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Document 62021CJ0407

    Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 8 juin 2023.
    Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir) et Consommation, logement et cadre de vie (CLCV) contre Premier ministre et Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance.
    Renvoi préjudiciel – Voyages à forfait et prestations de voyage liées – Directive (UE) 2015/2302 – Article 12, paragraphes 2 à 4 – Résiliation d’un contrat de voyage à forfait – Circonstances exceptionnelles et inévitables – Pandémie de COVID-19 – Remboursement des paiements effectués par le voyageur concerné au titre d’un forfait – Remboursement sous la forme d’une somme d’argent ou remboursement par équivalent, sous la forme d’un avoir (“bon à valoir”) – Obligation de rembourser ce voyageur 14 jours au plus tard après la résiliation du contrat concerné – Dérogation temporaire à cette obligation – Modulation des effets dans le temps d’une décision intervenue conformément au droit national et annulant une réglementation nationale contraire à ladite obligation.
    Affaire C-407/21.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2023:449

    Affaire C‑407/21

    Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir)
    et
    Consommation, logement et cadre de vie (CLCV)

    contre

    Premier ministre
    et
    Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance

    [demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d’État (France)]

    Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 8 juin 2023

    « Renvoi préjudiciel – Voyages à forfait et prestations de voyage liées – Directive (UE) 2015/2302 – Article 12, paragraphes 2 à 4 – Résiliation d’un contrat de voyage à forfait – Circonstances exceptionnelles et inévitables – Pandémie de COVID-19 – Remboursement des paiements effectués par le voyageur concerné au titre d’un forfait – Remboursement sous la forme d’une somme d’argent ou remboursement par équivalent, sous la forme d’un avoir (“bon à valoir”) – Obligation de rembourser ce voyageur 14 jours au plus tard après la résiliation du contrat concerné – Dérogation temporaire à cette obligation – Modulation des effets dans le temps d’une décision intervenue conformément au droit national et annulant une réglementation nationale contraire à ladite obligation »

    1. Rapprochement des législations – Voyages, vacances et circuits à forfait – Directive 2015/2302 – Résiliation du contrat de voyage à forfait – Obligation de remboursement, par l’organisateur de voyages, des paiements effectués par le voyageur concerné au titre de ce forfait – Notion de remboursement – Portée

      (Directive du Parlement européen et du Conseil 2015/2302, art. 12, § 2 et 3)

      (voir points 23-26, 31-35, disp.1)

    2. Rapprochement des législations – Voyages, vacances et circuits à forfait – Directive 2015/2302 – Résiliation du contrat de voyage à forfait – Obligation de remboursement, par l’organisateur de voyages, des paiements effectués par le voyageur concerné au titre de ce forfait – Dérogation temporaire – Réglementation nationale libérant les organisateurs des voyages à forfait, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, de leur obligation de rembourser, au voyageur concerné, l’intégralité des paiements effectués au titre du contrat résilié – Objectif – Sauvegarde de la solvabilité des organisateurs de voyages et de la viabilité du secteur concerné – Inadmissibilité

      (Directive du Parlement européen et du Conseil 2015/2302, art. 4 et 12, § 2 à 4)

      (voir points 45, 46, 49-51, 54-58, 67-71, 75, 76, disp.2)

    3. États membres – Obligations – Obligation de coopération loyale – Possibilité, pour une juridiction nationale, de moduler les effets dans le temps de sa décision d’annulation d’une réglementation nationale contraire au droit européen – Absence

      (Art. 4, § 3, TUE)

      (voir points 80-85, disp.3)

    Résumé

    Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, le gouvernement français a adopté une réglementation visant à libérer temporairement les organisateurs de voyages à forfait de leur obligation de rembourser les paiements effectués par les voyageurs en cas de résiliation d’un contrat de voyages à forfait ( 1 ). Deux associations pour la protection des intérêts des consommateurs ont demandé devant le Conseil d’État (France) l’annulation de cette réglementation, en alléguant une méconnaissance du droit des voyageurs ayant conclu ce type de contrat de résilier ce dernier à la suite de la survenance de « circonstances exceptionnelles et inévitables » et d’être remboursés de l’intégralité des paiements effectués au titre de ce forfait au plus tard 14 jours après cette résiliation, tel que prévu par la directive relative aux voyages à forfait ( 2 ).

    Cette juridiction émet notamment des doutes quant à l’interprétation de la notion de « remboursement » prévue par cette directive, ainsi que sur la compatibilité avec cette dernière de la réglementation nationale relative à l’exemption temporaire des organisateurs de voyages à forfait de leur obligation de remboursement.

    Par son arrêt, la Cour précise la notion de « remboursement » dans le contexte de la directive sur les voyages à forfait. En outre, elle se prononce sur l’incompatibilité de la réglementation nationale avec cette directive ( 3 ) et sur la modulation des effets dans le temps d’une décision nationale d’annulation de cette même réglementation, jugée incompatible avec le droit de l’Union.

    Appréciation de la Cour

    En premier lieu, la Cour considère que, selon une interprétation littérale, la notion de « remboursement », au sens de la directive relative aux voyages à forfait ( 4 ) s’entend d’une restitution des paiements effectués au titre d’un forfait uniquement sous la forme d’une somme d’argent. La possibilité de remplacer cette obligation de paiement d’une somme d’argent par une prestation revêtant une autre forme, telle que notamment la proposition de bons à valoir, n’est pas expressément prévue dans cette directive. Ce droit au remboursement en argent, dont les consommateurs peuvent disposer librement, participe à un objectif de protection de leurs intérêts.

    En deuxième lieu, la Cour dit pour droit que la directive sur les voyages à forfait s’oppose à la libération temporaire des organisateurs de voyage à forfait ( 5 ), dans le contexte de la pandémie de COVID-19, de leur obligation de remboursement aux voyageurs concernés, au plus tard 14 jours après la résiliation d’un contrat, de l’intégralité des paiements effectués, au titre du contrat résilié. Cette conclusion reste la même y compris lorsqu’une telle mesure nationale vise à éviter que, en raison du nombre important de demandes de remboursement attendues, la solvabilité de ces organisateurs de voyages soit affectée au point de mettre en péril leur existence et à préserver ainsi la viabilité du secteur concerné.

    La Cour analyse, tout d’abord, la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » ( 6 ). En effet, en application du principe de sécurité juridique et au regard de la protection des consommateurs, cette notion est susceptible de recouvrir la pandémie de COVID-19, en ce qu’elle révèle l’existence de « risques graves pour la santé humaine » ( 7 ), et peut être appliquée aux résiliations de contrats de voyage à forfait lorsque celles-ci sont fondées sur les conséquences provoquées par un tel évènement.

    Ensuite, la Cour souligne que la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » s’apparente à la notion de « force majeure » et constitue, au vu notamment des travaux préparatoires de la directive sur les voyages à forfait, une mise en œuvre exhaustive de cette dernière notion aux fins de cette directive. Ainsi, les États membres ne peuvent pas libérer, au titre de la force majeure, ne serait-ce que temporairement, les organisateurs de voyages à forfait de leur obligation de remboursement prévue par cette directive étant donné que celle-ci ne prévoit aucune exception au caractère impératif de cette obligation.

    Enfin, même à supposer que les États membres puissent faire valoir, devant leurs juridictions nationales, que la non-conformité d’une réglementation nationale au regard des dispositions d’une directive est justifiée au titre de la force majeure, la Cour précise qu’une réglementation nationale permettant de libérer temporairement, dans les circonstances d’une crise sanitaire mondiale telle que la pandémie de COVID-19, les organisateurs de voyages à forfait de leur obligation de rembourser aux voyageurs concernés les paiements effectués au titre d’un forfait ne répond pas aux conditions régissant l’invocation de la force majeure par les États membres.

    Ainsi, premièrement, bien que la pandémie de COVID-19 relève de circonstances étrangères à l’État membre concerné et que ces dernières soient anormales et imprévisibles, une réglementation nationale qui libère, de manière généralisée, tous les organisateurs de voyages de leur obligation de remboursement ne saurait, de par sa nature même, être justifiée par la force majeure. En effet, une suspension provisoire généralisée de cette obligation de remboursement ne prend pas en compte la situation financière concrète et individuelle des organisateurs de voyages concernés. Deuxièmement, il n’a pas été prouvé que les conséquences financières auxquelles vise à faire face cette réglementation n’auraient pu être évitées autrement que par la violation de la directive relative aux voyages à forfait, et notamment par l’adoption de certaines mesures d’aide d’État. Troisièmement, cette même réglementation nationale, qui prévoit de libérer les organisateurs de voyages à forfait de leur obligation de remboursement pendant une période pouvant aller jusqu’à 21 mois à partir de la notification de la « résolution » du contrat de voyage à forfait concerné, n’est manifestement pas conçue de manière à limiter ses effets à la période nécessaire pour remédier aux difficultés causées par l’événement susceptible de relever de la force majeure.

    En troisième et dernier lieu, la Cour rappelle que, lorsqu’une juridiction nationale est saisie, conformément à son droit interne, d’un recours en annulation d’une réglementation nationale qu’elle considère comme étant contraire au droit de l’Union, elle est tenue de procéder à l’annulation de cette réglementation. En l’espèce, la Cour précise, d’une part, que la menace des intérêts économiques des opérateurs actifs dans le secteur des voyages à forfait, engendrée par la pandémie de COVID-19, n’est pas comparable aux considérations impérieuses liées à la protection de l’environnement ou à l’approvisionnement en électricité de l’État membre concerné, qui sont des circonstances exceptionnelles pour lesquelles elle a, par ailleurs, reconnu aux juridictions nationales la faculté de moduler dans le temps et d’aménager les effets de leurs décisions d’annulation d’une réglementation nationale jugée incompatible avec le droit de l’Union. D’autre part, la Cour relève qu’il n’apparaît pas que l’annulation de la réglementation nationale permettant aux États membres de libérer, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les organisateurs de voyages à forfait de leur obligation de remboursement, aurait des conséquences préjudiciables sur le secteur des voyages à forfait d’une ampleur telle que le maintien de ses effets serait nécessaire aux fins de protéger les intérêts financiers des opérateurs de ce secteur. Partant, le principe de coopération loyale ( 8 ) ne permet pas à une juridiction nationale saisie d’un recours en annulation d’une réglementation nationale contraire à la directive relative aux voyages à forfait de moduler les effets dans le temps de sa décision annulant cette réglementation nationale.


    ( 1 ) En vertu de l’article 1er de l’ordonnance no 2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure, les organisateurs de voyages étaient autorisés, en ce qui concerne les « résolutions » notifiées entre le 1er mars et le 15 septembre 2020, à s’acquitter de leur obligation de remboursement en proposant au voyageur concerné, au plus tard 3 mois après la notification de la « résolution » du contrat de voyage à forfait concerné, un bon à valoir d’un montant égal aux paiements effectués au titre de ce forfait, une telle proposition étant valable pendant une durée de 18 mois.

    ( 2 ) Voir article 12 de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil (JO 2015, L 326, p. 1, ci-après la « directive relative aux voyages à forfait »). En vertu du paragraphe 2, première phrase, de cet article, le voyageur a le droit de résilier un contrat de voyage à forfait avant le début du forfait sans payer de frais de résiliation si des « circonstances exceptionnelles et inévitables », survenant au lieu de destination concerné ou à proximité immédiate de celui-ci, ont des conséquences importantes sur l’exécution de ce forfait ou sur le transport des passagers vers ce lieu de destination.

    ( 3 ) Voir notamment article 4 et article 12, paragraphes 2 à 4, de la directive relative aux voyages à forfait.

    ( 4 ) Voir notamment article 12, paragraphes 2 et 3, de la directive relative aux voyages à forfait. Le paragraphe 2, deuxième phrase, de cet article prévoit que, en cas de résiliation d’un contrat de voyage à forfait, ce voyageur a droit au remboursement intégral des paiements effectués au titre dudit forfait. Par ailleurs, conformément à l’article 4 et à l’article 12, paragraphe 3, sous b), de cette même directive, si l’organisateur de voyages concerné est empêché d’exécuter un contrat de voyage à forfait en raison de « circonstances exceptionnelles et inévitables », il peut résilier ledit contrat et rembourser intégralement ce voyageur des paiements effectués pour ce forfait et ceci sans retard excessif et, en tout état de cause, au plus tard 14 jours après la résiliation du même contrat de voyage à forfait.

    ( 5 ) Voir article 4 et article 12, paragraphes 2 à 4, de la directive relative aux voyages à forfait.

    ( 6 ) Telle que prévue à l’article 12, paragraphes 2 et 3, sous b), de la directive relative aux voyages à forfait. La notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables » est définie à l’article 3, point 12 de cette directive comme étant « une situation échappant au contrôle de la partie qui invoque cette situation et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ».

    ( 7 ) Au titre du considérant 31 de la directive relative aux voyages à forfait, qui précise la portée de la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables », les risques graves pour la santé humaine relèvent de cette notion.

    ( 8 ) Prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE.

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