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Document 62018CJ0456

Arrêt de la Cour (première chambre) du 4 juin 2020.
Hongrie contre Commission européenne.
Pourvoi – Aides d’État – Aides présumées – Décision d’engager la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE – Injonction de suspension des mesures en cause – Conditions de légalité de l’injonction.
Affaire C-456/18 P.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:421

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

4 juin 2020 ( *1 )

« Pourvoi – Aides d’État – Aides présumées – Décision d’engager la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE – Injonction de suspension des mesures en cause – Conditions de légalité de l’injonction »

Dans l’affaire C‑456/18 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 12 juillet 2018,

Hongrie, représentée par MM. M. Z. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par :

République de Pologne, représentée par MM. B. Majczyna et M. Rzotkiewicz ainsi que par Mme A. Kramarczyk, en qualité d’agents,

partie intervenante au pourvoi,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. L. Flynn, P.‑J. Loewenthal et V. Bottka ainsi que par Mme K. Talabér-Ritz, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.‑C. Bonichot, président de chambre (rapporteur), Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente de la Cour, faisant fonction de juge de la première chambre, M. Safjan, Mmes L. S. Rossi et C. Toader, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 septembre 2019,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 16 janvier 2020,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, la Hongrie demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 25 avril 2018, Hongrie/Commission (T‑554/15 et T‑555/15, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:220), par lequel celui-ci a rejeté ses recours tendant à l’annulation, d’une part, de la décision C(2015) 4805 final de la Commission, du 15 juillet 2015, relative à l’aide d’État SA. 41187 (2015/NN) – Hongrie – Contribution santé des entreprises du secteur du tabac (JO 2015, C 277, p. 24), et, d’autre part, de la décision C(2015) 4808 final de la Commission, du 15 juillet 2015, relative à l’aide d’État SA. 40018 (2015/C) (ex 2014/NN) – Modification de 2014 de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire en Hongrie (JO 2015, C 277, p. 12) (ci-après les « décisions litigieuses »), en tant qu’elles ordonnent la suspension de l’application du taux d’imposition progressif, respectivement, de la contribution santé des entreprises du secteur du tabac et de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire, telles qu’elles résultent de la loi no XCIV de 2014, sur la contribution santé des entreprises du secteur du tabac, et de la modification de 2014 de la loi no XLVI de 2008, sur la chaîne alimentaire et le contrôle officiel de celle-ci.

Le cadre juridique

2

Le considérant 12 du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 734/2013 du Conseil, du 22 juillet 2013 (JO 2013, L 204, p. 15) (ci-après le « règlement no 659/1999 »), est libellé comme suit :

« considérant que, en cas d’aide illégale, la Commission doit pouvoir obtenir tous les renseignements nécessaires afin de prendre une décision et de rétablir sans délai, le cas échéant, une concurrence effective ; qu’il convient, par conséquent, de permettre à la Commission de prendre des mesures provisoires visant l’État membre concerné ; que ces mesures provisoires peuvent consister en injonctions de fournir des informations, des injonctions de suspension ou des injonctions de récupération ; que la Commission doit être autorisée, en cas de non-respect d’une injonction de fournir des informations, à décider sur la base des renseignements dont elle dispose et, en cas de non-respect d’une injonction de suspension ou de récupération, saisir directement la Cour de justice, conformément à l’article [108, paragraphe, 2, deuxième alinéa, TFUE] ».

3

L’article 3 de ce règlement, intitulé « Clause de suspension », dispose :

« Toute aide devant être notifiée en vertu de l’article 2, paragraphe 1, n’est mise à exécution que si la Commission a pris, ou est réputée avoir pris, une décision l’autorisant. »

4

Aux termes de l’article 4 dudit règlement, intitulé « Examen préliminaire de la notification et décisions de la Commission » :

« 1.   La Commission procède à l’examen de la notification dès sa réception. Sans préjudice de l’article 8, elle prend une décision en application des paragraphes 2, 3 ou 4.

2.   Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée ne constitue pas une aide, elle le fait savoir par voie de décision.

3.   Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée, pour autant qu’elle entre dans le champ de l’article [107, paragraphe 1, TFUE], ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché [intérieur], elle décide que cette mesure est compatible avec le marché [intérieur] (ci-après dénommée “décision de ne pas soulever d’objections”). Cette décision précise quelle dérogation prévue par le traité a été appliquée.

4.   Si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché [intérieur], elle décide d’ouvrir la procédure prévue à l’article [108, paragraphe 2, du TFUE] (ci-après dénommée “décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen”).

[...] »

5

Le chapitre III du règlement no 659/1999, intitulé « Procédure en matière d’aides illégales », comporte les articles 10 à 14 de ce dernier. L’article 10 de ce règlement prévoit :

« 1.   Sans préjudice de l’article 20, la Commission peut, de sa propre initiative, examiner les informations concernant une aide supposée illégale, quelle qu’en soit la source.

[...]

2.   Le cas échéant, la Commission demande à l’État membre concerné de lui fournir des renseignements. [...] »

6

L’article 11 dudit règlement, intitulé « Injonction de suspendre ou de récupérer provisoirement l’aide », dispose :

« 1.   La Commission peut, après avoir donné à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations, arrêter une décision enjoignant à l’État membre de suspendre le versement de toute aide illégale, jusqu’à ce qu’elle statue sur la compatibilité de cette aide avec le marché [intérieur] (ci-après dénommée “injonction de suspension”).

2.   La Commission peut, après avoir donné à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations, arrêter une décision enjoignant à l’État membre de récupérer provisoirement toute aide versée illégalement, jusqu’à ce qu’elle statue sur la compatibilité de cette aide avec le marché [intérieur] (ci-après dénommée “injonction de récupération”), à condition que les critères ci-après soient remplis :

selon une pratique établie, le caractère d’aide de la mesure concernée ne fait pas de doute et

il y a urgence à agir et

il existe un risque sérieux de préjudice substantiel et irréparable pour un concurrent.

La récupération a lieu selon la procédure visée à l’article 14, paragraphes 2 et 3. Après récupération effective de l’aide, la Commission prend une décision dans les délais applicables aux aides notifiées.

La Commission peut autoriser l’État membre à accompagner le remboursement de l’aide du versement d’une aide au sauvetage à l’entreprise concernée.

Les dispositions du présent alinéa ne sont applicables qu’aux aides illégales mises en œuvre après l’entrée en vigueur du présent règlement. »

7

Aux termes de l’article 12 du même règlement, intitulé « Non-respect d’une injonction » :

« Dans le cas où l’État membre omet de se conformer à une injonction de suspension ou de récupération, la Commission est habilitée, tout en examinant le fond de l’affaire sur la base des informations disponibles, à saisir directement la Cour de justice des Communautés européennes afin qu’elle déclare que ce non-respect constitue une violation du traité. »

8

L’article 13, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 prévoit :

« L’examen d’une éventuelle aide illégale débouche sur l’adoption d’une décision au titre de l’article 4, paragraphes 2, 3 ou 4. Dans le cas d’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, la procédure est clôturée par voie de décision au titre de l’article 7. Au cas où un État membre omet de se conformer à une injonction de fournir des informations, cette décision est prise sur la base des renseignements disponibles. »

Les antécédents du litige

9

Par la loi no XCIV de 2014, sur la contribution santé des entreprises du secteur du tabac, le Parlement hongrois a instauré une nouvelle taxe perçue, selon un taux progressif, sur le chiffre d’affaires annuel des entreprises tirant au moins 50 % de leur chiffre d’affaires de la production ou du commerce des produits du tabac. Il a également rendu progressive, par la modification de 2014 de la loi no XLVI de 2008, sur la chaîne alimentaire et le contrôle officiel de celle-ci, une redevance d’inspection de la chaîne alimentaire perçue sur le chiffre d’affaires des magasins commercialisant les biens de consommation courante.

10

Par lettres respectivement datées du 17 mars et du 13 avril 2015, la Commission a informé les autorités hongroises que, selon elle, le taux progressif de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire, d’une part, et celui de la contribution santé ainsi que la réduction de la contribution santé en cas d’investissements, d’autre part, aboutissaient à traiter différemment des entreprises se trouvant dans une situation comparable et pouvaient ainsi être regardés comme instaurant des aides d’État incompatibles avec le marché intérieur. Dans chacune de ces lettres, la Commission a évoqué la possibilité d’adresser à la Hongrie une injonction de suspension, sur le fondement de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, et l’a invitée à présenter ses observations sur l’application éventuelle d’une telle injonction. Par lettres du 16 avril et du 12 mai 2015, les autorités hongroises ont répondu que les mesures concernées ne constituaient pas, selon elles, des aides d’État.

11

Par les décisions litigieuses, la Commission a, dans chacune des affaires, d’une part, ouvert une procédure formelle d’examen en vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et, d’autre part, en application de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, enjoint à la Hongrie de suspendre l’exécution des mesures fiscales en cause.

12

Le 4 juillet 2016, la Commission a adopté deux décisions mettant fin aux procédures formelles d’examen, par lesquelles elle a considéré que les mesures contestées étaient illégales et incompatibles avec le marché intérieur.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

13

Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 25 septembre 2015, la Hongrie a introduit un recours contre chacune des décisions litigieuses en tant qu’elles ordonnent la suspension de l’application du taux d’imposition progressif, respectivement, de la contribution santé et de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire ainsi que la suspension de la réduction de la contribution santé en cas d’investissement.

14

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ces recours.

La procédure devant la Cour et les conclusions des parties.

15

Par son pourvoi, la Hongrie demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, de faire droit à ses conclusions présentées en première instance et de condamner la Commission aux dépens.

16

Par décision du président de la Cour du 15 octobre 2018, la République de Pologne a été admise à intervenir au soutien de la Hongrie.

17

La Commission conclut au rejet du pourvoi, à la condamnation de la Hongrie aux dépens et à la condamnation de la République de Pologne aux dépens afférents à l’intervention.

Sur le pourvoi

Sur la recevabilité du pourvoi

18

La Commission oppose au gouvernement hongrois une fin de non-recevoir tirée de ce qu’il ne présente pas de manière claire et univoque les moyens sur lesquels il se fonde, ne précise pas l’ensemble des points critiqués de l’arrêt attaqué qu’il conteste, se limite dans une large mesure à répéter les moyens et les arguments déjà présentés en première instance et écartés par le Tribunal, critique, en particulier, la motivation des décisions litigieuses de la Commission plutôt que celle de l’arrêt attaqué et vise, en réalité, à obtenir le réexamen de la requête rejetée par le Tribunal. Aussi, le pourvoi ne satisferait-il pas aux exigences combinées de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour.

19

À cet égard, il convient de constater que la Commission n’assortit pas ses allégations des précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé. En outre, contrairement à ce que soutient la Commission, la Hongrie soulève dans son pourvoi notamment les moyens tirés des erreurs de droit commises par le Tribunal concernant, d’une part, la marge d’appréciation dont dispose la Commission quand elle adopte des injonctions de suspension et, d’autre part, l’obligation de cette institution de motiver lesdites injonctions.

20

Partant, la fin de non-recevoir soulevée par la Commission contre le pourvoi doit être rejetée.

Sur la recevabilité des moyens de l’intervention

Argumentation des parties

21

La Commission soutient que le deuxième moyen de la République de Pologne, qui est lié au deuxième moyen du pourvoi de la Hongrie mais critique d’autres passages de l’arrêt attaqué, de même que son troisième moyen, qui ne reprend aucun moyen du pourvoi, modifient l’objet du litige et sont, par conséquent, irrecevables.

Appréciation de la Cour

22

Aux termes de l’article 40, paragraphe 4, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties. L’article 132 du règlement de procédure, qui est applicable à la procédure de pourvoi devant la Cour en application de l’article 190 du même règlement, dispose que le mémoire en intervention contient les moyens et les arguments invoqués par l’intervenant.

23

Ces dispositions ne s’opposent donc pas à ce que l’intervenant fasse état d’arguments différents de ceux de la partie qu’il soutient, pourvu qu’il vise à soutenir les seules conclusions de celle-ci ou à faire rejeter les conclusions de la partie adverse (arrêts du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/HauteAutorité, 30/59, EU:C:1961:2, p. 37 et 38, ainsi que du 19 novembre 1998, Royaume-Uni/Conseil, C‑150/94, EU:C:1998:547, point 36).

24

En conséquence, ne sauraient être regardés comme irrecevables les moyens de la République de Pologne présentés à l’appui des conclusions de la Hongrie aux motifs qu’ils complètent le deuxième moyen du pourvoi en critiquant d’autres passages de l’arrêt attaqué et comportent un argument qui ne figure pas dans le pourvoi.

25

L’exception d’irrecevabilité partielle soulevée par la Commission contre l’intervention de la République de Pologne doit, dès lors, être écartée.

Sur le fond

26

À l’appui de son pourvoi, la Hongrie soulève trois moyens, tirés, premièrement, d’une interprétation erronée par le Tribunal des conditions d’adoption des injonctions de suspension en vertu de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, deuxièmement, d’une dénaturation de certains de ses arguments par le Tribunal et, troisièmement, de la méconnaissance par le Tribunal de l’obligation de motivation et ainsi que d’une application erronée de l’article 296 TFUE et de l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Sur la quatrième branche du premier moyen du pourvoi

– Argumentation des parties

27

Selon le gouvernement hongrois, le Tribunal a méconnu qu’une injonction de suspension devait être conforme au traité FUE et aux principes généraux du droit de l’Union. Certes, le Tribunal aurait relevé au point 86 de l’arrêt attaqué que « le contrôle du juge de l’Union ne se limite pas aux seules conditions prévues à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 et peut s’étendre, notamment, à la conformité de l’injonction de suspension avec le traité FUE et avec les principes généraux du droit ». Néanmoins, aux points 70 et 71 de cet arrêt, le Tribunal aurait limité les conditions d’adoption d’une injonction de suspension aux deux conditions prévues à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999. De même, au point 87 dudit arrêt, il aurait borné son examen à ce seul article. Le Tribunal aurait commis la même erreur de droit aux points 95 et 134 de l’arrêt attaqué, en jugeant que, lorsqu’elle ordonne la suspension d’une mesure, en application de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, la Commission n’est pas tenue de s’assurer que l’injonction est nécessaire et proportionnée.

28

La Commission considère, pour sa part, qu’il n’y a pas d’incohérence entre les points 71 et 95 de l’arrêt attaqué, d’une part, et les points 86 et 98 de cet arrêt, d’autre part. En effet, les points 86 et 98 devraient être interprétés en tenant compte des points 130 et 134 dudit arrêt, selon lesquels l’opportunité d’adopter une injonction de suspension est suffisamment justifiée par l’existence d’une violation avérée de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et n’a donc pas besoin d’être davantage motivée. En effet, l’interdiction prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE s’appliquerait avant même que la Commission n’adopte une décision d’ouvrir une procédure formelle d’examen. Dès lors qu’un État membre mettrait à exécution une mesure d’aide sans l’avoir notifiée à la Commission, la violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE serait constituée. La qualification d’aide d’État illégale de la mesure nationale en cause constituerait la condition de fond énoncée à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999. C’est pourquoi la Commission estime inconséquent que le Tribunal ait jugé aux points 135 à 137 de l’arrêt attaqué qu’elle devait exposer, dans la décision d’injonction de suspension, les motifs pour lesquels elle estime peu probable que l’État membre respecte cette interdiction.

29

Eu égard à la contradiction susmentionnée, la Commission demande à la Cour de procéder à la substitution des motifs figurant aux points 135 à 137 de l’arrêt attaqué, de manière à les rendre conforme à ceux développés aux points 70, 71, 130 et 134 de cet arrêt.

– Appréciation de la Cour

30

L’article 108, paragraphe 3, TFUE oblige les États membres à notifier à la Commission tout projet tendant à instituer ou à modifier des aides d’État. L’article 109 TFUE habilite le Conseil de l’Union européenne à fixer notamment les conditions d’application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Le Conseil a adopté sur ce fondement le règlement no 659/1999.

31

Lorsque l’État membre concerné s’abstient de suspendre la mise en œuvre de la mesure en cause pour se conformer à l’obligation de non-exécution des aides nouvelles ou des modifications d’aides existantes avant autorisation de la Commission ou, le cas échéant, du Conseil, qui résulte de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE et de l’article 3 du règlement no 659/1999, la Commission a la faculté, aux termes de l’article 11, paragraphe 1, de ce dernier, après avoir donné à l’État membre la possibilité de présenter ses observations, d’arrêter une décision lui enjoignant de suspendre cette mise en œuvre jusqu’à la décision finale sur la compatibilité de l’aide (arrêt du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2001:528, point 46).

32

Le règlement no 659/1999 prévoit, à son article 4, paragraphe 4, que si la Commission constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, elle ouvre la procédure formelle d’examen. Lorsque la Commission a connaissance d’une mesure non notifiée, dont elle estime qu’il pourrait s’agir d’une aide nouvelle ou d’une modification d’une aide existante, elle peut également, sur le fondement de l’article 10, paragraphe 2, de ce règlement, demander à l’État membre concerné de lui fournir des renseignements et, le cas échéant, décider, en application de l’article 13, paragraphe 1, deuxième phrase, de celui-ci, d’ouvrir la procédure formelle d’examen.

33

Dans toutes les hypothèses, l’ouverture de la procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure que la Commission présume être une aide nouvelle oblige l’État membre concerné à en suspendre l’exécution (voir, en ce sens, arrêts du 30 juin 1992, Espagne/Commission, C‑312/90, EU:C:1992:282, point 17 ; du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2001:528, point 59 ; du 10 mai 2005, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2005:275, point 39, ainsi que du 9 juin 2011, Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission, C‑465/09 P à C‑470/09 P, non publié, EU:C:2011:372, point 92).

34

Toutefois, l’ouverture de la procédure formelle d’examen à l’encontre d’une mesure non notifiée n’emporte pas les mêmes conséquences pour l’État membre concerné que l’adoption d’une injonction de suspension en application de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999. Certes, celui-ci est tenu dans les deux hypothèses de suspendre l’exécution de la mesure en cause. Néanmoins, seul le non-respect d’une injonction de suspension permet à la Commission, en application de l’article 12 du règlement no 659/99, de saisir directement la Cour d’un recours en constatation de manquement (voir, en ce sens, arrêt du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2001:528, point 60).

35

La Cour a jugé que l’injonction de suspension peut aussi bien intervenir en même temps que la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen que lui être postérieure (arrêt du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2001:528, point 47). Une décision d’injonction de suspension peut notamment être adoptée après l’ouverture de la procédure formelle d’examen, lorsque l’État membre concerné s’est abstenu de suspendre la mise en œuvre de la mesure examinée dès l’ouverture de cette procédure.

36

Dans les deux affaires qui ont donné lieu à l’arrêt attaqué, le Tribunal était saisi par la Hongrie de recours dirigés contre des injonctions de suspension adoptées en même temps et par la même décision que l’ouverture de la procédure formelle d’examen à l’encontre des deux mesures fiscales critiquées.

37

Par le premier moyen de sa requête devant le Tribunal, la Hongrie soutenait notamment que l’adoption d’une injonction de suspension requérait, outre la réunion des deux conditions prévues à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, à savoir la qualification provisoire par la Commission de la mesure nationale en cause d’aide d’État illégale et la consultation de l’État membre concerné au sujet de l’injonction envisagée, que cette injonction respecte le principe de proportionnalité. Or, eu égard à l’effet suspensif de l’ouverture de la procédure formelle d’examen adoptée concomitamment, l’injonction de suspension n’aurait été justifiée, selon cet État membre, que si la Commission avait pu raisonnablement penser qu’il ne respecterait pas ces obligations, ce que rien ne permettrait d’affirmer.

38

Par la quatrième branche du premier moyen du pourvoi, la Hongrie soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en répondant dans l’arrêt attaqué à l’argument rappelé au point précédent. De manière réitérée, aux points 70, 71, 95 et 134 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait jugé à tort que l’adoption d’une injonction de suspension était subordonnée aux deux seules conditions prévues à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, en omettant l’obligation pour la Commission de vérifier que l’injonction de suspension est proportionnée.

39

À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, « la Commission peut, après avoir donné à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations, arrêter une décision enjoignant à l’État membre de suspendre le versement de toute aide illégale, jusqu’à ce qu’elle statue sur la compatibilité de cette aide avec le marché [intérieur] (ci-après dénommée “injonction de suspension”) ».

40

Il ressort des termes mêmes de cette disposition que la Commission a la faculté et non l’obligation d’adopter une décision portant injonction de suspension (voir, en ce sens, arrêt du 9 octobre 2001, Italie/Commission, C‑400/99, EU:C:2001:528, point 46). Par conséquent, n’étant pas en situation de compétence liée, elle dispose d’une marge d’appréciation pour décider de l’adoption d’une telle mesure. Or, dès lors que la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation, elle doit l’exercer dans le respect des principes généraux du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Schindler Holding e.a./Commission, C‑501/11 P, EU:C:2013:522, point 59).

41

Selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés [arrêts du 17 mai 1984, Denkavit Nederland, 15/83, EU:C:1984:183, point 25, et du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen), C‑611/17, EU:C:2019:332, point 55]. Ce principe est rappelé à l’article 5, paragraphe 4, TUE, ainsi qu’à l’article 1er du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au traité UE et au traité FUE.

42

Il résulte de ce qui précède qu’une injonction de suspension prise en application de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 doit respecter le principe de proportionnalité, c’est-à-dire ne pas dépasser les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi par cette disposition. Ainsi que cela a été rappelé au point 33 du présent arrêt, le pouvoir conféré à la Commission d’adresser aux États membres de telles injonctions a pour objectif d’assurer le respect de l’interdiction de mettre à exécution des projets d’aides jusqu’à la décision finale sur la compatibilité de ces derniers. Il est complété par le pouvoir dont dispose la Commission de saisir directement la Cour, dans un délai réduit, afin qu’elle constate le manquement consistant en la mise à exécution par un État membre d’une mesure suspectée de constituer une aide illégale.

43

À la lumière de cet objectif, l’adoption d’une injonction de suspension est justifiée lorsque, après l’ouverture de la procédure formelle d’examen, l’État membre concerné s’est abstenu de suspendre la mise en œuvre de la mesure examinée, ainsi qu’il a été indiqué au point 35 du présent arrêt. Toutefois, il peut également être approprié d’adopter une injonction de suspension en même temps que la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, dans l’hypothèse où des éléments suffisants permettent à la Commission de présumer que l’État membre concerné n’a pas l’intention de suspendre l’exécution de la mesure examinée, comme l’y oblige l’ouverture de la procédure formelle d’examen, et d’anticiper que la Cour devra en conséquence être saisie d’un recours en constatation de manquement.

44

En réponse au premier moyen de la requête introductive d’instance, rappelé au point 37 du présent arrêt, le Tribunal a énoncé les conditions de légalité d’une injonction de suspension, aux points 70 et 71 de l’arrêt attaqué, dans les termes suivants :

« 70 Les conditions de l’adoption d’une telle injonction, fixées à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, se limitent à une condition de fond, à savoir la qualification par la Commission, à ce stade de la procédure, de la mesure nationale concernée d’aide d’État illégale, et une condition procédurale, à savoir le fait de donner à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations.

71 Aucune autre condition ne doit être remplie pour que la Commission soit habilitée à adopter une injonction au titre de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, et il convient de souligner que cette situation est le résultat de la volonté et non, comme le soutient la Hongrie, d’un oubli du législateur. En effet, le libellé dudit article, qui reflète l’état du droit ressortissant de la jurisprudence constante citée au point 30 ci-dessus, n’a pas été modifié par les amendements introduits au règlement no 659/1999 et a été repris tel quel dans le nouveau règlement no 2015/1589. »

45

Il est vrai que ces points, pris isolément, pourraient être lus comme n’imposant à la Commission, lorsqu’elle adopte une injonction de suspension, que le respect des seules conditions expressément prévues à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 et dispensant, dès lors, la Commission de l’obligation d’apprécier la nécessité de cette injonction de suspension.

46

Néanmoins, il convient de les replacer dans l’ensemble du raisonnement du Tribunal. Or, au point 86 de l’arrêt attaqué, celui-ci a rappelé que « le contrôle du juge de l’Union ne se limite pas aux seules conditions prévues à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 et peut s’étendre, notamment, à la conformité de l’injonction de suspension avec le traité FUE et avec les principes généraux du droit ». En outre, aux points 94 et suivants de cet arrêt, le Tribunal a examiné si la Commission avait respecté le principe de proportionnalité en adoptant les injonctions de suspension litigieuses. En particulier, le Tribunal a analysé, aux points 98 et 99 de l’arrêt attaqué, si ces injonctions étaient propres et nécessaires à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par les articles 107 et 108 TFUE, y compris le caractère mesuré des inconvénients causés par celles-ci par rapport aux buts poursuivis par ces dispositions. Enfin, au point 102 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que, en adoptant les injonctions litigieuses, la Commission n’avait pas violé le principe de proportionnalité.

47

Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas méconnu l’obligation des institutions de respecter, dans tous leurs actes, le principe de proportionnalité. Dès lors, la quatrième branche du premier moyen doit être écartée.

Sur la première branche du troisième moyen du pourvoi

– Argumentation des parties

48

Par le troisième moyen du pourvoi, le gouvernement hongrois reproche au Tribunal d’avoir fait une appréciation erronée en droit des exigences de motivation des injonctions de suspension.

49

Par la première branche de ce moyen, le gouvernement hongrois soutient, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de qualification juridique des faits en jugeant suffisamment motivée l’injonction de suspension.

50

Le Tribunal aurait certes correctement indiqué au point 135 de l’arrêt attaqué que, lorsque l’injonction de suspension est insérée dans la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, la motivation de l’injonction doit permettre de comprendre pourquoi l’État membre concerné ne va pas respecter l’obligation de suspendre la mise à exécution des mesures examinées. En revanche, le Tribunal se serait mépris en considérant que les indications fournies par les décisions litigieuses permettaient de comprendre que, selon la Commission, la Hongrie avait l’intention de ne pas suspendre les mesures en cause pendant la procédure d’examen.

51

Premièrement, la mention dans ces décisions de ce que la qualification provisoire d’aides d’État était contestée par les autorités hongroises aurait été interprétée à tort par le Tribunal, au point 136 de l’arrêt attaqué, comme un indice d’une telle intention. S’il en était ainsi, un État membre ne pourrait pas contester l’analyse de la Commission sans être suspecté de vouloir mettre en œuvre les mesures nationales en dépit de l’ouverture d’une procédure d’examen les concernant.

52

Deuxièmement, contrairement à ce qu’aurait jugé le Tribunal, la mention dans les décisions litigieuses de ce que les autorités nationales n’avaient pas réagi à l’invitation de la Commission à présenter des observations sur l’adoption éventuelle d’injonctions de suspension ne pourrait pas davantage être regardée comme un élément de motivation. Ce serait faire une interprétation abusive d’un silence que la Commission elle-même n’aurait d’ailleurs pas interprété en ce sens.

53

Troisièmement, le Tribunal aurait retenu à tort, au point 137 de l’arrêt attaqué, l’attitude des autorités hongroises dans une autre procédure d’examen comme un élément de motivation des décisions litigieuses, alors que cette attitude n’était pas mentionnée dans ces décisions et que rien n’indiquait qu’elle avait été prise en compte par la Commission. Le Tribunal se serait mépris en considérant que cet élément faisait partie de la motivation.

54

Quatrièmement, les décisions litigieuses autoriseraient d’autant moins l’interprétation qu’en a donnée le Tribunal qu’elles ne faisaient aucunement état d’un risque de mise en œuvre des mesures examinées par les autorités nationales pendant la procédure d’examen.

55

Cinquièmement, l’appréciation par le Tribunal de la motivation des décisions litigieuses serait d’ailleurs démentie par la Commission elle-même, qui aurait constamment soutenu, durant toute la procédure et en particulier à l’audience, qu’elle n’était tenue de respecter que les conditions de fond et de procédure mentionnées à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999.

56

La Commission estime que, eu égard aux circonstances dans lesquelles les injonctions de suspension ont été adoptées, c’est à juste titre que le Tribunal a constaté que les autorités hongroises étaient en mesure de comprendre pourquoi la Commission les avait décidées.

– Appréciation de la Cour

57

Selon une jurisprudence bien établie, la motivation des actes des institutions de l’Union exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction de toutes les circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 10 mars 2016, HeidelbergCement/Commission, C‑247/14 P, EU:C:2016:149, point 16 et jurisprudence citée).

58

Ainsi qu’il a été exposé au point 40 du présent arrêt, l’adoption d’une injonction de suspension ne constitue pour la Commission qu’une faculté, même si les deux conditions prévues à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 sont réunies. Il faut donc que des motifs particuliers conduisent l’institution à adopter une telle décision. Or, ainsi qu’il est rappelé au point précédent, en vertu de l’obligation de motivation des actes des institutions, les motifs de toute décision doivent être portés à la connaissance de son destinataire afin de lui permettre d’en apprécier le bien-fondé et d’exercer, le cas échéant, son droit de recours en connaissance de cause. La communication des motifs est également requise en vue de permettre au juge de l’Union de contrôler, comme il le fait de tout acte, la légalité de l’injonction de suspension au regard du principe de proportionnalité et de vérifier que la Commission n’a pas fait de la faculté que lui confère l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 un usage injustifié.

59

Dans l’hypothèse, qui est celle de l’espèce, où l’injonction de suspension est adoptée en même temps que la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, les motifs qui amènent la Commission à l’édicter se rapportent nécessairement à la prévision que l’État membre concerné ne suspendra pas la mise en œuvre de la mesure en cause malgré l’ouverture de la procédure d’examen. En effet, comme il a été indiqué au point 34 du présent arrêt, le seul effet supplémentaire de l’injonction de suspension par rapport à ceux de l’ouverture de la procédure formelle d’examen est de permettre à la Commission, si l’État membre concerné ne défère pas à son obligation de suspendre la mise en œuvre de la mesure examinée, de saisir directement la Cour d’un recours en manquement, en application de l’article 12 du règlement no 659/1999. Par conséquent, si la Commission n’était pas tenue, dans l’hypothèse où l’injonction de suspension est adoptée en même temps que la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, d’indiquer les raisons pour lesquelles elle estime que l’État membre ne respectera pas l’obligation de suspension et envisage, en conséquence, d’ores et déjà de saisir la Cour, elle serait dispensée de motiver cette injonction de suspension, en méconnaissance de l’obligation de motivation.

60

Ainsi, le Tribunal a rappelé à bon droit, au point 135 de l’arrêt attaqué, que, « dans une situation telle que celle de l’espèce, dans laquelle l’injonction de suspension est insérée dans une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, compte tenu de la large marge d’appréciation dont dispose la Commission en vertu de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 ainsi que de l’effet juridique spécifique que produit une injonction de suspension en vertu de l’article 12 de ce règlement, il y a lieu de considérer que la décision portant adoption d’une telle injonction doit permettre de comprendre pourquoi, selon la Commission, l’État membre concerné n’allait pas respecter l’obligation découlant de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et suspendre la mise à exécution des mesures examinées à la suite de l’ouverture de la procédure formelle d’examen ».

61

Par le troisième moyen de sa requête devant le Tribunal, la Hongrie soutenait que les injonctions de suspension litigieuses étaient insuffisamment motivées, dès lors que la Commission n’avait pas exposé les motifs justifiant leur adoption.

62

Le Tribunal a rejeté ce moyen en se fondant sur trois éléments.

63

En premier lieu, il a relevé, au point 136 de l’arrêt attaqué, qu’il ressortait des décisions litigieuses que, en réponse aux lettres d’information de la Commission du 17 mars et du 13 avril 2015, les autorités hongroises avaient soutenu que les mesures nationales en cause ne constituaient pas des aides d’État. Toutefois, comme l’a relevé Mme l’avocate générale au point 93 de ses conclusions, un État membre est parfaitement en droit de se défendre en soutenant que la mesure considérée ne constitue pas une aide. Par conséquent, l’on ne saurait en déduire l’existence d’un risque accru que l’État membre ne respecte pas les effets juridiques de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, en particulier, lorsque, comme en l’espèce, la question de droit concernée est controversée.

64

En deuxième lieu, le Tribunal a fait état, au même point 136 de l’arrêt attaqué, de la mention dans les décisions litigieuses de ce que les autorités hongroises n’avaient pas donné suite à l’invitation de la Commission à présenter des observations sur les injonctions de suspension dont l’adoption était envisagée. Selon l’appréciation du Tribunal, cet élément aurait permis de comprendre, au vu des circonstances, qu’il existait un risque de mise à exécution des mesures nationales en cause malgré l’ouverture de la procédure formelle d’examen.

65

Néanmoins, si l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999 prévoit que, avant d’arrêter une injonction de suspension, la Commission doit permettre à l’État membre concerné de présenter ses observations sur cette mesure, en revanche, comme Mme l’avocate générale l’a observé à juste titre au point 94 de ses conclusions, il n’oblige nullement cet État membre à présenter des observations. Par conséquent, le fait que la Hongrie n’ait pas formulé de remarques au sujet de la possible adoption d’injonction de suspension ne suffisait pas à justifier la crainte de la Commission que cet État membre mît en œuvre les mesures litigieuses.

66

En troisième et dernier lieu, le Tribunal a mentionné au point 137 de l’arrêt attaqué la circonstance que, quelques mois avant l’adoption des injonctions litigieuses, en dépit de l’ouverture par la Commission d’une procédure formelle d’examen à l’encontre de mesures fiscales hongroises fondées sur le même schéma que les mesures nationales en cause dans la présente affaire, ces mesures n’avaient pas été suspendues par les autorités hongroises. Toutefois, comme l’a observé Mme l’avocate générale au point 99 de ses conclusions, cette circonstance ne fait pas partie du contexte de l’adoption des injonctions litigieuses, contrairement à ce que le Tribunal a affirmé au point 137 de l’arrêt attaqué. En outre, si ce comportement antérieur de la Hongrie constituait un indice déterminant pour la Commission, cette dernière aurait dû le mentionner dans les décisions litigieuses, ce qui n’est pas le cas.

67

Au regard de ce qui précède, c’est à tort que le Tribunal a considéré, au point 138 de l’arrêt attaqué, que « les autorités hongroises étaient en mesure de comprendre pourquoi la Commission a[vait] décidé, dans les décisions litigieuses, de recourir effectivement à des injonctions de suspension ». Dès lors, il y a lieu d’accueillir le troisième moyen du pourvoi.

Sur le troisième moyen de la requête en intervention de la République de Pologne

– Argumentation des parties

68

Par le troisième moyen de sa requête en intervention, la République de Pologne fait valoir que le Tribunal a violé l’article 264, paragraphe 1, TFUE en ayant ajouté, pour rejeter l’argumentation de la Hongrie, sa propre appréciation à celle figurant dans les décisions litigieuses. Le Tribunal aurait ainsi estimé, aux points 135 et 136 de l’arrêt attaqué, aux fins de considérer que l’adoption des décisions portant injonction de suspension était justifiée, que la Commission avait tenu compte d’un risque de mise à exécution des mesures nationales en cause par la Hongrie en dépit de l’ouverture de la procédure formelle d’examen. Cette appréciation résulterait d’un raisonnement propre au Tribunal, qui ne trouverait aucun fondement dans les motifs des décisions litigieuses. Or, le Tribunal ne pourrait en aucun cas substituer sa propre motivation à celle de l’auteur de l’acte.

69

La Commission reconnaît que les décisions litigieuses ne comportent pas les motifs pour lesquels elle a estimé que la Hongrie ne comptait pas suspendre l’octroi des aides en cause. Elle estime toutefois avoir motivé de manière suffisante ces décisions en indiquant que les mesures d’aide étaient entrées en vigueur avant leur notification.

– Appréciation de la Cour

70

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre du contrôle de légalité visé à l’article 263 TFUE, la Cour et le Tribunal sont compétents pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir. L’article 264 TFUE prévoit que, si le recours est fondé, l’acte contesté est déclaré nul et non avenu. La Cour et le Tribunal ne peuvent donc, en toute hypothèse, substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte attaqué (arrêt du 28 février 2013, Portugal/Commission, C‑246/11 P, non publié, EU:C:2013:118, point 85 et jurisprudence citée).

71

En l’espèce, ainsi qu’il a été rappelé aux points 63 et 64 du présent arrêt, le Tribunal a estimé que les injonctions de suspension litigieuses satisfaisaient à l’exigence de motivation des actes des institutions en se fondant sur le fait qu’il ressortait des décisions litigieuses, d’une part, que les autorités hongroises avaient soutenu que les mesures nationales en cause ne constituaient pas des aides d’État et, d’autre part, que les mêmes autorités n’avaient pas donné suite à l’invitation de la Commission à lui présenter des observations sur les injonctions de suspension envisagées. Le Tribunal a estimé que ces motifs permettaient de comprendre que la Commission estimait qu’il existait un risque de mise à exécution des mesures litigieuses. En outre, le Tribunal a considéré que devait être pris en compte, en tant qu’élément de contexte, même si les décisions litigieuses ne s’y référaient pas, le fait que les autorités hongroises n’avaient pas suspendu les mesures fiscales concernées par une précédente procédure formelle d’examen, ouverte quelques mois auparavant.

72

Indépendamment du fait que ces éléments ne pouvaient constituer une motivation suffisante des décisions litigieuses, ainsi qu’il a été constaté précédemment, force est de constater que ceux-ci ne figurent pas dans ces décisions, ce que reconnaît d’ailleurs la Commission elle-même. En effet, dans son mémoire en défense, cette dernière soutient, au contraire, qu’elle n’avait pas à exposer les motifs pour lesquels elle estimait probable que la Hongrie ne respecterait pas les décisions lui enjoignant de suspendre l’exécution des mesures en cause. Elle estime également que les motifs figurant aux points 135 à 137 de l’arrêt attaqué sont contraires à ceux développés aux points 70, 71, 130 et 134 de cet arrêt. La Commission a aussi reconnu, dans ses observations relatives au mémoire en intervention de la République de Pologne, que les décisions litigieuses ne fournissaient pas d’explications concrètes des raisons pour lesquelles elle avait estimé que la Hongrie ne comptait pas suspendre l’octroi de l’aide en cause. Cette argumentation est d’ailleurs cohérente avec l’étendue du pouvoir discrétionnaire dont la Commission affirmait disposer, en vertu de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, pour adopter une décision portant injonction de suspension, ainsi qu’il ressort de ses écritures devant le Tribunal comme devant la Cour.

73

Il ressort de ce qui précède que le Tribunal a ajouté des motifs à ceux exposés par la Commission et excédé ainsi les limites de ses pouvoirs.

74

En conséquence, il convient d’accueillir également le troisième moyen de la requête en intervention de la République de Pologne.

75

Il résulte de tout ce qui précède que l’arrêt attaqué doit être annulé.

Sur le recours devant le Tribunal

76

Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque celle-ci annule la décision du Tribunal, elle peut soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que celui-ci statue, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

77

En l’espèce, il y a lieu pour la Cour de statuer définitivement sur le présent litige, qui est en état d’être jugé.

78

Comme le rappelle le point 69 du présent arrêt, la Commission a elle-même admis que les décisions litigieuses ne fournissaient pas d’explications sur les raisons pour lesquelles la Commission estimait que la Hongrie ne suspendrait pas les mesures en cause malgré l’ouverture de la procédure formelle d’examen. Or, les injonctions de suspension auraient dû être motivées à cet égard, ainsi qu’il a été exposé au point 58 du présent arrêt et le Tribunal l’a également jugé au point 135 de l’arrêt attaqué. Partant, les injonctions de suspension litigieuses sont entachées d’insuffisance de motivation et violent l’article 296 TFUE. Le troisième moyen de la requête de première instance de la Hongrie doit, dès lors, être également accueilli.

79

Il résulte de ce qui précède que les injonctions de suspension adoptées par les décisions litigieuses doivent être annulées, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de cette requête.

Sur les dépens

80

Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

81

L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Hongrie ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens et celle-ci ayant succombé, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Hongrie, afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle de pourvoi.

82

L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, prévoit que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

83

La République de Pologne, partie intervenante au pourvoi, supportera ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

 

1)

L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 25 avril 2018, Hongrie/Commission (T‑554/15 et T‑555/15, EU:T:2018:220), est annulé.

 

2)

La décision C(2015) 4805 final de la Commission, du 15 juillet 2015, relative à l’aide d’État SA. 41187 (2015/NN) – Hongrie – Contribution santé des entreprises du secteur du tabac, et la décision C(2015) 4808 final de la Commission, du 15 juillet 2015, relative à l’aide d’État SA. 40018 (2015/C) (ex 2014/NN) – Modification de 2014 de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire en Hongrie, sont annulées en tant qu’elles ordonnent la suspension de l’application du taux d’imposition progressif, respectivement, de la contribution santé et de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire, telles qu’elles résultent de la loi no XCIV de 2014, sur la contribution santé des entreprises du secteur du tabac, et de la modification de 2014 de la loi no XLVI de 2008, sur la chaîne alimentaire et le contrôle officiel de celle-ci.

 

3)

La Commission européenne supporte, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Hongrie, afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle du pourvoi.

 

4)

La République de Pologne supporte ses propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.

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