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Document 62009CC0401

    Conclusions de l'avocat général Mengozzi présentées le 27 janvier 2011.
    Evropaïki Dynamiki - Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE contre Banque centrale européenne (BCE).
    Pourvoi - Recevabilité - Procuration - Consortium - Marchés publics - Procédure négociée - Services de conseil et de développement informatiques - Rejet de l’offre - Règlement de procédure du Tribunal - Intérêt à agir - Motif d’exclusion - Autorisation prescrite par le droit national - Obligation de motivation.
    Affaire C-401/09 P.

    Recueil de jurisprudence 2011 I-04911

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2011:31

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. PAOLO MENGOZZI

    présentées le 27 janvier 2011 (1)

    Affaire C‑401/09 P

    Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE

    contre

    Banque centrale européenne

    «Pourvoi – Marché public de services – Banque centrale européenne – Groupement d’entreprises – Droit de recours individuel des membres d’un consortium – Contrôle juridictionnel sur l’application du droit national par des institutions de l’Union»





    1.        Par le présent pourvoi, la société Evropaïki Dynamiki (ci-après, également, la «requérante») demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal du 2 juillet 2009, Evropaïki Dynamiki/BCE (T-279/06) (2). Par cette ordonnance, le Tribunal a rejeté, comme étant en partie manifestement dépourvu de tout fondement en droit et en partie manifestement irrecevable, le recours formé par la requérante contre la lettre de la Banque centrale européenne (BCE) du 31 juillet 2006 l’informant que son offre n’avait pas été retenue dans le cadre d’une procédure de marché public pour la fourniture de services informatiques.

    I –    Cadre juridique

    A –    Le droit de l’Union

    1.      Le régime juridique des marchés publics de la BCE

    2.        Les marchés publics de la BCE étaient, à l’époque des faits, régis par la circulaire administrative n° 8/2003, du 16 septembre 2003. Ni les directives en matière de marchés publics, destinées, par leur nature même, aux États membres, ni les règles applicables aux institutions, notamment celles contenues dans le règlement portant règlement financier (3) et dans le règlement en établissant les modalités d’exécution (4), ne trouvaient directement application.

    3.        Les dispositions de la circulaire administrative ne sont pas directement pertinentes dans le cadre du présent pourvoi: aussi nous limiterons-nous à les mentionner, lorsque cela s’avérera nécessaire, dans la suite des présentes conclusions.

    2.      Le règlement de procédure du Tribunal

    4.        L’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal dispose:

    «Si une partie demande que le Tribunal statue sur l’irrecevabilité, l’incompétence ou sur un incident, sans engager le débat au fond, elle présente sa demande par acte séparé.

    La demande contient l’exposé des moyens de fait et de droit sur lesquels elle est fondée, les conclusions et, en annexe, les pièces invoquées à l’appui.»

    B –    Le droit allemand

    5.        Ainsi que nous le verrons dans la reconstitution des faits de la présente affaire, la solution du présent litige dépend, en partie, de l’application de certaines dispositions du droit national applicable au contrat que la BCE entendait conclure avec le soumissionnaire retenu dans le cadre du marché public en cause. Il s’agit, plus précisément, de la loi du 7 août 1972 relative à la mise à disposition de personnel (Arbeitnehmerüberlassungsgesetz, ci-après également l’«AÜG»).

    6.        L’article 1er de l’AÜG prévoit, en particulier, comme suit:

    «1. Les employeurs qui entendent, à titre commercial, mettre à la disposition […] de tiers […] du personnel, en vue de l’exécution de prestations, doivent être en possession de l’autorisation.

    […]»

    II – Les faits

    7.        Le 19 juillet 2005, la BCE a publié un avis (5) relatif à une procédure négociée pour la «fourniture de services de conseil et de développement» (6) en matière informatique.

    8.        Dans sa version initiale, l’avis excluait, au point III.1.3, la possibilité de participer à la procédure pour les groupements d’entreprises et les consortiums. Toutefois, le 11 août 2005, un corrigendum (7) a été publié, qui a modifié ce point, en admettant la participation tant de consortiums que de groupements momentanés d’entreprises.

    9.        La requérante a participé à la procédure, en tant que membre du consortium E2Bank, constitué par elle-même et par la société italienne Engineering Ingegneria Informatica SpA.

    10.      Les documents adressés par la BCE aux participants, en particulier l’appel d’offres et différentes annexes y relatives, indiquaient, notamment, l’obligation pour tous les soumissionnaires de posséder l’autorisation prévue à l’article 1er de l’AÜG (ci-après l’«autorisation»).

    La possession de cette autorisation n’aurait toutefois été nécessaire qu’au moment, le cas échéant, de la signature du contrat: l’offre du consortium E2Bank a par conséquent été considérée complète et régulière, dès lors que, quand bien même les deux sociétés qui le composaient n’étaient pas en possession du document en question, elles s’étaient engagées à l’obtenir en temps utile.

    11.      Le consortium E2Bank a passé avec succès la première phase de la procédure d’adjudication et a été classé dans la «shortlist» des meilleurs soumissionnaires. Cependant, par la suite, son offre a été placée en quatrième position et, par conséquent, elle a été exclue de la phase finale de la sélection, réservée aux trois meilleurs soumissionnaires. La requérante en a été informée par une lettre du 31 juillet 2006 qu’elle a attaquée devant le Tribunal.

    III – Le recours devant le Tribunal et la décision attaquée

    12.      Le recours formé devant le Tribunal par la requérante, agissant pour le compte du consortium E2Bank, s’articulait autour de huit moyens.

    13.      Avant de procéder à l’examen des moyens de la requérante, le Tribunal a rejeté l’exception d’irrecevabilité de la BCE, tirée d’un prétendu défaut d’intérêt à agir de la requérante, résultant du fait que celle-ci n’était pas en possession de l’autorisation de mise à disposition temporaire de personnel et que, ainsi qu’elle admettait elle-même, elle n’aurait jamais pu l’obtenir. Le Tribunal a relevé que l’un des moyens que faisait valoir la requérante avait précisément trait à l’obligation de posséder ladite autorisation: partant, il convenait de juger le recours recevable, en ce qu’il visait, précisément, à voir écarter la condition relative à l’autorisation.

    14.      Le Tribunal est donc passé à l’examen des moyens du recours, en commençant par le dernier de ceux-ci, à savoir celui tiré d’une prétendue illégalité de la clause relative à l’obligation de posséder l’autorisation. Dans le cadre de son recours formé devant le Tribunal, la requérante a non seulement soutenu que cette condition était illégale, mais également affirmé avoir réalisé, au cours de la procédure, ne pas pouvoir obtenir d’autorisation. En effet, les autorités allemandes, dans le cas d’entreprises établies à l’étranger, ne délivreraient d’autorisation qu’aux entreprises en étant déjà en possession dans leur pays d’origine, alors que, en application du droit de l’État membre d’établissement de la requérante (la Grèce), cette autorisation ne serait délivrée qu’aux entreprises opérant exclusivement sur le marché du travail intérimaire. L’activité exclusive de la requérante n’étant pas la fourniture de personnel intérimaire, elle n’aurait jamais pu obtenir d’autorisation en Grèce ni, par conséquent, en Allemagne.

    15.      Dans son examen de ce moyen, après avoir rappelé qu’il était clairement indiqué dans les documents de la procédure que le contrat serait régi par le droit allemand, ce que la requérante n’avait aucunement contesté, le Tribunal a jugé que la BCE avait correctement interprété le droit national en cause, considérant que le droit allemand imposait effectivement, pour la mise en œuvre des activités indiquées dans l’avis de marché, la possession de l’autorisation. Concernant les difficultés résultant du fait que la requérante était établie en Grèce et qu’elle n’aurait pas pu, par conséquent, obtenir d’autorisation de la part des autorités allemandes, le Tribunal a observé que l’on ne saurait, dans le cadre d’un recours en annulation formé sur la base de l’article 230 CE, apprécier la nature éventuellement discriminatoire ou, plus généralement, l’incompatibilité, avec le droit de l’Union, d’une disposition nationale.

    16.      Ayant ainsi rejeté le huitième moyen, le Tribunal a observé que, ainsi qu’elle l’avait elle-même admis, la requérante n’aurait pas pu obtenir l’autorisation de mettre à disposition du personnel intérimaire. Par conséquent, la question de la légalité de cette clause étant tranchée, il n’y avait plus lieu de procéder à l’examen des sept autres moyens du recours, dès lors que ces moyens ne pouvaient, en tout état de cause, déboucher sur l’adjudication du marché en faveur de la requérante, à défaut de l’autorisation en question. Par conséquent, le Tribunal a déclaré que les sept premiers moyens du recours étaient manifestement irrecevables. Partant, le recours a été rejeté dans son intégralité.

    IV – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

    17.      Le présent pourvoi a été déposé au greffe le 3 octobre 2009. Par son pourvoi, la requérante, agissant pour le compte du consortium E2Bank, conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

    –        annuler l’ordonnance attaquée;

    –        annuler les actes par lesquels la BCE a exclu la requérante de la procédure et attribué le marché à un autre soumissionnaire;

    –        condamner la BCE aux dépens, en ce compris les dépens en première instance.

    18.      La BCE conclut en revanche à ce qu’il plaise à la Cour:

    –        rejeter le pourvoi;

    –        condamner la requérante aux dépens.

    V –    Sur la recevabilité du pourvoi

    19.      La BCE a soulevé une exception d’irrecevabilité du pourvoi. Pour des raisons évidentes, nous nous attacherons, en tout premier lieu, à l’examen de cette fin de non-recevoir.

    A –    Arguments des parties

    20.      La BCE soutient que le mandat conféré à la requérante par l’autre société composant le consortium E2Bank pour agir en justice, lequel a été déposé avec la requête en première instance, est limité à la procédure devant le Tribunal et, partant, qu’il ne vaudrait pas également pour la procédure devant la Cour. Par conséquent, la requérante ne serait pas titulaire des droits lui permettant de former un pourvoi pour le compte du consortium.

    21.      En outre, selon la BCE, les membres d’un groupement d’entreprises ne jouiraient pas du droit autonome d’agir individuellement contre les décisions qui concernent le groupement dans son ensemble. Evropaïki Dynamiki ne saurait donc former un pourvoi à titre individuel, en tant que simple membre du consortium.

    22.      Par conséquent, il y aurait lieu de considérer le pourvoi comme étant irrecevable dans son ensemble.

    23.      Dans le cadre de son mémoire en réplique, la requérante conteste les deux volets de l’exception d’irrecevabilité de la BCE.

    24.      D’une part, le mandat conféré à la requérante ne serait aucunement limité à la seule procédure devant le Tribunal, mais comprendrait également, le cas échéant, une procédure en seconde instance.

    25.      D’autre part, les membres composant un consortium jouiraient d’un droit autonome d’agir contre les actes qui causent un préjudice au consortium même. En outre, la requérante souligne que le consortium E2Bank était dénué de personnalité juridique et qu’elle en tenait le rôle de chef de file, alors que l’autre société occupait une position tout à fait subordonnée, comparable à celle d’un sous-traitant.

    B –    Appréciation

    26.      À notre sens, il n’y a pas lieu d’accueillir l’exception d’irrecevabilité de la BCE. Nous en exposerons les raisons, en traitant, séparément, de l’interprétation du mandat en cause et de la question du droit de recours individuel des membres d’un groupement d’entreprises.

    1.      L’interprétation du mandat de la requérante

    27.      En premier lieu, les termes du mandat de la requérante, du 11 septembre 2006, n’excluent pas, de manière catégorique, la possibilité que celui-ci vaille non seulement pour la procédure devant le Tribunal, mais également, le cas échéant, pour un pourvoi devant la Cour.

    28.      Certes, dans la première partie du mandat, la société Evropaïki Dynamiki est autorisée à «entreprendre toutes les actions nécessaires, en son nom ou pour le compte du consortium E2Bank, par l’intermédiaire des avocats de son choix, devant le Tribunal de première instance». Toutefois, il est précisé, tout de suite après, que «le présent mandat […] restera valide tant qu’il sera nécessaire pour mener à terme toutes les actions, conformément aux dispositions applicables».

    29.      Il est manifeste qu’une telle formulation n’est pas des plus heureuses. Toutefois, la présence de la clause finale, qui fait référence à l’aboutissement de toutes les actions, ne permet pas d’exclure, de manière absolue, la validité du mandat pour un pourvoi formé devant la Cour. Du point de vue d’un participant à une procédure d’appel d’offres entendant former un recours, la référence au Tribunal peut également s’interpréter comme une indication générique, quasiment tautologique, indiquant la juridiction devant laquelle le recours doit être présenté au commencement d’une procédure pouvant s’achever, en cas de pourvoi, devant la Cour. Dans cette perspective, la clause finale peut être interprétée comme une confirmation de la validité du mandat aux deux niveaux juridictionnels.

    30.      Partant, nous estimons que le mandat conféré à la requérante pour agir pour le compte du consortium E2Bank peut être considéré comme étant également valide pour un pourvoi devant la Cour.

    2.      Sur le pouvoir des membres d’un groupement d’exercer un recours

    31.      Au cas où la Cour devrait ne pas partager l’interprétation large du mandat que nous avons suggérée dans les points précédents et, en tout état de cause, aux fins d’exhaustivité, il convient d’examiner la question de la possibilité, pour les membres d’un groupement d’entreprises, en général, d’exercer un recours, de manière autonome, contre un acte adressé au groupement.

    32.      Il ne s’agit pas là d’une question tout à fait nouvelle, mais d’une question sur laquelle la Cour n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer dans des circonstances telles que celles de la présente affaire. En effet, à ce jour, les décisions ont porté, essentiellement, sur la question de la compatibilité de règles nationales en la matière avec la directive 89/665/CEE (8) (ladite «directive recours»).

    33.      Dans ce contexte, la Cour a eu l’occasion de juger compatibles avec le droit communautaire tant une disposition nationale n’admettant que le recours formé par la totalité des membres d’une association momentanée d’entreprises (9) qu’une disposition nationale admettant, au contraire, également le recours formé par un seul des membres d’une association d’entreprises (10). Et ce dès lors que la directive 89/665 se limite à établir les «conditions minimales auxquelles doivent répondre les procédures de recours instaurées dans les ordres juridiques nationaux, afin de garantir le respect des prescriptions du droit communautaire en matière de marchés publics» (11).

    34.      En revanche, pour ce qui est des recours en réparation, il a été jugé que le droit de l’Union exige que soit reconnu un droit de recours individuel à chaque membre d’une association momentanée (12).

    35.      La directive recours n’est pas applicable, en tant que telle, aux marchés publics des institutions ou de la BCE, dès lors qu’il s’agit d’un acte dont les destinataires sont les États membres. Toutefois, cette directive consacre, dans un domaine particulier, le droit à une protection juridictionnelle effective, lequel constitue un principe général du droit de l’Union (13). Ce principe est désormais également consacré, ainsi qu’il est bien connu, à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, laquelle possède, en application de l’article 6 TUE, la même valeur juridique que les traités (14).

    36.      À cet égard, il convient de relever que la directive recours exprime, en général, la volonté claire et manifeste de favoriser la possibilité d’exercer un recours. Cette directive fixe un niveau minimal de protection juridictionnelle devant être reconnu, tout en permettant ainsi aux États membres de garantir, ainsi qu’on l’a vu ci-dessus, un droit de recours reconnu à un ensemble plus large de justiciables. Du reste, cela ressort manifestement de la seule lecture du texte, dont l’article 1er prévoit que la possibilité d’un recours doit être assurée «au moins» à toute personne destinataire d’une mesure qui lui est défavorable (15).

    37.      Dans la présente affaire, il ne fait aucun doute que le destinataire de l’acte attaqué est le consortium dans son ensemble, à l’instar des associations momentanées dans les arrêts de la Cour précités. Il n’en demeure pas moins qu’il n’y a pas de doute sur le fait que la société Evropaïki Dynamiki, en tant que membre du consortium, a un intérêt à obtenir l’annulation d’un acte qui, selon ses dires, a causé illégalement un préjudice au consortium auquel elle appartenait.

    38.      Or, à défaut de limitation expresse du droit de recours, nous estimons qu’il y a lieu de reconnaître un tel droit non seulement au consortium en tant que tel, mais également à chaque entreprise y participant. Si le législateur avait entendu réserver le droit de recours, dans l’hypothèse de marchés publics des institutions de l’Union, au seul consortium dans son ensemble, il aurait dû prévoir des dispositions expresses en ce sens. Dès lors, à défaut de telles dispositions, le principe privilégiant le droit de recours doit prévaloir.

    39.      Du reste, dans l’ordonnance précitée rendue dans l’affaire Consorzio Elisoccorso San Raffaele, la Cour a souligné qu’une disposition nationale qui permet à chacun des membres d’un consortium d’agir en annulation, loin d’être contraire à la directive recours, permet d’en poursuivre les objectifs (16).

    40.      Il convient également de ne pas négliger le fait que, en l’espèce, pour ce qu’il nous est donné d’en connaître, le consortium était dénué de personnalité juridique. Dans de telles circonstances, le droit de recours individuel d’une société membre du consortium pourrait s’en trouver renforcé par la nature «transparente» du consortium (17).

    41.      À notre sens, il ne convient pas d’accueillir l’objection de la BCE, selon laquelle reconnaître un droit de recours individuel aux membres d’un consortium impliquerait un risque inacceptable de décisions juridictionnelles contradictoires. En effet, toute situation juridique recèle un risque de susciter différentes décisions judiciaires, voire des décisions contradictoires. En outre, il résulte de l’économie de la directive recours que son objectif principal est de parvenir, dans la plus large mesure possible, à l’annulation de procédures irrégulières; or, un tel objectif semble plus aisé à poursuivre par une interprétation large, plutôt que restrictive, du droit de recours.

    42.      À notre sens, on ne saurait non plus faire valoir que les éventuels participants du consortium pourraient ne plus avoir intérêt à agir, en ce sens qu’admettre le recours individuel d’un membre risquerait d’engager une procédure ne répondant pas (ou plus) aux intérêts des autres membres du consortium. Une telle objection, qui a déjà été rejetée par la Cour (18), pourrait, en tout état cause, également valoir à l’encontre de la thèse de la BCE. En effet, si le désaccord d’un des membres du consortium sur l’exercice d’un recours pouvait également lier tous les autres membres, la porte serait ouverte à certains abus, en ce sens que l’adjudicataire du marché public en cause pourrait toujours empêcher l’exercice d’un recours, en faisant en sorte qu’au moins l’un des membres des consortiums concurrents n’ait plus intérêt à agir, et ce, notamment, par le biais d’une offre de sous-traitance de la part de celui ayant remporté l’appel d’offres.

    43.      En conclusion, même si le mandat conféré à Evropaïki Dynamiki par le consortium E2Bank devait être interprété comme n’étant valide que pour la procédure devant le Tribunal, il y aurait lieu, en tout état de cause, de reconnaître à la requérante la capacité d’agir de manière autonome contre une décision concernant le consortium dont celle-ci faisait partie.

    44.      Partant, le pourvoi doit être considéré comme étant recevable.

    VI – Sur le fond

    45.      Au soutien de son pourvoi, la requérante fait valoir quatre moyens, tirés, respectivement, d’une violation de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal, d’une interprétation erronée de la notion d’intérêt à agir, de l’application de la législation allemande en matière de travail intérimaire et d’une violation de l’obligation de motivation. Nous nous proposons de traiter des moyens dans l’ordre qui nous semble le plus approprié pour avancer le plus logiquement nos arguments. Aussi l’examen du troisième moyen précédera-t-il celui du deuxième.

    A –    Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal

    1.      Arguments des parties

    46.      Par le premier moyen de son pourvoi, Evropaïki Dynamiki soutient que le Tribunal a violé l’article 114 de son règlement de procédure, en considérant que l’exception d’irrecevabilité de la BCE était recevable, alors qu’elle n’avait pas été présentée par acte séparé.

    47.      La BCE considère que ce moyen n’est pas fondé, dès lors que l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal requiert de soulever une exception d’irrecevabilité par acte séparé seulement lorsqu’il est demandé au Tribunal de se prononcer sur cette question de manière séparée par rapport au fond de l’affaire.

    2.      Appréciation

    48.      À titre préliminaire, il convient de s’interroger sur la recevabilité de ce moyen. En effet, ce moyen ne vise pas à obtenir une modification du dispositif de l’ordonnance attaquée. Sur le plan pratique, en effet, rejeter une exception d’irrecevabilité, ainsi que l’a fait le Tribunal, ou la déclarer irrecevable, ce que la requérante considère qu’il y avait lieu de faire, débouche sur le même résultat.

    49.      Dans l’arrêt France/Comafrica e.a., la Cour a accepté que la partie qui a vu son exception d’irrecevabilité rejetée par le Tribunal puisse former un pourvoi contre cette partie de l’arrêt quand bien même elle aurait obtenu gain de cause sur le fond (19). Toutefois, en l’espèce, la partie qui demande de modifier l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté l’exception d’irrecevabilité n’est pas celle qui l’a soulevée (la BCE), mais la requérante, selon laquelle l’exception aurait dû être déclarée irrecevable.

    50.      Or, du point de vue de la requérante, il nous semble que le fait qu’une exception d’irrecevabilité soit déclarée irrecevable équivaut à son rejet. Si l’on considère que, dans le cadre d’une même affaire, la question de la recevabilité et celle du fond font l’objet de deux décisions distinctes, on voit bien que la présente situation et celle dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt France/Comafrica e.a., précité, sont différentes. Ainsi, alors que, dans cette dernière affaire, le pourvoi visait à obtenir une nouvelle décision sur la recevabilité (recours jugé irrecevable plutôt que rejeté sur le fond), dans la présente affaire, la décision sur la recevabilité resterait inchangée (rejet de l’exception d’irrecevabilité pour irrecevabilité plutôt que pour défaut de fondement). En d’autres termes, accueillir, le cas échéant, ce moyen ne changerait en rien le fait que l’exception d’irrecevabilité serait rejetée.

    51.      Partant, nous sommes enclin à considérer que la requérante ne saurait utilement invoquer le premier moyen de son pourvoi. En particulier, il nous semble que la présente situation s’avère, sous certains aspects, analogue à celle dans laquelle celui qui a obtenu gain de cause sur le fond dans une affaire reproche au juge de première instance d’avoir omis de statuer sur son exception d’irrecevabilité. Il est bien connu que, dans de telles hypothèses, la jurisprudence de la Cour n’admet pas l’existence d’un intérêt à agir (20). Et ce, en effet, à défaut d’une décision sur l’irrecevabilité qui puisse être modifiée. Dans la présente affaire, certes, une décision a été prise sur l’irrecevabilité, mais il n’est pas demandé à ce qu’elle soit renversée. Seule la partie qui a succombé sur cette question serait en mesure de pouvoir contester la décision à cet égard, à savoir la BCE.

    52.      Ainsi, nous estimons que le premier moyen doit être considéré comme étant irrecevable.

    53.      En tout état de cause, indépendamment de la question de sa recevabilité, le moyen est non fondé. En effet, il y a lieu d’observer que l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal, de même que l’article 91 du règlement de procédure de la Cour, n’exige pas que toute exception d’irrecevabilité soit présentée par acte séparé. Au contraire, la présentation par acte séparé n’est nécessaire, ainsi qu’il résulte clairement de ces dispositions, que dans le cas où la partie qui la présente entend demander au juge de se prononcer sur la recevabilité «sans engager le débat au fond». Cela se reflète d’ailleurs dans la pratique tant du Tribunal que de la Cour, dont il résulte qu’il est fréquent que des exceptions d’irrecevabilité soulevées dans des pièces que les parties ont produites à titre de défense sont destinées à être traitées avec le fond de l’affaire.

    54.      Partant, le premier moyen du pourvoi doit être rejeté.

    B –    Sur le troisième moyen, tiré de l’obligation de posséder l’autorisation de fournir du personnel temporaire

    1.      Arguments des parties

    55.      Par le troisième moyen de son pourvoi, la requérante soutient que le Tribunal a, à tort, validé l’obligation, imposée par la BCE aux contractants, de posséder ou de se munir de l’autorisation prévue par la législation allemande pour fournir du personnel temporaire. La requérante affirme que, en réalité, la législation allemande n’impose aucune formalité de ce type dans une situation comme celle de la présente affaire. La requérante aurait déjà conclu d’autres contrats avec la même BCE et on ne lui aurait jamais imposé auparavant de se munir d’une telle autorisation.

    56.      Pour sa part, la BCE soutient, au contraire, qu’une partie des prestations à fournir dans le cadre de l’exécution du contrat relevait clairement du champ d’application de l’AÜG, avec pour conséquence l’obligation, incombant aux fournisseurs de personnel temporaire, d’être en possession de l’autorisation. Partant, le Tribunal n’aurait commis aucune erreur à cet égard.

    2.      Appréciation

    a)      Sur la recevabilité du moyen

    57.      Quand bien même les parties n’ont pas soulevé cette question, il convient, en tout premier lieu, de s’interroger sur la recevabilité de ce moyen, lequel reprend, en substance, le huitième moyen avancé devant le Tribunal.

    58.      À cet égard, nous ne nous référons pas ici à l’irrecevabilité qui, selon la défense de la BCE en première instance, aurait caractérisé le recours de la requérante dans son ensemble du fait du défaut de possession de l’autorisation de la part de sa dernière. Ainsi que nous l’avons déjà vu, cette exception a été, à juste titre, rejetée par le Tribunal.

    59.      L’irrecevabilité dont il y a lieu de traiter ici concerne spécifiquement le moyen relatif à l’obligation de posséder l’autorisation et dérive du fait que, ainsi qu’il est clairement établi et qu’il n’est pas contesté par les parties, la requérante n’a pas été exclue de la procédure en raison du défaut de possession de l’autorisation. Ainsi que nous l’avons vu en reconstituant les faits à l’origine du litige, en effet, le consortium dont faisait partie Evropaïki Dynamiki n’a jamais été exclu de la procédure pour non-respect des conditions de l’avis, dès lors que la possession de l’autorisation n’aurait été nécessaire qu’au moment de la conclusion, le cas échéant, du contrat avec la BCE. En revanche, ce qui est survenu, après la première phase de sélection des candidats, à laquelle la requérante avait été admise, est que son offre n’a pas été considérée comme l’une des trois meilleures qui ont été retenues pour la phase finale de la sélection.

    60.      Ainsi, le Tribunal aurait pu considérer que, dès lors que les conditions de l’avis imposant la possession de l’autorisation n’avaient, en pratique, causé aucun préjudice à la requérante, cette dernière n’avait aucun intérêt à les contester. À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence consolidée, le juge de l’Union peut vérifier, même d’office, l’existence d’un intérêt à agir (21).

    61.      Toutefois, à la lumière des circonstances de la présente affaire, nous estimons que c’est à juste titre que le Tribunal a traité du fond de ce moyen. Il y a, en effet, lieu d’observer qu’une éventuelle déclaration d’irrecevabilité du huitième moyen du recours formé devant le Tribunal aurait eu, en tout état de cause, l’effet de faire déclarer irrecevables les sept premiers moyens, dès lors que la requérante avait indiqué dans sa requête même qu’elle n’aurait pas pu se procurer l’autorisation de fournir du personnel temporaire. En d’autres termes, une situation paradoxale serait apparue, dans laquelle certains moyens (les sept premiers) auraient été déclarés irrecevables, pour défaut du respect d’une obligation, faisant l’objet du huitième moyen, qui n’aurait pu être contestée, dès lors qu’elle n’avait pas, concrètement, causé de préjudice à la requérante.

    62.      Ainsi, quand bien même le consortium auquel appartenait Evropaïki Dynamiki n’a pas été exclu de la procédure en raison du non-respect de l’obligation d’obtenir l’autorisation, c’est à juste titre que le Tribunal a examiné le huitième moyen sur le fond  (22).

    b)      Sur le fond

    63.      Quand bien même cette question n’a pas été débattue par les parties de manière explicite et approfondie, l’examen, sur le fond, du troisième moyen nous amène à formuler certaines considérations sur le type de contrôle que la Cour peut exercer, de manière générale, sur l’application de règles de droit national de la part des institutions de l’Union. En substance, le présent moyen a trait, en effet, ainsi qu’on l’a vu, à l’interprétation de la législation allemande sur la fourniture de personnel temporaire.

    i)      Considérations d’ordre général sur le droit national devant le juge de l’Union

    64.      Les marchés publics des institutions de l’Union relèvent sans nul doute des domaines dans lesquels il est le plus aisé d’observer des imbrications entre le droit de l’Union et les législations nationales. De manière générale, en effet, dans les procédures d’appel d’offres des institutions, des clauses sont souvent prévues quant au respect de la législation nationale de l’État sur le territoire duquel les activités qui font l’objet du marché public doivent être mises en œuvre (23). À défaut de dispositions dans les traités ou dans les protocoles qui y sont annexés prévoyant des exceptions ou des règles particulières à cet égard, on ne voit pas comment, du reste, les institutions de l’Union pourraient se soustraire à l’application des règles en vigueur là où elles opèrent. On peut également observer que le règlement portant modalités d’exécution du règlement financier (dont il convient de rappeler qu’il n’est pas applicable en l’espèce), tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) n° 478/2007 (24), prévoit, à l’article 130, paragraphe 4, sous c), que, «lorsque les institutions sont les pouvoirs adjudicateurs, la loi applicable au contrat est le droit communautaire, complété, si nécessaire, par le droit national spécifié dans le contrat» (25).

    65.      Le contrat que le soumissionnaire retenu aurait conclu avec la BCE dans la présente affaire comprenait deux types d’activités clairement distinctes. L’une était la fourniture classique de services de conseil et de développement, alors que l’autre concernait, en revanche, la fourniture de personnel destiné à être mis à la disposition de la BCE, sur la base des exigences spécifiques précisées au fur et à mesure par cette dernière, pour exécuter certaines tâches à son siège. La nécessité de posséder l’autorisation prévue par l’AÜG se rattache, bien sûr, à ce second type d’activités.

    66.      L’examen du présent moyen exige donc du juge de l’Union, dans une certaine mesure, d’interpréter une législation nationale, en l’occurrence le droit allemand. Or, force est de constater qu’il s’agit là d’une question sensible. Depuis son origine, en effet, la Cour a déclaré, très clairement, que son rôle était d’interpréter le droit communautaire et non le droit national (26). En outre, le statut de la Cour de justice prévoit, de manière explicite, à l’article 58, que l’arrêt sur pourvoi formé contre des décisions du Tribunal devant la Cour peut être fondé, outre sur l’incompétence du Tribunal ou sur des irrégularités de procédure, sur la violation du droit de l’Union par le Tribunal. D’autre part, toutefois, le fait même qu’une procédure de marché public organisée par une institution puisse contenir des références à un droit national rend inévitable que les juridictions de l’Union l’appréhendent. De plus, nous sommes ici en présence d’une situation dans laquelle le juge de l’Union n’est pas appelé à appliquer le droit national en cause, mais seulement à en vérifier l’interprétation qui en a été faite par une institution de l’Union, à une phase (celle de la procédure administrative d’adjudication) dans laquelle les juridictions nationales ne sauraient intervenir. La question se pose dès lors de savoir quelle approche adopter (27).

    67.      Une approche possible ressort d’une jurisprudence du Tribunal, qui se retrouve, dans une certaine mesure, dans l’ordonnance attaquée, selon laquelle le contrôle des juges de l’Union ne s’étend pas à l’interprétation ou à l’application du droit national en tant que telles, mais se limite à la vérification du fait que l’institution concernée n’ait pas commis d’erreur grave et manifeste dans l’interprétation des dispositions nationales dont le respect s’impose dans le cadre de l’exécution du marché public (28). Toutefois, cette jurisprudence ne nous semble pas totalement convaincante, dès lors qu’elle risque de rendre, au moins partiellement, exempts de tout contrôle juridictionnel certains éléments de la pratique administrative des institutions communautaires.

    68.      Il convient au demeurant d’observer que, en général, le juge de l’Union est souvent appelé à interpréter le droit national d’un État membre.

    69.      En premier lieu, il en est ainsi, de toute évidence, dans le cadre d’un recours en manquement, lequel implique une appréciation sur une violation possible du droit de l’Union par une législation nationale. Dans ce cas, il est évident que la législation nationale en cause doit être appréciée et donc interprétée.

    70.      En second lieu, l’article 272 TFUE, correspondant au précédent article 238 CE, confère compétence à la Cour «pour statuer en vertu d’une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé passé par l’Union ou pour son compte». Dans ces hypothèses, il est tout à fait normal que le juge de l’Union interprète le droit national applicable, en tenant éventuellement compte de la jurisprudence nationale pertinente (29).

    71.      Dans la présente affaire, le contrôle juridictionnel porte sur un acte d’une institution de l’Union. Dans un tel contexte, nous considérons que, même avec toutes les réserves de l’espèce, le juge de l’Union ne saurait se soustraire à l’obligation d’examiner la totalité des actes administratifs qui font l’objet de son contrôle, en ce comprise la partie de ceux-ci dans laquelle une appréciation du droit national a été effectuée.

    72.      En particulier, il nous semblerait réducteur de considérer que l’interprétation du droit national par des institutions ne puisse être contrôlée par le juge de l’Union que pour vérifier d’éventuelles dénaturations ou erreurs manifestes. À notre sens, lorsque le droit national a été incorporé par une institution dans son acte juridique, ce droit national devient partie intégrante du cadre juridique que le juge de l’Union doit considérer dans son appréciation.

    73.      Cela ne saurait affecter le principe selon lequel l’interprète naturel du droit national est, bien évidemment, le juge national. Cette sorte d’«incorporation» du droit national dans le droit de l’Union, que nous avons décrite dans le point précédent, procède de l’inclusion du droit national dans un acte d’une institution ou d’un autre organe de l’Union et ne vaut seulement que pour ce cas spécifique, sans qu’il n’y aucunement lieu d’en généraliser la portée. De plus, ainsi que nous l’avons déjà observé, l’objet du contrôle juridictionnel du juge de l’Union, en l’espèce, n’est pas le droit national en tant que tel, mais seulement l’acte juridique d’un organe de l’Union qui contient, en son sein, une appréciation ou une interprétation du droit national.

    74.      En outre, dans le cadre de son interprétation et de son application du droit national, le juge de l’Union devra toujours tenir compte de la manière selon laquelle ce droit est interprété et appliqué par les juges de l’État membre dont il émane (30).

    75.      Exclure un contrôle sur l’interprétation par les institutions de l’Union du droit national risquerait, à notre sens, de compromettre également le droit à une protection juridictionnelle effective, lequel constitue un principe général du droit de l’Union désormais également consacré dans la charte des droits fondamentaux (31).

    76.      Ainsi, c’est à bon droit que le Tribunal a examiné en détail la législation allemande appliquée par la BCE, en tenant en outre compte de la jurisprudence nationale en la matière.

    ii)    Sur l’interprétation du droit allemand par le Tribunal

    77.      En l’espèce, nous considérons que l’interprétation par le Tribunal du cadre juridique allemand est convaincante et que les arguments que la requérante fait valoir à son encontre ne sauraient être accueillis.

    78.      La législation allemande en matière de fourniture de main-d’œuvre, telle qu’interprétée dans la jurisprudence nationale, requiert la possession de l’autorisation, contrairement à ce que soutient la requérante, tant de la part de personnes pour lesquelles la fourniture de main-d’œuvre n’est pas l’activité principale (32) que pour celles qui sont établies à l’étranger et qui fournissent de la main-d’œuvre en Allemagne, dès lors qu’aucune exception n’est prévue à cet égard par la législation nationale. On ne saurait ne pas relever que cela s’avère conforme au fait que la Cour ait admis que, eu égard au caractère particulièrement sensible de la mise à la disposition de main-d’œuvre, les États membres peuvent subordonner l’exercice de cette activité sur leur territoire à la possession d’une autorisation nationale spécifique (33).

    79.      Si, par ailleurs, la requérante avait démontré être en possession des conditions pour fournir de la main-d’œuvre en application de la législation d’un autre État membre, en particulier de son État d’établissement (qu’il s’agisse d’une autorisation expresse ou bien d’une autorisation implicite pour tous les opérateurs économiques de cet État), et avait en outre fait valoir l’équivalence de ces conditions par rapport à celles imposées par la législation allemande, au sens de la jurisprudence de la Cour précitée au point précédent, la BCE aurait pu éventuellement devoir s’interroger sur la recevabilité de son offre même à défaut de l’autorisation prévue en droit allemand. Toutefois, la requérante n’a fourni que des indications génériques et a, de fait, nié également être possession de l’autorisation prévue par le droit grec.

    80.      D’autre part, même à vouloir admettre l’existence de doutes sur l’interprétation de la législation allemande, le choix de la BCE d’exiger la possession de l’autorisation ne saurait être critiqué. En effet, dès lors qu’existerait la seule possibilité que l’administration de l’État membre concerné considère l’activité devant être mise en œuvre comme soumise à l’obligation d’autorisation, le comportement de l’institution de l’Union qui en imposerait la possession aux soumissionnaires dans le cadre de la procédure d’appel d’offres s’avérerait, à notre sens, prudent et tout à fait conforme au principe de bonne administration.

    81.      Enfin, il convient d’observer, ainsi que le Tribunal l’a à juste titre relevé dans l’ordonnance attaquée, que le fait que la requérante ait déjà obtenu l’adjudication de marchés publics en Allemagne sans avoir dû se munir de l’autorisation est tout à fait dénué de pertinence. D’une part, ainsi qu’on l’a vu, l’autorisation est nécessaire seulement pour fournir de la main-d’œuvre et non pour de simples prestations de services, lesquelles constituent, sans aucun doute, l’activité la plus commune d’une entreprise telle que la requérante. D’autre part, le fait que des marchés aient été adjugés, par le passé, le cas échéant en violation de la loi, ne saurait en aucun cas justifier que la BCE ne la respecte pas.

    82.      Partant, nous considérons, au terme de notre analyse, que le troisième moyen de la requérante doit également être rejeté.

    C –    Sur le deuxième moyen, tiré d’un intérêt à agir de la requérante, même après le rejet du huitième moyen par le Tribunal

    1.      Arguments des parties

    83.      Par le deuxième moyen de son pourvoi, la requérante soutient que le Tribunal aurait dû examiner les sept premiers moyens du recours, même après avoir rejeté le huitième, et n’aurait pas dû constater un défaut d’intérêt à agir. Il ressortirait en effet de la jurisprudence de la Cour que la notion d’intérêt à agir doit recevoir une interprétation large. La directive recours même corroborerait une telle approche.

    84.      La requérante soutient en outre (34) que, en admettant que le huitième moyen soit rejeté et que la légalité de la condition de l’autorisation soit donc confirmée, l’autorisation aurait pu être obtenue, non de la requérante, mais par l’une de ses filiales établies en Allemagne.

    85.      La BCE soutient, pour sa part, que le raisonnement du Tribunal est correct. Il ressortirait de l’analyse de la législation de même que de la jurisprudence que, dans un cas comme en l’espèce, la requérante n’avait plus intérêt à agir une fois le huitième moyen rejeté, la requérante ayant elle-même reconnu ne pas posséder et ne pas pouvoir obtenir l’autorisation.

    2.      Appréciation

    86.      D’emblée, il convient de relever que c’est à juste titre que le Tribunal a décidé que, en cas de rejet du huitième moyen, il n’y avait plus lieu de se prononcer sur les sept autres moyens. Ainsi qu’il ressort de l’ordonnance attaquée, la jurisprudence est constante sur ce point. Une fois le huitième moyen rejeté et, partant, l’obligation de posséder l’autorisation, pour conclure le contrat, validée, la requérante n’avait plus la possibilité d’obtenir gain de cause dans le cadre de son recours (35).

    87.      On pourrait toutefois se demander si, dans la présente affaire, la question n’est pas de savoir si les sept autres moyens étaient irrecevables pour défaut d’intérêt à agir, mais plutôt inopérants. En effet, en général, il ressort de la jurisprudence qu’est inopérant le moyen qui, même s’il était accueilli, ne saurait produire l’effet recherché par celui qui l’invoque. Le caractère inopérant d’un moyen est indépendant de sa recevabilité (36).

    88.      Cependant, nous estimons que la qualification des sept premiers moyens comme étant irrecevables est préférable à celle d’inopérants. En effet, en général, le caractère inopérant d’un moyen est la conséquence de l’impossibilité qui le caractérise de modifier l’acte attaqué. Ainsi, un exemple typique d’un moyen inopérant réside dans le moyen qui critique un seul élément d’un acte, alors que cet acte peut être basé sur d’autres de ses éléments, notamment sur d’autres éléments de la motivation. En l’espèce, toutefois, les sept premiers moyens, s’ils avaient été accueillis, auraient, certes, pu emporter l’annulation de l’acte et sa substitution par un acte de contenu différent. En tout état de cause, cependant, le défaut d’autorisation aurait eu pour conséquence que, en aucun cas, la requérante n’aurait pu obtenir l’adjudication du marché en cause. En d’autres termes, l’inutilité d’examiner les sept premiers moyens ne résultait pas de la nature de ces moyens, mais de la situation individuelle propre à la requérante.

    89.      D’autre part, même si les sept premiers moyens avaient dû être qualifiés d’inopérants plutôt que d’irrecevables, le deuxième moyen devrait en tout état de cause être rejeté. Il convient en effet de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence que, «si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit communautaire, mais que son dispositif apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, le pourvoi doit être rejeté» (37). En d’autres termes, même si les sept premiers moyens avaient dû être déclarés inopérants, la Cour pourrait se limiter à effectuer une substitution de motifs.

    90.      On ne saurait accueillir l’argumentation de la requérante, selon laquelle elle aurait conservé un intérêt à agir en relation avec les sept premiers moyens, dès lors qu’elle aurait pu en tout état de cause obtenir l’autorisation prévue, en établissant éventuellement une filiale sur le territoire allemand.

    91.      À cet égard, il convient en effet d’observer que, dans le cadre même de son recours devant le Tribunal, la requérante a fait état, en des termes clairs, d’une situation d’impossibilité absolue d’obtenir l’autorisation. En aucun endroit dans le cadre de son recours, la requérante n’a indiqué qu’elle aurait pu en tout état de cause obtenir le document en question ou que l’autre membre du consortium l’aurait pu. Bien au contraire, il ressortait de la requête que l’autorisation n’aurait pas pu être obtenue. Le Tribunal ne saurait être censuré pour avoir traité un moyen tel qu’il lui a été présenté par la requérante, à laquelle il appartient de faire valoir ses arguments de manière diligente et appropriée.

    92.      Partant, le deuxième moyen doit également être rejeté.

    D –    Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

    93.      Le quatrième moyen de la requérante est intitulé «Défaut d’application des dispositions juridiques sur l’obligation de motivation qui s’impose au pouvoir adjudicateur (articles 253 CE, 12, paragraphe 1, de la directive 92/50, 100, paragraphe 2, du règlement financier et 149, paragraphe 2, des modalités d’exécution)». Par ce moyen, la requérante soutient que le Tribunal n’a pas correctement appliqué, dans la présente affaire, les règles relatives à l’obligation de motivation des actes de l’Union, en particulier du fait que la BCE n’aurait pas fourni à la requérante d’informations suffisantes concernant la décision de ne pas considérer son offre comme étant la meilleure.

    94.      Étant formulé en des termes des plus brefs, le moyen de la requérante doit, à notre sens, être jugé irrecevable.

    95.      En premier lieu, il n’est pas clair quelle est la partie de l’ordonnance attaquée qui est critiquée. Ainsi qu’on l’a vu, le Tribunal a limité son appréciation au moyen relatif à l’obligation d’obtenir de la part des autorités allemandes l’autorisation de fournir de la main-d’œuvre, en considérant ainsi que les autres moyens du recours étaient irrecevables. La question de la nature suffisante ou non des informations fournies par la BCE à la requérante n’a pas été – à juste titre – examinée par le Tribunal.

    96.      En second lieu, le moyen est formulé en des termes aussi brefs et confus, d’autant plus qu’il y est fait référence à des dispositions qui, ainsi qu’on l’a vu, ne sont pas applicables en l’espèce, que la Cour ne saurait être en mesure d’en saisir la portée et de statuer à cet égard. Il convient, en particulier, de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence que la seule énonciation abstraite d’un moyen de pourvoi, non étayée d’indications plus précises, ne satisfait pas à l’obligation de motiver le pourvoi (38).

    97.      D’autre part, si, par souci de clémence, il y avait lieu d’interpréter le moyen en ce sens qu’il vise à reprocher au Tribunal de ne pas avoir répondu à certains des arguments que la requérante a fait valoir en première instance (nous pensons, notamment, au cinquième moyen du recours, qui semble, au moins en partie, similaire), il suffirait de renvoyer à ce que nous avons dit plus avant sur l’appréciation, par le Tribunal, des sept premiers moyens du recours en première instance (39). Ainsi que nous l’avons vu, c’est à juste titre que le Tribunal a décidé de ne pas examiner ces moyens sur le fond.

    98.      En conclusion, le quatrième moyen du pourvoi ne saurait donc non plus être accueilli.

    VII – Conclusions

    99.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous suggérons à la Cour de:

    –        rejeter le pourvoi;

    –        condamner la requérante aux dépens.


    1 – Langue originale: l’italien.


    2 – Non publiée au Recueil.


    3 – Règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1).


    4 – Règlement (CE, Euratom) n° 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement n° 1605/2002 (JO L 357, p. 1).


    5 – JO S 137, avis n° 2005/S 137-135354.


    6 – Dans sa version originale en langue anglaise, l’intitulé de l’avis mentionne la «provision of IT consultancy and IT development services».


    7 – JO S 154, avis n° 2005/S 154-153356.


    8 – Directive du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33).


    9 – Arrêt du 8 septembre 2005, Espace Trianon et Sofibail (C-129/04, Rec. p. I-7805, point 26).


    10 – Ordonnance du 4 octobre 2007, Consorzio Elisoccorso San Raffaele (C-492/06, Rec. p. I-8189, point 31).


    11 – Arrêt du 27 février 2003, Santex (C-327/00, Rec. p. I-1877, point 47).


    12 – Arrêt du 6 mai 2010, Club Hotel Loutraki e.a. (C-145/08 et C-149/08, non encore publié au Recueil, point 80).


    13 – Sur la nature du principe de protection juridictionnelle effective, voir arrêt du 13 mars 2007, Unibet (C-432/05, Rec. p. I-2271, point 37 et jurisprudence citée). Sur l’application des principes énoncés dans la directive 89/665, alors qu’elle n’était pas, en tant que telle, applicable, voir, notamment, arrêt Club Hotel Loutraki e.a., précité note 12 (points 69 à 74).


    14 – Voir, pour une application de la charte, en tant que telle et au titre de sa nouvelle valeur juridique, notamment, arrêt du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert (C‑92/09 et C-93/09, non encore publié au Recueil, points 45 et suiv.).


    15 – Il convient de noter que la version italienne de la directive, à la suite des modifications apportées par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007 (JO L 335, p. 31), ne contient plus, à l’article 1er, paragraphe 3, l’incise «au moins». De toute évidence, il ne s’agit là toutefois que d’une erreur de plume, ainsi que cela résulte des autres versions linguistiques dans lesquelles cette incise n’a pas été supprimée. Voir, sur l’interprétation des textes normatifs de l’Union dans l’hypothèse d’une version linguistique divergente, notamment, arrêts du 27 mars 1990, Cricket St Thomas (C-372/88, Rec. p. I-1345, point 18), et du 19 avril 2007, Velvet & Steel Immobilien (C-455/05, Rec. p. I-3225, point 19).


    16 – Ordonnance précitée note 10 (point 30).


    17 – C’est bien là le raisonnement que le Tribunal a adopté, dans une affaire similaire concernant également la requérante, en admettant un droit de recours individuel: arrêt du 19 mars 2010, Evropaïki Dynamiki/Commission (T-50/05, non encore publié au Recueil, point 40).


    18 – Ordonnance Consorzio Elisocorso San Raffaele, précitée (point 30). Dans cette affaire, cette objection était avancée par le gouvernement chypriote.


    19 – Arrêt du 21 janvier 1999 (C-73/97 P, Rec. p. I-185). Sur cette question en particulier, voir conclusions de l’avocat général Mischo prononcées dans cette affaire le 25 juin 1998 (points 11 à 16).


    20 – Arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer (C-23/00 P, Rec. p. I-1873, point 52), et du 22 novembre 2007, Cofradía de pescadores «San Pedro» de Bermeo e.a./ Conseil (C-6/06 P, non publié au Recueil, point 21).


    21 – La possibilité de statuer d’office, les parties entendues, sur les fins de non-recevoir d’ordre public est prévue à l’article 92, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour et à l’article 113 du règlement de procédure du Tribunal. La jurisprudence en a déduit la possibilité de relever d’office, dans le cadre d’un pourvoi formé contre un arrêt du Tribunal, le défaut d’intérêt à agir, même survenu postérieurement. Voir arrêts du 19 octobre 1995, Rendo e.a./Commission (C-19/93 P, Rec. p. I-3319, point 13), et du 3 septembre 2009, Moser Baer India/Conseil (C-535/06 P, Rec. p. I-7051, point 24).


    22 – Voir supra, note 20. Voir, également, arrêt du 25 mars 2010, Sviluppo Italia Basilicata/Commission (C-414/08 P, non encore publié au Recueil, points 51 et 52).


    23 – Le Tribunal a élaboré à cet égard une jurisprudence selon laquelle, «en vertu des principes de bonne administration et de coopération loyale entre les institutions communautaires et les États membres, les institutions sont tenues de s’assurer que les conditions prévues dans un appel d’offres n’incitent pas les soumissionnaires potentiels à violer la législation nationale applicable à leur activité» (arrêt du 6 juillet 2000, AICS/Parlement, T-139/99, Rec. p. II-2849, point 41). À notre connaissance, la Cour n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur cette question.


    24 – Règlement de la Commission, du 23 avril 2007, modifiant le règlement n° 2342/2002 (JO L 111, p. 13).


    25 – C’est nous qui soulignons. Il est également important de rappeler que, dans la présente affaire, il était prévu que, une fois le marché attribué, le contrat aurait été intégralement régi par le droit allemand et que la compétence judiciaire aurait été conférée aux juridictions allemandes.


    26 – Voir, par exemple, arrêt du 15 juillet 1960, Präsident e.a./Haute Autorité (36/59 à 38/59 et 40/59, Rec. p. 857, en particulier 889). Pour des raisons évidentes, la Cour a souligné avec une instance particulière cette exigence dans le cadre d’affaires préjudicielles. Voir, pour l’essentiel, arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a. (C-222/04, Rec. p. I-289, point 63 et jurisprudence citée).


    27 – Il convient de souligner, par ailleurs, qu’une autre affaire, pendante devant la Cour, pourrait contribuer à enrichir les éléments d’analyse de la présente situation: dans cette affaire, l’objet principal du litige est l’interprétation de la législation italienne en matière de marques. Il s’agit de l’affaire Edwin/OHMI (C-263/09 P, pendante devant la Cour; voir communication du recours publiée dans le JO 2009, C 220, p. 25).


    28 – Arrêt du Tribunal AICS/Parlement, précité note 23 (points 40 à 42).


    29 – Voir, notamment, arrêt du 26 novembre 1985, Commission/CO.DE.MI (318/81, Rec. p. 3693, point 24).


    30 – Voir, notamment, arrêt précité note 29.


    31 – Voir également supra, point 35.


    32 – Voir arrêt du Bundesarbeitsgericht du 8 novembre 1978, 5 AZR 261/77.


    33 – Arrêt du 17 décembre 1981, Webb (279/80, Rec. p. 3305, points 18 à 21). La requérante a, par ailleurs, explicitement nié, dans ses propres observations, avoir contesté la compatibilité avec le droit de l’Union de la législation allemande sur la fourniture de main-d’œuvre.


    34 – Certes, la requérante fait valoir cet argument dans le cadre de son troisième moyen, mais, sur le plan logique, il apparaît plutôt rattaché au deuxième moyen.


    35 – Voir, pour une affaire analogue à la présente affaire, dans laquelle le défaut d’intérêt à agir a impliqué le rejet d’une partie des moyens, arrêt du 20 mai 1987, Souna/Commission (432/85, Rec. p. 2229, point 20).


    36 – Voir arrêts du 21 septembre 2000, EFMA/Conseil (C-46/98 P, Rec. p. I-7079, point 38), et du 30 septembre 2003, Eurocoton e.a./Conseil (C-76/01 P, Rec. p. I‑10091, point 52).


    37 – Arrêt du 9 juin 1992, Lestelle/Commission (C-30/91 P, Rec. p. I-3755, point 28). Voir, également, arrêt du 15 décembre 1994, Finsider/Commission (C-320/92 P, Rec. p. I-5697, point 37).


    38 – Voir, par exemple, arrêt du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission (C‑51/92 P, Rec. p. I-4235, point 113).


    39 – Voir supra, point 86.

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