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Document 62014CJ0407

Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 17 décembre 2015.
María Auxiliadora Arjona Camacho contre Securitas Seguridad España SA.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Juzgado de lo Social n° 1 de Córdoba.
Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2006/54/CE – Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail – Licenciement discriminatoire – Article 18 – Indemnisation ou réparation du préjudice effectivement subi – Caractère dissuasif – Article 25 – Sanctions – Dommages et intérêts punitifs.
Affaire C-407/14.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2015:831

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

17 décembre 2015 ( * )

«Renvoi préjudiciel — Politique sociale — Directive 2006/54/CE — Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail — Licenciement discriminatoire — Article 18 — Indemnisation ou réparation du préjudice effectivement subi — Caractère dissuasif — Article 25 — Sanctions — Dommages et intérêts punitifs»

Dans l’affaire C‑407/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Social no 1 de Córdoba (juge du travail no 1 de Cordoue, Espagne), par décision du 1er août 2014, parvenue à la Cour le 27 août 2014, dans la procédure

María Auxiliadora Arjona Camacho

contre

Securitas Seguridad España SA,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, MM. J. Malenovský, M. Safjan (rapporteur), Mmes A. Prechal et K. Jürimäe, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour Mme Arjona Camacho, par Me R. Alcaide Aranda, abogado,

pour le gouvernement espagnol, par MM. L. Banciella Rodríguez‑Miñón et A. Rubio González Alejandro, en qualité d’agents,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour le gouvernement du Royaume‑Uni, par Mme J. Kraehling, en qualité d’agent, assistée de M. A. Bates, barrister,

pour la Commission européenne, par M. D. Roussanov et Mme E. Adsera Ribera, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 septembre 2015,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 18 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (JO L 204, p. 23).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Arjona Camacho à Securitas Seguridad España SA (ci‑après «Securitas Seguridad España») au sujet de l’octroi de dommages et intérêts punitifs à Mme Arjona Camacho à la suite de son licenciement constituant une discrimination fondée sur le sexe.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 76/207/CEE

3

Dans sa version originelle, l’article 6 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40), énonçait:

«Les États membres introduisent dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour permettre à toute personne qui s’estime lésée par la non‑application à son égard du principe de l’égalité de traitement au sens des articles 3, 4 et 5 de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle après, éventuellement, le recours à d’autres instances compétentes.»

4

La directive 76/207 a été modifiée par la directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002 (JO L 269, p. 15). Aux termes du considérant 18 de la directive 2002/73:

5

L’article 6 de la directive 76/207 a été modifié comme suit par la directive 2002/73:

«1.   Les États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives, y compris, lorsqu’ils l’estiment approprié, des procédures de conciliation, visant à faire respecter les obligations découlant de la présente directive soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par la non‑application à leur égard du principe de l’égalité de traitement, même après que les relations dans lesquelles la discrimination est présumée s’être produite ont cessé.

2.   Les États membres introduisent dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour veiller à ce que le préjudice subi par une personne lésée du fait d’une discrimination contraire à l’article 3 soit effectivement réparé ou indemnisé selon des modalités qu’ils fixent, de manière dissuasive et proportionnée par rapport au dommage subi; une telle compensation ou réparation ne peut être a priori limitée par un plafond maximal, sauf dans les cas où l’employeur peut prouver que le seul dommage subi par un demandeur comme suite à une discrimination au sens de la présente directive est le refus de prendre en considération sa demande d’emploi.

[...]»

6

La directive 2002/73 a également ajouté à la directive 76/207 l’article 8 quinquies, libellé de la manière suivante:

«Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer l’application de ces sanctions.

Les sanctions, qui peuvent comprendre le versement d’indemnités à la victime, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Les États membres notifient les dispositions pertinentes à la Commission au plus tard le 5 octobre 2005 et toute modification ultérieure les concernant dans les meilleurs délais.»

7

Aux termes de l’article 34, paragraphe 1, de la directive 2006/54, celle‑ci a abrogé la directive 76/207 avec effet au 15 août 2009.

La directive 2006/54

8

Aux termes des considérants 1, 33 et 35 de la directive 2006/54:

«(1)

La directive 76/207[...] et la directive 86/378/CEE du Conseil du 24 juillet 1986 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale [JO L 225, p. 40] ont été grandement modifiées. [...] Étant donné que de nouvelles modifications sont apportées à ces directives, il convient, dans un souci de clarté, que les dispositions en question fassent l’objet d’une refonte, et que soient rassemblées en un seul texte les principales dispositions existant dans ce domaine ainsi que certains éléments nouveaux découlant de la jurisprudence de la Cour de justice [...]

[...]

(33)

Il a été clairement établi par la Cour de justice que, pour être effectif, le principe de l’égalité de traitement suppose que la réparation accordée en cas de violation soit suffisante au regard du préjudice subi. Il convient donc d’exclure la fixation de tout plafond maximal a priori pour un tel dédommagement sauf lorsque l’employeur peut prouver que le seul dommage subi par un demandeur comme à la suite d’une discrimination au sens de la présente directive est le refus de prendre en considération sa demande d’emploi.

[...]

(35)

Les États membres devraient mettre en place des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives applicables en cas de non‑respect des obligations découlant de la présente directive.»

9

L’article 1er de cette directive énonce:

«La présente directive vise à garantir la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.

À cette fin, elle contient des dispositions destinées à mettre en œuvre le principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne:

[...]

b)

les conditions de travail, y compris les rémunérations;

[...]

Elle comprend également des dispositions visant à faire en sorte que la mise en œuvre de ce principe soit rendue plus effective par l’établissement de procédures appropriées.»

10

L’article 14 de ladite directive, intitulé «Interdiction de toute discrimination», prévoit, à son paragraphe 1, sous c):

«Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est proscrite dans les secteurs public ou privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:

[...]

c)

les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement ainsi que la rémunération, comme le prévoit l’article [157 TFUE]».

11

L’article 18 de la même directive, intitulé «Indemnisation ou réparation», dispose:

«Les États membres introduisent dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour veiller à ce que le préjudice subi par une personne lésée du fait d’une discrimination fondée sur le sexe soit effectivement réparé ou indemnisé selon des modalités qu’ils fixent, de manière dissuasive et proportionnée par rapport au dommage subi. Une telle compensation ou réparation ne peut être a priori limitée par un plafond maximal, sauf dans les cas où l’employeur peut prouver que le seul dommage subi par un demandeur comme à la suite d’une discrimination au sens de la présente directive est le refus de prendre en considération sa demande d’emploi.»

12

L’article 25 de la directive 2006/54, intitulé «Sanctions», est libellé comme suit:

«Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer l’application de ces sanctions. Les sanctions, qui peuvent comprendre le versement d’indemnités à la victime, doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Les États membres notifient les dispositions pertinentes à la Commission au plus tard le 5 octobre 2005 et toute modification ultérieure les concernant dans les meilleurs délais.»

13

L’article 27 de cette directive, intitulé «Prescriptions minimales», énonce, à son paragraphe 1:

«Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables à la protection du principe de l’égalité de traitement que celles qui sont prévues dans la présente directive.»

Le droit espagnol

14

L’article 10 de la loi organique 3/2007 pour l’égalité effective entre femmes et hommes (Ley orgánica 3/2007 para la igualdad efectiva de mujeres y hombres), du 22 mars 2007 (BOE no 71, du 23 mars 2007, p. 12611), intitulé «Conséquences juridiques des conduites discriminatoires», dispose:

«Les actes et les clauses contractuelles qui constituent ou entraînent la discrimination fondée sur le sexe sont considérés comme nuls et non avenus, et ils engagent la responsabilité [de leur auteur] à travers un système de réparations ou d’indemnisations réelles, effectives et proportionnées par rapport au préjudice subi, ainsi que, le cas échéant, par un système efficace et dissuasif de sanctions prévenant la mise en œuvre des conduites discriminatoires.»

15

L’article 183 de la loi 36/2011 portant réglementation de la juridiction en matière sociale (Ley 36/2011, reguladora de la jurisdicción social), du 10 octobre 2011 (BOE no 245, du 11 octobre 2011, p. 106584), intitulé «Indemnisation», énonce, à ses paragraphes 1 et 2:

«1.   Lorsque le jugement déclare l’existence d’une violation, le juge doit se prononcer sur le montant des dommages‑intérêts dus, le cas échéant, à la partie requérante qui a subi la discrimination ou une autre violation de ses droits fondamentaux et de ses libertés publiques, en fonction tant du préjudice moral lié à la violation du droit fondamental que des préjudices supplémentaires qui en découlent.

2.   Le tribunal se prononce sur le montant des dommages‑intérêts, en les déterminant de manière prudentielle lorsqu’il apparaît trop difficile ou coûteux d’établir leur montant exact, afin de dédommager suffisamment la victime et de la rétablir, autant que faire se peut, dans sa situation antérieure à la violation, ainsi que de contribuer à l’objectif de prévention du dommage.»

Le litige au principal et la question préjudicielle

16

Le 1er juillet 2012, Mme Arjona Camacho a été engagée par Securitas Seguridad España, en qualité d’agent de sécurité, pour travailler à temps plein au sein d’un établissement pénitentiaire pour mineurs à Cordoue (Espagne). Elle a été licenciée le 24 avril 2014.

17

S’opposant à son licenciement, Mme Arjona Camacho a, le 6 mai 2014, introduit une demande de conciliation avec son employeur devant le centre de médiation, d’arbitrage et de conciliation de Cordoue. La conciliation n’a pas abouti.

18

Le 26 mai 2014, Mme Arjona Camacho a introduit devant le Juzgado de lo Social no 1 de Córdoba (juge du travail no 1 de Cordoue) un recours en contestation de son licenciement, en soutenant que celui‑ci devait être déclaré nul.

19

À cet égard, Mme Arjona Camacho a fait valoir, à titre principal, que son licenciement constituait, notamment, une discrimination fondée sur le sexe. Elle a sollicité l’octroi de dommages et intérêts d’un montant de 6000 euros au titre du préjudice subi.

20

La juridiction de renvoi indique qu’elle tient pour acquis que le licenciement de Mme Arjona Camacho constitue une discrimination fondée sur le sexe et que l’arrêt qu’elle prononcera à la suite de la réponse de la Cour exposera les moyens de preuve sur lesquels repose cette constatation.

21

La juridiction de renvoi ajoute que son arrêt à intervenir précisera également les raisons pour lesquelles elle considère que la somme de 3000 euros, à titre de dommages et intérêts, suffit à la réparation intégrale du préjudice subi par Mme Arjona Camacho du fait de son licenciement fondé sur le sexe.

22

Cependant, la juridiction de renvoi se demande si, en application de l’article 18 de la directive 2006/54, selon lequel le préjudice doit être réparé ou indemnisé de manière dissuasive, elle doit accorder à Mme Arjona Camacho des dommages et intérêts qui vont au‑delà de l’indemnisation intégrale du préjudice qu’elle a subi, sous la forme de dommages et intérêts punitifs, afin de servir d’exemple à son ancien employeur ainsi qu’à d’autres.

23

La juridiction de renvoi précise que la notion de «dommages et intérêts punitifs» n’existe pas en droit espagnol.

24

Dans ces conditions, le Juzgado de lo Social no 1 de Córdoba (juge du travail no 1 de Cordoue) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

Sur la question préjudicielle

25

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 18 de la directive 2006/54 doit être interprété en ce sens que, afin que le préjudice subi par une personne lésée du fait d’une discrimination fondée sur le sexe soit effectivement réparé ou indemnisé de manière dissuasive, cette personne doive se voir attribuer, au‑delà des dommages et intérêts à titre de réparation, des dommages et intérêts punitifs.

26

Aux termes dudit article 18, les États membres introduisent dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour veiller à ce que le préjudice subi par une personne lésée du fait d’une discrimination fondée sur le sexe soit effectivement réparé ou indemnisé selon des modalités qu’ils fixent, de manière dissuasive et proportionnée par rapport au dommage subi, cette compensation ne pouvant être a priori limitée par un plafond maximal, sauf dans le cas de refus de prendre en considération une demande d’emploi.

27

Ladite disposition reproduit le libellé de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 76/207, telle que modifiée par la directive 2002/73.

28

Or, ainsi qu’il découle du considérant 18 de la directive 2002/73, celle‑ci a modifié l’article 6 de la directive 76/207 en vue de prendre en compte la jurisprudence de la Cour et, notamment, les arrêts Marshall (C‑271/91, EU:C:1993:335) ainsi que Draehmpaehl (C‑180/95, EU:C:1997:208).

29

À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de l’interprétation de l’article 6 de la directive 76/207, laquelle a été abrogée et remplacée par la directive 2006/54, la Cour a relevé que les États membres sont tenus de prendre les mesures nécessaires permettant à toute personne qui s’estime lésée par une discrimination contraire à ladite directive de faire valoir ses droits par la voie juridictionnelle. Une telle obligation implique que les mesures en question soient suffisamment efficaces pour atteindre l’objectif poursuivi par la directive 76/207 et puissent être effectivement invoquées devant les tribunaux nationaux par les personnes concernées (voir arrêts Marshall, C‑271/91, EU:C:1993:335, point 22, et Paquay, C‑460/06, EU:C:2007:601, point 43).

30

Selon la jurisprudence de la Cour, ledit article 6 n’impose pas aux États membres une mesure déterminée en cas de violation de l’interdiction de discrimination, mais laisse aux États membres la liberté de choisir parmi les différentes solutions propres à réaliser l’objectif de la directive 76/207, en fonction des différentes situations qui peuvent se présenter (voir arrêts von Colson et Kamann, 14/83, EU:C:1984:153, point 18; Marshall, C‑271/91, EU:C:1993:335, point 23, ainsi que Paquay, C‑460/06, EU:C:2007:601, point 44).

31

Toutefois, les mesures propres à rétablir l’égalité des chances effective doivent assurer une protection juridictionnelle effective et efficace et avoir à l’égard de l’employeur un effet dissuasif réel (voir arrêts von Colson et Kamann, 14/83, EU:C:1984:153, point 23 et 24; Draehmpaehl, C‑180/95, EU:C:1997:208, point 25, ainsi que Paquay, C‑460/06, EU:C:2007:601, point 45).

32

De tels impératifs impliquent nécessairement la prise en compte des caractéristiques propres à chaque cas de violation du principe d’égalité. Or, dans l’hypothèse d’un licenciement discriminatoire, le rétablissement de la situation d’égalité ne pourrait être réalisé à défaut d’une réintégration de la personne discriminée, ou, alternativement, d’une réparation pécuniaire du préjudice subi (arrêt Marshall, C‑271/91, EU:C:1993:335, point 25).

33

Enfin, selon la jurisprudence de la Cour, lorsque la réparation pécuniaire est la mesure retenue pour atteindre l’objectif de rétablir l’égalité des chances effective, elle doit être adéquate en ce sens qu’elle doit permettre de compenser intégralement les préjudices effectivement subis du fait du licenciement discriminatoire, selon les règles nationales applicables (voir arrêts Marshall, C‑271/91, EU:C:1993:335, point 26, et Paquay, C‑460/06, EU:C:2007:601, point 46).

34

Par conséquent, il résultait des dispositions de l’article 6 de la directive 76/207, dans sa version originelle comme dans sa version modifiée, ainsi que de la jurisprudence de la Cour visée aux points 29 à 33 du présent arrêt, que l’effet dissuasif réel recherché par ledit article 6 n’impliquait pas l’attribution à la personne lésée du fait d’une discrimination fondée sur le sexe de dommages et intérêts punitifs, lesquels vont au‑delà de la réparation intégrale des préjudices effectivement subis et constituent une mesure de sanction.

35

Cette constatation est corroborée par la nature alternative, dans le cas d’un licenciement discriminatoire, de la réparation du préjudice octroyée sous la forme pécuniaire, tel que cela est indiqué au point 32 du présent arrêt.

36

Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 32 de ses conclusions, aucun changement substantiel n’est intervenu dans le droit de l’Union pour que l’article 18 de la directive 2006/54 fasse, à cet égard, l’objet d’une interprétation différente de celle de l’article 6 de la directive 76/207.

37

Dès lors, il y a lieu de constater que, à l’instar de l’article 6 de la directive 76/207 et afin que le préjudice subi du fait d’une discrimination fondée sur le sexe soit effectivement réparé ou indemnisé de manière dissuasive et proportionnée, l’article 18 de la directive 2006/54 impose aux États membres qui choisissent la forme pécuniaire d’introduire dans leur ordre juridique interne des mesures prévoyant le versement à la personne lésée de dommages et intérêts couvrant intégralement le préjudice subi, selon des modalités qu’ils fixent, mais ne prévoit pas le versement de dommages et intérêts punitifs.

38

Par ailleurs, l’article 25 de la directive 2006/54 énonce que les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées conformément à cette directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer l’application de ces sanctions. Cet article prévoit également que les sanctions, qui «peuvent comprendre le versement d’indemnités à la victime», doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.

39

Par conséquent, alors que l’article 18 de la directive 2006/54 vise à imposer l’indemnisation ou la réparation du préjudice subi par la personne lésée, il résulte du libellé de l’article 25 de cette directive que celui‑ci confère aux États membres la faculté d’adopter des mesures visant à sanctionner la discrimination fondée sur le sexe sous la forme d’indemnités octroyées à la victime.

40

Ainsi, l’article 25 de la directive 2006/54 permet, mais n’impose pas, aux États membres de prendre des mesures prévoyant le versement de dommages et intérêts punitifs à la victime d’une discrimination fondée sur le sexe.

41

Dans le même sens, l’article 27, paragraphe 1, de cette directive énonce que les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables à la protection du principe de l’égalité de traitement que celles qui sont prévues par ladite directive.

42

En l’occurrence, la juridiction de renvoi relève que la notion de «dommages et intérêts punitifs» n’existe pas en droit espagnol.

43

Dans ces conditions, en l’absence de disposition du droit national permettant le versement de dommages et intérêts punitifs à une personne lésée par une discrimination fondée sur le sexe, l’article 25 de la directive 2006/54 ne prévoit pas que le juge national puisse de lui‑même prononcer la condamnation de l’auteur de cette discrimination à de tels dommages et intérêts.

44

Il convient d’ajouter que, à supposer qu’un État membre décide d’adopter des mesures permettant d’attribuer des dommages et intérêts punitifs à la personne discriminée, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de fixer les critères permettant de déterminer l’étendue de la sanction, pour autant que les principes d’équivalence et d’effectivité sont respectés (voir, par analogie, arrêts Manfredi e.a., C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 92; Donau Chemie e.a., C‑536/11, EU:C:2013:366, points 25 à 27, ainsi que Hirmann, C‑174/12, EU:C:2013:856, point 40).

45

Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que l’article 18 de la directive 2006/54 doit être interprété en ce sens que, afin que le préjudice subi du fait d’une discrimination fondée sur le sexe soit effectivement réparé ou indemnisé de manière dissuasive et proportionnée, cet article impose aux États membres qui choisissent la forme pécuniaire d’introduire dans leur ordre juridique interne, selon des modalités qu’ils fixent, des mesures prévoyant le versement à la personne lésée de dommages et intérêts couvrant intégralement le préjudice subi.

Sur les dépens

46

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

 

L’article 18 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que, afin que le préjudice subi du fait d’une discrimination fondée sur le sexe soit effectivement réparé ou indemnisé de manière dissuasive et proportionnée, cet article impose aux États membres qui choisissent la forme pécuniaire d’introduire dans leur ordre juridique interne, selon des modalités qu’ils fixent, des mesures prévoyant le versement à la personne lésée de dommages et intérêts couvrant intégralement le préjudice subi.

 

Signatures


( * )   Langue de procédure: l’espagnol.

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