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Document 62006CJ0319

Arrêt de la Cour (première chambre) du 19 juin 2008.
Commission des Communautés européennes contre Grand-Duché de Luxembourg.
Manquement d’État - Détachement de travailleurs - Libre prestation des services - Directive 96/71/CE - Dispositions d’ordre public - Repos hebdomadaire - Obligation de présentation des documents relatifs à un détachement sur simple demande des autorités nationales - Obligation de désigner un mandataire ad hoc résidant au Luxembourg et conservant tous les documents nécessaires aux fins des contrôles.
Affaire C-319/06.

European Court Reports 2008 I-04323

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2008:350

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

19 juin 2008 ( *1 )

«Manquement d’État — Détachement de travailleurs — Libre prestation des services — Directive 96/71/CE — Dispositions d’ordre public — Repos hebdomadaire — Obligation de présentation des documents relatifs à un détachement sur simple demande des autorités nationales — Obligation de désigner un mandataire ad hoc résidant au Luxembourg et conservant tous les documents nécessaires aux fins des contrôles»

Dans l’affaire C-319/06,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 20 juillet 2006,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J. Enegren et G. Rozet, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Grand-Duché de Luxembourg, représenté par M. C. Schiltz, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. A. Tizzano, A. Borg Barthet, M. Ilešič et E. Levits (rapporteur), juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 septembre 2007,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que:

en déclarant que les dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, points 1, 2, 8 et 11, de la loi du 20 décembre 2002 portant transposition de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et réglementation du contrôle de l’application du droit du travail (Mémorial A 2002, p. 3722, ci-après la «loi du 20 décembre 2002») constituent des dispositions de police relevant de l’ordre public national;

en ayant transposé de manière incomplète les dispositions de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1);

en énonçant, à l’article 7, paragraphe 1, de la loi du 20 décembre 2002, les conditions relatives à l’accès aux indications essentielles indispensables à un contrôle par les autorités nationales compétentes d’une manière manquant de la clarté nécessaire pour assurer la sécurité juridique des entreprises désirant détacher des travailleurs au Luxembourg, et

en imposant, à l’article 8 de cette loi, la conservation au Luxembourg, entre les mains d’un mandataire ad hoc y résidant, des documents nécessaires au contrôle,

le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3, paragraphes 1 et 10, de la directive 96/71, ainsi que des articles 49 CE et 50 CE.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2

Sous l’intitulé «Conditions de travail et d’emploi», l’article 3 de la directive 96/71 dispose:

«1.   Les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1er paragraphe 1 garantissent aux travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d’emploi concernant les matières visées ci-après qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées:

par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives

et/ou

par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d’application générale au sens du paragraphe 8, dans la mesure où elles concernent les activités visées en annexe:

a)

les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos;

b)

la durée minimale des congés annuels payés;

c)

les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires; le présent point ne s’applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels;

d)

les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire;

e)

la sécurité, la santé et l’hygiène au travail;

f)

les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes;

g)

l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non-discrimination.

Aux fins de la présente directive, la notion de taux de salaire minimal visée au second tiret point c) est définie par la législation et/ou la pratique nationale(s) de l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché.

[…]

10.   La présente directive ne fait pas obstacle à ce que les États membres, dans le respect du traité, imposent aux entreprises nationales et aux entreprises d’autres États, d’une façon égale:

des conditions de travail et d’emploi concernant des matières autres que celles visées au paragraphe 1, premier alinéa, dans la mesure où il s’agit de dispositions d’ordre public;

des conditions de travail et d’emploi fixées dans des conventions collectives ou sentences arbitrales au sens du paragraphe 8 et concernant des activités autres que celles visées à l’annexe.»

3

Lors de l’adoption de la directive 96/71, la déclaration no 10 relative à l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de cette directive (ci-après la «déclaration no 10») a été inscrite au procès-verbal du Conseil de l’Union européenne dans les termes suivants:

«Le Conseil et la Commission ont déclaré:

“Les mots ‘dispositions d’ordre public’ devraient être considérés comme couvrant celles des dispositions obligatoires à l’égard desquelles on ne peut pas déroger et qui, par leur nature et leur objectif, répondent aux exigences impératives de l’intérêt public. Ces dispositions peuvent inclure, en particulier, l’interdiction du travail forcé ou l’implication d’autorités publiques dans la surveillance du respect de la législation concernant les conditions de travail”.»

La réglementation luxembourgeoise

4

L’article 1er de la loi du 20 décembre 2002 dispose:

«(1)   Constituent des dispositions de police relevant de l’ordre public national, en ce qui concerne notamment les dispositions d’ordre conventionnel ou contractuel conformément aux termes de la loi du 27 mars 1986 portant approbation de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, et sont comme telles applicables à tous les travailleurs exerçant une activité sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, y compris ceux qui font l’objet d’un détachement temporaire, quelle que soit sa durée ou sa nature, toutes les dispositions légales, réglementaires, administratives, ainsi que celles résultant de conventions collectives déclarées d’obligation générale ou d’une décision d’arbitrage ayant un champ d’application similaire à celui des conventions collectives d’obligation générale, ayant trait:

1.

au contrat de travail écrit ou au document établi en vertu de la directive 91/533/CEE [du Conseil] du 14 octobre 1991 relative à l’obligation de l’employeur d’informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail [(JO L 288, p. 32)];

2.

au salaire social minimum et à l’adaptation automatique de la rémunération à l’évolution du coût de la vie;

3.

à la durée du travail et au repos hebdomadaire;

4.

au congé payé;

5.

aux congés collectifs;

6.

aux jours fériés légaux;

7.

à la réglementation du travail intérimaire et du prêt de main-d’œuvre;

8.

à la réglementation du travail à temps partiel et à durée déterminée;

9.

aux mesures de protection applicables aux conditions de travail et d’emploi des enfants et des jeunes, des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher;

10.

à la non-discrimination;

11.

aux conventions collectives de travail;

12.

à l’inactivité obligatoire conformément à la législation sur le chômage intempéries et le chômage technique;

13.

au travail clandestin ou illégal, y compris les dispositions concernant les autorisations de travail pour travailleurs non ressortissants d’un État membre de l’Espace économique européen;

14.

à la sécurité et la santé des travailleurs sur le lieu de travail en général et plus particulièrement aux prescriptions de prévention des accidents de l’Association d’assurance contre les accidents édictées conformément à l’article 154 du Code des assurances sociales et aux prescriptions minimales de sécurité et de santé établies par voie de règlement grand-ducal à prendre sur avis obligatoire du Conseil d’État et de l’assentiment de la Conférence des Présidents de la Chambre des Députés sur base de l’article 14 de la loi modifiée du 17 juin 1994 concernant la sécurité et la santé des travailleurs au travail.

(2)   Les dispositions du paragraphe premier du présent article s’appliquent aux travailleurs, quelle que soit leur nationalité, au service de toute entreprise, sans préjudice quant à la nationalité et au lieu juridique ou effectif du siège social de celle-ci.»

5

L’article 2 de la loi du 20 décembre 2002 énonce:

«(1)   Les dispositions de l’article premier de la présente loi s’appliquent également aux entreprises, à l’exception du personnel navigant de la marine marchande maritime, qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

(2)   On entend notamment par détachement, au sens du paragraphe (1) qui précède, les opérations suivantes effectuées par les entreprises concernées, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement:

1.

le détachement d’un travailleur, même pour une durée courte ou prédéterminée, pour le compte et sous la direction des entreprises, telles que visées au paragraphe (1) du présent article, sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, dans le cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services établi ou exerçant son activité au Luxembourg;

2.

le détachement, même pour une durée courte ou prédéterminée, d’un travailleur sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg dans un établissement appartenant à l’entreprise d’envoi ou dans une entreprise appartenant au groupe dont fait partie l’entreprise d’envoi;

3.

le détachement, sans préjudice de l’application de la loi du 19 mai 1994 portant réglementation du travail intérimaire et du prêt temporaire de main-d’œuvre, par une entreprise de travail intérimaire, ou dans le cadre d’un prêt de main-d’œuvre, d’un travailleur auprès d’une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, et ce même pour une durée courte ou prédéterminée.

(3)   On entend par travailleur détaché, tout travailleur travaillant habituellement à l’étranger et qui exécute son travail, pendant une période limitée, sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg.

(4)   La notion de relation de travail est déterminée conformément au droit luxembourgeois.»

6

L’article 7 de la loi du 20 décembre 2002 dispose:

«(1)   Aux fins de l’application de la présente loi, l’entreprise, y compris celle dont le siège est établi hors du territoire du Grand-Duché de Luxembourg ou qui effectue son travail habituellement hors du territoire luxembourgeois, dont un ou plusieurs travailleurs exercent une activité au Luxembourg, y compris ceux qui font l’objet d’un détachement temporaire conformément aux dispositions des articles 1 et 2 de la présente loi, doit, avant le commencement des travaux, rendre accessible à l’Inspection du travail et des mines, sur simple demande et dans le plus bref délai possible, les indications essentielles indispensables à un contrôle, et notamment:

les noms, prénoms, date et lieu de naissance, état civil, nationalité et profession des travailleurs;

la qualification exacte des travailleurs;

la qualité dans laquelle ils sont engagés dans l’entreprise et l’occupation à laquelle ils y sont régulièrement affectés;

le domicile et, le cas échéant, la résidence habituelle des travailleurs;

s’il y a lieu, l’autorisation de séjour ou le permis de travail;

le ou les lieux de travail au Luxembourg et la durée des travaux;

la copie du formulaire E 101, ou, le cas échéant, l’indication précise des organismes de sécurité sociale auxquels les travailleurs sont affiliés pendant leur séjour sur le territoire luxembourgeois;

la copie du contrat de travail ou du document établi en vertu de la directive 91/533/CEE du 14 octobre 1991, relative à l’obligation de l’employeur d’informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail.

(2)   Un règlement grand-ducal pourra préciser l’application du présent article.»

7

L’article 8 de cette même loi énonce:

«Toute entreprise généralement quelconque, établie et ayant son siège social à l’étranger, ou qui n’a pas d’établissement stable au Luxembourg au sens de la loi fiscale, dont un ou plusieurs travailleurs exercent, à quelque titre que ce soit, des activités au Luxembourg, est tenue de conserver au Luxembourg, entre les mains d’un mandataire ad hoc y résidant, les documents nécessaires au contrôle des obligations lui incombant en application de la présente loi, et notamment de l’article 7 qui précède.

Lesdits documents doivent être présentés dans le plus bref délai possible à l’Inspection du travail et des mines, sur simple demande de celle-ci. L’Inspection du travail et des mines est obligatoirement informée au préalable du lieu précis du dépôt des pièces, moyennant lettre recommandée à la poste avec accusé de réception, par les soins de l’entreprise ou de son mandataire visé à l’alinéa qui précède, au plus tard avant l’exercice de l’activité salariée envisagée.»

La procédure précontentieuse

8

Par une lettre de mise en demeure du 1er avril 2004, la Commission a indiqué aux autorités luxembourgeoises que la loi du 20 décembre 2002 était susceptible d’être en contradiction avec le droit communautaire. En particulier, cette loi:

imposerait aux entreprises établies dans un autre État membre et détachant des travailleurs au Luxembourg le respect de conditions de travail et d’emploi allant au-delà des prescriptions de l’article 3, paragraphes 1 et 10, de la directive 96/71;

ne garantirait aux travailleurs détachés, mis à part le repos hebdomadaire, le respect d’aucune autre période de repos (repos journalier);

manquerait de la clarté nécessaire pour assurer la sécurité juridique en obligeant les entreprises détachant des travailleurs au Luxembourg de rendre accessible à l’Inspection du travail et des mines avant le commencement des travaux, sur simple demande et dans le plus bref délai possible, les indications essentielles indispensables à un contrôle, et

restreindrait la libre prestation des services en exigeant des entreprises ayant leur siège social en dehors du territoire du Grand-Duché de Luxembourg ou n’y ayant pas d’établissement stable de conserver entre les mains d’un mandataire ad hoc résidant dans cet État membre les documents nécessaires au contrôle.

9

Dans sa réponse du 30 août 2004, le Grand-Duché de Luxembourg a fait valoir que les conditions de travail et d’emploi faisant l’objet du premier grief invoqué dans cette lettre de mise en demeure relevaient de «dispositions d’ordre public», telles que prévues à l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de la directive 96/71.

10

Il a reconnu le bien-fondé du deuxième grief invoqué dans ladite lettre de mise en demeure.

11

S’agissant des troisième et quatrième griefs figurant dans cette même lettre, cet État membre a indiqué, d’une part, que l’article 7 de la loi du 20 décembre 2002 n’imposait pas de déclaration préalable et, d’autre part, que l’obligation de communiquer à l’Inspection du travail et des mines le nom d’un dépositaire conservant les documents requis par la loi était une exigence non discriminatoire, indispensable à la conduite des contrôles exercés par cette administration.

12

N’étant pas satisfaite par ces réponses, la Commission a réitéré ses griefs dans un avis motivé du 12 octobre 2005 invitant le Grand-Duché de Luxembourg à se conformer à ses obligations dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis.

13

Après avoir sollicité un délai supplémentaire de six semaines, le Grand-Duché de Luxembourg n’a pas jugé nécessaire de répondre audit avis motivé.

14

Par conséquent, la Commission a introduit, en vertu de l’article 226 CE, le présent recours en manquement.

Sur le recours

Sur le premier grief, tiré d’une transposition incorrecte de l’article 3, paragraphes 1 et 10, de la directive 96/71

Argumentation des parties

15

Par son premier grief, la Commission fait valoir que le Grand-Duché de Luxembourg a transposé de manière incorrecte l’article 3, paragraphes 1 et 10, de la directive 96/71.

16

La Commission considère, plus particulièrement, que, en qualifiant à tort les dispositions nationales ayant trait aux domaines visés par les prescriptions litigieuses de dispositions de police relevant de l’ordre public national, et donc en imposant le respect de celles-ci par les entreprises qui détachent des travailleurs sur son territoire, le Grand-Duché de Luxembourg met à la charge de ces entreprises des obligations qui vont au-delà de ce que prévoit la directive 96/71. Selon cette institution, la notion d’ordre public figurant à l’article 3, paragraphe 10, de cette directive ne saurait être déterminée unilatéralement par chaque État membre, ce dernier n’étant pas libre d’imposer unilatéralement toutes les dispositions obligatoires de son droit du travail aux prestataires de services établis dans un autre État membre.

17

Premièrement, constituerait une telle obligation celle prévue à l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la loi du 20 décembre 2002 de ne détacher que le personnel lié à l’entreprise par un contrat de travail écrit ou un autre document réputé analogue aux termes de la directive 91/533.

18

À cet égard, la Commission rappelle que, en tout état de cause, le contrôle du respect des dispositions de la directive 91/533 incombe aux autorités de l’État membre d’établissement de l’entreprise concernée ayant transposé cette directive et non, dans le cas d’un détachement, à l’État membre d’accueil.

19

Deuxièmement, s’agissant de l’adaptation automatique de la rémunération à l’évolution du coût de la vie, prévue à l’article 1er, paragraphe 1, point 2, de la loi du 20 décembre 2002, la Commission soutient que la législation luxembourgeoise est en contradiction avec la directive 96/71 qui ne prévoit une réglementation par l’État membre d’accueil des taux de salaire qu’en ce qui concerne les salaires minimaux.

20

Troisièmement, s’agissant du respect de la réglementation du travail à temps partiel et à durée déterminée prévue à l’article 1er, paragraphe 1, point 8, de la loi du 20 décembre 2002, la Commission fait valoir que, en vertu de la directive 96/71, il n’appartient pas à l’État membre d’accueil d’imposer sa réglementation en matière de travail à temps partiel et à durée déterminée aux entreprises qui détachent des travailleurs sur son territoire.

21

Quatrièmement, s’agissant de l’obligation de respecter des conventions collectives de travail, prévue à l’article 1er, paragraphe 1, point 11, de la loi du 20 décembre 2002, la Commission fait valoir que ne sauraient constituer des dispositions de police relevant de l’ordre public national des actes relevant d’une catégorie d’actes en tant que telle, indépendamment de leur contenu matériel.

22

Le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir que les prescriptions visées par le premier grief de la Commission se rapportent toutes à des dispositions de police relevant de l’ordre public national au sens de l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de la directive 96/71. À cet égard, il soutient, d’une part, que la déclaration no 10 ne saurait avoir une quelconque valeur juridique contraignante et, d’autre part, que la notion de dispositions d’ordre public comprend toutes les dispositions répondant, de l’avis de l’État d’accueil, à des exigences impératives de l’intérêt public. En outre, le Grand-Duché de Luxembourg se réfère à la procédure législative ayant abouti à l’adoption de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO L 376, p. 36).

Appréciation de la Cour

— Observations préliminaires

23

À titre liminaire, pour répondre à l’argument principal présenté en défense par le Grand-Duché de Luxembourg, il y a lieu de souligner que, selon son article 3, paragraphe 1, sous a), la directive 2006/123 n’a pas vocation à remplacer la directive 96/71, cette dernière prévalant, en cas de conflit, sur la première. Partant, cet État membre ne saurait se fonder sur la procédure législative ayant abouti à l’adoption de la directive 2006/123 pour soutenir l’interprétation d’une disposition de la directive 96/71 qu’il défend.

24

Il résulte du treizième considérant de la directive 96/71 que les législations des États membres doivent être coordonnées de manière à prévoir un noyau de règles impératives de protection minimale que doivent observer, dans l’État d’accueil, les employeurs qui détachent des travailleurs (voir arrêt du 18 décembre 2007, Laval un Partneri, C-341/05, Rec. p. I-11767, point 59).

25

Ainsi, l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive prévoit que les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises établies dans un autre État membre, qui détachent des travailleurs sur leur propre territoire dans le cadre d’une prestation de services transnationale, garantissent aux travailleurs détachés les conditions de travail et d’emploi, concernant les matières visées par le même article, qui sont fixées dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté (arrêt du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C-490/04, Rec. p. I-6095, point 18).

26

Pour ce faire, cette disposition énonce limitativement les matières dans lesquelles les États membres peuvent faire prévaloir les règles en vigueur dans l’État membre d’accueil.

27

L’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de la directive 96/71 reconnaît néanmoins aux États membres la possibilité, dans le respect du traité CE, d’imposer de manière non discriminatoire, aux entreprises qui détachent des travailleurs sur leur territoire, des conditions de travail et d’emploi concernant des matières autres que celles visées au paragraphe 1, premier alinéa, de cet article, dans la mesure où il s’agit de dispositions d’ordre public.

28

Ainsi qu’il résulte de l’article 1er, paragraphe 1, de la loi du 20 décembre 2002, qui énonce que constituent des dispositions de police relevant de l’ordre public national les dispositions visées aux points 1 à 14 de ce paragraphe, le Grand-Duché de Luxembourg a entendu se prévaloir de l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de ladite directive.

29

À cet égard, il convient de rappeler que la qualification de dispositions nationales de lois de police et de sûreté par un État membre vise les dispositions dont l’observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique de l’État membre concerné, au point d’en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national de cet État membre ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci (arrêt du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C-369/96 et C-376/96, Rec. p. I-8453, point 30).

30

Dès lors, contrairement à ce que soutient le Grand-Duché de Luxembourg, l’exception d’ordre public constitue une dérogation au principe fondamental de la libre prestation des services, devant être entendue strictement et dont la portée ne saurait être déterminée unilatéralement par les États membres (voir, s’agissant de la libre circulation des personnes, arrêt du 31 janvier 2006, Commission/Espagne, C-503/03, Rec. p. I-1097, point 45).

31

Dans le contexte de la directive 96/71, l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de celle-ci constitue une dérogation au principe selon lequel les matières dans lesquelles l’État membre d’accueil peut imposer sa législation aux entreprises qui détachent des travailleurs sur son territoire sont limitativement énoncées à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive. Cette première disposition doit, par conséquent, faire l’objet d’une interprétation stricte.

32

Au demeurant, la déclaration no 10, au sujet de laquelle Mme l’avocat général a, à juste titre, relevé au point 45 de ses conclusions qu’elle est susceptible d’être invoquée à l’appui d’une interprétation de l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de la directive 96/71, énonce que les mots «dispositions d’ordre public» devraient être considérés comme couvrant celles des dispositions obligatoires à l’égard desquelles il ne peut être dérogé et qui, par leur nature et leur objectif, répondent aux exigences impératives de l’intérêt public.

33

En tout état de cause, cette disposition de la directive 96/71 prévoit qu’une invocation de la possibilité qu’elle énonce n’exonère pas les États membres de respecter les obligations qui leur incombent en vertu du traité, et en particulier celles relatives à la libre prestation des services, dont la promotion est soulignée au cinquième considérant de cette directive.

34

C’est au regard de ces considérations qu’il convient d’examiner les prescriptions de l’article 1er, paragraphe 1, de la loi du 20 décembre 2002, dont la Commission conteste la qualification de dispositions de police relevant de l’ordre public national.

— En ce qui concerne la prescription relative au contrat écrit ou au document établi en vertu de la directive 91/533, prévue à l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la loi du 20 décembre 2002

35

À titre liminaire, il y a lieu de souligner que cette prescription relève d’une matière qui n’est pas mentionnée sur la liste figurant à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71.

36

Le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir, d’une part, que la prescription contestée n’est qu’un rappel de la condition visée aux articles 2 et 3 de la directive 91/533 et, d’autre part, qu’elle relève de l’ordre public en tant qu’elle a pour objectif la protection des travailleurs.

37

Ainsi que le souligne le deuxième considérant de la directive 91/533, la nécessité de soumettre les relations de travail à des exigences de forme est primordiale en vue de mieux protéger les travailleurs salariés contre une éventuelle méconnaissance de leurs droits et d’offrir une plus grande transparence sur le marché du travail.

38

Toutefois, il résulte également de l’article 9, paragraphe 1, de ladite directive que les États membres adoptent les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à cette même directive.

39

Par conséquent, tous les employeurs, y compris ceux procédant à un détachement de travailleurs, ainsi que le prévoit l’article 4, paragraphe 1, de la directive 91/533, sont soumis, en vertu de la législation de l’État membre dans lequel ils sont établis, aux obligations prévues par cette directive.

40

Force est donc de constater que le respect de l’exigence prévue à l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la loi du 20 décembre 2002 est garanti par l’État membre dont sont originaires les travailleurs détachés.

41

Dès lors, la disposition contestée a pour effet de soumettre les entreprises qui détachent des travailleurs au Luxembourg à une obligation à laquelle elles sont déjà soumises dans l’État membre dans lequel elles sont établies. Au demeurant, l’objectif de la directive 96/71, consistant à garantir le respect d’un noyau minimal de règles de protection des travailleurs, rend d’autant plus superflue l’existence d’une telle obligation supplémentaire qui, eu égard aux procédures qu’elle implique, est susceptible de dissuader les entreprises établies dans un autre État membre d’exercer leur liberté de prestation des services.

42

Or, s’il est de jurisprudence constante que le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que les États membres étendent leur législation ou les conventions collectives de travail conclues par les partenaires sociaux à toute personne effectuant un travail salarié, même de caractère temporaire, quel que soit l’État membre d’établissement de l’employeur, il n’en demeure pas moins qu’une telle faculté est subordonnée à la condition que les travailleurs concernés, qui exécutent temporairement des travaux dans l’État membre d’accueil, ne jouissent pas déjà de la même protection, ou d’une protection essentiellement comparable, en vertu des obligations auxquelles leur employeur est déjà soumis dans l’État membre dans lequel il est établi (voir, en sens, arrêt du 21 octobre 2004, Commission/Luxembourg, C-445/03, Rec. p. I-10191, point 29 et jurisprudence citée).

43

En particulier, il a déjà été jugé que la libre prestation des services, en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général et s’appliquant à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l’État membre d’accueil, dans la mesure où cet intérêt n’est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi (voir arrêts Arblade e.a., précité, point 34, ainsi que du 25 octobre 2001, Finalarte e.a., C-49/98, C-50/98, C-52/98 à C-54/98 et C-68/98 à C-71/98, Rec. p. I-7831, point 31).

44

Tel étant le cas s’agissant de la protection des travailleurs garantie par la directive 91/533 et invoquée par le Grand-Duché de Luxembourg, il convient de constater que l’exigence prévue à l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la loi du 20 décembre 2002 n’est pas conforme à l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de la directive 96/71, dans la mesure où elle n’est pas imposée dans le respect du traité.

— En ce qui concerne la prescription relative à l’adaptation automatique de la rémunération à l’évolution du coût de la vie prévue à l’article 1er, paragraphe 1, point 2, de la loi du 20 décembre 2002

45

Il ressort du recours introduit par la Commission que cette dernière conteste non pas le fait que les salaires minimaux sont indexés sur le coût de la vie, une telle prescription relevant incontestablement, ainsi que le fait remarquer le Grand-Duché de Luxembourg, de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71, mais la circonstance que cette indexation concerne l’ensemble des rémunérations, y compris les salaires qui ne relèvent pas de la catégorie des salaires minimaux.

46

Le Grand-Duché de Luxembourg fait toutefois valoir que cette disposition de la directive 96/71 permettrait implicitement à l’État membre d’accueil d’imposer son système de fixation de l’ensemble des salaires aux entreprises effectuant un détachement sur son territoire.

47

À cet égard, il convient de souligner que le législateur communautaire a, au travers de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 96/71, entendu limiter la faculté d’intervention des États membres, en ce qui concerne les salaires, aux taux de salaire minimal. Il en résulte que la prescription de la loi du 20 décembre 2002 relative à l’adaptation automatique des salaires, autres que les salaires minimaux, à l’évolution du coût de la vie ne relève pas des matières visées à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71.

48

Le Grand-Duché de Luxembourg soutient, néanmoins, que l’article 1er, paragraphe 1, point 2, de la loi du 20 décembre 2002 vise à garantir la paix sociale au Luxembourg et que, à ce titre, il constitue un impératif d’ordre public, au sens de l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de la directive 96/71, en protégeant les travailleurs contre les effets de l’inflation.

49

À cet égard, il convient de rappeler que cette disposition de la directive 96/71 ouvre la possibilité à l’État membre d’accueil d’imposer aux entreprises effectuant un détachement sur son territoire des conditions de travail et d’emploi concernant des matières autres que celles visées à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71, sous réserve qu’il s’agisse de dispositions d’ordre public. Dès lors, cette réserve, prévue à l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de la directive 96/71, constitue une exception au système mis en place par cette directive ainsi qu’une dérogation au principe fondamental de la libre prestation des services sur lequel se fonde ladite directive et doit faire l’objet d’une interprétation stricte.

50

Ainsi, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser que, si les États membres restent, pour l’essentiel, libres de déterminer, conformément à leurs besoins nationaux, les exigences de l’ordre public, cependant, dans le contexte communautaire et, notamment, en tant que justification d’une dérogation au principe fondamental de la libre prestation des services, cette notion doit être entendue strictement, de sorte que sa portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de la Communauté européenne (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2004, Omega, C-36/02, Rec. p. I-9609, point 30). Il en découle que l’ordre public ne peut être invoqué qu’en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société (voir arrêt du 14 mars 2000, Église de scientologie, C-54/99, Rec. p. I-1335, point 17).

51

Il importe de rappeler que les raisons susceptibles d’être invoquées par un État membre afin de justifier une dérogation au principe de la libre prestation des services doivent être accompagnées d’une analyse de l’opportunité et de la proportionnalité de la mesure restrictive adoptée par cet État, ainsi que des éléments précis permettant d’étayer son argumentation (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2007, Commission/Belgique, C-254/05, Rec. p. I-4269, point 36 et jurisprudence citée).

52

Dès lors, afin de permettre à la Cour d’apprécier si les mesures en cause sont nécessaires et proportionnées par rapport à l’objectif de sauvegarde de l’ordre public, le Grand-Duché de Luxembourg aurait dû présenter des éléments permettant d’établir si et dans quelle mesure l’application aux travailleurs détachés au Luxembourg de la prescription relative à l’adaptation automatique des salaires à l’évolution du coût de la vie est susceptible de contribuer à la réalisation de cet objectif.

53

En l’occurrence, force est toutefois de constater que le Grand-Duché de Luxembourg s’est borné à invoquer d’une manière générale les objectifs de protection du pouvoir d’achat des travailleurs et de paix sociale sans avancer aucun élément permettant d’évaluer la nécessité et la proportionnalité des mesures adoptées.

54

Par conséquent, le Grand-Duché de Luxembourg n’a pas démontré à suffisance de droit que l’article 1er, paragraphe 1, point 2, de la loi du 20 décembre 2002 relève de dispositions d’ordre public, au sens de l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de la directive 96/71.

55

Partant, cet État membre ne saurait se prévaloir de l’exception d’ordre public visée à l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de la directive 96/71 pour imposer aux entreprises effectuant un détachement sur son territoire la prescription relative à l’adaptation automatique des salaires autres que les salaires minimaux à l’évolution du coût de la vie.

— En ce qui concerne la prescription relative à la réglementation du travail à temps partiel et à durée déterminée prévue à l’article 1er, paragraphe 1, point 8, de la loi du 20 décembre 2002

56

Le Grand-Duché de Luxembourg soutient qu’une telle disposition vise à assurer la protection des travailleurs en garantissant le principe de l’égalité de traitement et des rémunérations entre les travailleurs à temps plein et ceux exerçant à temps partiel, tel que consacré par les directives 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES (JO L 14, p. 9), et 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO L 175, p. 43).

57

Il y a lieu de souligner que la prescription susvisée relève d’une matière qui n’est pas mentionnée sur la liste figurant à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71.

58

Il n’est pas contesté que les obligations qu’entraîne l’article 1er, paragraphe 1, point 8, de la loi du 20 décembre 2002 sont susceptibles, eu égard aux contraintes qui les accompagnent, d’entraver l’exercice par des entreprises désirant détacher des travailleurs au Luxembourg de leur liberté de prestation des services.

59

À cet égard, force est de constater que, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, des directives 97/81 et 1999/70, il appartenait aux États membres de mettre en œuvre les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à ces directives.

60

Partant, dès lors que le respect de l’exigence prévue par la disposition nationale litigieuse fait l’objet d’un contrôle dans l’État membre dans lequel l’entreprise désirant détacher des travailleurs au Luxembourg est établie, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 41 à 43 du présent arrêt, le Grand-Duché de Luxembourg ne saurait invoquer l’exception d’ordre public tirée de l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de la directive 96/71 pour justifier la prescription nationale litigieuse.

61

Il en résulte que l’article 1er, paragraphe 1, point 8, de la loi du 20 décembre 2002 n’est pas conforme à l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de la directive 96/71.

— En ce qui concerne la prescription relative aux dispositions impératives de droit national en matière de conventions collectives de travail figurant à l’article 1er, paragraphe 1, point 11, de la loi du 20 décembre 2002

62

L’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 96/71 définit les instruments par lesquels sont fixées les conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil concernant les matières visées à ce même paragraphe, sous a) à g), et qui sont garanties aux travailleurs détachés. Le second tiret de cette disposition vise en particulier les conventions collectives déclarées d’application générale.

63

À l’instar de cette disposition, l’article 1er, paragraphe 1, de la loi du 20 décembre 2002 énonce que constituent des dispositions de police relevant de l’ordre public national les dispositions résultant, notamment, de conventions collectives déclarées d’obligation générale ayant trait aux matières visées à ses points 1 à 14. À son point 11, sont mentionnées les dispositions ayant trait aux conventions collectives de travail.

64

Une telle disposition ne saurait, toutefois, constituer une exception d’ordre public au sens de l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de la directive 96/71.

65

Premièrement, rien ne justifie que les dispositions ayant trait aux conventions collectives de travail, à savoir celles qui en encadrent l’élaboration et la mise en œuvre, puissent, per se et sans autre précision, relever de la notion d’ordre public.

66

Un tel constat s’impose, deuxièmement, s’agissant des dispositions mêmes de ces conventions collectives qui ne sauraient non plus relever d’une telle notion, dans leur ensemble et au simple motif qu’elles émanent de ce type d’actes.

67

Troisièmement, le Grand-Duché de Luxembourg ne saurait soutenir la thèse selon laquelle l’article 1er, paragraphe 1, point 11, de la loi du 20 décembre 2002, concrétise in fine la permission accordée aux États membres au titre de l’article 3, paragraphe 10, second tiret, de la directive 96/71. En effet, cette disposition se rapporte exclusivement aux conditions de travail et d’emploi fixées par des conventions collectives déclarées d’application générale. Or, tel n’est pas le cas dudit article 1er, paragraphe 1, point 11, qui vise expressément, et par opposition à la phrase introductive de ce même article 1er, les simples conventions collectives de travail.

68

Dès lors, l’article 1er, paragraphe 1, point 11, de la loi du 20 décembre 2002 n’est pas conforme à l’article 3, paragraphe 10, premier tiret, de la directive 96/71.

69

Par conséquent, il résulte de ce qui précède que le premier grief invoqué par la Commission est fondé.

Sur le deuxième grief, tiré d’une transposition incomplète de l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 96/71 relatif au respect des périodes maximales de travail et des périodes minimales de repos

Argumentation des parties

70

Par son deuxième grief, la Commission reproche au Grand-Duché de Luxembourg une transposition incomplète de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 96/71 relatif au respect des périodes maximales de travail et des périodes minimales de repos.

71

Le Grand-Duché de Luxembourg a reconnu le bien-fondé de ce grief et a indiqué qu’il a adopté l’article 4 de la loi du 19 mai 2006 modifiant la loi du 20 décembre 2002 (Mémorial A 2006, p. 1806) afin de mettre en conformité la législation nationale avec les dispositions communautaires pertinentes.

Appréciation de la Cour

72

Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 14 septembre 2004, Commission/Espagne, C-168/03, Rec. p. I-8227, point 24; du 14 juillet 2005, Commission/Allemagne, C-433/03, Rec. p. I-6985, point 32, et du 27 septembre 2007, Commission/Luxembourg, C-354/06, point 7).

73

Or, en l’espèce, il n’est pas contesté que, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, le Grand-Duché de Luxembourg n’avait pas adopté les mesures nécessaires pour assurer la transposition complète de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 96/71, dans son ordre juridique national.

74

Par conséquent, le deuxième grief invoqué par la Commission est fondé.

Sur le troisième grief, tiré d’une violation de l’article 49 CE en raison de l’absence de clarté des modalités de contrôle prévues à l’article 7, paragraphe 1, de la loi du 20 décembre 2002

Argumentation des parties

75

Par son troisième grief, la Commission fait valoir que, en raison de son manque de clarté, l’article 7, paragraphe 1, de la loi du 20 décembre 2002 serait susceptible d’entraîner, pour les entreprises désirant détacher des travailleurs au Luxembourg, une insécurité juridique. Ainsi, l’obligation pour toute entreprise de rendre accessible à l’Inspection du travail et des mines avant le commencement des travaux, sur simple demande et dans le plus bref délai possible, les indications essentielles indispensables à un contrôle s’apparenterait, dans le cas d’un détachement, à une procédure de déclaration préalable incompatible avec l’article 49 CE. Toutefois, si tel ne devait pas être le cas, il conviendrait, néanmoins, de modifier le texte de la disposition litigieuse pour écarter toute ambiguïté juridique.

76

Le Grand-Duché de Luxembourg considère que le texte de l’article 7, paragraphe 1, de la loi du 20 décembre 2002 est suffisamment clair et que, en tout état de cause, il n’impose aucune obligation de déclaration préalable. À cet égard, il considère que la mise à disposition des indications indispensables à un contrôle «avant le commencement des travaux» signifie que lesdites informations peuvent être communiquées le jour du commencement de ces derniers.

Appréciation de la Cour

77

Premièrement, il convient de constater que, la loi du 20 décembre 2002 ne prévoyant aucune autre communication d’informations entre l’entreprise qui détache des travailleurs et l’Inspection du travail et des mines, il est difficile de concevoir par quel moyen cette dernière serait susceptible d’exiger des indications de cette entreprise avant le commencement des travaux, dans la mesure où elle ne saurait avoir connaissance de la présence de ladite entreprise sur le territoire luxembourgeois sans que celle-ci ait au préalable annoncé d’une quelconque manière sa venue. Dès lors, se pose, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 76 de ses conclusions, la question du rôle attribué à l’entreprise désirant détacher des travailleurs, rôle nécessairement préalable à toute demande d’informations émanant de l’Inspection du travail et des mines et qui, en tout état de cause, n’est pas défini par la loi du 20 décembre 2002.

78

À ce titre, l’interprétation de l’expression «avant le commencement des travaux» figurant à l’article 7, paragraphe 1, de ladite loi, retenue par le Grand-Duché de Luxembourg, ne saurait être pertinente. En effet, il est évident qu’une telle expression signifie non seulement que les informations doivent être fournies le jour même du commencement des travaux, mais qu’elle permet également de prendre en considération une période plus ou moins longue, précédant ce jour.

79

Deuxièmement, et ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 74 de ses conclusions, il résulte des dispositions de la loi du 4 avril 1974 portant réorganisation de l’Inspection du travail et des mines (Mémorial A 1974, p. 486), à laquelle il est fait référence à l’article 9, paragraphe 2, de la loi du 20 décembre 2002 pour la définition du pouvoir de contrôle de cette administration, et en particulier des articles 13 à 17 de cette loi du 4 avril 1974, que l’Inspection du travail et des mines peut ordonner l’arrêt immédiat des activités du travailleur détaché si l’employeur de ce dernier ne se conforme pas à l’injonction de fournir des informations qui lui est adressée. Par ailleurs, l’article 28 de ladite loi prévoit que l’inobservation de cette obligation est susceptible d’entraîner des poursuites pénales à l’encontre de l’entreprise concernée.

80

Eu égard à ces éléments, il convient de souligner que la procédure de déclaration préalable que doit suivre une entreprise souhaitant effectuer un détachement sur le territoire luxembourgeois n’est pas dénuée d’ambiguïtés.

81

Or, ces ambiguïtés qui caractérisent l’article 7, paragraphe 1, de la loi du 20 décembre 2002 sont susceptibles de dissuader les entreprises désirant détacher des travailleurs au Luxembourg d’exercer leur liberté de prestation de services. En effet, d’une part, l’étendue des droits et des obligations de ces entreprises ne résulte pas précisément de cette disposition. D’autre part, les entreprises n’ayant pas observé les obligations prévues par ladite disposition encourent des sanctions non négligeables.

82

Par conséquent, l’article 7, paragraphe 1, de la loi du 20 décembre 2002 étant, de par son manque de clarté et en raison des ambiguïtés qu’il comporte, incompatible avec l’article 49 CE, le troisième grief invoqué par la Commission est fondé.

Sur le quatrième grief, tiré d’une violation de l’article 49 CE en raison de l’obligation, pour les entreprises concernées, de désigner un mandataire ad hoc résidant au Luxembourg aux fins de la conservation des documents nécessaires aux contrôles exercés par les autorités nationales compétentes

Argumentation des parties

83

Par son quatrième grief, la Commission considère que, en obligeant les entreprises ayant leur siège social en dehors du territoire luxembourgeois et qui détachent des travailleurs sur ce dernier, à déposer, avant le début du détachement, auprès d’un mandataire ad hoc résidant au Luxembourg, les documents nécessaires au contrôle des obligations leur incombant en application de la loi du 20 décembre 2002 et de les y laisser pendant une période indéterminée suivant la fin de la prestation, l’article 8 de cette loi constitue une restriction à la libre prestation des services. En effet, le système de coopération et d’échange d’informations prévu à l’article 4 de la directive 96/71 rendrait superflue une telle obligation.

84

Le Grand-Duché de Luxembourg indique, tout d’abord, que le mécanisme de coopération auquel se réfère la Commission ne permet pas aux autorités administratives compétentes d’effectuer des contrôles ordinaires avec l’efficacité requise. Ensuite, il précise que la disposition nationale contestée n’exige aucune forme juridique spécifique quant à la fonction de mandataire. Enfin, hormis le dépôt des documents nécessaires au contrôle auprès d’un mandataire pendant une période faisant suite au détachement, le dépôt de ces derniers ne serait requis que le jour même du commencement de la prestation concernée.

Appréciation de la Cour

85

Il n’est pas contesté que l’obligation prévue à l’article 8 de la loi du 20 décembre 2002 entraîne des charges administratives et financières supplémentaires pour les entreprises établies dans un autre État membre, de sorte que ces dernières ne se trouvent pas sur un pied d’égalité, du point de vue de la concurrence, avec les employeurs établis dans l’État membre d’accueil et qu’elles peuvent être dissuadées de fournir des prestations dans ce dernier État membre.

86

En effet, d’une part, la disposition contestée impose que le mandataire auprès duquel les documents requis sont déposés réside au Luxembourg.

87

D’autre part, ladite disposition établit une obligation de conservation des documents relatifs, notamment, aux indications visées à l’article 7 de la loi du 20 décembre 2002, sans toutefois définir la période durant laquelle ces documents doivent être conservés et sans préciser si une telle obligation concerne seulement la période suivant la fourniture de la prestation ou également une période antérieure au commencement de la prestation.

88

Le Grand-Duché de Luxembourg avance, pour justifier une telle restriction à la libre prestation des services, la nécessité de permettre un contrôle effectif par l’Inspection du travail et des mines du respect de la législation du travail.

89

À cet égard, la Cour a jugé que la protection efficace des travailleurs peut exiger que certains documents soient tenus à disposition sur le lieu de la prestation ou, au moins, en un lieu accessible et clairement identifié du territoire de l’État membre d’accueil pour les autorités de cet État chargées d’effectuer les contrôles (voir, en ce sens, arrêt Arblade e.a., précité, point 61).

90

La Cour a toutefois ajouté, au point 76 de l’arrêt Arblade e.a., précité, s’agissant de l’obligation de tenir à disposition et de conserver certains documents au domicile d’une personne physique domiciliée dans l’État membre d’accueil, qui les tient en tant que mandataire ou préposé de l’employeur qui l’a désignée, même après que l’employeur a cessé d’occuper des travailleurs dans cet État, qu’il ne suffit pas, pour justifier une telle restriction à la libre prestation des services, que la présence de tels documents sur le territoire de l’État membre d’accueil soit de nature à faciliter en général l’accomplissement de la mission de contrôle des autorités de cet État. Il faut également que ces autorités ne soient pas en mesure d’exécuter leur mission de contrôle de manière efficace sans que cette entreprise dispose, dans cet État membre, d’un mandataire ou d’un préposé qui conserve lesdits documents. À cet égard, la Cour a jugé qu’une obligation de conservation des documents auprès d’une personne physique domiciliée sur le territoire de l’État membre d’accueil ne saurait être justifiée (voir arrêt Arblade e.a., précité, point 77).

91

En l’occurrence, le Grand-Duché de Luxembourg n’a avancé aucun élément concret au soutien de la thèse selon laquelle seule la conservation des documents en question par un mandataire résidant au Luxembourg permettrait auxdites autorités d’effectuer les contrôles qui leur incombent. En tout état de cause, la désignation d’un travailleur présent sur le lieu de la prestation de services afin que soient mis à la disposition des autorités nationales compétentes les documents nécessaires au contrôle constituerait une mesure moins restrictive de la libre prestation des services et tout aussi efficace que l’obligation contestée.

92

Au demeurant, il convient de rappeler que la Cour a souligné, au point 79 de l’arrêt Arblade e.a., précité, que le système organisé de coopération ou d’échange d’informations entre États membres prévu à l’article 4 de la directive 96/71 rend superflue la conservation de ces documents dans l’État membre d’accueil après que l’employeur a cessé d’y employer des travailleurs.

93

Par conséquent, le Grand-Duché de Luxembourg ne saurait exiger des entreprises qui détachent des travailleurs qu’elles fassent le nécessaire pour conserver lesdits documents sur le territoire luxembourgeois à l’issue de la fourniture de la prestation de services.

94

Dès lors, il ne saurait non plus être exigé que ces mêmes documents soient conservés par un mandataire résidant au Luxembourg, dans la mesure où, l’entreprise concernée étant présente physiquement sur le territoire luxembourgeois durant l’exécution de la prestation de services, les documents en question peuvent être conservés entre les mains d’un travailleur détaché.

95

Enfin, il y a lieu de souligner que, si l’article 8, paragraphe 2, de la loi du 20 décembre 2002 ne prévoit pas explicitement une obligation de conservation des documents nécessaires au contrôle, au Luxembourg, avant le début des travaux, cette disposition précise que l’identité du mandataire doit être communiquée aux autorités compétentes au plus tard avant l’exercice de l’activité salariée envisagée. Dès lors, l’interprétation défendue par le Grand-Duché de Luxembourg, selon laquelle ces documents ne devraient être disponibles que le jour du commencement des travaux ne trouve pas de fondement dans la disposition litigieuse. En tout état de cause, une telle obligation de conservation desdits documents antérieurement au commencement des travaux constituerait une entrave à la libre prestation des services qu’il appartiendrait au Grand-Duché de Luxembourg de justifier par d’autres arguments que de simples doutes quant à l’efficacité du système organisé de coopération ou d’échange d’informations entre États membres prévu à l’article 4 de la directive 96/71.

96

Il résulte de ce qui précède que, l’article 8 de la loi du 20 décembre 2002 étant incompatible avec l’article 49 CE, il convient d’accueillir l’ensemble du recours.

97

Par conséquent, il convient de constater que:

en déclarant que les dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, points 1, 2, 8 et 11, de la loi du 20 décembre 2002 constituent des dispositions de police relevant de l’ordre public national;

en ayant transposé de manière incomplète les dispositions de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 96/71;

en énonçant, à l’article 7, paragraphe 1, de la loi du 20 décembre 2002, les conditions relatives à l’accès aux indications essentielles indispensables à un contrôle par les autorités nationales compétentes d’une manière manquant de la clarté nécessaire pour assurer la sécurité juridique des entreprises désirant détacher des travailleurs au Luxembourg, et

en imposant, à l’article 8 de cette loi, la conservation au Luxembourg, entre les mains d’un mandataire ad hoc y résidant, des documents nécessaires au contrôle,

le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, lu en combinaison avec le paragraphe 10 de cet article, ainsi que des articles 49 CE et 50 CE.

Sur les dépens

98

En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Grand-Duché de Luxembourg et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

 

1)

Le Grand-Duché de Luxembourg,

en déclarant que les dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, points 1, 2, 8 et 11, de la loi du 20 décembre 2002 portant transposition de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et réglementation du contrôle de l’application du droit du travail constituent des dispositions de police relevant de l’ordre public national;

en ayant transposé de manière incomplète les dispositions de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services;

en énonçant, à l’article 7, paragraphe 1, de cette loi du 20 décembre 2002, les conditions relatives à l’accès aux indications essentielles indispensables à un contrôle par les autorités nationales compétentes d’une manière manquant de la clarté nécessaire pour assurer la sécurité juridique des entreprises désirant détacher des travailleurs au Luxembourg, et

en imposant, à l’article 8 de ladite loi, la conservation au Luxembourg, entre les mains d’un mandataire ad hoc y résidant, des documents nécessaires au contrôle,

a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71, lu en combinaison avec le paragraphe 10 de cet article, ainsi que des articles 49 CE et 50 CE.

 

2)

Le Grand-Duché de Luxembourg est condamné aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le français.

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