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Document 62017CJ0265

Arrêt de la Cour (première chambre) du 16 janvier 2019.
Commission européenne contre United Parcel Service, Inc.
Pourvoi – Contrôle des opérations de concentration d’entreprises – Acquisition de TNT Express par UPS – Décision de la Commission déclarant l’opération de concentration incompatible avec le marché intérieur et le fonctionnement de l’accord EEE – Modèle économétrique élaboré par la Commission – Non-communication des modifications apportées au modèle économétrique – Violation des droits de la défense.
Affaire C-265/17 P.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:23

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

16 janvier 2019 ( *1 )

« Pourvoi – Contrôle des opérations de concentration d’entreprises – Acquisition de TNT Express par UPS – Décision de la Commission déclarant l’opération de concentration incompatible avec le marché intérieur et le fonctionnement de l’accord EEE – Modèle économétrique élaboré par la Commission – Non-communication des modifications apportées au modèle économétrique – Violation des droits de la défense »

Dans l’affaire C‑265/17 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 16 mai 2017,

Commission européenne, représentée par MM. T. Christoforou, N. Khan, H. Leupold et A. Biolan, en qualité d’agents,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

United Parcel Service, Inc., établie à Atlanta, Géorgie (États-Unis), représentée par M. A. Ryan, solicitor, Me F. Hoseinian, advokat, Mes W. Knibbeler, S. A. Pliego et P. van den Berg, advocaten, et M. F. Roscam Abbing, advocate,

partie demanderesse en première instance,

FedEx Corp., établie à Memphis, Tennessee (États-Unis), représentée par Mme F. Carlin, barrister, M. G. Bushell, solicitor, et Me N. Niejahr, Rechtsanwältin,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. A. Arabadjiev, E. Regan, C. G. Fernlund (rapporteur) et S. Rodin, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 juillet 2018,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 7 mars 2017, United Parcel Service/Commission (T‑194/13, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2017:144), par lequel celui-ci a annulé la décision C(2013) 431 de la Commission, du 30 janvier 2013, déclarant une concentration incompatible avec le marché intérieur et avec le fonctionnement de l’accord EEE (affaire COMP/M.6570 – UPS/TNT Express) (ci-après la « décision litigieuse »).

Les antécédents du litige

2

Il ressort de l’arrêt attaqué qu’United Parcel Service Inc. (ci-après « UPS ») et TNT Express NV (ci-après « TNT ») sont deux sociétés présentes sur les marchés des services internationaux de distribution expresse de petits colis.

3

Le 15 juin 2012, UPS a notifié à la Commission son projet d’acquisition de TNT, en application de l’article 4 du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1).

4

Le 30 janvier 2013, la Commission a adopté la décision litigieuse. La Commission a déclaré que la concentration notifiée était incompatible avec le marché intérieur et avec l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), après avoir constaté qu’elle constituerait une entrave significative à une concurrence effective sur les marchés des services en cause dans quinze États membres, à savoir en Bulgarie, en République tchèque, au Danemark, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, en Hongrie, à Malte, aux Pays-Bas, en Pologne, en Roumanie, en Slovénie, en Slovaquie, en Finlande et en Suède.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

5

Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 5 avril 2013, UPS a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. À l’appui de ce recours, UPS invoquait notamment un moyen pris de la violation des droits de la défense par lequel elle reprochait à la Commission d’avoir adopté la décision litigieuse en s’appuyant sur un modèle économétrique différent de celui ayant fait l’objet d’un débat contradictoire durant la procédure administrative.

6

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli ce moyen et annulé la décision litigieuse.

Les conclusions des parties

7

La Commission demande à la Cour :

d’annuler l’arrêt attaqué ;

de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

de réserver les dépens de la présente instance.

8

UPS demande à la Cour :

de déclarer le pourvoi irrecevable et/ou inopérant, ou

de le rejeter dans son intégralité, ou,

à titre subsidiaire, de rendre un arrêt définitif conservant le dispositif de l’arrêt attaqué par voie de substitution de motifs, et

de condamner la Commission aux dépens du pourvoi et de la procédure devant le Tribunal.

Sur le pourvoi

Sur la recevabilité

9

À titre liminaire, UPS fait valoir que, en raison de certaines erreurs de procédure, le pourvoi doit être rejeté comme étant irrecevable et, en tout état de cause, inopérant.

10

En premier lieu, UPS soutient que la Commission critique certaines constatations factuelles effectuées par le Tribunal dans l’arrêt attaqué, sans pour autant invoquer une dénaturation des faits.

11

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 256 TFUE et à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 26 janvier 2017, Masco e.a./Commission, C‑614/13 P, EU:C:2017:63, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

12

En l’occurrence, force est de constater que les erreurs de droit invoquées par la Commission à l’appui de son pourvoi concernent le respect des règles procédurales par le Tribunal, telles que l’obligation de motiver ses décisions et de statuer sur les moyens et les arguments dont il est saisi. La Commission conteste en outre les motifs par lesquels le Tribunal a conclu qu’elle aurait dû communiquer les modifications apportées au modèle économétrique au cours de la procédure administrative ainsi que les conséquences juridiques d’une telle absence de communication quant à la validité de la décision litigieuse. Contrairement aux affirmations d’UPS, les critiques ainsi adressées par la Commission à l’encontre de l’arrêt attaqué ne visent pas des constatations factuelles mais portent sur diverses erreurs de droit que le Tribunal aurait commises.

13

UPS soutient, en deuxième lieu, que le pourvoi est irrecevable car la Commission se borne, en particulier dans les deux premières branches de son premier moyen, à répéter l’argumentation que le Tribunal a rejetée, notamment, aux points 176, 181, 185, 186, 198 et 203 à 209 de l’arrêt attaqué.

14

Il est vrai qu’un pourvoi est irrecevable dans la mesure où il se limite à répéter les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal, y compris ceux qui étaient fondés sur des faits expressément rejetés par cette juridiction. En effet, un tel pourvoi constitue, en réalité, une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 10 novembre 2016, DTS Distribuidora de Televisión Digital/Commission, C‑449/14 P, EU:C:2016:848, point 28).

15

En revanche, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être de nouveau discutés au cours de la procédure de pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, ladite procédure serait privée d’une partie de son sens (arrêt du 10 novembre 2016, DTS Distribuidora de Televisión Digital/Commission, C‑449/14 P, EU:C:2016:848, point 29).

16

En l’espèce, contrairement à ce que fait valoir UPS, la Commission ne se borne pas, dans son pourvoi, à reproduire l’argumentation qu’elle a développée en première instance. En effet, la Commission critique les motifs de droit retenus par le Tribunal dans l’arrêt attaqué, notamment par les deux premières branches de son premier moyen du pourvoi, par lesquelles elle reproche au Tribunal d’avoir omis de statuer sur certains arguments de sa défense.

17

En troisième lieu, UPS allègue que le pourvoi doit en tout état de cause être rejeté comme étant inopérant car il ne peut pas aboutir au renvoi de l’affaire devant le Tribunal comme le demande la Commission. En effet, dans l’hypothèse où le pourvoi serait accueilli, UPS demande à la Cour de maintenir, en recourant à une substitution de motifs, l’annulation de la décision litigieuse en raison de son défaut de motivation et de la violation des droits de la défense par la Commission.

18

À cet égard, il suffit de relever que la question de savoir si un pourvoi est, en tout ou en partie, inopérant relève non pas de l’examen de la recevabilité de ce pourvoi, mais de celui de son bien-fondé.

19

Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de rejeter dans son intégralité l’argumentation d’UPS visant à contester la recevabilité du pourvoi et de certains de ses moyens.

Sur le fond

20

À l’appui de son pourvoi, la Commission développe quatre moyens. En substance, par ces moyens, dont les multiples branches se chevauchent partiellement, la Commission fait grief au Tribunal d’avoir commis trois erreurs de droit. Les deux premières se rapportent à la violation des droits de la défense ainsi qu’aux conséquences qui en découlent, et la troisième vise la violation de l’obligation pour le Tribunal de motiver ses décisions.

Sur la violation des droits de la défense

– Argumentation des parties

21

La Commission, par le premier moyen du pourvoi, pris en ses deuxième et troisième branches, conteste le motif exposé au point 209 de l’arrêt attaqué, selon lequel « la Commission ne saurait alléguer qu’elle n’avait pas l’obligation de communiquer à la requérante le modèle final de l’analyse économétrique avant l’adoption de la décision [litigieuse] ».

22

La Commission nie l’existence d’une telle obligation.

23

En premier lieu, la Commission estime, après le stade de la communication des griefs, qu’elle n’est pas tenue de divulguer les éventuelles appréciations intermédiaires ultérieures des points sur lesquels elle a fondé ses griefs, ces appréciations pouvant changer au cours de la procédure. En l’espèce, l’analyse des rapports entre le niveau de concentration et les prix aurait été réalisée à partir des données fournies par UPS et TNT. La méthodologie par laquelle ces données ont été évaluées au moyen d’un modèle économétrique aurait été affinée compte tenu des arguments d’UPS. La remise en cause de l’appréciation portée par la Commission sur ces données relèverait non pas des droits de la défense mais de l’analyse du bien-fondé de la décision litigieuse.

24

En deuxième lieu, la Commission conteste les motifs exposés aux points 199 et 200 de l’arrêt attaqué sur la base desquels le Tribunal s’est appuyé pour considérer, au point 209 de cet arrêt, que la Commission était tenue de communiquer à UPS la version finale du modèle avant d’adopter la décision litigieuse. Elle fait valoir que la référence à l’arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala (C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 61), au point 200 de l’arrêt attaqué, n’est pas pertinente. En effet, il ressortirait de cet arrêt que, si la Commission ne peut pas retenir dans sa décision finale des griefs autres que ceux qui ont été communiqués aux entreprises, cette communication reste provisoire et susceptible de modifications, la seule obligation en la matière étant de motiver la décision finale.

25

S’agissant de la référence à l’arrêt du 9 mars 2015, Deutsche Börse/Commission (T‑175/12, non publié, EU:T:2015:148, point 247), au point 199 de l’arrêt attaqué, la Commission estime également qu’elle n’est pas pertinente. En effet, dans cet arrêt, le Tribunal aurait écarté l’argument pris d’une violation des droits de la défense, au motif que la Commission n’est pas tenue de maintenir les appréciations portées dans la communication des griefs ni d’expliquer, dans la décision finale, les différences éventuelles par rapport à ses appréciations portées dans cette communication.

26

En troisième lieu, la Commission soutient que l’approche suivie par le Tribunal est incompatible avec l’économie et les délais du règlement no 139/2004. Le Tribunal aurait laissé entendre, dans l’arrêt attaqué, que la Commission doit divulguer aux parties notifiantes toutes ses réflexions internes avant d’adopter sa décision. Or, selon l’article 17, paragraphe 3, du règlement (CE) no 802/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 133, p. 1), le droit d’accès au dossier ne s’étend pas aux documents internes de la Commission. Une telle approche, que le Tribunal n’aurait au demeurant pas limitée aux analyses économétriques, risquerait de mettre en péril la procédure de contrôle des concentrations, laquelle est encadrée par des délais très brefs.

27

UPS réfute cette argumentation.

– Appréciation de la Cour

28

À titre liminaire, il convient de rappeler que le respect des droits de la défense constitue un principe général du droit de l’Union qui trouve à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre à l’encontre d’une personne un acte qui lui fait grief (arrêt du 18 décembre 2008, Sopropé, C‑349/07, EU:C:2008:746, point 36).

29

Pour les procédures de contrôle des opérations de concentration, ce principe est posé à l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 ainsi que, de manière plus précise, à l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 802/2004. Ces dernières dispositions exigent notamment la communication par écrit des objections de la Commission aux parties notifiantes, avec indication à ces dernières du délai dans lequel elles peuvent faire connaître leur point de vue par écrit (arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 62).

30

Ces dispositions sont complétées par celles relatives à l’accès au dossier, lequel constitue le corollaire du principe du respect des droits de la défense (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 68). Il ressort ainsi de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 139/2004 et de l’article 17 du règlement no 802/2004 que l’accès au dossier est ouvert aux parties directement intéressées, après la notification des griefs, sous réserve, notamment, de l’intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d’affaires ne soient pas divulgués, cet accès aux documents ne s’étendant ni aux informations confidentielles ni aux documents internes de la Commission ou des autorités compétentes des États membres.

31

Le respect des droits de la défense avant l’adoption d’une décision en matière de contrôle des concentrations exige donc que les parties notifiantes soient mises en mesure de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence de tous les éléments sur lesquels la Commission entend fonder sa décision [voir, par analogie, arrêt du 22 octobre 2013, Sabou (C‑276/12, EU:C:2013:678), point 38 et jurisprudence citée].

32

S’agissant des modèles économétriques utilisés dans le cadre de procédures de contrôle des opérations de concentration, il importe de rappeler que l’analyse prospective nécessaire en la matière consiste à examiner en quoi une telle opération pourrait modifier les facteurs déterminant l’état de la concurrence sur les marchés affectés. Ce type d’analyse requiert d’imaginer les divers enchaînements de cause à effet, afin de retenir ceux dont la probabilité est la plus forte (arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, EU:C:2005:87, points 42 et 43).

33

À cette fin, le recours à des modèles économétriques permet de parfaire la compréhension de l’opération projetée en identifiant et, le cas échéant, en quantifiant certains de ses effets, et de contribuer ainsi à la qualité des décisions de la Commission. Il est donc nécessaire que, lorsque la Commission entend fonder sa décision sur de tels modèles, les parties notifiantes soient mises en mesure de faire connaître leurs observations à cet égard.

34

La divulgation de ces modèles et des choix méthodologiques qui sous-tendent leur élaboration s’impose d’autant plus qu’elle contribue, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 43 de ses conclusions, à conférer à la procédure son caractère équitable, conformément au principe de bonne administration énoncé à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

35

La Commission prétend néanmoins ne pas être tenue de divulguer toutes les modifications apportées à un modèle élaboré avec la collaboration des parties à l’opération et sur lequel reposent les griefs communiqués. La Commission souligne que, à un tel stade, les griefs peuvent évoluer et les modifications apportées aux modèles sont assimilables à des documents internes non soumis à l’accès au dossier.

36

Certes, la communication des griefs est, par nature, provisoire et susceptible de modifications lors de l’évaluation à laquelle la Commission procède ultérieurement sur la base des observations qui lui ont été présentées en réponses par les parties ainsi que d’autres considérations factuelles (arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 63). En raison de ce caractère provisoire, la communication des griefs n’empêche nullement la Commission de modifier sa position en faveur des entreprises concernées, sans pour autant être tenue d’expliquer les différences éventuelles par rapport à ses appréciations provisoires contenues dans cette communication (arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, points 63 à 65).

37

Toutefois, ces considérations ne permettent pas de considérer que la Commission peut modifier après la communication des griefs la substance d’un modèle économétrique sur la base duquel elle entend fonder ses objections sans porter cette modification à la connaissance des entreprises intéressées et leur permettre de faire valoir leurs observations à cet égard. Une telle interprétation serait en effet contraire au principe du respect des droits de la défense et aux dispositions de l’article 18, paragraphe 3, du règlement no 139/2004, lesquelles, d’une part, exigent que la Commission ne fonde ses décisions que sur les objections au sujet desquelles les intéressés ont pu faire valoir leurs observations et, d’autre part, prévoient un droit d’accès au dossier ouvert au moins aux parties directement intéressées. Il est également exclu que de tels éléments puissent être qualifiés de documents internes au sens de l’article 17 du règlement no 802/2004.

38

Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’impératif de célérité qui caractérise l’économie générale du règlement no 139/2004 impose à la Commission de respecter des délais stricts pour l’adoption de la décision finale (arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 49). La Commission est tenue de concilier cet impératif de célérité avec le respect des droits de la défense.

39

En l’occurrence, après avoir fidèlement exposé, aux points 199 et 200 de l’arrêt attaqué, les exigences découlant du principe du respect des droits de la défense, le Tribunal a procédé à diverses constatations d’ordre factuel qui n’ont pas été contestées par la Commission dans son pourvoi.

40

Ainsi, le Tribunal a constaté, aux points 201 et 211 à 213 de l’arrêt attaqué, que la Commission s’était appuyée sur la version finale du modèle économétrique pour identifier le nombre d’États membres sur le territoire desquels l’opération de concentration projetée conduirait à une entrave substantielle à une concurrence effective.

41

Au point 202 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que la version finale du modèle économétrique avait été adoptée le 21 novembre 2012, soit plus de deux mois avant l’adoption de la décision litigieuse et, au point 203, que la Commission n’avait pas communiqué cette version finale à UPS. Aux points 205 à 208 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que les modifications figurant dans ladite version finale par rapport aux modèles discutés pendant la procédure administrative n’étaient pas négligeables.

42

En outre, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 61 de ses conclusions, la Commission n’a fourni aucun élément indiquant les motifs concrets pour lesquels il lui aurait été en pratique impossible, à cette date, d’impartir à UPS un court délai de réponse afin de l’entendre sur ladite version finale.

43

Eu égard à ces éléments, c’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a pu conclure, au point 209 de l’arrêt attaqué, que « la Commission ne saurait alléguer qu’elle n’avait pas l’obligation de communiquer à la requérante le modèle final de l’analyse économétrique avant l’adoption de la décision [litigieuse] ».

44

Dès lors, le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, doit être rejeté comme étant non fondé.

Sur les conséquences à tirer d’une violation des droits de la défense

– Argumentation des parties

45

La Commission conteste, par les première et deuxième branches du deuxième moyen et les première et deuxième branches du quatrième moyen, l’appréciation du Tribunal, figurant au point 210 de l’arrêt attaqué, par laquelle celui-ci a jugé que « les droits de la défense de la requérante ont été méconnus, de sorte qu’il y a lieu d’annuler la décision [litigieuse], pour autant que la requérante ait suffisamment démontré non que, à défaut de cette irrégularité procédurale, la décision [litigieuse] aurait eu un contenu différent, mais bien qu’elle aurait pu avoir une chance, même réduite, de mieux assurer sa défense (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑109/10 P, EU:C:2011:686, point 57) ».

46

En premier lieu, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en appliquant au cas d’espèce le critère jurisprudentiel issu du point 57 de l’arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission (C‑109/10 P, EU:C:2011:686).

47

Alors que ce critère ne concernerait que les conséquences à tirer de l’omission de communiquer une pièce à décharge, le modèle économétrique en cause serait non pas un élément de preuve mais un outil permettant à la Commission d’apprécier les effets probables de la concentration sur les prix. Quand bien même s’agirait-il d’un élément de preuve, ce modèle ne serait qu’un élément potentiellement à décharge. Le seul fait que le modèle ait conduit à réduire de 29 à 15 le nombre de marchés nationaux dans lesquels la concentration pourrait donner lieu à une entrave significative à une concurrence effective serait insuffisant à cet égard. En outre, la circonstance qu’un des facteurs retenus par la Commission était plus défavorable dans la communication des griefs que dans la décision finale ne permettrait pas à elle seule de considérer que les éléments de preuve utiles à l’appréciation de ces facteurs seraient devenus, au stade de cette décision, des éléments à décharge.

48

La Commission en déduit que le Tribunal aurait dû appliquer la règle relative à la violation des droits de la défense résultant de la non- communication de pièces à charge issue de l’arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 72 et 73), selon laquelle l’élimination en tant que moyen de preuve d’un document à charge non communiqué ne peut conduire à l’annulation de la décision attaquée qu’en l’absence de toutes autres preuves documentaires dont les parties ont eu connaissance au cours de la procédure administrative.

49

En second lieu, la Commission soutient que, quand bien même il aurait été porté atteinte aux droits de la défense d’UPS, une telle atteinte ne pouvait, en tout état de cause, entraîner l’annulation de la décision litigieuse, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal au point 222 de l’arrêt attaqué.

50

La Commission rappelle qu’elle a fait valoir dans son argumentation en première instance qu’il suffit de constater une entrave significative à une concurrence effective sur un seul marché pour déclarer une opération de concentration incompatible avec le marché intérieur. Or, au Danemark et aux Pays-Bas, l’opération projetée aurait entraîné à la fois une entrave significative à une concurrence effective et un effet net négatif sur les prix. Pour ces deux marchés au moins, toute erreur en ce qui concerne le modèle économétrique relatif au niveau des prix serait donc sans conséquences, la constatation d’une entrave à la concurrence reposant sur d’autres facteurs. Compte tenu de ces éléments, la Commission estime que le Tribunal aurait dû rejeter le moyen pris de la méconnaissance des droits de la défense comme étant inopérant.

51

Enfin, selon la Commission, UPS ne saurait prétendre que, si elle avait eu connaissance de la version finale du modèle économétrique, elle aurait été en mesure de proposer des mesures correctrices.

52

UPS conteste l’argumentation de la Commission.

– Appréciation de la Cour

53

Ainsi qu’il a été souligné aux points 32 à 34 du présent arrêt, les modèles économétriques sont, par leur nature et leur fonction, des outils quantitatifs utiles à l’analyse prospective à laquelle la Commission se livre dans le cadre des procédures de contrôle des concentrations. Les fondements méthodologiques sur lesquels reposent ces modèles doivent être aussi objectifs que possible afin de ne pas préjuger de l’issue de cette analyse dans un sens ou dans l’autre. Ces éléments contribuent ainsi à l’impartialité et à la qualité des décisions de la Commission dont dépend, en dernier ressort, la confiance que le public et les entreprises placent dans la légitimité de la procédure de contrôle des concentrations de l’Union.

54

Compte tenu de ces caractéristiques, un modèle économétrique ne saurait être qualifié de pièce à charge ou à décharge selon le sens des résultats auxquels il aboutit et l’utilisation subséquente qui en est faite aux fins de fonder ou d’écarter certaines objections à une opération de concentration. Dans la perspective du respect des droits de la défense, la question de savoir si l’absence de communication aux parties à une opération de concentration d’un modèle économétrique justifie l’annulation de la décision de la Commission ne dépend pas de la qualification préalable de ce modèle en tant que pièce à charge ou de pièce à décharge, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé en substance au point 40 de ses conclusions.

55

Compte tenu de l’importance des modèles économétriques pour l’analyse prospective des effets d’une concentration, augmenter le seuil probatoire requis afin d’annuler une décision en raison d’une violation des droits de la défense résultant, comme dans la présente affaire, de l’absence de communication des choix méthodologiques, en particulier s’agissant des techniques statistiques, qui sont inhérents à ces modèles, comme le préconise, en substance, la Commission, irait à l’encontre de l’objectif consistant à inciter celle-ci à faire preuve de transparence dans l’élaboration des modèles économétriques utilisés dans les procédures de contrôle des concentrations et nuirait à l’effectivité du contrôle juridictionnel subséquent de ses décisions.

56

Il découle de ces éléments que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 210 de l’arrêt attaqué, que « les droits de la défense de la requérante ont été méconnus, de sorte qu’il y a lieu d’annuler la décision [litigieuse], pour autant que la requérante a suffisamment démontré non que, à défaut de cette irrégularité procédurale, la décision [litigieuse] aurait eu un contenu différent, mais bien qu’elle aurait pu avoir une chance, même réduite, de mieux assurer sa défense (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, Solvay/Commission, C‑109/10 P, EU:C:2011:686, point 57) ».

57

Par voie de conséquence, et contrairement à ce que fait valoir la Commission, le Tribunal ne pouvait pas déclarer inopérant le moyen tiré de la violation des droits de la défense invoqué par UPS en première instance en raison du fait que, s’agissant des marchés danois et néerlandais, la Commission aurait constaté l’existence d’une entrave substantielle à une concurrence effective indépendamment de toute prise en compte du modèle économétrique.

58

Il convient, par suite, de rejeter les première et deuxième branches du deuxième moyen ainsi que les première et deuxième branches du quatrième moyen.

Sur la violation de l’obligation de motivation

– Argumentation des parties

59

En premier lieu, la Commission, par la première branche du premier moyen et la deuxième branche du troisième moyen, conteste le point 198 de l’arrêt attaqué, ainsi libellé :

« En ce qu’il est pris en sa première branche, relative aux effets probables de la concentration sur les prix, le deuxième moyen implique de vérifier si les droits de la défense de la requérante ont été affectés par les conditions dans lesquelles l’analyse économétrique en cause a reposé sur un modèle économétrique différent de celui ayant fait l’objet d’un débat contradictoire durant la procédure administrative. »

60

Le Tribunal aurait ainsi omis de statuer sur l’argumentation de la Commission, résumée au point 181 de l’arrêt attaqué, par laquelle elle soutenait que, la communication des griefs n’ayant qu’un caractère provisoire, elle était en droit de réviser ou d’ajouter des éléments ultérieurement, sous réserve que la décision retienne les mêmes griefs que ceux déjà communiqués aux parties. Or, l’absence de prise en considération, d’une manière juridiquement correcte, de tout argument invoqué par une partie en première instance constituerait une erreur de droit (arrêt du 2 avril 2009, France Télécom/Commission, C‑202/07 P, EU:C:2009:214, point 41). Faute d’avoir donné la moindre explication quant aux raisons pour lesquelles il a considéré qu’il n’était pas nécessaire de répondre à l’argument principal de la Commission, le Tribunal aurait méconnu son obligation de motivation (arrêt du 19 décembre 2012, Mitteldeutsche Flughafen et Flughafen Leipzig-Halle/Commission, C‑288/11 P, EU:C:2012:821, point 83).

61

En deuxième lieu, la Commission, par la première branche du troisième moyen, reproche au Tribunal d’avoir omis de prendre acte de l’argumentation développée en première instance dans ses réponses aux questions du Tribunal posées à la suite de l’audience du 6 avril 2016, selon laquelle l’utilisation dans le modèle économétrique d’une variable continue pour le stade de la prévision est non seulement justifiée, mais, en outre, « découle de façon intuitive » de la méthodologie proposée par UPS s’agissant du stade de l’évaluation. Il ne saurait être affirmé que l’arrêt attaqué contient une motivation, ne fût-ce qu’implicite, sur ce point, de telle sorte que le Tribunal ne peut être regardé comme ayant examiné les arguments de la Commission.

62

En troisième lieu, par la deuxième branche du deuxième moyen et la troisième branche du quatrième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal, aux points 198 à 222 de l’arrêt attaqué, a omis de répondre à l’argumentation par laquelle elle soutenait que le moyen d’UPS pris de la violation des droits de la défense était inopérant en raison du fait que le constat d’une entrave significative à une concurrence effective sur les marchés danois et néerlandais ne reposait pas exclusivement sur les résultats du modèle économétrique. Il serait contradictoire pour l’arrêt attaqué de prononcer l’annulation de la décision litigieuse pour violation des droits de la défense tout en ayant constaté, aux points 217 et 218 de l’arrêt attaqué, que la version finale du modèle économétrique, d’une part, avait « pu, dans certains États membres à tout le moins, faire échec aux informations qualitatives prises en compte par la Commission » et, d’autre part, avait permis à cette dernière de réduire le nombre d’États dans lesquels l’opération de concentration aurait donné lieu à une entrave significative à une concurrence effective.

63

UPS conteste l’argumentation de la Commission.

– Appréciation de la Cour

64

S’agissant du premier grief, énoncé dans la première branche du premier moyen et dans la deuxième branche du troisième moyen, il suffit de constater que, par les motifs figurant aux points 198 à 209 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a implicitement mais nécessairement répondu à l’argumentation de la Commission résumée au point 181 de l’arrêt attaqué. Dès lors, il y a lieu de rejeter ce premier grief comme étant non fondé.

65

S’agissant du deuxième grief, énoncé dans la première branche du troisième moyen, il convient de rappeler que, par les motifs exposés aux points 198 à 208 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a légalement justifié son appréciation, figurant au point 209 de cet arrêt, selon laquelle « la Commission ne saurait alléguer qu’elle n’avait pas l’obligation de communiquer à la requérante le modèle final de l’analyse économétrique avant l’adoption de la décision [litigieuse] ».

66

Le Tribunal a, en particulier, constaté au point 205 de l’arrêt attaqué que les modifications apportées par la Commission au modèle économétrique n’étaient pas négligeables. Le Tribunal a, en outre, relevé au point 207 de l’arrêt attaqué que « la Commission s’[était] appuyée sur une variable discrétisée au stade de l’estimation et sur une variable continue au stade de la prévision » et jugé, au point 208 de cet arrêt, que, « si l’utilisation d’une variable discrétisée [avait] fait l’objet de discussions itératives pendant la procédure administrative, il ne [ressortait] pas du dossier que tel [aurait été] également le cas de l’application de variables différentes aux différents stades qui composent l’analyse économétrique ».

67

Par ces motifs, le Tribunal a légalement justifié sa décision et rejeté implicitement mais nécessairement l’argumentation par laquelle la Commission faisait valoir qu’UPS aurait « intuitivement » été en mesure d’identifier les modifications apportées au modèle économétrique. Dès lors, il y a lieu de rejeter le deuxième grief comme étant non fondé.

68

S’agissant du troisième grief, énoncé dans la deuxième branche du deuxième moyen ainsi que dans la troisième branche du quatrième moyen, il suffit de constater que cette argumentation repose sur la prémisse selon laquelle le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 210 de l’arrêt attaqué, que la violation des droits de la défense constatée entraînait l’annulation « pour autant que la requérante ait suffisamment démontré non que, à défaut de cette irrégularité procédurale, la décision [litigieuse] aurait eu un contenu différent, mais bien qu’elle aurait pu avoir une chance, même réduite, de mieux assurer sa défense ». Or, pour les motifs précédemment exposés aux points 53 à 58 du présent arrêt, cette prémisse est erronée. Dès lors, il convient de rejeter le troisième grief comme étant non fondé.

69

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

70

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. UPS ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

 

1)

Le pourvoi est rejeté.

 

2)

La Commission européenne est condamnée aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.

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