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Document 62019CJ0551

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 6 mai 2021.
ABLV Bank AS e.a. contre Banque centrale européenne (BCE).
Pourvoi – Union économique et monétaire – Union bancaire – Règlement (UE) no 806/2014 – Résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique (MRU) et d’un Fonds de résolution bancaire unique – Article 18 – Procédure de résolution – Conditions – Défaillance avérée ou prévisible d’une entité – Déclaration par la Banque centrale européenne (BCE) d’une situation de défaillance avérée ou prévisible – Acte préparatoire – Acte non susceptible de recours – Irrecevabilité.
Affaires jointes C-551/19 P et C-552/19 P.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:369

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

6 mai 2021 ( *1 )

« Pourvoi – Union économique et monétaire – Union bancaire – Règlement (UE) no 806/2014 – Résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique (MRU) et d’un Fonds de résolution bancaire unique – Article 18 – Procédure de résolution – Conditions – Défaillance avérée ou prévisible d’une entité – Déclaration par la Banque centrale européenne (BCE) d’une situation de défaillance avérée ou prévisible – Acte préparatoire – Acte non susceptible de recours – Irrecevabilité »

Dans les affaires jointes C‑551/19 P et C‑552/19 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits le 17 juillet 2019,

ABLV Bank AS, établie à Riga (Lettonie) (C‑551/19 P),

et

Ernests Bernis, demeurant à Jurmala (Lettonie),

Oļegs Fiļs, demeurant à Jurmala,

OF Holding SIA, établie à Riga (Lettonie),

Cassandra Holding Company SIA, établie à Jurmala (C‑552/19 P),

représentés initialement par Mes O. Behrends et M. Kirchner, Rechtsanwälte, puis par Me O. Behrends,

parties requérantes

les autres parties à la procédure étant :

Banque centrale européenne (BCE), représentée initialement par Mmes E. Koupepidou et G. Marafioti, en qualité d’agents, assistées de Me J. Rodríguez Cárcamo, abogado, puis par Mmes E. Koupepidou et G. Marafioti ainsi que par M. R. Ugena, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

soutenue par :

Commission européenne, représentée initialement par MM. D. Triantafyllou, A. Nijenhuis et K.-P. Wojcik ainsi que par Mme A. Steiblytė, puis par MM. D. Triantafyllou et A. Nijenhuis ainsi que par Mme A. Steiblytė, en qualité d’agents,

partie intervenante aux pourvois,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, MM. N. Wahl (rapporteur), F. Biltgen et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. M. Longar, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 octobre 2020,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 janvier 2021,

rend le présent

Arrêt

1

Par leurs pourvois, ABLV Bank AS, d’une part, M. Ernests Bernis, M. Oļegs Fiļs, OF Holding SIA et Cassandra Holding Company SIA, d’autre part, demandent l’annulation, respectivement, de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 6 mai 2019, ABLV Bank/BCE (T‑281/18, EU:T:2019:296) (affaire C‑551/19 P), et de l’ordonnance du 6 mai 2019, Bernis e.a./BCE (T‑283/18, non publiée, EU:T:2019:295) (affaire C‑552/19 P) (ci-après les « ordonnances attaquées »), par lesquelles le Tribunal a rejeté comme irrecevables leurs recours tendant à l’annulation des actes de la Banque centrale européenne (BCE) du 23 février 2018 par lesquels celle-ci a déclaré qu’ABLV Bank et sa filiale, ABLV Bank Luxembourg SA, présentaient une défaillance avérée ou prévisible, au sens de l’article 18, paragraphe 1, du règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1) (ci-après les « actes litigieux »).

Le cadre juridique

2

En vertu des considérants 8, 11, 24 et 26 du règlement no 806/2014 :

« (8)

Des mécanismes de résolution plus efficaces constituent un instrument essentiel pour éviter les conséquences dommageables des défaillances des banques survenues par le passé.

[...]

(11)

Pour les États membres participants, dans le cadre du mécanisme de résolution unique (MRU), un pouvoir de résolution centralisé est institué et conféré au conseil de résolution unique (CRU) institué conformément au présent règlement et aux autorités de résolution nationales. [...]

[...]

(24)

Étant donné que seules les institutions de l’Union peuvent définir la politique de l’Union en matière de résolution et qu’il existe une marge d’appréciation dans l’adoption de chaque dispositif de résolution spécifique, il est nécessaire de prévoir la participation appropriée du [Conseil de l’Union européenne] et de la [Commission européenne], en tant qu’institutions qui peuvent exercer des pouvoirs d’exécution conformément à l’article 291 [TFUE]. La Commission devrait procéder à l’évaluation des aspects discrétionnaires des décisions de résolution prises par le CRU. Compte tenu des répercussions considérables des décisions de résolution sur la stabilité financière des États membres et sur l’Union proprement dite, ainsi que sur la souveraineté budgétaire des États membres, il est important que le pouvoir d’exécution permettant de prendre certaines décisions en matière de résolution soit conféré au Conseil. Il appartiendrait alors au Conseil, sur proposition de la Commission, d’assurer le contrôle effectif de l’appréciation, par le CRU, de l’existence d’un intérêt public et d’évaluer toute modification importante du montant du [Fonds de résolution unique] à utiliser pour une mesure de résolution donnée. [...]

[...]

(26)

La BCE, en tant qu’autorité de surveillance au sein du [mécanisme de surveillance unique (MSU)], et le CRU devraient être en mesure d’apprécier si un établissement de crédit est en situation de défaillance avérée ou prévisible, et s’il n’existe aucune perspective raisonnable qu’une autre mesure, de nature privée ou prudentielle, puisse empêcher sa défaillance dans un délai raisonnable. Le CRU, s’il estime réunis tous les critères relatifs au déclenchement de la résolution, devrait adopter le dispositif de résolution. La procédure relative à l’adoption du dispositif de résolution, qui suppose la participation de la Commission et du Conseil, renforce la nécessaire indépendance opérationnelle du CRU tout en respectant le principe de délégation des pouvoirs aux agences, selon l’interprétation qu’en donne la Cour de justice de l’Union européenne [...]. Par conséquent, le présent règlement prévoit que le dispositif de résolution adopté par le CRU entre en vigueur uniquement si le Conseil ou la Commission, dans un délai de vingt-quatre heures après l’adoption du dispositif de résolution par le CRU, n’émet aucune objection, ou le dispositif de résolution est approuvé par la Commission. Les raisons pour lesquelles le Conseil pourrait, sur proposition de la Commission, contester le dispositif de résolution du CRU devraient se limiter strictement à l’existence d’un intérêt public ou de modifications importantes apportées par la Commission au montant utilisé dans le cadre du Fonds, tel que proposé par le CRU.

[...] »

3

L’article 7 du règlement no 806/2014, intitulé « Répartition des tâches au sein du MRU », dispose :

« 1.   Le CRU est chargé de veiller au fonctionnement efficace et cohérent du MRU.

2.   Sous réserve des dispositions visées à l’article 31, paragraphe 1, le CRU est chargé de l’élaboration des plans de résolution et de l’adoption de toutes les décisions de résolution relatives :

a)

aux entités visées à l’article 2 qui ne font pas partie d’un groupe, et aux groupes :

i)

qui sont considérés comme importants conformément à l’article 6, paragraphe 4, du règlement (UE) no 1024/2013 [du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63)] ; ou

ii)

à l’égard desquels la BCE a décidé, conformément à l’article 6, paragraphe 5, [sous] b), du règlement [no 1024/2013], d’exercer elle-même directement toutes les compétences pertinentes ; et

b)

à d’autres groupes transfrontaliers.

3.   À l’égard des entités et groupes autres que ceux visés au paragraphe 2, sans préjudice des responsabilités du CRU concernant les tâches qui lui sont conférées par le présent règlement, les autorités de résolution nationales s’acquittent et sont responsables des tâches suivantes :

[...]

4.   Lorsque cela s’avère nécessaire pour garantir l’application cohérente de normes de résolution élevées en vertu du présent règlement, le CRU peut :

[...]

b)

à tout moment décider, notamment si l’avertissement visé [sous] a) ne reçoit pas de réponse appropriée, de sa propre initiative, après consultation de l’autorité de résolution nationale concernée, ou sur demande de cette dernière, d’exercer directement tous les pouvoirs pertinents en vertu du présent règlement, y compris à l’égard d’une entité ou d’un groupe visé au paragraphe 3 du présent article.

5.   Sans préjudice du paragraphe 3 du présent article, les États membres participants peuvent décider que le CRU exerce tous les pouvoirs et responsabilités pertinents que lui confère le présent règlement à l’égard d’entités et de groupes, autres que ceux visés au paragraphe 2, établis sur leur territoire. [...] »

4

L’article 18 du règlement no 806/2014, intitulé « Procédure de résolution », est ainsi libellé :

« 1.   Le CRU n’adopte, en vertu du paragraphe 6, un dispositif de résolution à l’égard des entités et des groupes visés à l’article 7, paragraphe 2, et des entités et des groupes visés à l’article 7, paragraphe 4, [sous] b), et paragraphe 5, lorsque les conditions d’application de ces paragraphes sont remplies, que s’il estime en session exécutive, après réception d’une communication en vertu du quatrième alinéa ou de sa propre initiative, que les conditions suivantes sont remplies :

a)

la défaillance de l’entité est avérée ou prévisible ;

b)

compte tenu des délais requis et d’autres circonstances pertinentes, il n’existe aucune perspective raisonnable que d’autres mesures de nature privée, y compris des mesures prévues par un système de protection institutionnel, ou des mesures prudentielles, y compris des mesures d’intervention précoce ou la dépréciation ou la conversion d’instruments de fonds propres pertinents conformément à l’article 21, prises à l’égard de l’entité, empêchent sa défaillance dans un délai raisonnable ;

c)

une mesure de résolution est nécessaire dans l’intérêt public en vertu du paragraphe 5.

Une évaluation de la condition visée au premier alinéa, [sous] a), est réalisée par la BCE, après consultation du CRU. Le CRU, en session exécutive, ne peut réaliser une telle évaluation qu’après avoir informé la BCE de son intention et que si la BCE ne procède pas à cette évaluation dans les trois jours calendaires à compter de la réception de cette information. La BCE fournit sans retard au CRU toute information utile demandée par le CRU aux fins de son évaluation.

Lorsqu’elle estime que la condition visée au premier alinéa, [sous] a), est remplie pour une entité ou un groupe visés au premier alinéa, la BCE communique sans retard son évaluation à la Commission et au CRU.

L’évaluation de la condition visée au premier alinéa, [sous] b), est réalisée par le CRU, en session exécutive, ou, le cas échéant, par les autorités de résolution nationales, en étroite collaboration avec la BCE. La BCE peut aussi informer le CRU ou les autorités de résolution nationales concernées qu’elle juge remplie la condition fixée [sous b)].

2.   Sans préjudice de l’exercice direct par la BCE de ses missions de surveillance à l’égard d’établissements de crédit en vertu de l’article 6, paragraphe 5, [sous] b), du règlement […] no 1024/2013, dans le cas de la réception d’une communication effectuée en vertu du paragraphe 1, ou lorsque le CRU a l’intention de réaliser une évaluation de sa propre initiative, en vertu du paragraphe 1, à l’égard d’une entité ou d’un groupe visés à l’article 7, paragraphe 3, le CRU communique sans retard son évaluation à la BCE.

[...]

4.   Aux fins du paragraphe 1, [sous] a), la défaillance d’une entité est réputée avérée ou prévisible si celle-ci se trouve dans l’une ou plusieurs des situations suivantes :

a)

l’entité enfreint les exigences qui conditionnent le maintien de l’agrément, ou des éléments objectifs permettent de conclure qu’elle les enfreindra dans un proche avenir, dans des proportions justifiant un retrait de l’agrément par la BCE, notamment mais pas exclusivement du fait que l’établissement a subi ou est susceptible de subir des pertes qui absorberont la totalité ou une partie substantielle de ses fonds propres ;

b)

l’actif de l’entité est inférieur à son passif, ou il existe des éléments objectifs permettant de conclure que cela se produira dans un proche avenir ;

c)

l’entité n’est pas en mesure de s’acquitter de ses dettes ou autres engagements à l’échéance, ou il existe des éléments objectifs permettant de conclure que cela se produira dans un proche avenir ;

d)

un soutien financier public exceptionnel est requis [...]

5.   Aux fins du paragraphe 1, [sous] c), du présent article, une mesure de résolution est considérée comme étant dans l’intérêt public si elle est nécessaire pour atteindre, par des moyens proportionnés, un ou plusieurs des objectifs de la résolution visés à l’article 14, alors qu’une liquidation de l’entité selon les procédures normales d’insolvabilité ne le permettrait pas dans la même mesure.

6.   Si les conditions fixées au paragraphe 1 sont remplies, le CRU adopte un dispositif de résolution. Le dispositif de résolution :

a)

soumet l’entité à une procédure de résolution ;

b)

détermine l’application des instruments de résolution à l’établissement soumis à une procédure de résolution visés à l’article 22, paragraphe 2, en particulier les exclusions de l’application du renflouement interne conformément à l’article 27, paragraphes 5 et 14 ;

c)

détermine le recours au Fonds à l’appui de la mesure de résolution, conformément à l’article 76 et selon une décision prise par la Commission conformément à l’article 19.

7.   Immédiatement après son adoption, le CRU transmet le dispositif de résolution à la Commission.

Dans les vingt-quatre heures à compter de la transmission du dispositif de résolution par le CRU, la Commission soit approuve le dispositif de résolution, soit émet des objections sur les aspects discrétionnaires du dispositif de résolution dans les cas qui ne sont pas prévus au troisième alinéa du présent paragraphe.

Dans les douze heures à compter de la transmission du dispositif de résolution par le CRU, la Commission peut proposer au Conseil :

a)

d’émettre des objections au dispositif de résolution au motif que le dispositif de résolution adopté par le CRU ne satisfait pas au critère de l’intérêt public visé au paragraphe 1, point c) ;

b)

d’approuver ou de refuser une modification importante du montant du Fonds prévue dans le dispositif de résolution adopté par le CRU

Aux fins du troisième alinéa, le Conseil statue à la majorité simple.

Le dispositif de résolution ne peut entrer en vigueur que si le Conseil ou la Commission n’a pas formulé d’objections dans le délai de vingt-quatre heures suivant sa transmission par le CRU.

[...]

9.   Le CRU veille à ce que les mesures de résolution nécessaires pour appliquer le dispositif de résolution soient prises par les autorités de résolution nationales concernées. Les autorités de résolution nationales concernées sont destinataires du dispositif de résolution, qui leur donne instruction de prendre toutes les mesures nécessaires pour le mettre en œuvre conformément à l’article 29, en exerçant tout pouvoir de résolution. En présence d’une aide d’État ou d’une aide du Fonds, le CRU agit dans le respect d’une décision concernant cette aide que prend la Commission.

[...] »

5

L’article 86 du règlement no 806/2014, intitulé « Recours devant la Cour de justice », prévoit ce qui suit :

« 1.   Une décision prise par le comité d’appel ou, lorsqu’il n’existe pas de droit de recours auprès du comité d’appel, par le CRU, peut être contestée devant la Cour de justice conformément à l’article 263 [TFUE].

2.   Les États membres et les institutions de l’Union, de même que toute personne physique ou morale, peuvent introduire un recours auprès de la Cour de justice contre les décisions du CRU, conformément à l’article 263 [TFUE].

3.   Si le CRU est tenu d’agir et s’abstient de statuer, un recours en carence peut être formé devant la Cour de justice conformément à l’article 265 [TFUE].

4.   Le CRU prend les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt de la Cour de justice. »

Les antécédents du litige

6

ABLV Bank, requérante dans l’affaire C‑551/19 P, est un établissement de crédit établi en Lettonie et la société mère du groupe ABLV. ABLV Bank Luxembourg est un établissement de crédit établi au Luxembourg, qui constitue l’une des filiales du groupe ABLV et dont ABLV Bank est l’actionnaire unique.

7

MM. Bernis et Fiļs, OF Holding et Cassandra Holding Company, requérants dans l’affaire C‑552/19 P, sont des actionnaires directs et indirects d’ABLV Bank.

8

ABLV Bank et ABLV Bank Luxembourg étaient considérées comme importantes au sens de l’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013 et étaient, à ce titre, soumises à la surveillance de la BCE dans le cadre du MSU.

9

Le 13 février 2018, l’United States Department of the Treasury (département du Trésor des États-Unis d’Amérique), par le biais du Financial Crimes Enforcement Network, a exprimé son intention de prendre des mesures spéciales visant à empêcher le groupe ABLV d’avoir accès au système financier en dollars des États-Unis (USD).

10

Le 18 février 2018, la BCE a sollicité la Finanšu un kapitāla tirgus komisija (Commission des marchés financiers et des capitaux, Lettonie) (ci-après la « CMFC »), autorité de résolution nationale (ARN) de Lettonie, afin de suspendre les paiements des obligations financières d’ABLV Bank. La BCE a invité la Commission de surveillance du secteur financier (Luxembourg), ARN du Luxembourg, à prendre des mesures similaires à l’égard d’ABLV Bank Luxembourg.

11

Le 22 février 2018, la BCE a communiqué au CRU son projet d’évaluation relative à la situation de défaillance avérée ou prévisible d’ABLV Bank et d’ABLV Bank Luxembourg, dans le but de le consulter à ce propos, conformément à l’article 18, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 806/2014.

12

Le 23 février 2018, la BCE a considéré que la défaillance d’ABLV Bank et d’ABLV Bank Luxembourg était avérée ou prévisible, au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement no 806/2014. Les évaluations de la BCE concernant ABLV Bank et ABLV Bank Luxembourg ont été communiquées au CRU le même jour. Elles constituent les actes litigieux.

13

Le même jour, par deux décisions concernant respectivement ABLV Bank et ABLV Bank Luxembourg, le CRU a considéré qu’il n’y avait pas lieu, nonobstant les évaluations de la BCE concernant la situation de défaillance avérée ou prévisible de ces établissements de crédit, d’adopter à leur égard un dispositif de résolution, au motif que, eu égard à leurs caractéristiques particulières ainsi qu’à leur situation financière et économique, une mesure de résolution n’était pas nécessaire dans l’intérêt public, au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), et de l’article 18, paragraphe 5, de ce règlement.

14

Ce même 23 février 2018, ces décisions du CRU ont été notifiées à leurs destinataires respectifs, à savoir la CMFC et la Commission de surveillance du secteur financier.

15

Le 26 février 2018, les actionnaires d’ABLV Bank ont engagé une procédure permettant à cette dernière de mener à terme sa propre liquidation et ont soumis à la CMFC une demande d’approbation de son plan de liquidation volontaire.

16

Le 11 juillet 2018, la BCE a adopté une décision de retrait de l’agrément d’ABLV Bank, à la suite d’une proposition en ce sens de la CMFC.

Les recours devant le Tribunal et les ordonnances attaquées

17

Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 3 mai 2018, la requérante dans l’affaire C‑551/19 P, d’une part, et les requérants dans l’affaire C‑552/19 P, d’autre part, ont introduit des recours tendant à l’annulation des actes litigieux. Ces deux recours ont été enregistrés sous les numéros T‑281/18 et T‑283/18.

18

Par requêtes également déposées au greffe du Tribunal le 3 mai 2018, la requérante dans l’affaire C‑551/19 P, d’une part, et les requérants dans l’affaire C‑552/19 P, d’autre part, ont en outre introduit des recours tendant à l’annulation des décisions du CRU du 23 février 2018 visées au point 13 du présent arrêt. Ces deux recours ont été enregistrés sous les numéros T‑280/18 et T‑282/18 et sont pendants devant le Tribunal.

19

À l’appui de leurs recours respectifs évoqués au point 17 du présent arrêt, les requérants invoquaient dix moyens identiques tirés, respectivement, le premier, d’une appréciation erronée du critère de la défaillance avérée ou prévisible ; le deuxième, d’une violation du droit d’être entendu et d’autres droits connexes ; le troisième, d’une violation de l’obligation de motivation ; le quatrième, d’un défaut d’examen complet et impartial de tous les aspects pertinents du dossier ; le cinquième, d’une violation du principe de proportionnalité ; le sixième, d’une violation du principe d’égalité de traitement ; le septième, d’une violation du droit de propriété et de la liberté d’entreprise ; le huitième, d’une violation du principe nemo auditur ; le neuvième, d’un détournement de pouvoir et, le dixième, d’une violation de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

20

Par acte séparé, la BCE a soulevé une exception d’irrecevabilité, comprenant deux branches, contre chacun des recours.

21

En premier lieu, la BCE a soutenu que les actes litigieux ne constituaient que des mesures préparatoires et que l’évaluation des faits qui y figurait était dépourvue de toute force obligatoire. Elle a ajouté que le règlement no 806/2014 ne prévoyait pas la possibilité d’introduire un recours en annulation contre une évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité. Enfin, la BCE a rappelé que les requérants avaient introduit des recours en annulation contre les décisions du CRU, de sorte que les prétendus vices de droit entachant les actes litigieux pouvaient être invoqués dans le cadre de ces recours, garantissant ainsi aux requérants une protection juridictionnelle suffisante.

22

En second lieu, la BCE a soutenu que les requérants n’étaient pas directement concernés par les actes litigieux.

23

Par les ordonnances attaquées, le Tribunal a fait droit à cette exception d’irrecevabilité et, partant, a rejeté les deux recours comme étant irrecevables.

24

À cet effet, après avoir rappelé que seuls les actes produisant des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique, peuvent faire l’objet d’un recours en annulation et que, en ce qui concerne les actes dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases d’une procédure interne, seules constituent, en principe, des actes attaquables les mesures fixant définitivement la position de l’institution au terme de la procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale, le Tribunal a estimé que les actes litigieux constituaient des mesures préparatoires dans la procédure visant à permettre au CRU de prendre une décision, positive ou négative, quant à la résolution des établissements bancaires en cause et qu’ils ne pouvaient donc pas faire l’objet d’un recours en annulation.

Les conclusions des parties

25

La requérante dans l’affaire C‑551/19 P demande à la Cour :

d’annuler l’ordonnance attaquée ;

de déclarer le recours en annulation recevable ;

de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le recours en annulation, et

de condamner la BCE aux dépens de première instance et du pourvoi.

26

Les requérants dans l’affaire C‑552/19 P demandent à la Cour :

d’annuler l’ordonnance attaquée ;

de déclarer le recours en annulation recevable ;

de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le recours en annulation, et

de condamner la BCE aux dépens de première instance et du pourvoi.

27

La BCE demande à la Cour de rejeter les pourvois dans leur ensemble comme étant manifestement non fondés ou, à titre subsidiaire, de les rejeter comme étant en partie irrecevables et en partie non fondés ainsi que de condamner les requérants aux dépens.

28

La Commission, intervenant au soutien de la BCE, demande à ce que les pourvois soient rejetés comme étant non fondés et à ce que la Cour remplace le raisonnement exposé au point 34 des ordonnances attaquées, « en clarifiant le caractère péremptoire de l’évaluation, par la BCE, de la situation de défaillance avérée ou prévisible, qui doit être suivie par le CRU et la Commission, si une mesure de résolution est finalement prise après évaluation des autres conditions de résolution par le CRU, la Commission et, selon le cas, le Conseil ».

29

Par décision du président de la Cour du 24 septembre 2019, les affaires C‑551/19 P et C‑552/19 P ont été jointes aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

Sur le pourvoi

30

À l’appui de son pourvoi, la requérante dans l’affaire C‑551/19 P soulève deux moyens identiques aux deux moyens soulevés par les requérants dans l’affaire C‑552/19 P à l’appui de leur pourvoi.

31

Par leur premier moyen, les requérants font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit et violé l’article 263 TFUE en ne fondant pas les ordonnances attaquées sur les décisions effectivement adoptées par la BCE, alors qu’il aurait dû apprécier la recevabilité des recours au regard de la nature de l’évaluation faite par la BCE en l’espèce. Par leur second moyen, ils soutiennent que ces ordonnances reposent en outre sur une interprétation erronée de l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014.

32

À titre préalable, avant de procéder à l’analyse détaillée de chacun de ces moyens, il y a lieu de relever que la BCE fait valoir que les pourvois sont, dans leur ensemble, manifestement non fondés en raison du caractère inopérant desdits moyens. En effet, ce n’est qu’à titre surabondant que, dans les ordonnances attaquées, le Tribunal aurait procédé au constat du caractère non contraignant des évaluations de défaillance avérée ou prévisible figurant dans les actes litigieux. Dans ce contexte, la BCE avance quatre arguments. Premièrement, le Tribunal ayant constaté que les actes litigieux étaient des mesures préparatoires et les requérants n’ayant pas contesté cette appréciation, le caractère non contraignant, pour le CRU, des évaluations de défaillance avérée ou prévisible d’une entité faites par la BCE serait dénué de pertinence quant à l’application de l’article 263 TFUE. Deuxièmement, les requérants ne contesteraient pas l’appréciation du Tribunal selon laquelle leur statut légal n’a pas été modifié par les actes litigieux. Troisièmement, la question de savoir si les évaluations de défaillance avérée ou prévisible d’une entité faites par la BCE sont, ou non, contraignantes pour le CRU serait, en l’espèce, une question théorique, dénuée d’incidence sur le fond du litige. Quatrièmement, le Tribunal aurait rejeté les recours comme irrecevables en tenant également compte, conformément à l’article 263 TFUE, des recours introduits par les requérants dans les affaires T‑280/18 et T‑282/18 sans que ces derniers contestent une telle appréciation.

33

En l’espèce, il suffit de relever que, dans la mesure où le Tribunal a conclu, au point 49 des ordonnances attaquées, que les actes litigieux constituaient des actes préparatoires ne modifiant pas la situation juridique des requérants dès lors qu’ils présentaient une évaluation des faits par la BCE quant à la question de la défaillance avérée ou prévisible d’ABLV Bank et de sa filiale qui n’était nullement obligatoire, mais qui constituait, en l’occurrence, la base de l’adoption, par le CRU, de décisions établissant qu’une résolution n’était pas nécessaire dans l’intérêt public, le constat selon lequel les évaluations de défaillance avérée ou prévisible d’une entité effectuées par la BCE ne lient pas le CRU sous-tend clairement lesdites ordonnances, contrairement à ce que soutient la BCE.

34

Il en résulte que le pourvoi ne saurait être rejeté comme étant manifestement dépourvu de fondement au motif que les moyens des requérants seraient inopérants, de sorte qu’il y a lieu d’examiner successivement ces moyens.

Sur le premier moyen

Argumentation des parties

35

Dans le cadre de leur premier moyen, rappelé au point 31 du présent arrêt, les requérants font valoir que le Tribunal n’a pas distingué la question de savoir si la BCE était habilitée à procéder à une évaluation contraignante de celle de savoir si, dans le cas d’espèce, l’évaluation faite par la BCE dans les actes litigieux était destinée à produire un effet contraignant. Ils considèrent, en substance, que, dans les ordonnances attaquées, le Tribunal a rejeté les recours comme étant irrecevables au regard de la nature non pas des actes litigieux tels qu’adoptés par la BCE, mais des actes que, conformément à l’interprétation de l’article 18 du règlement no 806/2014 jugée exacte par le Tribunal, la BCE aurait dû adopter. Or, selon l’interprétation de cette dernière disposition par les requérants, dans le cas où une autorité adopte un acte contraignant parce qu’elle estime que ce caractère contraignant est conforme à la législation, alors un recours en annulation contre cet acte est recevable, la question de savoir si l’adoption d’un tel acte est légal relevant de l’appréciation au fond d’un tel recours et non de sa recevabilité.

36

Afin de démontrer que, en adoptant les actes litigieux, la BCE a, en l’espèce et indépendamment de l’interprétation exacte de l’article 18 du règlement no 806/2014, en réalité adopté des actes contraignants, susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation, les requérants se prévalent de divers éléments, tels que le fait que la BCE ne s’est pas limitée à communiquer des informations factuelles afin de préparer une décision ultérieure du CRU, le fait que la BCE a elle-même indiqué, tant dans les actes litigieux que dans l’annonce publique les accompagnant, qu’elle avait procédé à l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité, au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement no 806/2014, le fait que l’évaluation menée par la BCE a été communiquée aux établissements bancaires concernés ou encore l’analyse qu’a faite le Tribunal du jugement rendu le 9 mars 2018 par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg (Luxembourg), mentionné dans les ordonnances attaquées.

37

La BCE conteste l’argumentation des requérants, estimant, à titre principal, que le premier moyen est irrecevable, en ce qu’il ne précise pas les éléments contestés des ordonnances attaquées, et, à titre subsidiaire, qu’il est dénué de fondement. Elle est soutenue, quant à ce dernier point, par la Commission, qui fait valoir que l’évaluation de la situation de défaillance avérée ou prévisible d’une entité est une mesure préparatoire.

Appréciation de la Cour

38

S’agissant de la recevabilité du premier moyen, il échet de relever que, contrairement à ce qu’allègue la BCE, l’erreur de droit invoquée par les requérants est, à la lecture des différents arguments venant au soutien de ce moyen et résumés aux points 35 et 36 du présent arrêt, clairement identifiable, de sorte que ledit moyen est recevable.

39

En revanche, force est de constater que les griefs articulés contre le raisonnement du Tribunal ne sont pas fondés. En effet, comme ce dernier l’a rappelé à bon droit, il ressort de la jurisprudence que, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, seuls peuvent être attaqués par une personne physique ou morale les actes produisant des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts de celle-ci, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique (voir, en ce sens, arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, point 9 ; du 12 septembre 2006, Reynolds Tobacco e.a./Commission, C‑131/03 P, EU:C:2006:541, point 54, ainsi que du 31 janvier 2019, International Management Group/Commission, C‑183/17 P et C‑184/17 P, EU:C:2019:78, point 51). Ainsi, constituent en principe des actes attaquables les mesures qui fixent définitivement la position d’une institution au terme d’une procédure administrative et qui visent à produire des effets de droit obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale, qui n’ont pas de tels effets (arrêt du 18 novembre 2010, NDSHT/Commission, C‑322/09 P, EU:C:2010:701, point 48 et jurisprudence citée). Par conséquent, des mesures intermédiaires qui expriment une évaluation de l’institution et dont l’objectif est de préparer la décision finale ne constituent pas, en principe, des actes qui peuvent faire l’objet d’un recours en annulation (voir, en ce sens, arrêts du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 50, ainsi que du 15 mars 2017, Stichting Woonpunt e.a./Commission, C‑415/15 P, EU:C:2017:216, point 44).

40

Afin de déterminer si les actes litigieux constituent, comme l’a jugé le Tribunal dans les ordonnances attaquées, des actes préparatoires ou s’ils sont, comme le soutiennent les requérants, des actes attaquables, au sens de l’article 263 TFUE, il importe de s’attacher à la substance même de ces actes (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2010, NDSHT/Commission, C‑322/09 P, EU:C:2010:701, point 46 et jurisprudence citée) ainsi qu’à l’intention de leur auteur, en l’occurrence la BCE (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2008, Athinaïki Techniki/Commission, C‑521/06 P, EU:C:2008:422, point 42, et du 26 janvier 2010, Internationaler Hilfsfonds/Commission, C‑362/08 P, EU:C:2010:40, point 52).

41

À cet égard, la Cour a précisé que s’attacher à la substance d’un acte suppose d’apprécier ses effets à l’aune de critères objectifs, tels que le contenu de l’acte en cause, en tenant compte, le cas échéant, du contexte dans lequel celui-ci a été adopté ainsi que des pouvoirs de l’institution, de l’organe ou de l’organisme de l’Union qui en est l’auteur (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 2014, Hongrie/Commission, C‑31/13 P, EU:C:2014:70, point 55, et du 9 juillet 2020, République tchèque/Commission, C‑575/18 P, EU:C:2020:530, point 47), ces pouvoirs devant être appréhendés non pas de manière abstraite, mais en tant qu’éléments de nature à éclairer l’analyse concrète du contenu dudit acte, laquelle revêt un caractère central et indispensable (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2017, Roumanie/Commission, C‑599/15 P, EU:C:2017:801, points 49, 51, 52 et 55).

42

Dans la mesure où les requérants font de l’intention qu’ils prêtent à la BCE lorsqu’elle a adopté les actes litigieux l’un des éléments centraux du premier moyen, il y a lieu d’indiquer en outre que la Cour a souligné que, s’il ressort de la jurisprudence que peut être pris en considération le critère subjectif tenant à l’intention ayant conduit l’institution, l’organe ou l’organisme de l’Union qui est l’auteur de l’acte attaqué à adopter celui-ci, ce critère subjectif ne peut jouer qu’un rôle complémentaire par rapport aux critères objectifs mentionnés au point précédent et, par conséquent, ne peut ni se voir accorder une importance plus grande que ces derniers ni remettre en cause l’appréciation des effets de l’acte attaqué qui en découle (arrêt du 21 janvier 2021, Allemagne/Esso Raffinage, C‑471/18 P, EU:C:2021:48, point 65).

43

Or, le Tribunal s’est manifestement conformé à cette jurisprudence lorsqu’il a examiné, aux points 33 à 36 des ordonnances attaquées, de façon détaillée la substance des actes litigieux, en prenant notamment en considération, en tant qu’éléments de nature à éclairer l’analyse concrète du contenu de ces derniers, les pouvoirs de la BCE lorsqu’il lui incombe de procéder à l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité en vertu de l’article 18 du règlement no 806/2014, par rapport à ceux dévolus au CRU par cet article lorsqu’une telle évaluation lui est communiquée. De plus, il a estimé, au point 47 de ces ordonnances, que l’intention de la BCE lors de l’adoption des actes litigieux ne remettait pas en cause leur nature d’acte préparatoire. Cette méthode d’analyse est conforme à la jurisprudence rappelée au point précédent, en vertu de laquelle l’intention de l’auteur d’un acte faisant l’objet d’un recours contentieux revêt un caractère seulement complémentaire dans l’identification de la nature, attaquable ou non, de cet acte.

44

Partant, c’est à tort que les requérants font grief au Tribunal de s’être fondé in abstracto sur l’acte non contraignant qui devait, selon son interprétation de l’article 18 du règlement no 806/2014, être adopté par la BCE, mais non sur les mesures effectivement adoptées par celle-ci.

45

Les requérants tentent de remettre en cause les appréciations du Tribunal mentionnées au point 43 du présent arrêt en se prévalant d’une présomption selon laquelle toute appréciation d’une autorité produit un effet contraignant à moins que cette autorité n’indique clairement que cette appréciation ne présente pas un tel caractère. Or, ils expliquent que la BCE a elle-même indiqué, tant dans les actes litigieux que dans l’annonce publique les accompagnant, avoir procédé à l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement no 806/2014. Les requérants mettent également en avant plusieurs autres circonstances, telles que l’appréciation de la proportionnalité effectuée par la BCE, celle-ci présupposant que la décision par laquelle il est procédé à une telle évaluation produise des effets juridiques obligatoires, l’annonce publique et la communication aux établissements de crédit en cause des actes litigieux, ou encore l’affirmation publique selon laquelle la liquidation de ces établissements de crédit était inévitable. De même, les requérants relèvent l’interprétation inadéquate du terme « contraignant » par le Tribunal à propos de son analyse du jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 9 mars 2018, ce terme signifiant en réalité, dans le contexte de l’article 18 de ce règlement, que l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité faite par la BCE s’impose au CRU en ce que celui-ci ne peut pas adopter une mesure de résolution lorsque la BCE a conclu que l’établissement bancaire concerné n’est pas en situation de défaillance avérée ou prévisible et, à l’inverse, est tenu d’adopter une telle mesure lorsque la BCE a constaté l’existence d’une telle situation de défaillance avérée ou prévisible.

46

Or, la présomption que voudraient voir reconnue les requérants se heurterait à l’exigence consistant, en présence d’un acte donné, à déterminer son éventuel caractère contraignant au regard de sa substance et de l’intention de son auteur, ce qui conviendrait à la jurisprudence rappelée aux points 40 à 42 du présent arrêt. En outre, elle priverait en grande partie de sa portée l’article 263 TFUE, puisque son application conduirait le juge de l’Union à partir du principe que l’ensemble des actes des institutions, des organes ou des organismes de l’Union revêt un caractère décisionnel, à moins que ces derniers n’aient expressément indiqué qu’il n’en est pas ainsi s’agissant d’un acte donné. Qui plus est, en laissant à ces institutions, ces organes ou ces organismes le soin de qualifier eux-mêmes leurs actes de décisionnels ou non et en postulant que, sauf mention contraire, ces actes sont contraignants et constituent donc des décisions, une telle présomption irait à l’encontre de la jurisprudence citée au point 39 du présent arrêt, selon laquelle il est sans pertinence qu’un acte soit ou non désigné comme étant une « décision » par les institutions, organes et organismes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2010, NDSHT/Commission, C‑322/09 P, EU:C:2010:701, point 47 et jurisprudence citée).

47

De plus, s’il est vrai que tout acte décisionnel d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union doit se conformer aux principes généraux du droit de l’Union, dont fait partie le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2009, Nijemeisland, C‑170/08, EU:C:2009:369, point 41 et jurisprudence citée) et que, dès lors, nombreux sont les actes juridiquement contraignants qui contiennent une analyse de proportionnalité, la présence d’une telle analyse ne saurait, par un raisonnement a contrario, être érigée en un élément attestant du caractère contraignant d’un acte. Il est, en effet, pleinement envisageable, pour l’autorité concernée, de procéder à une analyse de la proportionnalité d’une mesure au cours d’une procédure administrative comportant plusieurs étapes sans que, pour autant, la substance d’un acte censé être un acte intermédiaire en soit modifiée.

48

Doit également être écarté l’argument des requérants relatif à l’annonce publique et à la communication aux établissements de crédit concernés des actes litigieux. Il résulte en effet du point 45 des ordonnances attaquées que le Tribunal a considéré que ces derniers « n’[avaient] pas fait l’objet d’une publication, mais que la BCE [avait] publié deux communiqués qui ne constitu[aient] nullement les actes [litigieux] ». Or, une telle considération relève de l’appréciation des faits par le Tribunal, laquelle n’est, sous réserve de la dénaturation de ces derniers, non alléguée par les requérants, pas susceptible de contrôle dans le cadre d’un pourvoi (voir, en ce sens, ordonnance du 5 février 2015, Grèce/Commission, C‑296/14 P, non publiée, EU:C:2015:72, point 32 et jurisprudence citée). Au surplus, il convient d’indiquer, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 63 de ses conclusions, que la publication par la BCE de communiqués de presse concernant l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité n’implique pas que la BCE ait entendu conférer à cette évaluation un caractère contraignant ou que ladite évaluation possède par nature un tel caractère.

49

Quant à l’argument tiré de ce que l’affirmation publique de la BCE, selon laquelle la liquidation des établissements de crédit en cause était inévitable, confirmerait le caractère contraignant des actes litigieux, il convient de relever qu’il n’est fondé ni sur la substance de ceux-ci ni sur l’intention de leur auteur. En outre, une telle liquidation, conformément au droit letton s’agissant d’ABLV Bank, a découlé non pas desdits actes, mais d’une décision prise par les actionnaires de cette société à la suite de la décision du CRU aux termes de laquelle il n’était pas nécessaire dans l’intérêt public d’appliquer des dispositifs de résolution à ABLV Bank et à ABLV Bank Luxembourg, conformément au règlement no 806/2014.

50

Enfin, il y a lieu de rejeter l’argument selon lequel le Tribunal s’est fondé, ainsi qu’il ressortirait en particulier du point 48 des ordonnances attaquées, sur une interprétation inadéquate du terme « contraignant » dans le contexte de l’article 18 du règlement no 806/2014. En effet, à ce point, le Tribunal s’est limité à reproduire un motif du jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 9 mars 2018, mentionnant explicitement que « les parties s’accord[ai]ent à dire que les évaluations et constats faits par la BCE et le CRU dans le cadre du[dit] [r]èglement ne s’impos[ai]ent pas au tribunal saisi de la présente demande », pour indiquer que, selon les requérants eux-mêmes, les évaluations de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité ne constituent qu’une simple évaluation factuelle ne produisant pas d’effet juridique.

51

Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

Sur le second moyen

Argumentation des parties

52

Par leur second moyen, les requérants font valoir que les ordonnances attaquées reposent sur une interprétation erronée de l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014. Ce second moyen comporte, en substance, deux séries d’arguments tenant, d’une part, à l’interprétation au sens strict dudit article 18, ayant conduit le Tribunal à conclure que les actes litigieux n’étaient pas des actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE, et, d’autre part, à l’erreur qu’aurait commise le Tribunal lorsque celui-ci a constaté que la situation d’ABLV Bank et d’ABLV Bank Luxembourg n’avait pas été modifiée par ces actes.

53

La BCE, soutenue par la Commission, fait valoir que le second moyen est dénué de fondement.

Appréciation de la Cour

54

Il convient, avant d’examiner les deux séries d’arguments avancés par les requérants dans le cadre du second moyen, de faire état d’un certain nombre de considérations liminaires.

– Considérations liminaires

55

En premier lieu, il importe de souligner que le règlement no 806/2014 trouve son origine dans la volonté du législateur de l’Union de prévenir la survenance de crises telles que celle dite des « subprimes», intervenue au cours de l’année 2008. C’est pourquoi ce règlement a pour objectif d’instaurer, conformément à son considérant 8, des mécanismes de résolution plus efficaces, lesquels doivent constituer un instrument essentiel pour éviter les conséquences dommageables des défaillances des banques survenues par le passé. Or, un tel objectif suppose une prise de décision rapide, comme l’illustrent les brefs délais prévus à l’article 18 dudit règlement, afin que la stabilité financière ne soit pas mise en péril. Un tel objectif ne saurait, par conséquent, être ignoré lors de l’interprétation de cette dernière disposition pour déterminer si l’évaluation par la BCE de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité constitue ou non, dans le cadre de la procédure de résolution, un acte attaquable, puisque la reconnaissance du caractère décisionnel d’une telle évaluation pourrait affecter sensiblement la célérité de cette procédure.

56

En second lieu, il convient d’indiquer que l’article 86, paragraphe 2, du règlement no 806/2014 prévoit que les États membres et les institutions de l’Union, de même que toute personne physique ou morale, peuvent, conformément à l’article 263 TFUE, introduire un recours auprès de la Cour de justice de l’Union européenne contre les décisions du CRU, ce dernier étant cité à l’exclusion de toute autre institution, organe ou organisme de l’Union. Ainsi, nulle mention n’y est faite de la BCE et, en particulier des évaluations de défaillance avérée ou prévisible d’une entité auxquelles elle est susceptible de procéder, ce qui semble confirmer que le législateur de l’Union n’a pas entendu conférer une compétence décisionnelle à la BCE en la matière. En outre, l’adoption par le CRU d’un dispositif de résolution, conformément à l’article 18, paragraphe 6, de ce règlement, ou la décision de ne pas adopter un tel dispositif peuvent faire l’objet d’un recours devant les juridictions de l’Union, dans le cadre duquel l’évaluation par la BCE de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité est susceptible de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.

57

C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les deux séries d’arguments présentés par les requérants.

– Sur la première série d’arguments liés à l’interprétation de l’article 18 du règlement no 806/2014

58

Les requérants estiment, en substance, que le Tribunal a omis de tenir compte, dans l’interprétation qu’il a faite de l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, du deuxième alinéa de cette disposition, de sorte que c’est à tort qu’il a considéré que celle-ci prévoit une simple communication d’informations factuelles non contraignante par la BCE au CRU et que ce dernier est seul compétent pour déterminer si les trois conditions visées au premier alinéa de ladite disposition sont remplies. Les requérants ajoutent que l’existence d’une défaillance avérée ou prévisible suppose, au regard de la définition de cette notion figurant à l’article 18, paragraphe 4, dudit règlement, une analyse et une conclusion juridiques.

59

Les requérants reprochent également au Tribunal de ne pas avoir, au point 46 des ordonnances attaquées, accordé suffisamment d’importance à l’« équivalence fonctionnelle » qui existe entre l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité et le retrait d’agrément de cette dernière. En refusant de reconnaître que l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité, qui relève de l’autorité de surveillance, a un caractère contraignant, le Tribunal remettrait en cause la cohérence du système de surveillance bancaire et de résolution, car l’article 18 du règlement no 806/2014 devrait être interprété de façon à ce que l’autorité de résolution soit liée par l’appréciation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité effectuée par l’autorité de surveillance.

60

À cet égard, il y a lieu d’indiquer, premièrement, qu’il incombe au CRU, conformément à l’article 18, paragraphes 1 et 6, du règlement no 806/2014, d’adopter un dispositif de résolution, lequel doit ensuite, en vertu de l’article 18, paragraphe 7, de ce règlement, être approuvé par la Commission ou, le cas échéant, le Conseil, un tel dispositif ne pouvant en effet entrer en vigueur qu’en l’absence d’objection de ces institutions. En outre, un dispositif de résolution ne peut être adopté, selon les termes exprès de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) à c), dudit règlement, que si trois conditions sont réunies, à savoir que la défaillance de l’entité soit avérée ou prévisible, qu’il n’existe aucune perspective raisonnable que d’autres mesures empêchent sa défaillance dans un délai raisonnable, et qu’une mesure de résolution soit nécessaire dans l’intérêt public, au sens de l’article 18, paragraphe 5, du même règlement.

61

Il importe donc de souligner d’emblée, à l’instar de la BCE et de la Commission, que, dès lors que l’adoption d’un dispositif de résolution est subordonnée à la réunion des trois conditions mentionnées au point précédent et que l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité par la BCE ne concerne que la première de ces conditions, cette évaluation ne saurait préjuger de l’issue de la procédure de résolution, celle-ci dépendant également des deux autres conditions.

62

À cet égard, s’agissant de la première condition, l’article 18, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 806/2014 confère un rôle prioritaire, même s’il n’est pas exclusif, à la BCE, puisque c’est à celle-ci qu’il revient, en règle générale, de procéder à l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité. Si le CRU peut également procéder à une telle évaluation, ce n’est qu’après avoir informé la BCE de son intention de le faire et seulement si celle-ci ne procède pas à une évaluation dans les trois jours calendaires à compter de la réception de cette information. À la BCE est donc reconnue une compétence prioritaire pour procéder à une telle évaluation, fondée, comme le souligne la Commission, sur l’expertise dont elle dispose en tant qu’autorité de surveillance, puisque, ayant accès, en cette qualité, à l’ensemble des informations prudentielles au sujet de l’entité concernée, elle est la mieux placée pour déterminer, au regard de la définition de la défaillance avérée ou prévisible figurant à l’article 18, paragraphe 4, de ce règlement, qui se réfère, notamment, à des éléments liés à la situation prudentielle tels que les conditions d’agrément, le montant de l’actif comparé à celui du passif ou l’endettement actuel ou futur, si cette condition est remplie.

63

Cette interprétation est confirmée par l’obligation faite à la BCE, en vertu de l’article 18, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 806/2014, de communiquer sans retard au CRU, dans l’hypothèse où ce dernier entend procéder lui-même à l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité, toute information utile demandée par celui-ci. S’agissant, en revanche, des deux autres conditions prévues à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement, le CRU dispose d’une compétence exclusive pour se prononcer sur la question de savoir si celles-ci sont remplies.

64

Par ailleurs, le considérant 26 du règlement no 806/2014 confirme à la fois la compétence partagée entre la BCE, autorité de surveillance au sein du MSU, et le CRU, autorité de résolution, pour apprécier si un établissement de crédit est en situation de défaillance avérée ou prévisible, et la compétence exclusive du CRU pour apprécier si les autres conditions requises pour l’adoption d’un dispositif de résolution sont remplies.

65

Le rôle de la BCE se limite donc à apprécier la première des conditions prévues à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 806/2014 et à communiquer au CRU cette évaluation, ou, dans le cas où celui-ci a exprimé son intention de réaliser lui-même une telle évaluation, à lui apporter son concours dans la réalisation de cette tâche.

66

Partant, en l’espèce, l’évaluation par la BCE de la défaillance avérée ou prévisible d’ABLV Bank et d’ABLV Bank Luxembourg n’a pas produit, en tant que telle, d’effet de droit obligatoire de nature à affecter les intérêts des requérants, en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique, seule l’adoption, puis l’entrée en vigueur d’un dispositif de résolution ainsi que la mise en œuvre d’instruments de résolution, au sens de l’article 22, paragraphe 2, du règlement no 806/2014 étant susceptibles de modifier cette situation. La procédure de résolution doit donc être considérée comme étant une procédure administrative complexe faisant intervenir plusieurs autorités et dont seul le résultat final, découlant de l’exercice, par le CRU, de sa compétence, peut faire l’objet du contrôle juridictionnel visé à l’article 86, paragraphe 2, de ce règlement.

67

Contrairement à ce que soutiennent les requérants, l’évaluation par la BCE de la condition visée à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement no 806/2014 n’est pas un acte contraignant et, en particulier, ne place pas le CRU en situation de compétence liée au regard de cette évaluation. En effet, soit la BCE estime, dans son évaluation, que l’entité se trouve en situation de défaillance avérée ou prévisible, ce qui a pour conséquence l’engagement de la procédure prévue à l’article 18 de ce règlement, soit elle considère que tel n’est pas le cas, de sorte que la procédure n’est pas engagée. Rien dans le libellé de cette disposition n’indique que le CRU serait, dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, privé d’un pouvoir d’appréciation concernant la situation de défaillance avérée ou prévisible de l’entité en question.

68

En effet, dans la première des hypothèses mentionnées au point précédent, au vu de l’évaluation communiquée par la BCE et du dossier la justifiant, il n’est pas exclu que le CRU ne partage pas, ou pas entièrement, l’analyse de la BCE, ou qu’il y décèle une irrégularité à laquelle il lui incombe alors de remédier, afin d’éviter que celle-ci ne soit, le cas échéant, ultérieurement sanctionnée par le juge de l’Union dans le cadre d’un recours en annulation tel que visé à l’article 86, paragraphe 2, du règlement no 806/2014. Il convient, à cet égard, d’insister sur le fait que, ainsi qu’il a été rappelé au point 62 du présent arrêt, le CRU est compétent, lorsqu’il le décide, pour procéder à l’évaluation de la première des conditions visées à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement et qu’il est donc en mesure, à cette fin, d’exploiter les pièces mises à sa disposition par la BCE.

69

Certes, dans les faits, l’expertise dont dispose la BCE et sa connaissance des informations prudentielles relatives à l’entité concernée font que le CRU fera probablement le plus souvent sienne l’évaluation de la BCE. Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 111 de ses conclusions, s’il n’y a « pas d’inconvénient à admettre que l’évaluation de la BCE puisse être revêtue d’auctoritas, au sens classique du terme, et que le CRU ne pourrait manquer de tenir compte de cette évaluation ou en rejeter le contenu sans examen critique », « cela n’implique pas que cette évaluation soit, en outre, dotée de la potestas inhérente aux décisions juridiques qui s’imposent dans les relations entre institutions, lorsque l’une d’elles ne peut s’écarter, quant au fond, de ce qu’une autre a convenu ou décidé ».

70

Dans la seconde des hypothèses mentionnées au point 67 du présent arrêt, le CRU n’est pas non plus lié juridiquement par l’évaluation de la BCE. Certes, lorsque cette dernière parvient à la conclusion que l’entité concernée n’est pas dans une situation de défaillance avérée ou prévisible, aucune évaluation n’est transmise au CRU et la procédure de résolution n’est donc pas entamée, puisque l’article 18, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 806/2014 dispose que la BCE doit communiquer son évaluation à la Commission et au CRU seulement lorsqu’elle estime que l’entité est en situation de défaillance avérée ou prévisible.

71

L’évaluation par la BCE de la condition prévue à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement no 806/2014 ne produit donc pas d’effet contraignant à l’égard du CRU, et cela d’autant moins qu’il appartient à celui-ci, dès réception de cette évaluation, d’apprécier lui-même, dans le cadre de l’examen de la condition visée à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), de ce règlement, s’il existe des perspectives raisonnables que d’autres mesures empêchent la défaillance de l’entité concernée.

72

Deuxièmement, s’agissant des arguments des requérants fondés sur la distinction entre la surveillance et la résolution des établissements de crédit, il convient de relever, à l’instar de la BCE, que celle-ci, en tant qu’autorité de surveillance des entités et groupes importants visés à l’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013, tels que, en l’occurrence, ABLV Bank et ABLV Bank Luxembourg, est, en principe, la mieux placée pour procéder à l’évaluation de la situation de défaillance avérée ou prévisible d’une entité. Néanmoins, ainsi qu’il a été rappelé aux points 62, 68 et 70 du présent arrêt, l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014 ne confère pas à la BCE une compétence exclusive pour procéder à une telle évaluation, le CRU pouvant également y procéder après avoir informé la BCE de son intention de le faire et si la BCE ne procède pas à cette évaluation dans les trois jours calendaires à compter de la réception de cette information.

73

En outre, l’intervention de la BCE dans le cadre de la procédure prévue à l’article 18 du règlement no 806/2014 repose moins sur la séparation des fonctions de surveillance et de résolution que sur l’expertise particulière dont cette institution dispose en tant qu’autorité de surveillance. Par conséquent, même s’il est vrai que la réglementation bancaire opère une distinction entre la surveillance et la résolution des établissements de crédit et qu’elle instaure, à cet effet, une séparation des fonctions entre la BCE et le CRU, cette dichotomie reste sans conséquence sur la nature de l’évaluation par la BCE de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité, qui demeure un acte préparatoire.

74

Quant à l’argument fondé sur l’existence d’une équivalence fonctionnelle entre l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité et le retrait de l’agrément de cette dernière, il convient de rappeler que, au point 46 des ordonnances attaquées, le Tribunal, en réponse à cet argument, a souligné que, si une telle évaluation peut se fonder sur l’appréciation du fait que les conditions de maintien de l’agrément ne sont plus réunies en vertu de l’article 18, paragraphe 4, sous a), du règlement no 806/2014, ces deux actes ne sont pas équivalents.

75

À cet égard, s’il est vrai que, selon l’article 18, paragraphe 4, du règlement no 806/2014, la défaillance d’une entité est réputée avérée ou prévisible si celle-ci se trouve dans l’une ou plusieurs des situations qu’il énonce, une évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité ne requiert pas formellement une décision portant sur la question de savoir si l’agrément de cette entité doit être retiré. Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l’argument exposé au point précédent n’implique nullement que l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible d’une entité relève exclusivement et nécessairement de la BCE en tant qu’autorité de surveillance, de sorte qu’elle peut également être effectuée par le CRU en tant qu’autorité de résolution.

– Sur la deuxième série d’arguments des requérants liés à la modification de la situation juridique d’ABLV Bank et d’ABLV Bank Luxembourg

76

Les requérants avancent à cet égard trois arguments.

77

Premièrement, les requérants font valoir que la situation d’ABLV Bank et d’ABLV Bank Luxembourg a été modifiée par la publication de l’évaluation de la défaillance avérée ou prévisible de ces entités par la BCE. Toutefois, force est tout d’abord de constater que les requérants n’apportent aucune précision à cet égard. En tout état de cause, s’il n’est pas exclu que ladite publication ait eu des conséquences sur la situation, notamment économique, de ces mêmes entités, elle n’a entraîné, en revanche, aucune modification de leur situation juridique.

78

Deuxièmement, s’agissant de l’argument des requérants portant sur le point 47 des ordonnances attaquées, il suffit de constater qu’il repose sur une lecture erronée de ce point. En effet, le Tribunal, aux fins de rejeter l’argument des requérants fondé sur une prétendue différence de libellé entre la publication sur le site Internet de la BCE et les actes litigieux, s’est borné à y rappeler qu’il découlait des points 32 à 36 desdites ordonnances que, au regard de leur substance, ces actes devaient être qualifiés de mesures préparatoires.

79

Troisièmement, les requérants estiment que le Tribunal a commis une erreur en s’appuyant sur une jurisprudence dépourvue de pertinence, car valable uniquement pour les hypothèses où les actes concernés n’ont pas un caractère contraignant, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

80

À cet égard, si la jurisprudence que vise cet argument a été dégagée, comme le font valoir les requérants, dans des circonstances différentes de celles en cause en l’espèce, il n’en demeure pas moins que celle-ci est pertinente aux fins de déterminer si les actes litigieux constituent ou non des actes attaquables. En particulier, la prémisse sur laquelle est fondé ledit argument, à savoir que les actes litigieux ont un caractère contraignant, est erronée, comme il résulte de l’examen relatif à la première série d’arguments présentés dans le cadre du présent moyen.

– Conclusion sur le second moyen

81

Les deux séries d’arguments des requérants présentés dans le cadre du second moyen ayant été écartées, ce dernier doit être rejeté.

Conclusion

82

Aucun des deux moyens des pourvois n’ayant été accueilli, ceux-ci doivent être rejetés dans leur ensemble.

83

Quant au chef de conclusions de la Commission tendant à ce que la Cour clarifie deux aspects du point 34 des ordonnances attaquées, il importe de rappeler qu’il découle sans ambiguïté de l’article 40 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que des articles 129 et 132 du règlement de procédure de la Cour, applicables à la procédure de pourvoi devant la Cour en application de l’article 190 de ce règlement, que les conclusions de l’intervenant ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien, en tout ou en partie, des conclusions de l’une des parties. Or, en demandant à la Cour de clarifier le point 34 des ordonnances attaquées, la Commission va au-delà des conclusions de la BCE, celle-ci s’étant bornée à conclure au rejet des pourvois et à la condamnation des requérants aux dépens. Le chef de conclusions soulevé par la Commission doit ainsi être rejeté comme étant irrecevable.

Sur les dépens

84

En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En outre, conformément à l’article 140, paragraphe 1, du même règlement de procédure, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu dudit article 184, paragraphe 1, les États membres et les institutions intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

85

La BCE ayant conclu à la condamnation des requérants aux dépens et ceux-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la BCE. La Commission, intervenue au litige au soutien de la BCE, supportera ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :

 

1)

Les pourvois sont rejetés.

 

2)

Les conclusions de la Commission européenne tendant à ce que la Cour remplace le raisonnement exposé au point 34 des ordonnances du Tribunal de l’Union européenne du 6 mai 2019, ABLV Bank/BCE (T‑281/18, EU:T:2019:296), et du 6 mai 2019, Bernis e.a./BCE (T‑283/18, non publiée, EU:T:2019:295), faisant l’objet des pourvois, sont rejetées comme étant irrecevables.

 

3)

ABLV Bank AS est condamnée aux dépens dans l’affaire C‑551/19 P.

 

4)

M. Ernests Bernis, M. Oļegs Fiļs, OF Holding SIA et Cassandra Holding Company SIA sont condamnés aux dépens dans l’affaire C‑552/19 P.

 

5)

La Commission européenne supporte ses propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

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