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Document 61981CC0106

    Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 9 juin 1982.
    Julius Kind KG contre Communauté économique européenne.
    Recours en responsabilité non contractuelle - Organisation commune de marchés des viandes ovine et caprine - "Claw-back".
    Affaire 106/81.

    Recueil de jurisprudence 1982 -02885

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1982:217

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. FRANCESCO CAPOTORTI,

    PRÉSENTÉES LE 9 JUIN 1982 ( *1 )

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    1. 

    La présente affaire a été introduite contre le Conseil et la Commission par une entreprise allemande — la société Kind — qui s'occupe de l'importation et du commerce de viandes fraîches en provenance de la République fédérale ou du Royaume-Uni; elle demande la réparation des dommages qui lui auraient été causés par une mesure particulière de prélèvement à l'exportation, introduite par le règlement n° 1837/80 du Conseil, du 27 juin 1980, ainsi que par le fait que la Commission n'a pas suspendu cette mesure.

    Il convient de rappeler que le règlement cité a institué l'organisation commune des marchés dans le secteur des viandes ovine et caprine, organisation fondée essentiellement sur la réglementation des prix (prix de base communautaire, prix de référence régionalisés et prix constatés sur des marchés représentatifs de la Communauté), sur l'octroi d'une prime aux producteurs afin de compenser la perte éventuelle de revenu résultant de l'institution de l'organisation commune, et sur d'autres formes d'intervention visant à régulariser le marché. Parmi les mesures de cette dernière catégorie, il faut mentionner les achats par les organismes d'intervention, si le prix constaté descend au-dessous d'un niveau déterminé, précisé par l'article 7, paragraphe 2, et le versement d'une «prime variable à l'abattage» réglementé par l'article 9. Cette prime peut être accordée par l'État membre intéressé lorsque les prix constatés sur son marché représentatif sont inférieurs à un «niveau directeur», correspondant à 85 % du prix de base, à condition toutefois que les mesures d'aide consistant en achats par les organismes d'intervention ne soient pas appliquées dans cet État. Mais le bénéfice de la prime variable à l'abattage pourrait provoquer des distorsions de concurrence lorsque les viandes abattues sont destinées à l'exportation hors du territoire de l'État membre intéressé; afin d'éviter cette conséquence négative, l'article 9, paragraphe 3, prévoit l'adoption des mesures nécessaires «pour permettre que, en cas de paiement de la prime (d'abattage) ..., un montant équivalant à celui de cette prime soit perçu sur les (memes) produits ... à la sortie du territoire de l'État membre concerné». Tel est le prélèvement particulier à l'exportation, dont l'application aurait causé à l'entreprise demanderesse les dommages dont elle se plaint, c'est-à-dire une réduction sensible de son chiffre d'affaires entre octobre 1980 et mars 1981.

    Les modalités d'application de la prime variable à l'abattage ont été réglementées ultérieurement par le règlement n° 2661/80 de la Commission, du 17 octobre 1980. En particulier, même si l'octroi de la prime est décidé par les autorités étatiques lorsque ses conditions sont remplies, il appartient à la Commission de fixer, chaque semaine, pour chaque État intéressé, le montant de la prime (voir article 3) et le montant à percevoir à la sortie de son territoire des produits en question (article 4).

    Durant la campagne 1980-1981, le prix de marché des viandes ovines au Royaume-Uni est descendu au-dessous du «niveau directeur»; les autorités britanniques ont donc accordé la prime à l'abattage. Dans le meme temps, la perception sur les viandes ovines exportées d'un montant correspondant à cette prime a été prévue, conformément au paragraphe 3 de l'article 9 cité. Quant à la période ultérieure au mois de novembre 1981, les données fournies par le Conseil (par la note du 14. 5. 1982) indiquent que l'évolution du marché n'a pas permis l'octroi de la prime, ou l'a permis dans une mesure très modeste, susceptible de ne pas influencer de manière appréciable les échanges tant internes qu'intracommunautaires.

    Devant la situation préjudiciable dans laquelle elle s'est trouvée en avril 1981, la société Kind a demandé à la Commission de proposer au Conseil de ministres de modifier l'article 9 cité du règlement n° 1837/80, ou du moins d'ordonner la suspension de la perception du prélèvement à l'exportation. Cette dernière demande se fondait sur l'article 33 du règlement précité, selon lequel «afin de faciliter le passage du régime existant avant l'application du présent règlement dans chacun des États membres au régime institué par le présent règlement, la Commission peut arrêter les mesures appropriées». Mais la réponse de la Commission a été négative, et cela a incité la société Kind à introduire, le 4 mai 1981, le recours auquel se rapportent nos présentes conclusions.

    2. 

    A l'appui de son recours, la société Kind affirme en premier lieu que la disposition relative au prélèvement à l'exportation, contenue dans l'article 9 cité du règlement n° 1837/80, serait illégale pour défaut de motivation: elle violerait l'article 190 du traité CEE, qui prescrit que les règlements, comme les directives et les décisions, doivent être motivés. Mais ce grief est dénué de fondement. En effet, le second considérant du règlement en question indique les raisons qui sont à la base des mesures d'intervention, et plus particulièrement de l'attribution des primes à l'abattage dans les régions où le système des achats par les organismes d'intervention ne s'applique pas, en précisant que ces mesures sont nécessaires pour atteindre les objectifs visés à l'article 39 du traité, et spécialement pour stabiliser les marchés et assurer un niveau de vie équitable à la population agricole intéressée. Dans la dernière partie du considérant, on explique pourquoi un prélèvement à l'exportation a été introduit, en affirmant que, en cas d'exportation de viandes hors du territoire de l'État membre qui accorde la prime à l'abattage, «afin d'éviter les distorsions de concurrence», il convient de récupérer un montant équivalant à cette prime.

    Nous estimons que ces indications, bien qu'elles aient un caractère nécessairement synthétique, fournissent une explication suffisante des motifs du règlement pour la partie qui nous intéresse et sont donc pleinement conformes à l'obligation imposée par l'article 190 du traité. A cet égard, il faut rappeler que, selon la jurisprudence de notre Cour, lorsqu'il s'agit d'actes de portée générale, et en particulier de règlements, la condition requise par cette règle doit être considérée comme satisfaite lorsque la motivation clarifie les points essentiels des mesures adoptées par les institutions: «on ne saurait exiger une motivation spécifique à l'appui de tous les détails que peut comporter une telle mesure, dès lors que ceux-ci rentrent dans le cadre systématique de l'ensemble» (arrêt du 12. 7. 1979 dans l'affaire 166/78, République italienne/Conseil, Recueil 1979, p. 2575). En l'espèce, il nous semble que le préambule du règlement n° 1837/80, articulé en dix-huit considérants, peut être considéré comme suffisamment large et analytique.

    3. 

    La requérante soutient en second lieu que l'article 9 du règlement n° 1837/80 a introduit une véritable taxe, d'effet équivalant à des droits de douane, contrairement aux articles 9, 12, 13 et 16 du traité CEE. Pour démontrer le bien-fondé de ce grief, la défense de la société Kind invoque l'arrêt de notre Cour du 20 avril 1978 dans les affaires jointes 80-81/77, Commissionnaires Réunis/Receveur des douanes (Recueil 1978, p. 927). Il s'agissait dans cette affaire d'établir si une disposition communautaire qui autorisait les États membres producteurs de vin à instituer et à percevoir des taxes d'effet équivalant à des droits de douane, dans les échanges intracommunautaires de produits vinicoles, était compatible avec l'article 13 cité du traité CEE, qui prévoit l'abolition, avant la fin de la période de transition, des taxes d'effet équivalant aux droits de douane à l'importation. La Cour a estimé à juste raison que l'élimination entre les États membres de droits de douane et de taxes d'effet équivalent constitue une règle fondamentale du marché commun à laquelle il n'est pas permis de déroger. Mais la référence à ce précédent ne constitue pas un argument à l'appui de la thèse de la requérante: en effet, dans le cas tranché par l'arrêt précité, le litige portait sur le paiement d'une taxe française sur l'importation de vins de table (ou aptes à devenir des vins de table), taxe instituée, comme nous l'avons dit, sur la base d'une disposition réglementaire communautaire qui l'autorisait. Dans notre cas, au contraire, nous avons affaire à un simple mécanisme de récupération, au moment de l'exportation, d'une aide communautaire qui est accordée à la production et qui a été conçue comme un soutien destiné à agir exclusivement sur le marché interne de l'État intéressé. En effet, le prélèvement à l'exportation est étroitement lié à la nature de la prime d'abattage; étant donné que cette dernière est destinée à contribuer à l'équilibre des prix sur un marché déterminé, on veut éviter qu'elle produise également des effets à l'extérieur de ce marché et qu'elle soit par conséquent récupérée sur le montant déjà versé lorsque la viande ovine sort du territoire de l'État intéressé. Par ce mécanisme, on ne fait donc rien d'autre que de rétablir le niveau du prix normal aux fins des relations extérieures et de circonscrire au marché intérieur les effets de la mesure d'intervention.

    D'autre part, même si l'on partageait la thèse qui attribue au prélèvement en question la nature d'une taxe d'effet équivalant à un droit de douane, il nous semble que le grief en question se révélerait également non fondé. En réalité, nous savons que, selon la jurisprudence de notre Cour, la responsabilité de la Communauté pour un acte normatif impliquant, comme en l'espèce, des choix de politique économique, n'existe qu'en cas de violation grave d'une règle juridique supérieure qui protège les particuliers (voir notamment l'arrêt du 25. 5. 1978 dans les affaires jointes 83 et 94/76, 4, 15 et 40/77, Bayerische HNL Vermehrungsbetriebe e. a., Recueil 1978, p. 1209). La Cour a récemment précisé ce point de vue en affirmant (arrêt du 1. 10. 1979 dans l'affaire 238/78, Ireks-Arkady, Recueil 1979, p. 2955, spécialement au neuvième considérant) que, «dans un contexte de normes communautaires, caractérisé par l'exercice d'un large pouvoir discrétionnaire, indispensable à la mise en œuvre de la politique agricole commune, la responsabilité de la Communauté ne pourrait être engagée que de manière exceptionnelle dans les cas où l'institution concernée aurait méconnu, de manière manifeste et grave, les limites qui s'imposent dans l'exercice de ses pouvoirs». Or, on ne peut certainement pas parvenir à estimer que la mesure dont nous nous occupons a été gravement arbitraire. L'introduction du prélèvement à l'exportation, prévu par l'article 9 du règlement n° 1837/80, a été en tout cas une décision justifiée par des circonstances objectives et relative à la sphère discrétionnaire de la politique économique. Il suffit de rappeler ce que le représentant de la Commission, principalement, a mis en relief au sujet des exigences qui ont conduit à prévoir tant la prime à l'abattage que la récupération de son montant dans les cas d'exportation. La situation particulière du Royaume-Uni (qui est en même temps le principal producteur et le principal consommateur de viandes ovines) a eu en cela une importance déterminante.

    Avant la création de l'organisation commune dans le secteur qui nous intéresse, les producteurs du Royaume-Uni bénéficiaient d'une subvention publique, d'un montant égal à la différence entre le prix de marché et un prix fixé par l'administration. Ce système appelé «deficiency payment», tandis qu'il visait à maintenir le prix sur le marché intérieur à un niveau relativement peu élevé, constituait en même temps une aide à l'exportation, étant donné que la subvention était également octroyée pour les viandes produites dans le Royaume-Uni et exportées ultérieurement. Lorsque le régime de l'organisation commune de marché est entré en application, la prime à l'abattage dont nous parlons a pris la place du «deficiency payment», parce qu'il fallait éviter que ne se produise une augmentation brusque et importante des prix sur le marché intérieur, avec pour conséquence la réduction tant des consommations que des importations en provenance des pays tiers. A ce sujet, il convient de noter également que toute réduction sensible des importations en provenance des pays tiers aurait aussi entraîné des complications au sein du GATT, puisque les accords réalisés concernant le montant du droit de douane à l'entrée dans la Communauté auraient pu être remis en discussion.

    Les circonstances dans lesquelles la prime à l'abattage a été prévue font donc comprendre qu'il ne s'agissait pas du tout d'une mesure arbitraire, et que sa limitation au marché intérieur de l'État qui l'accorde n'avait pas non plus un caractère arbitraire; limitation assurée, comme nous l'avons déjà dit, par le mécanisme du prélèvement à l'exportation. De toute évidence, il n'est donc pas possible de parler, en se référant à l'article 9 du règlement n° 1837/80, de violation grave d'une règle communautaire supérieure: en réalité, cette règle a été le résultat d'un choix de politique économique justifié par les conditions objectives du marché, et surtout du marché du Royaume-Uni, dans le secteur des viandes ovines.

    4. 

    Le troisième grief que la société Kind formule contre le règlement n° 1837/80 consiste à affirmer que la prime à l'abattage et sa récupération en cas d'exportation seraient incompatibles avec l'article 40, paragraphe 3, alinéa 2, du traité CEE, en vertu duquel l'organisation commune de marché «doit se limiter à poursuivre les objectifs énoncés à l'article 39 et doit exclure toute discrimination entre producteurs ou consommateurs de la Communauté». L'institution d'une prime à l'abattage destinée à s'appliquer à l'échelle régionale constituerait une discrimination de traitement, étant donné qu'elle assurerait un régime de faveur aux consommateurs et aux producteurs de certains pays (dans notre cas, du Royaume-Uni) par rapport à ceux d'autres pays de la Communauté dont les conditions de marché ne permettent pas d'appliquer ce type d'interventions.

    A cet égard, nous observons que de nombreux aspects de l'organisation commune de marché des viandes ovines sont fondés sur le critère de la régionalisation: en particulier, la détermination des prix de référence (article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1837/80 cité), l'octroi, aux producteurs, de la prime destinée à compenser leur perte de revenu après la mise en place de l'organisation commune (article 5, paragraphe 1), l'adoption de mesures d'intervention (articles 6, 7, 9). Doit-on peut-être estimer que sous tous ces aspects, le principe de la non-discrimination entre producteurs et consommateurs de la Communauté a été violé? A notre avis, la réponse doit être négative, parce que la différenciation de traitement à l'échelle régionale, dans le secteur en question, est justifiée par les conditions objectives du marché, lequel présente des caractères très différents dans les diverses zones énumérées par l'article 3, paragraphe 1, cité. Bien entendu, ces diversités doivent être éliminées graduellement: la perspective, conformément aux objectifs généraux de la Communauté, doit être de parvenir à un aménagement unitaire dans une période de temps raisonnablement limitée. Mais cette condition essentielle est respectée par le règlement en question, étant donné que les mesures régionalisées ont été conçues comme des solutions de caractère transitoire. Ce caractère apparaît principalement dans la disposition de l'article 3, paragraphe 4, relative au prix de référence (et par conséquent à l'élément auquel tout le reste se rattache, directement ou indirectement): elle prévoit que, dans une période de quatre ans, on doit parvenir à la convergence des prix nationaux et donc à la fixation d'un prix de référence unique, valable pour toute la Communauté. Une autre indication de ce caractère transitoire est ensuite constituée par la disposition de l'article 34, selon laquelle la Commission devra présenter au Conseil, avant le 1er octobre 1983, un rapport sur le fonctionnement de l'organisation commune de marché et, notamment, sur les régimes d'interventions et de primes, afin de permettre au Conseil d'examiner ces régimes et de prendre les mesures appropriées avant le 1er avril 1984.

    Enfin, nous ne voulons pas omettre de remarquer que la différenciation régionale prévue par le règlement n° 1837/80 se réalise, dans le domaine des mesures d'intervention, non pas sous forme de bénéfice (ou d'un ensemble de bénéfices) accordé à une région déterminée qui peut ainsi être qualifiée de privilégiée par rapport aux autres, mais par la prévision de mesures soumises à des conditions objectives, qui peuvent évidemment se présenter tantôt dans une région tantôt dans une autre. En particulier, l'octroi de la prime à l'abattage présuppose, comme nous avons déjà eu l'occasion de l'expliquer, que les prix constatés sur le marché représentatif d'un État membre sont inférieurs à un niveau correspondant à 85 % du prix de base. Cela dit, nous ne croyons pas qu'il existe un motif de soutenir le caractère discriminatoire de cette disposition.

    5. 

    Le quatrième grief que la société requérante adresse au règlement n° 1837/80 est d'avoir violé l'article 43, paragraphe 3, lettre b), du traité, selon lequel l'organisation commune de marché peut être substituée aux organisations nationales «si cette organisation ... assure aux échanges à l'intérieur de la Communauté des conditions analogues à celles qui existent dans un marché national». La société Kind soutient que l'introduction du système de récupération de la prime à l'abattage lorsque les viandes sont exportées aurait gravement altéré le fonctionnement des échanges entre le Royaume-Uni et la République fédérale, en ne rendant plus avantageuse (ou tout au moins beaucoup moins avantageuse) l'importation en Allemagne de viandes ovines provenant du Royaume-Uni.

    Sur ce point, il est nécessaire de rappeler que l'avantage à importer des viandes ovines du Royaume-Uni en République fédérale avant l'entrée en vigueur de l'organisation commune de marché découlait essentiellement — comme toutes les parties le reconnaissent — du fait que les autorités britanniques accordaient également une prime de production pour les ovins qui étaient exportés. En conséquence, non seulement le prix sur le marché britannique était artificiellement maintenu à un niveau peu élevé, mais les importateurs allemands, eux aussi, bénéficiaient de cette situation. Cela dit, l'organisation commune de marché n'a fait que supprimer une aide à l'exportation, en corrigeant ainsi une situation anormale qui provoquait une distorsion de la concurrence. D'autre part, les autorités britanniques elles-mêmes auraient pu supprimer à tout moment la subvention qu'elles accordaient, en altérant ainsi l'équilibre de marché que cette subvention avait déterminé: il n'y avait rien de stable dans la situation avantageuse des importateurs allemands, liée à une mesure de soutien dont ils ne pouvaient, en tout cas, espérer le maintien indéfini.

    Notons, en dernier lieu, que le caractère régional des primes à l'abattage peut effectivement faire que le régime des marchés nationaux soit différent de celui des échanges intracommunautaires; mais les considérations que nous avons déjà développées au sujet de la régionalisation de certains aspects de l'organisation de marché des viandes ovines nous conduisent à estimer qu'il s'agit d'une diversité justifiée par des raisons objectives.

    6. 

    La défense de la requérante — principalement au cours de la procédure orale — a également fait allusion à la thèse selon laquelle le système introduit par l'article 9 du règlement n° 1837/80 serait illégal étant donné qu'il permettrait de fixer à un niveau trop élevé le montant des primes à l'abattage et du prélèvement à l'exportation correspondant.

    Il nous semble que, contre cette thèse, il soit suffisant de souligner que la détermination du montant de la prime par rapport aux exigences de la politique agricole constitue une manifestation typique du pouvoir discrétionnaire technique qui, du moins en principe, échappe au contrôle juridictionnel. Sur la base du règlement cité de la Commission n° 2661/80 du 17 octobre 1980 (article 3, paragraphe 1), cette institution fixe, chaque semaine, pour chaque État membre concerné, le montant de la prime à l'abattage et du prélèvement à l'exportation correspondant: la Commission a donc tenu compte de la nécessité de proportionner ce montant aux conditions de marché et aux variations qui s'y produisent. D'autre part, il n'est pas possible de tirer des éléments convenables d'appréciation de la réduction du chiffre d'affaires dont se plaint la société requérante, parce que cette réduction dépend essentiellement de la disparition des aides que les autorités britanniques, avant l'entrée en vigueur de l'organisation commune, accordaient également à l'exportation de viandes ovines, c'est-à-dire, comme nous venons de le dire, de la disparition d'une situation avantageuse dont les opérateurs ne pouvaient espérer le maintien.

    7. 

    Enfin, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir suspendu l'application de l'article 9, paragraphe 3, du règlement n° 1837/80 cité, en exerçant le pouvoir, que lui attribue l'article 33, alinéa premier, de ce même règlement, d'adopter les mesures appropriées pour faciliter le passage du régime préexistant à celui de l'organisation commune de marché. La requérante fait remarquer que la Commission, en invoquant précisément l'article 33, avait établi, par le règlement n° 3191/80 du 9 décembre 1980, que le montant de la prime d'abattage ne serait pas prélevé à l'exportation de viandes ovine ou caprine hors de la Communauté. Ce précédent aurait dû entraîner également une suspension analogue dans la perception des prélèvements en question sur les échanges intracommunautaires.

    La première objection que l'on doive, nous semble-t-il, formuler à cet égard est que l'appréciation des mesures qui doivent être considérées comme «appropriées» pour le but indiqué par l'article 33 cité appartient évidemment à la Commission elle-même. Si elle a estimé opportun de déroger à titre transitoire (voir le second considérant du règlement cité n° 3191/80), à l'article 9, paragraphe 3, du règlement n° 1837/80 uniquement dans le cas d'exportation hors de la Communauté, on ne voit pas comment un droit à obtenir une dérogation plus large peut découler de cette orientation. La Commission a invoqué, comme motif de cette dérogation, «les difficultés sensibles d'application» auxquelles a donné lieu l'article 9, paragraphe 3, cité, en cas d'exportation hors de la Communauté; il faut supposer que des difficultés analogues ne sont pas apparues en ce qui concerne les échanges intracommunautaires. A notre avis, l'appréciation que requiert l'article 33 est inattaquable.

    Ajoutons, ensuite, qu'en dépit de la référence à l'article 33 contenue dans le préambule du règlement n° 3191/80, nous avons de sérieux doutes quant au fait que des règles contenues dans un règlement du Conseil, comme le règlement n° 1837/80, puissent être paralysées, même temporairement, par une mesure destinée à faciliter le passage du régime préexistant à celui de l'organisation commune de marché. La légalité du règlement n° 3191/80 cité n'entre évidemment pas dans la matière du présent litige; mais cela ne nous empêche pas de dire qu'à notre avis, les «mesures appropriées» confiées au pouvoir discrétionnaire de la Commission devraient demeurer dans les limites de l'exécution du règlement n° 1837/80, en conservant par conséquent leur rang subordonné aux normes à mettre en oeuvre, tandis que, à la lumière également du principe général contenu dans l'article 155 du traité CEE (selon lequel «la Commission exerce les compétences que le Conseil lui confère pour l'exécution des règles qu'il établit»), une dérogation à ces normes semble dépasser les compétences de la Commission.

    8. 

    En conclusion, pour les motifs exposés jusqu'ici, nous vous proposons de rejeter la demande de réparation de dommages formulée par la société en commandite simple Julius Kind à l'égard du Conseil et de la Commission des Communautés européennes, par le recours déposé le 4 mai 1981. Sur la base du critère applicable en cas de perte du procès, la requérante devra rembourser les dépens aux institutions défenderesses.


    ( *1 ) Traduit de l'italien.

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