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Document 52018IE4661

Avis du Comité économique et social européen sur «Une démocratie résiliente grâce à une société civile forte et diverse» (avis d’initiative)

EESC 2018/04661

OJ C 228, 5.7.2019, p. 24–30 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, HR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

5.7.2019   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 228/24


Avis du Comité économique et social européen sur «Une démocratie résiliente grâce à une société civile forte et diverse»

(avis d’initiative)

(2019/C 228/04)

Rapporteur: Christian MOOS

Consultation

12.7.2018

Base juridique

Article 29, paragraphe 2, du règlement intérieur

Avis d’initiative

Compétence

Section spécialisée «Emploi, affaires sociales et citoyenneté»

Adoption en section spécialisée

6.3.2019

Adoption en session plénière

20.3.2019

Session plénière no

542

Résultat du vote

(pour/contre/abstentions)

145/5/2

1.   Conclusions et recommandations

1.1.

En Europe, des forces politiques considérables, qui se composent principalement, mais non exclusivement, de mouvements et partis extrémistes de droite, dont certains déjà parvenus au pouvoir, sapent la démocratie libérale et veulent détruire l’Union européenne.

1.2.

La société civile pluraliste qui constitue l’un des traits caractéristiques de la démocratie libérale repose sur les libertés civiles, lesquelles sont menacées par les tendances autoritaires. Elle a un rôle essentiel à jouer pour préserver la démocratie libérale en Europe.

1.3.

La démocratie libérale suppose, entre autres, la garantie des droits fondamentaux, une justice indépendante, un mécanisme opérationnel de contrôles et d’équilibres mutuels entre les pouvoirs, une administration exempte de corruption, qui fournisse des services bien gérés d’intérêt général, et une société civile dynamique.

1.4.

Une société civile indépendante constitue un rouage essentiel du contrôle démocratique et une école de la démocratie. Elle conforte la cohésion sociale. Elle ne peut assumer ces fonctions que si le cadre social, politique et juridique le lui permet. Les menées visant à faire barrage à son financement par des sources non étatiques fragilisent la liberté d’association et le bon fonctionnement de la démocratie.

1.5.

Aujourd’hui, la société civile et la démocratie sont contestées dans bien des domaines. Les populistes de droite remettent en cause les progrès réalisés dans l’émancipation de la femme.

1.6.

La polarisation de la société trouve également une traduction dans l’émergence d’une «société incivile». Au sein des institutions nationales et supranationales, certains intervenants bien établis tendent de plus en plus à offrir une caisse de résonance aux schémas de pensée populistes.

1.7.

Émanant notamment de pays tiers, des éléments autoritaires appuient cette évolution vers une «démocratie illibérale», qui aboutit à restreindre la liberté des médias et à accroître la corruption en Europe.

1.8.

À ce jour, l’Union européenne ne dispose toujours pas de l’arsenal approprié garantissant que ses États membres respectent effectivement la démocratie et l’état de droit.

1.9.

Le Comité économique et social européen (CESE) exhorte tous les États membres à s’abstenir de quelque manœuvre que ce soit visant à instaurer une «démocratie illibérale». Si certains d’entre eux devaient céder à la tentation de l’autoritarisme, l’Union européenne se doit d’exploiter à plein les dispositions du traité.

1.10.

Les partis qui s’en prennent à la démocratie libérale devraient être exclus de leurs formations politiques au niveau européen et des groupes politiques au Parlement européen.

1.11.

Le CESE réitère la revendication qu’il avait formulée concernant la mise en place d’un «semestre démocratique», assorti d’un mécanisme européen de contrôle du respect de l’état de droit et des droits fondamentaux, ainsi que d’un «tableau de bord de la démocratie».

1.12.

Le CESE est d’avis qu’il conviendrait d’envisager un dispositif grâce auquel il serait possible d’arrêter des mesures financières de correction en cas de non-respect de l’article 2 du traité sur l’Union européenne.

1.13.

Les mesures visant à protéger le budget de l’Union européenne face aux défaillances de l’état de droit ne doivent pas s’appliquer au détriment des bénéficiaires d’aide qui ressortissent à la société civile.

1.14.

Le CESE préconise que le nouveau cadre financier pluriannuel prévoie la flexibilité nécessaire pour accroître le soutien aux organisations de la société civile lorsque des gouvernements nationaux, pour des motifs politiques, réduisent ou suppriment les financements en leur faveur.

1.15.

Le CESE fait observer que les organisations de la société civile et leurs initiatives qui obtiendront un appui de l’Union européenne au titre du nouveau cadre financier pluriannuel devront se revendiquer clairement des valeurs européennes.

1.16.

Le CESE appelle les législateurs de l’Union européenne à réduire encore le poids des formalités administratives en ce qui concerne tout particulièrement les initiatives à faible échelle et les petites organisations.

1.17.

Le CESE invite la Commission à investir davantage pour développer les capacités de la société civile, à renforcer les réseaux de coopération transfrontière et à fournir de meilleures informations sur les instruments de soutien existants. Il conviendrait qu’elle présente des propositions de normes minimales à respecter pour que le bénévolat mené dans le cadre des initiatives de la société civile puisse se concilier avec l’exercice d’une activité professionnelle.

1.18.

Le CESE appuie le Parlement européen lorsqu’il réclame une proposition instituant un statut européen pour les mutuelles, les associations et les fondations ou qu’il propose, comme première étape de cette démarche, que soit créé un système parallèle interinstitutionnel d’accréditation.

1.19.

Le CESE trouve qu’il serait utile d’analyser pour quelles raisons ce dossier n’a pas abouti, ainsi que d’envisager en parallèle un agrément interinstitutionnel, une sorte de label, pour les organisations non gouvernementales (ONG). Le CESE devrait explorer cette possibilité.

1.20.

Le CESE invite les États membres à prévoir des mesures de soutien aux organisations de la société civile, sans porter préjudice aux services publics et à la justice fiscale.

1.21.

Le CESE appelle les institutions de l’Union européenne à renforcer encore la démocratie participative.

1.22.

Le CESE attend de tous les intervenants qu’ils œuvrent à des politiques européennes qui apportent des améliorations concrètes dans l’existence de la population au quotidien.

1.23.

Les décideurs politiques nationaux et européens se doivent de résoudre les problématiques sociales qui constituent des enjeux brûlants et s’assurer que leur politique soit socialement durable, en garantissant des systèmes éducatifs qui intègrent toute la population, une croissance inclusive, la compétitivité et la capacité d’innovation des industries, le bon fonctionnement des marchés de l’emploi, une fiscalité juste et équitable et l’efficacité des services publics et des régimes de sécurité sociale.

1.24.

Des partenaires sociaux forts et une société civile riche de toute sa diversité sont indispensables pour défendre les valeurs européennes fondamentales.

2.   Définitions

2.1.

Les «démocraties libérales»sont des systèmes de gouvernance dans lesquels la démocratie se conjugue avec un libéralisme constitutionnel fixant des limites au pouvoir de la majorité qui gouverne, en garantissant les prérogatives politiques et libertés des individus. Elles forment des démocraties représentatives, à régime multipartite et société civile pluraliste, qui possèdent des dispositifs de contrôles et d’équilibres des pouvoirs, notamment une justice indépendante, exerçant une surveillance sur les organes dirigeants, et qui garantissent la liberté des médias. L’état de droit y prévaut de manière égale pour toute personne physique ou morale. Les démocraties libérales respectent et protègent les minorités et elles garantissent les droits civiques, en particulier celui de voter et d’être candidat aux élections, ainsi que les libertés civiles, par exemple celle de s’associer, de même que les droits de l’homme et les libertés fondamentales.

2.2.

Une démocratie libérale fonctionnelle est un système politique dans lequel il est en permanence possible de demander des comptes aux pouvoirs publics et qui, dans tous les espaces civiques, favorise l’expression et la participation des citoyens et des corps intermédiaires dans lesquels ils s’engagent.

2.3.

La «démocratie représentative», qui complète la «démocratie participative», a besoin de corps intermédiaires tels que les syndicats, les ONG, les réseaux professionnels ou les associations se vouant à une thématique particulière, pour mobiliser les citoyens et encourager une appropriation populaire et citoyenne des questions européennes et la construction d’une Europe plus juste, qui ménage davantage de place à la solidarité et à l’inclusion.

2.4.

Les «démocraties illibérales»sont des systèmes politiques dans lesquels des élections ont lieu mais où le libéralisme constitutionnel n’est pas implanté. Des dirigeants démocratiquement élus y restreignent les droits civiques, les libertés civiles et la protection des minorités. Ces régimes minent le système des contrôles et équilibres mutuels entre les pouvoirs et l’indépendance de la justice et des médias, afin que la souveraineté absolue de la majorité qui gouverne soit affranchie de toute limitation ou tutelle constitutionnelle.

2.5.

Une «société civile»plurielle, respectueuse des principes de la démocratie et du libéralisme constitutionnel, forme une composante indispensable d’une démocratie libérale. Les citoyens qui s’engagent individuellement dans des organisations de la société civile ou dans des types de mobilisation informelle constituent la société civile, laquelle remplit une fonction d’intermédiaire entre l’État et la population. En plus de structurer les intérêts des citoyens, de fournir une expertise technique au cours des processus législatifs et de garantir que les décideurs aient à rendre des comptes, la société civile contribue à édifier la société et assure une mission d’intégration, en renforçant la cohésion sociale et en produisant de l’identité. En outre, tout un éventail d’organisations de la société civile, parmi lesquelles les partenaires sociaux tiennent une place éminente, se consacrent à une action non lucrative et servent des objectifs d’intérêt général, dont certains sous des formes de secours mutuel.

2.6.

Si une société civile dynamique constitue un rouage essentiel des démocraties libérales fonctionnelles, leurs opposants peuvent également s’engager politiquement dans des organisations constituées ou des schémas de participation informelle. Cette «société incivile»ne respecte pas les principes de la démocratie et du libéralisme constitutionnel mais fait la promotion du concept de «démocratie illibérale». Elle exploite les droits à la participation politique pour supprimer le système existant de contrôles et équilibres mutuels entre les pouvoirs, l’état de droit et l’indépendance de la justice et pour museler la liberté des médias. Elle vise à limiter les droits civiques, les libertés civiles et la protection des minorités. En lieu et place d’apporter de l’intégration dans le corps social et d’en renforcer la cohésion, la société incivile se fait le héraut d’une conception nationaliste et excluante de la société, qui en retranche un grand nombre de citoyens, notamment des minorités.

2.7.

Le «populisme»est une idéologie étriquée, proclamant l’existence d’un peuple homogène, qui affiche une volonté monolithique et dont les populistes se targuent d’être les représentants uniques et véritables. Tout en ne donnant pas de définition claire de la notion de «peuple», le populisme érige d’aucuns, par exemple l’«élite», en ennemis et adversaires dudit peuple, en assurant qu’ils font obstacle à la volonté populaire. Les populistes hystérisent le débat politique, afin de susciter des peurs.

3.   Le contexte

3.1.

La démocratie est aujourd’hui mise au défi par un populisme qui, pour l’instant, émane essentiellement de partis et mouvements d’extrême droite. Ils sapent la démocratie libérale, les droits fondamentaux et l’état de droit, notamment la protection des minorités, les contrôles et équilibres entre les pouvoirs et les limites claires qui ont été tracées à la puissance politique.

3.2.

Dans certains États membres, ces groupes participent à présent au gouvernement. Partout, ils se proclament représentants de la volonté «réelle»du «peuple»contre celle des «élites». Ils multiplient les promesses fallacieuses, nient les défis qui se posent à l’action politique, comme le changement climatique, et veulent détruire le projet européen et ses réalisations.

3.3.

Le CESE fait observer que c’est par désenchantement que certains citoyens se tournent vers les populistes et les extrémistes. Ils ne soutiennent pas nécessairement les programmes politiques du populisme dans leur intégralité. Les écarts grandissants de richesse et de revenus, ainsi que la pauvreté, offrent à des groupes de droite un terrain fertile pour promouvoir le nationalisme comme réponse à la mondialisation.

3.4.

En dépit des problèmes qui, tel celui des inégalités, se posent à elle dans le domaine de l’autorité et de l’économie, l’Europe reste toujours un des champions de la démocratie libérale dans le monde, suscitant l’admiration des populations qui vivent dans des régimes autocratiques.

3.5.

Une société civile pluraliste constitue l’un des traits caractéristiques de la démocratie libérale et fonde tout régime constitutionnel qui s’appuie sur les libertés civiles et l’état de droit. C’est pour défendre ces principes que le CESE a créé un groupe sur les droits fondamentaux et l’état de droit (DFED), car il considère que les tendances à l’autoritarisme font actuellement planer une menace sur les libertés citoyennes et la société civile ouverte, laquelle, à l’instar de la liberté, est incompatible avec la notion de démocratie «illibérale»ou «dirigée».

3.6.

Le CESE est d’avis que la société civile a un rôle essentiel à jouer pour préserver la démocratie libérale en Europe. Elle n’aura la capacité de défendre la démocratie et la liberté et de préserver l’Europe des sirènes de l’autoritarisme que si elle présente force et diversité.

3.7.

Dans toutes les démocraties, une société civile forte et pluraliste représente une valeur en soi. Les organisations de la société civile jouent un rôle essentiel pour promouvoir les valeurs européennes, en aidant les communautés à s’organiser et à mobiliser les citoyens au service du bien public.

3.8.

Le CESE observe qu’à travers tout le continent, la confiance envers l’Union européenne suit une courbe descendante et que cette baisse s’accompagne d’une aggravation des tensions avec les minorités, de la xénophobie, des niveaux de corruption, toujours plus élevés, du népotisme et une faiblesse des institutions démocratiques dans certains pays. En pareille situation, les ONG représentent souvent la dernière digue qui tienne pour préserver et promouvoir les valeurs fondamentales du projet européen, comme le respect des droits de l’homme, la liberté, la tolérance et la solidarité.

3.9.

L’article 11 du traité sur l’Union européenne invite les institutions européennes à entretenir un dialogue avec les acteurs de la société civile, dont, en particulier, les associations.

3.10.

Dans quelque pays que ce soit, la richesse du paysage associatif et la place qui lui est donnée dans le dialogue civil constituent des indicateurs de qualité de sa vie démocratique. Les missions sociales et civiques qu’assument les associations revêtent une portée essentielle pour le plein fonctionnement de la démocratie, y compris et surtout dans la période désabusée que nous vivons.

3.11.

Le CESE tient à faire observer que l’on ne peut rattacher à la société civile des formes d’engagements qui utilisent indûment les droits de participation à la vie politique dans l’intention d’abolir la démocratie, les garanties offertes par l’état de droit et l’indépendance de la justice.

4.   La contribution de la société civile à la démocratie

4.1.

Pour exercer la participation démocratique à laquelle ils ont droit, les citoyens de l’Union peuvent non seulement faire usage de leur droit de vote, actif et passif, mais également s’engager dans des activités relevant de la société civile. Leurs principaux forums représentatifs au niveau de l’Union européenne sont les organismes faîtiers présents au CESE et les réseaux européens d’organisations de la société civile, tels que «Société civile Europe»(«Civil Society Europe»).

4.2.

Une démocratie pluraliste et la participation de chacun au politique doivent nécessairement reposer sur la garantie des droits et libertés de la personne, en particulier celles d’expression, d’information, de réunion et d’association, et sur leur mise en œuvre.

4.3.

Une justice indépendante est garante de l’état de droit, des droits fondamentaux et droits de l’homme, ainsi que de ceux de la participation politique. Or, dans différentes parties de l’Europe, l’indépendance du judiciaire est mise en péril. Des procédures en justice ont été lancées à l’encontre de la Pologne et de la Hongrie, pour infraction à l’état de droit (1).

4.4.

Une justice indépendante fait partie intégrante des contrôles et des équilibres mutuels entre les pouvoirs, empêchant qu’une quelconque fraction de la société agissant par le truchement d’une force politique exerce durablement sa prédominance sur l’ensemble de la collectivité. En particulier, on ne peut accepter que les règles de la prise de décision politique soient modifiées de manière que certaines personnes, quelles qu’elles soient, se trouvent exclues en permanence des processus décisionnels.

4.5.

Au fondement de tout régime constitutionnel qui se revendique de la liberté et de l’état de droit, il est tout aussi essentiel de pouvoir disposer d’une administration qui soit exempte de corruption, qui offre des services bien gérés d’intérêt général, qui respecte les droits fondamentaux et veille sur eux et qui garantisse à ses fonctionnaires un droit de contester toute consigne illégale.

4.6.

Pour bien fonctionner, une démocratie libérale doit également pouvoir compter sur des citoyens qui, par leur engagement civique, concourent à créer une société placée sous le signe de la tolérance, de la non-discrimination, de la justice et de la solidarité. Pour ce faire, elle doit bénéficier d’une société civile dynamique, au sein de laquelle les citoyens se mobilisent de leur propre initiative dans l’espace public. L’action bénévole qu’ils mènent a pour base les droits inscrits dans la charte européenne des droits fondamentaux et, dans le même temps, ils sont eux-mêmes les garants des valeurs qui y sont exprimées.

4.7.

Dans les démocraties libérales, une société civile indépendante joue un rôle capital pour contrôler les institutions politiques et garantir qu’elles puissent avoir à rendre des comptes, ou encore pour vérifier que les acteurs du politique assoient leurs décisions sur des motivations suffisantes. En effectuant un suivi critique des processus décisionnels et en évaluant la mise en œuvre des résolutions politiques et de la politique publique en général, elle y introduit de la transparence et, par son expertise, apporte sa pierre à une meilleure gouvernance.

4.8.

La société civile constitue une école de la démocratie, permettant de participer à la politique et ouvrant la voie à l’éducation citoyenne, en complémentarité avec l’enseignement public.

4.9.

Dans le même temps, l’enseignement public a une mission fondamentale à jouer pour inculquer les valeurs démocratiques et assurer l’éducation civique, de manière que les jeunes citoyens soient en mesure de s’engager dans la société civile et de faire usage de leurs droits civiques et de leurs libertés civiles.

4.10.

La société civile a une fonction à assumer pour structurer la collectivité et assurer son intégration, en ce qu’elle renforce la cohésion sociale et produit de l’identité. Il s’impose en particulier qu’elle mette le citoyen en capacité de faire usage de ses droits et d’apporter ainsi son écot à la création d’une communauté citoyenne européenne.

4.11.

Le CESE souligne que les organisations et initiatives ressortissant à la société civile ne pourront remplir ces fonctions que si le cadre social, politique et juridique le permet.

5.   Les menaces actuelles

5.1.

Le CESE juge que dans bien des domaines, les formations politiques extrémistes lancent actuellement des défis à la société civile européenne. Dans pratiquement tous les États membres, et de manière frappante, les résultats électoraux témoignent de l’audience croissante qu’elles recueillent et montrent que les citoyens perdent confiance dans les institutions démocratiques.

5.2.

Dans les franges les plus droitières du spectre politique, les forces populistes et extrémistes se renforcent et tentent, avec un succès grandissant, de conférer un vernis de respectabilité au racisme et à la xénophobie en Europe et d’y détruire la cohésion sociale.

5.3.

Les populistes et les extrémistes de droite remettent en cause les avancées réalisées dans l’émancipation de la femme, en se faisant les chantres d’un modèle familial réactionnaire. Ils s’en prennent à l’égalité des droits entre les hommes et les femmes et répandent l’homophobie.

5.4.

La polarisation de la société trouve également une traduction dans l’émergence d’une «société incivile». On voit apparaître de plus en plus d’organisations non gouvernementales et formes d’engagement de citoyens qui militent pour l’exclusion de certains pans de la société. Elles ne partagent pas les valeurs européennes mentionnées par l’article 2 du traité sur l’Union européenne, dont, tout particulièrement, les droits de l’homme et l’état de droit, et prônent tout au contraire un modèle politique de substitution, non démocratique.

5.5.

À la faveur de l’anonymat qui règne sur Internet et les réseaux sociaux et encouragées encore par des campagnes de désinformation, des mutations sont en train d’affecter la culture du débat politique et sociétal, qui prend un tour de plus en plus grossier, brutal et clivant. Dans cet environnement, les efforts que les intervenants pro-européens ont déployés pour diffuser les valeurs de l’Europe à destination du grand public n’ont pas réussi, pour l’essentiel, à remédier à la crise de communication du projet européen.

5.6.

De plus en plus, les hommes politiques modérés adoptent les schémas de pensée du populisme, comme l’a montré le Brexit. Des représentants de la «démocratie illibérale»s’ouvrent un accès toujours plus large dans des institutions nationales et supranationales, et s’y ménagent une plate-forme d’où ils peuvent étendre encore l’audience de leurs idées.

5.7.

Des gouvernements autoritaires de pays tiers soutiennent l’essor des acteurs du populisme et de l’extrémisme en Europe et favorisent la métamorphose de la culture du débat, dans les médias traditionnels et sur Internet, en y déversant de l’argent et en y répandant une désinformation ciblée dans le but de miner la stabilité de l’Union européenne.

5.8.

Le CESE constate avec la plus extrême inquiétude qu’en Europe, divers régimes politiques ont commencé à se muer en «démocraties illibérales». Les réformes entreprises dans certains États membres sont de nature à poser des entraves à une participation effective des citoyens aux processus politiques de prise de décision et à vider de sa substance le cadre dans lequel fonctionne la société civile, tel que sanctionné par le droit.

5.9.

Pour pouvoir assumer sa fonction d’instance de contrôle des organes politiques, la société civile a besoin de ressources adéquates. Les menées visant à faire barrage à son financement par des sources non étatiques fragilisent la liberté d’association et le bon fonctionnement de la démocratie.

5.10.

Un développement particulièrement alarmant est la funeste tendance au recul de la liberté des médias qui a pu être relevée au cours des cinq dernières années. La fragilité des bases économiques sur lesquelles reposent les médias indépendants mettent le quatrième pouvoir en péril, dès lors que l’indépendance institutionnelle de l’audiovisuel public est battue en brèche ou que des organes médiatiques privés peuvent se retrouver en position de monopole, qui plus est s’ils sont contrôlés par les responsables politiques en place.

5.11.

L’imbrication des intérêts politiques et économiques, tout spécialement, accroît les risques auxquels la corruption expose la démocratie. Aussi s’impose-t-il de fustiger l’absence de progrès dans la lutte anticorruption en Europe. La situation est d’autant plus grave que des détériorations notables sont constatées dans certains États membres.

5.12.

Il est indéniable que l’Union européenne constitue un précieux atout pour la démocratie libérale. Dans l’Europe unifiée, la loi du plus fort a cédé la place à l’état de droit. À ce jour, l’Union européenne ne dispose toujours pas de l’arsenal approprié garantissant que ses États membres respectent effectivement la démocratie et l’état de droit. En dépit, sinon à cause précisément de toutes ces faiblesses, il reste que l’Union européenne se retrouve en première ligne pour défendre la démocratie libérale en Europe.

6.   Recommandations d’action pour renforcer une société civile résiliente en Europe

Le CESE exhorte tous les États membres à respecter les valeurs de l’Union européenne, telles que définies dans l’article 2 du traité sur l’Union européenne, et à s’abstenir de toute manœuvre visant à instaurer une démocratie illibérale. Une société civile pluraliste et résiliente ne peut exister et assumer son rôle de bouclier de la démocratie que si les citoyens ne courent pas de danger lorsqu’ils s’engagent politiquement. Toutefois, si certains États membres devaient céder à la tentation de l’autoritarisme, l’Union européenne se doit d’exploiter à plein les mécanismes juridiques existants, tels que les procédures d’infraction et le cadre pour l’état de droit, de 2014.

6.1.

Il y a lieu de signifier très clairement aux instances nationales que toute rupture avec la démocratie et l’état de droit est inacceptable dans l’Union européenne.

6.2.

Le CESE attire l’attention sur la procédure de l’article 7 du traité sur l’Union européenne, qui autorise le Conseil à priver du droit de vote en son sein un État membre qui viole gravement les valeurs énoncées dans l’article 2 de ce même traité.

6.3.

Le CESE réitère la revendication qu’il avait formulée à l’instar du Parlement européen, concernant la mise en place d’un «semestre démocratique», ainsi que d’un mécanisme européen de contrôle du respect de l’état de droit et des droits fondamentaux (2). Il propose de créer un «tableau de bord de la démocratie», qui jaugerait notamment les conditions générales encadrant l’engagement de la société civile et déboucherait sur la formulation de recommandations concrètes de réforme.

6.4.

Les partis qui s’en prennent à la démocratie libérale devraient être exclus de leurs formations politiques au niveau européen et des groupes politiques au Parlement européen.

6.5.

Le CESE est d’avis qu’il conviendrait d’envisager un mécanisme grâce auquel il serait possible d’enclencher des mesures financières de correction si les recommandations de réforme n’étaient pas mises en œuvre.

6.6.

Le CESE se félicite que la Commission propose de «renforcer la protection du budget de l’Union européenne contre les risques financiers liés à des défaillances généralisées de l’état de droit dans les États membres», car il considère qu’il s’agit d’un pas posé dans la bonne direction (3).

6.7.

Les retenues de fonds décidées au titre du nouveau mécanisme ne pourront s’effectuer au détriment des bénéficiaires d’aides ressortissant à la société civile, qui devraient recevoir une assistance directe de l’échelon européen.

6.8.

Le CESE déplore toutefois que ledit mécanisme soit exclusivement centré sur la bonne gestion budgétaire. Il réclame qu’une procédure analogue puisse s’appliquer aux défaillances touchant à la démocratie et à l’état de droit, lesquelles n’ont pas de lien direct avec cet impératif de bien gérer les budgets.

6.9.

Le CESE se félicite que la Commission européenne ait suggéré d’inscrire dans le prochain cadre financier pluriannuel un nouveau pôle, intitulé «Investir dans le capital humain, la cohésion sociale et les valeurs», l’idée étant de contribuer à renforcer la résilience de la société civile européenne. Il salue en particulier la création du nouvel instrument que constitue le «Fonds pour la justice, les droits et les valeurs», sur lequel le CESE a émis un avis (4).

6.10.

Le CESE préconise en outre que le nouveau cadre financier pluriannuel prévoie la flexibilité nécessaire pour que la Commission puisse accroître le soutien aux organisations de la société civile lorsque des gouvernements nationaux, pour des motifs politiques, réduisent ou suppriment les financements en leur faveur. Cette assistance à titre subsidiaire ne devrait pas se substituer aux ressources nationales consacrées à cet appui mais il conviendrait, si possible, qu’elle soit couplée avec la réduction, en compensation, de l’aide que le pays concerné reçoit dans d’autres domaines.

6.11.

Le CESE fait en outre observer que les organisations de la société civile et leurs initiatives qui obtiendront un appui de l’Union européenne au titre du nouveau cadre financier pluriannuel devront se revendiquer clairement des valeurs européennes, telles qu’énoncées dans l’article 2 du traité sur l’Union européenne. Les groupements qui militent pour faire disparaître la démocratie et l’état de droit et propagent le racisme et la xénophobie doivent être exclus du bénéfice de cette assistance.

6.12.

Considérant que le comportement des citoyens en matière de participation est en train de se modifier et que les initiatives informelles et spontanées se multiplient, le CESE presse le législateur européen de réduire encore le poids des formalités administratives liées au dépôt de projets aidés par l’Union européenne, à leur exécution et à la reddition de comptes les concernant, ainsi que de prévoir des instruments de soutien spécifiquement conçus pour des actions à faible échelle et de petites organisations.

6.13.

Le CESE adresse à la Commission européenne la demande de diffuser une meilleure information sur les instruments existants d’aide en faveur de la société civile. Dans cette démarche, il conviendrait de cibler tout particulièrement les intervenants implantés dans des régions des États membres qui sont reculées.

6.14.

Le CESE demande à la Commission européenne d’investir davantage aux fins de développer les capacités de la société civile, d’améliorer les performances de ses acteurs pour ce qui est de se conformer aux conditions régissant l’octroi d’une aide et de gérer sainement leur budget.

6.15.

Le CESE préconise de créer des instruments destinés à tisser des réseaux transfrontières entre les acteurs de la société civile ou à renforcer ceux qui existent déjà.

6.16.

Le CESE presse les États membres de prévoir des mesures de soutien aux organisations de la société civile, sans porter préjudice aux services publics et à la justice fiscale. Une de ces mesures pourrait consister à autoriser la déductibilité fiscale limitée des cotisations d’affiliation et des contributions de soutien, en tenant compte de la capacité contributive des ONG.

6.17.

Le CESE invite la Commission à élaborer des propositions pour améliorer la mise en œuvre de la directive sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et aidants (5), dans le but de valoriser le volontariat et l’engagement civique dans la vie professionnelle.

6.18.

Le CESE soutient l’appel du Parlement européen demandant à la Commission de soumettre une proposition qui crée un statut européen pour les associations, les mutuelles et les fondations (6). Une telle structure juridique européenne, de nature complémentaire, ou un système parallèle interinstitutionnel d’accréditation officielle, servant de première étape, aiderait les organisations de la société civile qui, dans leur État membre, ne disposent plus d’une protection suffisante en droit.

6.19.

Le CESE trouve qu’il serait utile d’analyser pour quelles raisons ce dossier n’a pas abouti, ainsi que d’envisager en parallèle un agrément interinstitutionnel, une sorte de label, pour les ONG. Le Comité devrait explorer cette possibilité.

6.20.

Le CESE appelle les institutions de l’Union européenne à mettre en œuvre les dispositions de l’article 11 du traité sur l’Union européenne et à renforcer encore la démocratie participative au niveau de l’Union, en associant au processus décisionnel les associations représentatives et la société civile, dans une démarche qui, au-delà de la simple consultation, se transforme en un véritable dialogue.

6.21.

Si l’on veut éviter que les citoyens perdent confiance dans les institutions européennes, il importe que la politique européenne s’attache à apporter des améliorations concrètes dans leur quotidien et que les populations en aient conscience.

6.22.

Une société civile résiliente nécessite un environnement social sain. Les décideurs politiques nationaux et européens se doivent d’y veiller et de s’assurer que leur politique soit socialement durable, en garantissant des systèmes éducatifs qui intègrent toute la population, une croissance inclusive, la compétitivité et la capacité d’innovation des industries et le bon fonctionnement des marchés de l’emploi, une fiscalité juste et équitable, ainsi que l’efficacité des services publics et des régimes de sécurité sociale. À défaut, les fondements de la démocratie libérale seront ébranlés par le malaise social et l’abstention aux élections, ou encore la montée de l’extrémisme. Les droits sociaux et économiques sont indissociables de ceux de nature civile et politique.

6.23.

Pour stabiliser les démocraties européennes, il est d’une importance capitale que les partenaires sociaux soient forts, étant donné qu’ils constituent les piliers fondateurs de la société civile. Toutefois, c’est l’intervention de la société civile, dans toute sa diversité, qui est nécessaire, s’agissant de défendre les valeurs européennes essentielles.

Bruxelles, le 20 mars 2019.

Le président

du Comité économique et social européen

Luca JAHIER


(1)  Par exemple, affaire C-619/18, Commission/Pologne; affaire en cours C-78/18, Commission/Hongrie.

(2)  JO C 34 du 2.2.2017, p. 8.

(3)  JO C 62 du 15.2.2019, p. 173.

(4)  JO C 62 du 15.2.2019, p. 178.

(5)  COM(2017) 253 final; JO C 129 du 11.4.2018, p. 44.

(6)  Déclaration du Parlement européen, 10 mars 2011.


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