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Document 62001CC0182

    Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 7 novembre 2002.
    Saatgut-Treuhandverwaltungsgesellschaft mbH contre Werner Jäger.
    Demande de décision préjudicielle: Oberlandesgericht Düsseldorf - Allemagne.
    Obtentions végétales - Régime de protection - Articles 14, paragraphe 3, du règlement (CE) nº 2100/94 ainsi que 3, paragraphe 2, et 8 du règlement (CE) nº 1768/95 - Organisation de titulaires - Définition - Obligation de l'organisation de n'agir qu'au nom de ses membres - Utilisation par les agriculteurs du produit de la récolte - Obligation de fournir des informations au titulaire de la protection communautaire.
    Affaire C-182/01.

    Recueil de jurisprudence 2004 I-02263

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2002:644

    Conclusions

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
    M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER
    présentées le 7 novembre 2002(1)



    Affaire C-182/01



    Saatgut-Treuhandverwaltungsgesellschaft mbH
    contre
    Werner Jäger


    [demande de décision préjudicielle formée par l'Oberlandesgericht Düsseldorf (Allemagne)]

    «Obtentions végétales – Régime de protection – Article 14, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 2100/94, article 3, paragraphe 2, et article 8 du règlement (CE) n° 1768/95 – Organisation de titulaires – Notion – Obligation de l'organisation de n'agir qu'au nom de ses membres – Autorisation accordée aux agriculteurs d'utiliser, à des fins de multiplication en plein air dans leur propre exploitation, le produit de la récolte obtenu par la mise en culture d'une variété protégée – Portée de l'obligation d'informer le titulaire de la protection communautaire d'une obtention végétale»






    1.        Il convient, pour répondre aux deux questions posées par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (Allemagne) conformément à l’article 234 CE, d’interpréter, d’une part, le règlement (CE) n° 2100/94, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (2) , en particulier son article 14, paragraphe 3, sixième tiret, qui impose à quiconque se prévaut de la dérogation agricole l’obligation de fournir certaines informations, lu en combinaison avec l’article 8 du règlement (CE) n° 1768/95, établissant les modalités d’application de cette dérogation (3) . Par ailleurs, il convient d’examiner l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1768/95, qui permet à une organisation de titulaires d’invoquer, à titre collectif, les droits de ses membres.

    I –   Les faits

    2.        La demanderesse au principal est la société à responsabilité limitée Saatgut-Treuhandverwaltung, constituée conformément à la législation allemande, qui a pour objet social la sauvegarde des intérêts économiques des personnes physiques et morales qui produisent ou commercialisent, directement ou indirectement, des semences ou qui ont des intérêts dans la production ou la commercialisation de semences.

    Ses activités comprennent le contrôle des droits d’obtenteur sur le plan national et international, en particulier l’organisation de vérifications concernant les droits des associés ou de tiers auprès de sociétés de multiplication et de commercialisation de semences; le recouvrement de redevances d’exploitation de licences relatives à des obtentions végétales; l’adoption de mesures générales visant à promouvoir la production, à assurer l’écoulement et l’approvisionnement des consommateurs en semences irréprochables et de grande qualité. Toutefois, la société demanderesse n’achète et ne vend pas de semences.

    3.        Selon l’ordonnance de renvoi de l’Oberlandesgericht Düsseldorf, la demanderesse compte parmi ses associés des titulaires et des détenteurs de licences exclusives d’exploitation de droits d’obtention végétale en vertu du Sortenschutzgesetz (loi allemande sur la protection des espèces végétales), du règlement n° 2100/94 et de ces deux normes. Il semble que la demanderesse ait également pour associé le Bundesverband Deutscher Pflanzenzüchter eV, groupement composé, notamment, de nombreux titulaires et détenteurs de licences exclusives d’exploitation de droits d’obtention végétale (4) .

    4.        Sur la base de procurations et de mandats écrits, la demanderesse fait valoir en son propre nom, devant de nombreux tribunaux allemands et à l’égard de centaines d’agriculteurs allemands, parmi lesquels M. Werner Jäger, défendeur au principal, les droits découlant de l’application du privilège de l’agriculteur à plus de 500 variétés protégées, appartenant à plus de 60 titulaires d’obtentions végétales ou de licences d’exploitation.

    Un premier cercle de personnes dont elle invoque les droits est constitué par ses associés; un deuxième cercle est composé des membres d’un groupement qui est associé de Saatgut-Treuhandverwaltung. Enfin, un troisième cercle est constitué par des personnes qui ont uniquement donné mandat à la demanderesse de faire valoir, en son propre nom, moyennant rémunération, leurs droits d’obtention végétale en cas d’utilisation par les agriculteurs, dans leurs exploitations, à des fins de multiplication, du produit de la récolte obtenu par la mise en culture d’une variété protégée.

    5.        La demande a pour objet de vérifier dans quelle mesure, au cours de la campagne 1997/1998, M. Jäger a utilisé dans son exploitation, aux fins de multiplication, le produit de la récolte obtenu par la mise en culture de plus de cinq cents variétés végétales, notamment la pomme de terre, le blé d’hiver, le blé de printemps, l’orge d’hiver, l’orge de printemps, l’avoine, le seigle d’hiver, le pois fourrager, la féverole, le triticale, le lupin jaune, dont un tiers sont des obtentions végétales protégées par le règlement n° 2100/94 et deux tiers par la législation allemande.

    La demanderesse soutient que M. Jäger, en sa qualité d’agriculteur, doit lui fournir ces informations sans qu’elle soit tenue d’avancer, concrètement, qu’il a cultivé une variété déterminée et dans quelle mesure il l’a fait. M. Jäger rejette cette prétention au motif, notamment, que la demanderesse n’a pas démontré l’existence d’indices suggérant qu’il ait utilisé l’une des variétés végétales protégées.

    II –  Les questions préjudicielles

    6.        Le recours a été rejeté en première instance. L’Oberlandesgericht Düsseldorf, saisi de l’appel, a décidé de surseoir à statuer et de déférer à la Cour de justice deux questions préjudicielles libellées comme suit:

    «1)
    Une société à responsabilité limitée constituée conformément à la législation allemande (GmbH) peut-elle

    a)
    être une ’organisation de titulaires‘ au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1768/95 [...],

    b)
    également invoquer les droits visés à l’article 3, paragraphe 1, du règlement précité pour les titulaires, au sens de l’article 3, paragraphe 2, qui ne sont pas ses associés, mais qui sont membres d’un groupement qui est, lui, associé de la société et

    c)
    également invoquer (moyennant rémunération) les droits visés à l’article 3, paragraphe 1, du règlement précité pour les titulaires au sens de l’article 3, paragraphe 2, qui ne sont pas ses associés et qui ne sont pas non plus membres d’un groupement qui compte au nombre de ses associés?

    2)
    Les dispositions combinées de l’article 14, paragraphe 3, sixième tiret, du règlement (CE) n° 2100/94 [...] (le règlement de base), et de l’article 8 du règlement (CE) n° 1768/95 [...], doivent-elles être interprétées en ce sens que l’obtenteur d’une variété protégée en vertu du règlement de base peut exiger de tout agriculteur les informations prévues par les dispositions susmentionnées indépendamment du point de savoir s’il existe des éléments permettant de supposer que l’agriculteur a accompli l’un des actes d’utilisation énumérés à l’article 13, paragraphe 2, du règlement de base en ce qui concerne la variété en question ou a ─ tout au moins ─ utilisé celle-ci par ailleurs dans son exploitation?»

    III –  Le droit communautaire

    7.        Aux termes de son article 1er, le règlement n° 2100/94 institue «un régime de protection communautaire des obtentions végétales en tant que forme unique et exclusive de protection communautaire de la propriété industrielle pour les variétés végétales». Depuis son entrée en vigueur, les États membres peuvent accorder des droits de propriété nationaux, sous réserve toutefois des dispositions de l’article 92 qui interdit le cumul des protections. En conséquence, toute variété faisant l’objet d’une protection communautaire des obtentions végétales ne peut faire l’objet d’une protection nationale des variétés végétales ni d’un brevet. Les variétés de tous les genres et de toutes les espèces botaniques, y compris notamment les hybrides, peuvent faire l’objet d’une protection communautaire des obtentions végétales.

    8.        Pour pouvoir bénéficier de la protection communautaire des obtentions végétales, les variétés doivent être distinctes, homogènes, stables et nouvelles, et elles doivent être désignées par une dénomination propre. Le droit à la protection communautaire des obtentions végétales appartient à l’obtenteur, qui est la personne qui a créé ou qui a découvert et développé la variété, ou son ayant droit ou ayant cause.

    9.        L’article 13 du règlement n° 2100/94 a pour effet de réserver au titulaire d’une protection communautaire d’obtention végétale le droit d’accomplir, relativement à la variété protégée, certaines opérations énumérées au paragraphe 2 de cet article, à savoir a) la production ou la reproduction (multiplication); b) le conditionnement aux fins de la multiplication; c) l’offre à la vente; d) la vente ou autre forme de commercialisation; e) l’exportation à partir de la Communauté; f) l’importation dans la Communauté et g) la détention aux fins précitées. Le titulaire peut autoriser des tiers à effectuer ces opérations et il peut également assortir son autorisation de conditions ou de restrictions.

    10.      L’article 14, paragraphe 1, prévoit une dérogation aux droits du titulaire afin de sauvegarder la production agricole et permet ainsi aux agriculteurs d’utiliser, à des fins de multiplication en plein air dans leur propre exploitation, le produit de la récolte obtenu par la mise en culture de matériel de multiplication d’une variété bénéficiant d’une protection communautaire des obtentions végétales autres qu’une variété hybride ou synthétique. Le privilège de l’agriculteur ne s’applique qu’à certaines espèces végétales agricoles énumérées au paragraphe 2 et classées en quatre groupes: les plantes fourragères, les plantes oléagineuses et à fibres ainsi que les céréales et les pommes de terre.

    La juridiction de renvoi souhaite obtenir une interprétation de cet article, paragraphe 3, sixième tiret, aux termes duquel:

    «Les conditions permettant de donner effet à la dérogation prévue au paragraphe 1 et de sauvegarder les intérêts légitimes de l’obtenteur et de l’agriculteur sont fixées [...] dans le règlement d’application [...] sur la base des critères suivants:

    [...]

    toute information pertinente est fournie sur demande aux titulaires par les agriculteurs et les prestataires d’opérations de triage à façon; [...]».

    11.      Afin de permettre l’exécution de l’obligation imposée par l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 2100/94, la Commission a précisé les règles de la dérogation agricole dans le règlement n° 1768/95. Les agriculteurs qui font usage de cette possibilité sont tenus de payer au titulaire une rémunération équitable, qui doit être sensiblement inférieure au montant perçu pour la production sous licence de matériel de multiplication de la même variété dans la même région. Les petits agriculteurs, qui sont définis par le règlement n° 2100/94, sont exonérés de cette obligation.

    12.      L’Oberlandesgericht Düsseldorf demande l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1768/95, permettant à une organisation de titulaires d’invoquer, à titre collectif, les droits de ses membres, et de l’article 8, paragraphe 2, de ce même règlement, définissant de manière détaillée l’obligation d’information de l’agriculteur aux fins du calcul de la rémunération du titulaire.

    Aux termes de l’article 3, paragraphe 2:

    «Les droits visés au paragraphe 1 peuvent être invoqués par un titulaire à titre individuel, par plusieurs titulaires à titre collectif ou par une organisation de titulaires établie dans la Communauté à l’échelon communautaire, national, régional ou local. Toute organisation de titulaires ne peut agir qu’au nom de ses membres et uniquement au nom de ceux qui lui ont donné un mandat écrit pour ce faire. Elle agit par l’intermédiaire d’un ou de plusieurs représentants ou de commissaires aux comptes accrédités par elle, dans les limites de leurs mandats respectifs.»

    Pour ce qui intéresse la présente affaire, l’article 8 dispose:

    Lorsqu’aucun contrat n’a été conclu, l’agriculteur est tenu de communiquer au titulaire, à la demande de celui-ci, une déclaration contenant les informations suivantes: a) le nom de l’intéressé, son domicile et l’adresse de son exploitation; b) s’il a utilisé le produit de la récolte d’une ou de plusieurs variétés du titulaire sur ses terres; c) dans l’affirmative, la quantité; d) le nom et l’adresse de la personne qui a procédé aux opérations de triage à façon du produit de la récolte, en vue de son utilisation par l’agriculteur; et e) si l’information visée aux points b), c) ou d) ne peut pas être confirmée conformément aux dispositions de l’article 14, la quantité de matériel de multiplication des variétés en question utilisé sous licence, ainsi que le nom et l’adresse du fournisseur.

    Ces informations se rapportent à la campagne de commercialisation en cours et à l’une ou plusieurs des trois campagnes précédentes pour lesquelles le titulaire n’a pas encore présenté de demande d’information.

    IV –  La procédure devant la Cour

    13.      Ont présenté des observations écrites dans le délai prévu par l’article 20 du statut CE de la Cour de justice, la société Saatgut-Treuhandverwaltung, M. Jäger, la République italienne et la Commission.

    Ont comparu et ont été entendus en leurs observations orales au cours de l’audience du 3 octobre 2002, les représentants de Saatgut-Treuhandverwaltung, de M. Jäger, du Royaume-Uni et de la Commission.

    V –  La première question préjudicielle

    14.      Cette question, que la juridiction de renvoi a formulée en trois points, vise à savoir si une société à responsabilité limitée, régie par la législation allemande, constitue une «organisation de titulaires» au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1768/95 et si, en cette qualité, elle peut également invoquer les droits visés au paragraphe 1 en faveur de titulaires d’obtentions végétales qui ne sont pas ses associés mais qui sont membres d’un groupement qui a la qualité d’associé ou de titulaires qui, n’étant pas ses associés, lui confient cette mission en contrepartie d’une rémunération.

    A –   Les observations présentées

    15.      La société Saatgut-Treuhanverwaltung fait observer que le législateur communautaire n’a pas défini la notion d’«organisation de titulaires». Elle propose d’en donner une définition large afin que les titulaires qui, en raison du grand nombre d’agriculteurs concernés, ne peuvent faire valoir leurs droits à titre individuel, aient la possibilité de les invoquer collectivement avec d’autres, et il suffit à cette fin que l’obtenteur ou le titulaire exclusif d’un droit d’exploitation donnent pouvoir à l’organisation, acquérant ainsi la qualité de membres. La société est à plus forte raison habilitée à agir au nom des titulaires qui non seulement lui ont donné mandat mais sont en même temps membres d’un groupement qui, lui, a la qualité d’associé.

    16.      M. Jäger est d’avis qu’une société à responsabilité limitée n’est pas constituée de membres au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1768/95. Il résulte de la terminologie employée que le législateur avait en vue un groupement d’intérêt professionnel sous la forme juridique d’une association ou d’une structure analogue, et non pas une entreprise indépendante sur le plan juridique et organisationnel, détachée des intérêts individuels des obtenteurs. Selon lui, la demanderesse n’est en réalité qu’une entreprise de recouvrement agissant dans un intérêt purement économique.

    17.      Le gouvernement italien estime qu’une organisation de titulaires ne doit pas revêtir la forme d’une société ayant la personnalité juridique. Elle aurait en ce cas la qualité de tiers à l’égard de chaque titulaire du droit d’obtention végétale et ne pourrait donc pas être cessionnaire des droits que l’article 14 du règlement n° 2100/94 confère aux titulaires.

    18.      La Commission est d’avis qu’il convient d’interpréter largement la notion litigieuse. Le fait qu’un titulaire à titre individuel ou plusieurs titulaires à titre collectif, à travers un groupe ou une organisation, puissent invoquer leurs droits signifie que l’organisation doit être assimilée à un titulaire individuel pour ce qui est de sa qualité pour agir. Une société à responsabilité limitée, constituée conformément au droit allemand, agirait en tant qu’«organisation de titulaires» en faveur de ses membres et des personnes faisant partie d’une entité qui est associée de la société, mais non des personnes qui, n’ayant pas la qualité d’associé, lui donnent mandat pour faire valoir leurs droits moyennant rémunération.

    B –   Réponse à la question préjudicielle

    19.      Je partage l’opinion de la Commission concernant l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1768/95. La notion d’organisation de titulaires figurant dans cette disposition est si large qu’il semble que le législateur communautaire ait voulu qu’elle comprenne toutes les formes d’organisation existant dans les États membres. Toutefois, quelle que soit sa forme juridique, elle doit satisfaire à toutes les prescriptions prévues par ce règlement en ce qui concerne son fonctionnement.

    20.      Le règlement n° 1768/95 institue les modalités d’application des conditions permettant de donner effet au privilège de l’agriculteur. Aux termes de l’article 3, les droits et obligations du titulaire découlant des dispositions de l’article 14 du règlement n° 2100/94, à l’exception du droit relatif au paiement déjà chiffrable de la rémunération, ne peuvent faire l’objet d’un transfert à des tiers.

    Cette disposition confère, pour l’essentiel, trois droits au titulaire: percevoir la rémunération due par l’agriculteur faisant usage du privilège; contrôler le respect de la législation régissant cette dérogation; et obtenir les informations pertinentes de la part de l’agriculteur et des prestataires ayant effectué les opérations de triage du produit en vue de son utilisation ultérieure.

    21.      L’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1768/95 permet au titulaire lui-même, à plusieurs titulaires à titre collectif ou à une organisation de titulaires établie dans la Communauté à l’échelon communautaire, national, régional ou local, d’invoquer ces droits.

    Je ne souscris pas à l’argumentation du gouvernement italien. Dès lors que tous ses associés sont titulaires d’un droit d’obtention végétale et que son objet social consiste à invoquer les droits découlant de l’article 14 du règlement n° 2100/94, le fait qu’une société ait une personnalité juridique propre n’est pas contraire à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1768/95, car cet article, comme je l’ai déjà indiqué, ne prévoit pas la forme juridique concrète que l’organisation doit revêtir.

    Je conteste également qu’il y ait cession de droits du titulaire à la société. L’acquisition de la qualité d’associé d’une organisation constituée sous la forme d’une société à responsabilité limitée n’implique pas de cession de droits, d’autant plus que l’article 3, paragraphe 1, établit que, à l’exception du droit relatif au paiement déjà chiffrable, les droits que peut invoquer l’organisation ne sauraient faire l’objet d’un transfert à des tiers, à moins qu’ils ne soient transmis avec le titre de protection communautaire.

    22.      L’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1768/95 énonce différentes conditions applicables aux organisations de titulaires. En premier lieu, elles ne peuvent agir qu’au nom de leurs membres, qui doivent être titulaires d’une obtention végétale. Cette condition exclut qu’elles agissent en leur nom propre ou pour le compte de tiers, comme c’est le cas de l’entreprise demanderesse au principal. De la même manière, elle s’oppose à ce que les détenteurs d’une licence, exclusive ou non, d’exploitation de variétés végétales protégées fassent partie de telles organisations, car ils ne sont pas des titulaires et ne bénéficient donc pas des droits que confère à ces derniers l’article 14 du règlement n° 2100/94, régissant le privilège des agriculteurs.

    En second lieu, la qualité de membre de l’organisation ou d’associé est une condition nécessaire mais non suffisante, puisqu’une organisation ne représente ses membres que lorsqu’ils lui ont donné un mandat écrit. Le titulaire doit satisfaire à cette condition à la date d’établissement de l’acte constitutif ou ultérieurement.

    23.      Ainsi, dans l’hypothèse où la réglementation allemande régissant la création et le fonctionnement des sociétés à responsabilité limitée permet le respect de ces conditions, question qu’il appartient à la juridiction nationale de trancher, l’une de ces sociétés peut être une «organisation de titulaires d’obtentions végétales» au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1768/95.

    24.      Il en va de même dans l’hypothèse où une organisation de titulaires est, elle, associée d’une société à responsabilité limitée ayant pour objet de défendre les droits des titulaires d’obtentions végétales découlant du privilège de l’agriculteur. En effet, dès lors que l’organisation en tant que telle est composée de titulaires, la société peut également agir en leur nom, pour autant qu’ils lui aient donné un mandat exprès à cet effet. Cette solution pourrait permettre à une organisation de titulaires établie dans un État membre d’invoquer, dans ce pays, les droits de titulaires établis dans un autre État membre, qui ont constitué une organisation en vue de protéger leurs droits de manière collective.

    25.      Toutefois, le respect de ces conditions s’oppose à ce qu’une organisation de titulaires au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1768/95 exerce les droits de personnes qui n’en sont pas membres, comme c’est le cas des personnes qui, n’ayant pas la qualité d’associé de Saatgut-Treuhandverwaltung, lui ont donné mandat pour faire valoir, moyennant rémunération, leurs droits liés au privilège de l’agriculteur.

    Je ne souscris pas à la thèse de Saatgut-Treuhandverwaltung, selon laquelle le titulaire acquiert la qualité de membre par le simple fait de donner mandat. Il s’agit peut-être de la manière appropriée de constituer un groupement en vue de la protection commune d’intérêts légitimes, mais, lorsqu’une organisation de titulaires revêt la forme d’une société commerciale par actions, le seul moyen d’en faire partie est d’en devenir associé: un titulaire qui donne le mandat de faire valoir ses droits contre rémunération n’acquiert pas de ce fait la qualité d’associé.

    26.      Pour les raisons exposées plus haut, j’estime qu’une société à responsabilité limitée, régie par la législation allemande, peut constituer une «organisation de titulaires» au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1768/95 et peut, en cette qualité, invoquer les droits visés au paragraphe 1 en faveur de titulaires d’obtentions végétales, pour autant qu’ils aient la qualité d’associé, qu’ils lui aient donné un mandat écrit et qu’elle agisse en leur nom. Cette société est également habilitée à défendre ces droits au nom des titulaires d’obtentions végétales qui sont membres d’un groupement ayant la qualité d’associé, pour autant qu’ils lui aient donné un mandat écrit. Toutefois, elle ne représente pas les personnes qui ne sont pas ses associés ou ne sont pas membres d’un groupement ayant la qualité d’associé.

    VI –  La seconde question préjudicielle

    27.      Par cette question, l’Oberlandesgericht Düsseldorf souhaite savoir si les dispositions qu’il cite signifient que le titulaire d’une protection communautaire d’obtentions végétales peut exiger de tout agriculteur des informations pertinentes, en vue de lui réclamer le versement d’une rémunération pour avoir fait usage du privilège, alors même qu’il n’existe pas d’indices d’utilisation de la variété pour l’une quelconque des opérations visées à l’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 2100/94, notamment la production, ou pour toute autre fin.

    28.      Cette question est identique à celle qu’a posée l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main (Allemagne) en août 2000, qui a donné lieu à l’affaire Schulin (C-305/00), en instance devant la Cour, dans laquelle j’ai présenté mes conclusions le 21 mars 2002. Les faits du litige étaient fort semblables à ceux qui sont à l’origine de la procédure dirigée contre M. Jäger, à la seule différence que l’entreprise Saatgut-Treuhandverwaltung était alors l’intimée alors qu’elle est à présent l’appelante.

    29.      Au mois de juillet 2002, la European Seed Association m’a adressé une lettre dans laquelle, après avoir expliqué qu’elle avait participé, à la demande de la direction générale «Agriculture» de la Commission des Communautés européennes, à la définition de la notion de privilège de l’agriculteur, figurant dans le règlement n° 2100/94 et dans le règlement n° 1768/95, elle m’exposait l’objectif que poursuivait le législateur en réglementant cette notion, en me demandant de réexaminer la proposition que j’avais faite à la Cour en vue de répondre à la question préjudicielle de l’Oberlandesgericht de Frankfurt am Main.

    30.      Il semble que le représentant de Saatgut-Treuhandverwaltung ait tenté de se soustraire aux règles ayant trait à la mission de la Cour de justice, méconnaissant ainsi leur caractère obligatoire.

    Connaissant la jurisprudence Emesa Sugar 5  –Ordonnance du 4 février 2000 (C-17/98, Rec. p. I-665)., selon laquelle l’avocat général participe publiquement et personnellement au processus d’élaboration de la décision de la Cour, mettant fin au débat entre les parties, de sorte que, eu égard au caractère juridictionnel de sa collaboration, ses actes ne sont pas soumis au principe du contradictoire, la demanderesse au principal a établi une stratégie ingénieuse. Comme dans une première procédure, dans laquelle la même question préjudicielle avait été posée 6  –Affaire Schulin, précitée., la thèse que j’ai soutenue en tant qu’avocat général ne souscrivait pas à la lettre à ses raisonnements, et comme les conditions requises par la jurisprudence 7  –Voir les conclusions que j’ai présentées le 11 juillet 2002 dans l’affaire Kaba (C-466/00, pendante devant la Cour), points 108 et 109. pour ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 61 du règlement de procédure, faisaient défaut, elle a décidé de se désister de l’instance qu’elle avait engagée afin d’éviter que la Cour statue sans tenir compte de ses observations concernant les conclusions de l’avocat général. Elle pourrait ainsi renforcer ses arguments dans le litige subséquent, qui soulevait la même question litigieuse.

    Pour étayer sa position, elle a adressé au greffe de la Cour une lettre demandant la radiation de l’affaire Schulin et, à titre subsidiaire, de ne pas statuer avant que l’audience dans la présente espèce ait eu lieu. Bien que la juridiction allemande, l’Oberlandesgericht Frankfurt am Main, ait rejeté la demande de désistement et maintenu la question préjudicielle qui avait été posée, le retard dans l’administration de la justice, inhérent au grand nombre d’affaires à trancher, a été favorable à la demanderesse au principal, puisqu’elle a pu présenter ses observations orales dans la présente affaire avant que la Cour ne se soit prononcée sur le fond dans l’affaire précédente. Rien ne s’oppose à un tel résultat si la qualité de la protection juridictionnelle est ainsi renforcée, mais il convient de rappeler le principe de la loyauté procédurale des parties envers les juridictions, en l’espèce non seulement la Cour de justice mais également les juridictions allemandes, ainsi que le principe de solidarité et de respect des justiciables qui, compte tenu de la complexité et de l’augmentation constante du contentieux dans tous les ordres juridiques, exige que celui qui exerce une action ne le fasse pas de manière abusive, sans préjudice de l’adoption de toutes mesures nécessaires à la défense de ses droits, afin de ne pas influer sur la durée et la profondeur de l’analyse des demandes présentées par les autres justiciables. En d’autres termes, le droit à une protection juridictionnelle effective a également ses limites. Dans le contexte actuel de l’exercice de la fonction juridictionnelle dans le monde occidental, ces limites se traduisent par le fait que, les juges disposant d’un temps limité pour satisfaire aux demandes qui leur sont adressées, tout justiciable doit présenter sa demande, sans préjudice des garanties dont il bénéficie, sans porter atteinte au droit d’accès à la justice de ses concitoyens, en évitant d’introduire des actions inutiles ou tardives, excessivement compliquées, confuses par leur forme ou d’une longueur excessive, et sans multiplier les procès dans son intérêt exclusif 8  –En réponse à la question que je lui ai posée au cours de l’audience, le représentant de Saatgut-Treuhandverwaltung a reconnu que l’introduction d’une action, l’intention ultérieure de se désister et le maintien d’actions similaires dans le cadre d’autres litiges relevaient d’une «stratégie» destinée à répondre aux conclusions de l’avocat général..

    A –   Observations présentées

    31.      La société Saatgut-Treuhandverwaltung soutient que l’article 14, paragraphe 3, sixième tiret, du règlement n° 2100/94, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 1768/95, permet au titulaire d’une obtention végétale protégée d’exiger de tout agriculteur qu’il lui indique s’il a fait usage du privilège et qu’il lui précise le volume de l’opération, même s’il n’a aucune preuve que l’agriculteur a utilisé dans le passé une variété protégée dans son exploitation. À l’appui de cette interprétation, la demanderesse cite pas moins de dix arrêts de tribunaux allemands de première instance qui se sont récemment prononcés en ce sens.

    Selon elle, le titulaire n’est, en principe, pas en mesure de fournir la moindre preuve que l’agriculteur a utilisé dans son exploitation, à des fins de multiplication, le produit de la récolte obtenu par la mise en culture d’une variété protégée. En théorie, le fait qu’un agriculteur ait acquis une fois de la semence certifiée neuve auprès d’un fournisseur constituerait un indice qu’il pourrait resemer le produit de la récolte. Dans la pratique, en revanche, le titulaire n’a pas les moyens de fournir cette preuve puisque, comme il n’entretient pas de relations commerciales avec les agriculteurs, il n’est pas en mesure de savoir qui a acheté une fois de la semence certifiée de son obtention végétale. Le titulaire fournit la semence de base ou la prébase de l’obtention à un établissement multiplicateur afin qu’il produise les semences destinées à être commercialisées. La semence certifiée est ensuite vendue aux coopératives ou aux grossistes, qui les vendent à leur tour aux différents agriculteurs par le biais de détaillants et de revendeurs. Saatgut-Treuhandverwaltung explique que rien n’empêche l’agriculteur qui a acquis de la semence certifiée d’utiliser le produit de la récolte à des fins de multiplication au cours de plusieurs campagnes, surtout lorsqu’il s’agit de céréales.

    32.      L’agent du gouvernement du Royaume-Uni a proposé, au cours de l’audience, une interprétation littérale de l’article 14, paragraphe 3, sixième tiret, du règlement n° 2100/94 et de l’article 8 du règlement n° 1768/95. Ces dispositions ne distinguant pas entre les agriculteurs en général et ceux qui ont semé dans leur exploitation une variété végétale protégée, on ne saurait estimer que seuls ces derniers sont tenus de fournir les informations demandées par un titulaire. En outre, si la finalité de la règlementation est d’assurer que le titulaire exerce son droit à une rémunération équitable en contrepartie du privilège accordé à l’agriculteur, la manière la plus simple et la plus pratique d’obtenir les informations en question est d’interroger directement les agriculteurs qui sèment des semences.

    33.      M. Jäger, le gouvernement italien et la Commission estiment tous que l’application de l’article 8, paragraphe 2, sous b) et c), exige qu’il y ait eu un achat de semence d’une variété protégée ou que des indices suggèrent que le produit de la récolte a été utilisé, le titulaire devant spécifier dans sa demande d’information les éléments qui l’ont conduit à cette conviction.

    La Commission ajoute que l’exercice du privilège de l’agriculteur présuppose, évidemment, l’existence d’une relation avec le titulaire puisque, avant de resemer le produit de la récolte issue d’une variété protégée, les deux parties doivent avoir conclu un accord pour la première utilisation, soit directement, soit de manière indirecte par le fait de l’achat de semences à un fournisseur. Elle estime que le titulaire a généralement accès aux données relatives aux transactions sur ses variétés protégées. Dans le cas contraire, le moyen le plus sûr pour lui serait de s’adresser aux grossistes en semences ou aux autres fournisseurs qui commercialisent ces produits avant de vouloir imposer une obligation impérative d’information à tous les agriculteurs.

    B –   Réponse à la question préjudicielle

    34.      Après avoir étudié attentivement les observations écrites et orales soumises à la Cour dans la présente procédure, je ne vois aucune raison de modifier l’opinion que j’ai exprimée dans les conclusions présentées dans l’affaire Schulin, précitée.

    35.      Selon son cinquième considérant, le règlement n° 2100/94 a pour objet de renforcer la protection de tous les obtenteurs par rapport à celle dont ils bénéficiaient en 1994, en vue d’encourager la sélection et le développement de nouvelles variétés.

    L’article 13 énonce avec précision les transactions commerciales soumises au consentement du titulaire, qui portent aussi bien sur les opérations concernant des composants d’une variété que le matériel récolté (les fleurs et les fruits, par exemple) et qui vont de la multiplication à la détention.

    36.      L’exercice des droits conférés par la protection communautaire des obtentions végétales est soumis aux restrictions prévues par des dispositions adoptées dans l’intérêt public. La protection de la production agricole répondant à cet intérêt, l’article 14 du règlement a autorisé les agriculteurs, sous certaines conditions, à utiliser le produit de leur récolte à des fins de multiplication. Parmi la vingtaine d’espèces énumérées au paragraphe 2, auxquelles s’étend le privilège, on en trouve certaines dont la culture est extrêmement répandue comme l’orge, le blé et la pomme de terre.

    Cette possibilité restreint, sans aucun doute, les droits du titulaire d’exploiter la variété qu’il est parvenu à obtenir ou qu’il a découverte et mise au point grâce à son industrie. Le législateur a estimé qu’il était nécessaire de protéger les intérêts légitimes de l’obtenteur et de l’agriculteur et, à cette fin, l’article 14 énonce certaines règles de mise en oeuvre conformes à certains critères, au nombre desquels figure l’obligation de verser une juste rémunération au titulaire.

    37.      Comme je l’ai déjà indiqué dans les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Schulin, certains agriculteurs semblent se sentir lésés par cette réglementation, estimant qu’elle limite la pratique immémoriale du secteur qui consiste à conserver une partie du produit d’une récolte afin de l’utiliser librement comme matériel de multiplication pour la suivante. Il est certain néanmoins que, grâce à l’activité des obtenteurs, des progrès importants ont été réalisés dans le développement de nouvelles variétés végétales qui ont permis d’augmenter le rendement et d’améliorer la qualité de la production agricole.

    Seuls les agriculteurs qui sèment une variété protégée dans leur exploitation sont obligés de rémunérer l’obtenteur lorsqu’ils utilisent le produit de leur récolte à des fins de multiplication; par conséquent, les agriculteurs qui utilisent des semences non certifiées sont exonérés de l’obligation de donner des informations et de verser une rétribution.

    38.      L’article 14 du règlement n° 2100/94, qui reconnaît le privilège de l’agriculteur, confie exclusivement au titulaire la responsabilité du contrôle du respect de cette règle et des dispositions adoptées pour son application, sans l’assistance d’organismes officiels. Le titulaire peut tout juste espérer que ceux qui interviennent dans le contrôle de la production agricole mettent à sa disposition les renseignements nécessaires s’ils les ont obtenus dans l’accomplissement ordinaire de leur mission et à condition qu’ils ne doivent pas supporter de nouvelles charges ou exposer des frais supplémentaires.

    Pour faciliter ce contrôle, qui serait pratiquement impossible dans ces conditions, l’article 14, paragraphe 3, sixième tiret, du règlement n° 2100/94 et l’article 8 du règlement n° 1768/95 imposent à l’agriculteur l’obligation de fournir au titulaire, à la demande de celui-ci ou en exécution d’une clause contractuelle, les informations dont il a besoin pour déterminer s’il doit percevoir une rémunération ainsi que le montant de celle-ci. Cette obligation d’information à la demande du titulaire s’étend aux prestataires d’opérations de triage à façon.

    En outre, comme on l’a vu dans les développements consacrés à la réponse à la première question, l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1768/95 permet aux titulaires de s’organiser pour invoquer, à titre collectif, les droits liés au privilège de l’agriculteur.

    39.      Eu égard à cette législation, il s’agit de savoir à quels agriculteurs s’impose cette obligation d’information: à tous les agriculteurs du simple fait de leur qualité, comme le soutiennent la société Saatgut-Treuhandverwaltung et le gouvernement du Royaume-Uni, ou, comme le proposent M. Jäger, le gouvernement italien et la Commission, à ceux qui, par le passé, ont semé ou mis en culture dans leur exploitation du matériel de multiplication de la variété protégée concernée.

    Cette dernière interprétation est, selon moi, celle qui doit prévaloir.

    40.      Je tiens à insister sur un point qui, en dépit de son évidence, semble avoir échappé à l’attention du représentant de la société Saatgut-Treuhandverwaltung et de l’agent du gouvernement du Royaume-Uni: le règlement n° 2100/94 n’a pas pour objet de réglementer un quelconque secteur de production agricole, mais d’instituer un régime de protection communautaire des obtentions végétales. Par conséquent, lorsque ses dispositions font référence à l’«agriculteur», elles ne visent pas tout opérateur agricole exerçant son activité sur le territoire de l’Union, mais seulement celui qui relève de son champ d’application personnel, à savoir celui qui fait usage dans son exploitation de variétés végétales protégées.

    41.      Il ressort du libellé de l’article 14, paragraphes 1 et 2, que seuls peuvent bénéficier de la dérogation les agriculteurs qui remplissent certaines conditions, qui sont les suivantes: a) avoir mis en culture dans leur propre exploitation du matériel de multiplication d’une variété protégée; b) avoir effectué une récolte, et c) avoir mis en culture une variété correspondant à l’une des espèces végétales agricoles énumérées. S’ils utilisent le produit de cette récolte, ils sont tenus de verser une rémunération au titulaire et de lui fournir les informations pertinentes aux fins de son calcul  (9) .

    42.      Le règlement n° 1768/95 a pour seul objet d’établir les modalités d’application de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 2100/94, qui énonce les conditions permettant de donner effet à la dérogation prévue en faveur de l’agriculteur et de sauvegarder les intérêts légitimes de l’agriculteur et de l’obtenteur. Compte tenu de l’objet limité de ce règlement, j’estime à plus forte raison que l’«agriculteur» auquel il impose certaines obligations ne saurait être tout agriculteur de l’Union européenne; il ne peut s’agir au contraire que d’un opérateur auquel s’applique cette réglementation, à savoir un agriculteur qui a acquis du matériel de multiplication de l’une des espèces végétales agricoles énumérées à l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 2100/94.

    Par conséquent, les agriculteurs soumis à l’obligation d’information sont uniquement ceux qui ont acquis, dans le passé, du matériel de multiplication de la variété protégée concernée. Il me semble évident que cette obligation ne s’applique pas à ceux qui n’ont jamais acheté ce matériel puisqu’ils n’auraient pas pu le mettre en culture ou effectuer une récolte susceptible d’être utilisée de nouveau dans leur exploitation à des fins de multiplication.

    43.      L’article 8 du règlement n° 1768/95 règle de manière détaillée le contenu de l’obligation d’information incombant à l’agriculteur qui est en mesure d’utiliser le produit de la récolte obtenu par la mise en culture de matériel de multiplication d’une variété protégée. Son paragraphe 1 permet à l’agriculteur et au titulaire de fixer, par contrat, les détails que le premier doit fournir au second. Il s’agit d’un contrat accessoire du contrat principal par lequel le titulaire ou son représentant autorise l’agriculteur à exécuter une des opérations visées à l’article 13, paragraphe 2, du règlement n° 2100/94, c’est-à-dire, normalement, la production agricole.

    44.     À défaut d’un contrat accessoire sur le détail des informations qui doivent être fournies, il existe une relation juridique entre, d’une part, le titulaire, son représentant ou les commerçants autorisés à vendre le matériel de multiplication de sa variété protégée et, d’autre part, l’agriculteur qui l’acquiert.

    Comme c’est au titulaire qu’il appartient de contrôler le respect de ses droits par les agriculteurs et les autres opérateurs économiques, il est le premier intéressé à ce qu’il y ait des traces des transactions relatives au matériel de multiplication de ses variétés végétales protégées et, plus particulièrement, des espèces pour lesquelles l’agriculteur peut exercer son privilège d’utiliser le produit de la récolte pour de nouvelles semailles ou plantations.

    45.      Le Royaume-Uni et, en particulier, la société demanderesse soutiennent qu’il est pratiquement impossible que les titulaires parviennent à savoir quels agriculteurs ont acheté des semences de leurs variétés protégées, car ils accordent une licence pour la multiplication et ne s’intéressent pas aux opérations ultérieures. Saatgut-Treuhandverwaltung a ajouté au cours de l’audience que la prétention des titulaires de lier par un contrat les agents économiques qui interviennent dans la distribution et la commercialisation des semences serait contraire à l’article 81 CE.

    46.      Je ne partage pas cette opinion. Il est vrai que, en vertu de l’article 27 du règlement n° 2100/94, la protection communautaire des obtentions végétales peut faire, en totalité ou en partie, l’objet de licences d’exploitation contractuelles, exclusives ou non. Toutefois, rien n’empêche le titulaire, lorsqu’il l’accorde, d’établir les conditions et restrictions les plus appropriées à son droit. En toute hypothèse, ce règlement lui permet d’invoquer les droits conférés par la protection communautaire des obtentions végétales à l’encontre d’une personne détenant une licence d’exploitation qui enfreint les clauses du contrat.

    47.      Il convient d’ajouter qu’il est impossible d’apprécier dans l’abstrait si les conditions que les titulaires sont en mesure d’imposer aux détenteurs de licences d’exploitation afin d’assurer le respect de leurs droits liés au privilège de l’agriculteur peuvent être contraires à l’article 81 CE. Il faut examiner dans chaque cas s’il s’agit d’accords, de décisions ou de pratiques illicites et, ensuite, vérifier si les exceptions prévues à l’article 81, paragraphe 3, CE sont applicables.

    48.      L’article 8, paragraphe 2, sous a) à f), du règlement n° 1768/95 indique les détails pertinents que l’agriculteur doit fournir au titulaire à défaut de contrat, parmi lesquels figurent, en premier lieu, le nom de l’intéressé, la localité où il réside ainsi que l’adresse de l’exploitation.

    Selon moi, ces informations ne sont pas superflues, même si le fait que le titulaire s’adresse à l’agriculteur, directement ou par le biais de l’organisation à laquelle il appartient, signifie qu’il en possède déjà quelques-unes. L’obligation de l’agriculteur de les inclure dans son rapport s’explique, d’une part, par le besoin d’identification et, d’autre part, par l’intérêt qu’il peut y avoir pour leur destinataire à les vérifier ou à les compléter.

    49.      En deuxième lieu, l’agriculteur doit signaler s’il a fait usage du privilège pour une variété du titulaire. Je crois que cette disposition confirme que, lorsqu’il demande des renseignements à l’agriculteur, le titulaire sait que celui-ci se trouve dans le cas d’avoir pu utiliser le produit de sa récolte, c’est-à-dire qu’il a acheté antérieurement du matériel de multiplication de sa variété protégée.

    50.      En troisième lieu, s’il a utilisé le produit de sa récolte dans son exploitation, il doit en préciser la quantité dans son rapport afin de permettre le calcul de la rémunération qu’il y a lieu de verser au titulaire. En pareil cas, s’il a eu recours aux services de tiers, il est obligé également de fournir les données relatives à ceux qui ont traité le produit en vue de son utilisation ultérieure.

    51.      En quatrième lieu, si les circonstances de l’utilisation du produit de la récolte et la quantité utilisée ne peuvent pas être confirmées, l’agriculteur doit communiquer la quantité de matériel de multiplication utilisée sous licence de la variété du titulaire ainsi que les coordonnées du fournisseur.

    Au cours de l’audience, le représentant de la société Saatgut-Treuhandverwaltung a affirmé que le fait que l’agriculteur soit tenu de fournir, dans ce cas, les coordonnées du fournisseur confirme la thèse selon laquelle le titulaire n’a pas connaissance de ces données. Je ne souscris toutefois pas à cette interprétation. Selon moi, lorsque l’agriculteur acquiert du matériel de multiplication d’une variété protégée mais ne fait pas usage du privilège, il peut être également intéressant pour le titulaire de connaître la quantité utilisée par rapport à la quantité achetée et, aux fins de vérification, de savoir qui en est le fournisseur.

    52.      En ce qui concerne le contrôle exercé par les titulaires, l’article 14 du règlement n° 1768/95 impose aux agriculteurs de conserver les factures et les étiquettes au moins pendant les trois années précédant la campagne en cours, qui est la période sur laquelle peut porter la demande d’information du titulaire sur l’utilisation du produit de la récolte.

    53.      L’article 8, paragraphes 5 et 6, du règlement n° 1768/95 prévoit que le titulaire peut, au lieu de contacter l’agriculteur, s’adresser à des coopératives, des prestataires d’opérations de triage à façon ou des distributeurs sous licence du matériel de multiplication de ses variétés protégées, autorisés par les intéressés à fournir ces informations, auquel cas il n’est pas nécessaire d’indiquer chaque agriculteur.

    Ces dispositions confirment également, d’une part, que, pour que le titulaire exerce valablement son droit d’information sur une variété, il est nécessaire que l’agriculteur ait préalablement mis en culture le matériel de multiplication de cette variété et, d’autre part, que le titulaire sait qui sont ceux qui fournissent et ont fourni, au cours de plusieurs campagnes de commercialisation, du matériel de multiplication à certains agriculteurs.

    54.      L’article 8, paragraphe 3, deuxième alinéa, du règlement n° 1768/95, déterminant les campagnes sur lesquelles l’agriculteur est tenu de fournir les informations concernant l’usage du privilège, confirme le rôle déterminant que joue ou qu’est appelé à jouer le titulaire dans la chaîne de commercialisation de ses variétés végétales protégées. Selon cet article, la première campagne de commercialisation est celle au cours de laquelle a été présentée la première demande d’information relative à la variété et à l’agriculteur, pour autant que le titulaire ait veillé à ce que, au moment de l’acquisition du matériel de multiplication de la variété protégée ou, auparavant, l’agriculteur ait été informé au moins du classement de la demande d’octroi d’un régime de protection communautaire d’une obtention végétale ou d’octroi d’une telle protection, et des conditions liées à l’utilisation de ce matériel.

    55.      Il résulte clairement de cet article que, d’une part, le titulaire ne peut demander des informations à l’agriculteur qu’après que celui-ci a acheté, en connaissance de cause, une variété végétale protégée et, d’autre part, que le titulaire est tenu à certaines obligations envers l’agriculteur à l’occasion de la vente de la semence. Il y a donc lieu de rejeter, sur son fondement, les arguments de la société Saatgut-Treuhandverwaltung, selon lesquels tous les agriculteurs seraient tenus de fournir des informations aux titulaires ─- qu’ils aient ou non acheté des semences de variétés protégées ─ et il serait impossible au titulaire de savoir qui les a acquises.

    56.      Il résulte donc du libellé de ces dispositions, dont la juridiction de renvoi demande l’interprétation, ainsi que de leur contexte et de leurs objectifs  (10) , que l’obligation de fournir au titulaire d’une variété végétale protégée les informations pertinentes concernant l’utilisation du privilège vise tous les agriculteurs qui ont acheté sous licence le matériel de multiplication de cette variété, unique condition du droit du titulaire à demander des renseignements.

    En conséquence, l’obligation d’information, dont le non-respect peut faire l’objet d’un recours devant les tribunaux, comme le démontre la présente affaire, ne doit pas être étendue, comme le prétend la société Saatgut-Treuhandverwaltung, aux agriculteurs qui n’ont jamais acquis de matériel de multiplication de la variété protégée du titulaire puisqu’ils se trouvent dans l’impossibilité technique d’utiliser le produit de la récolte.

    57.      Il est certain que le titulaire n’est pas en mesure de vérifier au cas par cas si les agriculteurs utilisent le produit de la récolte dans leurs exploitations à des fins de multiplication après avoir cultivé leur variété protégée  (11) . Étant donné, en revanche, que toute utilisation des composants de cette variété est soumise à son autorisation, qu’il peut fixer des conditions ou des restrictions lorsqu’il accorde celle-ci et que c’est à lui qu’il appartient en exclusivité de contrôler le respect de ses droits, il serait logique qu’il s’organise, à supposer qu’il ne l’ait pas encore fait, afin d’être en permanence informé, par le biais des intermédiaires et des fournisseurs de semences, sur l’identité de ceux qui ont acquis du matériel de multiplication. Avec cette donnée en mains, il pourrait adresser, avec plus de succès, ses demandes de renseignements aux agriculteurs qui sont obligés de les lui fournir.

    La société Saatgut-Treuhandverwaltung souhaite pouvoir s’adresser indifféremment à tous les agriculteurs d’un pays afin qu’ils remplissent un formulaire sur l’utilisation du produit récolté grâce à la culture d’une variété protégée. Une telle prétention me paraît disproportionnée. Un tel pouvoir n’est d’ailleurs pas nécessaire pour protéger les intérêts légitimes des titulaires qui, comme je l’ai déjà indiqué, disposent d’autres moyens plus sûrs d’obtenir les informations pertinentes auxquelles ils ont incontestablement droit.

    58.      Pour les raisons que je viens d’exposer, j’estime que l’article 14, paragraphe 3, sixième tiret, du règlement n° 2100/94, lu en combinaison avec l’article 8 du règlement n° 1768/95, doit être interprété en ce sens que sont obligés d’informer le titulaire d’une obtention végétale protégée sur la culture, dans leur exploitation, du produit récolté à partir de matériel de multiplication de cette variété uniquement les agriculteurs qui ont acquis ce matériel dans le passé et qui sont donc susceptibles de l’avoir cultivé, qu’ils l’aient fait ou non.

    VII – Conclusion

    59.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de donner la réponse suivante aux questions posées par l’Oberlandesgericht Düsseldorf:

    «1)
    Une société à responsabilité limitée, régie par la législation allemande, peut constituer une ’organisation de titulaires‘ au sens de l’article 3, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1768/95 de la Commission, du 24 juillet 1995, établissant les modalités d’application de la dérogation prévue à l’article 14 paragraphe 3 du règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, et peut, en cette qualité, invoquer les droits visés au paragraphe 1 en faveur de titulaires d’obtentions végétales pour autant qu’ils aient la qualité d’associé, qu’ils lui aient donné un mandat écrit et qu’elle agisse en leur nom. Ladite société est également habilitée à défendre ces droits au nom des titulaires d’obtentions végétales qui sont membres d’un groupement ayant la qualité d’associé pour autant qu’ils lui aient donné un mandat écrit. Toutefois, elle ne représente pas les personnes qui ne sont pas ses associés ou ne sont pas membres d’un groupement ayant la qualité d’associé.

    2)
    L’article 14, paragraphe 3, sixième tiret, du règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, lu en combinaison avec l’article 8 du règlement n° 1768/95, doit être interprété en ce sens que sont obligés d’informer le titulaire d’une obtention végétale protégée sur la culture, dans leur exploitation, du produit récolté à partir de matériel de multiplication de cette variété uniquement les agriculteurs qui ont acquis ce matériel dans le passé et qui sont donc susceptibles de l’avoir cultivé, qu’ils l’aient fait ou non.»


    1
    Langue originale: l'espagnol.


    2
    Règlement du Conseil, du 27 juillet 1994 (JO L 227, p. 1), modifié par le règlement (CE) n° 2506/95 du Conseil, du 25 octobre 1995 (JO L 258, p. 3). Les modifications n’affectent pas le contenu des dispositions dont l’interprétation est demandée par la juridiction de renvoi.


    3
    Règlement de la Commission, du 24 juillet 1995 (JO L 173, p. 14). La Commission a adopté deux autres règlements de mise en oeuvre. Il s’agit du règlement (CE) n° 1238/95, du 31 mai 1995, établissant les règles d’exécution du règlement n° 2100/94 en ce qui concerne les taxes dues à l’Office communautaire des variétés végétales (JO L 121, p. 31), et du règlement (CE) n° 1239/95, du 31 mai 1995, établissant les règles d’exécution du règlement n° 2100/94 en ce qui concerne la procédure devant l’Office communautaire des variétés végétales (JO L 121, p. 37).


    4
    En réponse à la question que je lui ai posée au cours de l’audience, le représentant de la demanderesse au principal a fait savoir à la Cour que tant ses associés que les membres du Bundesverband Deutscher Pflanzenschützer sont titulaires d’une obtention végétale protégée.


    5
    Ordonnance du 4 février 2000 (C-17/98, Rec. p. I-665).


    6
    Affaire Schulin, précitée.


    7
    Voir les conclusions que j’ai présentées le 11 juillet 2002 dans l’affaire Kaba (C-466/00, pendante devant la Cour), points 108 et 109.


    8
    En réponse à la question que je lui ai posée au cours de l’audience, le représentant de Saatgut-Treuhandverwaltung a reconnu que l’introduction d’une action, l’intention ultérieure de se désister et le maintien d’actions similaires dans le cadre d’autres litiges relevaient d’une «stratégie» destinée à répondre aux conclusions de l’avocat général.


    9
    Dans ces conditions, si le législateur avait entendu viser l’ensemble des agriculteurs de la Communauté, il aurait dû le préciser, en spécifiant qu’ils sont tous soumis à l’obligation d’informer les titulaires, qu’ils aient ou non planté dans leur exploitation de la semence certifiée de l’une des espèces végétales énumérées à l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 2100/94. En tout état de cause, il existe des expressions au contenu sémantique plus large, que le législateur aurait pu utiliser, telles que «todos los agricultores», «cualquier agricultor», «tous les agriculteurs», «l’ensemble des agriculteurs», «chaque agriculteur», «all farmers», «every farmer», «alle Landwirte» ou «jeder Landwirt».


    10
    Arrêt du 18 mai 2000, KVS International (C-301/98, Rec. p. I-3583, point 21). Voir également les arrêts du 17 novembre 1983, Merck (292/82, Rec. p. 3781, point 12), et du 14 octobre 1999, Adidas (C-223/98, Rec. p. I-7081, point 23).


    11
    Kewiet, B. P., qui est le président de l’Office communautaire des variétés végétales, a déclaré dans l’exposé qu’il a présenté à Einbeck le 26 janvier 2001 à propos de Modern Plant Breeding and Intellectual Property Rights, p. 2, que: «Taking action against farmers who are not prepared to pay involves considerable expense (not least legal costs) and is made even more difficult by the lack of adequate information about the extent of the use of seed from protected varieties at individual farm level». Exposé publié sur www.cpvo.fr/e/articles ocvv/speech bk.pdf.

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