EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61993CJ0415

Sommaire de l'arrêt

Affaire C-415/93

Union royale belge des sociétés de football association ASBL e.a.

contre

Jean-Marc Bosman e.a.

demande de décision préjudicielle, formée par la cour d'appel de Liège

«Libre circulation des travailleurs — Règles de concurrence applicables aux entreprises — Joueurs professionnels de football — Réglementations sportives concernant le transfert des joueurs obligeant le nouveau club au paiement d'indemnités à l'ancien — Limitation du nombre de joueurs ressortissants d'autres États membres pouvant être alignés en compétition»

Conclusions de l'avocat général M. C. O. Lenz, présentées le 20 septembre 1995   I-4930

Arrêt de la Cour du 15 décembre 1995   I-5040

Sommaire de l'arrêt

  1. Procédure – Demande de mesures d'instruction – Présentation après la clôture de la procédure orale – Conditions de recevabilité

    (Règlement de procédure de la Cour, art. 59, § 2, et 60)

  2. Questions préjudicielles – Compétence de la Cour – Limites – Questions manifestement dénuées de pertinence et questions hypothétiques posées dans un contexte excluant une réponse utile – Compétence pour répondre à des questions posées dans le cadre d'une procédure résultant d'une action à titre déclaratoire autorisée par le droit national

    (Traité CEE, art. 177)

  3. Droit communautaire – Champ d'application – Sport exercé en tant qu'activité économique – Inclusion

    (Traité CEE, art. 2)

  4. Libre circulation des personnes – Travailleurs – Dispositions du traité – Conditions d'application – Existence d'une rehtion de travail – Employeur n'ayant pas L qualité d'entreprise – Absence d'incidence

    (Traité CEE, art. 48)

  5. Libre arculation des personnes – Travailleurs – Dispositions du traité – Champ d'application – Règles régissant les rapports économiques entre employeurs, mais affectant les conditions d'emploi des salariés – Inclusion

    (Traité CEE, art. 48)

  6. Libre circuhtion des personnes – Travailleurs – Liberté d'établissement – Libre prestation des services – Dispositions du traité – Champ d'application – Activités sportives – Limites

    (Traité CEE, art. 48, 52 et 59)

  7. Libre circulation des personnes – Travailleurs – Dispositions du traité – Portée – Limitation au titre du respect de L diversité des cultures nationales et régionales imposé par l'article 128 du traité CE – Inadmissibilité

    (Traité CEE, art. 48; traité CE, art. 128, § 1)

  8. Droit communautaire – Principes – Droits fondamentaux – Liberté d'association – Implications – Droit pour des associations sportives d'édicter des règles susceptibles de limiter L libre circulation des sportifs professionnels – Exclusion

    (Acte unique européen, préambule; traité sur l'Union européenne, art. F, § 2)

  9. Droit communautaire – Principes – Principe de subsidiarité – Portée – Restriction à l'exercice des droits conférés aux particuliers par le traité – Exclusion

  10. Libre arculation des personnes – Travailleurs – Dispositions du traité – Champ d'application – Réglementations visant à régler, de façon collective, le travail salarié, mais n'émanant pas d'une autorité publique – Inclusion

    (Traité CEE, art. 48)

  11. Libre circulation des personnes – Travailleurs – Restrictions justifiées par des raisons liées à l'ordre public, à la sécurité publique ou à la santé publique – Possibilité pour toute personne, publique ou privée, de se prévaloir desdites raisons

    (Traité CEE, art. 48)

  12. Libre circulation des personnes – Travailleurs – Dispositions du traité – Champ d'application – Règles édictées par des associations sportives déterminant les conditions d'exercice d'une activité salariée par des sportifs professionnels – Inclusion

    (Traité CEE, art. 48)

  13. Libre circulation des personnes – Travailleurs – Dispositions du traité – Champ d'application – Sportif professionnel ressortissant d'un État membre ayant conclu un contrat de travail avec un club d'un autre État membre en vue d'exercer un emploi salarié sur le territoire de cet État – Inclusion

    (Traité CEE, art. 48)

  14. Libre circulation des personnes – Travailleurs – Règles édictées par des associations sportives subordonnant l'embauche d'un sportif professionnel par un nouvel employeur dans un autre État membre au versement par celui-ci d'indemnités au profit du précédent employeur – Inadmissibilité – Justification – Absence

    (Traité CEE, art. 48)

  15. Libre arculation des personnes – Travailleurs – Égalité de traitement – Règles édictées par des associations sportives limitant la participation de joueurs professionnels ressortissants d'autres États membres à certaines compétitions – Inadmissibilité – Justification – Absence

    (Traité CEE, art. 48)

  16. Commission – Compétences – Fourniture de garanties quant à la compatibilité avec le traité d'un comportement déterminé – Exclusion sauf habilitation spécifique – Autorisation de comportements contraires au traité – Exclusion

  17. Questions préjudicielles – Interprétation – Effets dans le temps des arrêts d'interprétation – Effet rétroactif – Limites – Sécurité juridique – Pouvoir d'appréciation de la Cour

    (Traité CEE, art. 177)

  1.  Une demande visant à ce que la Cour ordonne une mesure d'instruction en vertu de l'article 60 du règlement de procédure, présentée par une partie après la clôture de la procédure orale, ne saurait être retenue que si elle porte sur des faits de nature à exercer une influence décisive et que l'intéressé n'avait pu faire valoir avant la clôture de la procédure orale.

  2.  Dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée par l'article 177 du traité, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l'interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer.

    Néanmoins, il appartient à la Cour, en vue de vérifier sa propre compétence, d'examiner les conditions dans lesquelles elle a été saisie par le juge national. En effet, l'esprit de collaboration qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel implique que, de son côté, le juge national ait égard à la fonction confiée à la Cour, qui est de contribuer à l'administration de la justice dans les États membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques.

    En considération de cette mission, la Cour ne peut pas statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale, lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation ou l'appréciation de la validité d'une règle communautaire, demandées par la juridiction nationale, n'ont aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, ou encore lorsque le problème est de nature hypothétique et que la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées.

    A cet égard, doivent être considérées comme répondant à un besoin objectif pour la solution du litige dont est saisie une juridiction nationale des questions que pose celle-ci appelée à statuer sur des actions à titre déclaratoire, en vue de prévenir la violation d'un droit gravement menacé, qui, certes, se fondent nécessairement sur des prévisions par nature incertaines, mais qu'elle juge recevables par interprétation de son droit national.

  3.  Compte tenu des objectifs de la Communauté, l'exercice des sports relève du droit communautaire dans la mesure où il constitue une activité économique au sens de l'article 2 du traité, ce qui est le cas de l'activité de joueurs professionnels ou semi-professionnels de football, dès lors que ceux-ci exercent une activité salariée ou effectuent des prestations de services rémunérées.

  4.  Aux fins de l'application des dispositions communautaires relatives à la libre circulation des travailleurs, il n'est pas nécessaire que l'employeur revête la qualité d'entreprise, le seul élément requis étant l'existence d'une relation de travail ou la volonté d'établir une telle relation.

  5.  Des règles régissant les rapports économiques entre les employeurs d'un secteur d'activité rentrent dans le champ d'application des dispositions communautaires relatives à la libre circulation des travailleurs dès lors que leur application affecte les conditions d'emploi des salariés.

    Tel est le cas des règles relatives aux transferts des joueurs entre clubs de football qui, si elles régissent les rapports économiques entre clubs, plutôt que les relations de travail entre clubs et joueurs, affectent, à travers l'obligation faite aux clubs employeurs d'acquitter des indemnités à l'occasion du recrutement d'un joueur provenant d'un autre club, les possibilités pour les joueurs de trouver un emploi, ainsi que les conditions auxquelles cet emploi est offert.

  6.  Les dispositions communautaires en matière de libre circulation des personnes et des services ne s'opposent pas à des réglementations ou pratiques dans le domaine sportif justifiées par des motifs non économiques, tenant au caractère et au cadre spécifique de certaines compétitions. Cette restriction du champ d'application des dispositions en cause doit cependant rester limitée à son objet propre et ne peut être invoquée pour exclure toute activité sportive du champ d'application du traité.

  7.  La libre circulation des travailleurs, garantie par l'article 48 du traité, qui constitue une liberté fondamentale dans le système des Communautés, ne saurait voir sa portée limitée par l'obligation faite à la Communauté, lorsqu'elle fait usage des compétences d'étendue limitée que lui confère l'article 128, paragraphe 1, du traité CE dans le domaine de la culture, de respecter la diversité nationale et régionale des cultures des États membres.

  8.  Le principe de la liberté d'association, que consacre l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qui résulte des traditions constitutionnelles communes des États membres, fait partie des droits fondamentaux qui, selon la jurisprudence constante de la Cour, par ailleurs réaffirmée par le préambule de l'Acte unique européen et par l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, sont protégés dans l'ordre juridique communautaire.

    On ne saurait cependant considérer que des règles susceptibles d'entraver la libre circulation des sportifs professionnels qu'édictent des associations sportives sont nécessaires pour garantir l'exercice de cette liberté par lesdites associations, par les clubs ou par les joueurs, ou qu'elles en constituent une conséquence inéluctable.

  9.  Le principe de subsidiarité, même dans l'acception large qui voudrait que l'intervention des autorités communautaires soit limitée au stricte nécessaire dans le domaine de l'organisation des activités sportives, ne peut avoir pour effet que l'autonomie dont disposent les associations privées pour adopter des réglementations sportives limite l'exercice des droits, tel celui de libre circulation, conférés par le traité aux particuliers.

  10.  L'article 48 du traité ne régit pas seulement l'action des autorités publiques, mais s'étend également aux réglementations d'une autre nature visant à régler, de façon collective, le travail salarié.

    D'une part, en effet, l'abolition entre les États membres des obstacles à la libre circulation des personnes serait compromise si la suppression des barrières d'origine étatique pouvait être neutralisée par des obstacles résultant de l'exercice de leur autonomie juridique par des associations ou organismes ne relevant pas du droit public. D'autre part, si l'objet dudit article était limité aux actes de l'autorité publique, il pourrait en découler des inégalités quant à son application, étant donné que selon les États membres les conditions de travail sont régies tantôt par des dispositions d'ordre législatif ou réglementaire et tantôt par des conventions et autres actes conclus ou adoptés par des personnes privées.

  11.  Rien ne s'oppose à ce que des particuliers se prévalent, pour justifier des limitations à la libre circulation des travailleurs qui leur seraient reprochées, des justifications tirées de l'ordre public, de la sécurité publique et de la santé publique qu'admet l'article 48 du traité. La portée et le contenu desdites justifications ne sont en effet pas différentes suivant la nature publique ou privée d'une réglementation restrictive à l'appui de laquelle elles sont invoquées.

  12.  L'article 48 du traité s'applique à des règles édictées par des associations sportives qui déterminent les conditions d'exercice d'une activité salariée par des sportifs professionnels.

  13.  Ne peut pas être qualifiée de purement interne, et ne relevant donc pas du droit communautaire, la situation d'un joueur professionnel de football ressortissant d'un État membre qui, ayant conclu un contrat de travail avec un club d'un autre État membre en vue d'exercer un emploi salarié sur le territoire de cet État, répond à un emploi effectivement offert au sens de l'article 48, paragraphe 3, sous a), du traité.

  14.  L'article 48 du traité s'oppose à l'application de règles édictées par des associations sportives, selon lesquelles un joueur professionnel de football ressortissant d'un État membre, à l'expiration du contrat qui le lie à un club, ne peut être employé par un club d'un autre État membre que si ce dernier a versé au club d'origine une indemnité de transfert, de formation ou de promotion.

    En effet, ces règles, même si elles ne se différencient pas des règles régissant les transferts à l'intérieur d'un même État membre, sont susceptibles de restreindre la libre circulation des joueurs qui souhaitent exercer leur activité dans un autre État membre en les empêchant ou en les dissuadant de quitter leurs clubs d'appartenance même après l'expiration des contrats de travail qui les lient à ces derniers.

    En outre, elles ne sauraient constituer un moyen adéquat pour atteindre des objectifs légitimes, tels que le souci de maintenir l'équilibre financier et sportif entre les clubs et celui de soutenir la recherche de talents et la formation des jeunes joueurs, dès lors que

    d'une part, ces règles n'empêchent ni que les clubs les plus riches s'assurent les services des meilleurs joueurs, ni que les moyens financiers disponibles soient un élément décisif dans la compétition sportive et que l'équilibre entre clubs en soit considérablement altéré,

    d'autre part, les indemnités prévues par ces règles se caractérisent par leur nature éventuelle et aléatoire et sont, en tout état de cause, indépendantes des frais réels de formation supportés par les clubs,

    et, enfin, les mêmes objectifs peuvent être atteints de manière aussi efficace par d'autres moyens qui n'entravent pas la libre circulation des travailleurs.

  15.  L'article 48 du traité s'oppose à l'application de règles édictées par des associations sportives, selon lesquelles, lors des matchs de compétition qu'elles organisent, les clubs de football ne peuvent aligner qu'un nombre limité de joueurs professionnels ressortissants d'autres États membres.

    En effet, ces règles sont contraires au principe d'interdiction de discrimination en raison de la nationalité en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les conditions de travail, peu important à cet égard qu'elles ne concernent pas l'emploi de ces joueurs, qui n'est pas limité, mais la possibilité pour leurs clubs de les aligner lors d'un match officiel, car, dans la mesure où la participation à ces rencontres constitue l'objet essentiel de l'activité d'un joueur professionnel, il est évident qu'une règle qui la limite restreint également les possibilités d'emploi du joueur concerné.

    En outre, ces règles, qui ne concernent pas des rencontres spécifiques, opposant des équipes représentatives de leur pays, mais s'appliquent à l'ensemble des rencontres officielles entre clubs, ne sauraient être justifiées par des motifs non économiques, intéressant uniquement le sport en tant que tel, comme la préservation du lien traditionnel entre chaque club et son pays, car le lien entre un club et l'État membre dans lequel il est établi ne peut être considéré comme inhérent à l'activité sportive, la création d'une réserve de joueurs nationaux suffisante pour mettre les équipes nationales en mesure d'aligner des joueurs de haut niveau dans tous les rôles de l'équipe, car, si les équipes nationales doivent être composées de joueurs ayant la nationalité du pays concerné, ces joueurs ne doivent pas nécessairement être qualifiés pour des clubs de ce pays, ou le maintien de l'équilibre sportif entre clubs, car aucune règle ne limite la possibilité pour les clubs riches de recruter les meilleurs joueurs nationaux, laquelle compromet tout autant l'équilibre sportif entre clubs.

  16.  En dehors des cas où de telles compétences lui sont expressément attribuées, la Commission n'est pas habilitée à donner des garanties concernant la compatibilité avec le traité d'un comportement déterminé et elle ne dispose en aucun cas du pouvoir d'autoriser des comportements contraires au traité.

  17.  L'interprétation que la Cour donne d'une règle de droit communautaire, dans l'exercice de la compétence que lui confère l'article 177 du traité, éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle, telle qu'elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de sa mise en vigueur. Il en résulte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l'arrêt statuant sur la demande d'interprétation, si par ailleurs les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l'application de ladite règle se trouvent réunies.

    Ce n'est qu'à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d'un principe général de sécurité juridique inhérent à l'ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d'invoquer une disposition qu'elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Pareille limitation ne peut être admise que par la Cour, dans l'arrêt même qui statue sur l'interprétation sollicitée.

    Étant donné que les particularités des règles édictées par les associations sportives pour les transferts de joueurs entre clubs de différents États membres, ainsi que la circonstance que les mêmes règles ou des règles analogues s'appliquaient tant aux transferts entre clubs appartenant à la même association nationale qu'aux transferts entre clubs appartenant à des associations nationales différentes au sein du même État membre, ont pu créer un état d'incertitude quant à la compatibilité desdites règles avec le droit communautaire, des considérations impérieuses de sécurité juridique s'opposent à ce que des situations juridiques qui ont épuisé leurs effets dans le passé soient remises en cause.

    C'est pourquoi il y a lieu pour la Cour de décider que l'effet direct de l'article 48 du traité ne peut être invoqué à l'appui de revendications relatives à une indemnité de transfert, de formation ou de promotion qui, à la date de l'arrêt constatant son incompatibilité avec le droit communautaire, est déjà payée ou est encore due en exécution d'une obligation née avant cette date, exception faite pour les justiciables qui ont, avant cette date, engagé une action en justice ou soulevé une réclamation équivalente selon le droit national applicable.

Top