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Document 62015CJ0238

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 14 décembre 2016.
Maria do Céu Bragança Linares Verruga e.a. contre Ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le tribunal administratif (Luxembourg).
Renvoi préjudiciel – Libre circulation des personnes – Égalité de traitement – Avantages sociaux – Règlement (UE) no 492/2011 – Article 7, paragraphe 2 – Aide financière pour études supérieures – Condition pour les étudiants ne résidant pas sur le territoire de l’État membre concerné d’être les enfants de travailleurs ayant été employés ou ayant exercé leur activité professionnelle dans cet État membre pendant une durée ininterrompue d’au moins cinq ans – Discrimination indirecte – Justification – Objectif visant à augmenter la proportion des personnes résidentes titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur – Caractère approprié – Proportionnalité.
Affaire C-238/15.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2016:949

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

14 décembre 2016 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Libre circulation des personnes — Égalité de traitement — Avantages sociaux — Règlement (UE) no 492/2011 — Article 7, paragraphe 2 — Aide financière pour études supérieures — Condition pour les étudiants ne résidant pas sur le territoire de l’État membre concerné d’être les enfants de travailleurs ayant été employés ou ayant exercé leur activité professionnelle dans cet État membre pendant une durée ininterrompue d’au moins cinq ans — Discrimination indirecte — Justification — Objectif visant à augmenter la proportion des personnes résidentes titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur — Caractère approprié — Proportionnalité»

Dans l’affaire C‑238/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal administratif (Luxembourg), par décision du 20 mai 2015, parvenue à la Cour le 22 mai 2015, dans la procédure

Maria do Céu Bragança Linares Verruga,

Jacinto Manuel Sousa Verruga,

André Angelo Linares Verruga

contre

Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, Mme A. Prechal, M. A. Rosas (rapporteur), Mme C. Toader et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : M. M. Wathelet,

greffier : M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 avril 2016,

considérant les observations présentées :

pour Mme Bragança Linares Verruga e.a., par Mes G. Thomas et L. Urbany, avocats,

pour le gouvernement luxembourgeois, par Mme D. Holderer, en qualité d’agent, assistée de Me P. Kinsch, avocat,

pour le gouvernement danois, par Mme M. Wolff et M. C. Thorning, en qualité d’agents,

pour le gouvernement norvégien, par Mme I. Jansen, MM. C. Anker et M. Schei, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. M. Van Hoof, M. Kellerbauer et D. Martin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 juin 2016,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO 2011, L 141, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Maria do Céu Bragança Linares Verruga ainsi que MM. Jacinto Manuel Sousa Verruga et André Angelo Linares Verruga au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (Luxembourg) au sujet du refus de ce dernier de faire bénéficier M. Linares Verruga de l’aide financière de l’État pour études supérieures.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO 1968, L 257, p. 2), tel que modifié par la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004 (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatifs JO 2004, L 229, p. 35, et JO 2005, L 197, p. 34) (ci-après le « règlement no 1612/68 »), a été abrogé, avec effet au 16 juin 2011, par le règlement no 492/2011.

4

Aux termes de l’article 41, second alinéa, de ce dernier règlement, les références faites au règlement no 1612/68 s’entendent comme faites au règlement no 492/2011.

5

L’article 7 de ce dernier règlement, qui a repris le libellé de l’article 7 du règlement no 1612/68, prévoit :

« 1.   Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage.

2.   Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.

[...] »

6

Aux termes de l’article 16, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2004/38, « [l]es citoyens de l’Union ayant séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire de l’État membre d’accueil acquièrent le droit de séjour permanent sur son territoire ».

7

L’article 24 de cette directive prévoit :

« 1.   Sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de la présente directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. Le bénéfice de ce droit s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent.

2.   Par dérogation au paragraphe 1, l’État membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder le droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour ou, le cas échéant, pendant la période plus longue prévue à l’article 14, paragraphe 4, point b), ni tenu, avant l’acquisition du droit de séjour permanent, d’octroyer des aides d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d’études ou de prêts, à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, et les membres de leur famille. »

Le droit luxembourgeois

8

L’aide financière de l’État pour études supérieures est régie par la loi du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’État pour études supérieures (Mémorial A 2000, p. 1106, ci-après la « loi concernant l’aide financière de l’État pour études supérieures »), laquelle a connu plusieurs modifications.

9

Cette aide financière est accordée sous la forme d’une bourse et d’un prêt et peut être sollicitée quel que soit l’État dans lequel le demandeur envisage de poursuivre ses études supérieures.

10

À la suite des modifications introduites par l’article 1er, point 2, de la loi du 26 juillet 2010 (Mémorial A 2010, p. 2040), l’article 2 de la loi concernant l’aide financière de l’État pour études supérieures définissait les bénéficiaires de cette aide dans les termes suivants :

« Peuvent bénéficier de l’aide financière de l’État pour études supérieures, les étudiants admis à poursuivre des études supérieures et qui remplissent l’une des conditions suivantes :

a)

être ressortissant luxembourgeois ou membre de la famille d’un ressortissant luxembourgeois et être domicilié au Grand-Duché de Luxembourg, ou

b)

être ressortissant d’un autre État membre de l’Union européenne ou d’un des autres États parties à l’Accord sur l’Espace économique européen[, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3),] et de la Confédération suisse et séjourner, conformément au chapitre 2 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, au Grand-Duché de Luxembourg en qualité de travailleur salarié, de travailleur non salarié, de personne qui garde ce statut ou de membre de famille de l’une des catégories de personnes qui précèdent, ou avoir acquis le droit de séjour permanent [...]

[...] »

11

La réglementation applicable à la date des faits au principal est celle qui résulte de la modification de la loi concernant l’aide financière de l’État pour études supérieures par la loi du 19 juillet 2013 (Mémorial A 2013, p. 3214) (ci-après la « loi modifiée du 22 juin 2000 »).

12

L’article 2 bis de la loi modifiée du 22 juin 2000, tel qu’inséré par l’article 1er, point 1, de la loi du 19 juillet 2013, dispose :

« Un étudiant ne résidant pas au Grand-Duché de Luxembourg peut également bénéficier de l’aide financière pour études supérieures, à condition qu’il soit enfant d’un travailleur salarié ou non salarié ressortissant luxembourgeois ou ressortissant de l’Union européenne ou d’un autre État partie à l’Accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse employé ou exerçant son activité au Luxembourg, et que ce travailleur ait été employé ou ait exercé son activité au Luxembourg pendant une durée ininterrompue d’au moins cinq ans au moment de la demande de l’aide financière pour études supérieures par l’étudiant. L’emploi au Luxembourg doit être au moins égal à la moitié de la durée normale de travail applicable dans l’entreprise en vertu de la loi ou de la convention collective de travail, le cas échéant, en vigueur. Le travailleur non salarié doit être affilié obligatoirement et d’une manière continue au Grand-Duché de Luxembourg en vertu de l’article 1er, point 4), du Code de la sécurité sociale au cours des cinq ans précédant la demande de l’aide financière pour études supérieures. »

13

Par la suite, la loi modifiée du 22 juin 2000 a été abrogée par la loi du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’État pour études supérieures (Mémorial A 2014, p. 2188), qui n’était pas en vigueur à la date des faits au principal. En particulier, la condition de travail du parent de l’étudiant non-résident pendant une durée ininterrompue de cinq ans au moment de la demande d’aide financière a été abandonnée au profit de la condition de travail du parent de l’étudiant non-résident pendant une durée d’au moins cinq ans pendant une période de référence de sept ans précédant la date de la demande pour l’obtention de l’aide financière.

Le litige au principal et la question préjudicielle

14

M. Linares Verruga, étudiant à l’université de Liège (Belgique), réside avec ses parents, Mme Bragança Linares Verruga et M. Sousa Verruga, à Longwy (France). Mme Bragança Linares Verruga travaille au Luxembourg en tant que salariée depuis le 15 mai 2004, avec une seule interruption entre le 1er novembre 2011 et le 15 janvier 2012. M. Sousa Verruga a travaillé dans cet État membre en tant que salarié entre le 1er avril 2004 et le 30 septembre 2011 ainsi qu’entre le 4 décembre 2013 et le 6 janvier 2014. Ayant créé, le 1er février 2014, une entreprise au Luxembourg, il y travaille depuis cette date en tant qu’indépendant.

15

M. Linares Verruga a sollicité, en tant qu’étudiant, l’octroi, au titre du semestre d’hiver de l’année universitaire 2013/2014, d’une aide financière de l’État luxembourgeois pour études supérieures en rapport avec la préparation d’un diplôme.

16

Par décision du 28 novembre 2013, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a refusé de faire droit à cette demande d’aide financière en se fondant sur le non-respect des conditions prévues à l’article 2 bis de la loi modifiée du 22 juin 2000.

17

Le 23 décembre 2013, M. Linares Verruga et ses parents ont introduit un recours gracieux contre cette décision. Par décision du 14 janvier 2014, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a rejeté ce recours.

18

M. Linares Verruga a également sollicité l’octroi d’une aide financière de l’État luxembourgeois pour études supérieures au titre du semestre d’été de l’année universitaire 2013/2014. Par décision du 24 mars 2014, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a refusé de faire droit à cette demande d’aide financière pour des motifs identiques à ceux énoncés dans sa décision du 28 novembre 2013.

19

M. Linares Verruga et ses parents ont alors saisi, le 15 avril 2014, le tribunal administratif (Luxembourg) d’un recours tendant à la réformation ou à l’annulation de la décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 28 novembre 2013, de celle du 14 janvier 2014 et de celle du 24 mars 2014.

20

Devant cette juridiction, M. Linares Verruga et ses parents soutiennent, à titre principal, que l’aide financière de l’État pour études supérieures constitue une prestation familiale au sens du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1), auquel a droit tout travailleur. À titre subsidiaire, ils font valoir que cette aide constitue un avantage social, au sens de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68, de telle sorte que l’octroi de celle-ci est soumis au principe d’égalité de traitement énoncé à cette disposition.

21

Le gouvernement luxembourgeois fait valoir que ladite aide ne constitue pas une prestation familiale au sens du règlement no 883/2004 et conteste l’applicabilité du règlement no 1612/68 au litige au principal. Ce gouvernement fait valoir également que la qualité de travailleur de l’un des parents de l’étudiant qui ne réside pas au Luxembourg ne suffit pas à elle seule à ouvrir le droit pour ce dernier à l’aide financière de l’État pour études supérieures. Selon ledit gouvernement, l’arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a. (C‑20/12, EU:C:2013:411), a permis au législateur national de subordonner l’octroi d’une telle aide au respect de la condition selon laquelle le travailleur frontalier doit avoir travaillé dans l’État membre concerné pendant une durée significative. Or, dans l’affaire au principal, les époux Verruga ne rempliraient pas cette condition.

22

Le tribunal administratif écarte, en premier lieu, l’argumentation de M. Linares Verruga et de ses parents selon laquelle l’aide financière de l’État pour études supérieures constitue une prestation familiale au sens du règlement no 883/2004. À cet égard, il fait observer que ce règlement concerne les prestations liées aux contributions obligatoires des travailleurs salariés et non salariés et qu’une prestation ne relève de son champ d’application que si elle couvre un risque social. Or, le tribunal administratif considère que l’aide financière de l’État pour études supérieures n’a pas pour objet de couvrir un tel risque.

23

Selon cette juridiction, ladite aide financière ne peut pas être regardée comme la contrepartie de la suppression des allocations familiales pour les étudiants âgés de plus de 18 ans. En désignant les étudiants comme bénéficiaires de l’aide financière de l’État pour études supérieures, le législateur luxembourgeois aurait voulu consacrer le concept de l’« autonomie de l’étudiant », à savoir le droit de celui-ci de pouvoir suivre les études supérieures de son choix, indépendamment de la situation financière et de la volonté de ses parents, visant notamment à encourager l’augmentation de la proportion des personnes titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur dans la population résidente au Luxembourg. Le tribunal administratif souligne, à cet égard, que l’aide financière de l’État pour études supérieures n’est soumise qu’à des conditions académiques et qu’elle est accordée sous la forme d’une bourse ou d’un prêt dont les montants varient seulement en fonction de la situation financière et sociale personnelle de l’étudiant ainsi que des frais d’inscription à sa charge.

24

S’agissant, en second lieu, des arguments de M. Linares Verruga et de ses parents tirés de l’incompatibilité de la loi modifiée du 22 juin 2000 avec le règlement no 1612/68, le tribunal administratif considère que, dans la mesure où le financement des études accordé par un État membre aux enfants des travailleurs constitue, pour un travailleur migrant, un avantage social au sens de l’article 7, paragraphe 2, de ce règlement, cette disposition est applicable au litige au principal.

25

Cette juridiction fait observer, en outre, que, dans l’arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a. (C‑20/12, EU:C:2013:411), la Cour a jugé que la condition de résidence prévue à l’article 2, sous b), de la loi concernant l’aide financière de l’État pour études supérieures, telle que modifiée par la loi du 26 juillet 2010, constitue une discrimination indirecte en raison de la nationalité entre les personnes qui résident au Luxembourg et celles qui, sans résider dans cet État membre, sont des enfants de travailleurs frontaliers y exerçant une activité.

26

Selon le tribunal administratif, si, dans ledit arrêt, la Cour a affirmé qu’il était loisible au législateur luxembourgeois d’exiger, aux fins de l’octroi de l’aide en question, que le travailleur frontalier, parent de l’étudiant, ait travaillé au Luxembourg pendant une période minimale déterminée, la Cour n’a cependant pas jugé qu’une telle exigence doit constituer une condition exclusive et qu’une durée de travail dans cet État membre de cinq ans doit être le seul critère admissible. Au contraire, dans le même arrêt, la Cour aurait mis l’accent sur le caractère trop exclusif d’une règle privilégiant un seul critère aux fins de l’évaluation du degré de rattachement du travailleur frontalier à la société luxembourgeoise ainsi que sur la pertinence et la justification des critères permettant de déceler une probabilité raisonnable de retour de l’étudiant au Luxembourg après la fin de ses études.

27

Le tribunal administratif relève ensuite que l’octroi de l’aide financière de l’État pour études supérieures a été refusé à M. Linares Verruga en raison d’une interruption de deux mois et demi dans l’exercice par sa mère d’une activité salariée au Luxembourg, en dépit du fait que celle-ci a exercé une telle activité pendant une durée globale de presque huit ans, alors qu’un tel refus n’aurait pas, dans les mêmes conditions, été opposé à un travailleur résidant dans ledit État membre.

28

Dans ces conditions, le tribunal administratif se demande si la condition prévue à l’article 2 bis de la loi modifiée du 22 juin 2000 ne revêt pas un caractère excessif. Il fait observer qu’une discrimination indirecte est en principe prohibée, à moins d’être objectivement justifiée, c’est-à-dire d’être propre à garantir la réalisation d’un objectif légitime et de ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. À cet égard, cette juridiction relève que le gouvernement luxembourgeois avance comme justification la nécessité de s’assurer qu’existe un lien entre le travailleur frontalier et la société luxembourgeoise qui permet de présumer que, après avoir bénéficié de l’aide de l’État pour financer ses études, l’étudiant, enfant d’un tel travailleur, reviendra au Luxembourg afin de mettre les connaissances qu’il a acquises au profit du développement de l’économie de cet État membre.

29

Selon le tribunal administratif, le gouvernement luxembourgeois a conscience du caractère excessif et discriminatoire de l’exigence prévue à l’article 2 bis de la loi modifiée du 22 juin 2000, puisque la loi du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’État pour études supérieures a remplacé la condition d’une durée de travail ininterrompue de cinq ans par la condition d’une durée de travail totale de cinq ans sur une période de référence de sept ans, dans le but de permettre la prise en compte des interruptions de travail notamment par des périodes de chômage. Cette juridiction considère, toutefois, que, malgré ce changement des conditions d’octroi de ladite aide, la question de la compatibilité de la loi modifiée du 22 juin 2000 avec le règlement no 1612/68 est encore propre à influer sur la décision quant au sort à réserver aux décisions du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en cause au principal.

30

Dans ces conditions, le tribunal administratif a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La condition imposée aux étudiants ne résidant pas au Grand-Duché de Luxembourg par l’article 2 bis de la loi modifiée du 22 juin 2000, à l’exclusion de la prise en compte de tout autre critère de rattachement, à savoir d’être enfants de travailleurs ayant été employés ou ayant exercé leur activité au Luxembourg pendant une durée ininterrompue d’au moins cinq ans au moment de la demande de l’aide financière, est-elle justifiée par les considérations de politique d’éducation et de politique budgétaire mises en avant par l’État luxembourgeois, et adéquate, respectivement proportionnée par rapport à l’objectif visé, à savoir chercher à encourager l’augmentation de la proportion des personnes titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, tout en cherchant à garantir que ces personnes, après avoir bénéficié de la possibilité offerte par le système d’aide concerné de financer leurs études, suivies le cas échéant à l’étranger, rentrent au Luxembourg afin de mettre les connaissances qu’elles auront ainsi acquises au service du développement de l’économie de cet État membre ? »

Sur la question préjudicielle

31

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’octroi d’une aide financière pour études supérieures aux étudiants non-résidents à la condition que l’un au moins des parents de ceux-ci ait travaillé dans cet État membre pendant une durée minimale et ininterrompue de cinq années au moment de la demande d’aide financière, mais ne prévoit pas une telle condition s’agissant des étudiants résidant sur le territoire dudit État membre, dans le but d’encourager l’augmentation de la proportion des résidents titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur.

Observations liminaires

32

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a. (C‑20/12, EU:C:2013:411), la Cour a déjà eu à examiner la réglementation luxembourgeoise concernant l’aide financière de l’État pour études supérieures, qui résultait alors de la loi concernant l’aide financière de l’État pour études supérieures, telle que modifiée par la loi du 26 juillet 2010.

33

La Cour a ainsi été interrogée sur la compatibilité avec l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68 d’une réglementation nationale qui subordonnait l’octroi d’une aide financière pour études supérieures à une condition de résidence de l’étudiant et instaurait ainsi une différence de traitement entre les personnes qui résident au Luxembourg et celles qui, sans résider dans cet État membre, sont les enfants de travailleurs frontaliers exerçant une activité dans ledit État membre.

34

La Cour a jugé que la différence de traitement qui résultait du fait qu’une condition de résidence était exigée des étudiants, enfants de travailleurs frontaliers, était constitutive d’une discrimination indirecte sur la base de la nationalité, en principe prohibée, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 46).

35

À cet égard, la Cour a jugé que la condition de résidence prévue par la loi concernant l’aide financière de l’État pour études supérieures, telle que modifiée par la loi du 26 juillet 2010, était propre à réaliser l’objectif d’intérêt général reconnu au niveau de l’Union visant à promouvoir la poursuite d’études supérieures et à augmenter, de manière significative, la proportion des titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur résidant au Luxembourg (arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, points 53, 56 et 68).

36

En revanche, dans son analyse du caractère nécessaire de la condition de résidence, la Cour a considéré que celle-ci excédait ce qui était nécessaire aux fins d’atteindre l’objectif visant à augmenter la proportion des résidents titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, dans la mesure où elle faisait obstacle à la prise en compte d’autres éléments potentiellement représentatifs du degré réel de rattachement du demandeur de l’aide financière en cause à la société ou au marché du travail de l’État membre concerné, tels que le fait que l’un des parents, qui continue de pourvoir à l’entretien de l’étudiant, est un travailleur frontalier, qui occupe un emploi durable dans cet État membre et a déjà travaillé dans ce dernier depuis une durée significative (arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 83).

37

À la suite de l’arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a. (C‑20/12, EU:C:2013:411), la loi du 19 juillet 2013 a modifié la loi concernant l’aide financière de l’État pour études supérieures de façon à étendre le bénéfice de cette aide à l’étudiant qui ne réside pas au Luxembourg à condition qu’il soit enfant d’un travailleur salarié ou non salarié ressortissant luxembourgeois ou ressortissant de l’Union européenne employé ou exerçant son activité au Luxembourg, et que ce travailleur ait été employé ou ait exercé son activité au Luxembourg pendant une durée ininterrompue d’au moins cinq ans au moment de la demande de l’aide financière pour études supérieures par l’étudiant.

38

Afin de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, il convient d’examiner si une réglementation telle que celle résultant de cette modification est constitutive d’une éventuelle discrimination et, dans ce cas, si elle est objectivement justifiée.

Sur l’existence d’une discrimination

39

Selon l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011, dont le contenu est libellé dans les mêmes termes que ceux de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68, le travailleur ressortissant d’un État membre bénéficie, sur le territoire des autres États membres, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. Cette disposition bénéficie indifféremment tant aux travailleurs migrants résidant dans un État membre d’accueil, qu’aux travailleurs frontaliers qui, tout en exerçant leur activité salariée dans ce dernier État membre, résident dans un autre État membre (voir, en ce sens, arrêts du 27 novembre 1997, Meints, C‑57/96, EU:C:1997:564, point 50, ainsi que du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 37).

40

Il résulte d’une jurisprudence constante qu’une aide accordée pour l’entretien et pour la formation, en vue de la poursuite d’études universitaires sanctionnées par une qualification professionnelle, constitue pour le travailleur migrant un avantage social, au sens de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68 (arrêts du 14 juin 2012, Commission/Pays-Bas, C‑542/09, EU:C:2012:346, point 34, ainsi que du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 38), dont l’enfant de travailleur migrant peut lui-même se prévaloir si, en vertu du droit national, cette aide est accordée directement à l’étudiant (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 1992, Bernini, C‑3/90, EU:C:1992:89, point 26 ; du 14 juin 2012, Commission/Pays-Bas, C‑542/09, EU:C:2012:346, point 48, ainsi que du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 40).

41

Le principe d’égalité de traitement inscrit tant à l’article 45 TFUE qu’à l’article 7 du règlement no 1612/68 prohibe non seulement les discriminations directes, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes indirectes de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (voir arrêt du 13 avril 2010, Bressol e.a., C‑73/08, EU:C:2010:181, point 40).

42

La législation nationale en cause au principal subordonne l’octroi d’une aide financière pour études supérieures soit à une condition de résidence de l’étudiant sur le territoire luxembourgeois soit, pour les étudiants ne résidant pas sur ce territoire, à la condition d’être les enfants de travailleurs ayant été employés ou ayant exercé leur activité professionnelle au Luxembourg pendant une durée ininterrompue d’au moins cinq ans au moment de la demande d’aide financière. Même si elle s’applique indifféremment aux ressortissants luxembourgeois et aux ressortissants d’autres États membres, une telle condition de durée de travail minimale et ininterrompue n’est pas prévue pour les étudiants qui résident sur le territoire luxembourgeois.

43

Une telle distinction fondée sur la résidence est susceptible de jouer davantage au détriment des ressortissants d’autres États membres, dans la mesure où les non-résidents sont le plus souvent des non-nationaux (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2012, Commission/Pays-Bas, C‑542/09, EU:C:2012:346, point 38, ainsi que du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 44).

44

Elle constitue ainsi une discrimination indirecte sur la base de la nationalité qui ne pourrait être admise qu’à la condition d’être objectivement justifiée. Pour être justifiée, elle doit être propre à garantir la réalisation d’un objectif légitime et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

Sur l’existence d’un objectif légitime

45

Dans ses observations écrites, le gouvernement luxembourgeois soutient que l’objectif poursuivi par la loi modifiée du 22 juin 2000 est identique à l’objectif social qui avait été invoqué pour justifier la législation applicable dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a. (C‑20/12, EU:C:2013:411). Cet objectif vise à augmenter de manière significative au Luxembourg la part des résidents titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur.

46

Or, aux points 53 et 56 de l’arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a. (C‑20/12, EU:C:2013:411), la Cour a considéré que l’objectif social invoqué par le gouvernement luxembourgeois pour justifier la législation applicable dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt et visant à promouvoir la poursuite d’études supérieures est un objectif d’intérêt général reconnu au niveau de l’Union. En effet, une action entreprise par un État membre afin d’assurer un niveau élevé de formation de sa population résidente poursuit un objectif légitime susceptible de justifier une discrimination indirecte sur la base de la nationalité.

47

Il reste à examiner si la condition d’une durée de travail ininterrompue de cinq ans au moment de la demande de bourse d’études est appropriée et nécessaire pour atteindre ledit objectif.

Sur le caractère approprié de la condition de durée de travail minimale et ininterrompue

48

Selon le gouvernement luxembourgeois, à l’opinion duquel se rallient en substance les gouvernements danois et norvégien, la condition d’une durée de travail au Luxembourg minimale et ininterrompue de cinq ans vise à assurer que les aides financières reviennent aux seuls étudiants qui entretiennent avec la société luxembourgeoise un lien de rattachement tel qu’il existe une haute probabilité d’une installation au Luxembourg et d’une intégration au marché du travail luxembourgeois au terme des études supérieures. Cet objectif serait atteint si le parent, travailleur frontalier, occupe au Luxembourg un emploi durable et y a déjà travaillé depuis une durée significative, car cela constituerait un élément représentatif du degré réel de rattachement à la société ou au marché du travail luxembourgeois. De telles circonstances permettraient de présumer que l’exemple parental sera de nature à influencer, avec un degré de probabilité suffisant, le choix de carrière de l’étudiant.

49

Il convient, en premier lieu, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, s’agissant des travailleurs migrants et frontaliers, le fait d’avoir accédé au marché du travail d’un État membre crée, en principe, le lien d’intégration suffisant dans la société de cet État leur permettant d’y bénéficier du principe d’égalité de traitement par rapport aux travailleurs nationaux quant aux avantages sociaux (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2012, Commission/Pays-Bas, C‑542/09, EU:C:2012:346, point 65, ainsi que du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 63).

50

Le lien d’intégration résulte notamment du fait que les travailleurs migrants contribuent au financement des politiques sociales de l’État membre d’accueil avec les contributions fiscales et sociales qu’ils payent dans cet État, en vertu de l’activité salariée qu’ils y exercent. Ils doivent, dès lors, pouvoir en profiter dans les mêmes conditions que les travailleurs nationaux (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2012, Commission/Pays-Bas, C‑542/09, EU:C:2012:346, point 66, ainsi que du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 63).

51

Toutefois, la Cour a déjà admis qu’une réglementation nationale indirectement discriminatoire et restreignant l’octroi aux travailleurs frontaliers d’avantages sociaux au sens de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68 en l’absence d’un rattachement suffisant avec la société dans laquelle ils exercent une activité sans y résider peut être objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2007, Hartmann, C‑212/05, EU:C:2007:437, points 30 à 35 et 37 ; du 18 juillet 2007, Geven, C‑213/05, EU:C:2007:438, point 26 ; du 11 septembre 2007, Hendrix, C‑287/05, EU:C:2007:494, points 54 et 55, ainsi que du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 64).

52

Ainsi, aux points 26 et 28 à 30 de l’arrêt du 18 juillet 2007, Geven (C‑213/05, EU:C:2007:438), la Cour a jugé que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1612/68 ne s’opposait pas à une législation d’un État membre qui prévoyait que seuls pouvaient prétendre à un avantage social au sens de cette disposition les travailleurs qui, par le choix de leur résidence, avaient établi un lien effectif avec la société de cet État membre, ainsi que, s’agissant des travailleurs frontaliers qui exerçaient une activité professionnelle dans ledit État membre tout en résidant dans un autre État membre, ceux qui exerçaient une activité professionnelle dépassant le seuil d’un emploi mineur, car une contribution objective au marché du travail national était considérée comme constituant également un élément valable d’intégration à la société de l’État membre concerné.

53

Dans la réglementation applicable dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a. (C‑20/12, EU:C:2013:411), la condition de résidence préalable de l’étudiant au Luxembourg était considérée comme la seule condition de nature à établir le lien de rattachement à cet État membre.

54

La Cour a jugé qu’une telle condition de résidence était propre à réaliser l’objectif visant à promouvoir la poursuite d’études supérieures et à augmenter, de manière significative, la proportion des titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur résidant au Luxembourg, mais qu’elle présentait un caractère trop exclusif (arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 76). En effet, l’existence d’une probabilité raisonnable de voir les bénéficiaires de l’aide revenir s’installer au Luxembourg et se mettre à la disposition du marché du travail de cet État membre, en vue de contribuer au développement économique de ce dernier, pourrait être établie à partir d’éléments autres qu’une telle condition (arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 77).

55

Parmi ces éléments, la Cour a indiqué que l’occupation d’un emploi par les parents de l’étudiant concerné, depuis une durée significative dans l’État membre dispensateur de l’aide sollicitée, pouvait être appropriée pour démontrer le degré réel de rattachement à la société ou au marché du travail de cet État (arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 78).

56

Dans l’affaire au principal, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a. (C‑20/12, EU:C:2013:411), premièrement, les bénéficiaires de l’aide financière sont non pas les travailleurs eux-mêmes, mais leurs enfants non-résidents au Luxembourg, cherchant à étudier indifféremment au Luxembourg ou dans un autre État quel qu’il soit, et, deuxièmement, le lien avec la société luxembourgeoise peut à cet égard apparaître avec moins de force s’agissant d’enfants de travailleurs frontaliers plutôt que d’enfants de travailleurs migrants résidant au Luxembourg.

57

Dans ces circonstances, il paraît légitime que l’État dispensateur de l’aide cherche à s’assurer que le travailleur frontalier présente effectivement un lien d’intégration avec la société luxembourgeoise en exigeant un rattachement suffisant pour lutter contre le risque de voir apparaître un « tourisme des bourses d’études », invoqué par les gouvernements ayant présenté des observations.

58

À cet égard, il convient d’admettre que la condition d’une durée de travail minimale au Luxembourg du parent travailleur frontalier, exigée par la loi modifiée du 22 juin 2000 pour que les enfants de travailleurs frontaliers puissent prétendre au bénéfice de l’aide financière de l’État pour études supérieures, est de nature à établir un tel rattachement de ces travailleurs avec la société luxembourgeoise ainsi qu’une probabilité raisonnable d’un retour de l’étudiant au Luxembourg, après que celui-ci a achevé ses études.

Sur le caractère nécessaire de la condition de durée de travail minimale et ininterrompue

59

Pour être conforme au droit de l’Union, la condition relative à la durée de travail minimale et ininterrompue au moment de la demande d’aide financière ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif recherché.

60

Au point 76 de l’arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a. (C‑20/12, EU:C:2013:411), la Cour a considéré que, en imposant une condition de résidence telle que celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, le Grand-Duché de Luxembourg avait privilégié un élément qui n’était pas nécessairement le seul élément représentatif du degré réel de rattachement de l’intéressé à cet État membre.

61

La Cour a ainsi indiqué qu’un rattachement suffisant de l’étudiant au Grand-Duché de Luxembourg, permettant de conclure à une probabilité raisonnable de le voir revenir s’installer dans cet État membre et se mettre à la disposition du marché du travail de celui-ci, peut découler également du fait que cet étudiant réside seul ou avec ses parents dans un État membre frontalier du Grand-Duché de Luxembourg et que, depuis une durée significative, ses parents travaillent au Luxembourg et vivent à proximité de ce dernier État membre (arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 78).

62

S’agissant des possibilités offertes au législateur luxembourgeois, la Cour a indiqué que, dans la mesure où l’aide octroyée est constituée, par exemple, par un prêt, un système de financement qui subordonnerait l’octroi de ce prêt, voire du solde de celui-ci, ou son non-remboursement, à la condition que l’étudiant qui en bénéficie revienne au Luxembourg après avoir achevé ses études à l’étranger, pour y travailler et y résider, pourrait permettre d’atteindre l’objectif poursuivi, sans léser les enfants de travailleurs transfrontaliers (arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, point 79).

63

En outre, afin d’éviter le risque de voir apparaître un « tourisme des bourses d’études » et de s’assurer que le travailleur frontalier présente des liens suffisants avec la société luxembourgeoise, la Cour a mentionné, au point 80 de l’arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a. (C‑20/12, EU:C:2013:411), la possibilité de subordonner l’octroi de l’aide financière à la condition que le travailleur frontalier, parent de l’étudiant ne résidant pas au Luxembourg, ait travaillé dans cet État membre pendant une période minimale déterminée.

64

À cet égard, le gouvernement luxembourgeois fait valoir que le législateur national a utilisé la possibilité qui lui a été offerte par le point 80 de l’arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a. (C‑20/12, EU:C:2013:411), en s’inspirant par analogie de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, qui fait référence aux conditions d’acquisition d’un droit de séjour permanent, formulées à l’article 16, paragraphe 1, de cette directive. Or, cette dernière disposition prévoit expressément l’acquisition du droit de séjour permanent par « [l]es citoyens de l’Union ayant séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire de l’État membre d’accueil ».

65

Cependant, ainsi que l’a indiqué M. l’avocat général aux points 83 à 85 de ses conclusions, l’analogie avec l’article 16, paragraphe 1, et l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, suggérée par le gouvernement luxembourgeois, n’est pas pertinente pour justifier l’exigence d’une période ininterrompue de travail de cinq ans imposée par la réglementation nationale en cause au principal.

66

En effet, l’article 16 de la directive 2004/38, qui prévoit une condition de durée minimale de résidence ininterrompue afin d’assurer l’octroi du droit de séjour permanent à des personnes installées durablement dans l’État membre d’accueil s’inscrit, ainsi que la Cour l’a d’ailleurs expressément souligné au point 80 de l’arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a. (C‑20/12, EU:C:2013:411), dans un autre contexte que celui de l’égalité de traitement entre travailleurs nationaux et travailleurs migrants. Par ailleurs, l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 précise expressément que la possibilité ouverte par cette disposition de refuser d’octroyer, avant l’acquisition du droit de séjour permanent, des aides d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d’études ou de prêts, s’applique uniquement à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non-salariés, les personnes qui gardent ce statut, et les membres de leur famille.

67

C’est donc uniquement afin d’illustrer de quelle manière le droit de l’Union permet, dans le contexte des citoyens de l’Union économiquement inactifs, d’éviter le risque de voir apparaître un « tourisme des bourses d’études » que la Cour s’est référée, au point 80 de l’arrêt du 20 juin 2013, Giersch e.a. (C‑20/12, EU:C:2013:411), à l’article 16, paragraphe 1, et à l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38.

68

Il convient de relever que, dans l’affaire au principal, le bénéfice de l’aide financière de l’État pour études supérieures a été refusé à M. Linares Verruga alors que ses parents ont travaillé au Luxembourg pendant une durée totale supérieure à cinq ans, avec seulement quelques brèves interruptions au cours des cinq années qui ont précédé la demande d’aide financière.

69

Une règle telle que celle prévue par la législation nationale en cause au principal, qui subordonne l’octroi aux étudiants non-résidents d’une aide financière pour études supérieures à la condition d’avoir un parent ayant travaillé au Luxembourg de manière ininterrompue pendant une durée minimale de cinq années au moment de la demande d’aide financière, sans permettre aux autorités compétentes d’octroyer cette aide lorsque, comme dans l’affaire au principal, les parents ont, nonobstant quelques brèves interruptions, travaillé au Luxembourg pendant une durée significative, en l’occurrence près de huit années, au cours de la période qui a précédé cette demande, comporte une restriction qui va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime visant à augmenter le nombre des diplômés de l’enseignement supérieur au sein de la population résidente, en ce que de telles interruptions ne sont pas de nature à rompre le lien de rattachement entre le demandeur de l’aide financière et le Grand-Duché de Luxembourg.

70

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la question posée que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’octroi d’une aide financière pour études supérieures aux étudiants non-résidents à la condition que l’un au moins des parents de ceux-ci ait travaillé dans cet État membre pendant une durée minimale et ininterrompue de cinq années au moment de la demande d’aide financière, mais ne prévoit pas une telle condition s’agissant des étudiants résidant sur le territoire dudit État membre, dans le but d’encourager l’augmentation de la proportion des résidents titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur.

Sur les dépens

71

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

 

L’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui subordonne l’octroi d’une aide financière pour études supérieures aux étudiants non-résidents à la condition que l’un au moins des parents de ceux-ci ait travaillé dans cet État membre pendant une durée minimale et ininterrompue de cinq années au moment de la demande d’aide financière, mais ne prévoit pas une telle condition s’agissant des étudiants résidant sur le territoire dudit État membre, dans le but d’encourager l’augmentation de la proportion des résidents titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur.

 

Ilešič

Prechal

Rosas

Toader

Jarašiūnas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 décembre 2016.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de la IIème chambre

M. Ilešič


( *1 ) Langue de procédure : le français.

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