EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62020CJ0642

Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 28 avril 2022.
Caruter s.r.l. contre S.R.R. Messina Provincia SCpA e.a.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Consiglio di giustizia amministrativa per la Regione siciliana.
Renvoi préjudiciel – Directive 2014/24/UE – Passation des marchés publics – Article 63 – Recours par un groupement d’opérateurs économiques aux capacités d’autres entités – Possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’exiger que certaines tâches essentielles soient effectuées par un participant de ce groupement – Réglementation nationale prévoyant que l’entreprise mandataire doit satisfaire aux critères et exécuter les prestations dans une proportion majoritaire.
Affaire C-642/20.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:308

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

28 avril 2022 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Directive 2014/24/UE – Passation des marchés publics – Article 63 – Recours par un groupement d’opérateurs économiques aux capacités d’autres entités – Possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’exiger que certaines tâches essentielles soient effectuées par un participant de ce groupement – Réglementation nationale prévoyant que l’entreprise mandataire doit satisfaire aux critères et exécuter les prestations dans une proportion majoritaire »

Dans l’affaire C‑642/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di giustizia amministrativa per la Regione siciliana (Conseil de justice administrative pour la Région de Sicile, Italie), par décision du 14 octobre 2020, parvenue à la Cour le 27 novembre 2020, dans la procédure

Caruter Srl

contre

S.R.R. Messina Provincia SCpA,

Comune di Basicò,

Comune di Falcone,

Comune di Fondachelli Fantina,

Comune di Gioiosa Marea,

Comune di Librizzi,

Comune di Mazzarrà Sant’Andrea,

Comune di Montagnareale,

Comune di Oliveri,

Comune di Piraino,

Comune di San Piero Patti,

Comune di Sant’Angelo di Brolo,

Regione SicilianaUregaUfficio regionale espletamento gare d’appalti lavori pubblici Messina,

Regione SicilianaAssessorato regionale delle infrastrutture e della mobilità,

en présence de :

Ditta individuale Pippo Pizzo,

Onofaro Antonino Srl,

Gial Plast Srl,

Colombo Biagio Srl,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, MM. S. Rodin (rapporteur), J.‑C. Bonichot, Mmes L. S. Rossi et O. Spineanu‑Matei, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Ditta individuale Pippo Pizzo, par Me R. Rotigliano, avvocato,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme C. Colelli, avvocato dello Stato, et de M. M. Cherubini, procuratore dello Stato,

pour la Commission européenne, par MM. G. Wils, G. Gattinara et P. Ondrůšek, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 63 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), lu en combinaison avec les principes de liberté d’établissement et de libre prestation des services énoncés aux articles 49 et 56 TFUE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Caruter Srl à S.R.R. Messina Provincia SCpA (ci-après la « SRR »), au Comune di Basicò (commune de Basicò, Italie), au Comune di Falcone (commune de Falcone, Italie), au Comune di Fondachelli Fantina (commune de Fondachelli Fantina, Italie), au Comune di Gioiosa Marea (commune de Gioiosa Marea, Italie), au Comune di Librizzi (commune de Librizzi, Italie), au Comune di Mazzarrà Sant’Andrea (commune de Mazzarrà Sant’Andrea, Italie), au Comune di Montagnareale (commune de Montagnareale, Italie), au Comune di Oliveri (commune d’Oliveri, Italie), au Comune di Piraino (commune de Piraino, Italie), au Comune di San Piero Patti (commune de San Piero Patti, Italie), au Comune di Sant’Angelo di Brolo (commune de Sant-Angelo di Brolo, Italie), ainsi qu’à la Regione Siciliana – Urega – Ufficio regionale espletamento gare d’appalti lavori pubblici Messina (Région de Sicile – Urega – Office régional de Messine pour les appels d’offres de travaux publics, Italie) et à la Regione Siciliana – Assessorato regionale delle infrastrutture e della mobilità (Région de Sicile – Direction régionale des infrastructures et de la mobilité, Italie) au sujet de l’attribution d’un marché public concernant le service d’enlèvement, de collecte et de transport des déchets solides urbains triés et non triés ainsi que d’autres services d’hygiène publique dans 33 communes regroupées au sein de la SRR.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Aux termes des considérants 1 et 2 de la directive 2014/24 :

« (1)

La passation de marchés publics par les autorités des États membres ou en leur nom doit être conforme aux principes du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment la libre circulation des marchandises, la liberté d’établissement et la libre prestation de services, ainsi qu’aux principes qui en découlent comme l’égalité de traitement, la non-discrimination, la reconnaissance mutuelle, la proportionnalité et la transparence. Toutefois, en ce qui concerne les marchés publics dépassant un certain montant, des dispositions devraient être élaborées pour coordonner les procédures nationales de passation de marchés afin de garantir que ces principes soient respectés en pratique et que la passation des marchés publics soit ouverte à la concurrence.

(2)

[...] les règles de passation des marchés publics [...] devraient être révisées et modernisées pour accroître l’efficacité de la dépense publique, en facilitant notamment la participation des petites et moyennes entreprises (PME) aux marchés publics [...]. Il est également nécessaire d’éclaircir certains concepts et notions fondamentaux afin de garantir la sécurité juridique et de prendre en compte certains aspects de la jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l’Union européenne en la matière. »

4

L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », dispose, à son paragraphe 1 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

10.

“opérateur économique”, toute personne physique ou morale ou entité publique, ou tout groupement de ces personnes et/ou entités, y compris toute association temporaire d’entreprises, qui offre la réalisation de travaux et/ou d’ouvrages, la fourniture de produits ou la prestation de services sur le marché ;

[...] »

5

L’article 19 de ladite directive, intitulé « Opérateurs économiques », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Les groupements d’opérateurs économiques, y compris les associations temporaires, peuvent participer aux procédures de passation de marchés. Ils ne sont pas contraints par les pouvoirs adjudicateurs d’avoir une forme juridique déterminée pour présenter une offre ou une demande de participation.

Si nécessaire, les pouvoirs adjudicateurs peuvent préciser, dans les documents de marché, la manière dont les groupements d’opérateurs économiques doivent remplir les conditions relatives à la capacité économique et financière ou aux capacités techniques et professionnelles visées à l’article 58, pour autant que cela soit justifié par des motifs objectifs et que ce soit proportionné. Les États membres peuvent établir des clauses standard précisant la manière dont les groupements d’opérateurs économiques doivent remplir ces conditions.

Les conditions d’exécution d’un marché par de tels groupements d’opérateurs économiques, qui sont différentes de celles imposées aux participants individuels, sont également justifiées par des motifs objectifs et sont proportionnées. »

6

L’article 58 de la même directive, intitulé « Critères de sélection », dispose, à ses paragraphes 3 et 4 :

« 3.   En ce qui concerne la capacité économique et financière, les pouvoirs adjudicateurs peuvent imposer aux opérateurs économiques des conditions garantissant que ceux-ci possèdent la capacité économique et financière nécessaire pour exécuter le marché. À cette fin, les pouvoirs adjudicateurs peuvent en particulier exiger que les opérateurs économiques réalisent un chiffre d’affaires annuel minimal donné, notamment un chiffre d’affaires minimal donné dans le domaine concerné par le marché. En outre, les pouvoirs adjudicateurs peuvent exiger que les opérateurs économiques fournissent des informations sur leurs comptes annuels [...]. Ils peuvent également exiger un niveau approprié d’assurance des risques professionnels.

[...]

4.   En ce qui concerne les capacités techniques et professionnelles, les pouvoirs adjudicateurs peuvent imposer des conditions garantissant que les opérateurs économiques possèdent les ressources humaines et techniques et l’expérience nécessaires pour exécuter le marché en assurant un niveau de qualité approprié.

[...] »

7

L’article 63 de la directive 2014/24, intitulé « Recours aux capacités d’autres entités », énonce :

« 1.   Un opérateur économique peut, le cas échéant et pour un marché déterminé, avoir recours aux capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens qui l’unissent à ces entités, en ce qui concerne les critères relatifs à la capacité économique et financière énoncés à l’article 58, paragraphe 3, et les critères relatifs aux capacités techniques et professionnelles, visés à l’article 58, paragraphe 4. En ce qui concerne les critères relatifs aux titres d’études et professionnels […] ou à l’expérience professionnelle pertinente, les opérateurs économiques ne peuvent toutefois avoir recours aux capacités d’autres entités que lorsque ces dernières exécuteront les travaux ou fourniront les services pour lesquels ces capacités sont requises. Si un opérateur économique souhaite recourir aux capacités d’autres entités, il apporte au pouvoir adjudicateur la preuve qu’il disposera des moyens nécessaires, par exemple, en produisant l’engagement de ces entités à cet effet.

[...]

Dans les mêmes conditions, un groupement d’opérateurs économiques visé à l’article 19, paragraphe 2, peut avoir recours aux capacités de participants du groupement ou d’autres entités.

2.   Pour les marchés de travaux, les marchés de services et les travaux de pose ou d’installation dans le cadre d’un marché de fournitures, les pouvoirs adjudicateurs peuvent exiger que certaines tâches essentielles soient effectuées directement par le soumissionnaire lui-même ou, si l’offre est soumise par un groupement d’opérateurs économiques visé à l’article 19, paragraphe 2, par un participant dudit groupement. »

Le droit italien

8

L’article 83 du decreto legislativo du 18 avril 2016, n. 50 – Codice dei contratti pubblici (supplemento ordinario alla GURI n. 91, del 19 aprile 2016) (code des marchés publics), relatif aux critères de sélection et à l’assistance à l’établissement du dossier, dispose, à son paragraphe 8 :

« Les pouvoirs adjudicateurs indiquent, dans l’avis de marché ou dans l’invitation à confirmer l’intérêt, les conditions de participation requises, qui peuvent être exprimées en tant que capacités minimales, ainsi que les moyens de preuve acceptables et ils procèdent à la vérification formelle et substantielle des capacités de réalisation, des compétences techniques et professionnelles, y compris les ressources humaines internes à l’entreprise, ainsi que des activités effectivement exercées. Pour les entités visées à l’article 45, paragraphe 2, sous d), e), f) et g), l’avis de marché indique éventuellement la proportion dans laquelle ces critères doivent être satisfaits par les différents concurrents participants. Le mandataire doit, en tout état de cause, satisfaire aux critères et exécuter les prestations dans une proportion majoritaire. Les avis de marché et les lettres d’invitation à soumissionner ne peuvent comporter d’autres exigences sous peine d’exclusion que celles qui sont prévues par le présent code et d’autres dispositions légales en vigueur. De telles exigences sont, en tout état de cause, nulles. »

9

L’article 89 de ce code, relatif à la possibilité de recourir aux capacités d’autres entités, prévoit, à son paragraphe 1 :

« L’opérateur économique, qu’il soit seul ou membre d’un groupement visé à l’article 45, peut, pour un marché déterminé, satisfaire à l’exigence relative aux critères de nature économique, financière, technique et professionnelle visés à l’article 83, paragraphe 1, sous b) et c), qui sont nécessaires pour participer à une procédure d’appel d’offres et, en tout état de cause, à l’exclusion des critères visés à l’article 80, en recourant aux capacités d’autres entités, y compris celles qui participent au groupement, quelle que soit la nature juridique des liens qui l’unissent à ces entités. [...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

10

La SRR a lancé une procédure de marché public en vue de l’attribution du service d’enlèvement, de collecte et de transport vers les installations de traitement des déchets solides urbains triés et non triés, y compris les déchets assimilés, ainsi que d’autres services d’hygiène publique dans 33 communes regroupées en son sein. Le marché, d’une valeur totale de 42005042,16 euros hors taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et d’une durée de sept ans, a été divisé en trois lots. L’avis de marché précisait, pour chaque lot, les exigences de capacité économique, financière et technique requises. En outre, aux fins de l’attribution du marché, il était prévu d’appliquer le critère de l’offre économiquement la plus avantageuse, sur la base du meilleur rapport qualité/prix.

11

En ce qui concerne le lot 2, d’une valeur de 19087724,73 euros et qui concernait la prestation de services pour 11 communes, le marché a été attribué à l’association temporaire d’entreprises constituée par la ditta individuale Pippo Pizzo, Onofaro Antonino Srl et Gial Plast Srl (ci-après l’« ATI Pippo Pizzo »), tandis que l’association temporaire d’entreprises constituée par Caruter Srl et Gilma Srl (ci-après l’« ATI Caruter ») s’est vu attribuer la deuxième place.

12

Caruter a introduit un recours devant le Tribunale amministrativo regionale per la Sicilia (tribunal administratif régional pour la Sicile, Italie) contre la décision d’attribution du marché à l’ATI Pippo Pizzo. Cette dernière a également introduit un recours incident contre la décision d’admission de l’ATI Caruter à la procédure d’appel d’offres.

13

Par un jugement du 19 décembre 2019, cette juridiction a accueilli le recours principal et a annulé l’admission à la procédure d’appel d’offres de l’ATI Pippo Pizzo ainsi que l’attribution du marché à celle-ci. Statuant sur le recours incident, elle a également annulé la décision d’admission de l’ATI Caruter à la procédure d’appel d’offres.

14

Ladite juridiction a relevé que, conformément aux dispositions combinées de l’article 83, paragraphe 8, et de l’article 89 du code des marchés publics, une entreprise mandataire peut toujours avoir recours aux capacités des autres opérateurs économiques faisant partie du groupement mais à condition qu’elle remplisse elle-même les conditions d’admission et exécute les prestations en majorité par rapport aux autres opérateurs économiques. Or, en l’occurrence, la ditta individuale Pippo Pizzo ne satisfaisait pas à elle seule aux conditions prévues par l’avis de marché en cause au principal et elle ne pouvait pas se prévaloir des capacités des autres entreprises de l’association temporaire d’entreprises dont elle était le mandataire.

15

Caruter a interjeté appel de ce jugement devant le Consiglio di giustizia amministrativa per la Regione siciliana (Conseil de justice administrative pour la Région de Sicile, Italie), la juridiction de renvoi. De son côté, l’ATI Pippo Pizzo a introduit un appel incident contre ledit jugement.

16

La juridiction de renvoi estime que l’interprétation donnée par la juridiction de première instance du code des marchés publics, selon laquelle le mandataire doit, en tout état de cause, remplir les conditions d’admission et exécuter les prestations de façon majoritaire, pourrait être contraire à l’article 63 de la directive 2014/24, ce dernier article ne paraissant pas limiter la possibilité pour un opérateur économique d’avoir recours aux capacités d’opérateurs tiers.

17

C’est dans ces conditions que le Consiglio di giustizia amministrativa per la Regione siciliana (Conseil de justice administrative pour la Région de Sicile) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 63 de la directive [2014/24], relatif à l’institution du recours aux capacités d’autres entités, lu en combinaison avec les principes de liberté d’établissement et de libre prestation des services énoncés aux articles 49 et 56 TFUE, s’oppose-t-il à l’application de la réglementation nationale italienne en matière de “critères de sélection et [de] régularisation des offres irrégulières” qui figure à l’article 83, paragraphe 8, [troisième] phrase, du [code des marchés publics], en vertu de laquelle, en cas de recours aux capacités d’autres entités (institution visée à l’article 89 du [code des marchés publics]), le mandataire doit, en tout état de cause, satisfaire aux critères et exécuter les prestations dans une proportion majoritaire ? »

Sur la demande de procédure accélérée

18

La juridiction de renvoi a demandé que la présente affaire soit soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour.

19

À l’appui de sa demande, cette juridiction a fait valoir que la présente affaire soulève une question de principe ayant une incidence sur les décisions des opérateurs économiques qui souhaitent recourir aux capacités d’une entreprise tierce afin de participer à une procédure d’appel d’offres, et que cette question fait l’objet de nombreux litiges devant les juridictions italiennes. En outre, la poursuite de la procédure de passation du marché public en cause au principal dépendrait de la décision de la Cour, étant donné qu’elle a déjà statué sur tous les autres arguments. Enfin, le lot 2 de ce marché public concernerait le service de collecte et de transport des déchets solides urbains ainsi que d’autres services d’hygiène public pour onze communes de la région de Sicile, et son montant s’élèverait à 19087724,73 euros.

20

À cet égard, l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut, lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée.

21

S’agissant, tout d’abord, du fait que la question soulevée fait l’objet d’un contentieux abondant en Italie, il convient de rappeler que la procédure accélérée visée à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire (ordonnances du président de la Cour du 31 août 2010, UEFA et British Sky Broadcasting, C‑228/10, non publiée, EU:C:2010:474, point 6 ; du 20 décembre 2017, M. A. e.a., C‑661/17, non publiée, EU:C:2017:1024, point 17, ainsi que du 18 janvier 2019, Adusbef e.a., C‑686/18, non publiée, EU:C:2019:68, point 11).

22

Or, le nombre important de personnes ou de situations juridiques potentiellement concernées par la question posée n’est pas susceptible, en tant que tel, de constituer une circonstance exceptionnelle de nature à justifier le recours à une procédure accélérée (ordonnance du président de la Cour du 8 mars 2018, Vitali, C‑63/18, non publiée, EU:C:2018:199, point 17 et jurisprudence citée).

23

En ce qui concerne, ensuite, le fait que la solution du litige au principal dépend de la réponse que la Cour fournira à la question posée, il ressort de la jurisprudence que le simple intérêt des justiciables, certes légitime, à déterminer le plus rapidement possible la portée des droits qu’ils tirent du droit de l’Union n’est pas de nature à établir l’existence d’une circonstance exceptionnelle, au sens de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure (ordonnance du président de la Cour du 8 mars 2018, Vitali, C‑63/18, non publiée, EU:C:2018:199, point 18 et jurisprudence citée).

24

Pour ce qui est, par ailleurs, du caractère prétendument urgent des travaux faisant l’objet du marché public en cause au principal, il y a lieu de relever que l’exigence du traitement d’un litige pendant devant la Cour dans de brefs délais ne saurait découler du seul fait que la juridiction de renvoi est tenue d’assurer un règlement rapide du litige ni de la seule circonstance que le retard ou la suspension de travaux faisant l’objet d’un marché public est susceptible de produire des effets dommageables aux personnes concernées (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 18 juillet 2007, Commission/Pologne, C‑193/07, non publiée, EU:C:2007:465, point 13 et jurisprudence citée, ainsi que du 8 mars 2018, Vitali, C‑63/18, non publiée, EU:C:2018:199, point 19 et jurisprudence citée).

25

Enfin, quant à la valeur du marché en cause au principal, il est de jurisprudence constante que des intérêts économiques, aussi importants et légitimes soient-ils, ne sont pas de nature à justifier à eux seuls le recours à la procédure accélérée (ordonnance du président de la Cour du 16 mars 2017, Abanca Corporación Bancaria, C‑70/17, non publiée, EU:C:2017:227, point 13 et jurisprudence citée).

26

Dans ces conditions, le 13 janvier 2021, le président de la Cour a décidé, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de ne pas faire droit à la demande de procédure accélérée.

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

27

Le gouvernement italien excipe de l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle en raison du caractère hypothétique du problème soulevé, en considérant que la pertinence de cette demande par rapport à l’objet spécifique de l’affaire au principal ne serait pas établie.

28

À cet égard, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 4 décembre 2018, Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Síochána, C‑378/17, EU:C:2018:979, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

29

Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2013, Melloni, C‑399/11, EU:C:2013:107, point 29,et ordonnance du 26 mars 2021, Fedasil, C‑134/21, EU:C:2021:257, point 48).

30

En l’occurrence, il convient de relever que la question préjudicielle porte sur l’interprétation de dispositions du droit de l’Union, en particulier de l’article 63 de la directive 2014/24, et que la décision de renvoi expose le cadre factuel et juridique de manière suffisante pour permettre à la Cour de déterminer la portée de cette question.

31

Par ailleurs, il n’apparaît pas que l’interprétation sollicitée n’ait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou que le problème soit de nature hypothétique. En effet, alors que l’article 63 de la directive 2014/24 permet seulement aux pouvoirs adjudicateurs d’exiger que l’entreprise chef de file d’un groupement effectue elle-même « certaines tâches essentielles », il ressort de la décision de renvoi que l’entreprise attributaire du marché en cause au principal a été exclue de la procédure au motif qu’elle n’aurait pas exécuté les travaux « dans une proportion majoritaire », ainsi que l’exige l’article 83, paragraphe 8, du code des marchés publics.

32

En conséquence, une réponse de la Cour quant à l’interprétation sollicitée par la juridiction de renvoi apparaît nécessaire à cette dernière pour être en mesure de rendre son jugement.

33

La demande de décision préjudicielle est, par conséquent, recevable.

Sur la question préjudicielle

34

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 63 de la directive 2014/24, lu conjointement avec les articles 49 et 56 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle l’entreprise mandataire d’un groupement d’opérateurs économiques participant à une procédure de passation d’un marché public doit satisfaire aux critères prévus dans l’avis de marché et exécuter les prestations de ce marché dans une proportion majoritaire.

35

À titre liminaire, il y a lieu de relever que, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, la directive 2014/24 est applicable aux faits en cause au principal. En outre, il importe de souligner que les dispositions de cette directive doivent être interprétées, en vertu du considérant 1 de celle-ci, conformément aux principes de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services ainsi qu’à ceux qui en découlent. Il n’y a, en conséquence, pas lieu de procéder à un examen séparé de la question posée sur le fondement des articles 49 et 56 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 10 novembre 2016, Ciclat, C‑199/15, EU:C:2016:853, point 25). Dès lors que, au demeurant, le présent renvoi préjudiciel ne soulève aucune question inédite sur les principes de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services ou ceux qui en découlent, il suffit de traiter la question préjudicielle posée en se référant à la directive 2014/24.

36

L’article 63 de cette directive prévoit, à son paragraphe 1, qu’un opérateur économique peut, pour un marché déterminé, avoir recours aux capacités d’autres entités, en ce qui concerne les critères relatifs à la capacité économique et financière ainsi que les critères relatifs aux capacités techniques et professionnelles, et que, dans les mêmes conditions, un groupement d’opérateurs économiques peut avoir recours aux capacités de participants du groupement ou d’autres entités. Il précise, par ailleurs, à son paragraphe 2, que, pour certains types de marché, dont les marchés de services, « les pouvoirs adjudicateurs peuvent exiger que certaines tâches essentielles soient effectuées directement par le soumissionnaire lui-même ou, si l’offre est soumise par un groupement d’opérateurs économiques [...], par un participant dudit groupement ».

37

Or, en imposant à l’entreprise mandataire du groupement d’opérateurs économiques d’exécuter les prestations « dans une proportion majoritaire » par rapport à tous les membres du groupement, c’est-à-dire d’exécuter la majorité de l’ensemble des prestations couvertes par le marché, l’article 83, paragraphe 8, du code des marchés publics fixe une condition plus rigoureuse que celle prévue par la directive 2014/24, laquelle se borne à autoriser le pouvoir adjudicateur à prévoir, dans l’avis de marché, que certaines tâches essentielles seront effectuées directement par un participant du groupement d’opérateurs économiques.

38

Selon le régime institué par cette directive, ce sont les pouvoirs adjudicateurs qui peuvent exiger que certaines tâches essentielles soient effectuées directement par le soumissionnaire lui-même ou, si l’offre est soumise par un groupement d’opérateurs économiques visé à l’article 19, paragraphe 2, de la directive 2014/24, par un participant dudit groupement, alors que, selon le droit national en cause au principal, c’est le législateur national qui, de façon horizontale, impose pour tous les marchés publics en Italie que le mandataire du groupement d’opérateurs économiques exécute la majorité des prestations.

39

Il est vrai que l’article 19, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2014/24 prévoit que les États membres peuvent établir des clauses standard précisant la manière dont les groupements d’opérateurs économiques doivent remplir les conditions relatives à la capacité économique et financière ou aux capacités techniques et professionnelles visées à l’article 58 de cette directive.

40

Toutefois, quand bien même la capacité d’exécuter des tâches essentielles relèverait de la notion de « capacité technique », au sens des articles 19 et 58 de la directive 2014/24, ce qui permettrait au législateur national de l’inclure dans les clauses standard prévues à l’article 19, paragraphe 2, de celle-ci, une règle telle que celle contenue à l’article 83, paragraphe 8, troisième phrase, du code des marchés publics, qui oblige le mandataire du groupement d’opérateurs économiques à exécuter lui-même directement la majorité des tâches, va au-delà de ce que permet cette directive. En effet, une telle règle ne se limite pas à préciser la manière dont un groupement d’opérateurs économiques doit garantir sa possession des ressources humaines et techniques nécessaires pour exécuter le marché, au sens de l’article 19, paragraphe 2, de ladite directive, lu conjointement avec l’article 58, paragraphe 4, de celle-ci, mais porte sur l’exécution même du marché et exige à cet égard que celle-ci soit majoritairement effectuée par le mandataire du groupement.

41

Enfin, il est vrai que, selon l’article 63, paragraphe 2, de la directive 2014/24, les pouvoirs adjudicateurs peuvent exiger, notamment pour les marchés de services, que « certaines tâches essentielles » soient effectuées par un participant du groupement d’opérateurs économiques.

42

Cependant, en dépit des légères différences existant entre les versions linguistiques de la directive 2014/24, il ressort clairement des termes « certaines tâches essentielles », employés dans plusieurs versions linguistiques de cette directive, dont celles en langues française et italienne (« taluni compiti essenziali »), de même que des termes « certaines tâches critiques », employés dans d’autres versions de ladite directive, dont celles en langues espagnole (« determinadas tareas críticas »), allemande (« bestimmte kritische Aufgaben »), anglaise (« certain critical tasks »), néerlandaise (« bepaalde kritieke taken ») et roumaine (« anumite sarcini critice »), que la volonté du législateur de l’Union est, conformément aux finalités énoncées aux considérants 1 et 2 de la même directive, de limiter ce qui peut être imposé à un seul opérateur d’un groupement, suivant une approche qualitative et non simplement quantitative, afin de favoriser la participation de groupements tels que des associations temporaires de petites et moyennes entreprises aux procédures de passation de marchés publics. Une exigence telle que celle énoncée à l’article 83, paragraphe 8, troisième phrase, du code des marchés publics, qui s’étend aux « prestations dans une proportion majoritaire », contrevient à une telle approche, dépasse les termes ciblés employés à l’article 63, paragraphe 2, de la directive 2014/24 et porte ainsi atteinte à la finalité, poursuivie par la législation de l’Union en la matière, d’ouvrir les marchés publics à la concurrence la plus large possible et de faciliter l’accès des petites et moyennes entreprises (arrêt du 2 juin 2016, Pizzo, C‑27/15, EU:C:2016:404, point 27).

43

Du reste, alors que l’article 63, paragraphe 2, de la directive 2014/24 se limite à autoriser les pouvoirs adjudicateurs à exiger, notamment pour les marchés de services, que certaines tâches soient effectuées par l’un ou l’autre participant du groupement d’opérateurs économiques, l’article 83, paragraphe 8, du code des marchés publics impose l’exigence d’exécution des prestations dans une proportion majoritaire au seul mandataire du groupement, à l’exclusion de toutes les autres entreprises qui y participent, et restreint ainsi indûment le sens et la portée des termes employés à l’article 63, paragraphe 2, de la directive 2014/24.

44

Eu égard à ce qui précède il convient de répondre à la question posée que l’article 63 de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle l’entreprise mandataire d’un groupement d’opérateurs économiques participant à une procédure de passation d’un marché public doit satisfaire aux critères prévus dans l’avis de marché et exécuter les prestations de ce marché dans une proportion majoritaire.

Sur les dépens

45

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

 

L’article 63 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle l’entreprise mandataire d’un groupement d’opérateurs économiques participant à une procédure de passation d’un marché public doit satisfaire aux critères prévus dans l’avis de marché et exécuter les prestations de ce marché dans une proportion majoritaire.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’italien.

Top