portée et convergence de la deuxième et de la troisième question

 

L'interdiction d'informer relève-t-elle du champ d'application des articles 59 et 60 du traité CEE?

 

Raisons impérieuses liées à l'intérêt général pouvant justifier des restrictions à la libre prestation des services

 

Examen d'une réglementation nationale interdisant la fourniture d'informations relatives à des services médicaux d'avortement

 

Examen de règles nationales au regard des droits et libertés fondamentaux garantis par le droit communautaire

 

Compatibilité de l'interdiction d'informer avec les principes généraux du droit communautaire relatifs aux droits et libertés fondamentaux

 

Conclusion et analyse de l'article 62 du traité CEE

 

Réponses proposées

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. 

Les questions préjudicielles déférées par la High Court, Dublin, (ci-après « juge de renvoi ») s'inscrivent dans le cadre d'une procédure que la Society for the Protection of Unborn Children Ireland Limited (ci-après « SPUC » ou « demanderesse au principal ») a entamée contre un certain nombre de personnes en leur qualité de représentants d'une des trois associations estudiantines suivantes: the Union of Students in Ireland (ci-après « USI »), the University College Dublin Students Union (ci-après « UCDSU ») et the Trinity College Dublin Students Union (ci-après « TCDSU »).

Les faits et l; contexte juridique

2.

La SPUC est une société de droit irlandais, constituée pour empêcher la dépénalisation de l'avortement et, d'une manière plus générale, pour protéger les droits de la vie humaine dès le moment de la conception.

L'UCDSU e; la TCDSU publient l'une et l'autre un guide à l'intention des étudiants. A l'instar de l'édition précédente, l'édition 1989/1990 d; chacun de ces guides annuels comportait u:i chapitre d'informations destinées aux étudiantes enceintes. L'avortement y est décrit comme un des recours possibles en cas de grossesse non souhaitée. Ces guides indiquent à cet égard le nom, l'adresse et le numéro de téléphone de quelques cliniques situées en Grande-Bretagne où la grosseîse peut être interrompue sous contrôle médical.

L'USI publie mensuellement une revue estudiantine intitulée « USI News ». Le numéro de février 1989 contient notamment des informations sur la possibilité de se faire avorter en Grande-Bretagne et sur la manière d'entrer en contact avec les institutions pratiquant cette opération.

3.

Le litige qui oppose la SPUC aux représentants des associations d'étudiants doit être consideri: dans le contexte de la législation irlanda se relative à l'avortement. Conformément à l'article 58 du Offences Against the Person Act de 1861, la femme enceinte qui cherche à provoquer un avortement de manière illicite est punissable. L'article 59 de la loi déclare également punissable toute personne offrant une assistance illicite a cet effet. Sur la base de ces dispositions pénales notamment, les juridictions irlandaises ont reconnu le droit à la vie de l'enfant à naître (« the right to life of the unborn ») et cela dès l'instant de la conception.

Au terme d'un référendum organisé en 1983, le droit à la vie de l'enfant à naître a été expressément inscrit dans la Constitution irlandaise. Le nouvel article 40.3.3° de cette Constitution s'énonce comme suit:

« The State acknowledges the right to life of the unborn and, with due regard to the equal right to life of the mother, guarantees in its laws to respect, and, as far as practicable, by its laws to defend and vindicate that right. » ( *2 )

Le 16 mars 1988, la Supreme Court irlandaise a rendu dans l'affaire The Attorney General at the relation of Society for the Protection of Unborn Children (Ireland) Ltd Open Door Counselling Ltd and Dublin Wellwoman Centre Ltd ( 1 ) un arrêt dans lequel elle a notamment dit pour droit:

« The court doth declare that the activities of the defendants, their servants or agents in assisting pregnant women within the jurisdiction to travel abroad to obtain abortions by referral to a clinic; by the making of their travel arrangements, or by informing them of the identity and location of and method of communication with a specified clinic or clinics are unlawful, having regard to the provisions of Article 40.3.3 of the Constitution. » (souligné par nous) ( *3 )

4.

Au mois de septembre 1989, la SPUC a attiré l'attention des associations estudiantines susmentionnées sur l'arrêt précité de la Supreme Court et leur a demandé de s'engager à ne pas publier dans leurs revues au cours de l'année académique 1989/1990 des informations indiquant le nom et l'adresse de cliniques pratiquant l'avortement et la manière d'entrer en contact avec elles. Les associations d'étudiants n'ont donné aucune suite à cette requête.

Le 25 septembre 1989, la SPUC a assigné les représentants des trois associations d'étudiants (ci-après « défendeurs au principal ») devant la High Court et conclu à ce qu'il plaise à celle-ci de déclarer toute publication des informations susvisées incompatible avec l'article 40.3.3° de la Constitution. Dans le même temps, la SPUC a entamé une procédure en référé devant la même juridiction, demandant à celle-ci d'interdire, avant de statuer au fond, la publication de ce type d'informations à l'avenir.

Au cours de la procédure en référé, les défendeurs au principal ont fait valoir que le droit communautaire permet aux femmes enceintes habitant en Irlande de se rendre dans un autre État membre où l'avortement est autorisé afin de s'y faire avorter dans un établissement médical de ce pays. Ils ont encore fait observer que cette liberté empruntée au droit communautaire comporte également le droit pour les femmes concernées d'obtenir en Irlande des informations sur le nom et l'adresse des cliniques pratiquant l'avortement dans les autres États membres et sur la manière d'entrer en contact avec celles-ci. Ils ont enfin soutenu qu'eu égard au droit à l'information dont les femmes enceintes habitant en Irlande peuvent se prévaloir, ils peuvent eux-mêmes puiser dans le droit communautaire le droit de diffuser ce type d'informations en Irlande.

Le 11 octobre 1989, la High Court a rendu une ordonnance de référé dans laquelle elle décidait de déférer à la Cour un certain nombre de questions préjudicielles — non encore précisées à ce moment-là. Elle ne s'est cependant pas prononcée sur l'interdiction de publier demandée par la SPUC. Celle-ci s'est pourvue en appel de cette décision devant la Supreme Court qui, le 19 décembre 1989, a prononcé l'interdiction de publier demandée jusqu'à ce qu'intervienne la décision sur le fond. Pour le surplus, la Supreme Court n'a pas modifié la décision de la High Court de déférer un certain nombre de questions préjudicielles à la Cour. Elle a cependant reconnu aux parties le droit de demander à la High Court de modifier, à la lumière de l'arrêt de la Cour statuant sur les questions préjudicielles, l'interdiction de publier prononcée à la demande de la SPUC.

5.

Ce n'est qu'après l'arrêt de la Supreme Court que, le 5 mars 1990, la High Court a décidé, dans le prolongement de son ordonnance du 11 octobre 1989, de soumettre à la Cour les trois questions préjudicielles suivantes:

«1)

L'activité ou les opérations organisées consistart à réaliser un avortement ou une interruption médicale de la grossesse entrent-t-elles dans la notion de ‘services’ au sens de l'article 60 du traité CEE?

2)

En l'absence de toute mesure prévoyant le rapprochement des législations des États membres en ce qui concerne l'activité ou les opérations organisées consistant à réaliser un avortement ou une interruption médicale de grossesse, un État membre peut-il interdire la diffusion d'informations précises au sujet de la désignation et du lieu d'implantation d'une ou de plusieurs cliniques déterminées dans un autre État membre, où des avortements sont réalisés, et au sujet des moyens d'entrer en rapport avec cette clinique ou ces cliniques?

3)

Le droit communautaire confère-t-il à une personne résidant dans un État membre A. le droit de diffuser des informations précises au sujet de la désignaticn et du lieu d'implantation d'une ou de plusieurs cliniques déterminées dans un État membre B, où des avortements sont exécutés, et au sujet des moyens d'entrer en rapport avec cette clinique ou ces cliniques, lorsque l'avortemtnt est interdit au titre tant de la Constitution que du droit pénal de l'État membre A mais est légal sous certaines conditions dans l'État membre I ? »

La compétence de la Cour

6.

La Commission relève dans ses observations qu'on ne discerne pas clairement si les questions préjudicielles ont été posées par la High Court dans le cadre de la procédure en référé ou bien dans le cadre de la procédure au fond.

Nous pensons, tout comme la Commission, qu'en dépit de l'arrêt Pardini ( 2 ), cette incertitude n'est pas de nature à mettre en cause la compétence de la Cour à répondre aux questions préjudicielles. Si les questions ont été posées dans le cadre de la procédure au fond, elles sont certainement pertinentes pour la décision à rendre par le juge de renvoi. Elles le sont cependant tout autant si elles ont été posées dans le cadre de la procédure en référé. Certes, la mesure provisoire demandée en référé a entre-temps été accordée par la Supreme Court mais, étant donné que celle-ci a donné aux parties la possibilité d'obtenir de la High Court qu'elle modifie la mesure provisoire qu'elle a ordonnée après que la Cour aura répondu aux questions préjudicielles, celles-ci sont pertinentes dans cette hypothèse également.

7.

La demanderesse au principal et le gouvernement irlandais considèrent que le litige au principal ne soulève aucun problème de droit communautaire. Il s'agit en effet de savoir si les défendeurs, à savoir les représentants des associations d'étudiants, ont le droit de diffuser les informations en cause parmi les femmes enceintes. Étant donné qu'ils le font gratuitement et n'interviennent pas en qualité de représentants des cliniques d'avortement dont ils fournissent les coordonnées, il ne saurait être question d'une activité économique au sens de l'article 2 du traité CEE. De toute façon, ajoutent la demanderesse et le gouvernement irlandais, la diffusion des informations fournies par les défendeurs se limite au territoire irlandais et ne présente dès lors aucun caractère transfrontalier, de sorte que les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services ne sont pas applicables.

Les défendeurs au principal ne sont pas de cet avis. Comme nous l'avons indiqué plus haut (au point 4), ils estiment pouvoir puiser dans le droit communautaire un droit à la diffusion d'informations qui est le prolongement du droit à l'information qui découle pour les femmes enceintes résidant en Irlande de la liberté qui leur est garantie par les dispositions du traité de recevoir des services médicaux dans d'autres États membres. Les informations fournies par les défendeurs ne peuvent dès lors pas être dissociées des services économiques fournis dans un autre État membre.

8.

La thèse des défendeurs nous paraît correcte. Les questions posées par le juge de renvoi ont pour objet d'entendre préciser si les activités des cliniques pratiquant l'avortement sont des services au sens de l'article 60 du traité CEE et, dans l'affirmative, si les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services font obstacle à une réglementation nationale interdisant la diffusion d'informations relatives à des avortements pratiqués dans un autre État membre. La seconde partie de la question porte donc sur la délivrance d'informations à des femmes enceintes qui résident dans un État membre mais qui souhaitent éventuellement se rendre dans un autre État membre pour y recevoir des services déterminés. Ainsi comprise, la question ne traite pas d'activités « dont tous les éléments pertinents se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre » ( 3 ). L'interdiction faite en Irlande de fournir des informations à ce sujet peut en effet avoir pour conséquence de réduire le nombre de femmes qui connaissent l'existence, et qui donc font usage des services fournis dans l'autre État membre. Cette interdiction peut donc influencer défavorablement les échanges intracommunautaires de services ( 4 ). Les questions posées à la Cour comportent dès lors une dimension de droit communautaire.

La notion de services au sens de l'article 60 du traité CEE

9.

Le juge de renvoi a posé sa première question afin de s'entendre dire si l'« activité ou les opérations organisées consistant à réaliser un avortement ou une interruption médicale de grossesse » doivent être considérées comme un service au sens de l'article 60 du traité CEE.

Il ne peut y avoir aucun doute, selon nous, que l'« interruption médicale de grossesse » comporte un ensemble de prestations qui, lorsqu'elles sont fournies « normalement contre rémunération » — ce qu'aucune des parties ne conteste en l'espèce — constituent des services au sens de l'article 60 du traité CEE. Les termes de l'article 60, paragraphe 2, dans lequel les « activités des professions libérales » notamment sont désignées comme des services indiquent déjà que la notion de« services » inclut de iels services. Dans l'arrêt Luisi et Carbone ( 5 ), la Cour a d'ailleurs déclaré expressément (dans le seizième considérant) que les « bénéficiaires de soins médicaux » sont à considérer comme des destinataires de services au sens de l'article 60. De surcroît, les professions médicales et paramédicales sont expressément citées dans le traité CEE à l'article 57, paragraphe 3 (relatif à la liberté d'établissement), auquel renvoie l'article 66 (qui a trait à la libre prestation des services).

10.

Selon la SPUC, l'interruption médicale de grossesse échapperait cependant au champ d'application de l'article 60 parce qu'elle a pour effet de détruire la vie d'autrui, à savoir l'enfant à naître, ce qui en Irlande est interdit par la Constitution qui protège la vie avant la naissance ( 6 ) et qui prohibe l'avortemem intentionnel. L'avortement intentionnel est interdit en principe dans les autres États membres également mais il est cependant autorisé, plus précisément au cours de la première période de la grossesse, à certaines conditions et dans certaines circonstances particulières qui diffèrent d'État membre à État membre. Il est d'ailleurs permis de déduire de la troisième question posée par le juge de renvoi que celui-ci se réfère à une situation dans laquelle le service en cause, à propos duquel des informations sont diffusées en Irlande, est fourni dans l'autre État membre, en l'occurrence au Royaume-Uni, aux conditions qui y sont prévues par la loi.

C'est pourquoi la question qu'il nous faut examiner ici n'est pas celle qui a déjà été traitée à plusieurs reprises dans la jurisprudence de la Cour à propos de la circulation des marchandises ( 7 ), c'est-à-dire celle de savoir si des services illégaux sortent du champ d'application des dispositions du traité relatives aux prestations de services. Ainsi qu'il ressort de la question préjudicielle, il s'agit en l'espèce de services d'interruption médicale de grossesse qui, dans le pays où ils sont fournis, le sont de façon légale (voir également le point 14 ci-après) et qui présentent en outre un caractère transfrontalier, ainsi qu'il est apparu ci-avant (au point 8).

Nous proposons donc de répondre à la première question dans les termes suivants:

« L'intervention médicale, normalement pratiquée contre rémunération, par laquelle il est mis fin à la grossesse d'une femme originaire d'un autre État membre, dans le respect de la législation de l'État membre dans lequel l'intervention est effectuée, est un service (transfrontalier) au sens de l'article 60 du traité CEE. »

Portée et convergence de la deuxième et de la troisième question

11.

La deuxième question du juge de renvoi porte sur le point de savoir si, en l'état actuel de la législation communautaire, un État membre peut interdire la diffusion d'informations précises au sujet du nom et du lieu d'implantation de cliniques établies dans un autre État membre dans lesquelles des interruptions médicales de grossesse sont pratiquées, et sur la manière d'entrer en contact avec ces cliniques. Si l'on fait le rapprochement avec la première question, il apparaît que le juge fait allusion aux dispositions relatives à la circulation des services. Il s'agit donc de savoir si les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services permettent à un État membre d'empêcher l'accès à des services médicaux d'interruption de grossesse légalement prestes dans un autre État membre en interdisant la fourniture d'informations relatives à ces services.

12.

La troisième question du juge de renvoi porte sur le point de savoir si le droit communautaire confère à une personne résidant dans un État membre A le droit de diffuser les informations susvisées au sujet de cliniques pratiquant l'avortement dans un État membre B, lorsque l'avortement est interdit tant par la Constitution que par le droit pénal de l'État membre A mais est légal sous certaines conditions dans l'État membre B. Il apparaît des pièces de la procédure au principal qu'il s'agit d'informations diffusées dans l'État membre A par des personnes qui ne perçoivent aucune rémunération pour cette activité et qui n'ont aucun lien avec les cliniques établies dans l'État membre B. Le juge de renvoi se demande si le droit communautaire, à savoir les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services, confère à ces personnes le droit de diffuser les informations susmentionnées.

Il souhaite en outre s'entendre dire, ce qui explique l'accent qu'il met sur la disparité entre la législation de l'État membre A (l'Irlande) et la législation de l'État membre B (la Grande-Bretagne) ( 8 ), si, dans l'hypothèse où les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services font obstacle à une interdiction d'informer telle que celle que nous venons de décrire, il en va autrement lorsque cette interdiction résulte de dispositions fondamentales ancrées dans la Constitution et dans le droit pénal du premier État membre. En d'autres termes, une telle réglementation nationale peut-elle néanmoins être justifiée au titre de considérations de nature imperative ou d'ordre public inscrites dans les dispositions constitutionnelles et pénales de l'ordre juridique national?

13.

On retiendra tant de ce qui précède que de ce qui va suivre que les questions préjudicielles ne portent pas directement sur la compatibilité avec le droit communautaire de l'interdiction elle-même qui est faite aux femmes enceintes de se faire avorter mais bien sur la compatibilité avec le droit communautaire de l'interdiction faite aux tiers de prêter assistance et, plus précisément, de fournir des informations à des femmes enceintes qui souhaiteraient se faire avorter dans un autre État membre. L'interdiction de l'avortement est cependant indirectement pertinente dans la mesure où elle est invoquée pour justifier l'interdiction de diffuser les informations (voir sur ce point les paragraphes 26 et 33).

Les questions préjudicielles se réfèrent en effet à l'interdiction de diffuser des « informations précises au sujet de la désignation et du lieu d'implantation » de cliniques britanniques dans lesquelles des avortements sont pratiques et « au sujet des moyens d'entrer en rapport avec elles ». Cette description se rapproche étroitement de la formulation utilisée par la Supreme Court irlandaise dans son arrêt Open Door Counselling, précité (paragraphe 3), dans lequel elle a dit pour droit qu'aussi bien le fait de diffuser de telles informations que celui d'adresser des femmes enceintes à des cliniques établies à l'étranger qui pratiquent l'avortement et le fait d'organiser des voyages à cette fin sont considérés comme un moyen illégal de prêter assistance à des femmes enceintes résidant en Irlande pour parvenir à une interruption de grossesse. Dans ses observations écrites, la Commission a souligné à bon droit que cette interdiction d'assistance est une interdiction générale applicable en Irlande à tout fournisseur de services et/ou toute personne qui fournit des informations, indépendamment de sa nationalité ou de son lieu d'établissement, et qu'elle empêche les femmes enceintes résidant en Irlande, quelle que soit leur nationalité, de recevoir les services en cause aussi bien en Irlande que dans d'autres États membres.

Les questions préjudicielles n'ont pas d'autre objet que d'interroger la Cour sur le caractère licite de l'interdiction de porter assistance en diffusant des Informations. Plus précisément, elles ne concernent pas l'éventuelle sanction pénale á laquelle s'exposent les femmes enceintes qui se sont fait avorter à l'étranger. Ni les éléments portés à la connaissance de la Cour ni les déclarations des parties à l'audience n'ont d'ailleurs permis d'établir avec suffisamment de clarté si la législation irlandaise prévoit une sanction dans une telle situation. En revanche, les défendeurs au principal ont indiqué dans leurs observations écrites que l'Irlande n'interdit pas aux femmes enceintes, ou ne cherche pas à les empêcher, de faire usage de leur droit de voyager et de recevoir des services d'interruption de grossesse à l'étranger.

14.

Un autre aspect retiendra encore brièvement notre attention. Comme nous l'avons déjà dit, les questions ont trait à une interruption médicale de grossesse pratiquée dans un autre État membre conformément à la législation en vigueur dans celui-ci. Nous supposons que cela signifie également — ce qui d'ailleurs ne parait pas être contesté dans la présente affaire — que les informations diffusées en Irlande par les défendeurs au principal répondent aux normes en vigueur au Royaume-Uni en ce qui concerne les cas dans lesquels la loi y autorise l'interruption de grossesse. En effet, dans les États membres où l'avortement est autorisé à certaines conditions, des exigences en matière d'information et d'accompagnement sont souvent posées pour empêcher une banalisation et une commercialisation de l'avortement ( 9 ) ou pour garantir que l'information n'est fournie que par des personnes compétentes ( 10 ) et que la décision de se faire avorter est prise en connaissance de cause, c'est-à-dire après avoir bénéficié des informations et des conseils nécessaires ( 11 ).

Nous supposons donc que la diffusion d'informations en Irlande demeure dans le cadre de ce qui est autorisé dans l'État membre d'origine du service. Cette précision est importante parce que le droit de fournir des informations invoqué par les défendeurs au principal ne peut en aucun cas être plus étendu que le droit dont il dérive selon eux, à savoir le droit à la libre prestation des services dont peut se prévaloir le fournisseur des services lui-même qui est établi dans un autre État membre. En effet, en règle générale, seuls les marchandises ou les services régulièrement « produits » ou « commercialisés » dans le pays d'origine peuvent bénéficier de la libre circulation des marchandises et des services à l'intérieur de la Communauté.

15.

Il apparaît des observations qui précèdent que la deuxième et la troisième question sont étroitement liées et qu'elles doivent être comprises conjointement de la manière suivante :

« Les dispositions du traité relatives à la libre circulation des services font-elles obstacle à ce qu'un État membre dans lequel l'avortement est prohibé aussi bien par la Constitution que par le droit pénal, interdise à quiconque, qu'il soit fournisseur de services ou qu'il soit indépendant de tout fournisseur de services, et quels que soient sa nationalité ou son lieu d'établissement, de prêter assistance à des femmes résidant dans cet État membre, indépendamment de leur nationalité, en vue d'une interruption de grossesse, plus particulièrement par la diffusion d'informations au sujet de la désignation et du lieu d'implantation de cliniques établies dans un autre État membre et pratiquant l'avortement ainsi que sur la manière d'entrer en rapport avec de telles cliniques, et cela bien que les services d'interruption médicale de grossesse et les informations y relatives soient fournis conformément à la législation en vigueur dans cet autre État membre? »

Pour répondre à cette question, nous procéderons en trois étapes. Tout d'abord nous examinerons, à la lumière de la jurisprudence de la Cour relative à la libre prestation des services, si l'interdiction d'informer en cause relève en principe du champ d'application des dispositions du traité relatives à la libre circulation des services (paragraphes 16 à 21). Nous étudierons ensuite le point de savoir si, dans l'hypothèse où il y a lieu de répondre affirmativement à cette question, l'interdiction peut néanmoins être justifiée en droit communautaire par des exigences imperatives liées à l'intérêt général, et cela tant au niveau des principes (paragraphes 22 à 24) qu'au plan concret (paragraphes 25 à 29). Enfin, nous étudierons le point de savoir si la Cour est compétente pour examiner l'interdiction d'informer en cause à la lumière des principes généraux du droit communautaire relatifs aux droits et libertés fondamentaux (paragraphes 30 à 31) et, dans l'affirmative, nous rechercherons quel est le résultat de cet examen (paragraphes 32 à 38).

L'interdiction d'informer relève-t-elle du champ d'application des articles 59 et 60 du traité CEE?

16.

Depuis l'expiration de la période de transition, les articles 59 et 60 du traité CEE sont directement applicables ( 12 ). Dans sa deuxième question, le juge de renvoi signale qu'il n'existe pas de mesure de rapprochement des législations des États membres relatives à l'interruption médicale de grossesse. Cette absence d'harmonisation ne fait pas obstacle à l'applicabilité directe des dispositions du traité.

17.

Selon une jurisprudence constante de la Cour ( 13 ), l'article 59 du traité CEE exige la suppression de toute restriction ayant pour but ou pour effet de soumettre, en raison de sa nationalité ou de son lieu d'établissement, un fournisseur de services établi dans un autre État membre que celui dans lequel le service doit étre fourni, à un traitement moins favorable que le fournisseur de services établi dans ce dernier État membre.

Mais même lorsque le fournisseur de services est ;tabli dans le même État membre que celui dans lequel le service est preste et lorsque c'est le bénéficiaire du service qui vient dans cet État membre au départ d'un autre État membre, l'article 59 du traité CEE exige la suppression des restrictions qui frapperaient ce bénéficiaire en raison de ¡a nationalité ou de son lieu d'établissemeni dans un autre État membre que celui dans lequel il se rend pour recevoir le service. La Cour a justifié ceci au dixième considérant de l'arrêt Luisi et Carbone de la manière suivante:

« Afin de permettre l'exécution de la prestation de services, il peut y avoir un déplacement soit du prestataire qui se rend dans l'État membre où le destinataire est établi soit du destinataire qui se rend dans l'État d'établissement du prestataire. Alors que le premier de ces cas est expressément mentionné dans l'article 60, troisième alinéa, qui admet l'exercice, à titre temporaire, de l'activité du prestataire de services dans l'État membre où la prestation est fournie, le deuxième cas en constitue le complément nécessaire, qui répond à l'objectif de libérer toute activité rcmunérée et non couverte par la libre circulation des marchandises, des personnes et des capitaux. »

Au seizième considérant, la Cour tire la conclusion suivante:

« Il s'ensuit que la liberté de prestation des services inclut la liberté des destinataires des services de se rendre dans un autre État membre pour y bénéficier d'un service, sans être gênés par des restrictions, même en matière de paiements... »

La Cour a confirmé cette dernière position de manière explicite au quinzième considérant de l'arrêt Cowan ( 14 ).

Il résulte de cette jurisprudence que les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services confèrent des droits non seulement aux fournisseurs de services agissant à titre professionnel mais également aux citoyens de la Communauté qui souhaitent obtenir des services. Elles confèrent plus précisément à ces derniers le droit de se rendre dans un autre État membre en vue d'y recevoir un service fourni dans celui-ci.

18.

La question qui se pose à présent est de savoir si le droit des citoyens communautaires de recevoir des services dans un autre État membre inclut le droit de recevoir dans leur propre État membre des informations sur les fournisseurs de services établis dans cet autre État membre et sur la manière d'entrer en contact avec eux. Nous estimons qu'il y a lieu de répondre affirmativement à cette question.

Dans ľarret GBINNOBM ( 15 ), la Cour a souligné, à propos de ľoffre de marchandises, l'importance de l'information des consommateurs. Elle a signalé (au huitième considérant) que la liberté du consommateur de s'approvisionner dans un autre État membre serait compromise si l'accès à la publicité disponible dans le pays d'achat leur est refusé. Nous ne voyons pas pourquoi il en irait autrement en ce qui concerne les informations relatives à un service: la liberté des particuliers de se rendre dans un autre État membre afin d'y recevoir un service peut être compromise si l'accès aux informations relatives notamment au nom et au lieu d'établissement du fournisseur des services et/ou aux services fournis par lui leur est interdit dans leur propre pays.

19.

La réponse donnée vaut tout autant, selon nous, lorsque l'information provient d'une personne qui n'est pas le fournisseur du service lui-même et qui n'agit pas davantage pour le compte de celui-ci. La liberté de se rendre dans un autre État membre que la Cour a reconnue dans le chef d'un destinataire de services ainsi que le droit qu'elle comporte d'avoir accès aux informations (régulièrement fournies) qui ont trait à ces services et au fournisseur de ceux-ci découlent de règles fondamentales du traité auxquelles il y a lieu de prêter un effet utile aussi large que possible. Sous réserve de restrictions que nous examinerons ultérieurement et qui sont fondées sur des exigences imperatives ou d'autres motifs de justification, la liberté de prestation de services est un principe fondamental du traité. Cette liberté doit être respectée par tout un chacun et peut être promue par quiconque, notamment en fournissant, à titre onéreux ou à titre gratuit, des informations sur les services offerts par soi-même ou par autrui.

Une telle interprétation du droit communautaire est par ailleurs conforme à l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme (CEDH) dont la Cour admet que les principes qui lui servent de base font partie de l'ordre juridique communautaire, tout comme elle est conforme également à l'article 5 de la déclaration des droits et libertés fondamentaux faite par le Parlement européen ( 16 ). Conformément à ces dispositions, il est loisible à tout un chacun, sous réserve de restrictions précises énoncées par la loi, de « recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière » (article 10, paragraphe 1, de la CEDH). La protection garantie par ces dispositions vise en particulier les informations ayant pour but d'influencer ou de mobiliser l'opinion publique mais vaut également pour les informations de « caractère commercial » ( 17 ). Nous reviendrons plus en détail sur ces dispositions ultérieurement (paragraphe 34).

20.

Comme nous l'avons indiqué précédemment (paragraphe 13), l'interdiction de fournir des informations au sujet d'avortements pratiqués à l'étranger est une mesure d'application générale en Irlande, résultant de la Constitution de ce pays, qui touche de la même manière et sans discrimination aucune les fournisseurs de services et d'informations ou les destinataires de services, qu'ils soient nationaux ou étrangers. Dans les observations qu'elle a présentées à la Cour, la Commission a soutenu que cette mesure non discriminatoire demeure en dehors du champ d'application des articles 59 et 60 du traité CEE. Elle se fonde à cet effet sur les arrêts Koestler ( 18 ) et Debauve ( 19 ).

Il est vrai que la Cour n'a pas encore déclaré expressément que l'article 59 du traité CEE s'applique à des mesures qui, sans être discriminatoires, affectent néanmoins (effectivement ou potentiellement) la circulation intracommunautaire des services. En revanche, elle n'a pas davantage limité le champ d'application de l'article 59 aux mesures qui comportent une discrimination (que celle-ci soit ouverte ou occulte). Comme l'avocat général M. Jacobs l'a déclaré récemment dans les conclusions qu'il a présentées dans l'affaire Säger ( 20 ), cela s'explique incontestablement par le fait qu'il s'agissait, dans la plupart des affaires, d'une situation dans laquelle le fournisseur des services s'était rendu dans un autre État membre et y avait été confronté à des réglementations nationales qui affectaient plus les fournisseurs de services originaires d'autres Etats membres que leurs homologues nationaux, ce qui conférait à ces réglementations un effet « discriminatoire » (c'est-à-dire défavorable) à l'égard des premiers.

Dans ses conclusions, l'avocat général M. Jacobs soutient que les entraves non discriminatoires à la fourniture de services doivent être traitées comme les restrictions non discriminatoires à la libre circulation des marchandises le sont dans la jurisprudence « Cassis de Dijon ». Selon lui, cette analogie paraît particulièrement adéquate lorsque le fournisseur des services ne se déplace pas physiquement ( 21 ). En pareille situation, obliger le fournisseur de services à se conformer à la législation souvent détaillée de chaque État membre à destination duquel le service « se déplace » par l'intermédiaire des postes ou des télécommunications (ou, a fortiori, à la législation de l'État membre dont le destinataire du service est originaire) affecterait lourdement la mise en place d'un marché commun des services ( 22 ). En adoptant cette position, l'avocat général M. Jacobs souscrit à l'opinion déjà défendue précédemment par différents avocats généraux ( 23 ).

Nous sommes parfaitement d'accord avec cette conception. Exclure a priori du champ d'application de l'article 59 du traité CEE les mesures qui, bien que n'étant pas discriminatoires, entravent la circulation intracommunautaire des services, porte atteinte de manière non négligeable à l'effet utile du principe de la libre circulation des services qui gagnera encore en importance dans une économie où le secteur tertiaire continue à se développer. Une telle conclusion créerait en outre une divergence malvenue entre la jurisprudence de la Cour relative à la circulation des marchandises et celle relative à la circulation des services, dans des situations dans lesquelles seuls le service ou le destinataire du service franchissent les frontières internes de la Communauté, situations qui ne se distinguent pas vraiment de celles dans lesquelles des marchandises ou des acheteurs franchissent ces frontières, ainsi que dans des situations dans lesquelles les services sont souvent présentés comme des « produits », ce qui est le cas dans le secteur financier, par exemple.

Par ailleurs, la notion de discrimination est déjà tellement étendue dans la jurisprudence de la Cour qu'elle couvre la situation dans laquelle, en raison d'une disparité entre les législations des États membres concernés, des fournisseurs de services d'un État membre se trouvent dans une situation moins avantageuse parce que, suite à cette disparité, une charge plus lourde leur est imposée lorsqu'ils souhaitent exercer leur profession dans un autre État membre ( 24 ). Si l'on admet l'interprétation large de l'article 59 qui est défendue ici, une telle charge plus lourde sera alors évidemment considérée comme une mesure entravante sans qu'il soit nécessaire de donner une signification impropre à l'interdiction de discrimination ( 25 ).

21.

Nous concluons donc que même lorsqu'elles ne comportent aucune discrimination, les réglementations nationales qui entravent, ouvertement ou de manière occulte, effectivement ou potentiellement, la circulation intracommunautaire des services, relèvent en principe du champ d'application des articles 59 et 60 du traité CEE. Nous disons bien: en principe, car de telles réglementations nationales peuvent néanmoins être compatibles avec lesdites dispositions du traité lorsqu'elles sont justifiées par des raisons impérieuses liées à l'intérêt général (voir les points 22 et suivants ci-après). Nous aboutissons également à la conclusion que, lorsqu'ils sont applicables, les articles 59 et 60 confèrent en principe aux citoyens de la Communauté le droit de recevoir des informations sur des services régulièrement fournis dans un autre État membre, de la même manière qu'ils puisent dans ces articles le droit de diffuser de telles informations, à titre onéreux ou à titre gratuit.

Raisons impérieuses liées à l'intérêt général pouvant justifier des restrictions à la libre prestation des services

22.

Dans une jurisprudence constante, notamment dans l'arrêt Webb ( 26 ) (dans le dix-septième considérant duquel il est fait référence à l'arrêt Van Wesemael ( 27 )), la Cour a reconnu que

« compte tenu de la nature particulière de certaines prestations de services, on ne saurait considérer comme incompatibles avec le traité des exigences spécifiques imposées au prestataire, qui seraient motivées par l'application de règles régissant ces types d'activités. Toutefois, la libre prestation des services en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par l'intérêt général et incombant à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire dudit État, dans la mesure où cet intérêt n'est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre où il est établi ».

Dans son arrêt Commission/Allemagne ( 28 ), la Cour précise que les exigences spécifiques imposées au fournisseur de services en raison de la nature particulière des services (d'assurance) concernés« doivent être objectivement nécessaires en vue de garantir l'observation des règles professionnelles et d'assurer la protection des intérêts qui constitue l'objectif de celles-ci » (vingt-sepi ième considérant),

à quoi elle ajoute en outre l'exigence que

« le même résu ltat ne puisse pas être obtenu par des règles inoins contraignantes » (vingt-neuvième considérant).

La Cour a formulé cette jurisprudence pour la dernière fois dans les arrêts « guides touristiques » cu'elle a rendus récemment ( 29 ). Elle s'est exprimée comme suit:

« Il s'ensuit que ces exigences ne peuvent être considérées comme compatibles avec les articles 59 et é 0 du traité que s'il est établi qu'il existe, d;ins le domaine de l'activité considérée, de.; raisons impérieuses liées à l'intérêt général qui justifient des restrictions à la libre pre; tation des services, que cet intérêt n'est pa ; déjà assuré par les règles de l'État où le prestataire est établi et que le même résultat ne peut pas être obtenu par des règles moins contraignantes. »

Il apparaît du ;onsidérant précité de l'arrêt Webb qu'il s'agit dans cette jurisprudence de réglementations qui sont applicables sans distinction, c'eî t-à-dire « incombant à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'État membre destinataire de la presi ation » (y compris des réglementations qui, en raison de disparités entre les législations, peuvent constituer une charge plus lourde pour les fournisseurs de services établis dans d'autres États membres et sont, dans ce sens là, « discriminatoires » : voir le point 20 ci-avant). Les réglementations nationales qui sont (de manière ouverte ou occulte) discriminatoires en soi pour les fournisseurs de services établis dans d'autres États membres peuvent en outre être « justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique » ( 30 ), conformément aux dispositions combinées des articles 56, paragraphe 1, et 66, du traité CEE.

23.

La tentation est grande d'établir un parallèle entre la jurisprudence précitée relative à la circulation des services et la jurisprudence relative aux raisons impérieuses (article 30 du traité CEE) ou aux raisons d'intérêt général (article 36 du traité CEE).

Nous résisterons à cette tentation — ce qui, eu égard à la complexité de la matière, ne nous sera pas difficile — et nous nous limiterons à quelques considérations susceptibles de situer la notion de raisons impérieuses liées à l'intérêt général dans le cadre global du droit communautaire.

Dans l'un comme dans l'autre domaine (à savoir la circulation des marchandises ou la circulation des services), les raisons pouvant justifier des réglementations nationales (discriminatoires ou non, selon le cas) doivent être conformes au droit communautaire. Dans le domaine de la libre circulation des marchandises, la Cour s'en tiendra, en ce qui concerne les motifs de justification au titre de l'article 36, à l'énumération limitative qui figure dans le traité tandis qu'en ce qui concerne les raisons impérieuses de l'article 30, elle admet dans sa jurisprudence un groupe restreint de raisons toujours identiques (à savoir la protection des consommateurs, la loyauté des pratiques commerciales et la transparence du marché, la protection de l'environnement et du milieu de travail, l'efficacité des contrôles fiscaux). Dans le domaine de la libre circulation des services, en revanche, les raisons énoncées à l'article 56 en combinaison avec l'article 66 mises à part, la Cour semble avoir délimité de manière moins précise le groupe des raisons impérieuses liées à l'intérêt général. Néanmoins il s'agit là également de raisons analogues à celles qui sont énoncées à l'article 36 (protection de la propriété intellectuelle ( 31 ) et protection des richesses artistiques et archéologiques ( 32 )) et/ou aux raisons relevant de l'article 30 (protection des travailleurs ( 33 ) et des consommateurs, notamment des preneurs de contrats d'assurance ( 34 )).

Il ressort néanmoins d'une jurisprudence récente que, dans l'un comme dans l'autre domaine, la Cour paraît disposée à inclure également dans les raisons impérieuses de l'« article 30 » ou parmi les raisons liées à l'intérêt général de l'« article 59 » des raisons qui « constituent ... l'expression de certains choix politiques et économiques » et qui se rattachent à des « particularités socioculturelles nationales ou régionales dont l'appréciation appartient, dans l'état actuel du droit communautaire, aux États membres » ( 35 ). En ce qui concerne la circulation des marchandises, ce point de vue a été exprimé dans l'arrêt Cinéthèque ( 36 ) (qui avait trait à un objectif de nature culturelle, à savoir l'encouragement de l'industrie du film) et dans les différents arrêts relatifs à la fermeture dominicale ( 37 ) (qui se rapportaient à la répartition des heures de travail et de repos et donc à un objectif de nature sociorécréative). En ce qui concerne la circulation des services, on peut déjà déceler un indice de ce point de vue dans des arrêts tels que l'arrêt Koestler ( 38 ) (dans lequel une réglementation nationale non discriminatoire qui excluait le recouvrement judiciaire de dettes de jeu pour des raisons d'« ordre social » et qui, partant, avait à la fois une nature politique et éthique, a été jugée acceptable) et l'arrêt Debauve (dans lequel la Cour a jugé justifiée une interdiction nationale applicable « sans distinction » à la publicité diffusée sur les chaînes de télévision par câble; l'interdiction était essentiellement destinée à assurer la survie d'une presse écrite pluraliste ( 39 )).

Il est inévitable que la Cour soit amenée à adopter un tel point de vue dans une société où le souci de l'intérêt général est confié aux pouvoirs publics dans toutes sortes de domaines d'action dont beaucoup ne sont pas concernés par le droit communautaire ou ne le sont qu'indirectement. Ce qui importe, c'est de veiller à ce que de tels objectifs d'intérêt général et les effets concrets des réglementations nationales à caractère général dictées par ces objectifs soient compatibles avec le droit communautaire. C'est la raison pour laquelle k Cour met l'accent sur la nécessité que les mesures nationales poursuivent des objectifs justifiés au regard du droit communautaire, soit parce que, lorsqu'il s'agit d'objectifs qui se situent dans le champ d'application des dispositions du traité, ils sont dans la ligne des objectifs poursuivis par celui-ci, soit parce que, lorsqu'il s'agit d'objectifs situés en dehors du champ d'application du traité, ils ne sont pas dirigés contre les objectifs poursuivis par les dispositions du traité, en particulier l'instauration d'un marché unifié. C'est également la raison pour laquelle la Cour souligne avec insistance que les entraves aux échanges commerciaux intracommunautaires résultant des mesures nationales en cause ne doivent pas aller au-delà de la mesure objectivement nécessaire pour réaliser l'objectif poursuivi par lesdites mesures nationales, ce qui suppose que cet intérêt ne soit pas encore garanti par une réglementation analogue dans l'État membre d'origine (du produit ou du fournisseur de services) et que le même résultat ne puisse pas être atteint tout aussi bien au moyen d'une mesure nationale moins restrictive pour l'intérêt communautaire.

24.

C'est à la lumière de ce cadre de référence (qui est analogue pour la circulation des marchandises et pour la circulation des services) que la réglementation nationale en cause doit être examinée, selon nous. Les questions qui se posent à cet égard sont celle de savoir si la réglementation poursuit un objectif justifié au regard du droit communautaire, c'est-à-dire si elle peut se prévaloir d'une raison impérieuse liée à l'intérêt général qui se situe dans la ligne des objectifs inscrits dans les dispositions du traité ou qui n'est pas incompatible avec eux, et celle de savoir si la réglementation n'a pas des effets qui vont au-delà de la mesure nécessaire et, en particulier, ne sont pas disproportionnés, c'est-à-dire si elle satisfait au critère de proportionnalité.

Examen d'une réglementation nationale interdisant la fourniture d'informations relatives à des services médicaux d'avortement

25.

Comme nous venons de l'indiquer, il s'agit ici d'une réglementation nationale portant une interdiction générale, qui ne comporte pas la moindre discrimination fondée sur la nationalité ou le lieu d'établissement, de diffuser dans l'État membre concerné des informations revêtant un caractère d'assistance parmi des destinataires potentiels, résidant dans cet État membre, de services médicaux d'interruption de grossesse pratiqués légalement dans un autre État membre, services dont nous avons admis qu'ils relèvent en principe du champ d'application des articles 59 et 60 du traité CEE.

Nous souhaitons rappeler également que, selon la Supreme Court irlandaise, l'interdiction d'informer précitée découle d'une disposition qui a été inscrite dans la Constitution irlandaise en 1983 à la suite d'un référendum et qui vise à protéger la vie de l'enfant à naître, dans le respect du droit égal de la mère à la vie, une protection qui, selon cette disposition, doit être garantie « dans la mesure où cela est réalisable ». En d'autres termes, deux règles découlant de droits fondamentaux entrent ici en conflit: d'une part, la liberté des défendeurs au principal de diffuser des informations, liberté dont nous avons admis (paragraphe 19) qu'elle est une émanation de la liberté de fournir des services que le droit communautaire garantit aux fournisseurs de services proprement dits et, d'autre part, l'interdiction de prêter assistance, par la diffusion d'informations, à des femmes enceintes qui souhaitent se faire avorter, interdiction qui, selon la Supreme Court irlandaise, est une émanation de la protection constitutionnelle de la vie à naître.

26.

Il est indéniable qu'une interdiction comme celle dont il s'agit ici, de prêter assistance et, en l'occurrence, de fournir des informations, est inspirée par un objectif considéré dans l'État membre en cause comme une raison impérieuse liée à l'intérêt général. La protection de la vie à naître inscrite dans la Constitution (et l'interdiction de l'avortement qui y est inhérente) ainsi que la nécessité qui en découle d'empêcher les avortements, dans les limites évidemment de la juridiction de l'État membre concerné, en interdisant la diffusion d'informations à ce sujet sur son territoire, sont considérées dans l'État membre concerné comme faisant partie des fondements de la société.

Sans préjudice de la réponse que nous donnerons ultérieurement à la question des droits et libertés fondamentaux (paragraphe 32), un tel objectif est justifié au regard du droit communautaire dès lors qu'il concerne un choix politique qui relève de considérations éthiques et philosophiques qu'il appartient aux États membres d'apprécier, et pour lequel ils peuvent se prévaloir du motif d' ordre public énoncé à l'article 56 du traité CEE en combinaison avec l'article 66 (et énoncé également à l'article 36; un motif qui peut même justifier des mesures discriminatoires), c'est-à-dire, conformément à la jurisprudence de la Cour, un intérêt dont la perturbation implique une « menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société » ( 40 ). Bien que le contenu de la notion d'ordre public « ne saurait être déterminé ... unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de la Communauté », il faut néanmoins, étant donné qu'il s'agit de circonstances qui « peuvent varier d'un pays à l'autre et d'une époque à l'autre », « reconnaître aux autorités nationales compétentes une marge d'appréciation dans les limites imposées par le traité et les dispositions prises pour son application » ( 41 ). Il est incontestable, selon nous, que des valeurs qui, en raison de leur place dans la Constitution, font partie, dans un État membre, de l'« ensemble des valeurs supérieures auxquelles une nation déclare solennellement adhérer » ( 42 ), relèvent du domaine pour lequel un pouvoir d'appréciation a été reconnu aux États membres, pouvoir que chaque État membre exerce « selon sa propre échelle de valeurs et dans la forme qu'il a choisie » ( 43 ).

27.

Il ne suffit cependant pas qu'une réglementation nationale soit fondée sur une raison impérieuse liée à l'intérêt général justifiée au regard du droit communautaire, il faut encore que ses effets n'aillent pas au-delà de la mesure nécessaire. En d'autres termes, elle doit résister au test de proportionnalité.

Ce principe renferme deux aspects. En premier lieu, peur être justifiée au regard du droit communautaire, une réglementation nationale doit être objectivement nécessaire pour réaliser le but poursuivi par la réglementation: ceh signifie qu'elle doit être à la fois utile (ou pertinente) et indispensable, en d'autres termei, qu'elle ne doit pas pouvoir être remplacée par une réglementation alternative tout aussi utile mais qui constituerait une entrave moindre à la libre circulation ( 44 ). En second lieu, même lorsque la réglementation nationale est utile et indispensable pour réaliser le but poursuivi, l'État membre doit néanmoins l'ab indonner ou la remplacer par une réglementation moins contraignante lorsque les entraves aux échanges intracommunautaires piovoqués par cette réglementation sont disproportionnées, c'est-à-dire lorsque les entraves ainsi occasionnées sont sans commune mesure avec, ou disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi par la réglementation nationale ou par rapport au résultat qu'elle permet d'atteindre ( 45 ).

28.

Bien que ce ne soit pas à la Cour mais au juge national qu'il appartient de se prononcer sur la compatibilité d'une réglementation nationale avec le droit communautaire, la Cour doit fournir au juge national tous les éléments susceptibles de garantir que l'appréciation par le juge national demeure dans les limites du droit communautaire qui sont uniformes pour tous les États membres. Parmi ces éléments de droit communautaire figure le principe de proportionnalité qui, pour être utile au juge de renvoi, doit être rapporté par la Cour aussi concrètement que possible à la réglementation nationale concernée et aux faits de l'espèce. Ce faisant, la Cour doit cependant se tenir strictement à la description de la réglementation nationale et aux faits qui ont été reconnus comme établis et pertinents au cours de la procédure nationale, tels qu'ils ressortent de la décision de renvoi et des pièces qui lui sont annexées.

29.

Une réglementation nationale prohibant de fournir des informations aux femmes enceintes résiste-t-elle au test de proportionnalité? Il nous semble que dans la mesure où il s'agit uniquement d'informations de nature à aider ( 46 ) des femmes enceintes à mettre fin à une vie encore à naître (ci-après « informations à caractère d'assistance »), un État membre, exerçant le pouvoir d'appréciation qui lui appartient, est fondé à estimer qu'une telle interdiction est utile et nécessaire au but poursuivi et n'est pas disproportionnée par rapport à ce but, dès lors que ce but est de donner effet au jugement de valeur inscrit dans sa Constitution qui considère que la vie à naître mérite une protection étendue. S'il est vrai qu'une telle interdiction renferme une entrave potentielle à la circulation intracommunautaire des services parce qu'elle est susceptible de réduire le nombre de femmes qui, à défaut d'une telle interdiction, se seraient rendues à l'étranger, on observera néanmoins qu'elle n'exclut pas toute forme d'information, mais uniquement les informations qui présentent un caractère d'assistance, et que le but poursuivi repose sur un jugement de valeur concernant le degré de protection de la vie intra-utérine qui est considéré comme fondamental dans l'État membre en cause. Constitueraient par exemple des mesures disproportionnées — parce qu'entravant la liberté des échanges commerciaux de manière excessive — l'interdiction faite aux femmes enceintes de se rendre à l'étranger ou une réglementation qui les soumettrait à des examens inopportuns à leur retour de l'étranger. Ce n'est cependant pas de cela qu'il s'agit dans les questions préjudicielles.

On pourrait certes objecter que la portée limitée de l'interdiction démontre que les autorités nationales compétentes n'ont pas pris toutes les mesures possibles pour empêcher les avortements et que, de ce fait, elles n'ont pas elles-mêmes assuré la protection maximale de la vie des enfants à naître à laquelle elles accordent la priorité. Cette objection ne tient pas: on ne peut pas reprocher aux autorités nationales de maintenir dans certaines proportions les mesures qu'elles adoptent en vue de protéger la vie intra-utérine dès lors que le droit communautaire lui-même leur impose une obligation de proportionnalité. La décision de ces autorités de concentrer leur action sur les pratiques qui, à leur avis, vont le plus clairement à l'encontre de cet objectif prioritaire, à savoir en l'occurrence la diffusion d'informations qui présentent un caractère d'assistance, nous paraît dès lors satisfaire au critère de proportionnalité.

Examen de règles nationales au regard des droits et libertés fondamentaux garantis par le droit communautaire

30.

Comme nous l'avons déjà indiqué (paragraphe 15), il faut encore examiner le point de savoir si l'interdiction d'informer en cause est compatible avec les principes généraux du droit communautaire relatifs aux droits et libertés fondamentaux, à supposer que, comme nous l'affirmerons ultérieurement (paragraphe 31), la Cour soit compétente pour examiner une réglementation nationale au regard de ces critères.

Il est de jurisprudence constante à la Cour

« que ... les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont (la Cour) assure le respect;

qu'en assurant la sauvegarde de ces droits, la Cour est tenue de s'inspirer des traditions constitutionnelles communes aux États membres et ne saurait, dès lors, admettre des mesures incompatibles avec les droits fondamentaux reconnus et garantis par les Constitutions de ces États;

que les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré peuvent également fournir des indications dont il convient de tenir compte dans le cadre du droit communautaire » ( 47 ).

Parmi les « instruments internationaux » susvisés, la convention européenne des droits de l'homme occupe une place particulière, ainsi qu'il est reconnu expressément dans le préambule de l'Acte unique ( 48 ). Cette jurisprudence de la Cour et les principes qu'elle emprunte aux traditions constitutionnelles des États membres et aux instruments internationaux sont également à l'origine de la déclaration des droits et libertés fondar lentaux qui a été approuvée par le Parlement européen le 12 avril 1989 ( 49 ).

Ce qui caractérise cette jurisprudence, c'est que, sans reconnaître un effet direct dans ľordre juridique communautaire aux dispositions des tri Lités internationaux précités, elle estime néanmoins que ces traités et les traditions coni titutionnelles communes aux États membres sont eux aussi déterminants pour le conter u des principes généraux du droit communautaire. Cette attitude permet à la Cour, lorsqu'elle précise ces principes généraux dan¡; le contexte (socioéconomique) propre du droit communautaire, de tenir compte également des impératifs des libertés fondamentales visant à l'unification du marché et des impératifs des organisations communes des marchés ( 50 ). Elle n'empêche cependant pas la Cour d'observer scrupuleusement, comme s'il s'agissait de dispositions précises, ces droits et libertés fondamentaux introduits en droit communautaire sous la forme de principes généraux, lorsqu'il s'agit de vérifier si les actes des institutions communautaires sont conformes à ces principes et de les annuler ou de les invalider lorsqu'ils s'avèrent incompatibles í vec ceux-ci.

31.

Une questi 5n à laquelle la Cour n'a pas encore clairem;nt répondu jusqu'à ce jour est celle de savoir dans quelle mesure elle est compétente pour examiner si des réglementations nationales sont conformes aux principes généraux du droit communautaire qui consacrent les droits et libertés fondamentaux ( 51 ).

Dans l'arrêt Cinéthèque ( 52 ) qui traite d'un problème de liberté d'expression, la Cour a déclaré ce qui suit à propos de l'article 10 de la CEDH:

« S'il est vrai qu'il incombe à la Cour d'assurer le respect des droits fondamentaux dans le domaine propre du droit communautaire, il ne lui appartient pas, pour autant, d'examiner la compatibilité, avec la convention européenne, d'une loi qui se situe, comme en l'occurrence, dans un domaine qui relève de l'appréciation du législateur national. » (vingt-sixième considérant)

Dans l'arrêt Demirel qu'elle a rendu ultérieurement ( 53 ), la Cour a reformulé la dernière partie de la phrase susmentionnée de la manière suivante:

«... que la Cour ... ne peut vérifier la compatibilité, avec la convention européenne des droits de l'homme, d'une réglementation nationale qui ne se situe pas dans le cadre du droit communautaire » (vingt-huitième considérant).

Dans l'arrêt Wachauf plus récent encore ( 54 ), la Cour s'est penchée sur la question de savoir si une réglementation communautaire était compatible avec les exigences résultant de la protection de droits fondamentaux et elle a conclu que

« ces exigences li(e)nt également les États membres lorsqu'ils mettent en oeuvre des réglementations communautaires » (dix-neuvième considérant).

Il ressort de cette jurisprudence que lorsqu'elle est amenée à contrôler une réglementation nationale prise en exécution d'une disposition de droit communautaire, la Cour examine si elle est compatible avec les droits et libertés fondamentaux. Dans la présente affaire, on ne peut affirmer que l'interdiction d'informer, déduite d'une disposition constitutionnelle nationale, met en oeuvre le droit communautaire. L'arrêt Demirel a cependant donné une formulation plus large puisque le fait que la réglementation nationale se situe dans le cadre communautaire y est jugé suffisant. Or ne faut-il pas admettre qu'une réglementation nationale qui, pour demeurer compatible avec le droit communautaire, doit se référer à des notions juridiques telles que les raisons impérieuses liées à l'intérêt général ou à l'ordre public — dont la Cour reconnaît que leur portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres (paragraphe 26) — se situe « dans le cadre » du droit communautaire? S'il est vrai que ces notions peuvent être définies dans une large mesure par les États membres, cela n'empêche cependant pas qu'elles doivent être justifiées et délimitées d'une manière uniforme pour l'ensemble de la Communauté en fonction du droit communautaire, c'est-à-dire en tenant compte également des principes généraux relatifs aux droits et libertés fondamentaux qui font partie intégrante du droit communautaire et dont la Cour doit assurer le respect.

A strictement parler, cette conception n'est d'ailleurs pas incompatible avec l'attitude adoptée par la Cour dans l'affaire Cinéthèque. Dans son arrêt, elle a déclaré que son contrôle ne se situe pas « dans un domaine qui relève de l'appréciation du législateur national », une déclaration qui est exacte si on la considère d'une manière générale. Cependant dès qu'il s'agit d'une réglementation nationale qui sortit des effets dans un domaine gouverné par le droit communautaire (en l'occurrence l'article 59 du traité CEE) et qui, pour être admissible en droit communautaire, doit pouvoir être justifiée à l'aide de notions ou principes empruntés à celui-ci, l'appréciation de cette réglementation nationale ne relève plus de la compétence exclusive du législateur national ( 55 ).

Compatibilité de l'interdiction d'informer avec les principes généraux du droit communautaire relatifs aux droits et libertés fondamentaux

32.

Si l'on admet le raisonnement précédent, il faut à nouveau examiner, cette fois à la lumière des principes généraux du droit communautaire relatifs aux droits et libertés fondamentaux, si une interdiction générale de fournir aux femmes enceintes des informations à caractère d'assistance relativement à des avortements légalement pratiqués à l'étranger peut être justifiée au regard du droit communautaire. Vue sous ce nouvel angle, il y a lieu d'examiner la question en y incorporant les deux points suivants: d'une part, celui de savoir si l'objectif poursuivi par la réglementation nationale, c'est-à-dire la promotion d'un jugement de valeur éthique sur la protection de la vie intra-utérine dont le principe est inscrit dans la Constitution de l'État membre en cause, est compatible avec lesdits principes généraux; d'autre part, celui de savoir si la liberté d'expression, lui fait partie du droit communautaire et va de pair avec la liberté des prestation:; intracommunautaires des services qui est garantie par le droit communautaire (y con pris la liberté de recevoir les services conceriés et de fournir des informations à leur sujet) n'est pas limitée d'une manière inadm ssible par la réglementation nationale analysée.

33.

Le juge de renvoi n'a pas demandé à la Cour (paragraphe 13) si une réglementation nationale qui protège la vie intra-utérine en interdisant strictement l'avortement est compatible avec les principes généraux du droit communi.utaire relatifs aux droits et libertés fondamentaux. Les parties n'ont d'ailleurs pas échangé d'arguments sur ce point devant h Cour. Aucune donnée de droit ou de fail n'a du reste été fournie à la Cour quant à la portée et à l'application de la réglementation sur l'avortement en vigueur dans ľ État membre concerné (plus particulièrement en ce qui concerne la manière dont il est tenu compte du droit égal de la mrre à la vie auquel l'article 40.3.3° de la Constitution irlandaise se réfère expressément). C'est la raison pour laquelle nous partons de l'hypothèse qu'on ne peut pas diie de l'interdiction d'informer dont il s'agit cans la présente affaire — et qui vise à empêcher que l'on puisse prêter assistance pou: la réalisation d'un avortement — qu'ell; poursuit un objectif incompatible en soi avec lesdits principes généraux de droit communautaire.

Par souci d'ê;re complet, nous signalons cependant que la Cour européenne des droits de l'horrme n'a pas eu jusqu'à présent l'occasion de statuer sur la compatibilité de réglementations régissant l'avortement avec la convention européenne des droits de l'homme mais qu'il existe quelques décisions de la Commission européenne des droits de l'homme. Dans celles-ci, ladite Commission s'est cependant abstenue de statuer en termes généraux sur la question de savoir si l'article 2 de la convention protège la vie du foetus et, dans l'affirmative, dans quelle mesure ( 56 ). Elle a seulement indiqué qu'eu égard à la protection de la vie de la mère qui est évidemment garantie par la convention, le fœtus ne saurait en aucun cas être protégé par un droit illimité à la vie (comme l'affirmait un homme qui faisait grief à une législation nationale de ne pas s'opposer à ce que sa femme se fasse avorter) ( 57 ). Dans une affaire précédente, la Commission européenne des droits de l'homme avait rejeté la plainte de deux femmes qui invoquaient l'article 8 de la convention pour entendre condamner, au motif qu'elle constituerait une violation du respect de leur vie privée, une législation nationale qui n'autorisait l'avortement que pendant une certaine période et/ou à certaines conditions seulement ( 58 ).

Il ressort de cela que, jusqu'à présent, la Commission européenne des droits de l'homme s'est abstenue de recommander aux États individuels de garantir un certain niveau de protection de la vie intra-utérine dans la mesure où le droit de la mère à la vie est sauvegardé par la réglementation nationale concernée et que la Cour européenne des droits de ľhomme n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer sur cette question.

34.

Il demeure la question de savoir s'il est conforme aux principes généraux du droit communautaire relatifs aux droits et libertés fondamentaux qu'un État membre interdise de fournir et de recevoir des informations à caractère d'assistance au sujet d'avortements légalement pratiqués dans d'autres États membres et porte ainsi atteinte à la liberté d'expression des individus. Il s'agit ici de mettre en balance deux droits fondamentaux: d'une part, le droit à la vie tel qu'il est défini par l'État membre qui le déclare applicable à la vie intra-utérine et, d'autre part, la liberté d'expression qui fait partie des principes généraux du droit communautaire eu égard aux traditions Constitutionnelles des États membres et aux traités et instruments européens et internationaux relatifs aux droits fondamentaux, en particulier l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme.

Il ressort de l'article 10, paragraphe 1, de la convention, qui garantit à toute personne « la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière », qu'une telle interdiction porte atteinte à la liberté d'expression telle qu'elle est inscrite notamment dans cet article. Comme nous l'avons déjà indiqué (paragraphe 19), il apparaît de la jurisprudence de la Cour et de la Commission européennes des droits de l'homme relative à l'article 10 de la convention. Si l'expression d'opinions à caractère commercial bénéficie de la protection garantie par l'article 10, la diffusion d'informations visant à influencer l'opinion publique mérite a fortiori d'être protégée. Il s'agit en l'espèce d'informations diffusées, non pas par les fournisseurs du service, qui sont établis en Grande-Bretagne, mais par des associations d'étudiants irlandaises qui diffusent ces informations en Irlande à titre gratuit, agissant dans la conviction qu'il faut fournir aux femmes enceintes des informations utiles sur les cliniques où elles peuvent se faire avorter.

Du texte de l'article 10, paragraphe 2, de la convention ainsi que de la jurisprudence de la Cour et de la Commission européennes des droits de l'homme, il apparaît cependant que les États membres peuvent imposer à la liberté d'expression des restrictions « prévues par la loi » (ce qui inclut également des règles juridiques non écrites lorsque celles-ci sont suffisamment accessibles et suffisamment claires pour le citoyen qui doit s'y conformer; voir également le paragraphe 36) ( 59 ) à la condition que ces restrictions « constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique ... à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection ... des droits d'autrui... ». Les États individuels disposent à cet effet d'un pouvoir d'appréciation qu'ils exercent cependant sous le contrôle du juge ( 60 ). La Cour européenne des droits de l'homme vérifie à cet égard si les mesures nationales poursuivent un but légitime et sont nécessaires dans une société démocratique pour atteindre ce but, c'est-à-dire si elles répondent à une nécessité sociale urgente (« pressing social need ») et sont proportionnelles à l'objectif poursuivi ( 61 ).

Parallèlement à l'article 10, paragraphe 1, de la conventi Dn européenne des droits de ľhomme, l'artcle 5 de la déclaration des droits et libertés fondamentaux faite par le Parlement européen prévoit que toute personne a drcit à la liberté d'expression, ce qui comprend « la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations o x des idées notamment philosophiques, politiques et religieuses ». Aux termes de l'article 26, qui est une disposition à caractère général précisant les limites des droits et libertés énumérés dans la déclaration, cette libe, té ne peut « être restreint(e), dans des limites raisonnables et nécessaires dans une socié ;é démocratique, que par une règle de droit qui respectera en toute hypothèse leur conienu essentiel ».

35.

Il ressort de ce qui précède que dans un cas tel que ceui de l'espèce où des droits fondamentaux entrent en conflit les uns avec les autresj la jurisprudence relative à la convention européenne des droits de l'homme utilise un critère analogue au principe de proportionnalité utilisé en droit communautair. Cela ressort également de l'arrêt Hauer ( 62 ) que la Cour a rendu dans une affaire qu avait pour objet un conflit entre un obje:tif d'intérêt général de la Communauté (mise en œuvre de mesures de politique struc:urelle dans le cadre d'une organisation commune de marché) et le droit de propreté garanti par les principes généraux du dioit communautaire. Au cours de son examen de la réglementation (communautair; en l'occurrence), la Cour a vérifié si les restrictions inscrites dans cette réglementation pouvaient être admises comme étant légitimes (vingt-deuxième considérant) et si elles répondent effectivement à

« des objectifs d'intérêt général poursuivis par la Communauté et si elles ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable dans les prérogatives du propriétaire, qui porterait atteinte à la substance même du droit de propriété » (vingt-troisième considérant).

Nous supposons que conformément à son approche générale de la problématique des droits fondamentaux (voir point 30), la Cour, en ce qui concerne l'application du principe de proportionnalité, tiendra compte en particulier de la manière dont ce principe est circonscrit dans la convention européenne des droits de l'homme ainsi que dans la jurisprudence de la Cour et de la Commission européennes des droits de l'homme. Ceci ne sera d'ailleurs pas difficile dès lors qu'à quelques nuances près ( 63 ), les principales composantes du principe de proportionnalité telles qu'elles sont utilisées dans la convention et dans le droit communautaire paraissent les mêmes. S'agissant de la problématique qui nous occupe et compte tenu de ces composantes, il y a lieu, selon nous, de vérifier les points suivants sur la base du principe de proportionnalité. Tout d'abord, le but poursuivi par l'interdiction d'informer en cause est-il un objectif légitime lié à l'intérêt général répondant à une nécessité sociale impérieuse? Deuxièmement, ce but est-il réalisé par des moyens qui, dans une société démocratique, sont nécessaires (et acceptables) pour atteindre ce but? Troisièmement, les moyens utilisés sont-ils proportionnés au but poursuivi et ne portent-ils pas gravement atteinte au droit fondamental concerné, en l'occurrence la liberté d'expression?

36.

Arrivé à ce point de nos conclusions, il nous faut porter notre attention sur l'affaire dont la Commission européenne des droits de ľhomme a été saisie après l'arrêt Open Door Counselling, précité (paragraphe 3), de la Supreme Court irlandaise du 16 mars 1988. Cette affaire portait sur la compatibilité avec notamment l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme, de la même interdiction d'informer irlandaise que celle dont il s'agit dans la présente affaire.

Après avoir d'abord déclaré les requêtes recevables par décision du 15 mai 1990, la Commission a produit, le 7 mars 1991, un rapport sur le fond de l'affaire dont nous ne pouvons cependant tirer que des enseignements limités sur l'application du principe de proportionnalité. Il est vrai que la Commission constate une restriction de la liberté d'expression garantie par l'article 10, paragraphe 1, de la convention, et déclare que l'article 10, paragraphe 2, de la convention n'est pas applicable. Toutefois elle se fonde à cet effet sur le motif que la limitation constatée n'était pas « prévue par la loi »« au moment des faits » (« at the material time »), c'est-à-dire « avant l'arrêt de la Supreme Court » (« prior to the Supreme Court judgement »), du 16 mars 1988 (paragraphe 52 du rapport). Ceci vaut autant pour les considérants (paragraphe 44-53 du rapport) qui ont trait aux requêtes de deux bureaux de consultation et de deux travailleurs de l'un de ceux-ci que pour les considérants (paragraphes 54-57) qui ont trait aux requêtes de deux femmes qui intervenaient à titre individuel (mais qui n'étaient pas enceintes). En ce qui concerne les premières requêtes, le gouvernement irlandais avait reconnu que l'on se trouvait bien en présence d'une restriction au sens de l'article 10, paragraphe 1, de la convention, alors qu'il ne l'avait pas admis pour les deuxièmes requêtes. La Commission européenne des droits de l'homme admet pour les deux catégories de recours que la liberté d'expression (y compris la liberté de recevoir des opinions) avait bel et bien été limitée de la sorte et que cette limitation était inadmissible au sens de l'article 10, paragraphe 2, parce que au moment des faits elle n'était pas prévue « par la loi » (notion qui comprend une règle juridique non écrite) d'une manière suffisamment accessible et suffisamment claire. La Commission n'a donc pas examiné la nécessité et/ou la proportionnalité de la mesure querellée, pas plus qu'elle n'a examiné la licéité en soi du but poursuivi par cette mesure (voir paragraphe 52, in fine, en combinaison avec le paragraphe 43 de la décision).

En revanche, il apparaît de la décision de la Commission européenne des droits de l'homme que — depuis que dans son arrêt Open Door Counselling du 16 mars 1988, la Supreme Court a défini d'une manière suffisamment accessible et suffisamment claire les conséquences de l'article 40.3.3° de la Constitution irlandaise en ce qui concerne l'information sur les services d'avortement — ladite interdiction nationale est actuellement ( 64 ) bel et bien « prévue par la loi » d'une manière suffisante (à savoir par une règle juridique non écrite, désormais constante, de la common law).

37.

Si la formulation du principe de proportionnalité ne se heurte à aucune difficulté spéciale (voir paragraphe 35), son application soulève cependant une autre question, à savoir la question de l'étendue du pouvoir d'appréciation des États membres lorsqu'ils doivent estimer ce qui est une restriction nécessaire et proportionnelle, et donc licite, à l'un des droits fondamentaux tels que ceux qui sont proteges par les articles 8 à 11 de la convention. Dans la jurisprudence de la Cour et de la Commission européennes des droits de l'homme, la réponse à cette question dépend fortement de la matière traitée ( 65 ).

Cette question est d'autant plus délicate lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, d'apprécier deux droits fondamentaux aussi sensibles que, d'une part, le droit à la liberté d'expression dont la Cour européenne des droits de l'homme pose en prémisse le caractère fondamental dans une société démocratique et, d'autre part, le droit à la vie tel qu'il est appliqué à la vie intra-utérine dans l'État membre en cause sur la base d'un jugement de valeur éthique fondamental qui est inscrit dins la Constitution. En ce qui concerne les ugements de valeur éthiques, il existe cependant une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme selon laquelle, lorsqu'il n'existe pas une conception européenne uniforme en matière morale,

« grâce à leu rs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autorités de l'Éta: se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sir le contenu précis de ces exigences (ce protection de la morale) comme sur la ‘nécessité’ d'une ‘restriction’ ou ‘sanction’ destinée à y répondre » ( 66 ).

Or, s'agissant de la protection de la vie à naître, il n'existe pas entre les États membres et à l'intérieur de chaque État membre (sauf en ce qui concerne le respect du droit de la mère à la vie) une telle conception morale uniforme des conditions dans lesquelles l'avortement est ou devrait être autorisé. Il n'existe pas davantage de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme pouvant fournir une orientation directrice ni (à la même réserve près) de jurisprudence de la Commission européenne des droits de l'homme (paragraphe 33). Ceci ressort également des nombreuses opinions distinctes, antagonistes sur ce point, des membres de la Commission susvisée qui sont jointes à la décision que nous venons de commenter (paragraphe 36) ( 67 ).

Dans ces circonstances, il nous semble qu'en ce qui concerne la présente affaire, il y a lieu de laisser une marge d'appréciation non négligeable aux États membres individuels. Cela résulte également de la jurisprudence de la Cour relative au pouvoir d'appréciation laissé aux États membres lorsqu'il s'agit de définir, dans les limites tracées par le droit communautaire, ce qu'il y a lieu d'entendre par ordre public et moralité publique. C'est aux États membres qu'il incombe de définir ces notions conformément à la « propre échelle de valeurs » de l'État membre concerné (paragraphe 26).

38.

Il nous faut encore examiner, à propos de la réglementation nationale à laquelle nous sommes concrètement confrontés, si un État membre peut, dans les limites de la marge d'appréciation non négligeable qui lui appartient, juger qu'une interdiction générale (suffisamment accessible et claire au moment des faits) prohibant de fournir, à l'intérieur de son territoire, des informations à caractère d'assistance au sujet d'avortements pratiqués dans cet État membre ou dans d'autres États membres, peut être considérée comme une restriction nécessaire et non disproportionnée à la liberté d'expression, eu égard au jugement de valeur éthique que cette interdiction a pour objet de concrétiser et qui est jugé fondamental dans cet État membre où l'on estime que la vie à naître mérite toutes les protections. Nous estimons que tel est bien le cas, et cela en application du principe de proportionnalité que nous avons décrit plus haut (paragraphe 35), principe dont nous allons à présent examiner les trois composantes.

Nul ne conteste dans la présente procédure que le but poursuivi par l'interdiction d'informer en cause est légitime (paragraphe 33). D'ailleurs, cela n'est contesté dans aucune des opinions dont est assortie la décision de la Commission européenne des droits de l'homme dont nous avons parlé précédemment (paragraphe 36): les membres de ladite Commission qui, sur la base du principe de proportionnalité, ont estimé que la réglementation nationale en cause était incompatible avec l'article 10, paragraphe 2, de la convention européenne des droits de l'homme ( 68 ), considèrent eux aussi que la protection des bonnes moeurs constitue un motif de justification admissible. Le motif de justification correct réside, selon nous, conformément aux principes généraux du droit communautaire, dans la protection de l'ordre public et/ou de la moralité publique parce qu'il s'agit ici d'une réglementation qui puise sa justification dans un jugement de valeur éthique qui est considéré dans l'État membre concerné comme faisant partie des bases de l'ordre juridique ( 69 ) et qui a été inscrit dans la Constitution après une consultation populaire organisée par référendum en 1983. Il en ressort également qu'il s'agit ici d'un objectif d'intérêt général qui répond à une nécessité urgente.

En ce qui concerne l'exigence que la restriction imposée soit nécessaire dans une société démocratique pour atteindre le but poursuivi, nous estimons, eu égard à ce que nous avons affirmé dans le paragraphe précédent et à la description de la réglementation nationale et du contexte factuel tels qu'ils ressortent des questions préjudicielles ( 70 ), que les autorités nationales concernées peuvent estimer qu'une interdiction de fournir des informations à caractère d'assistance est nécessaire pour donner effet au jugement de valeur inscrit dans la Constitution sur la protection que mérite la vie intra-utérine. Eu égard au caractère limité de l'interdiction (voir ci-après) et au fondement juridique de celle-ci, à savoir une disposition constitutionnelle adoptée à la suite d'un référendum sur le respect de la vie intra-utérine, il nous paraît que les autorités nationales peuvent estimer que l'interdiction est acceptable dans une société démocratique.

En ce qui concerne également l'exigence que la réglementation concernée ne soit pas disproportion îée par rapport au but qu'elle poursuit, il nous paraît que les autorités nationales étaient fondées à admettre que tel n'est pas le cas d'une réglementation, telle que celle qui nous occupe, qui se limite à interdire les informations à caractère d'assistance sans faire obstacle ni aux autres types d'information 5 ni à la liberté d'expression sur le caractère admissible de l'avortement et qui ne s'étend pas à des mesures limitant la liberté de circulation des femmes enceintes ou leur imposant des examens inopportuns.

Conclusion et analyse de l'article 62 du traité CEE

39.

Compte lenu de ce qui précède, nous aboutissons à la conclusion que les dispositions du traité relatives à la libre circulation des services ne font pas obstacle à ce qu'un État membre dans lequel la protection de la vie à naître est reconnue comme un principe fondamental dans la Constitution et dans la législation, éc.ictent une interdiction générale, applicab e à tout un chacun indépendamment de sa nationalité ou de son lieu d'établissemer. t, de prêter assistance à des femmes résidant dans cet État membre, indépendamment de leur nationalité, en vue de mettre fin à la grossesse, plus précisément par la diffusion d'informations sur la désignation ť t le lieu d'implantation de cliniques établies dans un autre État membre et dans lesquelles l'avortement est pratiqué, ainsi que sur a manière d'entrer en rapport avec ces cliniques, et cela bien que les services d'interruption médicale de grossesse et les informations y relatives soient fournis dans cet autre État membre en conformité avec la législation qui y est en vigueur. Ainsi qu'il ressort de l'analyse qui précède, cette conclusion n'est pas incompatible avec les principes généraux du droit communautaire relatifs aux droits et libertés fondamentaux.

40.

Eu égard à cette conclusion, nous pourrons être brefs en ce qui concerne l'argument que les défendeurs au principal souhaitent tirer de l'article 62 du traité CEE. Selon cette disposition, les États membres « n'introduisent pas de nouvelles restrictions à la liberté effectivement atteinte, en ce qui concerne la prestation des services, à l'entrée en vigueur du traité (CEE), sous réserve des dispositions de celui-ci ». Les défendeurs au principal estiment que cette disposition du traité influence l'interprétation de la disposition qui a été inscrite dans la Constitution irlandaise en 1983 et sur laquelle la Supreme Court a fondé l'interdiction précitée de diffuser des informations. Selon eux, cette disposition constitutionnelle ne pourrait pas être interprétée en ce sens qu'il en découlerait une nouvelle restriction à la circulation des services par rapport à la situation qui avait été atteinte au moment de l'adhésion de l'Irlande à la Communauté.

Il suffit d'observer à cet égard que l'article 62 du traité CEE ne peut pas s'appliquer à des réglementations nationales comportant une restriction de la circulation des services qui, à l'instar de l'interdiction d'informer précitée, ne relève pas du champ d'application des articles 59 et 60 du traité CEE pour les raisons impérieuses liées à l'intérêt général que nous avons évoquées plus haut. Il ne pourrait en être autrement que si la disposition nouvellement introduite faisait rentrer la réglementation nationale dans ledit champ d'application, ce qui n'est pas le cas, comme l'a démontré l'analyse qui précède.

Par souci d'être complet, nous souhaitons indiquer que l'article 62 du traité CEE, tout comme d'ailleurs l'article 53 qui est relatif au droit d'établissement, doit être interprété dans le même sens que l'article 32, premier alinéa, du traité CEE. Cet article impose aux États membres l'obligation de s'abstenir de rendre plus restrictifs les contingents et les mesures d'effet équivalent existant à la date d'entrée en vigueur du traité. Dans l'arrêt Motte ( 71 ), la Cour a considéré ce qui suit à ce propos:

« Cette disposition avait pour seul but d'éviter que les États membres rendent plus restrictives, au cours de la période transitoire, des mesures qu'il fallait supprimer au plus tard à l'expiration de cette dernière. Depuis l'expiration de la période de transition, la disposition citée n'ajoute plus rien à celles des articles 30 et 36 du traité. »

L'article 62 du traité CEE poursuivait, selon nous, le même but que l'article 32 précité, à savoir éviter que les États membres rendent plus restrictives au cours de la période de transition des mesures qui devaient être abolies au plus tard à l'expiration de ladite période. Depuis la fin de la période de transition, l'article 59 du traité CEE qui exige la suppression des restrictions à la circulation des services, est pourvu d'effet direct ( 72 ). Depuis lors, l'article 62 du traité CEE n'ajoute donc plus rien aux dispositions du traité relatives aux services. Pour cette raison également l'argument que les défendeurs au principal tirent de l'article 62 ne saurait être accueilli.

Réponses proposées

41.

En conséquence nous proposons à la Cour de donner les réponses suivantes au juge de renvoi:

«1)

L'intervention médicale, normalement pratiquée contre rémunération, j?ar laquelle il est mis fin à la grossesse d'une femme originaire d'un autre État membre, dans le respect de la législation de l'État membre dans lequel l'intervention est effectuée, est un service (transfrontalier) au sens de l'article 60 du traité CEE.

2)

Les dispositions du traité relatives à la libre circulation des services ne font pas obstacle à ce qu'un État membre dans lequel la protection de la vie à naître est reconnue comme un principe fondamental dans la Constitution et dans la législation, impose une interdiction générale applicable à tout un chacun, indépe idamment de sa nationalité ou de son lieu d'établissement, de prêter assistance à des femmes résidant dans cet État membre, indépendamment de leur ns tionalité, en vue de mettre fin à la grossesse, en particulier par la diffusion d informations sur la désignation et le lieu d'implantation de cliniques établie,) dans un autre État membre dans lesquelles l'avortement est pratiqué, ainsi que sur la manière d'entrer en rapport avec ces cliniques, et cela bien que leí services d'interruption médicale de grossesse et les informations y relatives aient été fournis en conformité avec la législation en vigueur dans cet autre État membre. »


( *1 ) Langue originale: le néerlandais.

( *2 ) Ndt: en anglais dans le texte.

« L'État reconnaît le droit à la vie de l'enfant à naître et, en tenant dûment compte du droit égal de la mère à la vie, il s'engage à respecter ce droit dans ses lois et, dans la mesure où cela est réalisable, à défendre et à faire valoir ce droit à travers ses lois. ».

( 1 ) (1988) Irish Reports, 593.

( *3 ) En anglais dans le texte.

«En prêtant assistance à des femmes enceintes souhaitant se rendre à l'étranger pour y subir une interruption de grossesse dans un établissement hospitalier; en organisant le voyage pour elles ou en leur fournissant des informations précises au sujet de la désignation et du lieu d'implantation d'une ou de plusieurs cliniques déterminées et au sujet des moyens d'entrer en rapport avec elle(s), les défendeurs, leurs auxiliaires ou agents se sont rendus coupables de pratiques contraires aux dispositions de l'article 40.3.3° de la Constitution » (souligné par nous).

( 2 ) Arrêt du 21 avril 1988 (338/85, Rec. p. 2041 et suiv.).

( 3 ) Arrêt du 18 mars 1980, Debauve, point 18 (52/79, Rec. p. 833).

( 4 ) Voir, à titre de comparaison, en ce qui concerne la circulation des marchandises, les arrêts de la Cour du 15 décembre 1982, Oosthoek's Uitgeversmaatschappij, quinzième considérant (286/81, Rec. p. 4575), et du 7 mars 1990, GB-Inno-BM, septième considérant (C-362/88, Rec. p. I-667).

( 5 ) Arrêt du 31 janvier 1984 (286/82 et 26/83, Rec. p. 377).

( 6 ) Sous reserve du droh egal de la mere a la ne (et « dans la mesure où cela est realisable »), comme le veut l'article 40.3.3* de la Constitution irlandaise que nous avons cite au paragraphe 3.

( 7 ) Voir notamment l'arrêt du 5 février 1981, Horváth (50/80, Rec. p. 385), relatif a l'importation de stupéfiants, et étalement l'arrêt du 6 décembre 1990, Witzemann (C-343/89, Rec. p. I-4477), relatif à l'importation de fausse monnaie.

( 8 ) La loi britannique de 1967 sur l'avortement (Abortion Act 1967), qui autorise l'interruption médicale de grossesse à certaines conditions, n'est pas applicable en Irlande du Nord. Dans cette partie du Royaume-Uni, l'avortement est interdit. Rien dans les observations écrites et orales qui ont été présentées devant la Cour n'indique si la diffusion en Irlande du Nord d'informations relatives à des activités abortives autorisées dans les autres parties du Royaume-Uni soulève un problème analogue au problème soumis au juge de renvoi dans l'affaire au principal.

( 9 ) Voir par exemple l'article 219 b) du code penal allemand qui interdit en principe toute offre publique de services relatifs à l'avortement.

( 10 ) Voir par exemple la réglementation française inseriu dans les articles L 162-3, L 643 et L 647 du code de la sante publique qui confèrent au corps medicai et aux centres specialises un monopole pour la diffusion d'informations sur l'avortement.

( 11 ) Voir par exemple l'article 350 du code penal belge qui n'autorise l'interruption de grossesse que dans un établissement disposant d'un service d'information qui accueille la femme enceinte et lui donne des informations circonstanciées sur toutes les possibilites d'accueil de l'enfant.

( 12 ) Voir l'arrêt du 3 décembre 1974, Van Binsbergen (33/74, Rec. p. 1299).

( 13 ) Voir en dernier lieu les arrêts rendus par la Cour le 26 février 1991 en matière de services de guides touristiques, Commission/Fiance, douzième considérant (C-154/89, Rec. p. I-659), Commission/Italie, quinzième considérant (C-180/89, Rec. p. I-709) et Commission/Grèce, seizième considérant (C-198/89, Rec. p. I-727).

( 14 ) Arrêt du 2 février 1989 (186/87, Rec. p. 195).

( 15 ) Précité, note 4.

( 16 ) JO 1989, C 120, p. 51.

( 17 ) Voir l'arrêt Markt Intern rendu le 20 novembre 1989 par la Cour européenne des droits de l'homme, Pubi. Cour, série A, volume 165.

( 18 ) Arrêt du 24 octobre l978(15/78, Rec.p. 1971).

( 19 ) Précité, note 3.

( 20 ) Conclusions présentées le 21 février 1991 dans l'affaire C-76/90, arrêt du 25 juillet 1991, Rec. p. I-4221, I-4229.

( 21 ) Voir le point 24 des conclusions dans lequel il est fait référence à ce propos à Kapteyn, P. J. G., et VerLoren van Themaat, P.: Introduction to the Law of the European Communities, deuxième édition, édité par Gormley, L. W., 1989, p. 443-452.

( 22 ) Points 23 et 27 des conclusions.

( 23 ) Voir les conclusions présentées dans les affaires Debauve et Coditei (Rec. 1980, p. 860, 870-873 et 905) par l'avocat Général M. Warner qui aboutit à cette conclusion au terme d'une analyse approfondie des dispositions du traité; les conclusions présentées dans l'affaire Webb (Rec. 1981, p. 3328, 3330-3333) par l'avocat général Sir Gordon Slynn qui renvoie expressément à l'article 65 du traité CEE dont il apparaît que l'article 59 vise également d'autres restrictions que celles qui instituent une discrimination fondée sur la nationalité ou sur la résidence et voir enfin les conclusions présentées par l'avocat général M. Lenz dans les affaires précitées des guides touristiques (points 26-30). Cette position a encore été adoptée entre-temps par l'avocat général M. Tesauro dans les conclusions qu'il a présentées le 18 avril 1991 dans les affaires Gouda, point 12 (C-288/89, arrêt du 25 juillet 1991, Rec. p. I-4007, I-4022), et Commission/Pays-Bas (C-353/89, arrêt du 25 juillet 1991, Rec. p. I-4069).

( 24 ) Voir par exemple l'arrêt du 3 février 1982, Seco/EVI, huitième et neuvième considérants (62/81 et 63/81, Rec. p. 223).

( 25 ) La même tendance à interpréter la notion de discrimination de manière aussi large se rencontre également lorsqu'il s'agit du droit d'établissement. Voir les conclusions que nous avons présentées le 28 novembre 1990 dans l'affaire C-340/89, Vlassopoulou, points 6 et suivants, conclusions dans lesquelles nous commentons cette jurisprudence (arrêt rendu le 7 mai 1991, Rec. p. I-2357, I-2365).

( 26 ) Arrêt du 17 décembre 1981 (279/80, Rec. p. 3305).

( 27 ) Arrêt du 18 janvier 1979 (110/78 et 111/78, Rec. p. 35).

( 28 ) Arrêt du 4 décembre 1986 (205/84, Rec. p. 3755).

( 29 ) Voir les arrêts précités (note 13), C-154/89, quinzième considérant, C-180/89, dix-huitième considérant, et C-198/89, dix-neuvième considérant.

( 30 ) Contrairement à l'article 36 du traité CEE, l'article 56, paragraphe 2, comporte une obligation de coordination à aquelle le Conseil a donné suite en adoptant la directive 64/221/CEE du 25 février 1964 pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raison d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique (JO 1964, 56, p. 850). Dans la jurisprudence de la Cour, cette disposition a principalement été examinée à propos de la possibilité pour les États membres d'imposer des restrictions au droit de libre circulation dans des cas individuels [voir les arrêts du 8 avril 1976, Royer, vingt-neuvième considérant (48/75, Rec. p. 497), et du 5 février 1991, Roux, trentième considérant (C-363/89, Rec. p. I-273)]. Dans l'arrêt du 26 avril 1988, Bond Van Adverteerders, trente-et-unième à trente-neuvième considérants (352/85, Rec. p. 2085), la Cour a cependant examiné également le point de savoir si des considérations d'ordre public peuvent justifier une réglementation nationale à caractère général.

( 31 ) Voir l'arrêt du 18 mars 1980, Coditei, quinzième considérant (62/79, Rec. p. 881).

( 32 ) Voir les arrêts sur les guides touristiques, précités (note 13).

( 33 ) Voir les arrêts Webb, précité (note 26), dix-huitième considérant, Seco/EVI, précité (note 24), quatorzième considérant, ainsi que l'arrêt du 27 mars 1990, Rush Portuguesa, dix-huitième considérant (C-113/89, Rec. p. I-1417).

( 34 ) Affaire Commission/Allemagne, précité (note 28), trentième à trente-troisième considérants.

( 35 ) Arrêt du 23 novembre 1989, Torfaen/B. & Q., quatorzième considérant (C-145/88, Rec. p. 3851).

( 36 ) Arrêt du 11 juillet 1985 (60/84 et 61/84, Rec. p. 2605).

( 37 ) Arrêt Torfaen/B. & Q., précité (note 25), ainsi que les arrêts du 28 février 1991, Conforama (C-312/89, Rec. p. I-997) et Marchandise (C-332/89, Rec. p. I-1027).

( 38 ) Précité, note 18.

( 39 ) Cet objectif n'est pas nommé en tant que tel dans l'arrêt Debauve, précité, mais ressort de l'arrêt Bond Van Adverteerders qui traite d'une réglementation nationale analogue (précité, note 30).

( 40 ) Arrêt du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, Rec. p. 1999).

( 41 ) Même arrêt, points 33 et 34 des considérants dans lesquels il est fait référence à l'arrêt du 4 décembre 1974 (41/74, Van Duyn, Rec. p. 1350).

( 42 ) Conclusions de l'avocat général M. Darmon (paragraphe 21) dans l'arrêt du 28 novembre 1989, Groener (C-379/87, Rec. p. 3967), dans lequel il s'agissait d'une disposition constitutionnelle désignant une langue nationale officielle.

( 43 ) La Cour à propos de la notion de moralité publique, dans l'arrêt du 11 mars 1986, Conegate, quatorzième considérant (121/85, Rec. p. 1007).

( 44 ) Cela implique que la réglementation nationale doit tenir compte de ce qui est déjà garanti dans un autre État membre en vue de la réalisation du même objectif d'intérêt général sans peuvoir faire double emploi avec ces garanties.

( 45 ) Une telle dispre portion peut, par exemple, résulter du fait que la réglemen :ation cloisonne gravement le marché. Voir á ce propos le; paragraphes 17-25 des conclusions que nous avons présentées dans l'affaire Torfaen/B. & Q., ainsi que le paragraphe 12 des conclusions que nous avons présentées dans les affaires Conforama et Marchandise, précitées, note : 7.

( 46 ) Voir l'arrêt de la Supreme Court, Open Door Counselling, précité (paragraphe 3).

( 47 ) Arrêt du 14 mai 1974, Nold/Commission, treizième considérant (4/73, Rec. p. 491).

( 48 ) JO 1987, L 169, p. 1. Voir également la déclaration commune du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, du 5 avril 1977 (]0 C 103, p. 1), ainsi que l'arrêt du 15 mai 1986, Johnston, dix-huitième considérant (222/84, Rec. p. 1651).

( 49 ) Précité, note 16.

( 50 ) Ces libertés communautaires conféreront souvent une dimension suf plémentaire aux droits fondamentaux « traditionnels » : tel est le cas notamment dans les arrêts du 28 octobre 1971, Rutili (36/75, Rec. p. 1219) et Johnston, Í ¡récité. En rev;nche les règles sur lesquelles sont fondées es organisation: communes des marchés entrent souvent en conflit avec les droits fondamentaux «traditionnels » : ainsi dans l'arrêt du 13 décembre 1979, Hauer (44/79, Rec. p. 3727). A pre pos de ce dernier arrêt, voir également le paragraphe 35 c -après.

( 51 ) Voir sur ce point Weiler, J.: c «The European Court at a Crossroads: Community Human Rights and Member State Action », dans Du droit international au droit de l'intégration, Liber Amicorum Pierre Pescatore, 1987, p. 821 et suiv., avec une référence aux p. 836-837 aux États-Unis où le problème s'est posé également.

( 52 ) Précité, note 36.

( 53 ) Arrêt du 30 septembre 1987 (12/86, Rec. p. 3719).

( 54 ) Arrêt du 13 juillet 1989 (5/88, Rec. p. 2609).

( 55 ) Dans le même sens, J. Weiler dans l'article prečiti (note 51), p. 840-841, qui signale encore que la Cour contrôle d'ailleurs déjà actuellement la conformité de telles réglementations nationales au droit communautaire, et plus particulièrement au principe de proportionnalité.

( 56 ) Voir sur ce point Peuken, W. : « Human rights in international law and the protection of unborn human beings », dans Protecting Human Rights: the European Dimension. Studies in honour of Gerard Wiarda, 1988, p. 511 et suiv. et surtout Van Dijk, P., et Van Hoof, G.: De Europese conventie in theorie en praktijk, 1990 (troisième édition revue et corrigée), p. 243 et suiv. En 1990, la seconde édition d'une version anglaise de ce livre, à laquelle nous nous référerons ultérieurement, est parue sous le titre Theory and practice of the European Convention on Human Rights. La problématique qui nous occupe y est traitée aux p. 218 et suiv.

( 57 ) Rapport dans l'affaire 8416/79, X./Royaume-Uni, D & R 19 (1980), p. 244.

( 58 ) Rapport dans l'affaire 6959/75, Brüggemann et Scheuten/ Allemagne, D & R 10 (1978), p. 100.

( 59 ) Cour européenne des droits de l'homme, 26 avril 1979, Sunday Times, Pubi. Cour, série A, volume 30, p. 30-31.

( 60 ) Voir l'arrêt Markt Intern, précité (note 17), point 33.

( 61 ) Voir notamment Cour européenne des droits de l'homme, 25 mars 1983, Silver, Pubi. Cour, série A, volume 61, p. 37-38.

( 62 ) Précité, note 5C.

( 63 ) Voir par exemple sur la signification du mot « nécessaires » à l'article 10, paragraphe 2, de la convention des droits de l'homme, Van Dijk et Van Hoof, précités (note 56), p. 588-589 de l'édition anglaise.

( 64 ) Actuellement, c'est-à-dire au moment des faits du litige au principal dans lequel la requérante, la SPUC, s'est précisément fondée sur l'arrêt de la Supreme Court du 16 mars 1988 pour entamer une procédure à l'encontre des défendeurs (voir paragraphes 3 et 4).

( 65 ) lire à ce pi opos Van Dijk et Van Hoof, précités (note 56), p. 583-606 de l'édition anglaise, en particulier aux p. 604-606.

( 66 ) Cour europi enne des droits de l'homme, 7 décembre 1979, Handyside, Pubi. Cour, série A, volume 24, p. 22. Voir également C >ur européenne des droits de l'homme, 24 mai 1988, Müller, Pubi. Cour, série A, volume 133, n° 35.

( 67 ) En ce qui concerne le point de la nécessité et de la proportionnalité, trois membres estiment que l'interdiction d'informer n'est pas une restriction licite tandis que cinq membres estiment qu'elle est admissible.

( 68 ) H. G. Schermers, sous b), de sa « concurring opinion » (« opinion conforme »); Sir Basil Hall, au point 9 de sa « partly concurring and partly dissenting opinion » (opinion partiellement conforme et partiellement divergente »).

( 69 ) Voir la définition que la Cour donne de la notion d'ordre public: paragraphe 26. Cette notion n'est pas utilisée d'une manière univoque dans la convention européenne des droits de l'homme: voir Van Dijk et Van Hoof, précités (note 56), édition anglaise, p. 584 et suiv.

( 70 ) Il n'appartient pas à la présente Cour de prendre en considération des arguments de fait tels que ceux présentés par les défendeurs au principal, à savoir que l'interdiction d'informer aurait pour conséquence que des avortements seraient effectués à un stade plus avancé de la grossesse, ce ?|ui entraînerait des risques plus élevés pour la santé de la emme — arguments de fait que le juge de renvoi n'a pas portés à la connaissance de la Cour comme constituant des faits constants.

( 71 ) Arrêt du 10 décembre 1985, Motte, quinzième considérant (247/84, Rec. p. 3887).

( 72 ) Arrêt du 3 décembre 1974, Van Binsbergen (33/74, Rec. p. 1299).

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