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Document 52023IE1399

Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Soutien et financement en faveur de la société civile dans le domaine des droits fondamentaux, de l’état de droit et de la démocratie» (avis d’initiative)

EESC 2023/01399

JO C, C/2023/861, 8.12.2023, ELI: http://data.europa.eu/eli/C/2023/861/oj (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, GA, HR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

ELI: http://data.europa.eu/eli/C/2023/861/oj

European flag

Journal officiel
de l'Union européenne

FR

Séries C


C/2023/861

8.12.2023

Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Soutien et financement en faveur de la société civile dans le domaine des droits fondamentaux, de l’état de droit et de la démocratie»

(avis d’initiative)

(C/2023/861)

Rapporteur:

Cristian PÎRVULESCU

Corapporteure:

Ozlem YILDIRIM

Décision de l’assemblée plénière

23.1.2023

Base juridique

Article 52, paragraphe 2, du règlement intérieur

 

Avis d’initiative

Compétence

Section «Emploi, affaires sociales et citoyenneté»

Adoption en section

5.9.2023

Adoption en session plénière

21.9.2023

Session plénière no

581

Résultat du vote

(pour/contre/abstentions)

152/3/9

1.   Conclusions et recommandations

1.1.

En tant qu’union de démocraties, l’Union reconnaît le rôle essentiel que joue la société civile dans le maintien de gouvernements représentatifs et pluralistes solides. Les organisations de la société civile (OSC) jouent également un rôle clé dans le processus décisionnel et l’élaboration d’une nouvelle législation, sur la base de leurs connaissances et de leur expérience sur des questions spécifiques et par l’aide qu’elles apportent aux membres les plus vulnérables de nos sociétés, dont elles font entendre la voix au cours dudit processus.

1.2.

Le soutien apporté par l’Union aux OSC n’est pas du tout à la hauteur du caractère central de leur rôle ni des responsabilités qu’il est envisagé de leur conférer dans différents trains de réformes. Malgré les espoirs placés à leur endroit pour ce qui est de remédier aux vulnérabilités démocratiques et de prévenir les dérives autoritaires, elles ne disposent pas du soutien adéquat nécessaire à l’accomplissement de leur mission essentielle. Il est plus que préoccupant que le budget de l’Union dispose de si peu de ressources consacrées au soutien des OSC. Pour le Comité économique et social européen (CESE), il s’agit d’une situation inacceptable à laquelle il convient de remédier immédiatement.

1.3.

Le CESE est favorable à la création d’un instrument financier spécifiquement consacré aux OSC basées dans l’Union qui œuvrent dans le domaine des droits de l’homme et de la démocratie, lequel serait équivalent à l’instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme (IEDDH), qui est disponible pour des activités hors UE. L’Union aide également les défenseurs des droits de l’homme à l’étranger par l’intermédiaire de son mécanisme pour les défenseurs des droits de l’homme (Protect Defenders), et il conviendrait qu’elle mette en place une plateforme similaire pour ceux qui travaillent dans les États membres de l’Union.

1.4.

L’un des principaux défis en matière d’accès au financement réside dans le fait qu’il y a un système à plusieurs niveaux d’OSC dans lequel celles qui travaillent sur les questions sociales et politiques les plus difficiles, telles que les organisations de veille ou celles qui promeuvent l’égalité et la non-discrimination, tendent à rencontrer les problèmes de financement les plus graves.

1.5.

En raison des restrictions d’accès au financement et au soutien, un large éventail d’effets préjudiciables se font sentir dans le secteur des OSC, l’un d’entre eux étant que les personnes investies dans les OSC travaillent souvent dans une grande situation de stress et courent d’énormes risques pour leur santé mentale (situation que ne peuvent qu’aggraver les attaques des personnes au pouvoir, notamment dans le cadre de poursuites stratégiques altérant le débat public, dites «poursuites-bâillons»). La faiblesse et/ou le caractère incertain des revenus qu’elles touchent, conséquence possible des restrictions d’accès au financement, entraînent une perte d’expertise et d’engagement précieux. Ce sont à la fois la mémoire de l’organisation et des ressources qui se trouvent perdues. L’impact sur la société et sur la prise de décision est également susceptible de diminuer.

1.6.

Le CESE attire l’attention sur la nécessité d’envisager des moyens appropriés de remédier à la précarité du travail dans le secteur des OSC qui sont actives dans le domaine de la démocratie, de l’état de droit et des droits fondamentaux. Si les personnes salariées dans les OSC sont soumises aux règles nationales en matière de contrats de travail, le manque de financement et les incertitudes qui en découlent limitent souvent la capacité de ces organisations à offrir des perspectives d’emplois adéquats et de qualité à long terme, ainsi que l’inclusion de toutes les prestations et dépenses sociales nécessaires dans le système de rémunération. En conséquence, la sécurité de l’emploi, le bien-être général des travailleurs des OSC et la stabilité financière associée de leurs organisations risquent encore d’être insuffisants et devraient être traités en priorité.

1.7.

Le CESE encourage la Commission européenne à mettre en place un mécanisme permanent d’alerte et de suivi pour faire face aux problèmes et aux menaces subis par les OSC. Par ailleurs, la Commission devrait créer un point de contact unique pour les OSC afin de rendre opérationnel le fonctionnement du mécanisme et de permettre un travail structuré associant le CESE, d’autres institutions de l’Union et des agences spécialisées telles que l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA).

1.8.

Le CESE propose de mettre à jour la méthodologie du rapport de la Commission européenne sur l’état de droit afin de souligner le rôle des organisations de la société civile dans la sauvegarde de l’état de droit et de mettre davantage en avant à la fois les obstacles qu’elles rencontrent et la responsabilité qui incombe aux États membres d’y remédier.

1.9.

Depuis 2018, le groupe «Droits fondamentaux et état de droit» du CESE organise des visites dans tous les États membres de l’Union, au cours desquelles tous les aspects de l’organisation et du fonctionnement de la société civile sont examinés avec les acteurs de la société civile. Les rapports résultant de ces visites sont rédigés selon une méthode participative et entre pairs. Ils pourraient servir de ressource supplémentaire pour éclairer l’évaluation générale par la Commission européenne du fonctionnement des OSC aux niveaux national et local.

1.10.

Si le CESE se félicite de la structuration du programme «Citoyens, égalité, droits et valeurs» (CERV) et de la flexibilité du financement pour répondre aux besoins existants, il fait observer que l’allocation de fonds aux OSC dans le cadre du programme CERV reste insuffisante et n’est pas propre à offrir aux OSC le soutien qu’elles méritent en ces temps difficiles. Les exigences CERV en matière de cofinancement peuvent fortement limiter l’accès au financement et doivent être réévaluées et abaissées.

1.11.

Il convient d’accorder une attention particulière aux organisations qui travaillent dans des domaines essentiels pour la démocratie et qui exercent des fonctions de veille, étant donné que leur mode opératoire est moins adapté à un fonctionnement fondé sur des projets. À cet égard, le financement des frais de fonctionnement et de développement (subventions de fonctionnement) devrait être une priorité, être disponible plus rapidement et moins bureaucratique. À partir d’une évaluation calibrée, et si elle disposait d’un financement plus facilement accessible et fondé sur les besoins, la Commission pourrait mieux informer les OSC des possibilités qui s’offrent à elles.

1.12.

Il convient de reconfigurer les coûts de fonctionnement des OSC et le financement de leur développement afin de répondre à leurs besoins réels et urgents. Ce financement devrait sortir les travailleurs essentiels des OSC de la précarité et leur permettre de bénéficier d’une rémunération décente et prévisible. Face aux poursuites devant les tribunaux, les OSC devraient pouvoir accéder à des fonds pour couvrir diverses procédures judiciaires. D’autres besoins spécifiques devraient être pris en considération, sur une base plus souple.

1.13.

Le CESE attire l’attention sur le fait que l’accès aux fonds de l’Union est particulièrement difficile pour les petites organisations opérant au niveau local et dans les régions plus reculées. Elles sont entravées non seulement par la complexité excessive des exigences administratives et par leurs limites en matière de compétences linguistiques, mais aussi par une sous-évaluation de leurs coûts indirects, qui ne reflète pas les dépenses réelles. De plus, elles sont encore souvent tenues de disposer de leurs propres contributions financières. La Commission devrait s’attaquer directement à ces obstacles et à ces charges.

2.   Observations générales

2.1.   Valeurs et institutions démocratiques: défis actuels

2.1.1.

Comme indiqué à l’article 11, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne (TUE), «[l]es institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile».

2.1.2.

Il est de plus en plus admis que l’Union devrait être plus active et plus efficace dans tous les domaines interdépendants touchant aux valeurs et institutions démocratiques. L’engagement renouvelé de la Commission européenne en faveur de la protection de la démocratie (plan d’action pour la démocratie européenne (1)), des droits fondamentaux (stratégie visant à renforcer l’application de la charte des droits fondamentaux (2)), de l’égalité (Union dans le domaine de l’égalité (3) et de la non-discrimination (4)) et de l’état de droit (rapports sur l’état de droit) est bienvenu et nécessaire. Le Conseil de l’Union européenne a récemment reconnu, dans ses conclusions, le rôle joué par l’espace dévolu à la société civile dans la protection des droits fondamentaux au sein de l’Union (5).

2.1.3.

La Commission va présenter, dans le cadre du plan d’action pour la démocratie européenne, un «train de mesures de défense de la démocratie» (6). Dans son dernier rapport sur l’état de droit (celui de 2022), la Commission déclare que «[l]es organisations de la société civile et les défenseurs des droits de l’homme jouent un rôle essentiel de garde-fou contre les violations de l’état de droit et contribuent activement à promouvoir l’état de droit, la démocratie et les droits fondamentaux sur le terrain» (7). Dans sa stratégie visant à renforcer l’application de la charte des droits fondamentaux, la Commission met en avant quatre piliers, dont le deuxième s’intitule «Donner des moyens d’action aux organisations de la société civile, aux défenseurs des droits et aux professionnels de la justice» (8).

2.1.4.

Dans tous ces domaines, la Commission européenne reconnaît le rôle essentiel des organisations de la société civile (OSC) pour assurer le maintien d’un système solide d’équilibre des pouvoirs, le suivi de la prise de décision, la participation des citoyens à la vie politique et au gouvernement, ainsi que la protection et l’inclusion de divers groupes sociaux.

2.1.5.

Toutefois, les OSC, en particulier celles qui travaillent dans le domaine de la démocratie, des droits fondamentaux, de l’égalité et de l’état de droit, sont confrontées à deux défis majeurs qui se renforcent mutuellement. Premièrement, un nombre croissant d’acteurs sociaux, politiques et gouvernementaux s’opposent directement aux valeurs et aux normes démocratiques de l’Union. Deuxièmement, l’espace disponible pour s’opposer à ces tendances et les possibilités de le faire ne cessent de diminuer. Face à une hostilité croissante de la part des gouvernements et d’autres acteurs, confrontées à des difficultés pour financer d’autres activités et disposant d’une capacité d’influence limitée dans les médias et la société, les OSC se retrouvent excessivement sollicitées et épuisées.

2.1.6.

Les pressions exercées sur les OSC découlent également du rôle qui est le leur dans la réaction aux crises, par exemple au cours de la pandémie de COVID-19, à l’occasion de plusieurs crises humanitaires aux frontières de l’Union ou encore face à l’augmentation des migrations à la suite de la guerre en Ukraine. Ce sont les OSC qui ont été les premières à réagir, en aidant les membres les plus vulnérables de nos sociétés, et en retour, au moins certaines d’entre elles ont été confrontées à des entraves à leurs activités normales, au harcèlement et au retrait de fonds publics.

2.1.7.

Compte tenu de la gravité des défis qui touchent les domaines des droits fondamentaux, de l’état de droit et de la démocratie, et de leur progression, nous devons tirer les enseignements des efforts que l’Union a déployés avec succès. À l’heure actuelle, le soutien le plus direct, le plus accessible et le plus efficace apporté aux OSC actives dans le domaine des droits de l’homme et de la démocratie est accordé pour des activités dans des pays tiers.

2.2.   Rétrécissement continu de l’espace dévolu à la société civile

2.2.1.

Dans un précédent avis adopté en 2017, le CESE s’est déclaré vivement préoccupé par le rétrécissement de l’espace dévolu à la société civile constaté dans certains États membres de l’Union, et a mis en avant la nécessité de s’attaquer directement aux difficultés croissantes d’accès aux financements publics et d’aborder la question du rôle des OSC dans le fonctionnement de la démocratie européenne. Comme à l’époque, le CESE considère aujourd’hui «qu’un cadre politique et législatif devrait être mis en place aux niveaux européen et national pour favoriser le développement d’une société civile européenne, inscrivant son activité dans le cadre des valeurs que traduisent les droits fondamentaux» (9).

2.2.2.

Selon les Nations unies, «l’espace civique est l’environnement qui permet aux personnes et aux groupes — ou “acteurs de l’espace civique” — de participer véritablement à la vie politique, économique, sociale et culturelle de leurs sociétés» (10).

2.2.3.

Une étude récente indique que le rétrécissement de l’espace dévolu à la société civile est le résultat de diverses pressions, exercées à la fois de manière descendante (les partis et les gouvernements remettent en question la société civile démocratique au moyen de législations, de politiques et de pratiques visant à démanteler le système d’équilibre des pouvoirs dans leur pays), et ascendante (des organisations civiques conservatrices, des quasi-organisations non gouvernementales organisées par les gouvernements — GONGO — et des mouvements d’extrême droite deviennent très actifs). La pression peut également venir du secteur des entreprises, par exemple sous la forme de poursuites stratégiques altérant le débat public (poursuites-bâillons) (11).

2.2.4.

Les vulnérabilités de la société civile ont également été aggravées par la pandémie de COVID-19 (12). Selon une étude du CESE, de nombreuses organisations, en particulier les plus petites et celles qui exercent leurs activités en dehors des grandes villes, ou qui rassemblent des groupes sociaux spécifiques comptant une proportion plus élevée de personnes exclues du numérique — par exemple, les personnes âgées ou handicapées — ont suspendu leurs activités, et à ce jour, une proportion importante de ces organisations n’ont pas repris leurs activités (13). Les partenaires sociaux et les syndicats, en particulier, ont été touchés par la pression croissante exercée pour restreindre les droits des travailleurs, par exemple le droit de grève, ou encore du fait de l’augmentation des possibilités de contrôler les salariés pendant le travail à distance, ce qui attente à leur droit à la vie privée.

2.2.5.

Dans le domaine des droits fondamentaux, il existe d’autres motifs de préoccupation. La Commission européenne note que «ces dernières années, les OSC et les défenseurs des droits se sont également heurtés de manière croissante à des difficultés nées du rétrécissement de l’espace civique» et que «plusieurs mesures juridiques, administratives et politiques ont peu à peu restreint la liberté fondamentale de ces acteurs, affectant leur capacité à mener des activités en faveur des droits fondamentaux en tant que partenaires stratégiques de l’Union et des États membres» (14).

2.3.   Le financement des OSC: défis et obstacles actuels

2.3.1.

Le financement des OSC est à la fois la cause, le symptôme et l’effet du rétrécissement des espaces dévolus à la société civile. L’accès limité au financement n’est pas un phénomène propre aux nouveaux États membres: il touche aussi l’ensemble de l’Union. Cet accès limité peut se définir quantitativement, comme une diminution absolue ou relative du financement, mais aussi sur le plan qualitatif, comme une réorientation des fonds vers des domaines ou des activités sociales et de proximité autres que la protection des droits, de l’état de droit et de la démocratie.

2.3.2.

L’accès limité au financement peut résulter de modifications législatives et procédurales qui rendent le travail des OSC plus difficile et plus incertain. L’accès au financement est également entravé par les différences juridiques entre les États membres, par exemple en ce qui concerne le déplacement ou la création de nouvelles OSC ou leur accès aux exonérations fiscales. En outre, la réduction des recettes ou des revenus pour les entreprises comme les particuliers est susceptible d’avoir un effet à la baisse sur les activités philanthropiques (au niveau de l’entreprise comme individuel) et peut s’accompagner de restrictions pour les OSC bénéficiaires.

2.3.3.

Selon la FRA, les OSC ont indiqué que les obstacles les plus courants auxquels elles sont confrontées sont les suivants: concurrence avec d’autres OSC pour des financements limités (52 %), manque de transparence et d’équité dans l’attribution des financements (25 %), capacités administratives et connaissances limitées pour se porter candidat aux fonds (24 %), et critères d’éligibilité restrictifs (23 %). Dans son évaluation, le CESE est conscient du fait que les petites organisations de terrain sont celles qui ont les plus gros problèmes en matière de financement.

2.3.4.

Selon le rapport du groupe «Droits fondamentaux et état de droit» (groupe DFED) du CESE (15) sur ses visites effectuées respectivement en Roumanie, en Pologne, en Hongrie, en France, en Autriche, en Bulgarie et en Italie, «les restrictions au droit d’accès au financement pour les organisations de la société civile représentent une tendance inquiétante sur tout le continent, laquelle prend des formes multiples». Et le rapport correspondant au cycle de discussions suivant organisé par le groupe DFED avec des organisations de la société civile du Danemark, d’Allemagne, d’Irlande, de Tchéquie, d’Espagne, de Chypre et de Lituanie établit que «[l]’accès au financement est une préoccupation générale, qui a été soulevée lors de toutes les visites dans les États membres» (16).

2.3.5.

Toujours dans son premier rapport sur ses visites par pays, le groupe DFED du CESE notait que «[c]ertaines OSC ont fait valoir que la restriction de l’accès au financement n’était pas tant due à la baisse de la disponibilité des fonds publics qu’à une réorientation des financements, lesquels visent de plus en plus les OSC actives dans le domaine des services sociaux plutôt que celles qui se consacrent à la défense ou au suivi des droits de l’homme» et que «les donateurs privés sont de plus en plus actifs dans le financement d’OSC qui ne défendent pas les intérêts du bien commun» (17).

2.4.   Une nouvelle architecture pour le soutien et le financement des OSC: une protection réelle et un meilleur accès au financement

2.4.1.

Conscient des défis auxquels sont confrontées les OSC dans le domaine des droits fondamentaux, de l’état de droit et de la démocratie pour financer leurs activités, et du risque accru de compromettre leur mission démocratique, le CESE propose une nouvelle architecture de financement, fondée sur la réorganisation des procédures et programmes actuels.

2.4.2.

Le fondement de cette démarche est la prise de conscience que l’avenir de l’Union dépend également de l’existence d’une société civile dynamique capable de surveiller et d’influencer la prise de décision, en particulier lorsqu’elle s’écarte des normes de gouvernance démocratique. Ensuite, le CESE propose que l’Union assume l’entière responsabilité de la protection des OSC et de la création d’un système leur permettant de fonctionner même lorsqu’elles sont confrontées à l’incertitude financière, à la marginalisation et à la répression gouvernementale, que celle-ci soit légère ou radicale. Troisièmement, il convient d’aider les OSC au niveau national à participer à la programmation et au suivi des financements de l’Union en leur fournissant un soutien technique (accès à l’information, aux connaissances, aux compétences, etc.), un financement et une protection.

2.4.3.

Comme dans plusieurs autres avis, le CESE recommande à la Commission européenne d’élaborer une stratégie de l’Union en faveur de la société civile, dans laquelle elle exposerait une vision globale du développement de la société civile, de son rôle dans la défense de nos systèmes démocratiques et de la manière de travailler à tous les niveaux dans l’intérêt des citoyens et des communautés.

2.5.   Une protection réelle

2.5.1.

La protection des OSC doit être actualisée et portée à un niveau de priorité beaucoup plus élevé. L’Union devrait suivre de près toutes les mesures législatives et administratives qui entraînent un affaiblissement des OSC et posent des obstacles à l’accomplissement de leur mission démocratique. Il s’agit des difficultés d’enregistrement ou de fonctionnement, des charges administratives déraisonnables liées à leurs activités, des limitations de leurs opérations financières ou de leur accès au financement, du harcèlement de la part des autorités de l’État, de la prévention d’actions en justice ou de l’absence de protection en cas de dénigrement, d’attaques et de diffamation. Un exemple positif à cet égard est la proposition de directive sur la protection des personnes qui participent au débat public contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives («poursuites stratégiques altérant le débat public», dites «poursuites-bâillons»).

2.5.2.

Les objectifs de protection de la société civile devraient être considérés comme une conditionnalité démocratique essentielle et intégrés dans la planification de la Commission, notamment en ce qui concerne le décaissement des fonds. Le CESE estime justifié le choix de la Commission de lier la facilité pour la reprise et la résilience aux réformes effectuées par les États membres en matière de système judiciaire, de cadres de lutte contre la corruption et d’administration publique, ainsi qu’à la numérisation de leurs systèmes de justice (18). Il conviendrait aussi de mettre concrètement en place un lien avec la qualité de l’espace dévolu à la société civile et la manière dont celle-ci est traitée.

2.5.3.

Dans le rapport de la Commission européenne sur l’état de droit, la section «Les organisations de la société civile en tant qu’acteurs essentiels pour l’état de droit» gagnerait à être plus ample et plus détaillée (19). La Commission devrait formuler des recommandations détaillées à l’intention de certains États membres et assurer le suivi de leur mise en œuvre. Il conviendrait que le calendrier fixé pour la collecte des contributions au rapport et la publication de la version finale de ce dernier soit mieux aligné sur les réalités des activités quotidiennes des OSC (en évitant de fixer des dates butoirs respectives qui tombent pendant les vacances de fin d’année et la période estivale).

2.5.4.

Il existe déjà des documents qui pourraient guider l’élaboration du train de mesures sur la protection des OSC proposé par le CESE. Le Conseil de l’Europe a formulé deux recommandations sur la réglementation de la société civile, couvrant des aspects essentiels de leur organisation et de leur fonctionnement (20).

2.5.5.

Des évaluations complètes et comparatives sont également disponibles. L’index élaboré par CIVICUS est un bon exemple de pratique de suivi; il met en évidence cinq types d’espaces dévolus à la société civile: ouvert, rétréci, obstrué, réprimé et fermé (21). L’Europe possède également un vivier de compétences universitaires ou stratégiques d’excellence, qui peuvent être mobilisées pour faire progresser l’évaluation détaillée du fonctionnement des OSC à tous les niveaux. À cet égard, le CESE recommande de faire du fonctionnement et de l’activité des organisations de la société civile un domaine clé de la recherche en sciences sociales, qui doit être financé au moyen de divers programmes et actions (22).

2.6.   Un meilleur accès au financement

2.6.1.

En ce qui concerne le financement de l’Union, l’actuel programme «Citoyens, égalité, droits et valeurs» (CERV) constitue un pas en avant dans la bonne direction, puisqu’il a alloué un budget nettement plus élevé que celui qui était précédemment disponible dans ce domaine. L’octroi de subventions pour soutenir le renforcement des capacités des OSC, ainsi que le financement de leurs frais de fonctionnement et de leur développement, constitue également un ajustement nécessaire pour répondre aux besoins réels des organisations.

2.6.2.

Toutefois, l’allocation de fonds aux OSC dans le cadre du programme CERV reste insuffisante et n’est pas propre à offrir aux OSC le soutien qu’elles méritent en ces temps difficiles. La Commission doit évoluer vers une approche plus proactive et calibrée. Premièrement, elle a besoin d’une évaluation plus fine de la gravité des obstacles et des problèmes qui se présentent au niveau national. Les OSC des pays où les pressions sont plus fortes et plus immédiates devraient se voir allouer des sommes plus importantes, en particulier lorsqu’un gouvernement tente de les affaiblir et de les marginaliser de manière active et coordonnée.

2.6.3.

Si le CESE se félicite de la structuration du programme CERV et de la flexibilité du financement pour répondre aux besoins existants, il reste préoccupé par le fait que des OSC très actives, en particulier celles qui jouent un rôle de veille, risquent de ne pas s’inscrire dans ces priorités et, partant, de ne pas accéder aux fonds nécessaires pour remplir le rôle indispensable qui est le leur.

2.6.4.

Le CESE se félicite que le programme de travail de la Commission européenne pour la période 2023-2024 indique que la Commission continuera à s’adapter et à innover pour répondre aux besoins sur le terrain, par exemple en accordant un soutien financier à des tiers, communément appelé subventions en cascade aux intermédiaires, afin de renforcer les capacités de la société civile locale et de lui octroyer de nouvelles subventions, ou de financer le renforcement des capacités et les activités de sensibilisation concernant la charte (23).

2.6.5.

Le CESE réitère une recommandation essentielle qu’il a formulée dans un précédent avis: afin d’améliorer l’accès au financement pour les plus petites organisations et les secteurs les plus défavorisés de la société, la Commission européenne devrait prévoir diverses modalités de financement et simplifier davantage les formalités administratives (notamment en ce qui concerne l’introduction des demandes et l’obligation de rapport), en revoyant les coûts unitaires et les montants forfaitaires irréalistes (afin de tenir compte également des effets de l’inflation) et en fournissant des formations et des lignes directrices sur la mise en œuvre des contrats et des obligations financières, tout en assurant une interprétation cohérente par ses différentes branches du règlement sur les règles financières (24). Le CESE encourage également la Commission européenne à augmenter les niveaux des frais généraux que les OSC peuvent utiliser pour leurs coûts opérationnels (jusqu’à 20 % des subventions) et à limiter les taux de cofinancement pour les intermédiaires. Il conviendrait d’éviter que des règles en matière de gestion des subventions de projet et de dépenses viennent s’appliquer en rapport avec le financement de base.

2.6.6.

Dans son avis de 2017 sur le financement des OSC, le CESE demandait à la Commission «de proposer un fonds européen pour la démocratie, les valeurs et les droits humains à l’intérieur de l’Union, qui soit pourvu d’une enveloppe budgétaire ambitieuse et ouvert directement aux organisations de la société civile à travers l’Europe, ainsi que géré de manière indépendante à l’instar du Fonds européen pour la démocratie (FEDEM) avec la participation de représentants du CESE». Il rappelle qu’il reste favorable à un tel instrument, dont il souligne le besoin urgent et la nécessité qu’il soit d’un accès aisé pour les OSC de l’Union.

Bruxelles, le 21 septembre 2023.

Le président du Comité économique et social européen

Oliver RÖPKE


(1)  Avis du Comité économique et social européen sur la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions relative au plan d’action pour la démocratie européenne [COM(2020) 790 final] (JO C 341 du 24.8.2021, p. 56).

(2)  Avis du Comité économique et social européen sur la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions — «Stratégie visant à renforcer l’application de la charte des droits fondamentaux dans l’Union européenne» [COM(2020) 711 final] (JO C 341 du 24.8.2021, p. 50).

(3)  Avis du Comité économique et social européen sur «Une Union de l’égalité: plan d’action de l’UE contre le racisme 2020-2025» [COM(2020) 565 final] (JO C 286 du 16.7.2021, p. 121).

(4)  Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Améliorer l’égalité dans l’UE» (avis d’initiative) (JO C 75 du 28.2.2023, p. 56).

(5)  Droits fondamentaux: le Conseil approuve des conclusions sur le rôle de l’espace dévolu à la société civile.

(6)  Programme de travail de la Commission pour 2023. Une Union qui montre sa fermeté et son unité. Strasbourg, 18.10.2022 [COM(2022) 548 final], p. 14.

(7)  Commission européenne, Rapport 2022 sur l’état de droit. La situation de l’état de droit dans l’Union européenne, Luxembourg, 13.7.2022 [COM(2022) 500 final], p. 29.

(8)  Commission européenne, Stratégie visant à renforcer l’application de la Charte des droits fondamentaux dans l’Union européenne, Bruxelles, 2.12.2020 [COM(2020) 711 final].

(9)  Avis du Comité économique et social européen sur «Le financement des organisations de la société civile par l’Union européenne» (avis d’initiative) (JO C 81 du 2.3.2018, p. 9,), paragraphes 1.2 et 1.3.

(10)  Note d’orientation des Nations unies — Protection et promotion de l’espace civique, septembre 2020.

(11)  Negri, G., et Pazderski, F., Mapping shrinking civic space in Europe [Cartographie du rétrécissement de l’espace dévolu à la société civile en Europe], Civitates, 2021.

(12)  Avis du Comité économique et social européen sur le thème «L’impact de la COVID-19 sur les droits fondamentaux et l’état de droit dans l’UE et l’avenir de la démocratie» (avis d’initiative) (JO C 275 du 18.7.2022, p. 11).

(13)  Comité économique et social européen, Les incidences de la pandémie de COVID-19 sur les droits fondamentaux et l’espace civique, 2022, page 3.

(14)  Un espace civique prospère pour la défense des droits fondamentaux au sein de l’Union européenne. Rapport annuel 2022 sur l’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 6.12.2022 [COM(2022) 716 final].

(15)  https://www.eesc.europa.eu/fr/sections-other-bodies/other/group-fundamental-rights-and-rule-law/frrl-trends-eu-member-states.

(16)  Comité économique et social européen, Droits fondamentaux et état de droit. Évolutions au niveau national du point de vue de la société civile, 2020-2021, septembre 2022, p. 11.

(17)  Comité économique et social européen, Droits fondamentaux et état de droit. Évolutions au niveau national du point de vue de la société civile, 2018-2019, juin 2020, p. 13.

(18)  Rapport 2022 sur l’état de droit. La situation de l’état de droit dans l’Union européenne. Luxembourg, 13.7.2022 [COM(2022) 500 final], p. 1.

(19)  Rapport 2022 sur l’état de droit. La situation de l’état de droit dans l’Union européenne. Luxembourg, 13.7.2022 [COM(2022) 500 final], p. 29.

(20)  Conseil de l’Europe, Recommandation CM/Rec(2007)14 du Comité des ministres aux États membres sur le statut juridique des organisations non gouvernementales en Europe; Recommandation CM/Rec(2022)6 du Comité des ministres aux États membres sur la protection de la société civile de la jeunesse et des jeunes, et le soutien à leur participation aux processus démocratiques.

(21)  CIVICUS Monitor. Tracking civic space [Suivi de l’espace civique].

(22)  Avis du Comité économique et social européen sur «Le financement des organisations de la société civile par l’Union européenne» (avis d’initiative) (JO C 81 du 2.3.2018, p. 9), paragraphe 1.12.

(23)  Annexe à la décision d’exécution de la Commission sur le financement du programme «Citoyens, égalité, droits et valeurs» et l’adoption du programme de travail pour 2023-2024, p. 4.

(24)  Avis du Comité économique et social européen sur «Le financement des organisations de la société civile par l’Union européenne» (avis d’initiative) (JO C 81 du 2.3.2018, p. 9), paragraphe 1.16.


ELI: http://data.europa.eu/eli/C/2023/861/oj

ISSN 1977-0936 (electronic edition)


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