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Document 62015CC0315

    Conclusions de l'avocat général M. Y. Bot, présentées le 28 juillet 2016.
    Marcela Pešková et Jiří Peška contre Travel Service a.s.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Obvodní soud pro Prahu 6.
    Renvoi préjudiciel – Transport aérien – Règlement (CE) no 261/2004 – Article 5, paragraphe 3 – Indemnisation des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol – Portée – Exonération de l’obligation d’indemnisation – Collision entre un aéronef et un volatile – Notion de “circonstances extraordinaires” – Notion de “mesures raisonnables” pour obvier à une circonstance extraordinaire ou aux conséquences d’une telle circonstance.
    Affaire C-315/15.

    Recueil – Recueil général

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2016:623

    CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

    M. YVES BOT

    présentées le 28 juillet 2016 ( 1 )

    Affaire C‑315/15

    Marcela Pešková,

    Jiří Peška

    contre

    Travel Service a.s.

    [demande de décision préjudicielle formée par l’Obvodní soud pro Prahu 6 (tribunal d’arrondissement de Prague 6, République tchèque)]

    «Renvoi préjudiciel — Transports aériens — Indemnisation des passagers en cas d’annulation ou de retard important d’un vol — Portée — Exonération de l’obligation d’indemnisation — Collision d’un oiseau avec un avion — Notions d’“événement”, au sens de jurisprudence de la Cour, et de “circonstance extraordinaire”, au sens du règlement (CE) no 261/2004 — Notion de “mesure raisonnable” — Événement inhérent à l’exercice normal de l’activité de transporteur aérien»

    1. 

    Dans la présente affaire, la Cour est amenée à dire pour droit, en substance, si la collision d’un oiseau avec un avion, ayant eu pour effet d’engendrer, pour ce dernier, un retard de plus de trois heures à l’arrivée, constitue une « circonstance extraordinaire », au sens du règlement (CE) no 261/2004 ( 2 ), exonérant ainsi le transporteur aérien effectif de son obligation d’indemniser les passagers pour ce retard.

    2. 

    Dans les présentes conclusions, nous expliquerons les raisons pour lesquelles nous estimons que l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens qu’une collision d’un oiseau avec un avion, ayant eu pour conséquence d’entraîner plus de trois heures de retard par rapport à l’heure d’arrivée initialement prévue, n’est pas une « circonstance extraordinaire », au sens de cette disposition, et ne peut donc exonérer le transporteur aérien effectif de son obligation d’indemnisation.

    I – Le cadre juridique

    3.

    Le considérant 14 du règlement no 261/2004 indique ce qui suit :

    « Tout comme dans le cadre de la convention de Montréal [ ( 3 )], les obligations des transporteurs aériens effectifs devraient être limitées ou leur responsabilité exonérée dans les cas où un événement est dû à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. De telles circonstances peuvent se produire, en particulier, en cas d’instabilité politique, de conditions météorologiques incompatibles avec la réalisation du vol concerné, de risques liés à la sécurité, de défaillances imprévues pouvant affecter la sécurité du vol, ainsi que de grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien effectif. »

    4.

    L’article 5, paragraphe 3, de ce règlement est rédigé de la manière suivante :

    « Un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. »

    5.

    En vertu de l’article 7, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, lorsqu’il est fait référence à cet article, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à 250 euros pour tous les vols de 1500 kilomètres ou moins.

    6.

    Enfin, l’article 13 du règlement no 261/2004 prévoit ce qui suit :

    « Lorsqu’un transporteur aérien effectif verse une indemnité ou s’acquitte d’autres obligations lui incombant en vertu du présent règlement, aucune disposition de ce dernier ne peut être interprétée comme limitant son droit à demander réparation à toute personne, y compris des tiers, conformément au droit national applicable. En particulier, le présent règlement ne limite aucunement le droit du transporteur aérien effectif de demander réparation à un organisateur de voyages ou une autre personne avec laquelle le transporteur aérien effectif a conclu un contrat. De même, aucune disposition du présent règlement ne peut être interprétée comme limitant le droit d’un organisateur de voyages ou d’un tiers, autre que le passager avec lequel un transporteur aérien effectif a conclu un contrat, de demander réparation au transporteur aérien effectif conformément aux lois pertinentes applicables. »

    II – Les faits du litige au principal

    7.

    Le 10 août 2013, Mme Marcela Pešková et M. Jiří Peška ont effectué un vol opéré par Travel Service a.s. (ci-après la « défenderesse au principal ») au départ de Burgas (Bulgarie) et à destination d’Ostrava (République tchèque).

    8.

    Ce vol avait la séquence planifiée suivante : Prague (République tchèque) – Burgas – Brno (République tchèque) – Burgas – Ostrava. Lors du trajet Prague – Burgas, une défaillance technique à un clapet a été constatée, ce qui a nécessité une réparation d’1 h 45. Lors de l’atterrissage à Brno, la défenderesse au principal soutient que l’avion est entré en collision avec un oiseau, raison pour laquelle il a été procédé à un contrôle de cet avion par un technicien travaillant pour la défenderesse au principal et venant de Slaný (République tchèque). L’Obvodní soud pro Prahu 6 (tribunal d’arrondissement de Prague 6, République tchèque) précise qu’un contrôle avait déjà été effectué par une autre société. Cependant, le propriétaire de l’avion, Sunwing, avait refusé son habilitation. Dès lors, le technicien de la défenderesse au principal a de nouveau contrôlé le point d’impact, contrôle qui n’a rien révélé.

    9.

    La défaillance technique à un clapet et la collision de l’avion avec un oiseau ayant entraîné un retard de 5 h 20 à l’arrivée à Ostrava, Mme Pešková et M. Peška ont, par une requête parvenue à la juridiction de renvoi le 26 novembre 2013, chacun réclamé à la défenderesse au principal la somme de 250 euros d’indemnisation au titre de l’article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement no 261/2004.

    10.

    Par un arrêt du 22 mai 2014, l’Obvodní soud pro Prahu 6 (tribunal d’arrondissement de Prague 6) a fait droit à leur demande au motif que ces deux événements avaient engendré le retard et qu’ils ne pouvaient pas être qualifiés de « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement. Selon la juridiction de renvoi, il est évident qu’il entre pleinement dans la compétence de la défenderesse au principal de déterminer par quelle méthode, en tant que transporteur aérien, elle résout administrativement des problèmes techniques du type « mise en service » d’un avion après une collision avec un oiseau. Elle a également indiqué que la défenderesse au principal n’avait pas établi qu’elle avait tout fait pour éviter un retard du vol, puisqu’elle s’était bornée à affirmer qu’« il était nécessaire », après la collision d’un oiseau avec l’avion, d’attendre l’arrivée du technicien autorisé.

    11.

    La défenderesse au principal a interjeté appel de cette décision le 2 juillet 2014. Cet appel a été rejeté par une ordonnance du 17 juillet 2014 du Městský soud v Praze (cour municipale de Prague, République tchèque) au motif qu’il n’était pas recevable étant donné que, par ladite décision, il avait été statué sur deux prétentions distinctes, dont aucune n’excédait 10000 couronnes tchèques (CZK) (environ 365 euros).

    12.

    La défenderesse au principal a, dès lors, formé un recours devant l’Ústavní soud (Cour constitutionnelle, République tchèque) contre l’arrêt rendu le 22 mai 2014 par l’Obvodní soud pro Prahu 6 (tribunal d’arrondissement de Prague 6). Par un arrêt du 20 novembre 2014, l’Ústavní soud (Cour constitutionnelle) a annulé l’arrêt du 22 mai 2014 au motif que celui-ci violait le droit fondamental de la défenderesse au principal à un procès équitable et le droit fondamental au juge légal étant donné que l’Obvodní soud pro Prahu 6 (tribunal d’arrondissement de Prague 6), en tant que juridiction de dernier ressort, était tenu de poser une question préjudicielle à la Cour en vertu de l’article 267 TFUE. L’Ústavní soud (Cour constitutionnelle) a, également, noté que la Cour n’avait, jusqu’à présent, pas donné d’interprétation complète du règlement no 261/2004 sur la nature de la responsabilité à la suite d’une collision d’un avion avec un oiseau en combinaison avec d’autres événements d’une autre nature, en l’occurrence des événements techniques. Par ailleurs, selon lui, il ne ressortirait pas clairement de la jurisprudence de la Cour ni de ce règlement que de telles circonstances puissent être considérées comme des « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, dudit règlement.

    13.

    C’est donc dans ce contexte que l’Obvodní soud pro Prahu 6 (tribunal d’arrondissement de Prague 6) a, sur renvoi préjudiciel, décidé de saisir la Cour.

    III – Les questions préjudicielles

    14.

    Éprouvant des doutes quant à l’interprétation qu’il convient de donner du règlement no 261/2004, l’Obvodní soud pro Prahu 6 (tribunal d’arrondissement de Prague 6) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    La collision d’un avion avec un oiseau constitue-t-elle un “événement”, au sens du point 22 de l’arrêt du 22 décembre 2008, [Wallentin-Hermann (C‑549/07, EU:C:2008:771)], ou constitue-t-elle une “circonstance extraordinaire”, au sens du considérant 14 [...] du règlement [...] no 261/2004 [...], ou une [telle collision] ne relève-t-elle d’aucune des notions précitées ?

    2)

    Si la collision d’un avion avec un oiseau est une “circonstance extraordinaire”, au sens du considérant 14 du règlement [no 261/2004], le transporteur aérien peut-il considérer comme des mesures raisonnables tendant à éviter une telle collision des mécanismes de contrôle à titre préventif mis en place, en particulier dans les environs des aéroports (comme, par exemple, l’effarouchement des oiseaux par le bruit, la collaboration avec des ornithologues, l’élimination d’endroits typiques pour le rassemblement ou le vol des oiseaux, l’effarouchement par la lumière, etc.) ? Que constitue dans ce cas un “événement”, au sens du point 22 de l’arrêt [du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann (C‑549/07, EU:C:2008:771)] ?

    3)

    Si la collision d’un avion avec un oiseau constitue un “événement”, au sens du point 22 de l’arrêt [du 22 décembre 2008, Wallentin-Hermann (C‑549/07, EU:C:2008:771)], peut-on considérer celle-ci également comme un “événement”, au sens du considérant 14 du règlement [no 261/2004], et peut-on, en pareil cas, considérer comme une “circonstance extraordinaire”, au sens du considérant 14 [de ce] règlement, l’ensemble des mesures techniques et administratives que le transporteur aérien doit prendre après la collision d’un avion avec un oiseau n’ayant toutefois pas endommagé l’avion ?

    4)

    Si l’ensemble des mesures techniques et administratives prises après la collision d’un avion avec un oiseau n’ayant toutefois pas endommagé l’avion constitue une “circonstance extraordinaire”, au sens du considérant 14 du règlement [no 261/2004], peut-on exiger du transporteur aérien qu’il prenne en considération, déjà lors de la planification des vols, le risque qu’il sera nécessaire d’exécuter ces mesures techniques et administratives après la collision d’un avion avec un oiseau et qu’il en tienne déjà compte dans les horaires de vol dans le cadre de mesures raisonnables ?

    5)

    Comment faut-il apprécier l’obligation du transporteur aérien d’indemnisation du dommage au sens de l’article 7 du règlement [no 261/2004] dans le cas où le retard serait causé non seulement par les mesures administratives et techniques adoptées après la collision de l’avion avec un oiseau n’ayant pas endommagé l’avion, mais également, dans une large mesure, par la réparation d’une défaillance technique n’ayant pas de rapport avec la collision précitée de l’avion avec un oiseau ? »

    IV – Notre analyse

    A – Remarques liminaires

    15.

    L’examen de la cause soumise à la Cour nous amène à nous poser, dans un souci de clarté, la question suivante.

    16.

    En matière d’indemnisation des passagers en cas de retard dans le transport aérien, la jurisprudence de la Cour présente, à nos yeux, la double caractéristique d’être, d’une part, précise et, d’autre part, protectrice des passagers. En lisant certains développements des observations écrites soumises à la Cour, dont certaines évoquent, notamment, – même si ce n’est qu’à propos de la réparation d’un dommage éventuel – « des coûts insupportables », nous ne pouvons nous empêcher de nous demander si l’infléchissement jurisprudentiel, car, selon nous, cela en est un, sollicité par les parties ne provient pas du fait que la jurisprudence actuelle est considérée comme entraînant une charge financière excessive pour les compagnies aériennes.

    17.

    Nous pouvons entendre cela. Mais, s’il s’agit bien là de la réalité, la solution adaptée pour corriger cet effet éventuellement excessif passe, à nos yeux, par une modification législative et non par une adaptation de la jurisprudence qui, d’une part, fait jouer à la Cour un rôle qui ne nous semble pas être exactement le sien et, d’autre part, risque de brouiller les lignes pourtant déjà tracées avec précision. La Cour les a d’ailleurs tracées par l’utilisation de sa méthode normale d’interprétation et en fonction des termes employés et des motifs exposés par le législateur de l’Union.

    18.

    Ainsi que nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de l’exposé de notre raisonnement, vouloir refuser de considérer l’analogie pourtant présente entre plusieurs situations au prix de distinctions sémantiques, dont nous ne voyons pas quel principe juridique impose de les pratiquer, revient, en réalité, à renvoyer à une casuistique aboutissant soit à faire de la Cour, juridiction suprême de l’Union, un juge du fait, soit à abandonner la solution au juge national avec tous les risques de divergences qui en résultent.

    19.

    Il nous semble que se trouve là un risque d’imprécision et donc d’insécurité juridique.

    20.

    Aussi, la solution logique et conforme au jeu normal des institutions au regard de leurs compétences respectives consisterait, selon nous, à adopter une solution législative venant corriger un texte dont la rédaction initiale a engendré des conséquences que le législateur de l’Union estime ne pas devoir maintenir.

    B – Sur les questions préjudicielles

    21.

    Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens qu’une collision d’un oiseau avec un avion, ayant eu pour conséquence d’entraîner plus de trois heures de retard par rapport à l’heure d’arrivée initialement prévue, doit être considérée comme une « circonstance extraordinaire », au sens de cette disposition, exonérant ainsi le transporteur aérien de son obligation d’indemnisation des passagers aériens.

    22.

    Nous rappelons que, en vertu de l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement, un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 dudit règlement s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

    23.

    La Cour a précisé que, constituant une dérogation au principe du droit à indemnisation des passagers, cet article 5, paragraphe 3, doit être interprété strictement ( 4 ).

    24.

    Par ailleurs, des circonstances entourant la survenance d’un événement ne sauraient être qualifiées d’« extraordinaires », au sens dudit article 5, paragraphe 3, que si elles se rapportent à un événement qui, à l’instar de ceux énumérés au considérant 14 du règlement no 261/2004, n’est pas inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappe à la maîtrise effective de celui-ci du fait de sa nature ou de son origine ( 5 ).

    25.

    À cet égard, il ressort des observations soumises à la Cour dans la présente affaire qu’il existe une certaine confusion entre ces deux conditions. Nous avons pu lire, en effet, que, parce qu’un événement ne serait pas prévisible et échapperait à la maîtrise effective du transporteur aérien, il devrait automatiquement être qualifié de « circonstance extraordinaire », au sens du règlement no 261/2004.

    26.

    Or, les conditions énumérées par la Cour dans la jurisprudence susmentionnée sont des conditions cumulatives. Ainsi, un événement constitue une circonstance extraordinaire lorsque, d’une part, il n’est pas inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien et lorsque, d’autre part, en raison de sa nature ou de son origine, il échappe à la maîtrise effective de ce dernier.

    27.

    Dès lors, l’absence de l’une de ces conditions empêche de qualifier l’événement de « circonstance extraordinaire ». Il en est ainsi de la collision entre un oiseau et un avion. En effet, si par sa nature ou son origine, elle échappe à la maîtrise effective du transporteur aérien, elle ne saurait, en revanche, être considérée comme n’étant pas inhérente à l’exercice normal de son activité.

    28.

    Le péril animalier dans l’activité du transport aérien est un phénomène bien connu et parfaitement appréhendé par les acteurs concernés. En effet, dès le stade de la fabrication de l’avion, les parties de celui-ci qui sont les plus sensibles à l’impact avec un oiseau – à savoir, notamment, le moteur et le pare-brise du cockpit – font l’objet de tests afin que l’avion puisse obtenir le certificat de navigabilité l’autorisant à voler ( 6 ). Ainsi, afin de tester la résistance de l’avion à une collision avec des volatiles, les constructeurs aéronautiques utilisent fréquemment des « canons à poulet » qui projettent des cadavres de volatiles à la vitesse à laquelle l’avion vole en altitude où il est fréquent de rencontrer de tels volatiles, à savoir au décollage et à l’atterrissage. Ainsi, la structure de l’avion doit être capable de supporter l’impact avec des oiseaux de différentes tailles selon le modèle de l’avion et celui du moteur ( 7 ).

    29.

    Les constructeurs aériens ne sont pas les seuls à prendre en compte le péril animalier. En effet, dans la plupart des aéroports, différentes méthodes sont utilisées afin de faire fuir les oiseaux et autres animaux aux abords des pistes, telles que les tirs de fusées détonantes, la torche laser ou encore les imitations de cris de détresse. De même, afin de réduire l’attrait d’une zone située à proximité d’un aéroport, des mesures spécifiques peuvent être prises, comme l’assèchement des mares ou l’interdiction de cultures trop attractives pour les oiseaux ( 8 ).

    30.

    Il est également connu que certaines périodes sont plus favorables que d’autres à la collision avec des oiseaux, les saisons les plus dangereuses étant les périodes migratoires et la période de l’envol des jeunes oiseaux non habitués aux avions, et les moments de la journée les plus dangereux étant l’aube et le crépuscule ( 9 ).

    31.

    Les collisions d’un ou de plusieurs oiseaux avec un avion sont donc un phénomène courant et connu des différents acteurs économiques opérant dans les transports aériens. D’après une étude américaine sur le péril animalier datant de l’année 2011, 99411 collisions d’un animal avec un avion ont été reportées depuis la création de la base de données de la Federal Aviation Administration (FAA) en 1990. Dans l’écrasante majorité des cas – à savoir 97,4 % –, il s’agissait d’une collision impliquant un oiseau ( 10 ). En France, environ 700 collisions d’oiseaux avec un avion sont recensées chaque année ( 11 ).

    32.

    Les pilotes eux-mêmes jouent un rôle important dans la gestion du péril animalier, que ce soit avant, pendant ou après le vol. En effet, avant le vol, les pilotes prennent connaissance, notamment, des informations disponibles concernant la présence ou non d’oiseaux sur ou à proximité de l’aéroport du départ et de destination au moyen des messages publiés par les agences gouvernementales de contrôle de la navigation aérienne ( 12 ). Si le risque existe, les pilotes peuvent demander une intervention afin d’effaroucher les volatiles. Pendant le roulage, les pilotes doivent également observer attentivement la piste afin de détecter toute présence d’oiseaux et, le cas échéant, de le signaler. Enfin, tout impact d’oiseaux doit faire l’objet d’un compte-rendu ( 13 ).

    33.

    Force est donc de constater que la collision d’un oiseau avec un avion n’est en rien un événement qui se situe « hors de l’ordinaire» ( 14 ), bien au contraire. La fréquence de ce genre de collision, sa prise en compte dans la conception de l’avion, dans la gestion des aéroports ainsi que dans les différentes phases de vol démontrent à suffisance, à nos yeux, qu’un tel événement est tout à fait inhérent à l’exercice normal de l’activité de transporteur aérien. Un raisonnement contraire amènerait à qualifier juridiquement d’« extraordinaire » un événement qui est parfaitement ordinaire.

    34.

    Le risque est certain, connu, pris en compte et présent dès que l’avion décolle ou atterrit, c’est-à-dire qu’il est indissociable de l’activité aéronautique elle-même. Il nous semble clair, au demeurant, que nul ne conteste sérieusement cette caractéristique.

    35.

    Le but recherché est, en réalité, de transférer sur le passager le désagrément résultant de la réalisation de ce risque.

    36.

    Pour atteindre ce résultat, il est nécessaire, ainsi que nous le soulignions dans nos remarques liminaires, que la Cour revienne sur sa jurisprudence telle qu’établie dans l’arrêt du 17 septembre 2015, van der Lans (C‑257/14, EU:C:2015:618). Or, il existe, selon nous, une analogie indéniable entre les deux situations considérées, même si les parties le contestent.

    37.

    Nous ne voyons, en effet, aucune raison qui nous pousserait à adopter un raisonnement différent de celui que la Cour a adopté dans cet arrêt. Elle a ainsi indiqué qu’une panne provoquée par la défaillance prématurée de certaines pièces d’un aéronef constitue, certes, un événement inopiné. Cependant, a-t-elle ajouté, une telle panne demeure intrinsèquement liée au système de fonctionnement très complexe de l’appareil, celui-ci étant exploité par le transporteur aérien dans des conditions, notamment météorologiques, souvent difficiles, voire extrêmes, étant entendu, par ailleurs, qu’aucune pièce d’un aéronef n’est inaltérable ( 15 ). La Cour en a conclu que, dans le cadre de l’activité d’un transporteur aérien, cet événement inopiné est inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien, ce transporteur étant confronté, de manière ordinaire, à ce type de problèmes techniques imprévus ( 16 ).

    38.

    Il a été avancé, lors de l’audience, qu’un événement tel que celui d’une panne provoquée par la défaillance prématurée d’une pièce d’un avion et un événement tel que la collision d’un avion avec un oiseau ne pouvaient être comparés dans la mesure où le premier serait une cause endogène et le second une cause exogène, c’est-à-dire, en clair, selon que la cause est interne ou externe à l’avion. Cependant, nous nous demandons sur quel fondement juridique nous pourrions tirer de ce seul élément des conséquences aussi diamétralement opposées portant une atteinte aussi forte à la protection du consommateur.

    39.

    Cet argument qui fait dépendre l’application d’un principe juridique du point de savoir si le risque est situé à l’intérieur de la structure de l’avion ou à l’extérieur de celle-ci ne change rien à la nature juridique de l’événement. Que ce risque se situe à l’intérieur ou à l’extérieur de la carlingue, la seule caractéristique utile au regard de la jurisprudence de la Cour est de savoir s’il est ou non inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien, ce que nous pensons avoir démontré.

    40.

    Autrement dit, retenir ce critère proposé par les parties reviendrait à opérer un revirement d’une jurisprudence bien établie par la substitution à un critère juridique d’un autre critère purement matériel venant annuler le premier. À l’intérieur ou à l’extérieur de l’avion, le risque reste inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien.

    41.

    Nous voyons bien l’avantage, d’ailleurs en réalité non contesté par les parties, qui en résulterait pour les compagnies aériennes ainsi que le désavantage corrélatif que subiraient les consommateurs. C’est pourquoi, s’il existe une nécessité de mise en balance économique de ces différents intérêts par une modification du droit, il nous semble qu’il appartient au seul législateur de l’Union d’y procéder.

    42.

    De même, lors de l’audience, il a été fait allusion à des situations de retard causées par des conditions météorologiques gravissimes qui justifieraient, dans ce cas, d’être qualifiées de « circonstances extraordinaires ». Il nous paraît, toutefois, tout à fait excessif d’assimiler la rencontre d’un avion avec un oiseau au cours de la phase de décollage ou d’atterrissage avec un événement de la nature de celui invoqué lors de l’audience.

    43.

    Il ne pourrait en être autrement que si le vol d’oiseaux arrivant en nombre empêchait temporairement un avion de décoller ou lui imposait de se poser sur un aéroport de dégagement. Seule cette situation, dans ce cas, nous semble être comparable, en vertu d’un raisonnement analogique, avec celle créée par des circonstances météorologiques exceptionnelles.

    44.

    Par conséquent, nous estimons que l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens qu’une collision d’un oiseau avec un avion, ayant eu pour conséquence d’entraîner plus de trois heures de retard par rapport à l’heure d’arrivée initialement prévue, n’est pas une « circonstance extraordinaire », au sens de cette disposition, et ne peut donc exonérer le transporteur aérien effectif de son obligation d’indemnisation.

    45.

    Nous précisons, au surplus, que, conformément à l’article 13 de ce règlement, le transporteur aérien, lorsqu’il verse une telle indemnité, peut demander réparation à toute personne, y compris des tiers, conformément au droit national applicable. Une telle réparation est, dès lors, susceptible d’atténuer, voire d’effacer, la charge financière supportée par le même transporteur en conséquence de ses obligations qui découlent dudit règlement ( 17 ). Ainsi, si le transporteur aérien effectif estimait, notamment, qu’il était de la responsabilité du gestionnaire de l’aéroport de prendre les mesures suffisantes afin d’effaroucher les volatiles et que tel n’a pas été le cas selon lui, il pourrait, par conséquent, intenter une action en réparation.

    46.

    Au vu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu, selon nous, de répondre aux deuxième à quatrième questions.

    47.

    Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi vise à savoir, en réalité, comment il convient d’appréhender les deux événements qui ont causé un retard de 5 h 20 à l’arrivée au regard du droit à l’indemnisation dont bénéficient les passagers aériens du vol retardé en vertu du règlement no 261/2004.

    48.

    Il ressort des faits du litige au principal, tels qu’exposés par la juridiction de renvoi, que le retard occasionné par la défaillance technique s’élève à 1 h 45. Après la collision d’un oiseau avec l’avion, le retard cumulé de ces deux événements s’élève à 5 h 20. Dès lors, cette collision a provoqué un retard de 3 h 35. Or, dans la mesure où, ainsi que nous l’avons examiné précédemment, la collision d’un oiseau avec un avion ne constitue pas une « circonstance extraordinaire », au sens du règlement no 261/2004, le seul retard occasionné par la collision d’un oiseau avec l’avion suffit pour fonder le droit à indemnisation dont bénéficient les passagers aériens du vol concerné. Il n’y a donc pas lieu, selon nous, d’examiner la cinquième question.

    V – Conclusion

    49.

    Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre à l’Obvodní soud pro Prahu 6 (tribunal d’arrondissement de Prague 6, République tchèque) de la manière suivante :

    L’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, doit être interprété en ce sens qu’une collision d’un oiseau avec un avion, ayant eu pour conséquence d’entraîner plus de trois heures de retard par rapport à l’heure d’arrivée initialement prévue, n’est pas une « circonstance extraordinaire », au sens de cette disposition, et ne peut donc exonérer le transporteur aérien effectif de son obligation d’indemnisation.


    ( 1 ) Langue originale : le français.

    ( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1).

    ( 3 ) Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999, signée par la Communauté européenne le 9 décembre 1999 et approuvée au nom de celle-ci par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001 (JO 2001, L 194, p. 38).

    ( 4 ) Arrêt du 17 septembre 2015, van der Lans (C‑257/14, EU:C:2015:618, point 35 et jurisprudence citée).

    ( 5 ) Voir arrêt du 17 septembre 2015, van der Lans (C‑257/14, EU:C:2015:618, point 36 et jurisprudence citée).

    ( 6 ) Voir décision no 2003/9/RM de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), du 24 octobre 2003, à l’adresse Internet suivante : https://www.easa.europa.eu/system/files/dfu/decision_ED_2003_09_RM.pdf.

    ( 7 ) Voir p. 60 et suiv. de cette décision.

    ( 8 ) Voir note d’information technique de la direction générale de l’aviation civile du mois de mars 2007 à l’adresse Internet suivante : http://www.stac.aviation-civile.gouv.fr/publications/documents/peril_animalier.pdf.

    ( 9 ) Idem.

    ( 10 ) Voir synthèse de l’Airport Cooperative Research Program (ACRP), intitulée « Bird harassment, repellent, and deterrent techniques for use on and near airports », disponible à l’adresse Internet suivante : http://onlinepubs.trb.org/onlinepubs/acrp/acrp_syn_023.pdf.

    ( 11 ) Voir statistiques du service technique de l’aviation civile à l’adresse Internet suivante : http://www.stac.aviation-civile.gouv.fr/risque_animalier/picaweb.php.

    ( 12 ) Ces messages sont appelés Notice to Airmen (NOTAM).

    ( 13 ) Voir adresse Internet suivante : http://www.stac.aviation-civile.gouv.fr/risque_animalier/prevention.php.

    ( 14 ) Voir arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, point 29).

    ( 15 ) Arrêt du 17 septembre 2015, van der Lans (C‑257/14, EU:C:2015:618, point 41).

    ( 16 ) Arrêt du 17 septembre 2015, van der Lans (C‑257/14, EU:C:2015:618, point 42).

    ( 17 ) Voir arrêt du 17 septembre 2015, van der Lans (C‑257/14, EU:C:2015:618, point 46 et jurisprudence citée).

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