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Document 61999CJ0499

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 2 juillet 2002.
Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne.
Manquement d'État - Aides d'État - Aides accordées aux entreprises du groupe Magefesa - Décisions 91/1/CEE et 1999/509/CE de la Commission ordonnant la restitution - Inexécution.
Affaire C-499/99.

European Court Reports 2002 I-06031

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2002:408

61999J0499

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 2 juillet 2002. - Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne. - Manquement d'État - Aides d'État - Aides accordées aux entreprises du groupe Magefesa - Décisions 91/1/CEE et 1999/509/CE de la Commission ordonnant la restitution - Inexécution. - Affaire C-499/99.

Recueil de jurisprudence 2002 page I-06031


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1. Recours en manquement - Non-respect d'une décision de la Commission relative à une aide d'État - Décision imposant la récupération d'une aide illégale - Moyens de défense - Impossibilité absolue d'exécution - Critères d'appréciation - Situation financière du débiteur

(Art. 88, § 2, CE)

2. Aides accordées par les États - Décision de la Commission constatant l'incompatibilité d'une aide avec le marché commun - Difficultés d'exécution - Obligation de la Commission et de l'État membre de collaborer dans la recherche d'une solution respectant le traité

(Art. 10 CE et 88, § 2, CE)

3. Recours en manquement - Non-respect d'une décision de la Commission relative à une aide d'État - Décision imposant la récupération d'une aide illégale - Appréciation du manquement - Situation à prendre en considération - Situation à l'expiration du délai fixé par la Commission

(Art. 88, § 2, CE)

Sommaire


1. Dès lors que la décision de la Commission exigeant la suppression d'une aide d'État incompatible avec le marché commun n'a pas fait l'objet d'un recours direct, le seul moyen de défense susceptible d'être invoqué par un État membre contre un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l'article 88, paragraphe 2, CE est celui tiré d'une impossibilité absolue d'exécuter correctement la décision.

Toutefois, la condition d'une impossibilité absolue d'exécution n'est pas remplie lorsque le gouvernement de l'État membre se borne à faire part à la Commission des difficultés juridiques, politiques ou pratiques que présentait la mise en oeuvre de la décision, sans entreprendre une véritable démarche auprès des entreprises en cause aux fins de récupérer l'aide et sans proposer à la Commission des modalités alternatives de mise en oeuvre de la décision qui auraient permis de surmonter les difficultés.

De même, le fait que, en raison de la situation financière de l'entreprise bénéficiaire de l'aide en cause, les autorités de l'État membre n'ont pas pu récupérer la somme versée ne constitue pas une impossibilité d'exécution, dès lors que l'objectif poursuivi par la Commission était la suppression de l'aide. L'absence d'actif récupérable ne peut être démontrée que dans le cadre de la procédure de liquidation de l'entreprise.

( voir points 21, 25, 37-38 )

2. Un État membre qui, lors de l'exécution d'une décision de la Commission en matière d'aides d'État, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission doit soumettre ces problèmes à l'appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire notamment l'article 10 CE, la Commission et l'État membre doivent collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité, et notamment de celles relatives aux aides.

( voir point 24 )

3. Dans le cadre d'un recours en manquement introduit en vertu de l'article 88, paragraphe 2, CE et visant à faire constater qu'un État membre a manqué à ses obligations en n'adoptant pas les mesures nécessaires pour se conformer à une décision de la Commission relative à une aide d'État, le manquement s'apprécie à la date d'expiration du délai, fixé dans la décision de la Commission, dans lequel l'État membre doit indiquer à cette dernière les mesures qu'il envisage de prendre pour récupérer l'aide déclarée incompatible avec le marché commun.

( voir point 28 )

Parties


Dans l'affaire C-499/99,

Commission des Communautés Européennes, représentée par MM. G. Rozet et R. Vidal, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume d'Espagne, représenté par Mme R. Silva de Lapuerta, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que, en n'adoptant pas dans le délai imparti les mesures nécessaires pour se conformer aux décisions 91/1/CEE de la Commission, du 20 décembre 1989, concernant les aides accordées en Espagne par le gouvernement central et plusieurs gouvernements autonomes à MAGEFESA, producteur d'ustensiles de cuisine en acier inoxydable et de petits appareils électriques (JO 1991, L 5, p. 18), et 1999/509/CE de la Commission, du 14 octobre 1998, concernant des aides accordées par l'Espagne aux entreprises du groupe Magefesa et à ses successeurs (JO 1999, L 198, p. 15), déclarant que certaines aides aux entreprises du groupe Magefesa ont été octroyées illégalement et sont, en outre, incompatibles avec le marché commun, le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 249, quatrième alinéa, CE, ainsi que des articles 2 et 3 desdites décisions,

LA COUR

(sixième chambre),

composée de Mme F. Macken, président de chambre, MM. J.-P. Puissochet (rapporteur), R. Schintgen, V. Skouris et J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. J. Mischo,

greffier: M. R. Grass,

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 24 janvier 2002,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 22 décembre 1999, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE, un recours ayant pour objet de faire constater que, en n'adoptant pas dans le délai imparti les mesures nécessaires pour se conformer aux décisions 91/1/CEE de la Commission, du 20 décembre 1989, concernant les aides accordées en Espagne par le gouvernement central et plusieurs gouvernements autonomes à MAGEFESA, producteur d'ustensiles de cuisine en acier inoxydable et de petits appareils électriques (JO 1991, L 5, p. 18), et 1999/509/CE de la Commission, du 14 octobre 1998, concernant des aides accordées par l'Espagne aux entreprises du groupe Magefesa et à ses successeurs (JO 1999, L 198, p. 15), déclarant que certaines aides aux entreprises du groupe Magefesa ont été octroyées illégalement et sont, en outre, incompatibles avec le marché commun, le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 249, quatrième alinéa, CE, ainsi que des articles 2 et 3 desdites décisions.

Les antécédents du litige

Les faits

2 Le groupe Magefesa est, pour ce qui concerne la présente affaire, constitué notamment de quatre entreprises industrielles fabriquant des articles ménagers: Industrias Domésticas SA (ci-après «Indosa»), établie au Pays basque, Cubertera del Norte SA (ci-après «Cunosa») et Manufacturas Gur SA (ci-après «GURSA»), établies en Cantabrie, et Manufacturas Inoxidables Gibraltar SA (ci-après «MIGSA»), établie en Andalousie.

3 À la fin de l'année 1985, le groupe Magefesa était au bord de la faillite et, pour empêcher l'arrêt de ses activités, il a confié sa gestion à une société privée d'experts-conseils, Gestiber. Cette société a proposé un programme d'action prévoyant notamment une réduction des effectifs et l'octroi d'aides par le gouvernement central et par les gouvernements des Communautés autonomes du Pays basque, de Cantabrie et d'Andalousie, où étaient situées les différentes usines du groupe.

4 Dans le but d'attribuer les aides litigieuses, des sociétés de gestion ont été créées dans les Communautés autonomes concernées, à savoir Fiducias de la cocina y derivados SA (ci-après «Ficodesa») au Pays basque, Gestión de Magefesa en Cantabria (ci-après «Gemacasa») en Cantabrie et Manufacturas Damma SA (ci-après «Manufacturas Damma») en Andalousie.

5 La situation ayant continué de se détériorer, Indosa a été déclarée en faillite le 19 avril 1994 mais a poursuivi ses activités, Cunosa a cessé ses activités en 1994 et a été déclarée en faillite le 13 avril 1994, MIGSA a cessé ses activités en 1993 et a été déclarée en faillite le 27 mai 1999, enfin GURSA est restée inactive à partir de 1994 et a été déclarée insolvable.

6 S'agissant des sociétés de gestion, Ficodesa a été déclarée en faillite le 19 janvier 1995 et Manufacturas Damma est inactive depuis 1993, mais n'a pas été déclarée en faillite. Quant à Gemacasa, sa situation actuelle n'est pas connue.

Les décisions de la Commission

7 En 1987, la Commission a été saisie d'une plainte concernant les aides d'État octroyées au groupe Magefesa. Elle a ouvert la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE), et, par sa décision 91/1, notifiée au gouvernement espagnol le 5 mars 1990, a déclaré illégales et incompatibles avec le marché commun les aides ainsi identifiées:

- des garanties de prêts, d'un montant total de 1,580 milliard de ESP,

- un prêt à des conditions autres que celles du marché, d'un montant de 2,085 milliards de ESP,

- des aides non remboursables d'un montant total de 1,095 milliard de ESP,

- une bonification d'intérêts d'un montant évalué à 9 millions de ESP.

8 Par la même décision, les autorités espagnoles ont été invitées, notamment, à retirer les garanties de prêts, à transformer le prêt à taux réduit en crédit normal et à récupérer les aides non remboursables.

9 En 1997, la Commission a reçu sept plaintes concernant les avantages résultant pour les entreprises du groupe Magefesa de la non-restitution des aides déclarées incompatibles en 1989 et du non-respect de leurs obligations financières et fiscales. Elle a décidé d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité pour les aides accordées à ces entreprises ou à celles qui leur ont succédé depuis 1989.

10 À l'issue de cette procédure, la Commission a, par sa décision 1999/509, notifiée au gouvernement espagnol le 29 octobre 1998, déclaré illégales et incompatibles avec le marché commun les aides que constituait le non-paiement constant d'impôts et de cotisations sociales:

- par Indosa et Cunosa jusqu'à leur déclaration de faillite,

- par MIGSA et GURSA jusqu'à l'interruption de leurs activités,

- par Indosa après sa déclaration de faillite et jusqu'en mai 1997.

11 Par la même décision, les autorités espagnoles ont été invitées à adopter les mesures qui s'imposaient pour récupérer ces aides auprès des bénéficiaires, étant précisé que les montants récupérés devaient comprendre les intérêts dus à compter de l'octroi des aides jusqu'à la date effective du remboursement de celles-ci.

12 L'article 3 des décisions 91/1 et 1999/509 invitait les autorités espagnoles à informer la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de chacune de ces décisions, des mesures prises pour leur exécution.

13 Considérant que le royaume d'Espagne ne s'était conformé ni à la décision 91/1 ni à la décision 1999/509 dans le délai imparti par chacune d'elles, la Commission a introduit le présent recours.

Concernant la décision 91/1

Les démarches des autorités espagnoles

14 Les aides que la décision 91/1 a considérées comme incompatibles avec le marché commun se répartissaient comme suit:

- pour les aides octroyées par le Fogasa (fonds national de garantie des droits des travailleurs en cas d'insolvabilité de leur employeur), un prêt de 2,085 milliards de ESP à des conditions autres que celles du marché accordé au groupe Magefesa;

- pour les aides octroyées par la Communauté autonome du Pays basque, une garantie de prêts de 300 millions de ESP accordée directement à Indosa, une garantie de prêt de 672 millions de ESP accordée à Ficodesa pour les entreprises du groupe Magefesa et une bonification d'intérêts de 9 millions de ESP;

- pour les aides octroyées par la Communauté autonome de Cantabrie, des garanties de prêts de 512 millions de ESP accordées à Gemacasa pour Cunosa et GURSA et des aides non remboursables d'un montant de 262 millions de ESP également accordées à Gemacasa pour Cunosa et GURSA;

- pour les aides octroyées par la Communauté autonome d'Andalousie, des garanties de prêts de 96 millions de ESP accordées à Manufacturas Damma pour MIGSA et des aides non remboursables d'un montant de 29 millions de ESP également accordées à Manufacturas Damma pour MIGSA.

15 Pour se conformer à la décision 91/1, le Fogasa a décidé, en accord avec le groupe Magefesa, de modifier les conditions du prêt qu'il avait octroyé afin de prévoir le paiement d'intérêts aux conditions du marché. La Commission considère que le Fogasa s'est ainsi conformé, pour ce qui le concerne, à l'article 2 de la décision 91/1 et son recours en manquement ne porte pas sur ce point.

16 Pour les autres aides, le royaume d'Espagne a informé la Commission, par lettres des 23 octobre 1991, 8 avril 1994 et 23 avril 1997, des mesures qui ont été prises par les autorités espagnoles. La Commission contestant qu'il se soit conformé à la décision 91/1, il convient d'examiner si ces mesures peuvent être regardées comme suffisantes pour faire cesser les aides illégales dans un délai que la Cour apprécie, d'une part, en fonction de celui qui est fixé dans la décision de la Commission, en l'occurrence deux mois, d'autre part, en tenant compte de l'obligation imposée tant aux États membres qu'aux institutions communautaires de coopérer loyalement. Selon les termes de la décision 91/1, dans le délai de deux mois qu'elle leur impartissait, les autorités espagnoles devaient informer la Commission des mesures prises.

17 Concernant, en premier lieu, les aides consenties par le gouvernement de la Communauté autonome du Pays basque, il s'agissait de récupérer les sommes versées au titre du règlement des prêts dont la garantie avait joué à la suite de la défaillance du groupe Magefesa et d'obtenir le remboursement des aides non remboursables et des bonifications d'intérêts. Pour ce faire, le gouvernement basque s'est adressé à la société de gestion Ficodesa, à laquelle il s'était d'ailleurs substitué pour le règlement des prêts garantis, estimant qu'il ne pouvait pas directement se tourner vers les entreprises du groupe Magefesa qui n'étaient débitrices que de Ficodesa.

18 Les seules actions du gouvernement basque ont consisté à demander à Ficodesa le remboursement de l'ensemble des sommes versées à Indosa, par des courriers envoyés entre 1988 et 1993 pour la garantie de prêt et par une lettre du 25 janvier 1995 pour les autres aides. Il a ensuite fait inscrire, en vain, l'ensemble des sommes dues au passif de la faillite de Ficodesa, mais il n'a jamais réclamé la moindre somme à la véritable bénéficiaire des aides, à savoir Indosa.

19 S'agissant, en deuxième lieu, des aides consenties par le gouvernement de la Communauté autonome de Cantabrie, ce dernier s'est borné, dans un premier courrier de 1991, à assurer la Commission qu'il avait décidé de respecter la décision 91/1 et, dans un second courrier de 1994, à l'informer de l'interruption de toute nouvelle aide aux entreprises du groupe Magefesa. Enfin, par une lettre de 1997, les autorités espagnoles ont informé la Commission que les garanties de prêt octroyées par le gouvernement cantabrique avaient été annulées entre fin 1994 et début 1995, mais ce courrier n'évoquait pas le sort qui avait été réservé aux aides non remboursables accordées par ce gouvernement.

20 Concernant, en dernier lieu, les aides consenties par le gouvernement de la Communauté autonome d'Andalousie, l'Instituto de Fomente Andaluz (ci-après l'«IFA»), succédant à Soprea, société contrôlée par le gouvernement andalou et dont la société de gestion Manufacturas Damma, mise en place pour soutenir MIGSA, était la filiale, a procédé au règlement du prêt garanti le 6 novembre 1990, soit après la notification de la décision 91/1. L'IFA s'est ensuite borné à demander le remboursement de la somme ainsi versée, par lettre du 20 novembre 1990, puis a décidé de déclarer cette créance au passif de la faillite de Manufacturas Damma, en juin 1992. S'agissant des aides non remboursables, le gouvernement andalou n'a pas poursuivi Manufacturas Damma, au motif qu'elle ne disposait pas d'actifs saisissables, et n'a pas non plus exercé d'action directement contre MIGSA, véritable bénéficiaire des aides.

Sur l'impossibilité alléguée de récupérer les aides

21 Dès lors que la décision de la Commission exigeant la suppression d'une aide d'État incompatible avec le marché commun n'a pas fait l'objet d'un recours direct ou qu'un tel recours a été rejeté, le seul moyen de défense susceptible d'être invoqué par un État membre contre un recours en manquement introduit par la Commission sur le fondement de l'article 88, paragraphe 2, CE est celui tiré d'une impossibilité absolue d'exécuter correctement la décision (arrêts du 4 avril 1995, Commission/Italie, C-348/93, Rec. p. I-673, point 16, et du 22 mars 2001, Commission/France, C-261/99, Rec. p. I-2537, point 23).

22 À cet égard, le gouvernement espagnol, qui ne conteste pas ne pas avoir récupéré les aides octroyées, soutient qu'il a pris toutes les mesures en son pouvoir, à savoir inviter les sociétés de gestion de ces aides, seules créancières des entreprises du groupe Magefesa, à agir contre ces dernières en remboursement des sommes accordées. Il fait valoir, en outre, que, lorsque ces créances ont pu être inscrites au passif de ces entreprises, elle n'ont pu être recouvrées car celles-ci étaient en redressement judiciaire, la législation espagnole autorisant seulement le créancier à participer à la masse des créanciers.

23 Par ailleurs, selon le gouvernement espagnol, l'objet de l'obligation de restitution d'une aide est de rétablir la situation antérieure en évitant que le bénéficiaire de l'aide jouisse d'un avantage concurrentiel par rapport à ses concurrents. Toutefois, quand une entreprise bénéficiaire de l'aide a cessé ses activités, comme c'est le cas pour toutes les entreprises du groupe Magefesa, excepté Indosa, il n'y aurait plus de préjudice pour ses concurrents et l'exigence de restitution serait alors sans rapport avec l'objectif qu'elle poursuit.

24 Selon la jurisprudence de la Cour, un État membre qui, lors de l'exécution d'une décision de la Commission en matière d'aides d'État, rencontre des difficultés imprévues et imprévisibles ou prend conscience de conséquences non envisagées par la Commission doit soumettre ces problèmes à l'appréciation de cette dernière, en proposant des modifications appropriées de la décision en cause. Dans un tel cas, en vertu de la règle imposant aux États membres et aux institutions communautaires des devoirs réciproques de coopération loyale, qui inspire notamment l'article 10 CE, la Commission et l'État membre doivent collaborer de bonne foi en vue de surmonter les difficultés dans le plein respect des dispositions du traité, et notamment de celles relatives aux aides (arrêts Commission/Italie, précité, point 16; Commission/France, précité, point 24, et du 3 juillet 2001, Commission/Belgique, C-378/98, Rec. p. I-5107, point 31).

25 Toutefois, la condition d'une impossibilité absolue d'exécution n'est pas remplie lorsque le gouvernement défendeur se borne à faire part à la Commission des difficultés juridiques, politiques ou pratiques que présentait la mise en oeuvre de la décision, sans entreprendre une véritable démarche auprès des entreprises en cause aux fins de récupérer l'aide et sans proposer à la Commission des modalités alternatives de mise en oeuvre de la décision qui auraient permis de surmonter les difficultés (voir, en ce sens, arrêts du 2 février 1989, Commission/Allemagne, 94/87, Rec. p. 175, point 10, et du 29 janvier 1998, Commission/Italie, C-280/95, Rec. p. I-259, point 14).

26 Or, en l'espèce, d'une part, l'ensemble des actions dont les autorités espagnoles se prévalent sont intervenues entre 1990 et 1995, la plupart, par conséquent, postérieurement au délai fixé dans la décision 91/1, à l'intérieur duquel elles auraient dû informer la Commission des mesures prises pour s'y conformer; d'autre part, pendant toute cette période les entreprises du groupe Magefesa ont continué à fonctionner grâce aux aides litigieuses, et notamment grâce à la réalisation des garanties de prêts.

27 De ce fait, le gouvernement espagnol, qui n'a informé la Commission ni des mesures qu'il envisageait de prendre ni des difficultés qu'il rencontrait dans l'exécution de la décision 91/1 et qui, en réalité, a laissé les Communautés autonomes concernées se borner à demander à des sociétés de gestion de récupérer les aides, en sachant pertinemment que ces sociétés étaient elles-mêmes en grande difficulté financière, n'a pas cherché un terrain d'entente avec la Commission et n'a, par ailleurs, pas démontré l'impossibilité absolue de récupérer les aides octroyées aux entreprises du groupe Magefesa qui, ainsi qu'il a été dit au point précédent, ont continué à fonctionner après la décision 91/1.

28 Le manquement s'appréciant à la date d'expiration du délai, fixé dans la décision de la Commission, dans lequel l'État membre doit indiquer à cette dernière les mesures qu'il envisage de prendre (voir, en ce sens, arrêt Commission/Belgique, précité, point 26), soit, en l'espèce, le 5 mai 1990, la poursuite, après l'expiration de ce délai, des activités des entreprises bénéficiaires des aides déclarées illégales rend inopérant l'argument du gouvernement espagnol selon lequel le recours en manquement de la Commission serait devenu sans objet à la suite de la mise en redressement judiciaire desdites entreprises, auxquelles, de ce fait, il ne pourrait être reproché un quelconque avantage concurrentiel.

29 Ainsi, dès lors que le royaume d'Espagne ne conteste pas ne pas avoir adopté les mesures que la Commission l'invitait à prendre dans sa décision 91/1, dont il n'avait, au demeurant, pas contesté le bien-fondé, le manquement doit être considéré comme établi.

Concernant la décision 1999/509

30 Ainsi qu'il a été indiqué au point 10 du présent arrêt, les aides visées par cette décision, d'une nature unique, sont constituées par le non-paiement d'impôts et de cotisations sociales par Cunosa jusqu'à sa déclaration de faillite, par MIGSA et GURSA jusqu'à l'interruption de leurs activités et par Indosa jusqu'en mai 1997, postérieurement à sa déclaration de faillite.

31 Statuant, dans son arrêt du 12 octobre 2000, Espagne/Commission (C-480/98, Rec. p. I-8717), sur le recours du royaume d'Espagne en annulation de la décision 1999/509, la Cour a jugé, au point 21 de cet arrêt, que, dans les circonstances particulières de l'espèce, le non-paiement d'impôts et de cotisations sociales par Indosa, Cunosa, MIGSA et GURSA, pendant les périodes visées dans la décision attaquée, était constitutif d'aides illégales et incompatibles avec le marché commun au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE.

32 Elle a fait partiellement droit au recours du royaume d'Espagne en ce qui concernait la perception d'intérêts échus postérieurement à la déclaration de faillite d'Indosa et de Cunosa sur les aides illégalement perçues avant cette déclaration en annulant la décision 1999/509 sur ce seul point (arrêt Espagne/Commission, précité, points 34 à 39).

Les démarches des autorités espagnoles

Dettes de sécurité sociale

33 Concernant les aides consenties à Indosa, en vue d'éteindre la dette de cette entreprise postérieure à sa déclaration de faillite, la Trésorerie de la sécurité sociale (ci-après la «TSS») a pratiqué des saisies dont le montant s'élève à 45 000 000 ESP. Elle a en outre saisi 1 600 500 parts sociales détenues par Indosa dans le capital de Compañía de Menaje Doméstico SL. Dans le cadre de la procédure de faillite d'Indosa, la réalisation de ces parts a été suspendue par ordonnance de la juridiction saisie et l'assemblée générale des créanciers a été convoquée. Quant à la dette antérieure à la faillite, la TSS a, dès le 28 décembre 1998, demandé à la juridiction saisie la mise en liquidation d'Indosa ou la conclusion d'un accord avec ses créanciers pour mettre fin à la faillite. Une assemblée des créanciers s'est tenue le 4 juillet 2000 pour décider de la poursuite ou de la cessation des activités d'Indosa et a convenu de la liquidation de l'entreprise dans un délai de quatre mois.

34 Concernant les aides consenties à Cunosa, à GURSA et à MIGSA, la TSS soit n'a pas été à l'origine de la déclaration de faillite de ces sociétés, soit a estimé qu'une telle procédure serait inefficace pour récupérer ces aides. En tout état de cause, il ressort du dossier qu'elle n'a pas demandé la liquidation desdites sociétés. Il semble d'ailleurs, à la lecture des pièces du dossier, qu'il y avait une volonté de la TSS de ne pas faire valoir des créances concurrentes de celles des salariés.

Dettes fiscales

35 Ces dettes ne concernent qu'Indosa. Le 28 décembre 1998, le Trésor public a envoyé au syndic de la faillite une lettre demandant la régularisation immédiate de la dette fiscale postérieure à la faillite ainsi qu'une proposition d'accord avec les créanciers en vue du paiement des dettes faisant partie de la masse pour mettre un terme à la procédure. Le 23 juin 2000, l'Office national de recouvrement a entamé les démarches visant à exiger le paiement des dettes selon les règles de la législation espagnole sur la faillite, par succession dans l'exercice de l'activité. Au surplus, ainsi qu'il a été mentionné au point 33 du présent arrêt, l'assemblée des créanciers d'Indosa a décidé qu'il serait procédé à la liquidation de cette société, ce qui devrait autoriser le Trésor public à tenter de récupérer sa créance, si les actifs de la société le permettent.

Sur l'impossibilité alléguée de récupérer les aides

36 De même qu'en ce qui concerne la décision 91/1, le seul moyen de défense soulevé par le gouvernement espagnol est l'impossibilité absolue de prendre les mesures exigées par la décision 1999/509, dès lors que le recours régulièrement formé par le royaume d'Espagne contre cette décision n'a pas prospéré et que l'illégalité des aides en cause a été confirmée par le juge communautaire.

37 Compte tenu de la situation des entreprises bénéficiaires des aides, la seule façon d'exécuter la décision 1999/509 était de tenter de provoquer leur liquidation judiciaire de telle sorte que les services fiscaux et l'organisme gestionnaire des cotisations sociales puissent faire valoir leurs créances sur les actifs, si toutefois il y en avait et si le rang de leurs créances le permettait. L'absence d'actif récupérable est, en effet, dans une telle circonstance, la seule façon pour le gouvernement espagnol de démontrer l'impossibilité absolue de récupérer les aides.

38 La Cour a d'ailleurs déjà jugé que le fait que, en raison de la situation financière de l'entreprise bénéficiaire de l'aide en cause, les autorités de l'État membre concerné n'ont pas pu récupérer la somme versée ne constitue pas une impossibilité d'exécution, dès lors que l'objectif poursuivi par la Commission était la suppression de l'aide, objectif qui était susceptible d'être atteint par la liquidation de l'entreprise (arrêt du 15 janvier 1986, Commission/Belgique, 52/84, Rec. p. 89, point 14).

39 Même si le gouvernement espagnol soutient qu'il a récupéré les seuls actifs de GURSA, il est constant que ni la TSS ni le Trésor public n'ont cherché à faire mettre en liquidation GURSA et MIGSA, de sorte que ce gouvernement est dans l'impossibilité de démontrer qu'il n'existait pas d'autres actifs saisissables. Concernant Cunosa, la procédure de liquidation était déjà engagée à la date à laquelle la Commission a pris la décision 1999/509, mais il ne ressort pas du dossier que les autorités espagnoles ont exercé une quelconque action, dans le cadre de cette procédure, pour récupérer les aides illégales sur les actifs de cette société, même si elles ont ensuite fait appel du jugement de liquidation de Cunosa, action tardive et sans aucun doute frustratoire.

40 En revanche, ainsi qu'il a été relevé aux points 33 et 35 du présent arrêt, en ce qui concerne Indosa, la TSS et le Trésor public ont, par deux voies différentes, fait preuve d'une diligence manifeste pour récupérer tant les dettes sociales que fiscales. En outre, la Commission ne conteste pas que l'assemblée des créanciers a décidé la mise en liquidation d'Indosa. Il convient donc d'admettre que, concernant cette société, les autorités espagnoles ont pris les mesures nécessaires pour se conformer à la décision 1999/509.

41 La Commission soutient néanmoins que, en tout état de cause, les mesures adoptées par le royaume d'Espagne n'ont pas été prises dans le délai de deux mois à compter de la notification de chacune des décisions 91/1 et 1999/509, de sorte que la violation de l'article 3 de celles-ci est établie.

42 Il convient de préciser, à cet égard, que la Commission n'a, dans sa décision 1999/509, fixé aucun délai d'exécution des mesures requises par ladite décision et qu'il n'existe aucun délai légal d'exécution dans le cadre du régime dérogatoire de recours en manquement fondé sur l'article 88, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE. La Commission a néanmoins fixé, à l'article 3 de la décision 1999/509, un délai de deux mois, qui a expiré le 29 décembre 1998, dans lequel les autorités espagnoles devaient l'informer des mesures adoptées pour l'application de cette décision.

43 Or, il est constant que le gouvernement espagnol n'a pas, avant l'expiration de ce délai, informé la Commission des mesures qui avaient déjà été prises et de celles qui le seraient pour récupérer les aides accordées à Indosa, à Cunosa, à MIGSA et à GURSA, et notamment, en l'occurrence, pour recouvrer les dettes sociales et fiscales d'Indosa.

44 Par conséquent, concernant la décision 1999/509, le recours en manquement doit être considéré comme fondé en totalité en tant qu'il est reproché au royaume d'Espagne de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour récupérer les aides octroyées à Cunosa, à GURSA et à MIGSA. Il n'est en revanche fondé que sur l'absence d'information de la Commission en tant qu'il est reproché à cet État membre de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour récupérer les aides octroyées à Indosa.

45 Il résulte des considérations qui précèdent que, d'une part, en n'adoptant pas les mesures nécessaires pour se conformer à la décision 91/1, en tant qu'elle a déclaré illégales et incompatibles avec le marché commun des aides accordées aux entreprises Indosa, GURSA, MIGSA et Cunosa, et à la décision 1999/509, en tant qu'elle a déclaré illégales et incompatibles avec le marché commun des aides accordées aux entreprises GURSA, MIGSA et Cunosa, et, d'autre part, en n'informant pas la Commission dans les délais impartis des mesures prises pour l'exécution de la décision 1999/509, en tant qu'elle a déclaré illégales et incompatibles avec le marché commun des aides accordées à l'entreprise Indosa, le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 249, quatrième alinéa, CE, ainsi que des articles 2 et 3 desdites décisions.

46 Le recours de la Commission doit être rejeté pour le surplus.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

47 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du royaume d'Espagne et celui-ci ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre)

déclare et arrête:

1) D'une part, en n'adoptant pas les mesures nécessaires pour se conformer à la décision 91/1/CEE de la Commission, du 20 décembre 1989, concernant les aides accordées en Espagne par le gouvernement central et plusieurs gouvernements autonomes à MAGEFESA, producteur d'ustensiles de cuisine en acier inoxydable et de petits appareils électriques, en tant qu'elle a déclaré illégales et incompatibles avec le marché commun des aides accordées aux entreprises Industrias Domésticas SA (Indosa), Manufacturas Gur SA (GURSA), Manufacturas Inoxidables Gibraltar SA (MIGSA), et Cubertera del Norte SA (Cunosa), et à la décision 1999/509/CE de la Commission, du 14 octobre 1998, concernant des aides accordées par l'Espagne aux entreprises du groupe Magefesa et à ses successeurs, en tant qu'elle a déclaré illégales et incompatibles avec le marché commun des aides accordées aux entreprises GURSA, MIGSA et Cunosa, et, d'autre part, en n'informant pas la Commission dans les délais impartis des mesures prises pour l'exécution de la décision 1999/509, en tant qu'elle a déclaré illégales et incompatibles avec le marché commun des aides accordées à l'entreprise Indosa, le royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 249, quatrième alinéa, CE, ainsi que des articles 2 et 3 desdites décisions.

2) Le recours de la Commission des Communautés européennes est rejeté pour le surplus.

3) Le royaume d'Espagne est condamné aux dépens.

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