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Document 62023CJ0144

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 15 octobre 2024.
KUBERA, trgovanje s hrano in pijačo, d.o.o. contre Republika Slovenija.
Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Portée de l’obligation de renvoi préjudiciel des juridictions nationales statuant en dernier ressort – Procédure d’autorisation d’un pourvoi en révision devant la juridiction suprême d’un État membre – Demande par la partie qui demande l’autorisation d’un pourvoi en révision de saisir la Cour d’une question relative à l’interprétation du droit de l’Union – Réglementation nationale en vertu de laquelle le pourvoi en révision est autorisé lorsqu’il soulève une question de droit importante pour assurer la sécurité juridique, l’application uniforme du droit ou le développement de celui-ci – Obligation pour la juridiction suprême nationale d’examiner dans le cadre de la procédure d’autorisation d’un pourvoi en révision s’il y a lieu de procéder à un renvoi préjudiciel – Motivation de la décision de rejet de la demande d’autorisation d’un pourvoi en révision.
Affaire C-144/23.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:881

Affaire C‑144/23

KUBERA, trgovanje s hrano in pijačo, d.o.o.

contre

Republika Slovenija

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Vrhovno sodišče Republike Slovenije)

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 15 octobre 2024

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Portée de l’obligation de renvoi préjudiciel des juridictions nationales statuant en dernier ressort – Procédure d’autorisation d’un pourvoi en révision devant la juridiction suprême d’un État membre – Demande par la partie qui demande l’autorisation d’un pourvoi en révision de saisir la Cour d’une question relative à l’interprétation du droit de l’Union – Réglementation nationale en vertu de laquelle le pourvoi en révision est autorisé lorsqu’il soulève une question de droit importante pour assurer la sécurité juridique, l’application uniforme du droit ou le développement de celui-ci – Obligation pour la juridiction suprême nationale d’examiner dans le cadre de la procédure d’autorisation d’un pourvoi en révision s’il y a lieu de procéder à un renvoi préjudiciel – Motivation de la décision de rejet de la demande d’autorisation d’un pourvoi en révision »

  1. Questions préjudicielles – Saisine de la Cour – Questions d’interprétation – Obligation de renvoi – Portée – Procédure d’autorisation d’un pourvoi en révision devant la juridiction suprême d’un État membre – Rejet d’une demande d’autorisation sans appréciation préalable de l’obligation, pour cette juridiction, de saisir la Cour de la question de droit de l’Union soulevée à l’appui de cette demande – Inadmissibilité

    (Art. 267, 3e al., TFUE)

    (voir points 31-39, 45, 46, 54-56, 58-60, disp. 1)

  2. Questions préjudicielles – Saisine de la Cour – Questions d’interprétation – Obligation de renvoi – Procédure d’autorisation d’un pourvoi en révision devant la juridiction suprême d’un État membre – Rejet d’une demande d’autorisation comportant une demande de saisir la Cour d’une question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union – Obligation de motivation de la décision de ne pas procéder à cette saisine

    (Art. 267, 3e al., TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47)

    (voir points 62-65, disp. 2)

Résumé

Saisie à titre préjudiciel par le Vrhovno sodišče (Cour suprême, Slovénie), la Cour, réunie en grande chambre, juge qu’une procédure d’autorisation d’un pourvoi en révision devant la juridiction suprême nationale ne dispense pas cette dernière de son obligation d’examiner, dans le cadre de cette procédure, s’il y a lieu de saisir la Cour à titre préjudiciel d’une question de droit de l’Union soulevée à l’appui de la demande d’autorisation de ce pourvoi.

La société KUBERA a acheté, en Turquie, des canettes de Red Bull produites en Autriche et les a acheminées par bateau jusqu’au port de Koper (Slovénie) aux fins de leur importation. Par deux décisions du 5 octobre 2021, l’administration slovène des finances a décidé de retenir ces canettes, en application du règlement no 608/2013 ( 1 ), dans l’attente de l’issue de la procédure judiciaire engagée par la société Red Bull en vue de protéger ses droits de propriété intellectuelle afférents auxdites canettes. Après avoir épuisé les voies de recours administratives, KUBERA a formé des recours contre ces décisions devant l’Upravno sodišče (Tribunal administratif, Slovénie), qui les a rejetés par deux jugements.

KUBERA a alors introduit, devant la juridiction de renvoi, deux demandes d’autorisation d’un pourvoi en révision contre ces jugements, en soutenant que le litige au principal soulève une question d’interprétation du règlement no 608/2013 ( 2 ) qui constitue, selon elle, une question juridique importante justifiant l’autorisation des pourvois en révision. Elle a également demandé à la juridiction de renvoi, dans l’hypothèse où celle-ci ne souscrirait pas à l’interprétation de ce règlement qu’elle préconise, de saisir la Cour à titre préjudiciel de cette question.

Selon la réglementation nationale applicable, le pourvoi en révision est autorisé si l’affaire portée devant la Cour suprême soulève une question de droit importante pour assurer la sécurité juridique, l’application uniforme du droit ou le développement de celui-ci. Cette réglementation énonce des cas de figure particuliers correspondant à une telle hypothèse. Tout en considérant que, en l’occurrence, les demandes de KUBERA d’autoriser ses pourvois en révision ne remplissent pas ces conditions, la juridiction de renvoi se demande néanmoins si l’article 267, troisième alinéa, TFUE ( 3 ) l’oblige, aux fins de statuer sur ces demandes d’autorisation, à examiner la demande de KUBERA de saisir la Cour à titre préjudiciel de la question de droit de l’Union soulevée par cette société. Elle cherche également à savoir si, dans l’hypothèse où elle déciderait qu’il n’y a pas lieu de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle, elle est tenue, en vertu de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de motiver sa décision de rejet de la demande d’autorisation du pourvoi en révision.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, la Cour dit pour droit que l’article 267, troisième alinéa, TFUE s’oppose à ce qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne décide, dans le cadre d’une procédure d’examen d’une demande d’autorisation d’un pourvoi en révision dont l’issue dépend de l’importance de la question de droit soulevée par l’une des parties au litige pour la sécurité juridique, pour l’application uniforme du droit ou pour le développement de celui-ci, de rejeter une telle demande d’autorisation sans avoir apprécié si elle était tenue de saisir la Cour à titre préjudiciel d’une question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union soulevée à l’appui de cette demande.

La Cour rappelle, tout d’abord, que, si l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence de ces États, ceux-ci sont tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union. Ainsi, si le droit de l’Union ne s’oppose pas, en principe, à ce que les États membres instaurent des procédures d’autorisation des pourvois ou d’autres systèmes de sélection ou de « filtrage » des saisines des juridictions suprêmes nationales, la mise en œuvre de tels procédures ou systèmes doit respecter les exigences découlant de ce droit, en particulier de l’article 267 TFUE.

À cet égard, l’obligation pour les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne de saisir la Cour d’une question préjudicielle s’inscrit dans le cadre de la coopération entre les juridictions nationales et la Cour et a notamment pour but de prévenir que s’établisse, dans un État membre quelconque, une jurisprudence nationale ne concordant pas avec les règles du droit de l’Union. Une telle juridiction nationale ne saurait être libérée de cette obligation que dans trois situations, à savoir lorsqu’elle a constaté que la question soulevée n’est pas pertinente ou que la disposition du droit de l’Union en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation de la part de la Cour ou que l’interprétation correcte du droit de l’Union s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable ( 4 ). Lorsqu’elle se trouve en présence de l’une de ces situations ( 5 ), cette juridiction n’est donc pas tenue de saisir la Cour, quand bien même la question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union serait soulevée par une partie à la procédure devant elle.

Par ailleurs, la Cour relève que l’existence d’une procédure d’autorisation d’un pourvoi en révision ne saurait transformer la juridiction inférieure dont la décision est susceptible d’être contestée dans le cadre d’un tel pourvoi en une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne et sur laquelle pèserait, en conséquence, l’obligation de saisine prévue à l’article 267, troisième alinéa, TFUE. En revanche, cette obligation pèse sur une juridiction suprême nationale telle que la juridiction de renvoi.

Cette dernière expose néanmoins que, selon son interprétation de la réglementation nationale applicable, elle n’est pas tenue d’apprécier, au stade de l’examen de la demande d’autorisation d’un pourvoi en révision, s’il y a lieu ou non, dans le cadre de la procédure de révision, de saisir la Cour à titre préjudiciel de la question de droit de l’Union soulevée à l’appui de cette demande. Lorsqu’un pourvoi en révision n’est pas autorisé, la décision de rejet met définitivement fin à la procédure. Dans ce cas, l’interprétation du droit de l’Union retenue par la juridiction inférieure pourrait s’imposer dans l’ordre juridique national en cause, quand bien même la question soulevée à l’appui de la demande d’autorisation d’un pourvoi en révision aurait justifié une saisine de la Cour à titre préjudiciel.

La Cour relève qu’une telle réglementation ou pratique nationale peut conduire à une situation dans laquelle une question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union, bien qu’elle soit soulevée devant la Cour suprême, ne serait pas soumise à la Cour, en violation de l’obligation imposée à cette juridiction nationale par l’article 267, troisième alinéa, TFUE. Or, une telle situation est susceptible de compromettre l’efficacité du système de coopération entre les juridictions nationales et la Cour ainsi que, notamment, la réalisation de l’objectif de prévenir que s’établisse, dans un État membre quelconque, une jurisprudence nationale qui n’est pas conforme au droit de l’Union ( 6 ).

La Cour invite toutefois la juridiction de renvoi à vérifier la possibilité d’interpréter la réglementation nationale applicable en conformité avec les exigences de l’article 267 TFUE ( 7 ). En effet, cette réglementation ne semble pas interdire à cette juridiction d’apprécier, dans le cadre de la procédure d’examen d’une demande d’autorisation d’un pourvoi en révision, si la question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union soulevée à l’appui de cette demande exige la saisine de la Cour à titre préjudiciel ou relève, au contraire, de l’une des exceptions à l’obligation de renvoi. En particulier, les cas de figure que ladite réglementation énonce et qui ont exclusivement trait à des situations caractérisées, en substance, par des divergences dans la jurisprudence nationale ou par l’absence de jurisprudence de la juridiction suprême nationale ne paraissent pas revêtir un caractère exhaustif.

Dans ces conditions, ladite réglementation apparaît susceptible d’être interprétée en ce sens que le critère de l’importance de la question de droit soulevée pour la sécurité juridique, l’application uniforme du droit ou le développement de celui-ci inclut l’hypothèse où la partie au litige qui demande l’autorisation de former un pourvoi en révision soulève une question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union qui ne relève d’aucune des exceptions à l’obligation de renvoi et qui exige, par conséquent, une saisine de la Cour à titre préjudiciel.

La Cour souligne, en outre, qu’il appartient à une juridiction suprême nationale, saisie d’une telle demande d’autorisation et se trouvant dans l’obligation de saisir la Cour à titre préjudiciel, de décider s’il convient de procéder à cette saisine au stade de l’examen de cette demande ou à un stade ultérieur. Si elle décide de saisir la Cour à titre préjudiciel au stade de l’examen de ladite demande, il lui incombe de suspendre le traitement de cette dernière dans l’attente de la décision préjudicielle et de mettre en œuvre, par la suite, cette décision dans son appréciation du point de savoir s’il y a lieu d’autoriser le pourvoi en révision.

En second lieu, la Cour rappelle qu’il découle du système mis en place par l’article 267 TFUE, lu à la lumière de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux, que, dès lors qu’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne considère, au motif qu’elle se trouve en présence de l’une des trois exceptions à l’obligation de renvoi, qu’elle est libérée de cette obligation, les motifs de sa décision doivent faire apparaître soit que la question de droit de l’Union soulevée n’est pas pertinente pour la solution du litige, soit que l’interprétation de la disposition concernée du droit de l’Union est fondée sur la jurisprudence de la Cour, soit, à défaut d’une telle jurisprudence, que l’interprétation du droit de l’Union s’est imposée à la juridiction nationale statuant en dernier ressort avec une évidence ne laissant place à aucun doute raisonnable. La Cour en déduit que, étant donné que, sans préjudice de l’application d’un motif d’irrecevabilité de nature purement procédurale, une telle juridiction nationale ne saurait rejeter une demande d’autorisation d’un pourvoi en révision qui soulève une question relative à l’interprétation ou à la validité d’une disposition du droit de l’Union sans apprécier au préalable si elle est tenue de saisir la Cour à titre préjudiciel de cette question ou si cette dernière relève de l’une des trois exceptions à l’obligation de renvoi, cette juridiction nationale doit, lorsqu’elle rejette une telle demande d’autorisation au titre de l’une de ces exceptions, exposer les motifs pour lesquels elle n’a pas procédé à cette saisine.


( 1 ) Règlement (UE) no 608/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 12 juin 2013, concernant le contrôle, par les autorités douanières, du respect des droits de propriété intellectuelle et abrogeant le règlement (CE) no 1383/2003 du Conseil (JO 2013, L 181, p. 15). Voir l’article 17 de ce règlement.

( 2 ) En l’occurrence, la question de savoir si ce règlement s’applique à une situation dans laquelle les marchandises importées sont produites par le titulaire des droits de propriété industrielle afférents à celles-ci.

( 3 ) Conformément à cette disposition, lorsqu’une question d’interprétation ou de validité du droit de l’Union est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

( 4 ) Arrêts du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, EU:C:1982:335, point 21), ainsi que du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C 561/19, EU:C:2021:799, point 33).

( 5 ) Ces trois situations dans lesquelles les juridictions nationales statuant en dernier ressort ne sont pas soumises à l’obligation de renvoi préjudiciel sont désignées ci-après par les termes « exceptions à l’obligation de renvoi ».

( 6 ) Cette interprétation n’est pas remise en cause par la jurisprudence issue des arrêts du 15 mars 2017, Aquino (C 3/16, EU:C:2017:209, point 56), et du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C 561/19, précité, point 61), selon laquelle une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne peut s’abstenir de soumettre une question préjudicielle à la Cour pour des motifs d’irrecevabilité propres à la procédure devant cette juridiction nationale, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité. À la différence de tels motifs, un critère d’autorisation d’un pourvoi en révision tel que celui prévu dans la réglementation nationale applicable requiert de la juridiction suprême qu’elle examine l’importance de la question de droit soulevée à l’appui de la demande d’autorisation d’un tel pourvoi pour la sécurité juridique, pour l’application uniforme du droit ou pour le développement de celui-ci.

( 7 ) La Cour renvoie, à cet égard, aux indications fournies dans la décision de renvoi concernant l’évolution de la jurisprudence de l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle, Slovénie). En particulier, il résulterait d’une décision de cette juridiction du 31 mars 2022 que la demande de l’une des parties au litige de saisir la Cour à titre préjudiciel en application de l’article 267 TFUE, présentée dans le cadre de la demande d’autorisation d’un pourvoi en révision, doit être traitée dès l’étape de l’examen de cette dernière demande.

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