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Document 62015CC0516
Opinion of Advocate General Wahl delivered on 21 December 2016.#Akzo Nobel NV and Others v European Commission.#Appeal — Agreements, decisions and concerted practices — European markets in tin stabilisers and in ESBO/esters heat stabilisers — Price fixing, market allocation and exchange of commercially sensitive information — Whether the unlawful conduct of the subsidiaries may be attributed to the parent company — Regulation (EC) No 1/2003 — Article 25(1) — Limitation period for the imposition of penalties on subsidiaries — Effects on the legal position of the parent company.#Case C-516/15 P.
Conclusions de l'avocat général M. N. Wahl, présentées le 21 décembre 2016.
Akzo Nobel NV e.a. contre Commission européenne.
Pourvoi – Ententes – Marchés européens des stabilisants étain et des stabilisants thermiques ESBO/esters – Fixation des prix, répartition des marchés et échange d’informations commerciales sensibles – Imputabilité à la société mère du comportement infractionnel des filiales – Règlement (CE) no 1/2003 – Article 25, paragraphe 1 – Prescription en matière d’imposition de sanctions à l’égard des filiales – Effets sur la situation juridique de la société mère.
Affaire C-516/15 P.
Conclusions de l'avocat général M. N. Wahl, présentées le 21 décembre 2016.
Akzo Nobel NV e.a. contre Commission européenne.
Pourvoi – Ententes – Marchés européens des stabilisants étain et des stabilisants thermiques ESBO/esters – Fixation des prix, répartition des marchés et échange d’informations commerciales sensibles – Imputabilité à la société mère du comportement infractionnel des filiales – Règlement (CE) no 1/2003 – Article 25, paragraphe 1 – Prescription en matière d’imposition de sanctions à l’égard des filiales – Effets sur la situation juridique de la société mère.
Affaire C-516/15 P.
Court reports – general
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2016:1004
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NILS WAHL
présentées le 21 décembre 2016 ( 1 )
Affaire C‑516/15 P
Akzo Nobel NV
Akzo Nobel Chemicals GmbH
Akzo Nobel Chemicals BV
contre
Commission européenne
«Pourvoi — Ententes — Marchés européens des stabilisants thermiques — Décision constatant deux infractions à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE — Fixation des prix, répartition des marchés et échange d’informations commerciales sensibles — Imputation de la responsabilité — Infractions commises par des filiales et responsabilité dérivée de la société mère — Conséquences d’une annulation de l’amende infligée aux filiales en raison de l’expiration du délai de prescription visé à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 1/2003»
1. |
Le présent pourvoi, dirigé contre l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 15 juillet 2015, Akzo Nobel e.a./Commission (T‑47/10, EU:T:2015:506) (ci-après l’« arrêt attaqué »), invite la Cour à fournir certaines précisions quant aux conséquences devant être concrètement tirées des principes qu’elle a consacrés en matière d’imputation de la responsabilité des comportements anticoncurrentiels. |
2. |
La question se pose plus précisément de savoir si et, le cas échéant, dans quelles limites le bénéfice de l’écoulement du délai de prescription du pouvoir de sanction constaté à l’égard d’une filiale doit être étendu à sa société mère. En effet, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que le fait que la Commission européenne ne pouvait plus imposer d’amende à Akzo Nobel Chemicals GmbH (ci-après « Akzo GmbH ») et à Akzo Chemicals BV (ci-après « Akzo BV »), sociétés filiales de Akzo Nobel NV en raison de la prescription n’avait « pas pour conséquence de remettre en cause la responsabilité de la société mère et d’empêcher les poursuites à son égard ». Il a en effet considéré que « l’acquisition de la prescription prévue à l’article 25 du règlement [(CE)] n° 1/2003 [ ( 2 )] n’a[vait] pas pour effet d’effacer l’existence d’une infraction, ni d’empêcher la Commission de constater, dans une décision, la responsabilité pour une telle infraction […], mais seulement de faire échapper aux poursuites destinées à l’imposition de sanctions ceux qui en bénéficient ». |
3. |
Pour les raisons que j’exposerai dans les développements qui suivent, je suis d’avis que cette appréciation encourt la censure. |
I – Antécédents du litige
4. |
Les faits à l’origine du présent litige, qui sont d’une indéniable complexité, sont exposés aux points 1 à 50 de l’arrêt attaqué. |
5. |
Pour les besoins de la compréhension de l’affaire, je me limiterai à rappeler les éléments suivants. |
6. |
La présente affaire a trait à la décision C (2009) 8682 final de la Commission, du 11 novembre 2009, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) (affaire COMP/38589 – Stabilisants thermiques) (ci-après la « décision litigieuse »). |
7. |
Par la décision litigieuse, la Commission a considéré qu’un certain nombre d’entreprises, parmi lesquelles figurent les requérantes, avaient enfreint l’article 81 CE et l’article 53 de l’accord EEE en participant à deux ensembles d’accords et de pratiques concertées anticoncurrentiels couvrant le territoire de l’EEE et concernant deux catégories de stabilisants thermiques, à savoir, d’une part, le secteur des stabilisants étain et, d’autre part, le secteur de l’huile de soja époxydée et des esters (ci-après le « secteur ESBO/esters »). |
8. |
La décision litigieuse retient l’existence de deux infractions portant sur ces deux catégories de stabilisants thermiques consistant à fixer les prix, à répartir les marchés au moyen de quotas de vente, à répartir les clients et à échanger des informations commerciales sensibles. |
9. |
Cette décision énonce que les entreprises concernées ont participé à ces infractions au cours de diverses périodes comprises entre le 24 février 1987 et le 21 mars 2000, s’agissant des stabilisants étain, et entre le 11 septembre 1991 et le 26 septembre 2000, s’agissant du secteur ESBO/esters. |
10. |
La décision litigieuse a été adressée, en ce qui concerne chaque infraction, à 20 sociétés, lesquelles ont soit participé directement aux infractions concernées, soit, vu leur responsabilité retenue, en tant que sociétés mères (considérant 510 de la décision litigieuse). |
11. |
La participation des requérantes aux ententes a été répartie par la Commission en trois périodes infractionnelles distinctes. Seule la première période infractionnelle est visée par le présent pourvoi. |
12. |
Pour la première période infractionnelle, celle antérieure au 28 juin 1993, la Commission a considéré que des sociétés détenues indirectement par Akzo, devenue Akzo Nobel, avaient participé directement aux infractions, à savoir Akzo GmbH, pour l’infraction concernant les stabilisants étain, et Akzo BV, pour l’infraction portant sur le secteur ESBO/esters. Akzo Nobel s’est vu attribuer la responsabilité de l’infraction en sa qualité de société mère (considérants 512 à 519 de la décision litigieuse). |
13. |
Pour la deuxième période infractionnelle, celle allant du 28 juin 1993 au 2 octobre 1998, la Commission a considéré que les infractions avaient été commises par le « partenariat Akcros », qui ne possédait pas de personnalité juridique propre (considérants 563 et 564 de la décision litigieuse). |
14. |
Pour la troisième période infractionnelle, celle allant du 2 octobre 1998 au 21 mars 2000, pour les stabilisants étain, et du 2 octobre 1998 au 22 mars 2000, pour le secteur ESBO/esters, la Commission a considéré que les infractions avaient été commises par Akcros (considérants 582 à 587 de la décision litigieuse). |
15. |
En ce qui concerne l’imputation des amendes, l’article 2 de la décision litigieuse énonce ce qui suit : « Pour l’/(les) infractions sur le marché des stabilisants étain […], les amendes suivantes sont infligées : […]
[…]
[…] Pour l’/(les) infractions sur le [secteur ESBO/esters], les amendes suivantes sont infligées : […]
[…]
|
16. |
Par décision de la Commission du 30 juin 2011, la décision litigieuse a été modifiée en ce qu’elle était adressée à Akzo Nobel et à Akcros (ci-après la « décision modificative »). |
17. |
Au considérant 1 de la décision modificative, la Commission a rappelé que, dans la décision [litigieuse], elle avait infligé des amendes à Akzo Nobel et à Akcros, « conjointement et solidairement » avec Elementis plc, Elementis Holdings Limited et Elementis Services Limited. |
18. |
Au considérant 2 de la décision modificative, la Commission a énoncé que, à la suite de l’arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a. (C‑201/09 P et C‑216/09 P, EU:C:2011:190), elle avait décidé de retirer la décision [litigieuse] en ce qu’elle était adressée, notamment, à Elementis et à Elementis Holdings Limited. |
19. |
Partant, la Commission a modifié la décision [litigieuse], en ce qu’elle était adressée à Akzo Nobel et à Akcros dans la mesure où elles avaient été tenues pour solidairement responsables, avec Elementis, des amendes infligées. |
20. |
Enfin, par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 septembre 2011, Akzo Nobel et Akcros ont formé un recours contre la décision modificative de la Commission. Cette décision modificative a été annulée par l’arrêt du 15 juillet 2015, Akzo Nobel et Akcros Chemicals/Commission (T‑485/11, EU:T:2015:517). Cet arrêt n’a pas fait l’objet d’un pourvoi. |
II – La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
21. |
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 janvier 2010, les requérantes ont demandé l’annulation de la décision litigieuse ou, à titre subsidiaire, la réduction du montant des amendes qui leur ont été infligées. |
22. |
À l’appui de leur recours, les requérantes ont avancé cinq moyens, dont le premier était tiré de violations des règles de prescription. Dans le cadre de la première branche du premier moyen, tirée d’une violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1/2003, les requérantes ont soutenu que la Commission était forclose pour agir à l’encontre d’Akzo GmbH et d’Akzo BV à compter du 28 juin 1998 et, par là même, pour infliger à ces sociétés une amende solidaire avec Akzo Nobel, en tant que société mère desdites sociétés. |
23. |
Leurs griefs ont été partiellement accueillis. Le Tribunal a jugé qu’il convenait d’annuler l’article 2, points 4, 6, 21 et 23, de la décision litigieuse en ce que des amendes ont été infligées à Akzo GmbH et à Akzo BV pour ce qui est de la première période infractionnelle, mais de les rejeter pour le surplus. Les motifs retenus à cet égard par le Tribunal sont principalement exposés aux points 118 à 128 de l’arrêt attaqué. |
III – Conclusions des parties
24. |
Les requérantes demandent à la Cour :
|
25. |
La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation des requérantes aux dépens. |
IV – Analyse du pourvoi
A – Argumentation des parties
26. |
À l’appui de leur pourvoi, les requérantes, Akzo Nobel e.a., avancent un moyen unique, pris, en substance, d’une méconnaissance des règles en matière de responsabilité des sociétés mères pour le comportement infractionnel de leurs filiales. |
27. |
Elles relèvent que la Cour a récemment confirmé, dans son arrêt du 17 septembre 2015, Total/Commission (C‑597/13 P, EU:C:2015:613), que, lorsque la responsabilité d’une société mère est entièrement dérivée de celle de sa filiale, la responsabilité de la première ne saurait excéder celle de la seconde. Dans un tel cas de figure, si la société mère introduit un recours ayant le même objet que celui introduit par la filiale, la société mère doit bénéficier de l’annulation partielle ou totale de l’amende imposée à la filiale. |
28. |
À cet égard, les requérantes font valoir que l’annulation des amendes imposées à Akzo GmbH et à Akzo BV aurait dû entraîner l’annulation de l’amende imposée à Akzo Nobel, en tant que société mère, pour la période infractionnelle antérieure au « partenariat Akcros », dès lors que cette amende lui avait été infligée uniquement en vertu de la participation directe de ses filiales aux infractions. La responsabilité d’Akzo Nobel était donc purement dérivée, accessoire et dépendante de celle de ses filiales. |
29. |
En l’occurrence, l’annulation des amendes imposées à Akzo GmbH et à Akzo BV aurait dû entraîner l’annulation de l’intégralité de la décision litigieuse à leur égard pour la première période infractionnelle. |
30. |
Dans ce contexte, les requérantes relèvent que, à la suite de l’arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a. (C‑201/09 P et C‑216/09 P, EU:C:2011:190), la Commission a été confrontée au fait qu’elle ne pouvait plus imposer d’amende à Elementis et à Ciba/BASF pour cause de prescription. Ainsi qu’il résultait de la décision modificative, la Commission a donc non seulement retiré les amendes, mais est également revenue sur la constatation d’une quelconque participation de ces entreprises aux infractions. |
31. |
Selon les requérantes, en vertu du principe d’égalité de traitement, et de façon à tirer toutes les conséquences de l’arrêt attaqué, au sens de l’article 266, premier alinéa, TFUE, la Commission aurait dû adopter la même approche à l’égard d’Akzo GmbH et d’Akzo BV. Or, la décision litigieuse incluait toujours un constat d’infraction visant ces dernières. |
32. |
Le fait que la Commission pouvait toujours imposer une amende à d’autres entités juridiques qui feraient partie du groupe Akzo serait sans pertinence, dans la mesure où, conformément à la jurisprudence relative aux droits de la défense et aux garanties procédurales individuelles, il conviendrait de comparer les situations des différentes entités juridiques et non la situation des entreprises impliquées. |
33. |
La Commission fait valoir que le pourvoi est, en partie au moins, irrecevable. En premier lieu, les requérantes ne relèveraient aucune erreur de droit, mais se limiteraient à réitérer des allégations rejetées par le Tribunal. En second lieu, le moyen, en ce qu’il se réfère à une violation du principe d’égalité de traitement par rapport à Elementis et à Ciba/BASF, devrait être considéré comme nouveau. Or, conformément à l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour et à la jurisprudence, une telle allégation devrait être écartée. L’argument pris d’une prétendue efficacité procédurale ne saurait être retenu dans ce contexte. |
34. |
En tout état de cause, la Commission soutient que c’est à juste titre que le Tribunal a rappelé que l’acquisition de la prescription ne l’empêchait pas de constater la responsabilité du destinataire à l’égard duquel l’amende était prescrite. En l’occurrence, le maintien de la responsabilité des filiales serait pertinent et légitime en tant que base pour déterminer la responsabilité de la société mère, ainsi qu’aux fins d’éventuelles actions en dommages et intérêts engagées contre l’entreprise. |
35. |
S’agissant du retrait de la décision litigieuse à l’égard d’Elementis et de Ciba/BASF, la Commission relève que la prescription était acquise pour toutes les entités juridiques de ces entreprises, qui avaient simplement quitté l’entente. En revanche, dans le cas d’espèce, Akzo Nobel avait participé par l’intermédiaire de différentes filiales à deux infractions uniques et continues, pour lesquelles le délai de prescription n’était pas écoulé. |
36. |
La Commission fait encore observer que le Tribunal, dans l’arrêt du 15 juillet 2015, Akzo Nobel et Akcros Chemicals/Commission (T‑485/11, EU:T:2015:517), se limite à constater une erreur procédurale concernant la décision modificative. En outre, l’arrêt attaqué avait expressément maintenu la décision litigieuse en ce qu’elle constate la participation des trois entités juridiques membre du groupe Akzo aux infractions au cours de la période antérieure au partenariat Akcros. Il ne résulterait donc de ces arrêts aucune obligation pour la Commission de procéder au retrait de la décision litigieuse. |
37. |
Pour ce qui est des règles concernant la responsabilité dérivée des sociétés mères, la Commission considère que les critiques des requérantes ne reflètent pas correctement la jurisprudence en la matière. Dans son arrêt du 17 septembre 2015, Total/Commission (C‑597/13 P, EU:C:2015:613), la Cour aurait confirmé, en faisant référence à des facteurs susceptibles de caractériser individuellement le comportement reproché à la société mère, qu’il y a des situations dans lesquelles l’extension à la société mère d’une réduction d’amende accordée à la filiale ne se justifie pas. |
38. |
Selon la Commission, une telle extension n’est possible que lorsque le même motif de responsabilité ou d’imposition d’une amende est en jeu pour ces deux entités, et non à chaque fois que la filiale a partiellement ou totalement obtenu gain de cause en justice. La Commission souligne que les « facteurs individuels » justifiant d’infliger une amende différente à la société mère ne peuvent être énumérés de manière exhaustive. |
39. |
L’analyse des principales décisions du Tribunal et de la Cour montrerait que le juge de l’Union a fait preuve de cohérence en ce domaine. Il en ressortirait que, normalement, la même amende s’applique à la société mère et à la filiale si, pendant la période infractionnelle, elles faisaient partie d’une seule et même entreprise, n’ont pas été scindées par la suite et n’ont pas participé à l’infraction, à titre individuel ou par l’intermédiaire d’autres filiales, avant de constituer une seule et même entreprise. |
40. |
Lorsque la réduction accordée à la filiale a un lien direct avec la responsabilité dans une infraction, en rapport notamment avec la durée de cette dernière, il serait inhérent au principe de la responsabilité dérivée que la réduction de la responsabilité et de l’amende infligée à la filiale ait une conséquence directe pour la société mère. La Commission met en avant que la durée de la participation d’une société mère et d’une filiale peuvent néanmoins être différentes, par exemple, si une filiale a mis fin à sa participation, mais qu’une autre filiale du même groupe, ou la société mère de manière directe, a poursuivi sa participation. Dans une telle hypothèse, la prescription pourrait éventuellement s’appliquer à la première filiale directement impliquée dans l’entente, mais pas à la société mère. |
41. |
La Commission relève également qu’il ressort de l’arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a. (C‑201/09 P et C‑216/09 P, EU:C:2011:190), que la prescription s’applique individuellement à chaque entité juridique et non uniformément à l’ensemble de l’entreprise, ce qui veut dire qu’il s’agit d’une situation reconnue, dans laquelle il est justifié de ne pas étendre une réduction de l’amende à la société mère. |
42. |
Enfin, selon la Commission, c’est à juste titre que le Tribunal a, dans l’arrêt attaqué, comparé l’écoulement du délai de prescription à des garanties procédurales individuelles, telles que les droits de la défense, ainsi qu’à la nécessité pour la Commission de notifier tant une communication des griefs qu’une décision infligeant de telles sanctions à la personne juridique concernée. |
B – Appréciation
43. |
Avant d’aborder le fond de la présente affaire, il convient de se prononcer brièvement sur les motifs d’irrecevabilité soulevés par la Commission dans son mémoire en réponse. |
1. Sur la recevabilité
44. |
Ainsi que la Commission l’a relevé, il apparaît que les griefs des requérantes pris, d’une part, de la violation par la Commission du principe d’égalité de traitement par rapport aux sociétés des groupes Ciba/BASF et Elementis et, d’autre part, de l’absence d’un intérêt légitime, au sens de l’article 7, paragraphe 1, dernière phrase, du règlement no 1/2003, de nature à justifier le constat selon lequel Akzo GmbH et d’Akzo BV ont effectivement participé aux ententes sont des griefs nouveaux, en ce sens qu’ils n’ont pas été débattus en première instance. |
45. |
Les requérantes se sont, en effet, limitées à faire valoir devant le Tribunal qu’aucune responsabilité ne saurait être retenue dans le chef d’Akzo GmbH et d’Akzo BV compte tenu de l’expiration du délai de prescription et qu’il y aurait donc lieu d’annuler la décision litigieuse sur ce point. |
46. |
Il est, en outre, fait observer que ces nouveaux griefs ne reposent aucunement sur des faits révélés en cours d’instance. À cet égard, il est à noter que, dans leurs observations déposées devant le Tribunal le 16 septembre 2011, à propos notamment des conséquences devant, selon elles, être tirées de l’arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a. (C‑201/09 P et C‑216/09 P, EU:C:2011:190), les requérantes n’ont soulevé aucun argument relatif à la violation du principe d’égalité de traitement. À cette date, elles avaient pourtant déjà connaissance du retrait de la décision litigieuse à l’égard des sociétés des groupes Ciba/BASF et Elementis. |
47. |
Aussi, je suis d’avis que l’appréciation desdits griefs échappe à la compétence de la Cour dans le cadre du présent pourvoi ( 3 ). |
48. |
Pour le surplus, il me semble que le pourvoi doit être déclaré recevable. Il apparaît en effet que les requérantes visent, pour l’essentiel, à contester le raisonnement juridique qui a conduit le Tribunal à conclure que l’acquisition de la prescription à l’égard des sociétés filiales n’avait pas pour conséquence de remettre en cause la responsabilité de leur société mère. |
2. Sur le fond
49. |
Ainsi que je l’annonçais en introduction des présentes conclusions, la présente affaire, qui porte sur deux ententes dans le secteur des stabilisants thermiques, offre à la Cour l’occasion d’apporter certaines clarifications à sa jurisprudence relative à la responsabilité des sociétés mères en cas d’infraction au droit de la concurrence commise par leurs filiales. La question se pose plus précisément de savoir si la prescription du pouvoir de sanction de la Commission à l’égard de certaines filiales est, ainsi que l’a retenu en l’espèce le Tribunal, sans incidence sur la responsabilité de la société mère. |
50. |
La réponse devant être apportée à cette question me semble grandement tributaire du point de savoir si la responsabilité de la société mère doit, dans le cas où il n’est pas, comme en l’espèce, établi que la société mère a elle-même directement participé à l’infraction en cause, être qualifiée de « personnelle » ou de « dérivée ». Je me pencherai sur cette problématique dans un premier temps à la lumière des enseignements devant, selon moi, être tirés de la jurisprudence de la Cour. |
51. |
J’indiquerai, dans un second temps, pour quelles raisons la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal s’agissant des règles relatives à la prescription se heurte à mon sens aux principes, consacrés dans la jurisprudence, en matière d’imputation aux sociétés mères des comportements anticoncurrentiels de leurs filiales. Dans ce contexte, j’expliquerai pour quels motifs la nature de la responsabilité de la société mère implique nécessairement qu’elle puisse bénéficier de l’écoulement du délai de prescription constaté à l’égard de sa filiale. |
a) La nature de la responsabilité des sociétés mères pour les actes commis par leurs filiales : responsabilité « personnelle » ou responsabilité « dérivée » ?
52. |
La problématique de l’imputation de la responsabilité des infractions au droit de la concurrence au sein des groupes de sociétés est connue de longue date dans la jurisprudence ( 4 ) et le raisonnement tenu à cet égard par la Cour est resté, à quelques nuances près, inchangé. Ce raisonnement s’articule schématiquement de la manière suivante. |
53. |
Lorsqu’une entreprise s’est rendue coupable d’une infraction aux règles de concurrence de l’Union, il lui incombe de répondre de celle-ci. |
54. |
Dans le cas où le comportement litigieux a été commis par la filiale d’un groupe, c’est en principe à cette filiale qu’il y a lieu, en conformité avec le principe de responsabilité personnelle, applicable en cas de violations des règles de concurrence de l’Union ( 5 ), d’imputer la responsabilité de l’infraction en cause. |
55. |
Par exception à ce principe, la Cour considère qu’il existe des circonstances dans lesquelles une entité juridique qui n’est pas l’auteur direct de l’infraction peut néanmoins se voir imputer la responsabilité du comportement incriminé et, ainsi, être sanctionnée pour celui-ci. Il en va notamment ainsi lorsqu’une société visée ne détermine pas son comportement de façon autonome, mais applique pour l’essentiel les directives de sa société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques ( 6 ). Cette approche repose sur l’idée que, même si, d’un point de vue juridique, un groupe est composé de plusieurs personnes morales distinctes, il peut être considéré comme une seule et même « entreprise » au sens du droit de la concurrence. La faculté ainsi offerte à la Commission de recourir à la notion fonctionnelle d’entreprise pour imputer la responsabilité de comportements anticoncurrentiels à des sociétés n’ayant pas directement pris part aux pratiques incriminées a notamment pour corolaire la possibilité, pour la Commission, d’adresser une décision imposant des amendes à une société mère sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction ( 7 ). |
56. |
Les conditions dans lesquelles une société mère peut être déclarée responsable du comportement anticoncurrentiel de sa filiale sont désormais clairement définies dans la jurisprudence : il faut, d’une part, que la société mère soit en mesure d’exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale et, d’autre part, que celle-ci ait effectivement exercé une telle influence ( 8 ). |
57. |
La preuve de l’existence de ces conditions impose, en principe, à l’autorité en charge de la poursuite et de la répression des comportements anticoncurrentiels qu’elle apporte dans chaque cas la preuve matérielle de l’existence et de l’exercice effectif de l’influence déterminante exercée par la société mère sur sa filiale ( 9 ). Cependant, la Cour a jugé, dès l’arrêt AEG-Telefunken/Commission ( 10 ) et sans ambiguïté depuis l’arrêt Akzo Nobel e.a./Commission ( 11 ), que, dans le cas où une société mère détient la totalité du capital de sa filiale, il peut être présumé qu’elle exerce effectivement une telle influence sur le comportement de sa filiale. Cette « présomption capitalistique », qui a ensuite été étendue au cas où la société mère détient la quasi-totalité de sa filiale ( 12 ), est, selon la Cour, une « présomption simple » que la société mère peut renverser si elle est à même de démontrer que sa filiale se comporte bien de façon autonome sur le marché. |
58. |
Cela étant précisé, il peut exister des circonstances propres à la filiale ou à la société mère de nature à justifier l’imposition d’amendes de montants différents. |
59. |
Ainsi que la Commission l’a, à mon avis, très justement relevé, il peut exister une série de situations qui justifient que soit infligée une amende différente de celle infligée à la filiale, même dans une configuration de responsabilité dérivée. Néanmoins, il doit être établi que cette différenciation repose sur des facteurs individuels, propres à la société mère, se rapportant tant à des éléments de fond (telle que la période où elle a directement participé à une entente) ou aux paramètres dont il a été tenu compte dans le calcul de l’amende (tels que l’application d’une réduction au titre de la coopération fournie par une des entités juridiques composant « l’entreprise » incriminée ou encore l’application d’une majoration en raison de la récidive constatée dans le chef de la société mère). À cet égard, la Cour a jugé, à l’occasion de l’affaire Total/Commission ( 13 ), que ce n’est que dans la situation « dans laquelle aucun autre facteur ne caractérise individuellement le comportement reproché à la société mère» ( 14 ), qu’il n’est pas justifié d’infliger à la société mère une amende d’un montant différent de celle imposée à sa filiale. |
60. |
Mais quelle est la nature exacte de la responsabilité d’une société mère dont il est établi qu’elle n’est pas directement impliquée dans les pratiques anticoncurrentielles litigieuses ? Doit-elle être assimilée à la responsabilité d’un auteur direct d’infraction (compte tenu des liens étroits que cette société entretient avec la ou les sociétés directement incriminées) ou doit-il plutôt être considéré que ladite société ne fait qu’endosser la responsabilité d’un comportement dont elle n’est concrètement pas l’auteur ? |
61. |
Je me dois en effet de relever que des ambiguïtés subsistent quant au point de savoir si la responsabilité des sociétés mères, dans le cas où il est avéré qu’elles n’ont pas directement participé à l’infraction en cause, est « dérivée » ou « personnelle ». |
62. |
Il est fait observer, à cet égard, que tant la terminologie employée par la Cour que les conséquences que cette dernière en a tirées sont, en ce domaine, très variables. |
63. |
D’un point de vue terminologique, la jurisprudence renvoie souvent au concept d’imputation de responsabilité ( 15 ) et non de comportement infractionnel. Certains arrêts retiennent, en revanche, une perspective de « coculpabilité », en ce sens que la société mère est réputée elle-même être l’auteur de l’infraction, et ce sans qu’une quelconque différenciation n’ait été clairement opérée entre la situation où il est avéré que cette société a directement été impliquée en tant qu’auteur de l’infraction en cause et celle où l’imputation de la responsabilité de cette infraction à la société mère n’est envisagée que par ricochet. Selon cette ligne jurisprudentielle, à mon avis difficilement conciliable avec la première, la société mère détenant une influence déterminante sur une filiale qui prend part à une infraction à l’article 101 TFUE est, de ce fait, censée avoir commis personnellement l’infraction aux règles de concurrence du droit de l’Union ( 16 ). |
64. |
D’un point de vue substantiel, cette différence terminologique induit souvent des conséquences contrastées, voire incohérentes ( 17 ). |
65. |
D’un côté, il a été jugé que le rapport de solidarité liant la société mère à sa filiale ne saurait se réduire à une forme de caution fournie par la société mère pour garantir le paiement de l’amende infligée à la filiale ; une société mère peut être condamnée au paiement d’une amende d’un montant supérieur à celui de l’amende infligée à sa filiale ( 18 ). Cela laisse supposer que la responsabilité de la société mère est bien considérée comme étant personnelle. |
66. |
De l’autre côté, la Cour a, encore récemment, considéré, dans le prolongement des enseignements de l’arrêt, rendu en grande chambre, du 22 janvier 2013, Commission/Tomkins (C‑286/11 P, EU:C:2013:29), que la société mère dont la responsabilité est entièrement dérivée de celle de sa filiale doit, en principe, bénéficier d’une éventuelle réduction de la responsabilité de sa filiale lui ayant été imputée ( 19 ). À cet égard, la Cour avait précisé que, dans l’hypothèse où aucun autre facteur ne caractérise individuellement le comportement reproché à la société mère, la responsabilité de cette société mère ne saurait excéder celle de sa filiale ( 20 ) ; lorsque les conditions procédurales nécessaires sont réunies, la société mère doit, en principe, bénéficier d’une éventuelle réduction de la responsabilité de sa filiale lui ayant été imputée ( 21 ). |
67. |
Pour ma part, je considère que, dans la mesure où la position de la Cour repose sur une approche unitaire dans l’imputation de la responsabilité des comportements infractionnels, il y a lieu d’en tirer toutes les conséquences ( 22 ), notamment en termes de pouvoir de sanction de la Commission à l’égard des sociétés concernées. La cohérence de l’approche ainsi suivie serait source de sécurité juridique. |
68. |
Dès lors, si la Cour a, à maintes occasions, indiqué que la société mère supportait, dans une telle configuration, une responsabilité dite « personnelle », cela ne pourrait, à mon sens, être que pour souligner le fait qu’il lui incombait de répondre des agissements anticoncurrentiels commis par sa filiale, indépendamment de son implication concrète dans les pratiques incriminées et en raison des liens capitalistiques et organisationnels qu’elle entretient avec sa filiale, ainsi que pour souligner l’unicité de l’entité économique qu’elles représentent ( 23 ). En d’autres termes, le principe de la responsabilité personnelle ne s’oppose pas à ce que la Commission envisage d’abord de sanctionner la société auteur d’une infraction aux règles de la concurrence avant d’explorer si, éventuellement, l’infraction peut être imputée à sa société mère ( 24 ). |
69. |
Aussi, dès lors que la Commission peut adresser une décision imposant une amende à la société mère, sans qu’il soit requis qu’elle établisse l’implication concrète – et donc directe – de cette dernière dans une infraction, la contrepartie inévitable du recours à cette possibilité est à mon avis que toute erreur entachant les constats relatifs à la responsabilité concrète de la filiale à l’infraction – et, par voie de conséquence, le calcul de l’amende éventuellement imposée à ce titre – devrait également profiter à la société mère ( 25 ). Il ne s’agit, dès lors, que de tirer les conséquences des choix opérés par la Commission en matière d’imputation de la responsabilité des comportements infractionnels. |
70. |
C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu de se prononcer sur le bien-fondé de la conclusion à laquelle est parvenue le Tribunal au point 128 de l’arrêt attaqué. |
b) La prescription du pouvoir de sanction constatée à l’égard d’une filiale doit-il profiter à la société mère dont il est avéré qu’elle n’a pas directement participé aux pratiques incriminées ?
71. |
Aux termes de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1/2003, l’exercice du pouvoir de la Commission en matière d’imposition de sanctions est soumis à un délai de prescription de cinq ans ( 26 ). Selon l’article 25, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, la prescription court à compter du jour où l’infraction a été commise, sauf pour les infractions continues ou répétées, pour lesquelles elle ne court qu’à compter du jour où l’infraction a pris fin. |
72. |
Quid de la situation dans laquelle la prescription a été constatée à l’égard d’une filiale, dont la société mère a été, en cette seule qualité, également été tenue pour responsable d’une infraction aux règles de concurrence ? Cette société mère doit-elle ou non également bénéficier du constat de prescription effectué à l’égard de sa filiale dans une configuration de responsabilité purement dérivée ? Y-a-t-il lieu de s’en tenir à l’approche unitaire précédemment décrite ou de scinder l’appréciation de la prescription selon l’entité visée ? |
73. |
En l’occurrence, il importe de souligner que la Commission a retenu la responsabilité d’Akzo Nobel au titre de l’article 81 CE (devenu article 101 TFUE), en tant que société faîtière du groupe Akzo, pour toute la durée des infractions, soit du 24 février 1987 au 22 mars 2000, du fait des comportements adoptés par ses filiales et par le « partenariat Akcros ». |
74. |
Au cours de la procédure administrative, Akzo GmbH et Akzo BV ont fait valoir qu’elles avaient cessé leur participation aux ententes le 28 juin 1993, soit plus de cinq ans avant le début de l’enquête (2003). En raison des règles applicables en matière de prescription, la Commission ne saurait donc plus agir à leur encontre. Akzo Nobel soutenait, pour sa part, qu’elle ne pouvait être tenue responsable en tant que société mère que dans la mesure où ses filiales pouvaient l’être. |
75. |
La Commission a, dans la décision litigieuse, écarté cette argumentation, au motif notamment qu’« [i]l ne peut être accepté que la prescription s’applique simplement en raison d’une réorganisation au sein du groupe Akzo. En effet, les infractions visées à l’article 81, paragraphe 1, [CE] sont commises par des “entreprises”. De même, les règles de prescription de l’article 25 du [règlement no 1/2003] s’appliquent aux “entreprises”» ( 27 ). |
76. |
Devant le Tribunal, les requérantes et la Commission ont maintenu, en substance, leurs positions. |
77. |
Le Tribunal, tout en rejetant l’appréciation de la Commission selon laquelle Akzo GmbH et Akzo BV, en tant que membres du groupe Akzo, ne pouvaient pas légitimement invoquer la prescription à leur égard, a néanmoins considéré qu’il y avait lieu en l’occurrence d’opérer une distinction entre les notions de responsabilité et de prescription. Il a ainsi jugé que la prescription du pouvoir de la Commission pour prononcer des sanctions contre les filiales était sans incidence sur la responsabilité de la société mère. |
78. |
Il a en effet relevé, aux points 125 et 126 de l’arrêt attaqué, ce qui suit : |
79. |
Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, le Tribunal a conclu que seules les filiales Akzo GmbH et Akzo BV pouvaient légitiment invoquer l’expiration du délai quinquennal de prescription prévu à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1/2003. |
80. |
Cette conclusion me semble critiquable à plusieurs titres. |
81. |
En premier lieu, en rejetant l’idée défendue par la Commission selon laquelle il « ne peut être accepté que la prescription s’applique simplement en raison d’une réorganisation au sein du groupe Akzo » (voir considérant 527 de la décision litigieuse) et en opérant une distinction entre les différentes entités juridiques en cause, le Tribunal n’a pas tiré toutes les conséquences du caractère dérivé de la responsabilité incombant en l’occurrence à la société mère. Le Tribunal n’a ainsi pas tenu compte du fait que le pouvoir de sanction dont dispose la Commission en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 concerne l’entreprise en tant que telle et non les personnes physiques ou morales qui en font partie ( 30 ), alors même que la Commission avait précisément tenu compte de l’unité que les sociétés visées formait au stade de l’imposition et de l’imputation des amendes. À cet égard, il me semble exister un décalage en l’espèce entre la conclusion du Tribunal et le constat objectif selon lequel les premiers actes de la Commission visant à l’instruction et à la poursuite « des infractions », prises dans leur ensemble, l’ont été après l’expiration du délai prévu à l’article 25, paragraphe 1, du règlement no 1/2003. |
82. |
En deuxième lieu, je suis d’avis que, compte tenu du caractère dérivé de la responsabilité pesant sur la société mère, l’écoulement du délai de prescription aurait également dû lui profiter. Force est, à cet égard, de constater que, s’agissant de la problématique qui nous est ici soumise, à savoir le constat selon lequel le délai de prescription du pouvoir de sanction était bel et bien expiré pour la première période infractionnelle, aucun facteur individuel ne caractérisait, en l’espèce, la situation respective, d’une part, des filiales Akzo GmbH et Akzo BV et, d’autre part, de la société faîtière Akzo Nobel. La responsabilité d’Akzo Nobel n’étant dès lors que dérivée de celle de ses filiales, il me semble que l’expiration du délai de prescription aurait également dû lui profiter, sauf à considérer qu’elle a été directement impliquée dans les ententes litigieuses. |
83. |
Le fait, évoqué par la Commission, qu’était en cause une infraction unique et continue, qui s’est manifestée même après la période infractionnelle précisément visée par le présent pourvoi ne me semble pas pertinent dans ce contexte où, en l’absence d’implication personnelle de la société mère et compte tenu donc du caractère dérivé de sa responsabilité (voir point 82 des présentes conclusions), il n’est pas avéré que le comportement en cause est caractérisé par la persistance de la volonté coupable de l’auteur de celui-ci. |
84. |
En troisième et dernier lieu, il est fait observer que, contrairement à la position défendue par la Commission, je suis d’avis que la conclusion du Tribunal ne trouve aucun appui solide dans la ligne tracée par l’arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a. (C‑201/09 P et C‑216/09 P, EU:C:2011:190), arrêt auquel le Tribunal n’a d’ailleurs pas estimé opportun de se référer nonobstant l’attention qui avait été précisément attirée sur celui-ci en cours de procédure (voir point 46 des présentes conclusions). |
85. |
Dans son arrêt rendu en grande chambre, la Cour, s’écartant sur ce point de la position défendue par l’avocat général ( 31 ), a jugé que, dans l’hypothèse où seule la société mère a formé un recours contre la décision finale de la Commission infligeant une amende, la suspension de la prescription en matière d’imposition des sanctions, prévue à l’article 25, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, ne joue qu’à l’encontre de la société mère, le délai de prescription continuant à courir à l’égard de la filiale ( 32 ). |
86. |
Il découle ainsi de ce dernier arrêt que celui-ci introduit une limite, très certainement motivée par une exigence de sécurité juridique et un impératif de respect des droits de la défense des entités juridiques concernées ( 33 ), au recours à la notion d’entité économique lorsqu’il est question de l’extension à une société de la « suspension » de la prescription constatée à l’égard d’une autre société avec laquelle elle formait, à la date du constat d’infraction, une seule et même entité économique. |
87. |
Il n’en reste pas moins que, s’agissant en revanche de la question distincte de l’« interruption » de la prescription, la Cour a confirmé la conclusion du Tribunal selon laquelle l’interruption valait à l’égard de toutes les entreprises ayant participé à l’infraction en cause, eussent-elles été encore inconnues au jour de l’acte interruptif, en jugeant que les actes interruptifs de prescription étaient, en raison de l’imputabilité du comportement infractionnel de TradeARBED à ARBED et de l’existence d’une unité économique entre ces deux sociétés, opposables à ARBED ( 34 ). |
88. |
À mon sens, une conclusion identique s’impose également lorsqu’il est question comme en l’espèce de l’écoulement du délai de prescription constaté à l’égard de la filiale en vertu de l’article 25 du règlement no 1/2003. L’extinction du délai de prescription ne saurait avoir, s’agissant d’un seul et même comportement incriminé, un effet limité à l’entité auteur direct dudit comportement, mais doit s’étendre aux entités qui se sont vu imputer la responsabilité de ce même comportement. Lorsque la possibilité pour la Commission de sanctionner une entreprise pour un comportement donné s’éteint par l’effet même de la prescription, cette extinction doit bénéficier à toutes les entités juridiques dont la responsabilité a été engagée pour ledit comportement. |
89. |
En définitive, il me semble que, s’il est bien acquis que la Commission peut légitimement défendre une approche unitaire, fondée sur la notion fonctionnelle d’« entreprise » au stade de l’imputation de la responsabilité des comportements anticoncurrentiels, elle doit appréhender toutes les implications de cette approche au stade de la sanction desdits comportements, y compris lorsqu’est en cause la problématique de la prescription du pouvoir de sanction de la Commission. |
90. |
Pour l’ensemble de ces motifs, je suis d’avis que le moyen unique des requérantes est fondé. Il s’ensuit qu’il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué, dans la mesure où le Tribunal n’a pas procédé à l’alignement du montant de l’amende imposée respectivement à la société mère Akzo Nobel et à ses filiales s’agissant de la première période infractionnelle. |
91. |
Conformément à l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer définitivement sur le litige lorsque celui‑ci est en état d’être jugé. Tel me semble être le cas en l’espèce. |
V – Conclusion
92. |
Pour l’ensemble des raisons exposées précédemment, il est suggéré à la Cour de déclarer et d’arrêter ce qui suit :
|
( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [81 et 82 CE] (JO 2003, L 1, p. 1).
( 3 ) Voir, notamment, arrêts du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission (C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 99), et du 24 octobre 2013, Kone e.a./Commission (C‑510/11 P, non publié, EU:C:2013:696, point 72 et jurisprudence citée).
( 4 ) Voir, notamment, arrêts du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission (48/69, EU:C:1972:70), et du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission (6/72, EU:C:1973:22).
( 5 ) Ce principe a été jugé applicable « eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent » (voir arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 78).
( 6 ) Voir jurisprudence précitée. Voir également arrêt du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce (C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2015:416, point 75 et jurisprudence citée).
( 7 ) Voir, notamment, arrêt du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission (C‑628/10 P et C‑14/11 P, EU:C:2012:479, point 44 et jurisprudence citée).
( 8 ) Voir, récemment, arrêt du 17 septembre 2015, Total/Commission (C‑597/13 P, EU:C:2015:613, point 35).
( 9 ) L’effectivité du contrôle exercé sur des sociétés peut être établie par référence à la structure capitalistique du groupe, mais également par d’autres éléments tel le pouvoir de désigner les cadres dirigeants des sociétés impliquées dans l’infraction.
( 10 ) Arrêt du 25 octobre 1983 (107/82, EU:C:1983:293, point 50).
( 11 ) Arrêt du 10 septembre 2009 (C‑97/08 P, EU:C:2009:536, points 60 à 64).
( 12 ) Voir, notamment, arrêt du 29 septembre 2011, Arkema/Commission (C‑520/09 P, EU:C:2011:619, points 42 et 48).
( 13 ) Voir arrêt du 17 septembre 2015 (C‑597/13 P, EU:C:2015:613, point 38 et jurisprudence citée).
( 14 ) Soulignement ajouté par mes soins.
( 15 ) Voir, parmi de très nombreux arrêts, arrêts du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (C‑97/08 P, EU:C:2009:536, point 59) ; du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission (C‑90/09 P, EU:C:2011:21, point 38) ; du 11 juillet 2013, Commission/Stichting Administratiekantoor Portielje (C‑440/11 P, EU:C:2013:514, point 42), ainsi que du 16 juin 2016, Evonik Degussa et AlzChem/Commission (C‑155/14 P, EU:C:2016:446, point 27 ainsi que jurisprudence citée).
( 16 ) Arrêts du 10 avril 2014, Commission e.a./Siemens Österreich e.a. (C‑231 à 233/11 P, EU:C:2014:256, point 47), et du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission (C‑50/12 P, EU:C:2013:771, point 55). Voir, également, arrêt du 27 juin 2012, Bolloré/Commission (T‑372/10, EU:T:2012:325, point 194).
( 17 ) Sur les différences entre les approches de la Cour, il est également renvoyé à mes conclusions dans l’affaire Total/Commission (C‑597/13 P, EU:C:2015:207, points 38 à 43).
( 18 ) Voir, notamment, arrêt du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission (C‑50/12 P, EU:C:2013:771, point 58).
( 19 ) Voir, notamment, arrêt du 17 septembre 2015, Total/Commission (C‑597/13 P, EU:C:2015:613, point 41).
( 20 ) Voir, en ce sens, arrêts du 22 janvier 2013, Commission/Tomkins (C‑286/11 P, EU:C:2013:29, points 37, 39, 43 et 49), et du 17 septembre 2015, Total/Commission (C‑597/13 P, EU:C:2015:613, point 38).
( 21 ) Arrêt du 17 septembre 2015, Total/Commission (C‑597/13 P, EU:C:2015:613, point 41).
( 22 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Total/Commission (C‑597/13 P, EU:C:2015:207, point 65).
( 23 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Total/Commission (C‑597/13 P, EU:C:2015:207, point 50).
( 24 ) Voir arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission (C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 121 et jurisprudence citée).
( 25 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Total/Commission (C‑597/13 P, EU:C:2015:207, point 52).
( 26 ) Il s’agit du pouvoir conféré à la Commission, en vertu des articles 23 et 24 du règlement no 1/2003, d’imposer des amendes ou astreintes.
( 27 ) Voir considérant 527 de la décision litigieuse.
( 28 ) Il ressort de cet arrêt du Tribunal que les règles de prescription ne s’appliquent pas au pouvoir de la Commission de constater une infraction ; néanmoins, compte tenu de l’arrêt du 2 mars 1983, GVL/Commission, 7/82, EU:C:1983:52, la Commission devait démontrer l’existence d’un intérêt légitime à constater une infraction après l’écoulement du délai de prescription.
( 29 ) Ce point énonce que « la circonstance éventuelle que la filiale ne puisse plus être sanctionnée pour l’infraction constatée, que ce soit en raison de la disparition de cette filiale ou encore – comme l’allègue la requérante en l’espèce – en raison de l’acquisition de la prescription au profit de cette filiale, est sans incidence sur la question de savoir si la société mère, réputée elle-même auteur de l’infraction en raison de l’unité économique avec sa filiale, peut l’être. Certes, la responsabilité de la société mère n’existerait pas s’il était démontré qu’il n’y a pas eu d’infraction, mais cette responsabilité ne peut pas disparaître du fait qu’il y a prescription de la sanction à l’égard de la filiale. En effet, la prescription prévue à l’article 25 du règlement no 1/2003 n’a pas pour effet d’effacer l’existence d’une infraction, mais seulement de faire échapper aux sanctions ceux qui en bénéficient ». Il est à noter que, au stade du pourvoi, dans l’arrêt du 8 mai 2014, Bolloré/Commission (C‑414/12 P, non publié, EU:C:2014:301), la Cour ne s’est pas prononcée sur le bien-fondé de ces considérations.
( 30 ) Voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2014, Commission e.a./Siemens Österreich e.a. (C‑231/11 P à C‑233/11 P, EU:C:2014:256, point 56).
( 31 ) Selon l’avocat général Bot, il conviendrait d’attacher un effet erga omnes à la suspension de la prescription résultant de l’introduction par l’une des sociétés impliquées dans l’infraction d’une procédure devant le juge de l’Union. Conclusions de l’avocat général Bot dans les affaires jointes ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a. (C‑201/09 P et C‑216/09 P, EU:C:2010:634, notamment point 73 aux termes duquel : « la prescription s’attache uniquement aux faits. Elle présente un caractère réel qui est indépendant des personnes en cause. Ainsi, lorsque l’action que la Commission peut engager s’éteint par l’effet de la prescription, cette extinction concerne l’ensemble des faits en cause et bénéficie à tous les participants »).
( 32 ) Voir points 141 à 149 de l’arrêt.
( 33 ) Dans l’arrêt du 31 mars 2009, ArcelorMittal Luxembourg e.a./Commission (T‑405/06, EU:T:2009:90, point 158), le Tribunal avait notamment souligné, en se référant à la jurisprudence de la Cour, que seule la personne juridique à laquelle avait été adressée la communication des griefs était à même d’introduire un recours contre la décision adoptée à l’issue de la procédure administrative et, par conséquent, pouvait se voir opposer la suspension de la prescription.
( 34 ) Voir arrêt du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a. (C‑201/09 P et C‑216/09 P, EU:C:2011:190, point 110).