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Document 61996CJ0391

    Arrêt de la Cour du 5 mai 1998.
    Compagnie Continentale (France) SA contre Commission des Communautés européennes.
    Assistance d'urgence de la Communauté aux Etats de l'ex-Union soviétique - Prêt - Crédit documentaire - Recours en annulation - Recevabilité - Affectation directe.
    Affaire C-391/96 P.

    Recueil de jurisprudence 1998 I-02377

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1998:194

    Arrêt de la Cour

    Affaire C-391/96 P


    Compagnie Continentale (France) SA
    contre
    Commission des Communautés européennes


    «Assistance d'urgence de la Communauté aux États de l'ex-Union soviétique – Prêt – Crédit documentaire – Recours en annulation – Recevabilité – Affectation directe»

    Conclusions de l'avocat général M. A. La Pergola, présentées le 16 décembre 1997
        
    Arrêt de la Cour du 5 mai 1998
        

    Sommaire de l'arrêt

    1..
    Pourvoi – Moyens – Recevabilité – Conditions – Présentation d'arguments soulevés également devant le Tribunal – Absence d'incidence

    (Statut de la Cour de justice CE, art. 51; règlement de procédure de la Cour, art. 112, § 1, c))

    2..
    Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Affectation directe – Critères – Mise en oeuvre d'un prêt octroyé par la Communauté à l'Union soviétique et à ses républiques – Décision de la Commission adressée à l'emprunteur et portant refus de reconnaître la conformité, au regard des dispositions communautaires applicables, d'amendements apportés aux contrats conclus entre l'agent mandaté par l'emprunteur et une entreprise attributaire du marché – Affectation directe de l'entreprise

    (Traité CE, art. 173, al. 4)

    1.
    Dès lors qu'un pourvoi introduit contre un arrêt du Tribunal indique de façon précise les éléments critiqués de l'arrêt attaqué ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique la demande d'annulation, la circonstance que ces arguments ont également été soulevés en première instance ne saurait justifier leur irrecevabilité.

    2.
    L'affectation directe du requérant, en tant que condition de la recevabilité d'un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale contre une décision adressée à une autre personne, requiert que la mesure communautaire incriminée produise directement des effets sur la situation juridique du requérant et qu'elle ne laisse aucun pouvoir d'appréciation aux destinataires de cette mesure qui sont chargés de sa mise en oeuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation communautaire sans application d'autres règles intermédiaires. Il en va de même lorsque la possibilité pour les destinataires de ne pas donner suite à l'acte communautaire est purement théorique, leur volonté de tirer des conséquences conformes à celui-ci ne faisant aucun doute. S'agissant de la mise en oeuvre d'un prêt octroyé par la Communauté à l'Union soviétique et à ses républiques afin de permettre l'importation de produits agricoles et alimentaires et de fournitures médicales, une entreprise attributaire d'un marché de fourniture de blé est directement concernée, au sens prémentionné, par une décision de la Commission, adressée à l'agent financier de la république emprunteuse et portant refus de reconnaître la conformité, au regard des dispositions communautaires applicables, des amendements apportés aux contrats conclus entre l'entreprise attributaire et l'agent mandaté à cette fin par la république emprunteuse, dans la mesure où la faculté qu'aurait eue l'agent mandaté de donner exécution aux contrats de fourniture conformément aux conditions contestées par la Commission et de renoncer ainsi au financement communautaire était purement théorique, de sorte que ladite décision, adoptée par la Commission dans l'exercice de ses compétences propres, a privé l'entreprise attributaire de toute possibilité effective d'exécuter le marché ou d'obtenir le paiement des livraisons effectuées selon les conditions convenues.







    ARRÊT DE LA COUR
    5 mai 1998 (1)


    «Assistance d'urgence de la Communauté aux États de l'ex-Union soviétique – Prêt – Crédit documentaire – Recours en annulation – Recevabilité – Affectation directe»

    Dans l'affaire C-391/96 P,

    Compagnie Continentale (France) SA, société de droit français, établie à Levallois-Perret (France), représentée par M e  Patrick Chabrier, avocat au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de M e  Ernest Arendt, 8-10, rue Mathias Hardt,

    partie requérante,

    ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (troisième chambre) du 24 septembre 1996, Compagnie Continentale/Commission (T-494/93, Rec. p. II-1157), et tendant à l'annulation de cet arrêt,

    l'autre partie à la procédure étant:

    Commission des Communautés européennes, représentée par M me  Marie-José Jonczy, conseiller juridique, et M. Nicholas Khan, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,

    LA COUR,,



    composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann, H. Ragnemalm, M. Wathelet (rapporteur) et R. Schintgen, présidents de chambre, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, P. J. G. Kapteyn, J. L. Murray, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann, L. Sevón et K. M. Ioannou, juges,

    avocat général: M. A. La Pergola,
    greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

    vu le rapport d'audience,

    ayant entendu les observations orales de Compagnie Continentale (France) SA et de la Commission à l'audience du 8 octobre 1997,

    ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 16 décembre 1997,

    rend le présent



    Arrêt



    1
    Par requête déposée au greffe de la Cour le 4 décembre 1996, la société Compagnie Continentale (France) SA (ci-après Compagnie Continentale ou la requérante) a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 24 septembre 1996, Compagnie Continentale/Commission (T-494/93, Rec. p. II-1157, ci-après l' arrêt attaqué), par lequel celui-ci a rejeté comme irrecevable son recours tendant à l'annulation de la décision de la Commission du 1 er  avril 1993 adressée à la Vnesheconombank.

    Cadre juridique

    2
    Le 16 décembre 1991, le Conseil a adopté la décision 91/658/CEE concernant l'octroi d'un prêt à moyen terme à l'Union soviétique et à ses républiques (JO L 362, p. 89).

    3
    Aux termes de son article 1 er , paragraphe 1, La Communauté accorde à l'Union soviétique et à ses républiques un prêt à moyen terme d'un montant maximal de 1 250 millions d'écus en principal en trois tranches successives pour une durée maximale de trois ans afin de permettre l'importation de produits agricoles et alimentaires et de fournitures médicales....

    4
    L'article 2 de la décision 91/658 dispose que, à cette fin, la Commission est habilitée à emprunter, au nom de la Communauté économique européenne, les ressources nécessaires qui sont mises à la disposition de l'Union soviétique et de ses républiques sous forme d'un prêt.

    5
    Aux termes de son article 3, Le prêt visé à l'article 2 est géré par la Commission.

    6
    En outre, il ressort de l'article 4: 1. La Commission est habilitée à mettre au point, de concert avec les autorités de l'Union soviétique et de ses républiques ... les conditions économiques et financières dont l'octroi du prêt est assorti ainsi que les règles de mise à disposition des fonds et les garanties nécessaires pour assurer le remboursement du prêt....3. L'importation des produits, dont le financement est assuré par le prêt, se fait aux prix du marché mondial. La libre concurrence doit être garantie pour l'achat et la livraison des produits qui doivent répondre aux normes de qualité reconnues internationalement.

    7
    Le 9 juillet 1992, la Commission a adopté le règlement (CEE) n° 1897/92 établissant certaines modalités d'application pour la mise en oeuvre d'un prêt à moyen terme en faveur de l'Union soviétique et de ses républiques, établies par la décision 91/658 (JO L 191, p. 22).

    8
    Conformément à l'article 2 dudit règlement, Les prêts sont octroyés sur la base d'accords conclus entre les républiques et la Commission; ces accords incluent comme conditions de paiement les dispositions édictées aux articles 3 à 7.

    9
    L'article 4 du règlement n° 1897/92 précise: 1. Les prêts financent seulement les achats et les fournitures de produits couverts par des contrats qui ont été reconnus par la Commission en conformité avec les dispositions de la décision 91/658/CEE et avec les dispositions des accords visés à l'article 2.2. Les contrats sont soumis à la Commission par les républiques ou par les agents financiers qu'elles ont mandatés.

    10
    L'article 5 énonce les conditions auxquelles la reconnaissance visée à l'article 4 est subordonnée. Parmi ces conditions figurent les deux points suivants:

    1)
    Le contrat est passé à la suite d'une procédure garantissant la libre concurrence...

    2)
    Le contrat présente les conditions d'achat les plus favorables au vu des prix normalement obtenus sur les marchés internationaux

    .

    11
    Le 9 décembre 1992, la Communauté économique européenne, la Fédération de Russie, comme successeur de l'URSS, et son agent financier, la Vnesheconombank (ci-après la VEB), ont signé, conformément au règlement n° 1897/92, un Memorandum of Understanding (ci-après l' accord-cadre) sur le fondement duquel la Communauté accorderait à la Fédération de Russie le prêt institué par la décision 91/658. Ainsi, il était prévu que la Communauté, en tant que prêteur, accorderait à la VEB, en tant qu'emprunteur, sous garantie de la Fédération de Russie, un prêt à moyen terme de 349 millions d'écus en principal pour une durée maximale de trois ans.

    12
    Le point 6 de l'accord-cadre prévoit que Le montant du prêt, moins les commissions et les frais supportés par la CEE, sera versé à l'emprunteur et affecté, conformément aux clauses et conditions du contrat de prêt, exclusivement à la couverture de crédits documentaires irrévocables ouverts par l'emprunteur, selon les modèles standard internationaux, en application de contrats de livraison, sous réserve que ces contrats et crédits documentaires aient été reconnus par la Commission des Communautés européennes conformes à la décision du Conseil du 16 décembre 1991 et au présent accord.

    13
    Le point 7 énonce les conditions auxquelles la reconnaissance de conformité du contrat est subordonnée. Il est notamment précisé que les fournisseurs sont choisis par les organismes russes désignés à cette fin par le gouvernement de la Fédération de Russie.

    14
    Le 9 décembre 1992, la Commission et la VEB ont signé le contrat de prêt prévu par le règlement n° 1897/92 et l'accord-cadre (ci-après le contrat de prêt). Ce contrat définit précisément le mécanisme de déboursement du prêt. Il établit une facilité à laquelle il est possible de recourir pendant la période de tirage (15 janvier 1993-15 juillet 1993) et qui a pour objet d'avancer les sommes autorisées pour le paiement des fournitures.

    15
    Le 15 janvier 1993, conformément à l'article 2 de la décision 91/658, la Commission, en tant qu'emprunteur, a conclu, au nom de la Communauté, un accord de prêt avec un consortium de banques conduit par le Crédit Lyonnais.

    Faits et procédure devant le Tribunal

    16
    Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal a fait les constatations suivantes:

    8
    La requérante, société spécialisée dans le commerce international des matières premières agricoles, a été contactée, avec d'autres compagnies, dans le cadre d'un appel d'offres informel organisé par la société Exportkhleb, société d'État chargée par la Fédération russe de négocier les achats de blé.

    9
    le 27 novembre 1992, la requérante a signé deux contrats de vente de blé avec Exportkhleb. Par le premier, elle s'engageait à livrer une quantité de 500 000 tonnes de blé de meunerie, dont 50 000 furent ultérieurement annulées, au prix de 140,40 USD la tonne, CIF Free out-ports de la mer Baltique. Par le second, elle s'engageait à livrer 20 000 tonnes de blé dur au prix de 145 USD la tonne, CIF Free out-ports de la mer Noire. Ce second contrat fut modifié le 2 décembre 1992 en vue de la livraison de 15 000 tonnes supplémentaires de blé dur au prix de 148 USD la tonne, CIF Free out-ports de la mer Noire. Toutes ces livraisons devaient être embarquées avant le 28 février 1993.

    10
    Après la signature du contrat de prêt ... la VEB a demandé à la Commission d'approuver les contrats conclus entre Exportkhleb et les sociétés exportatrices de céréales, dont ceux signés par la requérante.

    11
    Après que la Commission a obtenu de la requérante certains renseignements complémentaires indispensables, concernant notamment le taux de change écus/USD, qui n'avait pas été fixé dans le contrat, elle a finalement donné son accord le 27 janvier 1993, sous forme d'une note de confirmation adressée à la VEB.

    12
    Selon la requérante, les lettres de crédit ne sont devenues opérationnelles que le 16 février 1993 pour les blés durs et le 25 février 1993 pour les blés de meunerie, soit quelques jours avant le 28 février 1993, terme de la période d'embarquement prévue par les contrats.

    13
    Or, les contrats n'avaient reçu qu'une exécution partielle. Si une partie importante de la marchandise avait été livrée ou était en cours d'embarquement, il devenait évident, d'après la requérante, que la totalité ne pourrait être livrée avant le 28 février 1993.

    14
    La société Exportkhleb a convoqué le 19 février 1993 tous les exportateurs à une réunion à Bruxelles, les 22 et 23 février 1993. Au cours de cette réunion, Exportkhleb a demandé aux exportateurs de formuler de nouvelles offres de prix pour la livraison de ce qu'elle appelait le solde prévisible, c'est-à-dire les quantités dont on pouvait raisonnablement envisager qu'elles ne seraient pas livrées avant la date du 28 février 1993. Selon la requérante, le cours du blé aurait considérablement augmenté entre le mois de novembre 1992, date à laquelle avaient été conclus les contrats de vente, et le mois de février 1993, date de ces nouvelles négociations.

    15
    A l'issue d'une négociation au cours de laquelle les sociétés durent s'aligner sur l'offre la moins disante, soit 155 USD la tonne, un accord a été trouvé entre l'importateur et ses cocontractants quant à la répartition des nouvelles quantités à livrer par chaque société. La Compagnie Continentale s'est vue chargée de livrer 300 000 tonnes de blé de meunerie dont 120 000 au prix convenu initialement et 180 000 tonnes au prix de 155 USD, ainsi que 20 000 tonnes de blé dur ou de blé de meunerie au prix de 155 USD. Le même accord informel prévoyait que la période d'embarquement s'achèverait le 30 avril 1993.

    16
    Selon la requérante, du fait de l'urgence découlant de la gravité de la situation alimentaire en Russie et par souci d'éviter les lourdeurs de la procédure d'approbation et de mise en place des crédits, il a été décidé, à la demande d'Exportkhleb, de formaliser ces modifications par de simples avenants aux contrats initiaux, qui ont été, par commodité, datés du 23 février 1993, date de la réunion de Bruxelles. Lors de la rédaction des avenants, il a été convenu de réduire la quantité de blé à livrer afin, selon la requérante, d'éviter que le nouveau prix global ne soit supérieur au prix global initialement prévu.

    17
    Le 9 mars 1993, la société Exportkhleb a informé la Commission, d'une part, que les contrats signés avec cinq de ses fournisseurs avaient été modifiés et, d'autre part, que les livraisons à venir s'effectueraient dorénavant au prix de 155 USD la tonne, à convertir en écus au taux de 1,17418 (soit 132 écus la tonne).

    18
    Le 12 mars 1993, M. Legras, directeur général de la direction générale de l'agriculture (DG VI), a répondu à la société Exportkhleb qu'il souhaitait attirer son attention sur le fait que, puisque la valeur maximale de ces contrats avait déjà été fixée par la note de confirmation de la Commission et que la totalité des crédits disponibles pour le blé avait déjà été engagée, la Commission ne pourrait accepter une telle demande que si la valeur des contrats était maintenue, ce qui pouvait être obtenu par une réduction correspondante des quantités en cours à livrer. Il a ajouté que la demande d'approbation des amendements ne pourrait être prise en considération par la Commission qu'à la condition qu'elle soit présentée officiellement par la VEB.

    19
    Selon la requérante, cette lettre a été interprétée comme valant confirmation de l'accord de principe de la Commission, sous réserve d'examen pour approbation formelle, une fois le dossier transmis par la VEB. C'est pourquoi la requérante a repris son programme d'embarquement de blé à destination de la Russie.

    20
    Selon la requérante, les dossiers contenant les nouvelles offres et les amendements aux contrats ont été officiellement transmis à la Commission par la VEB, le 22 mars 1993. Le 1 er  avril 1993, par une lettre adressée à la VEB par le membre en charge des questions agricoles, la Commission a refusé d'approuver les amendements apportés aux contrats.

    21
    Le contenu de la lettre du 1 er  avril 1993 peut être résumé comme suit. Le membre de la Commission, M. R. Steichen, faisait savoir que, après examen des amendements apportés aux contrats conclus entre Exportkhleb et certains fournisseurs, la Commission pouvait accepter ceux relatifs au report des échéances de livraison et de paiement. En revanche, il affirmait que l'ampleur des augmentations de prix est telle que nous ne pouvons pas les considérer comme une adaptation nécessaire, mais comme une modification substantielle des contrats initialement négociés. Il poursuivait: En fait, le niveau actuel des prix sur le marché mondial (fin mars 1993) n'est pas significativement différent de celui qui prévalait à la date à laquelle les prix ont été initialement convenus (fin novembre 1992). Le membre de la Commission rappelait que la nécessité de garantir, d'une part, une libre concurrence entre fournisseurs potentiels et, d'autre part, les conditions d'achat les plus favorables était l'un des principaux facteurs pour l'approbation par la Commission. Constatant qu'en l'espèce les amendements avaient été conclus directement avec les entreprises concernées, sans mise en concurrence avec d'autres fournisseurs, il concluait: La Commission ne peut pas approuver des changements aussi importants par le biais de simples amendements des contrats existants. Le membre de la Commission se disait prêt à autoriser les amendements relatifs au report des livraisons et paiements, sous réserve du respect de la procédure normale. En revanche, il indiquait que, s'il était jugé nécessaire de modifier les prix ou les quantités, il conviendrait de négocier de nouveaux contrats devant être soumis à la Commission pour approbation en application de la procédure complète usuelle (en ce compris la présentation d'au moins trois offres).

    22
    Le 5 avril 1993, la requérante a reçu un télex d'Exportkhleb l'informant du refus de la Commission et citant des extraits de la lettre du 1 er avril 1993, attribuée à M. Legras. Le 20 avril, elle a reçu d'Exportkhleb le texte complet de la lettre en question. ...

    23
    C'est dans ces conditions que, par acte déposé au greffe de la Cour le 22 juin 1993, la requérante a introduit le présent recours...

    24
    Par ordonnance du 27 septembre 1993, la Cour a renvoyé l'affaire devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes, en application de la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993, modifiant la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom instituant le Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 144, p. 21).

    25
    ... Par acte déposé au greffe le 7 décembre 1993, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité.

    17
    Il ressort de l'arrêt attaqué que la requérante a demandé au Tribunal

    d'annuler la décision de la Commission du 1 er avril 1993, refusant de reconnaître les conventions conclues le 23 février 1993 et les amendements aux lettres de crédit s'y rattachant;

    de rétablir la société dans ses droits à percevoir de la banque, le Crédit Lyonnais, le solde du paiement résultant de la différence du prix entre le prix initialement convenu et les prix ultérieurement convenus sur les quantités de blé livrées à partir du 28 février 1993, à défaut de quoi la société réserve expressément tous les droits à recourir en responsabilité extracontractuelle si nécessaire, aux fins d'obtenir réparation du préjudice qu'elle subirait;

    de condamner la Commission aux dépens

    (point 28 de l'arrêt attaqué).

    18
    La Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité par laquelle elle a demandé au Tribunal

    de déclarer le recours irrecevable, faute d'avoir été présenté dans les délais de recours;

    de déclarer le recours en annulation irrecevable, faute pour la requérante d'être directement concernée par la décision;

    de déclarer la demande incidente irrecevable;

    de condamner la requérante aux dépens

    (point 29 de l'arrêt attaqué).

    L'arrêt attaqué

    19
    Le Tribunal a rejeté comme irrecevable le recours en annulation formé contre la décision de la Commission du 1 er avril 1993 (ci-après la décision litigieuse) pour les motifs suivants:

    47
    Aux termes de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, toute personne physique ou morale peut former un recours contre les décisions qui, bien que prises sous la forme d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.

    48
    Il y a donc lieu de déterminer si la requérante est directement et individuellement concernée par la lettre que la Commission a adressée à la VEB le 1 er avril 1993.

    49
    Le Tribunal constate, à titre liminaire, que la Commission n'a pas contesté que la requérante est individuellement concernée. Au vu des circonstances de l'espèce, le Tribunal estime que seule la question de savoir si la requérante est directement concernée par la décision litigieuse doit être examinée.

    50
    A cet égard, il convient de constater que les actes réglementaires communautaires et les accords conclus entre la Communauté et la Fédération russe établissent une répartition des compétences entre la Commission et l'agent mandaté par la Fédération russe en vue d'acheter du blé. En effet, il appartient à cet agent, en l'occurrence Exportkhleb, de choisir, par voie d'appel d'offres, le cocontractant, de négocier les termes du contrat et de conclure ce contrat. Le rôle conféré à la Commission consiste uniquement à vérifier que les conditions du financement communautaire sont remplies et, le cas échéant, à reconnaître ces contrats conformes aux dispositions de la décision 91/658 et des accords conclus avec la Fédération russe, en vue du déboursement du prêt. Il n'appartient donc pas à la Commission d'apprécier le contrat commercial au regard d'autres critères que ceux-ci.

    51
    Il s'ensuit que l'entreprise attributaire d'un marché n'entretient de relations juridiques qu'avec son cocontractant, Exportkhleb, mandaté par la Fédération russe en vue de conclure des contrats d'achat de blé. La Commission, quant à elle, n'entretient de relations juridiques qu'avec l'emprunteur, à savoir l'agent financier de la Fédération russe, la VEB, qui lui notifie, en vue de la reconnaissance de conformité, les contrats commerciaux et est destinataire de la décision de la Commission à ce sujet.

    52
    En conséquence, il y a lieu de souligner que l'intervention de la Commission n'affecte pas la validité juridique du contrat commercial conclu entre la requérante et Exportkhleb ni ne modifie les termes du contrat, notamment en ce qui concerne les prix convenus par les parties. Ainsi, indépendamment de la décision de la Commission de ne pas reconnaître la conformité des conventions au regard des dispositions applicables, l'amendement apporté le 23 février 1993 par les parties à leur contrat du 28 novembre 1992 demeure valablement conclu dans les termes convenus entre elles.

    53
    Le fait que la Commission ait eu des contacts avec la requérante ou avec Exportkhleb ne saurait modifier cette appréciation des droits et obligations juridiques qui découlent, pour chacune des parties impliquées, des actes réglementaires et conventionnels applicables. De surcroît, au regard de la recevabilité du recours en annulation, le Tribunal relève que les échanges invoqués par la requérante ne démontrent pas que la Commission soit sortie du rôle qui est le sien. Ainsi, les contacts allégués entre la Commission et la requérante en janvier 1993 avaient uniquement pour objet d'obtenir que les parties incluent dans leur contrat une condition dont la présence était indispensable en vue de la reconnaissance de conformité, mais laissaient aux seules parties le soin de modifier leur contrat si elles entendaient pouvoir bénéficier du financement prévu. En outre, la circonstance que la Commission ait adressé à la requérante une copie de la note de confirmation dont la VEB était destinataire n'affecte pas la portée juridique de cette note.

    54
    Le Tribunal considère en outre que, s'il est exact que la VEB, lorsqu'elle reçoit de la Commission une décision constatant la non-conformité du contrat avec les dispositions applicables, ne peut émettre un crédit documentaire susceptible de bénéficier de la garantie communautaire, il n'en demeure pas moins, comme il a été précisé ci-dessus, que ni la validité du contrat conclu entre la requérante et Exportkhleb ni ses termes ne se trouvent affectés par la décision. A cet égard, il y a lieu de souligner que la décision de la Commission ne se substitue pas à une décision des autorités nationales russes, dès lors que la Commission a seulement compétence pour examiner la conformité des contrats en vue du financement communautaire.

    55
    Il convient d'ajouter que, pour établir qu'elle est directement concernée par la décision litigieuse, la requérante ne peut se prévaloir de la présence dans les contrats commerciaux d'une clause suspensive soumettant l'exécution du contrat et le paiement du prix à la reconnaissance par la Commission que les conditions pour le déboursement du prêt communautaire sont remplies. En effet, une telle clause est un lien que les parties à la convention décident d'instaurer entre le contrat qu'elles concluent et un événement futur et incertain, dont seule la réalisation donnera sa force obligatoire à leur accord. Or, le Tribunal considère que l'on ne saurait faire dépendre la recevabilité d'un recours, au titre de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, de la volonté des parties. L'argument de la requérante doit, en conséquence, être rejeté.

    56
    Enfin, le Tribunal estime que la confiance légitime dont se prévaut la requérante, selon laquelle elle pouvait s'attendre à ce que l'amendement aux contrats soit validé par la Commission, relève du fond de l'affaire et ne modifie donc pas l'appréciation de la recevabilité du recours.

    57
    Au vu de ces éléments, le Tribunal considère que la requérante n'est pas directement concernée, au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, par la décision de la Commission du 1 er avril 1993 adressée à la VEB. Il y a lieu dès lors de déclarer irrecevable le recours en annulation formé contre cette décision

    .

    20
    S'agissant de la demande tendant à rétablir la requérante dans ses droits à l'égard d'un tiers, le Tribunal a rappelé que, dans le cadre d'un recours en annulation fondé sur l'article 173 du traité, le juge communautaire se limite à un contrôle de légalité de l'acte attaqué et que cette demande devait dès lors être déclarée irrecevable (point 59 de l'arrêt attaqué).

    21
    Le Tribunal a estimé, enfin, qu'il n'y avait pas lieu d'examiner le moyen tiré de la tardiveté du recours (point 60 de l'arrêt attaqué).

    22
    Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal a rejeté le recours comme irrecevable et condamné la requérante aux dépens.

    Le pourvoi

    23
    A l'appui de son pourvoi, Compagnie Continentale invoque deux moyens tirés, d'une part, de la violation de l'article 173, quatrième alinéa, du traité et, d'autre part, de la contradiction qui entache la motivation de l'arrêt attaqué.

    Sur le premier moyen

    24
    Le premier moyen se divise en deux branches.

    25
    D'une part, la requérante reproche au Tribunal d'avoir considéré qu'elle n'était pas directement concernée au motif que l'entreprise attributaire d'un marché n'entretient de relations juridiques qu'avec son cocontractant Exportkhleb et que la Commission quant à elle n'entretient de relations juridiques qu'avec l'emprunteur, à savoir l'agent financier de la Fédération russe, la VEB (point 51 de l'arrêt attaqué).

    26
    Or, l'existence d'un lien individuel et direct ne serait pas affectée, selon la jurisprudence, par l'interposition d'un État (ou de ses agents) (arrêts du 1 er  juillet 1965, Toepfer et Getreide-Import, 106/63 et 107/63, Rec. p. 525, et du 13 mai 1971, International Fruit Company e.a./Commission, 41/70 à 44/70, Rec. p. 411) ni par l'absence de relations juridiques entre un requérant et l'institution communautaire, dont la décision est attaquée (arrêts du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169/84, Rec. p. 391; du 28 octobre 1993, Zunis Holding e.a./Commission, T-83/92, Rec. p. II-1169; du 24 mars 1994, Air France/Commission, T-3/93, Rec. p. II-121, et du 19 mai 1994, Air France/Commission, T-2/93, Rec. p. II-323).

    27
    En l'espèce, la situation serait en tout point analogue à celle de l'arrêt International Fruit Company e.a./Commission, précité, où la Cour a considéré que, lorsque les autorités nationales ne disposent d'aucun pouvoir d'appréciation et que la Commission seule est compétente pour apprécier la situation économique au vu de laquelle la décision (concernant la délivrance des titres d'importation) doit se justifier, cette dernière affecte directement les intéressés; dans ces conditions, c'est à cette même décision qu'il y a lieu de rattacher, vis-à-vis des intéressés, la délivrance ou la non-délivrance des titres d'importation.

    28
    D'autre part, l'arrêt attaqué violerait l'article 173, quatrième alinéa, du traité, en ce qu'il déclare que la requérante n'est pas concernée directement par la décision litigieuse au motif que celle-ci n'affecte pas la validité juridique du contrat commercial conclu entre la requérante et Exportkhleb ni ne modifie les termes du contrat, notamment en ce qui concerne les prix convenus par les parties (point 52).

    29
    Selon Compagnie Continentale, le Tribunal, limitant à tort la portée de la condition de l'article 173, quatrième alinéa, à l'atteinte à la situation juridique de la requérante, n'a pas examiné, comme il lui était demandé, si les effets de droit produits par la décision litigieuse n'ont pas concerné la requérante dans sa situation et ses intérêts économiques, et cela indépendamment du maintien éventuel de ses relations contractuelles.

    30
    Dans l'arrêt Zunis Holding e.a./Commission, précité, le Tribunal aurait pourtant considéré que, pour être directement et individuellement concerné par une décision, le requérant devait être affecté dans sa situation juridique et matérielle (points 34 et 35).

    31
    La Commission conteste la recevabilité du pourvoi au motif que la presque totalité de l'argumentation invoquée ne serait que la reproduction des arguments qui avaient été développés par la requérante devant le Tribunal. Or, il serait de jurisprudence constante que ne répond pas aux exigences de l'article 51 du statut CE de la Cour de justice et de l'article 112, paragraphe 1, sous c), de son règlement de procédure le pourvoi qui se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal.

    32
    Sur le fond, la Commission observe, à titre liminaire, que les clauses contractuelles sur lesquelles s'appuie la requérante sont loin d'être claires et conteste l'argument selon lequel, faute d'approbation par la Commission, l'obligation contractuelle de paiement cessait. Le contrat en cause ne pourrait être interprété que par l'instance compétente, c'est-à-dire celle choisie par les parties contractantes dans le contrat lui-même, à savoir la chambre de commerce et d'industrie de Moscou. Or, Compagnie Continentale n'aurait jamais saisi cette instance d'une plainte.

    33
    Sur la première branche du premier moyen et, en particulier, la référence à l'arrêt International Fruit Company e.a./Commission, la Commission observe que, dans cette dernière affaire, son refus de délivrer les titres pour l'importation de pommes de table en provenance de pays tiers avait été notifié aux requérantes par l'intermédiaire du Produktschap voor Groenten en Fruit de La Haye. En ce sens, l'effet juridique de la décision de la Commission sur les requérantes résultait directement de cette décision, même si elle avait formellement été adressée à l'organisme néerlandais.

    34
    En l'occurrence et à la différence de l'affaire International Fruit Company e.a./Commission, précitée, la demande d'avances sur la base du prêt accordé à la Fédération de Russie aurait été adressée à la Commission par la VEB au nom de la Russie (et non de Compagnie Continentale) et l'effet allégué résulterait seulement d'une combinaison de la décision litigieuse et des termes du contrat, auquel la Commission n'est pas partie.

    35
    En ce qui concerne la seconde branche du premier moyen, la Commission considère qu'il est nécessaire, pour qu'une action en annulation contre une de ses décisions soit recevable, que celle-ci produise des effets de droit communautaire à l'égard de la partie requérante, faute de quoi celle-ci ne serait pas directement concernée par la décision. A cet égard, elle observe que l'effet invoqué par la requérante provient des seules clauses du contrat sur lesquelles elle se fonde.

    36
    S'agissant de l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission, il convient de constater que le pourvoi indique de façon précise les éléments critiqués de l'arrêt attaqué ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique la demande d'annulation (voir, notamment, ordonnance du 26 avril 1993, Kupka-Floridi/Comité économique et social, C-244/92 P, Rec. p. I-2041, point 9). Dans ces conditions, la circonstance que ces arguments ont également été soulevés en première instance ne saurait justifier leur irrecevabilité.

    37
    L'exception d'irrecevabilité doit en conséquence être rejetée.

    38
    Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, toute personne physique ou morale peut introduire un recours en annulation contre les décisions dont elle est destinataire et contre celles qui, bien que prises sous l'apparence d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.

    39
    En l'occurrence, la décision litigieuse a été formellement adressée à la VEB.

    40
    Le Tribunal n'a abordé que la question de savoir si la requérante était directement concernée par la décision litigieuse, la Commission n'ayant pas contesté que la requérante était individuellement concernée.

    41
    Il découle de la jurisprudence de la Cour que l'affectation directe requiert que la mesure communautaire incriminée produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et qu'elle ne laisse aucun pouvoir d'appréciation aux destinataires de cette mesure qui sont chargés de sa mise en oeuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation communautaire sans application d'autres règles intermédiaires (voir en ce sens, notamment, arrêts International Fruit Company e.a./Commission, précité, points 23 à 29; du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92/78, Rec. p. 777, points 25 et 26; du 29 mars 1979, NTN Toyo Bearing Company e.a./Conseil, 113/77, Rec. p. 1185, points 11 et 12; ISO/Conseil, 118/77, Rec. p. 1277, point 26; Nippon Seiko e.a./Conseil et Commission, 119/77, Rec. p. 1303, point 14; Koyo Seiko e.a./Conseil et Commission, 120/77, Rec. p. 1337, point 25; Nachi Fujikoshi e.a./Conseil, 121/77, Rec. p. 1363, point 11; du 11 juillet 1985, Salerno e.a./Commission et Conseil, 87/77, 130/77, 22/83, 9/84 et 10/84, Rec. p. 2523, point 31; du 17 mars 1987, Mannesmann-Röhrenwerke et Benteler/Conseil, 333/85, Rec. p. 1381, point 14; du 14 janvier 1988, Arposol/Conseil, 55/86, Rec. p. 13, points 11 à 13; du 26 avril 1988, Apesco/Commission, 207/86, Rec. p. 2151, point 12, et du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C-152/88, Rec. p. I-2477, point 9).

    42
    Il en va de même lorsque la possibilité pour les destinataires de ne pas donner suite à l'acte communautaire est purement théorique, leur volonté de tirer des conséquences conformes à celui-ci ne faisant aucun doute (voir, en ce sens, arrêts du 23 novembre 1971, Bock/Commission, 62/70, Rec. p. 897, points 6 à 8; du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11/82, Rec. p. 207, points 8 à 10, et du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C-68/94 et C-30/95, non encore publié au Recueil, point 51).

    43
    Compte tenu de ce qui précède, il incombait, en l'occurrence, au Tribunal de vérifier si la décision litigieuse a eu, à elle seule, des effets sur la situation juridique de Compagnie Continentale, et ce du fait de l'absence de marge d'appréciation dans le chef des autorités compétentes russes quant à la possibilité de donner exécution au contrat conformément aux conditions convenues entre les parties dans l'avenant, mais contestées par la Commission, tout en renonçant au financement communautaire.

    44
    A cet égard, le Tribunal s'est limité à constater que la décision de la Commission, qui avait seulement compétence pour examiner la conformité des contrats en vue du financement communautaire, n'avait pas affecté la validité juridique du contrat commercial conclu entre la requérante et Exportkhleb ni modifié les termes du contrat, notamment en ce qui concerne les prix convenus par les parties, et que l'amendement apporté le 23 février 1993 par les parties à leur contrat du 28 novembre 1992 [demeurait donc] valablement conclu dans les termes convenus entre elles (points 52 et 54). Il a ajouté que la présence dans le contrat d'une clause suspensive soumettant l'exécution du contrat et le paiement du prix à la reconnaissance par la Commission que les conditions pour le déboursement du prêt communautaire sont remplies découlait de la volonté des parties elles-mêmes dont ne pouvait dépendre la recevabilité du recours au titre de l'article 173, quatrième alinéa (point 55).

    45
    Or, plusieurs éléments objectifs, pertinents et concordants, constatés par le Tribunal, révèlent que la requérante était directement concernée par la décision litigieuse.

    46
    En effet, il ressort de l'arrêt attaqué que la VEB, en sa qualité d'agent financier de la Fédération de Russie, a participé conformément à l'accord-cadre et au contrat de prêt qui la lie à la Commission à la mise en oeuvre du financement communautaire des importations en Fédération de Russie de produits agricoles et alimentaires et de fournitures médicales, tel que prévu par la décision 91/658.

    47
    De plus, il apparaît que la prise d'effet du contrat de fourniture en cause était subordonnée à la condition suspensive de la reconnaissance par la Commission de la conformité du contrat avec les conditions de déboursement du prêt communautaire et qu'aucun paiement ne pouvait être exécuté si la banque désignée dans le contrat ne recevait pas un engagement régulier de remboursement émis par la Commission.

    48
    Un tel élément trouve confirmation dans le contexte socio-économique dans lequel s'est inscrite la conclusion du contrat de fourniture, caractérisé, ainsi qu'il ressort des troisième et quatrième considérants de la décision 91/658, par la situation économique et financière critique à laquelle devait faire face la république bénéficiaire ainsi que l'aggravation de sa situation alimentaire et médicale. Il était, dans ces conditions, légitime de considérer que le contrat de fourniture n'a été conclu qu'en fonction des obligations assumées par la Communauté, en sa qualité de prêteuse, à l'égard de la VEB, aussitôt que les contrats commerciaux auraient été reconnus conformes à la réglementation communautaire.

    49
    Dans ces circonstances, l'insertion de la condition suspensive dans le contrat, certes voulue par les parties, n'a fait que refléter, ainsi que l'a souligné M. l'avocat général au point 69 de ses conclusions, la subordination économique objective du contrat de fourniture à l'accord de prêt conclu entre la Communauté et la république concernée, le paiement de la livraison de céréales ne pouvant s'effectuer qu'au moyen des ressources financières mises à disposition des acheteurs par la Communauté à travers le mécanisme de l'ouverture de crédits documentaires irrévocables.

    50
    La faculté qu'aurait eue Exportkhleb de donner exécution aux contrats de fourniture conformément aux conditions de prix contestées par la Commission et de renoncer ainsi au financement communautaire était purement théorique et ne pouvait suffire, à la lumière des faits constatés par le Tribunal, pour exclure que la requérante ait été directement concernée par la décision litigieuse.

    51
    Il apparaît ainsi que la décision litigieuse, par laquelle la Commission a refusé d'approuver l'avenant du contrat de fourniture conclu entre Exportkhleb et Compagnie Continentale, exerçant ainsi ses compétences propres, a privé cette dernière de toute possibilité effective d'exécuter le marché qui lui avait été attribué ou d'obtenir le paiement des livraisons effectuées selon les conditions convenues.

    52
    Dans ces conditions, bien qu'adressée à la VEB, en tant qu'agent financier de la Fédération de Russie, la décision litigieuse a affecté directement la situation juridique de la requérante.

    53
    Il découle de ce qui précède que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant, au regard des circonstances de fait constatées par lui, que la requérante n'était pas directement concernée , au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, par la décision litigieuse.

    54
    Le pourvoi, en ce qu'il porte sur le rejet par l'arrêt attaqué du recours en annulation comme irrecevable, est donc fondé.

    Sur le second moyen

    55
    Compte tenu de ce qui précède, il n'y a pas lieu de se prononcer sur le second moyen.

    Sur le renvoi de l'affaire devant le Tribunal

    56
    Aux termes de l'article 54, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice, Lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d'être jugé, soit renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue.

    57
    En l'espèce, la Cour estime qu'elle n'est pas en mesure de juger sur l'affaire en l'état et qu'il y a donc lieu de la renvoyer au Tribunal pour qu'il statue sur le fond.


    Par ces motifs,

    LA COUR

    déclare et arrête:

    1)
    L'arrêt du Tribunal de première instance du 24 septembre 1996, Compagnie Continentale/Commission (T-494/93), est annulé en ce qu'il rejette comme irrecevable le recours en annulation de la société Compagnie Continentale (France) SA.

    2)
    L'affaire est renvoyée devant le Tribunal de première instance pour qu'il statue sur le fond.

    3)
    Les dépens sont réservés.

    Rodríguez Iglesias

    Gulmann

    Ragnemalm

    Wathelet

    Schintgen

    Mancini

    Mointinho de Almeida

    Kapteyn

    Murray

    Edward

    Puissochet

    Hirsch

    Jann

    Sevón

    Ioannou

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 mai 1998.

    Le greffier

    Le président

    R. Grass

    G. C. Rodríguez Iglesias


    1
    Langue de procédure: le français.

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