Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62023CC0424

    Conclusions de l'avocat général M. M. Campos Sánchez-Bordona, présentées le 12 septembre 2024.


    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:749

    Édition provisoire

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

    présentées le 12 septembre 2024 (1)

    Affaire C424/23

    DYKA Plastics NV

    contre

    Fluvius System Operator CV

    [demande de décision préjudicielle formée par l’Ondernemingsrechtbank Gent, afdeling Gent (tribunal de l’entreprisede Gand – division Gand, Belgique)]

    « Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2014/24/UE – Article 42 – Spécifications techniques – Façons de les formuler – Caractère limitatif de la liste figurant à l’article 42, paragraphe 3 – Appel d’offres exigeant la réalisation de travaux avec des tuyaux en grès ou en béton – Exclusion des tuyaux en plastique – Référence à un type ou à une production déterminée – Fait de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits – Principes d’égalité de traitement et de transparence »






    1.        Fluvius System Operator CV (2) gère les réseaux d’égouttage des communes de la Région flamande (Belgique). Dans ses marchés de travaux destinés à la construction ou au remplacement de canalisations, Fluvius impose par défaut que les tuyaux d’évacuation des eaux pluviales soient en béton et ceux des eaux usées en grès.

    2.        Une entreprise active dans la fabrication et la fourniture de tuyaux en plastique a saisi la juridiction de renvoi afin qu’elle enjoigne à Fluvius d’inclure, de manière générale, ce type de tuyaux dans ses marchés.

    3.        La juridiction de renvoi sollicite l’interprétation de l’article 42 de la directive 2014/24/UE (3), qui régit les spécifications techniques des marchés publics (en l’espèce, de travaux).

    4.        La Cour, qui a déjà interprété la notion de spécifications techniques dans plusieurs arrêts (4), devra développer sa jurisprudence à cet égard pour répondre à la juridiction de renvoi.

    I.      Cadre juridique

    A.      Le droit de l’Union

    1.      La directive 2014/24

    5.        L’article 18, intitulé « Principes de la passation de marchés », dispose :

    « 1.      Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée.

    Un marché ne peut être conçu dans l’intention de le soustraire au champ d’application de la présente directive ou de limiter artificiellement la concurrence. La concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsqu’un marché est conçu dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment certains opérateurs économiques.

    […] ».

    6.        L’article 42, intitulé « Spécifications techniques », dispose :

    « 1.      Les spécifications techniques définies au point 1 de l’annexe VII figurent dans les documents de marché. Les spécifications techniques définissent les caractéristiques requises des travaux, des services ou des fournitures.

    […]

    2.      Les spécifications techniques donnent aux opérateurs économiques une égalité d’accès à la procédure de passation de marché et n’ont pas pour effet de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence.

    3.      Sans préjudice des règles techniques nationales obligatoires, dans la mesure où elles sont compatibles avec le droit de l’Union, les spécifications techniques sont formulées de l’une des façons suivantes :

    a)      en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles, y compris de caractéristiques environnementales, à condition que les paramètres soient suffisamment précis pour permettre aux soumissionnaires de déterminer l’objet du marché et aux pouvoirs adjudicateurs d’attribuer le marché ;

    b)      par référence à des spécifications techniques et, par ordre de préférence, aux normes nationales transposant des normes européennes, aux évaluations techniques européennes, aux spécifications techniques communes, aux normes internationales, aux autres référentiels techniques élaborés par les organismes européens de normalisation, ou, en leur absence, aux normes nationales, aux agréments techniques nationaux ou aux spécifications techniques nationales en matière de conception, de calcul et de réalisation des ouvrages et d’utilisation des fournitures ; chaque référence est accompagnée de la mention “ou équivalent” ;

    c)      en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles visées au point a), en se référant, comme moyen de présumer la conformité à ces performances ou à ces exigences fonctionnelles, aux spécifications techniques visées au point b) ;

    d)      par référence aux spécifications visées au point b) pour certaines caractéristiques et aux performances ou exigences fonctionnelles visées au point a) pour d’autres caractéristiques.

    4      À moins qu’elles ne soient justifiées par l’objet du marché, les spécifications techniques ne font pas référence à une fabrication ou une provenance déterminée ou à un procédé particulier, qui caractérise les produits ou les services fournis par un opérateur économique spécifique, ni à une marque, à un brevet, à un type, à une origine ou à une production déterminée qui auraient pour effet de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits. Cette référence est autorisée, à titre exceptionnel, dans le cas où il n’est pas possible de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché en application du paragraphe 3. Une telle référence est accompagnée des termes “ou équivalent”.

    [...] »

    7.        L’annexe VII, intitulée « Définition de certaines spécifications techniques », se lit comme suit :

    « Aux fins de la présente directive, on entend par :

    1)      “spécification technique”, soit :

    a)      lorsqu’il s’agit de marchés publics de travaux, l’ensemble des prescriptions techniques contenues notamment dans les documents de marché, définissant les caractéristiques requises d’un matériau, d’un produit ou d’une fourniture de manière telle qu’ils répondent à l’usage auquel ils sont destinés par le pouvoir adjudicateur ; ces caractéristiques comprennent les niveaux de performance environnementale et climatique, la conception pour tous les besoins (y compris l’accessibilité pour les personnes handicapées) et l’évaluation de la conformité, la propriété d’emploi, la sécurité ou les dimensions, y compris les procédures relatives à l’assurance de la qualité, la terminologie, les symboles, les essais et méthodes d’essai, l’emballage, le marquage et l’étiquetage, les instructions d’utilisation, ainsi que les processus et méthodes de production à tout stade du cycle de vie des ouvrages ; elles incluent également les règles de conception et de calcul des coûts, les conditions d’essai, de contrôle et de réception des ouvrages, ainsi que les méthodes ou techniques de construction et toutes les autres conditions de caractère technique que le pouvoir adjudicateur est à même de prescrire, par voie de réglementation générale ou particulière, en ce qui concerne les ouvrages terminés et en ce qui concerne les matériaux ou les éléments constituant ces ouvrages ;

    […] ».

    2.      La directive 2014/25

    8.        Le considérant 24 se lit comme suit :

    « Les entités adjudicatrices opérant dans le secteur de l’eau potable peuvent aussi mener d’autres activités liées à l’eau, par exemple des projets de génie hydraulique, d’irrigation, de drainage, ou l’évacuation et le traitement des eaux usées. Dans un tel cas, les entités adjudicatrices devraient être en mesure d’appliquer les procédures de passation de marché prévues dans la présente directive pour toutes leurs activités relatives à l’eau, quelle que soit la phase concernée du cycle de l’eau. […] ».

    9.        L’article 10, intitulé « Eau », dispose :

    « 1.      En ce qui concerne l’eau, la présente directive s’applique aux activités suivantes :

    a)      la mise à disposition ou l’exploitation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution d’eau potable ;

    b)      l’alimentation de ces réseaux en eau potable.

    2.      La présente directive s’applique également aux marchés ou concours qui sont passés ou organisés par les entités adjudicatrices exerçant une activité visée au paragraphe 1 et qui sont liés à l’une des activités suivantes :

    a)      des projets de génie hydraulique, d’irrigation ou de drainage, pour autant que le volume d’eau destiné à l’alimentation en eau potable représente plus de 20 % du volume total d’eau mis à disposition par ces projets ou ces installations d’irrigation ou de drainage ;

    b)      l’évacuation ou le traitement des eaux usées.

    […] ».

    B.      Le droit belge. La loi relative aux marchés publics du 17 juin 2016 (5)

    10.      L’article 5, paragraphe 1, indique qu’un pouvoir adjudicateur ne peut concevoir un marché public dans l’intention de le soustraire au champ d’application de la présente loi ou de limiter artificiellement la concurrence. La concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsqu’un marché est conçu dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment certains opérateurs économiques.

    11.      L’article 53, paragraphes 2, 3 et 4, reprend, en substance, le contenu de l’article 42, paragraphes 2, 3 et 4, de la directive 2014/24.

    II.    Les faits, le litige et les questions préjudicielles

    12.      Fluvius est chargée de la construction, de la gestion et de l’entretien des réseaux d’égouttage dans les communes de la région flamande.

    13.      Dans les documents d’appels d’offre de ses marchés publics de travaux, Fluvius exige « par défaut » que les offres soient limitées aux tuyaux en béton (pour l’évacuation des eaux pluviales) ou en grès (pour l’évacuation des eaux usées).

    14.      DYKA Plastics NV (ci-après « DYKA »), fabricant et fournisseur de tuyaux en plastique, soutient qu’une telle exigence est discriminatoire, car elle l’exclut de la possibilité de soumissionner dans les procédures de passation de marchés organisées par Fluvius.

    15.      À plusieurs reprises, DYKA s’était plainte auprès de Fluvius de l’illégalité de sa politique en matière de marchés publics :

    –        le 4 juin 2020, elle l’a mise en demeure d’établir ses futurs appels d’offres de telle sorte que les tuyaux en plastique puissent être proposés aux côtés de ceux en grès et en béton ;

    –        le 7 octobre 2020, elle lui a demandé de préciser le type de tuyaux utilisables dans le marché dit « Langeveldstraat Beringen » (rue de longchamp à Beringen, Belgique) et d’indiquer si les tuyaux en plastique étaient exclus tant pour le réseau d’évacuation des eaux pluviales que pour celui des eaux usées. En cas de réponse affirmative, elle demandait à être informée des motifs de l’exclusion.

    16.      Le 15 octobre 2020, Fluvius a répondu que seuls des tuyaux d’évacuation des eaux pluviales en béton (poreux) et des tuyaux d’évacuation des eaux usées en grès pouvaient figurer dans une offre.

    17.      DYKA a introduit un recours devant l’Ondernemingsrechtbank Gent, afdeling Gent (tribunal de l’entreprise de Gand, division Gand, Belgique) en faisant valoir que l’utilisation de spécifications techniques par Fluvius était contraire à la réglementation sur les marchés publics. En excluant sans aucune motivation les tuyaux en plastique de ses appels d’offres pour des marchés de travaux, on prive DYKA de la possibilité de se voir attribuer un marché, ce qui entrave manifestement la concurrence (6).

    18.      Fluvius considère, au contraire, que son action est conforme au droit, pour les raisons suivantes :

    –        ses cahiers des charges ne prescrivent pas un « produit unique » ;

    –        il existe plusieurs fabricants et fournisseurs de tuyaux en grès et en béton qui peuvent concourir pour l’attribution du marché ;

    –        la définition du matériau dans lequel ses tuyaux d’égouttage doivent être fabriqués relève de son pouvoir discrétionnaire ;

    –        il existe des raisons techniques justifiant le choix du grès ou du béton. Les tuyaux en grès ont une durée de vie d’au moins cent ans, alors que celle des tuyaux en plastique est de cinquante ans. En outre, les tuyaux en plastique ont un taux de défectuosité et de dysfonctionnement clairement supérieur à celui des tuyaux en grès et leurs coûts d’entretien sont nettement plus élevés ;

    –        du point de vue environnemental, les tuyaux en plastique présentent des problèmes que ne posent pas ceux en grès ou en béton (7) ;

    –        il est raisonnable, tant du point de vue financier que des intérêts du pouvoir adjudicateur, d’opter régulièrement pour des tuyaux en grès et non en plastique. Toutefois, les tuyaux en plastique ne sont pas totalement exclus, car ils doivent être utilisés lorsque, en raison des caractéristiques techniques du projet, l’utilisation de tuyaux en grès ou en béton n’est pas recommandée.

    19.      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi pose à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)       L’article 42, paragraphe 3, de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens que l’énumération des façons dont les spécifications techniques doivent être formulées a un caractère limitatif et qu’un pouvoir adjudicateur a donc l’obligation de concevoir les spécifications techniques de ses marchés publics de l’une des façons énumérées dans cette disposition ?

    2)       L’article 42, paragraphe 4, de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens que les références à des tuyaux d’égouttage en grès et en béton (en fonction du type de réseau d’égouttage donné) dans les spécifications techniques des appels d’offres doivent être considérées comme relevant de l’une ou de plusieurs des références énumérées dans cette disposition, par exemple des références à des types déterminés ou à une production déterminée de tuyaux ?

    3)       L’article 42, paragraphe 4, de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens que les références faites dans les spécifications techniques des appels d’offres à un produit unique, par exemple à des tuyaux d’égouttage en grès et en béton (en fonction du type de réseau d’égouttage donné), en tant que solutions techniques spécifiques, produisent déjà l’effet requis par cette disposition (à savoir “de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits ”) puisqu’elles ont pour effet d’exclure a priori, et donc de défavoriser, les entreprises qui proposent des solutions autres que le produit prescrit, malgré le fait que plusieurs entreprises en concurrence les unes avec les autres soient bel et bien en mesure de proposer le produit prescrit, ou faut-il qu’il n’y ait absolument aucune forme de concurrence autour du produit visé, par exemple des tuyaux d’égouttage en grès et en béton (en fonction du type de réseau d’égouttage donné), et que l’effet susvisé ne puisse être envisagé que si le produit en question caractérise une entreprise déterminée qui est la seule à l’offrir sur le marché ?

    4)       L’article 42, paragraphe 2, de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens qu’une méconnaissance avérée de l’article 42, paragraphe 3, et/ou de l’article 42, paragraphe 4, de la directive [2014/24], en raison du recours illicite à des références dans les spécifications techniques des appels d’offres [par exemple, à des références à des tuyaux d’égouttage en grès et en béton (en fonction du type de réseau d’égouttage donné)], implique également d’emblée une méconnaissance de l’article 42, paragraphe 2, de la directive [2014/24] et de l’article 18, paragraphe 1, de la directive [2014/24] qui s’y rattache ? »

    III. La procédure devant la Cour de justice

    20.      La demande de décision préjudicielle a été enregistrée auprès du greffe de la Cour le 11 juillet 2023.

    21.      DYKA, Fluvius, les gouvernements autrichien et tchèque ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites.

    22.      DYKA, Fluvius et la Commission ont participé à l’audience qui s’est tenue le 30 mai 2024.

    IV.    Analyse

    A.      Directive applicable

    23.      Bien que seule la Commission ait évoqué cette question dans le cadre de la procédure écrite (8), on peut se demander si les marchés de travaux portant sur la construction de réseaux publics d’évacuation des eaux usées et pluviales relèvent du champ d’application de la directive 2014/24 ou de la directive 2014/25.

    24.      La Commission distingue les marchés dans lesquels Fluvius agit en tant que gestionnaire de réseaux de distribution d’électricité et de gaz (qui seraient régis par la directive 2014/25) de ceux ayant pour objet l’installation de réseaux d’égouttage (qui seraient régis par la directive 2014/24).

    25.      Je pense toutefois que cette affirmation nécessite une vérification par la juridiction de renvoi (9) afin d’exclure que Fluvius, en tant que pouvoir adjudicateur, exerce une activité visée à l’article 10, paragraphe 1, de la directive 2014/25 (l’exploitation de réseaux fixes destinés à fournir un service au public dans le domaine de la production, du transport ou de la distribution d’eau potable ou l’alimentation de ces réseaux en eau potable) (10).

    26.      Si Fluvius intervenait également dans cette partie du « cycle de l’eau » (11), les marchés litigieux, qui comprennent les travaux liés à l’évacuation des eaux usées, devraient être conformes à la directive 2014/25, dont l’article 10, paragraphe 2, sous b), fait expressément référence à ce type de marchés.

    27.      Sous réserve de l’appréciation de la juridiction de renvoi, bien que la réglementation des spécifications techniques dans la directive 2014/24 (article 42) et dans la directive 2014/25 (article 60) soit substantiellement la même, je me concentrerai sur l’interprétation de la première.

    B.      Marge d’appréciation pour inclure des spécifications techniques

    28.      Dans les documents de marché qu’ils publient, les pouvoirs adjudicateurs sont tenus de définir les caractéristiques des travaux, des services ou des fournitures qu’ils ont l’intention d’acquérir dans le cadre d’un marché public. Ces caractéristiques comprennent notamment les spécifications techniques des produits ou services concernés (12).

    29.      Si ces spécifications techniques comportent une description biaisée, cela peut impliquer au minimum une importante « barrière à l’entrée » pour certains soumissionnaires et, dans des cas extrêmes, prédéterminer (y compris de manière frauduleuse) le choix final de l’adjudicataire, lorsqu’il est le seul à pouvoir fournir des produits ou des services remplissant les caractéristiques décrites.

    30.      Le souci d’éviter les pratiques irrégulières et l’objectif de « permettre l’ouverture des marchés publics à la concurrence » ont amené le législateur de l’Union à adopter des règles en la matière.

    31.      Selon la Cour, « la réglementation de l’Union relative aux spécifications techniques reconnaît une large marge d’appréciation au pouvoir adjudicateur dans le cadre de la formulation des spécifications techniques d’un marché ». « Cette marge d’appréciation est justifiée par le fait que ce sont les pouvoirs adjudicateurs qui connaissent le mieux [leurs besoins] et qui sont les mieux à même de déterminer les exigences auxquelles il doit être satisfait afin d’obtenir les résultats souhaités » (13).

    32.      Par conséquent, en principe, la marge d’appréciation du pouvoir adjudicateur lors de l’élaboration des spécifications techniques d’un marché lui permet de choisir les produits et les matériaux avec lesquels les travaux prévus seront exécutés.

    33.      Toutefois, la liberté de choix du pouvoir adjudicateur est conditionnée, à des degrés divers, en fonction de l’objet du marché et de la finalité qu’il poursuit :

    –        lorsque des éléments liés aux performances ou à la fonction (exigences fonctionnelles) des composants d’un ouvrage entrent en ligne de compte, la marge d’appréciation sera réduite. Les exigences fonctionnelles peuvent s’étendre aux « caractéristiques environnementales ». Il est conforme à l’objectif de la directive 2014/24 que, dans de telles hypothèses, les offres soient ouvertes au plus grand nombre possible d’alternatives techniques susceptibles de remplir la fonction souhaitée ;

    –        en revanche, lorsqu’il s’agit d’opérations dans lesquelles prédominent d’autres facteurs qui ne sont pas strictement objectifs (par exemple, esthétiques ou liés à l’adéquation à l’environnement), la marge d’appréciation sera plus large.

    34.      Dans le litige au principal, les considérations esthétiques sont absentes et les décisions du pouvoir adjudicateur concernant les matériaux éligibles pourraient s’inspirer, principalement, de critères de performance ou de facteurs objectifs de nature fonctionnelle. Il n’apparaît cependant pas que ces critères et ces facteurs aient été précisés de manière suffisamment détaillée dans les documents de marché, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier (14).

    35.      Compte tenu de leur importance, les spécifications techniques doivent être, au même titre que l’objet et les critères d’attribution du marché, clairement déterminées dès le début de la procédure de passation de celui-ci, c’est-à-dire dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges. Ce n’est qu’ainsi que les soumissionnaires seront en mesure d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière (15).

    36.      Les spécifications techniques visées à l’article 42, paragraphe 1, de la directive 2014/24 sont celles « définies » au point 1 de l’annexe VII. Ce dernier énonce sous a) ce qu’il convient d’entendre par « spécification technique » pour les marchés de travaux.

    37.      Aux termes de cet énoncé, est considéré comme spécification technique, l’ensemble des prescriptions techniques « contenues notamment dans les documents de marché, définissant les caractéristiques requises d’un matériau, d’un produit ou d’une fourniture de manière telle qu’ils répondent à l’usage auquel ils sont destinés par le pouvoir adjudicateur ».

    C.      Sur la première question préjudicielle

    38.      La juridiction de renvoi souhaite savoir si « l’énumération des façons dont les spécifications techniques doivent être formulées » visée à l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 revêt un caractère limitatif.

    39.      La prémisse qui sous-tend la question est que l’exigence selon laquelle les tuyaux d’égouttage doivent être en béton ou en grès constitue, en soi, une spécification technique. La juridiction de renvoi, les parties au litige, les gouvernements intervenants et la Commission acceptent cette prémisse, au sujet de laquelle cette juridiction n’exprime aucun doute.

    40.      Lors de l’audience, cette prémisse a toutefois donné lieu à un débat se limitant à l’interprétation du point 1, sous a), de l’annexe VII de la directive 2014/24. De sa lecture, il pourrait se déduire que seules sont considérées comme des spécifications techniques les prescriptions définissant les caractéristiques requises d’un matériau, d’un produit ou d’une fourniture, mais non pas l’exigence selon laquelle l’ouvrage doit être réalisé avec un matériau spécifique.

    41.      Il convient, selon moi, de ne pas adopter sur ce point une position nominaliste. Dans le litige au principal, même avec toutes les incertitudes découlant des omissions de la décision de renvoi, l’exigence que les canalisations soient en béton ou en grès concerne aussi bien un produit (les tuyaux) que l’une de ses caractéristiques essentielles (que le matériau de ces tuyaux soit en béton ou en grès).

    42.      Ainsi comprise, la prémisse sur laquelle repose le renvoi préjudiciel me semble pouvoir être acceptée. Si elle ne l’était pas, les questions préjudicielles, telles qu’elles sont rédigées, seraient hypothétiques ou superflues.

    43.      Les « façons » de formuler les spécifications techniques, au sens de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24, sont précisées dans ses points a), b), c) et d) (16). La Cour a déjà jugé que « le libellé de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 n’établit pas de hiérarchie entre les méthodes de formulation des spécifications techniques et n’accorde aucune préférence à l’une de ces méthodes » (17).

    44.      Le pouvoir adjudicateur doit donc utiliser une ou plusieurs de ces méthodes. L’expression « sont formulées de l’une des façons suivantes » (18) indique qu’il s’agit d’un catalogue fermé. Le législateur aurait pu recourir à des expressions ouvertes (en utilisant des adverbes tels que « principalement » ou « notamment ») pour admettre des méthodes supplémentaires, mais il a opté pour une énumération prescriptive et exhaustive (19).

    45.      Ce qui précède suffirait à répondre à la première question préjudicielle, telle qu’elle a été rédigée. Les autres critères herméneutiques habituels (contexte et finalité de la disposition) ne plaident pas en faveur d’une solution différente.

    46.      Les observations des parties au litige se concentrent toutefois sur un problème différent de celui qui est, strictement, soulevé par la première question préjudicielle. Il s’agirait plutôt de déterminer si l’utilisation obligatoire de tuyaux en béton ou en grès peut relever de l’une des modalités du catalogue fermé énoncées à l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24, ce que DYKA conteste (20).

    47.      Si la Cour accepte d’entrer dans ce débat, la première difficulté qui se pose pour trancher ce dernier est, comme je l’ai déjà avancé, que la juridiction de renvoi n’a pas exposé en détail le contenu du cahier des charges en ce qui concerne la spécification technique litigieuse.

    48.      La lecture de la décision de renvoi ne permet pas de déterminer si d’autres précisions figurent (ce qui serait logique) à côté de la mention des tuyaux en béton ou en grès dans les cahiers des charges, comme par exemple le fait de se conformer à une norme, ou à un standard, en particulier.

    49.      Fluvius a remédié à cette omission, lors de l’audience, en réponse à des questions de la Cour. Elle a indiqué que ses cahiers des charges comportent non seulement la mention du béton ou du grès, mais également d’autres caractéristiques des tuyaux, ainsi que les références aux normes techniques belges concernant les systèmes de canalisation.

    50.      En partant de cette affirmation (qui devra être vérifiée, une fois de plus, par la juridiction de renvoi), on peut aborder le rattachement de la spécification technique en cause à l’un ou à plusieurs des points de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24.

    1.      Rattachement au point a) de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24

    51.      Les documents de marché en cause seraient conformes à ce point s’ils imposaient aux canalisations certaines conditions de performances ou exigences fonctionnelles. Tel serait le cas s’ils contenaient des prescriptions relatives, par exemple, à leur rigidité, à leur résistance aux changements de température, à leur stabilité, à leur imperméabilité, à leurs caractéristiques environnementales ou à d’autres propriétés physiques ou mécaniques.

    52.      Fluvius soutient (21) que la spécification technique requise s’appuie sur des exigences relatives à la durée de vie du matériau utilisé et à ses coûts d’entretien, ou de nature environnementale (la recyclabilité, la production de résidus et leur incorporation dans le sous-sol). Il s’agirait donc d’exigences de performances ou fonctionnelles.

    53.      Comme je l’ai déjà répété, la Cour n’a pas reçu d’informations suffisantes sur le contenu des documents de marché. La juridiction de renvoi se borne à affirmer que Fluvius n’a pas fixé dans ces documents les performances ou les exigences fonctionnelles des canalisations qui permettraient d’offrir d’autres solutions techniques (22).

    54.      Si l’on suivait l’appréciation de la juridiction de renvoi sur ce point, les documents de marché n’incluraient pas les exigences fonctionnelles avec un degré de précision suffisant, de sorte que le point a) de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 n’entrerait pas en ligne de compte. Cette disposition exige que les paramètres (des spécifications techniques formulées en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles), soient suffisamment précis pour permettre aux soumissionnaires de déterminer l’objet du marché.

    2.      Rattachement au point b) de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24

    55.      Selon Fluvius (23)et la Commission (24), la spécification litigieuse relève du point b) du paragraphe 3 de l’article 42 de la directive 2014/24. DYKA soutient le contraire.

    56.      Pour Fluvius et pour la Commission, le point b) distinguerait entre les références à des « spécifications techniques », d’une part, et à des « normes » (ou standards), d’autre part. Pour les premières, l’annexe VII, point 1, permettrait d’accepter comme spécification technique la seule identification des caractéristiques requises d’un matériau ou d’un produit.

    57.      Lors de l’audience, l’interprétation de la partie initiale du point b) du paragraphe 3 de l’article 42 de la directive 2014/24 a été largement débattue. Sa rédaction pourrait être qualifiée de tautologique en ce qu’elle prévoit que « les spécifications techniques sont formulées […] par référence à des spécifications techniques […] ». Deux positions sont envisageables à cet égard :

    –        soutenir que, parmi les spécifications techniques visées à l’article 42, paragraphe 3, sous b), de la directive 2014/24, figurent non seulement celles décrites dans les « normes » (nationales, européennes ou internationales) ou « référentiels » énumérés dans cette disposition, mais également d’autres prescriptions étrangères à ces normes et référentiels, qui précisent toutefois « les caractéristiques requises » d’un matériau ou d’un produit ;

    –        soutenir, au contraire, que les spécifications techniques visées à l’article 42, paragraphe 3, sous b), de la directive 2014/24 sont uniquement les spécifications standardisées, à savoir celles qui renvoient à des « normes » (nationales, européennes ou internationales) ou à des « référentiels ». C’est ce qui ressortirait du point 87 de l’arrêt Klaipėdos (25).

    58.      Certes, ce débat perd une partie de son intérêt (ou le maintient en des termes purement abstraits ou académiques) s’il est admis, comme Fluvius l’a soutenu lors de l’audience, que les documents de marché qu’elle a rédigés comportaient des références explicites à des normes techniques belges. Si tel était le cas, j’estime que ces documents exposeraient les spécifications techniques du marché de travaux selon la formulation de l’article 42, paragraphe 3, sous b), de la directive 2014/24.

    59.      En tout état de cause, afin de ne pas esquiver le débat in abstracto, je suis d’avis que la première des thèses en présence est davantage conforme à la disposition (bien qu’elles aient toutes deux des arguments solides en leur faveur). Deux raisons m’amènent à préconiser cette solution.

    60.      Premièrement, le fait de circonscrire le point b) aux spécifications techniques standardisées reviendrait à exclure les spécifications techniques non standardisées, c’est-à-dire toutes les autres prescriptions techniques qu’un pouvoir adjudicateur peut inclure dans ses documents de marché sans se référer à des normes techniques prédéterminées (standards) (26).

    61.      Ainsi que la Commission l’a affirmé lors de l’audience, rien n’empêche – et c’est fréquent – que les marchés de travaux contiennent des prescriptions techniques qui, selon la définition figurant à l’annexe VII, point 1, sous a), de la directive 2014/24, ne sont pas exprimées par référence à des normes techniques (standards), ni en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles. Adopter la seconde de ces thèses aurait pour conséquence que de telles prescriptions ne pourraient être classées sous aucun des points de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24.

    62.      Deuxièmement, c’est précisément l’annexe VII de la directive 2014/24 qui définit ce que l’on entend par « spécification technique », et c’est à celle-ci que renvoie son article 42, paragraphe 1. Les formulations ou les « façons » dont les spécifications techniques doivent être énoncées sont précisées à l’article 42, paragraphe 3, mais la notion en soi, pour les marchés de travaux, figure à l’annexe VII, point 1, sous a).

    63.      Dans cette perspective, une prescription « […] définissant les caractéristiques requises d’un matériau [ou] d’un produit », ainsi que l’indique l’annexe VII, point 1, sous a), de la directive 2014/24, peut être qualifiée de spécification technique et partant relever de son article 42, paragraphe 3, sous b), partie initiale, même si, je le répète, elle ne renvoie à aucune norme (standard).

    3.      Conclusion intermédiaire

    64.      En résumé :

    –        il convient de répondre à la première question préjudicielle que l’énumération des façons dont les spécifications techniques doivent être formulées figurant à l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 revêt un caractère limitatif ;

    –        il n’est pas nécessaire, pour répondre à cette question, de déterminer le point de cette disposition auquel se rattache la spécification technique en cause, ce qui dépendra du contenu des documents de marché.

    D.      Sur la deuxième et la troisième question préjudicielle

    65.      La deuxième et la troisième question préjudicielle, qui peuvent être traitées ensemble, portent sur l’interprétation de l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24.

    66.      La juridiction de renvoi souhaite savoir, par ces questions, si les mentions relatives aux tuyaux en grès et en béton :

    –        « [relèvent] de l’une ou de plusieurs des références énumérées dans cette disposition, par exemple des références à des types déterminés ou à une production déterminée de tuyaux » ;

    –        « produisent déjà l’effet […] de “ favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits ” », en excluant a priori les entreprises qui proposent des solutions alternatives, ou, au contraire, « l’effet susvisé ne [peut] être envisagé que si le produit en question caractérise une entreprise déterminée qui est la seule à l’offrir sur le marché ».

    67.      L’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24 interdit que les spécifications techniques d’un marché comportent certaines références (27) réputées, en principe, directement ou indirectement, porter atteinte à l’ouverture des marchés publics à la concurrence. L’interdiction s’applique « à moins qu’elles ne soient justifiées par l’objet du marché ».

    68.      Ces références sont autorisées, à titre exceptionnel, « dans le cas où il n’est pas possible de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché en application du paragraphe 3 » (28).

    69.      Les positions des parties et des parties intervenantes dans le renvoi, quant à ces deux questions préjudicielles, sont partagées :  

    –        DYKA fait valoir que les tuyaux en grès ou en béton sont représentatifs tant d’un « type » (en tant que modalité singulière des tuyaux avec lesquels les égouttages sont construits) que d’une « production déterminée » (car leur élaboration nécessite un processus industriel de production spécifique pour chaque catégorie) ;

    –        selon Fluvius, l’interdiction ne vaut que lorsque les documents de marché exigent une exclusivité ou un produit unique, favorisant ainsi l’entreprise qui le produit. Elle ne s’applique pas, en revanche, lorsque le produit requis est fabriqué par plusieurs entreprises ;

    –        pour le gouvernement autrichien, les termes béton et grès ne décrivent pas un produit précis, mais des matériaux dont les processus de fabrication et les caractéristiques peuvent revêtir diverses formes ;

    –        le gouvernement tchèque soutient que la référence n’a pas pour objet de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits ;

    –        la Commission est d’avis que le fait d’admettre la référence au matériau avec lequel les tuyaux sont fabriqués en tant que spécification technique impliquerait d’accepter une interprétation large. En l’absence d’une définition réglementaire, la Commission examine le sens courant des notions de « type » et de « production déterminée » pour conclure qu’il ne relève d’aucune de ces notions.

    70.      J’aborderai ces questions en analysant la portée de l’interdiction et les exceptions admissibles pour, ultérieurement, appliquer cette analyse au litige au principal.

    1.      Portée de l’interdiction

    71.      L’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24 interdit, comme je l’ai déjà exposé, que les spécifications techniques d’un marché comportent certaines références. En ce qui concerne le présent litige, il s’agirait de celles relatives à « un type, à une origine ou à une production déterminée qui auraient pour effet de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits » (29).

    72.      À mon avis, la référence au grès et au béton en tant que matériaux obligatoires, selon les documents de marché, renvoie à un « type » de tuyaux ou à une « production déterminée ». Comme le défend DYKA, le grès et le béton ne sont pas des matières naturelles (comme le bois), mais des matériaux « produits » à la suite d’un procédé particulier de fabrication artificielle. Le choix de ces matériaux profite, logiquement, aux entreprises qui produisent ou fournissent des tuyaux en grès et en béton et a pour effet (inévitable) d’éliminer celles qui proposent des tuyaux en plastique ou en tout autre matériau.

    73.      Contrairement à la thèse de Fluvius, j’estime que l’interdiction ne joue pas uniquement lorsque le cahier des charges conduit à choisir un fabricant unique, mais également lorsqu’il limite le cercle des candidats à plusieurs (c’est-à-dire à tous ceux qui fabriquent un type de tuyaux en béton ou en grès) et écarte ceux qui les fabriquent en plastique.

    74.      Ainsi, la juridiction de renvoi pourrait considérer que, objectivement, la référence aux tuyaux d’égouttage en béton ou en grès contenue dans les documents de marché relève du champ d’application de l’interdiction. Il resterait à déterminer si cette dernière est néanmoins justifiée.

    2.      Dérogations à l’interdiction

    a)      Justification par l’objet du marché

    75.      L’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24 permet de surmonter l’interdiction en cause lorsque cela est « justifi[é] par l’objet du marché ».

    76.      Certes, dans certaines hypothèses, l’objet du marché prédéterminera inévitablement le choix de l’un des composants des ouvrages, avec l’exclusion simultanée d’autres composants (30).

    77.      Si le pouvoir adjudicateur veut se prévaloir de cette disposition, il devra expliquer pour quelle raison l’objet du marché justifie la présence d’une spécification technique qui, en principe, n’est pas conforme à l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24.

    78.      J’estime que cette explication doit figurer dans les documents de marché. C’est dans ces derniers que le pouvoir adjudicateur doit dûment informer (les futurs soumissionnaires) des raisons pour lesquelles l’objet du marché requiert une telle spécification et non une autre. Ce n’est qu’ainsi que les intéressés peuvent décider de se conformer au cahier des charges ou de l’attaquer (31).

    b)      Autorisation exceptionnelle en raison de l’impossibilité de fournir une description détaillée de l’objet du marché

    79.      L’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24 permet, à titre exceptionnel, d’autoriser l’une des références interdites, dans le cas où il n’est pas possible de « fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché en application du paragraphe 3 ».

    80.      Il appartient à la juridiction de renvoi de décider si, eu égard à l’objet du marché, le pouvoir adjudicateur a imposé un niveau acceptable d’exigence des produits ou des matériaux avec lesquels ces produits sont fabriqués. Le pouvoir adjudicateur est libre de fixer ce niveau d’exigence, mais il doit justifier, de manière précise et intelligible, en quoi sa décision correspond à l’objet du marché.

    81.      Là encore, l’absence (dans la décision de renvoi) d’informations sur le contenu détaillé des cahiers des charges ne permet pas de savoir si ceux-ci contenaient ou non une telle description précise et intelligible. Seule la juridiction de renvoi est en mesure de le déterminer et de se prononcer sur la possibilité ou non pour le pouvoir adjudicateur de l’inclure dans les documents de marché.

    c)      La mention « ou équivalent »

    82.      L’article 42 de la directive 2014/24 exige dans deux de ses paragraphes que les références aux spécifications techniques soient accompagnées de la « mention “ou équivalent” » : il s’agit du paragraphe 3, sous b), in fine, et du paragraphe 4, également in fine.

    83.      Le sens ultime de cette double disposition est de donner aux opérateurs économiques une égalité d’accès à la procédure de passation de marché. Le contenu des spécifications techniques ne saurait avoir pour effet de « créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence » (32).

    84.      L’exception insérée à l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24, précisément parce qu’elle est susceptible de favoriser certains producteurs et d’en exclure d’autres, est atténuée par l’exigence que la référence soit accompagnée des termes « ou équivalent ». L’exception requiert une double condition : a) que la référence soit nécessaire pour fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché ; et b) qu’elle soit accompagnée des termes « ou équivalent » (33).

    85.      Le législateur de l’Union s’inquiète du fait que les spécifications techniques restreignent « artificiellement la concurrence en instaurant des exigences qui favorisent un opérateur économique particulier en reprenant les principales caractéristiques des fournitures, services ou travaux qu’il propose habituellement » (34).

    86.      Cette préoccupation est dans la droite ligne du principe énoncé à l’article 18, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2014/24 : « [l]a concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsqu’un marché est conçu dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment certains opérateurs économiques ».

    87.      L’obligation de faire figurer, dans les hypothèses précitées, la mention « ou équivalent » dans les documents de marché vise donc indéniablement à favoriser une plus grande ouverture du marché à la concurrence. Les fabricants et fournisseurs de matériaux ou de produits équivalents à ceux désignés par le pouvoir adjudicateur peuvent se prévaloir de cette mention pour participer, en tant que soumissionnaires, à la procédure de sélection du contractant.

    88.      La Cour a souligné l’importance de cette mention : « le fait de ne pas ajouter la mention “ ou équivalent ” après la désignation, dans le cahier des charges, d’un produit déterminé est non seulement de nature à dissuader les opérateurs économiques utilisant des systèmes analogues audit produit de participer à l’appel d’offres, mais est également susceptible d’entraver les importations dans le commerce transfrontalier de l’Union, en réservant le marché aux seuls fournisseurs qui envisagent d’utiliser le système spécifiquement indiqué » (35). L’omission de la clause d’équivalence peut même contrevenir à des dispositions de droit primaire, lorsqu’il s’agit de marchés n’excédant pas le seuil des directives sur les marchés publics (36).

    89.      La mention favorise également le pouvoir adjudicateur, dans la mesure où un soumissionnaire pourrait lui proposer des alternatives techniques tout aussi valables, que ce pouvoir adjudicateur n’a pas envisagées.

    3.      Application de ces critères au litige au principal

    90.      En se fondant sur les prémisses que je viens d’exposer, il est possible de répondre à la juridiction de renvoi que, conformément à l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24, l’exigence selon laquelle les canalisations pour l’évacuation des eaux pluviales et des eaux usées doivent être respectivement en béton et en grès constitue une référence à des types déterminés ou à une production déterminée.

    91.      Cette réponse devrait être complétée en ajoutant que la référence précitée :

    –        a, en soi, pour effet de favoriser ou d’exclure certaines entreprises ou certains produits, sans qu’il soit indispensable qu’il n’y ait qu’un seul fabricant du produit sur le marché ;

    –        peut être admise si l’objet du marché le justifie, justification qui doit être fournie par le pouvoir adjudicateur dans les documents de marché ;

    –        peut également être autorisée dans le cas où il serait impossible de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché, en application de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 ;

    –        doit être accompagnée de la mention « ou équivalent », à moins que l’objet du marché ne soit inexorablement subordonné à l’utilisation d’un composant des ouvrages qui ne permet pas, objectivement, son remplacement par un autre composant équivalent.

    92.      En particulier, étant donné qu’une partie du débat s’est concentrée sur la clause « ou équivalent », je partage l’avis de DYKA (37), selon lequel le fait de restreindre les solutions techniques au catalogue arrêté par Fluvius porte atteinte tant à la concurrence qu’à l’innovation dont la promotion est visée au considérant 74 de la directive 2014/24. De nouvelles propositions technologiques de matériaux égalisant ou dépassant les propriétés des canalisations en grès ou en béton seraient susceptibles, par nature, d’optimiser le résultat de la passation de marchés publics.

    93.      Selon moi, le pouvoir adjudicateur ne saurait exclure a priori qu’il existe des canalisations fabriquées avec des produits comparables au grès et au béton. Dans la décision de renvoi, comme le souligne la Commission (38), la juridiction de renvoi ne prend pas position sur la comparabilité de certains tuyaux (en plastique) avec d’autres (en béton et grès).

    94.      Je considère que les opérateurs économiques doivent être mis en mesure de prouver que les performances de leurs tuyaux sont égales ou supérieures à celles des tuyaux construits à base de béton ou de grès, et ce d’autant plus si les premiers se conforment à des normes (standards) européennes relatives à leurs exigences techniques (39).

    95.      Le cas échéant, le pouvoir adjudicateur appréciera a posteriori, de façon motivée, les raisons pour lesquelles le produit proposé à titre d’alternative satisfait, ou non, au niveau de performance requis pour un marché spécifique.

    E.      Sur la quatrième question préjudicielle

    96.      La dernière question préjudicielle vise à déterminer si la violation des paragraphes 3 et 4 (ou de l’un d’entre eux) de l’article 42 de la directive 2014/24 implique également une violation de l’article 42, paragraphe 2, et de l’article 18, paragraphe 1, de cette directive.

    97.      Pour la Cour, l’article 42, paragraphe 2, de la directive 2014/24 « concrétise, aux fins de la formulation des spécifications techniques, le principe d’égalité de traitement figurant à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive. Selon cette disposition, les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée » (40).

    98.      Je considère, comme DYKA et la Commission (41), qu’une méconnaissance des paragraphes 3 ou 4 de l’article 42 de la directive 2014/24 impliquerait également une violation de son paragraphe 2. Et comme l’article 42, paragraphe 2, précise à son tour les dispositions de l’article 18, paragraphe 1, de cette directive, il en résulterait de surcroît une violation de ce dernier article.

    V.      Conclusion

    99.      Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre à l’Ondernemingsrechtbank Gent, afdeling Gent (tribunal de l’entreprise de Gand, section de Gand) en ces termes :

    « L’article 42, paragraphe 2, sous d), de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE,

    doit être interprété en ce sens que :

    1)      L’énumération des façons dont les spécifications techniques doivent être formulées, figurant à l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24, revêt un caractère prescriptif et exhaustif.

    2)      Conformément à l’article 42, paragraphe 4, de la directive 2014/24, l’exigence selon laquelle les canalisations pour l’évacuation des eaux pluviales et des eaux usées doivent être respectivement en béton et en grès constitue une référence à des types déterminés ou à une production déterminée. Cette référence :

    –        a, en soi, pour effet de favoriser ou d’exclure certaines entreprises ou certains produits, sans qu’il soit indispensable qu’il n’y ait qu’un seul fabricant du produit sur le marché ;

    –        peut être admise si l’objet du marché le justifie, justification qui doit être fournie par le pouvoir adjudicateur dans les documents de marché ;

    –        peut également être autorisée dans le cas où il serait impossible de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché, en application de l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 ;

    –        doit être accompagnée de la mention “ ou équivalent ”, à moins que l’objet du marché ne soit inexorablement subordonné à l’utilisation d’un composant des ouvrages qui ne permet pas, objectivement, son remplacement par un autre composant équivalent.

    3      La méconnaissance des dispositions de l’article 42, paragraphes 3 ou 4, de la directive 2014/24 implique une violation du paragraphe 2 de ce même article ainsi que de l’article 18, paragraphe 1, de cette directive ».


    1      Langue originale : l’espagnol.


    2      Ci-après « Fluvius ». Selon la décision de renvoi, cette société agit sous le régime du droit privé et son actionnariat est composé de plusieurs organismes de droit public.


    3      Directive du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65). Son article 42 correspond, en substance, à l’article 60 de la directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE (JO 2014, L 94, p. 243).


    4      Entre autres, dans les arrêts du 22 septembre 1988, Commission/Irlande (45/87, EU:C:1988:435), du 24 janvier 1995, Commission/Pays-Bas (C‑359/93, EU:C:1995:14), du 10 mai 2012, Commission/Pays-Bas (C‑368/10, EU:C:2012:284), du 12 juillet 2018, VAR et ATM (C‑14/17, EU:C:2018:568), du 25 octobre 2018, Roche Lietuva (C‑413/17, ci-après l’« arrêt Roche Lietuva », EU:C:2018:865) et du 7 septembre 2021, Klaipėdos regiono atliekų tvarkymo centras (C‑927/19, ci-après l’« arrêt Klaipėdos », EU:C:2021:700). Certains de ces arrêts concernent les directives en matière de marchés publics antérieures à celles de 2014.


    5      Moniteur belge du 14 juillet 2016, p. 44167.


    6      Dans son recours, DYKA conclut : a) à ce qu’il soit déclaré que la politique de Fluvius en matière de marchés publics de travaux d’égouttage est contraire à la réglementation sur les marchés publics ; b) à ce qu’il lui soit fait injonction de modifier ses documents de marché, notamment les spécifications techniques ; et c) à ce qu’elle soit condamnée au paiement de dommages et intérêts.


    7      Fluvius indique (point 4 de ses observations écrites) que les tuyaux rigides sont recyclables à l’infini, ce qui n’est pas le cas des tuyaux en plastique. Ces derniers doivent être incinérés, ce qui n’est pas respectueux de l’environnement, et peuvent libérer des microplastiques dans le sous-sol, car ils sont soumis à l’abrasion (une forme d’usure ou d’érosion par laquelle les microplastiques se décollent par le frottement de l’eau). Lorsqu’ils doivent être remplacés tous les cinquante ans, il existe un risque que des microplastiques subsistent dans le sous-sol (les conduites se fragilisent et déposent une fraction résiduelle). Ce problème ne se pose pas avec les tuyaux rigides fabriqués à partir de matériaux naturels, qui ne sont pas nocifs pour l’environnement.


    8      Point 12 de ses observations écrites. Les autres intervenants, à l’instar de la juridiction de renvoi, se sont concentrés sur l’interprétation de l’article 42 de la directive 2014/24.


    9      La juridiction de renvoi devra notamment évaluer si, par leur montant, les marchés dépassent le seuil minimal visé dans les articles pertinents de l’une et de l’autre directive. Lors de l’audience, Fluvius a affirmé qu’elle n’était pas active dans le domaine de la distribution d’eau potable.


    10      Dans l’arrêt du 22 septembre 1988, Commission/Irlande (45/87, EU:C:1988:435), la Cour s’est penchée sur un litige portant sur l’inclusion, dans le cahier des charges d’un marché d’approvisionnement en eau, d’une spécification technique relative aux tuyaux. La question débattue dans cette affaire était celle de savoir si la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO 1971, L 185, p. 5 ; EE 17/01, p. 9), était applicable. La Cour a exclu qu’elle le soit, au motif que « le texte même de l’article 3, paragraphe 5, est dépourvu de toute ambiguïté en tant qu’il place les marchés publics [de travaux passés par les services de production, de distribution et de transport d’eau] en dehors du champ d’application de la directive » (point 10).


    11      Voir considérant 24 de la directive 2014/25, déjà reproduit dans les présentes conclusions.


    12      Je renvoie aux points 1 à 3 de mes conclusions dans l’affaire VAR (C‑14/17, EU:C:2018:135).


    13      Arrêt Roche Lietuva (points 29 et 30).


    14      La décision de renvoi ne fournit pas d’éléments suffisants pour connaître le contenu des documents de marché. Cette omission rend la réponse de la Cour plus difficile.


    15      Voir arrêt du 5 avril 2017, Borta (C‑298/15, EU:C:2017:266, point 69), citant les arrêts du 10 mai 2012, Commission/Pays-Bas (C‑368/10, EU:C:2012:284, points 56, 88 et 109), du 6 novembre 2014, Cartiera dell’Adda (C‑42/13, EU:C:2014:2345, point 44) et du 14 juillet 2016, TNS Dimarso (C‑6/15, EU:C:2016:555, point 23).


    16      Voir transcription de cet article au point 6 des présentes conclusions.


    17      Arrêt Roche Lietuva (point 28).


    18      Les versions linguistiques que j’ai consultées emploient toutes des termes impératifs.


    19      Cela étant, il convient de souligner que l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24 énonce les méthodes de formulation des spécifications techniques « [s]ans préjudice des règles techniques nationales obligatoires, dans la mesure où elles sont compatibles avec le droit de l’Union ».


    20      Point 9 de ses observations écrites.


    21      Point 4 de ses observations écrites.


    22      Point 16 de la décision de renvoi. Il semble ressortir de la décision que Fluvius a introduit ses arguments relatifs à la performance ou aux exigences fonctionnelles devant la juridiction de renvoi, mais pas dans le cadre de la procédure de passation du marché.


    23      Points 10 à 12 de ses observations écrites.


    24      Points 19 à 22 et 41 de ses observations écrites.


    25      La Cour a jugé à ce point de l’arrêt Klaipėdos que, conformément à l’article 42, paragraphe 3, de la directive 2014/24, les spécifications techniques sont formulées en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles, notamment environnementales, ou par référence à des normes techniques (standards). La version espagnole de l’arrêt utilise toutefois le syntagme « spécifications techniques » là où les autres versions emploient celui de « normes techniques ».


    26      Le point 87 de l’arrêt Klaipėdos pourrait être compris comme un obiter dictum, qui résume la disposition, mais n’en épuise pas le sens. C’est ce qu’a soutenu la Commission lors de l’audience.


    27      Références « à une fabrication ou une provenance déterminée ou à un procédé particulier, qui caractérise les produits ou les services fournis par un opérateur économique spécifique, ni à une marque, à un brevet, à un type, à une origine ou à une production déterminée ».


    28      Eu égard à la nature exceptionnelle de cette dernière possibilité, elle doit être interprétée de manière restrictive. C’est ce que soulignent les arrêts du 12 juillet 2018, VAR et ATM (C‑14/17, EU:C:2018:568, point 26) et Roche Lietuva (point 38).


    29      Les versions linguistiques que j’ai consultées diffèrent en ce qui concerne la finalité (proposée) ou l’effet (inhérent). Alors que la version espagnole évoque la « finalité », les autres versions mettent l’accent sur l’« effet ». Ainsi, en langue allemande, « Marken, Patente, Typen, einen bestimmten Ursprung oder eine bestimmte Produktion verwiesen werden, wenn dadurch bestimmte Unternehmen oder bestimmte Waren begünstigt oder ausgeschlossen werden » ; en langue anglaise, « trade marks, patents, types or a specific origin or production with the effect of favouring or eliminating certain undertakings or certain products » ; en langue française, « une marque, à un brevet, à un type, à une origine ou à une production déterminée qui auraient pour effet de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits » ; en langue italienne, « un marchio, a un brevetto o a un tipo, a un’origine o a una produzione specifica che avrebbero come effetto di favorire o eliminare talune imprese o taluni prodotti » ; en langue portugaise, « marcas comerciais, patentes, tipos, origens ou modos de produção determinados que tenham por efeito favorecer ou eliminar determinadas empresas ou produtos » ; ou, en langue roumaine, « o marcă, la un brevet, la un tip, la o origine sau la o producție specifică, care ar avea ca efect favorizarea sau eliminarea anumitor întreprinderi sau produse ». Eu égard à cette diversité, je serais enclin à exclure l’exigence d’un élément intentionnel, de sorte qu’il suffirait que se produise l’effet de favoriser ou d’écarter certaines entreprises ou certains produits. Telle est l’interprétation qui facilite le mieux la réalisation de l’objectif d’ouverture des marchés à la concurrence.


    30      Lors de l’audience, l’exemple a été donné d’un marché de travaux pour la rénovation d’un bâtiment historique, dont le cahier des charges impose l’utilisation du même type de pierre (d’une provenance déterminée) que celle avec laquelle il a été construit à l’origine. Dans ce contexte, l’objet du marché justifie, en soi, la référence à un produit déterminé (plus précisément, la pierre d’une carrière), à l’exclusion de tout autre produit.


    31      La Cour a jugé que, dans certaines situations, le pouvoir adjudicateur est tenu de motiver ses décisions afin de permettre aux intéressés de « défendre leurs droits et de décider en pleine connaissance de cause s’il y a lieu d’introduire un recours juridictionnel contre celles-ci » et de « permettre aux juridictions d’exercer le contrôle de légalité desdites décisions ». Voir arrêts Klaipėdos (point 120, citant la jurisprudence antérieure) et du 21 décembre 2023, Infraestruturas de Portugal et Futrifer Indústrias Ferroviárias (C‑66/22, EU:C:2023:1016, point 87).


    32      Article 42, paragraphe 2, de la directive 2014/24 et arrêt Roche Lietuva (point 32).


    33      Voir, en ce qui concerne l’article 60, paragraphe 4, de la directive 2014/25, arrêt du 27 octobre 2022, Iveco Orecchia (C‑68/21 et C‑84/21, EU:C:2022:835, point 87) : « [cette disposition] permet, à titre exceptionnel, que les spécifications techniques fassent référence “à une marque, à un brevet, à un type, à une origine ou à une production déterminée”, si cela est nécessaire pour fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché, et pour autant qu’une telle référence est accompagnée des termes “ou équivalent”».


    34      Considérant 74 de la directive 2014/24. Le dispositif va plus loin que le désir exprimé par le considérant, puisqu’il interdit également, par principe, que soient éliminés « certaines entreprises ou certains produits ».


    35      Arrêt Roche Lietuva (point 39). La Cour a confirmé ce qu’elle avait déjà jugé dans son arrêt du 24 janvier 1995, Commission/Pays-Bas (C‑359/93, EU:C:1995:14, points 27 et 28). Dans ce dernier, la Cour a censuré l’absence de la mention « ou équivalent » après le terme UNIX, qui était le seul système informatique accepté dans le cahier des charges.


    36      Voir, en ce sens, dispositif de l’ordonnance du 3 décembre 2001, Vestergaard (C‑59/00, EU:C:2001:654) : « [l]’article 30 du traité CE […] s’oppose à ce qu’un pouvoir adjudicateur introduise, dans le cahier des charges relatif à un marché public de travaux ne dépassant pas le seuil prévu à la directive [93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO 1993, L 199, p. 54)], une clause exigeant, pour l’exécution de ce marché, l’utilisation d’un produit d’une marque déterminée, lorsque cette clause n’est pas accompagnée de la mention “ou équivalent”». Dans le même ordre d’idées, voir arrêt du 22 septembre 1988, Commission/Irlande (45/87, EU:C:1988:435), concernant l’exigence selon laquelle les conduites de canalisation doivent être conformes à une norme irlandaise déterminée, sans ajouter la mention « ou équivalent ».


    37      Points 48 à 51 de ses observations écrites.


    38      Point 13 de ses observations écrites. La Commission souligne que le point 7 de la décision de renvoi se borne à reprendre la thèse de Fluvius sur ce détail.


    39      DYKA invoque (point 19 et annexe 1 de ses observations écrites) la norme européenne EN 476:2022 relative aux exigences générales applicables aux composants utilisés dans le cadre de l’assainissement et de l’égouttage. Cette norme définit les exigences générales à respecter dans les normes de produit pour les composants tels que les tuyaux et les connexions destinés à être utilisés dans les infrastructures d’assainissement et les égouttages. Elle s’applique au transport des eaux ménagères usées, des eaux pluviales et des eaux de surface, ainsi qu’aux autres eaux usées susceptibles d’être déversées dans le réseau.


    40      Arrêt Roche Lietuva (point 33).


    41      Dans ses observations écrites (point 28), Fluvius fait valoir que, dès lors qu’elle n’a pas violé l’article 42, paragraphes 3 et 4, de la directive 2014/24, la question n’est pas utile à la solution du litige et préfère donc ne pas l’examiner.

    Top