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Document 52021IP0028

Résolution du Parlement européen du 21 janvier 2021 sur la situation des droits de l’homme en Turquie, notamment le cas de Selahattin Demirtaş et d’autres prisonniers d’opinion (2021/2506(RSP))

OJ C 456, 10.11.2021, p. 247–250 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, HR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

10.11.2021   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 456/247


P9_TA(2021)0028

Situation des droits de l’homme en Turquie, notamment le cas de Selahattin Demirtaş et d’autres prisonniers d’opinion

Résolution du Parlement européen du 21 janvier 2021 sur la situation des droits de l’homme en Turquie, notamment le cas de Selahattin Demirtaş et d’autres prisonniers d’opinion (2021/2506(RSP))

(2021/C 456/22)

Le Parlement européen,

vu ses résolutions précédentes sur la Turquie, notamment celles du 8 février 2018 sur la situation actuelle des droits de l’homme en Turquie (1), du 13 mars 2019 sur le rapport 2018 de la Commission concernant la Turquie (2), et du 19 septembre 2019 sur la situation en Turquie, notamment le limogeage de maires élus (3),

vu la communication de la Commission du 6 octobre 2020 sur la politique d’élargissement de l’UE (COM(2020)0660) et le rapport 2020 sur la Turquie qui l’accompagne (SWD(2020)0355),

vu le cadre pour les négociations avec la Turquie du 3 octobre 2005,

vu le règlement (UE) 2020/1998 du Conseil (4) concernant le régime mondial de sanctions en matière de droits de l’homme,

vu les conclusions du Conseil des 10 et 11 décembre 2020 et les autres conclusions pertinentes du Conseil et du Conseil européen sur la Turquie,

vu l’arrêt rendu par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) le 22 décembre 2020 dans l’affaire Demirtaş/Turquie (14305/17),

vu l’arrêt rendu par la CEDH le 20 novembre 2018 dans l’affaire Demirtaş/Turquie (14305/17),

vu l’article 144, paragraphe 5, et l’article 132, paragraphe 4, de son règlement intérieur,

A.

considérant que la Turquie est un pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne et un membre de longue date du Conseil de l’Europe; considérant qu’en tant que membre du Conseil de l’Europe, la Turquie est partie à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après, la «Convention») et est tenue de respecter les prescriptions et la jurisprudence de la CEDH;

B.

considérant que, depuis la mi-septembre 2020, les forces de l’ordre turques mènent des opérations de grande ampleur dans toute la Turquie, qui ont mené à l’arrestation de dizaines de personnalités politiques, de militants, d’avocats et d’autres acteurs de la société civile accusés de «terrorisme»; considérant que le 31 décembre 2020, la nouvelle loi sur la prévention du financement de la prolifération des armes de destruction massive est entrée en vigueur en Turquie; considérant que seuls six articles de cette loi prévoient des moyens et des règles visant à lutter contre le financement du terrorisme, et que le reste des dispositions accorde au ministre de l’intérieur et au président turcs de larges pouvoirs de restriction du rôle et des activités des ONG, des partenariats commerciaux, des groupes indépendants et des associations;

C.

considérant que M. Selahattin Demirtaş, ancien député au parlement turc entre 2007 et 2018, ancien coprésident du parti démocratique des peuples (HDP) turc et candidat à l’élection présidentielle en 2014 et 2018 ayant reçu 9,76 % et 8,32 % des voix, est détenu depuis plus de quatre ans sur des motifs infondés, et ce, malgré deux arrêts de la CEDH en faveur de sa libération;

D.

considérant que M. Demirtaş a été mis en détention le 4 novembre 2016, en même temps que huit autres députés du HDP élus démocratiquement, dont Figen Yüksekdağ, ancienne coprésidente du HDP, et qu’il a été poursuivi pour «appartenance à une organisation terroriste», «diffusion de propagande terroriste» et de nombreux autres chefs d’accusation; considérant que cela a marqué le début d’une campagne toujours en cours du gouvernement turc à l’encontre du HDP, laquelle s’inscrit dans un système plus vaste de poursuites et de peines de prison politiques; considérant que seuls six maires membres du HDP sont toujours en fonction aujourd’hui, alors que le parti a remporté 65 municipalités dans le pays lors des élections locales de 2019; considérant que les autres maires du HDP ont été démis de leurs fonctions ou mis en détention et remplacés par des administrateurs nommés par le gouvernement;

E.

considérant que le 20 septembre 2019, date fixée par l’arrêt de la 26e cour d’assises d’Istanbul pour la libération de M. Demirtaş, le procureur général d’Ankara a invoqué une vieille enquête laissée en suspens, mais jamais classée, pour motiver une nouvelle mise en détention de M. Demirtaş et de Mme Yüksekdağ; considérant que M. Demirtaş poursuit donc toujours sa détention provisoire pour une enquête relative aux manifestations d’octobre 2014, qui visaient à protester contre le siège de Kobané par l’EIIL/Daech et à critiquer l’inaction et le silence du gouvernement turc face à un massacre imminent, et ont dégénéré de manière violente, entraînant des dizaines de morts;

F.

considérant que le 22 décembre 2020, la Grande Chambre de la CEDH a estimé que la détention initiale de M. Demirtaş et sa prolongation de plus de quatre ans relevaient d’un but inavoué du gouvernement turc d’empêcher M. Demirtaş d’exercer des activités politiques, de priver les électeurs de leur représentant élu ainsi que d’«étouffer le pluralisme et [de] limiter le libre jeu du débat politique, qui est au cœur même du concept d’une société démocratique», et violent l’article 18 de la Convention; considérant que l’arrêt définitif a conclu qu’il n’existait pas de raison suffisante de poursuivre la détention et a de nouveau ordonné la libération immédiate de M. Demirtaş; considérant que, d’après la CEDH, la Turquie a également violé la liberté d’expression (article 10 de la Convention), le droit à la liberté et à la sûreté (article 5, paragraphes 1 et 3, de la Convention) ainsi que le droit de voter et d’être élu (article 3, paragraphe 1, de la Convention); considérant que la CEDH n’a constaté aucun lien clair entre les discours de M. Demirtaş et les délits relatifs au terrorisme;

G.

considérant que le 7 janvier 2021, un tribunal pénal turc a approuvé la condamnation de 108 accusés, dont M. Demirtaş et Mme Yüksekdağ, anciens coprésidents du HDP, dans le cadre d’une enquête sur les attentats terroristes de 2014 ayant fait de nombreuses victimes, rejetant ainsi les demandes de la CEDH de libérer M. Demirtaş et exigeant une peine de réclusion à perpétuité pour 38 accusés, dont 27 sont en détention provisoire;

H.

considérant que, malgré l’arrêt de la Cour constitutionnelle de Turquie du 9 juin 2020 qui affirme que la longueur de la détention provisoire de M. Demirtaş porte atteinte à ses droits constitutionnels, celui-ci est toujours détenu dans une prison de haute sécurité de type F à Edirne; considérant qu’il est loin d’être la seule personne détenue illégalement en Turquie pour des raisons politiques;

I.

considérant que les déclarations politiques régulièrement prononcées par des fonctionnaires de haut rang du gouvernement turc et des dirigeants de la coalition au pouvoir au sujet du cas de M. Demirtaş, de même que la proximité temporelle entre ces déclarations politiques et les manœuvres clairement illégales du système judiciaire, démontrent encore les motivations politiques de cette affaire et sapent gravement l’indépendance de la justice turque;

J.

considérant que le 10 décembre 2019, la CEDH a estimé, dans une autre affaire, que la détention provisoire d’Osman Kavala, figure importante de la société civile, violait la Convention, et que les autorités turques devaient procéder à la libération immédiate de M. Kavala; considérant que le 9 octobre 2020, malgré cet arrêt de la CEDH, le tribunal d’Istanbul a prolongé la détention de M. Kavala, accusé d’espionnage et d’avoir tenté de renverser l’ordre constitutionnel lors des manifestations du parc Gezi en 2013; considérant que la Turquie continue d’agir au mépris de la Convention en refusant de libérer M. Kavala, malgré les appels en ce sens lancés par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe;

1.

réclame la libération immédiate et inconditionnelle de M. Demirtaş, conformément à l’arrêt de 2018 de la CEDH, confirmé par l’arrêt de sa Grande Chambre du 22 décembre 2020; exige l’abandon de toutes les poursuites qui visent M. Demirtaş et Mme Yüksekdağ, anciens coprésidents du parti d’opposition HDP, ainsi que les autres membres actuellement emprisonnés de ce parti; souligne que les autorités turques doivent laisser ces personnes exercer leur mandat démocratique en toute indépendance, sans subir ni menace ni entrave; réaffirme son soutien à tous ceux qui continuent d’œuvrer pour faire cesser toutes les manifestations de pure injustice, notamment celles-ci, et pour remettre la Turquie sur le chemin de la démocratie pleine et entière;

2.

rappelle aux autorités turques que leur refus de libérer M. Demirtaş constitue une infraction directe à la Convention et à son propre droit national, une prolongation injustifiée de la violation des droits de M. Demirtaş et une violation éclatante de l’engagement de la Turquie à appliquer les arrêts de la CEDH; répète que l’arrêt de la CEDH signifie que les autorités turques doivent libérer M. Demirtaş immédiatement;

3.

souligne que la CEDH a estimé que la longue et illégale détention provisoire de M. Demirtaş présentait des motivations politiques; se déclare vivement préoccupé par les pratiques irrégulières suivies dans cette affaire et par les déclarations politiques prononcées à ce sujet, qui laissent penser que le gouvernement turc est intervenu dans des dossiers judiciaires liés à la détention prolongée de M. Demirtaş;

4.

prie de toute urgence le Comité des ministres du Conseil de l’Europe de réexaminer, lors de sa prochaine réunion du 21 mars 2021, le refus de la Turquie d’appliquer l’arrêt de la Grande Chambre de la CEDH dans l’affaire Demirtaş/Turquie, d’adopter une déclaration à ce sujet et de prendre les mesures qui s’imposent pour faire en sorte que le gouvernement turc applique cet arrêt sans délai; ne doute aucunement que la présidence allemande du Comité des ministres du Conseil de l’Europe prendra toutes les mesures appropriées et nécessaires en vue de l’application de l’arrêt de la Grande Chambre de la CEDH dans l’affaire Demirtaş/Turquie; prie la délégation de l’Union européenne auprès du Conseil de l’Europe de redoubler d’efforts pour garantir l’application des arrêts de la CEDH concernant la Turquie;

5.

condamne la manière dont les autorités turques traitent M. Demirtaş, en bafouant ses droits garantis par la Convention, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le droit national turc, mais également sa dignité humaine, protégée par l’article 17 de la constitution de la République de Turquie; juge que la prolongation illégale de la détention de M. Demirtaş pendant plus de quatre ans représente un châtiment cruel et politique qui nuit de manière irréparable, tant personnellement que politiquement, à M. Demirtaş, à sa famille et à son parti; demande à la Turquie de s’abstenir de toute nouvelle mesure d’intimidation à son encontre et de veiller à respecter ses droits fondamentaux, tels que garantis par la constitution de la République de Turquie, le droit européen et le droit international;

6.

prie instamment le vice-président de la Commission/haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la Commission et les États membres de continuer à discuter avec leurs interlocuteurs turcs des cas de M. Demirtaş et de tous les autres défenseurs des droits de l’homme, avocats, journalistes, personnalités politiques et universitaires mis en détention de manière arbitraire; leur demande d’apporter un soutien diplomatique et politique à ces personnes; invite la Commission et les États membres à verser davantage de subventions d’urgence aux défenseurs des droits de l’homme et à veiller à ce que la délégation de l’Union et les représentations diplomatiques des États membres en Turquie respectent intégralement les orientations de l’Union concernant les défenseurs des droits de l’homme; demande instamment à la délégation de l’Union européenne en Turquie de continuer à suivre de près les cas de M. Demirtaş et d’autres prisonniers, notamment en assistant à leurs procès, et à discuter de leur situation avec les autorités turques;

7.

s’inquiète vivement du mépris manifesté par le système judiciaire et les autorités turcs à l’égard des arrêts de la CEDH, ainsi que de la non-exécution de plus en plus fréquente des arrêts de la Cour constitutionnelle turque par les juridictions inférieures du pays; demande à la Turquie de veiller au plein respect des dispositions de la Convention et des arrêts de la CEDH; l’engage à coopérer pleinement avec le Conseil de l’Europe en vue du renforcement de l’état de droit, des droits des minorités, de la démocratie et des droits fondamentaux; espère que la CEDH sera en mesure de rendre plus rapidement ses arrêts dans de nombreuses affaires liées à la situation en Turquie; prie vivement le gouvernement turc de veiller à ce que tous les individus bénéficient du droit fondamental à un procès équitable, et à ce que leurs cas soient examinés par un système judiciaire pleinement indépendant et fonctionnel, conformément aux normes internationales;

8.

se déclare profondément inquiet des attaques et des pressions constantes à l’encontre des partis d’opposition, en particulier du ciblage politique incessant, par les autorités turques, envers le HDP et ses organisations de jeunesse, ce qui sape le bon fonctionnement du système démocratique; demande aux autorités turques de mettre immédiatement un terme à la répression qu’elles exercent contre ces partis; se déclare particulièrement préoccupé par le débat actuel sur l’interdiction du HDP et la levée des immunités parlementaires de neuf députés du HDP, au prétexte des manifestations d’octobre 2014 au sujet de Kobané, pour lesquelles M. Demirtaş est détenu; souligne le cas de Cihan Erdal, membre de l’organisation de jeunesse du parti turc Les Verts/La Gauche, qui a été mis en détention le 25 septembre 2020 et condamné le 7 janvier 2021, en même temps que plus de 100 accusés, dont Selahattin Demirtaş, dans l’affaire Kobané; se déclare vivement préoccupé du harcèlement politique et judiciaire incessant à l’encontre de Canan Kaftancıoğlu, présidente de la section provinciale d’Istanbul du parti républicain du peuple, qui a été condamnée en septembre 2019 à près de dix ans de prison pour des motifs politiques, jugement qui a fait l’objet d’un recours devant la Cour suprême, et qui a également été condamnée en décembre 2020 dans le cadre d’une autre affaire où elle risque une peine de dix années supplémentaires;

9.

s’inquiète vivement de l’amenuisement de l’espace dévolu à la société civile et de la dégradation en cours des droits et des libertés fondamentaux ainsi que de l’état de droit en Turquie; attire l’attention sur ses inquiétudes quant au recul constant de la Turquie en matière d’indépendance du pouvoir judiciaire; prie les autorités turques de mettre un terme au harcèlement judiciaire des défenseurs des droits de l’homme, des universitaires, des journalistes, des dirigeants religieux, des avocats et des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées, dont les droits fondamentaux sont bafoués, notamment depuis la tentative avortée de coup d’État; prie instamment le gouvernement turc de libérer immédiatement Osman Kavala, figure importante de la société civile, conformément à l’arrêt de la CEDH de mai 2020 et aux nombreuses demandes et résolutions en ce sens du Comité des ministres du Conseil de l’Europe;

10.

attire l’attention sur le régime mondial de sanctions de l’Union européenne en matière de droits de l’homme, mécanisme récemment approuvé de suivi et de sanction des graves violations des droits de l’homme, comme celles qui surviennent en Turquie, qui vise des particuliers, des entités et des organismes au titre de leur implication ou de leur complicité dans de graves violations des droits de l’homme;

11.

se déclare vivement préoccupé par la liberté des médias en Turquie; demande aux autorités turques de répondre et de réagir immédiatement à toutes les alertes de la plateforme du Conseil de l’Europe relatives à la Turquie, et de promouvoir la protection du journalisme et la sécurité des journalistes; invite les autorités turques à garantir un accès équitable à la justice et à mettre fin aux poursuites politiques contre les journalistes et les professionnels des médias, notamment dans le cas récent de Melis Alphan, journaliste accusée de diffuser de la propagande terroriste qui risque jusqu’à sept ans et demi de prison; se dit vivement préoccupé par le contrôle des réseaux sociaux; condamne la fermeture de comptes sur ces réseaux par les autorités turques; estime qu’il s’agit d’une restriction supplémentaire de la liberté d’expression et d’un moyen de réprimer la société civile;

12.

prend acte de l’intention de la Turquie d’ouvrir un nouveau chapitre dans ses relations avec l’Union européenne, de sa détermination à mettre en œuvre des réformes et de son engagement total en faveur du processus d’adhésion, tel que le président Erdoğan et d’autres hauts fonctionnaires du gouvernement l’ont exprimé le 9 janvier 2021; est d’avis que le respect et l’application des arrêts de la CEDH constitueraient une étape importante qui rendrait ces déclarations plus crédibles en apportant des éléments factuels; répète que l’Union européenne est disposée à un nouveau départ; souligne toutefois que l’amélioration et l’approfondissement des relations requièrent, entre autres conditions préalables, une amélioration mesurable du respect des principes démocratiques, de l’état de droit et des droits fondamentaux en Turquie;

13.

charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au vice-président de la Commission/haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au représentant spécial de l’Union européenne pour les droits de l’homme, à la présidence allemande du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, ainsi qu’au Président, au gouvernement et au Parlement de la République de Turquie; demande que la présente résolution soit traduite en turc.

(1)  JO C 463 du 21.12.2018, p. 56.

(2)  Textes adoptés de cette date, P8_TA(2019)0200.

(3)  Textes adoptés de cette date, P9_TA(2019)0017.

(4)  JO L 410 I du 7.12.2020, p. 1.


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