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Document 62019TJ0657

    Arrêt du Tribunal (quatrième chambre élargie) du 9 novembre 2022 (Extraits).
    Feralpi Holding SpA contre Commission européenne.
    Concurrence – Ententes – Marché des ronds à béton − Décision constatant une infraction à l’article 65 CA, après l’expiration du traité CECA, sur le fondement du règlement (CE) no 1/2003 – Fixation des prix − Limitation et contrôle de la production et des ventes – Décision prise à la suite de l’annulation de décisions antérieures – Tenue d’une nouvelle audition en présence des autorités de concurrence des États membres – Droits de la défense – Principe de bonne administration – Délai raisonnable – Obligation de motivation – Proportionnalité – Principe non bis in idem – Exception d’illégalité – Infraction unique, complexe et continue – Preuve de la participation à l’entente – Distanciation publique – Compétence de pleine juridiction.
    Affaire T-657/19.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:T:2022:691

    Affaire T‑657/19

    Feralpi Holding SpA

    contre

    Commission européenne

    Arrêt du Tribunal (quatrième chambre élargie) du 9 novembre 2022

    « Concurrence – Ententes – Marché des ronds à béton – Décision constatant une infraction à l’article 65 CA, après l’expiration du traité CECA, sur le fondement du règlement (CE) no 1/2003 – Fixation des prix – Limitation et contrôle de la production et des ventes – Décision prise à la suite de l’annulation de décisions antérieures – Tenue d’une nouvelle audition en présence des autorités de concurrence des États membres – Droits de la défense – Principe de bonne administration – Délai raisonnable – Obligation de motivation – Proportionnalité – Principe non bis in idem – Exception d’illégalité – Infraction unique, complexe et continue – Preuve de la participation à l’entente – Distanciation publique – Compétence de pleine juridiction »

    1. Recours en annulation – Arrêt d’annulation – Effets – Obligation d’adopter des mesures d’exécution – Portée – Prise en considération tant de la motivation que du dispositif de l’arrêt – Adoption d’un nouvel acte sur le fondement des actes préparatoires antérieurs – Admissibilité

      (Art. 266, § 1, TFUE)

      (voir points 48-50, 106, 107)

    2. Concurrence – Procédure administrative – Comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes – Obligation de consultation – Formalité substantielle – Portée

      (Art. 101 et 102 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 14)

      (voir points 55-57)

    3. Concurrence – Procédure administrative – Comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes – Obligation de consultation – Annulation de la décision constatant une infraction – Réouverture de la procédure au stade de l’irrégularité constatée – Nouvelle consultation du comité consultatif – Impartialité des représentants des autorités de concurrence siégeant dans le comité consultatif

      (Art. 101 et 102 TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, § 1 ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 14)

      (voir points 59-61, 63-66)

    4. Concurrence – Procédure administrative – Respect des droits de la défense – Audition des entreprises – Droit à une audition collective des entreprises ayant reçu une communication des griefs – Absence

      (Règlement du Conseil no 1/2003, art. 27 ; règlement de la Commission no 773/2004, art. 14, § 6)

      (voir points 70-73)

    5. Concurrence – Procédure administrative – Respect des droits de la défense – Audition des entreprises – Annulation de la décision constatant une infraction – Réouverture de la procédure au stade de l’irrégularité constatée – Nouvelle audition des entreprises – Obligation d’inviter d’autres entités n’ayant pas manifesté leur intérêt à participer à cette nouvelle audition – Absence – Obligation de rendre publique la décision d’organiser une nouvelle audition – Absence

      (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, § 1 ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 27 ; règlement de la Commission no 773/2004, art. 12 et 13, § 1, 2 et 3)

      (voir points 78-105, 108-125, 135-141)

    6. Concurrence – Procédure administrative – Obligations de la Commission – Respect d’un délai raisonnable – Annulation de la décision constatant une infraction – Réouverture de la procédure au stade de l’irrégularité constatée – Réouverture précédée de l’analyse de sa compatibilité avec le principe du délai raisonnable – Violation du délai raisonnable – Absence

      (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41)

      (voir points 146-148, 157-176, 178, 179)

    7. Concurrence – Procédure administrative – Obligations de la Commission – Respect d’un délai raisonnable – Violation – Conséquences – Annulation de la décision constatant une infraction en raison d’une durée excessive de la procédure – Condition – Atteinte aux droits de la défense des entreprises concernées

      (Art. 101 et 102 TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, § 1)

      (voir points 172, 182, 186, 187, 189-208, 211-216, 218-235)

    8. Actes des institutions – Motivation – Obligation – Portée – Décision d’application des règles de concurrence – Décision constatant une infraction adoptée après annulation d’une décision antérieure ayant eu le même objet – Décision faisant apparaître le raisonnement suivi pour justifier l’adoption d’une nouvelle décision

      (Art. 101 et 102 TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, § 1 ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23, § 2)

      (voir points 238-253, 255-260)

    9. Droit de l’Union européenne – Principes – Proportionnalité – Portée – Annulation d’une décision constatant une infraction – Réouverture de la procédure au stade de l’irrégularité constatée – Adoption d’une nouvelle décision constatant une infraction – Violation – Absence

      (Art. 5, § 4, TUE)

      (voir points 269-281)

    10. Concurrence – Amendes – Montant – Détermination – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Contrôle juridictionnel – Compétence de pleine juridiction du juge de l’Union – Portée

      (Art. 101, 261 et 263 TFUE ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 31 ; communication de la Commission 2006/C 210/02)

      (voir points 283-287)

    11. Concurrence – Procédure administrative – Décision constatant une infraction adoptée postérieurement à l’annulation d’une première décision visant la même entreprise et la même infraction – Violation du principe ne bis in idem – Absence

      (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 50 ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 23)

      (voir points 303-312)

    12. Concurrence – Procédure administrative – Prescription en matière de poursuites – Règles régissant l’interruption et la suspension de la prescription – Pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union – Absence de règles prévoyant un délai de prescription maximal absolu – Admissibilité

      (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41 ; règlement du Conseil no 1/2003, art. 25, § 3 et 6)

      (voir points 316-322)

    13. Concurrence – Procédure administrative – Décision de la Commission constatant une infraction – Preuve de l’infraction et de sa durée à la charge de la Commission – Portée de la charge probatoire – Degré de précision exigé des éléments de preuve retenus par la Commission – Faisceau d’indices – Contrôle juridictionnel – Portée – Décision laissant subsister un doute dans l’esprit du juge – Respect du principe de la présomption d’innocence

      (Art. 65 CA)

      (voir points 330-333)

    14. Ententes – Pratique concertée – Notion – Nécessité d’un lien de causalité entre la concertation et le comportement des entreprises sur le marché – Présomption d’existence de ce lien de causalité – Charge de renverser cette présomption incombant à l’entreprise concernée – Preuves

      (Art. 65 CA)

      (voir points 337-344)

    15. Ententes – Interdiction – Infractions – Accords et pratiques concertées constitutifs d’une infraction unique – Imputation d’une responsabilité à une entreprise pour l’ensemble de l’infraction – Conditions – Absence de preuve de la participation active à l’entente pendant une certaine période et de la participation à certaines réunions – Absence d’incidence

      (Art. 65 CA)

      (voir points 345, 346, 354, 465)

    16. Concurrence – Procédure administrative – Décision de la Commission constatant une infraction – Preuve de l’infraction et de sa durée à la charge de la Commission – Portée de la charge probatoire – Preuve apportée par un certain nombre d’indices et de coïncidences attestant de l’existence et de la durée d’un comportement anticoncurrentiel continu – Admissibilité

      (Art. 65 CA)

      (voir points 368-373)

    17. Ententes – Accords entre entreprises – Notion – Participation à des réunions ayant un objet anticoncurrentiel – Inclusion – Condition – Absence de distanciation par rapport aux décisions prises – Distanciation publique – Critères d’appréciation

      (Art. 65 CA)

      (voir point 410, 460)

    18. Ententes – Pratique concertée – Notion – Coordination et coopération incompatibles avec l’obligation pour chaque entreprise de déterminer de manière autonome son comportement sur le marché – Échange d’informations entre concurrents – Échange susceptible d’éliminer les incertitudes quant au comportement envisagé par les entreprises concernées

      (Art. 65, § 1, CA)

      (voir points 513-518)

    19. Ententes – Interdiction – Infractions – Accords et pratiques concertées constitutifs d’une infraction unique – Imputation d’une responsabilité à une entreprise pour l’ensemble de l’infraction – Conditions – Pratiques et agissements infractionnels s’inscrivant dans un plan d’ensemble – Appréciation – Critères – Contribution à l’objectif unique de l’infraction – Nécessité d’un lien de complémentarité entre les pratiques reprochées – Absence

      (Art. 65, §1, CA)

      (voir points 534-538)

    Résumé

    Le Tribunal confirme les sanctions allant de 2,2 à 5,1 millions d’euros infligées par la Commission à quatre entreprises pour leur participation à une entente sur le marché italien des ronds à béton

    Par décision du 17 décembre 2002, la Commission européenne a constaté que huit entreprises et une association d’entreprises avaient violé l’article 65, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (ci-après « CA »), en participant, entre décembre 1989 et juillet 2000, à une entente sur le marché italien des ronds à béton ayant pour objet ou pour effet la fixation des prix et la limitation et le contrôle de la production (ci-après la « première décision ») ( 1 ).

    Le Tribunal a annulé cette décision, au motif que sa base juridique, à savoir l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA, n’était plus en vigueur au moment de son adoption, le traité CA ayant expiré le 23 juillet 2002 ( 2 ). En conséquence, la Commission a adopté une nouvelle décision, les 30 septembre et 8 décembre 2009, constatant la même infraction mais basée sur le traité CE et le règlement (CE) no 1/2003 ( 3 ) (ci-après la « deuxième décision ») ( 4 ).

    Cette deuxième décision, confirmée par le Tribunal par arrêts du 9 décembre 2014 (ci-après les « arrêts du 9 décembre 2014 ») ( 5 ), a été annulée par la Cour. Selon cette dernière, le Tribunal avait commis une erreur de droit en considérant que la Commission n’était pas tenue d’organiser une nouvelle audition dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’adoption de la deuxième décision ( 6 ), l’omission d’une telle audition constituant une violation des formes substantielles. Ainsi, la Cour a considéré que la première audition organisée en vue de l’adoption de la première décision n’était pas conforme aux exigences procédurales relatives à l’adoption d’une décision sur le fondement du règlement no 1/2003, dans la mesure où les autorités de concurrence des États membres n’y avaient pas participé. La Cour avait donc intégralement annulé les arrêts du 9 décembre 2014.

    En reprenant la procédure au point où l’illégalité avait été constatée par la Cour, la Commission a organisé une nouvelle audition et constaté, par décision du 4 juillet 2019 (ci-après la « décision attaquée ») ( 7 ), à nouveau l’infraction faisant l’objet de la deuxième décision. Toutefois, en raison de la durée de la procédure , une réduction de 50 % de toutes les amendes infligées aux entreprises destinataires a été octroyée.

    Quatre des huit entreprises concernées, à savoir Ferriera Valsabbia SpA et Valsabbia Investimenti SpA, Alfa Acciai SpA, Feralpi Holdings SpA et Ferriere Nord SpA (ci-après les « requérantes »), ont introduit des recours en annulation de la décision attaquée, qui leur imposait des sanctions allant de 2,2 à 5,1 millions d’euros ( 8 ). Ces recours sont tous rejetés par la quatrième chambre élargie du Tribunal, qui, dans ce cadre, clarifie les conditions dans lesquelles la Commission peut adopter une décision de sanction presque trente ans après le début des faits constitutifs de l’infraction sans porter atteinte aux droits de la défense des parties intéressées ou au principe du délai raisonnable. Le Tribunal se prononce également sur la légalité du régime d’interruption et de suspension de la prescription en matière d’imposition d’amendes ainsi que sur les conditions de prise en compte de la récidive dans le calcul des amendes.

    Appréciation du Tribunal

    Dans les affaires T 655/19, T 656/19, T 657/19 et T 667/19, le Tribunal rejette le moyen tiré d’irrégularités dans l’organisation de la nouvelle audition par la Commission.

    En rappelant que l’annulation d’un acte mettant un terme à une procédure administrative n’affecte pas toutes les étapes ayant précédé son adoption, mais seulement celles qui sont concernées par les motifs ayant justifié l’annulation, le Tribunal confirme, en l’espèce, qu’il était loisible à la Commission de reprendre la procédure à partir de l’étape de l’audition.

    Dans ce cadre, le Tribunal écarte, en premier lieu, l’argumentation des requérantes selon lesquelles l’impartialité des représentants des autorités de concurrence des États membres siégeant dans le comité consultatif n’était pas garantie lors de la nouvelle audition, dans la mesure où ces représentants connaissaient les première et deuxième décisions de la Commission ainsi que la position adoptée par le Tribunal dans les arrêts du 9 décembre 2014.

    À cet égard, le Tribunal rappelle que, lorsqu’un acte est annulé, il disparaît de l’ordre juridique et est censé n’avoir jamais existé. De même, les arrêts du Tribunal disparaissent rétroactivement de l’ordre juridique lorsqu’ils sont annulés sur pourvoi. Par conséquent, tant les décisions de la Commission que les arrêts du 9 décembre 2014 avaient disparu, avec effet rétroactif, de l’ordre juridique de l’Union au moment où le comité consultatif a rendu son avis. En outre, la connaissance de la solution jurisprudentielle adoptée par la Cour dans son arrêt d’annulation étant inhérente à l’obligation de tirer les conséquences de cet arrêt, il ne saurait en être déduit un manque d’impartialité des autorités de concurrence concernées.

    Le Tribunal rejette, en deuxième lieu, le grief selon lequel, en omettant d’inviter à l’audition diverses entités qui avaient joué un rôle important dans le cadre de l’instruction du dossier, la Commission avait affecté les droits de la défense des requérantes.

    S’agissant plus particulièrement de l’absence des entités ayant renoncé à un stade antérieur de la procédure à contester la première ou la deuxième décision qui leur avait été adressée ( 9 ), le Tribunal considère que, ladite décision étant devenue définitive à leur égard, la Commission n’a pas commis d’erreur en excluant ces entités de la nouvelle audition. En ce qui concerne l’absence d’une entité tierce dont le droit de participer à la procédure administrative avait été reconnu en 2002, le Tribunal estime que la Commission a correctement constaté que, dès lors que cette entité avait participé à la première audition mais ne s’était pas présentée à la deuxième organisée à l’occasion de l’adoption de la première décision, elle avait perdu son intérêt à intervenir une nouvelle fois.

    En troisième lieu, le Tribunal écarte l’argumentation selon laquelle les changements intervenus, en raison du délai écoulé, dans l’identité des acteurs et la structure du marché empêchaient l’organisation d’une nouvelle audition dans des conditions équivalentes à celles qui prévalaient en 2002. Selon le Tribunal, la Commission avait effectué une évaluation correcte en concluant, au vu des circonstances existantes au moment de la reprise de la procédure, que la poursuite de cette dernière constituait encore une solution appropriée.

    Les moyens mettant en cause une violation du principe du délai raisonnable sont, quant à eux, rejetés. D’une part, les requérantes reprochaient à la Commission de ne pas avoir examiné si l’adoption de la décision attaquée était encore compatible avec le principe du délai raisonnable. D’autre part, elles contestaient la durée de la procédure ayant conduit à l’adoption de celle-ci.

    À cet égard, le Tribunal constate, en premier lieu, que la Commission avait analysé la longueur de la procédure administrative avant d’adopter la décision attaquée, les causes pouvant expliquer la durée de la procédure et les conséquences susceptibles d’en être tirées. Ainsi, elle avait respecté son obligation de prendre en compte les exigences découlant du principe du délai raisonnable lors de son appréciation de l’opportunité d’engager des poursuites et d’adopter une décision en application des règles de concurrence.

    S’agissant de la durée de la procédure, le Tribunal relève, en second lieu, que le dépassement du délai raisonnable ne peut conduire à l’annulation d’une décision qu’à la double condition que la longueur de la procédure a été déraisonnable et que ce dépassement du délai raisonnable a entravé l’exercice des droits de la défense.

    Or, au regard de l’enjeu du litige pour les intéressés, de la complexité de l’affaire, du comportement des parties requérantes et de celui des autorités compétentes, la durée des phases administratives de la procédure n’avait pas été déraisonnable en l’espèce. Par ailleurs, la durée globale de la procédure était en partie imputable aux interruptions dues au contrôle juridictionnel liées au nombre de recours introduits devant le juge de l’Union sur les différents aspects de l’affaire. En outre, dans la mesure où les requérantes avaient eu, à sept reprises au moins, l’occasion d’exprimer leur point de vue et d’avancer leurs arguments au cours de l’entière procédure, leurs droits de la défense n’avaient pas été entravés.

    Selon le Tribunal, la Commission avait également satisfait à son obligation de motivation au regard de la prise en compte de la durée de la procédure. Elle avait précisément justifié l’adoption d’une nouvelle décision établissant l’existence de l’infraction et infligeant une amende aux entreprises concernées pour satisfaire à l’objectif de ne pas laisser impunies ces dernières et de les dissuader de la commission d’une infraction similaire à l’avenir.

    Dans les affaires T 657/19 et T 667/19, le Tribunal écarte également les moyens tirés de la violation du principe non bis in idem ainsi que ceux mettant en cause la légalité du régime d’interruption et de suspension de la prescription énoncé à l’article 25, paragraphes 3 à 6, du règlement no 1/2003.

    Pour rappel, le principe non bis in idem interdit qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d’un comportement anticoncurrentiel pour lequel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours. En revanche, lorsqu’une première décision a été annulée pour des motifs de forme sans qu’il ait été statué au fond sur les faits reprochés, ce principe ne s’oppose pas à une reprise des poursuites ayant pour objet le même comportement anticoncurrentiel dès lors que les sanctions imposées par la nouvelle décision ne s’ajoutent pas à celles prononcées par la décision annulée, mais se substituent à elles.

    À ce propos, le Tribunal note que tant la première que la deuxième décision avaient été annulées sans adoption d’une position définitive sur le fond. De plus, même si, dans ses arrêts du 9 décembre 2014, le Tribunal s’était prononcé sur les moyens de fond soulevés par les requérantes, ces arrêts avaient été intégralement annulés par la Cour. Par ailleurs, les sanctions infligées par la décision attaquée s’étaient substituées à celles imposées par la deuxième décision qui, elles-mêmes, avaient remplacé les sanctions infligées par la première décision. Le Tribunal en conclut que, en adoptant la décision attaquée, la Commission n’avait pas violé le principe non bis in idem.

    En soulevant une exception d’illégalité du régime d’interruption et de suspension de la prescription applicable, les requérantes contestaient, de plus, l’absence d’un délai maximal absolu, déterminé par le législateur de l’Union, au-delà duquel toute poursuite par la Commission serait exclue, nonobstant les éventuelles suspensions ou interruptions du délai de prescription initial.

    Conformément à l’article 25 du règlement no 1/2003, le délai de prescription de cinq ans en matière d’imposition d’amendes ou d’astreintes est suspendu durant les procédures de recours introduites devant la Cour contre la décision de la Commission, auquel cas il est prolongé de la période pendant laquelle est intervenue la suspension. Selon le Tribunal, ce système résulte d’une conciliation réalisée par le législateur de l’Union entre deux objectifs distincts, à savoir, la nécessité d’assurer la sécurité juridique et l’exigence d’assurer le respect du droit en poursuivant, établissant et sanctionnant les infractions au droit de l’Union. Or, en effectuant cette mise en balance, le législateur de l’Union n’a pas dépassé la marge d’appréciation qui doit lui être reconnue dans ce cadre.

    Pour le Tribunal, si le délai de prescription est suspendu en cas de recours introduit devant le juge de l’Union, il n’en reste pas moins que cette possibilité requiert, en vue de sa mise en œuvre, une démarche à assurer par les entreprises elles-mêmes. Dès lors, le législateur de l’Union ne peut se voir reprocher que, à la suite de l’introduction de plusieurs recours par les entreprises concernées, la décision intervenant au terme de la procédure soit adoptée après un certain délai. Par ailleurs, les justiciables se plaignant d’une procédure déraisonnablement longue peuvent contester cette durée en poursuivant l’annulation de la décision adoptée à l’issue de cette procédure à condition que le dépassement du délai raisonnable ait entravé l’exercice des droits de la défense. Lorsque ce dépassement ne donne pas lieu à une violation de tels droits, les justiciables peuvent alors introduire un recours en indemnité devant le juge de l’Union.

    Dans le cadre des affaires T 657/19 et T 667/19, le Tribunal, exerçant sa compétence de pleine juridiction, estime qu’il convient de prendre en compte, aux fins de la détermination du montant des amendes infligées aux requérantes, l’atténuation de leur effet dissuasif du fait de la période de près de vingt ans écoulée entre la fin de l’infraction et l’adoption de la décision attaquée, confirmant ainsi, par substitution de motifs, la nécessité de prononcer une amende à l’encontre desdites requérantes. Il considère à cet égard que la réduction de 50 % dudit montant, telle qu’octroyée par la Commission, était appropriée à cette fin.

    Dans l’affaire T 667/19, enfin, le Tribunal rejette le moyen de Ferriere Nord SpA tiré de l’illégalité de la majoration du montant de l’amende infligée au titre de la récidive.

    S’agissant du respect des droits de la défense de Ferriere Nord SpA, le Tribunal observe que, lorsque la Commission entend imputer à une personne juridique une infraction au droit de la concurrence et envisage, dans ce cadre, de retenir contre elle la récidive en tant que circonstance aggravante, la communication des griefs adressée à cette personne doit contenir tous les éléments lui permettant d’assurer sa défense, notamment ceux pouvant justifier que les conditions de la récidive sont remplies.

    Or, à la lumière d’un examen portant sur l’ensemble des circonstances ayant entouré le dossier, le Tribunal constate que l’intention de la Commission de prendre en compte, au titre de la récidive, la décision de sanction antérieurement adressée à Ferriere Nord SpA était suffisamment prévisible. Cette dernière avait d’ailleurs eu l’occasion de présenter ses observations sur ce point lors de la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée.

    Quant aux griefs tirés du laps de temps écoulé entre les deux infractions prises en compte au titre de la récidive, le Tribunal précise que même si aucun délai de prescription ne s’oppose à la constatation d’un état de récidive, il n’en demeure pas moins que, pour respecter le principe de proportionnalité, la Commission ne saurait prendre en considération des décisions antérieures sanctionnant une entreprise sans limitation dans le temps. Cela étant, vu la brièveté du délai qui s’était écoulé entre les deux infractions en cause, à savoir trois ans et huit mois, la Commission a estimé à juste titre qu’une majoration du montant de base de l’amende au titre de la récidive se justifiait, eu égard à la propension de Ferriere Nord SpA à violer les règles de concurrence, et ce malgré le fait que l’enquête ait duré un certain temps.

    Au regard de ce qui précède, les recours des requérantes sont rejetés dans leur intégralité.


    ( 1 ) Décision C(2002) 5087 final, du 17 décembre 2002, relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA (COMP/37.956 - Ronds à béton).

    ( 2 ) Arrêts du 25 octobre 2007, SP e.a./Commission (T 27/03, T 46/03, T 58/03, T 79/03, T 80/03, T 97/03 et T 98/03, EU:T:2007:317), du 25 octobre 2007, Ferriere Nord/Commission (T 94/03, non publié, EU:T:2007:320), du 25 octobre 2007, Feralpi Siderurgica/Commission (T 77/03, non publié, EU:T:2007:319), et du 25 octobre 2007, Riva Acciaio/Commission (T 45/03, non publié, EU:T:2007:318).

    ( 3 ) Règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

    ( 4 ) Décision C(2009) 7492 final, du 30 septembre 2009, relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA (affaire COMP/37.956 - Ronds à béton, réadoption), telle que modifiée par décision de la Commission du 8 décembre 2009.

    ( 5 ) Arrêts du 9 décembre 2014, Ferriera Valsabbia et Valsabbia Investimenti/Commission (T 92/10, non publié, EU:T:2014:1032), du 9 décembre 2014, Alfa Acciai/Commission (T‑85/10, non publié, EU:T:2014:1037), du 9 décembre 2014, Feralpi/Commission (T 70/10, non publié, EU:T:2014:1031), du 9 décembre 2014, Ferriere Nord/Commission (T 90/10, non publié, EU:T:2014:1035), du 9 décembre 2014, Riva Fire/Commission (T 83/10, non publié, EU:T:2014:1034), du 9 décembre 2014, Lucchini/Commission (T 91/10, EU:T:2014:1033), du 9 décembre 2014, SP/Commission (T 472/09 et T 55/10, EU:T:2014:1040), du 9 décembre 2014, IRO/Commission (T 69/10, non publié, EU:T:2014:1030), et du 9 décembre 2014, Leali et Acciaierie e Ferriere Leali Luigi/Commission (T 489/09, T 490/09 et T 56/10, non publié, EU:T:2014:1039).

    ( 6 ) Arrêts du 21 septembre 2017, Ferriera Valsabbia e.a./Commission (C 86/15 P et C 87/15 P, EU:C:2017:717), du 21 septembre 2017, Feralpi/Commission (C 85/15 P, EU:C:2017:709), du 21 septembre 2017, Ferriere Nord/Commission (C 88/15 P, EU:C:2017:716), et du 21 septembre 2017, Riva Fire/Commission (C 89/15 P, EU:C:2017:713).

    ( 7 ) Décision C(2019) 4969 final, du 4 juillet 2019, relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA (affaire AT.37956 - Ronds à béton).

    ( 8 ) L’amende infligée à Ferriera Valsabbia SpA et Valsabbia Investimenti SpA s’élève à 5,125 millions d’euros, celle infligée à Alfa Acciai SpA à 3,587 millions d’euros, celle infligée à Feralpi Holdings SpA à 5,125 millions d’euros et celle infligée à Ferriere Nord SpA à 2,237 millions d’euros.

    ( 9 ) L’une de ces entités n’avait pas déposé de recours en annulation contre la première décision. Trois autres, ayant contesté cette première décision, avaient été destinataires de la deuxième, qu’ils avaient contestée devant le Tribunal. Elles n’avaient en revanche pas introduit de pourvoi contre les arrêts du 9 décembre 2014 les concernant.

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