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Document 62015CC0102

Conclusions de l'avocat général M. N. Wahl, présentées le 7 avril 2016.

Court reports – general

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2016:225

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 7 avril 2016 ( 1 )

Affaire C‑102/15

Gazdasági Versenyhivatal

contre

Siemens Aktiengesellschaft Österreich

[demande de décision préjudicielle formée par la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale, Hongrie)]

«Coopération judiciaire en matière civile — Règlement (CE) no 44/2001 — Article 1er, paragraphe 1 — Champ d’application — Notion de “matière civile et commerciale” — Article 5, point 3 — Compétence pour statuer en matière délictuelle ou quasi délictuelle — Action en répétition de l’indu fondée sur l’enrichissement sans cause»

1. 

L’affaire dont la Cour est saisie porte sur le point de savoir si une action en répétition de l’indu fondée sur l’enrichissement sans cause relève du chef de compétence prévu par le règlement (CE) no 44/2001 ( 2 )« en matière délictuelle ou quasi délictuelle » (ci-après, pris dans leur ensemble, en matière de « responsabilité non contractuelle »).

2. 

Néanmoins, avant tout, la présente affaire offre à la Cour l’occasion de préciser le champ d’application du règlement no 44/2001.

3. 

Dans les présentes conclusions, j’exposerai donc les raisons pour lesquelles une action telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui découle entièrement de l’imposition d’une amende pour violation des règles de la concurrence nationales, ne porte pas sur la « matière civile et commerciale » à laquelle le règlement no 44/2001 s’applique, mais concerne plutôt les « matières administratives » qui, en vertu des dispositions de l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement, sont exclues de son champ d’application.

4. 

Pour des raisons qui n’apparaissent pas clairement, la juridiction de renvoi n’a pas interrogé la Cour sur le point de savoir si l’action dont elle est saisie relève du champ d’application dudit règlement. Ainsi que cela a été démontré lors de l’audience, une explication possible pourrait tenir au fait que, en droit hongrois, ce type d’action relève clairement de la matière civile.

5. 

De plus, et à titre exhaustif, je m’attacherai également à expliquer les raisons pour lesquelles l’action en répétition de l’indu diffère radicalement de l’action en matière délictuelle ou quasi délictuelle ; ce qui me conduit à considérer que l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, qui prévoit une compétence spéciale en matière délictuelle ou quasi délictuelle, ne permet pas de saisir les juridictions de l’État membre dans lequel le défendeur n’a pas son domicile d’actions relevant de cette catégorie.

I – Le cadre juridique

A – Le règlement no 44/2001

6.

Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, intitulé « Champ d’application », le règlement no 44/2001 s’applique « en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives ».

7.

L’article 2, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, qui figure sous le chapitre II du règlement, intitulé « Compétence » et, plus spécifiquement, sous la section 1, intitulée « Dispositions générales », dispose que « [s]ous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ».

8.

Au chapitre II, section 2, du règlement no 44/2001 figurent les règles applicables en matière de « compétences spéciales », et notamment à l’article 5.

9.

En vertu de l’article 5, point 1, sous a), une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre, « en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ».

10.

Aux termes de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre, « en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».

B – Le droit hongrois

11.

En vertu de l’article 301, paragraphe 1, du Polgári Törvénykönyvről (code civil hongrois) ( 3 ), dans le cas d’une dette pécuniaire – sauf disposition contraire – l’obligé, à compter de la date de sa défaillance, est tenu de payer des intérêts au taux de base de la Magyar Nemzeti Bank (Banque centrale hongroise) en vigueur le dernier jour précédant le semestre civil concerné par le retard de paiement, même si la dette n’est pas assortie d’intérêts. Le fait que l’obligé justifie son retard ne le dispense pas de l’obligation de payer des intérêts.

12.

L’article 361, paragraphe 1, du code civil hongrois prévoit que toute personne ayant obtenu un avantage patrimonial auquel elle ne pouvait légalement prétendre et au détriment d’autrui est tenue de rembourser cet avantage.

13.

L’article 83, paragraphe 5, de la tisztességtelen piaci magatartás és a versenykorlátozás tilalmáról szóló 1996, évi LVII. törvény (loi no LVII de 1996 portant interdiction des pratiques commerciales déloyales ou restrictives de la concurrence) ( 4 ), dans sa version applicable à la date des faits, prévoyait que, si la décision du Versenytanács [conseil de la concurrence, Hongrie, une formation de la Gazdasági Versenyhivatal (Autorité de la concurrence, ci-après l’« Autorité ») rendant les décisions au nom de celle-ci] ayant traité l’affaire avait violé une règle de droit et que cela avait fait naître un droit au remboursement de l’amende à l’égard de la partie concernée, la somme à rembourser était majorée d’intérêts dont le taux correspondait au double du taux de base applicable de la Banque centrale hongroise.

II – Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et la question préjudicielle

14.

Siemens Aktiengesellschaft Österreich (ci-après « Siemens »), qui est établie en Autriche, s’est vu infliger par l’Autorité, dans le cadre d’une procédure en matière de concurrence, une amende de 159000000 forints hongrois (HUF) (ci-après la « décision litigieuse »). Siemens a attaqué la décision litigieuse devant les juridictions administratives hongroises, mais, en l’absence d’effet suspensif du recours, s’est acquittée de l’amende.

15.

La juridiction administrative saisie en première instance a réduit le montant de l’amende à 27300000 HUF, et cette décision a été confirmée par la juridiction d’appel.

16.

En vertu de l’arrêt rendu en appel, prononcé le 31 octobre 2008, l’Autorité a remboursé à Siemens la somme de 131700000 HUF du montant initial de l’amende, et lui a également versé, en application de l’article 83, paragraphe 5, de la loi no LVII de 1996, la somme de 52016230 HUF au titre des intérêts courus.

17.

L’Autorité a formé un pourvoi en cassation devant le Legfelsőbb Bíróság (Cour suprême, auquel a succédé la Kúria, Hongrie) contre l’arrêt de la juridiction administrative d’appel. Cette juridiction a considéré que l’amende infligée à Siemens pour un montant de 159000000 HUF était justifiée. Le 25 novembre 2011, Siemens s’est donc acquittée de la somme de 131700000 HUF au titre du solde de l’amende, mais a refusé de rembourser la somme de 52016230 HUF.

18.

Le 12 juillet 2013, l’Autorité a engagé une action en répétition de l’indu contre Siemens au titre de l’enrichissement sans cause sur le fondement de l’article 361, paragraphe 1, du code civil hongrois afin d’obtenir la restitution de ce montant (ci-après la « créance litigieuse »), majoré des intérêts de retard dus au titre du remboursement tardif.

19.

L’Autorité réclame en outre le paiement d’intérêts de retard à hauteur de 29183277 HUF, en vertu de l’article 301, paragraphe 1, du code civil hongrois, au titre du paiement tardif du solde du montant de l’amende de 131700000 HUF pour la période allant du 2 novembre 2008 au 24 novembre 2011 inclus. Au soutien de cette demande, l’Autorité fait valoir que la décision litigieuse est réputée légale avec effet ex tunc et que, par conséquent, le solde de l’amende aurait dû être en sa possession à partir du premier jour ouvrable (à savoir le 2 novembre 2008) suivant la date du remboursement indu (à savoir le 31 octobre 2008).

20.

L’Autorité fait observer que l’enrichissement sans cause relève de la matière quasi délictuelle, si bien que, selon elle, la règle de compétence spéciale prévue à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 conférerait à la juridiction de renvoi la compétence nécessaire dans la procédure au principal.

21.

Contestant ce raisonnement, Siemens relève que l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 n’est pas applicable au litige dans la mesure où, selon le droit hongrois, l’obligation de restitution fondée sur l’enrichissement sans cause n’aurait pas son origine dans un comportement illicite, mais découlerait de l’absence de justification, en droit, de l’avantage patrimonial obtenu. En ce qui concerne la demande de paiement d’intérêts de retard pour paiement tardif, Siemens fait valoir que ces intérêts ne sont pas la réparation d’un dommage, le paiement ne dépendant pas de l’existence d’un dommage.

22.

Le 12 juin 2014, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie) a décidé de classer la procédure, considérant que l’enrichissement sans cause n’entrait pas dans la typologie des régimes de responsabilité non contractuelle dès lors que, selon cette juridiction, il y avait non pas dommage, mais seulement un désavantage patrimonial et une absence de justification juridique.

23.

Considérant que la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) était compétente pour statuer, l’Autorité a fait appel de cette décision devant la juridiction de renvoi qui doit réexaminer l’ordonnance de classement pour incompétence.

24.

Nourrissant des doutes quant à l’interprétation qu’il convient de faire de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, la juridiction de renvoi a, le 2 mars 2015, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La créance ayant son origine dans le remboursement – qui s’est ultérieurement avéré injustifié – à une partie établie dans un autre État membre d’une amende qui avait été infligée à celle-ci dans le cadre d’une procédure en matière de concurrence et dont elle s’était acquittée, créance que l’autorité de la concurrence fait valoir à l’encontre de la partie en question afin de récupérer les intérêts qu’elle avait versés à celle-ci conformément à ce que la loi prévoit dans le cas d’un remboursement, relève-t-elle de la matière quasi délictuelle au sens de l’article 5, point 3, du [règlement no 44/2001] [?] »

25.

Des observations écrites ont été déposées par Siemens, par l’Autorité, par les gouvernements hongrois, allemand et italien ainsi que par la Commission européenne. Une audience s’est tenue le 14 janvier 2016, à laquelle ont participé toutes les parties à l’exception du gouvernement italien.

III – Analyse

26.

Ainsi que je l’ai indiqué précédemment, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si une demande de remboursement d’un paiement adressé à une partie établie dans un autre État membre, fondée sur le fait que le paiement s’est avéré par la suite injustifié, relève de la compétence des juridictions de l’État membre dans lequel est établi le demandeur en vertu de la règle de compétence spéciale énoncée à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 en matière de responsabilité non contractuelle.

27.

Ainsi que je l’ai également indiqué, les « matières administratives » visées à l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 ne relèvent cependant pas du champ d’application de ce règlement. Compte tenu de cela, avant de répondre à la question sur le fond, il est nécessaire de savoir si la créance litigieuse, qui découle d’une amende infligée par une autorité nationale de la concurrence dans le cadre d’une procédure administrative pour violation des règles internes de la concurrence, tombe dans le champ d’application du règlement no 44/2001.

A – Le champ d’application du règlement no 44/2001

1. Propos introductifs

28.

D’emblée, je relève que l’objet du règlement no 44/2001 est restreint à la « matière civile et commerciale ». Selon une jurisprudence constante, les notions de « matière civile et commerciale », d’une part, et de « matières administratives », d’autre part, sont des notions autonomes du droit de l’Union ( 5 ).

29.

En conséquence, le point de savoir si, en droit hongrois, l’action au principal peut être considérée comme étant de nature administrative ou de nature civile et commerciale est sans incidence sur l’applicabilité du règlement no 44/2001. Ainsi, ni le fait que la décision de renvoi ne contient aucune question relative au champ d’application du règlement no 44/2001 ni celui que toutes les parties à la présente procédure s’accordent pour considérer que, selon le droit hongrois, l’action au principal relève de la matière civile ne sauraient avoir pour effet de rendre le règlement applicable.

30.

À cet égard, le fait que la Cour ne soit pas interrogée sur le champ d’application du règlement no 44/2001 ne saurait lui interdire de traiter cette question. Plusieurs options lui sont en effet possibles. Premièrement, la Cour pourrait se déclarer incompétente dans la mesure où il est évident que les dispositions du droit de l’Union dont la juridiction de renvoi demande l’interprétation de la Cour ne peuvent s’appliquer ( 6 ). Deuxièmement, dans l’alternative, elle pourrait juger la demande irrecevable en application des dispositions de l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour de justice ( 7 ). Troisièmement, la Cour pourrait plutôt considérer que l’inapplicabilité de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 à l’affaire au principal n’a pas trait à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, mais relève du fond de la question posée ( 8 ).

31.

Pour ma part, j’observe que, si la Cour devait partager mon analyse selon laquelle l’objet de la procédure au principal ne relève pas du champ d’application du règlement no 44/2001, le litige au principal se trouverait en tout état de cause résolu, la question posée recevant de facto une réponse au fond. Qui plus est, la décision de renvoi semble répondre aux autres exigences formelles requises à l’article 94, sous a) et b), du règlement de procédure de la Cour. Dans ces conditions, et eu égard à l’esprit de coopération qui doit présider au traitement de la procédure de renvoi préjudiciel, la Cour étant appelée, dans le cadre de cette coopération, à donner à la juridiction de renvoi une réponse utile, je proposerais à la Cour de reformuler la question préjudicielle de manière à répondre à la question de savoir si l’action au principal relève du champ d’application du règlement no 44/2001.

2. Examen du champ d’application du règlement no 44/2001

32.

En l’absence de question en ce sens, la décision de renvoi est muette en ce qui concerne le point de savoir si la créance litigieuse relève du champ d’application du règlement no 44/2001. Toutefois, se fondant essentiellement sur l’arrêt de la Cour dans l’affaire Sapir e.a. ( 9 ), l’Autorité, le gouvernement hongrois et la Commission soutiennent que la créance litigieuse ne relève pas des « matières administratives » (le gouvernement hongrois insistant particulièrement sur ce point). Lors de l’audience, Siemens a rejoint de manière assez remarquable ce point de vue, de même que le gouvernement allemand.

33.

Je rappellerai que le champ d’application du règlement no 44/2001, étant limité à la notion de « matière civile et commerciale », est défini essentiellement par les éléments qui caractérisent la nature des rapports juridiques entre les parties au litige ou l’objet de celui-ci. Si certains litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privé peuvent relever du champ d’application du règlement no 44/2001, il en est autrement lorsque l’autorité publique agit dans l’exercice de la puissance publique ( 10 ). La question déterminante est celle de savoir si l’action au principal est fondée sur des dispositions par lesquelles le législateur a conféré à l’organisme public une prérogative propre ( 11 ).

34.

S’il me paraît clair que des actions « privées » engagées en vue d’assurer le respect du droit de la concurrence relèvent du champ d’application du règlement no 44/2001 ( 12 ), il est tout aussi évident qu’une sanction infligée par une autorité administrative dans l’exercice des pouvoirs réglementaires qui lui ont été conférés par la législation nationale relève de la notion de « matières administratives ». Cette situation inclut très certainement les amendes infligées pour violation des dispositions de droit national interdisant les restrictions à la concurrence, qui, à mon sens, constituent l’exercice « caractérisé » de la puissance publique.

35.

La situation ayant donné lieu à la procédure au principal n’est sûrement pas ce que l’on pourrait appeler un cas simple. En effet, la créance litigieuse n’a pas pour objet le paiement de l’amende elle-même, mais consiste en une action en restitution ayant pour objet i) le remboursement des intérêts (à caractère répressif) correspondant à deux fois le taux de base applicable de la Banque centrale hongroise que l’Autorité avait initialement versés à l’issue de la procédure interne de contrôle juridictionnel ; ii) le paiement des intérêts dus au titre du remboursement tardif de ce montant, et iii) des intérêts dus au titre du paiement tardif du solde de l’amende elle-même.

36.

En outre, la jurisprudence de la Cour relative à cette question est d’une nature relativement casuistique ( 13 ), ce qui rend l’adoption d’une approche globale difficile.

37.

Néanmoins, en ce qui concerne le texte en vigueur antérieurement au règlement no 44/2001, à savoir la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 14 ), la Cour a jugé que « [l]e fait que le gestionnaire, en poursuivant le recouvrement [de] frais, agit sur la base d’un droit de créance qui a sa source dans un acte de puissance publique suffit pour que son action soit considérée, quelle que soit la nature de la procédure que lui ouvre à ces fins le droit national, comme exclue du champ d’application de la convention de Bruxelles» ( 15 ).

38.

À mon sens, le raisonnement reproduit au point précédent est toujours valable aujourd’hui : les créances ayant leur source dans un acte de puissance publique – c’est-à-dire dans l’exercice de la puissance publique – ne relèvent pas du champ d’application du règlement no 44/2001. En conséquence, transposée aux éléments de la présente affaire, une analyse de l’action au principal formée par l’Autorité et des règles applicables à cette dernière me conduit à considérer que la créance litigieuse ainsi que les autres chefs de créance, qui découlent tous de l’amende infligée par l’Autorité, ne correspondent pas à la notion de « matière civile et commerciale ».

39.

Dans la présente affaire, la réduction du montant de l’amende infligée par l’Autorité a eu pour effet secondaire et de manière automatique, en vertu de la législation hongroise relative aux effets des décisions prises par l’Autorité – à savoir, l’article 83, paragraphe 5, de la loi no LVII de 1996 – de donner lieu à la créance litigieuse. Plus spécifiquement, la créance litigieuse découle de la combinaison d’un certain nombre de caractéristiques spécifiques du droit hongrois, à savoir que : i) la procédure de contrôle juridictionnel engagée à l’encontre de la décision litigieuse n’a pas eu pour effet de suspendre l’application de cette dernière ; ii) à l’issue du contrôle effectué par la juridiction administrative d’appel, l’Autorité était tenue, en vertu de la disposition précitée, de verser à Siemens des intérêts calculés sur le montant de l’amende remboursé au double du taux de base applicable de la Banque centrale hongroise, et iii) la décision de la Kúria (Cour suprême) a pris effet ex tunc. En effet, il me semble que, à chaque fois qu’une amende de l’Autorité est annulée ou réduite par les juridictions administratives, puis ultérieurement confirmée, la combinaison des caractéristiques de la procédure administrative hongroise précitées produit généralement le même résultat, à savoir que l’entreprise concernée perçoit des intérêts en application de l’article 83, paragraphe 5, de la loi no LVII de 1996, que l’Autorité cherche ensuite à récupérer. Ce résultat apparaît par conséquent être un aspect inhérent au contrôle juridictionnel d’une décision administrative en droit hongrois. Le fait que l’Autorité a formé un recours devant les juridictions civiles hongroises contre Siemens ne change rien au fait que le litige opposant les parties tient sa source dans le droit public.

40.

Un exemple plus simple suffira à illustrer mon propos : si le litige au principal n’avait porté que sur la demande de l’Autorité évoquée au point 19 des présentes conclusions, tendant au paiement d’intérêts de retard du fait du paiement tardif, par Siemens, du solde du montant de l’amende, je doute que cette affaire aurait posé un quelconque problème. Une telle créance aurait incontestablement sa source dans l’exercice de la puissance publique. Ainsi, bien que la créance visée par l’action au principal corresponde à une créance assez complexe en répétition de l’indu, il n’en demeure pas moins que, tout comme les autres demandes formulées par l’Autorité dans l’action au principal, elle découle entièrement de la sanction administrative que l’Autorité a infligée à Siemens.

41.

L’Autorité affirme, cependant, soutenue sur ce point par le gouvernement hongrois, qu’elle a tenté – après la confirmation de la décision litigieuse par la Kúria (Cour suprême), peut-on supposer – mais en vain, d’obtenir le remboursement des intérêts qu’elle avait versés en application de l’article 83, paragraphe 5, de la loi no LVII de 1996 dans le cadre d’une procédure administrative d’exécution devant le közigazgatási és munkaügyi bíróság (tribunal administratif et du travail, Hongrie), qui a refusé de faire droit à sa demande en considérant que cette créance d’intérêts ne découlait pas directement de la décision litigieuse et que, pour cette raison, elle n’était pas susceptible d’exécution. Siemens confirme cette description des faits. L’Autorité fait donc valoir qu’elle ne peut recouvrer sa créance par la voie administrative.

42.

Mis à part le fait que ces affirmations ne sont pas reprises dans la décision de renvoi et qu’elles ne sont donc pas confirmées, d’emblée je souligne que le refus opposé à l’exécution de la décision litigieuse en ce qui concerne la créance litigieuse est compréhensible. En effet, lorsqu’une décision infligeant une amende est rendue, nul ne sait si elle fera l’objet d’un recours et encore moins si, dans une telle hypothèse, les juridictions administratives l’annuleront et, plus encore, si elle sera confirmée en appel. En d’autres termes, étant donné que Siemens s’était acquittée de la totalité du montant de l’amende, la décision litigieuse avait été pleinement exécutée. J’estime cependant que cet argument confirme mon analyse, à savoir que l’Autorité dispose normalement de pouvoirs d’exécution exorbitants en comparaison avec les règles applicables dans les relations entre personnes de droit privé. Le fait que, en l’occurrence, ces pouvoirs ne lui ont pas permis de récupérer la créance litigeuse est dénué de pertinence, de la même manière que la détermination de la juridiction compétente en droit hongrois pour statuer sur le recouvrement de la créance litigieuse n’est pas décisive aux fins de l’application du règlement no 44/2001. En réalité, aux fins du recouvrement de sa créance, l’argument invoqué par l’Autorité ne ferait qu’aboutir à l’imposition d’amendes (administratives) symboliques, assorties, cependant, d’intérêts (civils et commerciaux) à des taux draconiens.

43.

Qui plus est, je ne suis pas convaincu par l’argument avancé par le gouvernement hongrois selon lequel la Kúria (Cour suprême) aurait jugé que « le contrôle juridictionnel n’est pas une étape de la procédure administrative, il n’en est pas le prolongement, mais est autonome par rapport à celle-ci, non seulement sur le plan organisationnel, mais aussi sur le plan procédural », que « ces deux procédures sont distinctes et [que] la procédure administrative est clôturée par une décision définitive» ( 16 ). Mis à part le fait qu’une décision n’est définitive que si elle n’a pas été annulée dans le cadre du contrôle juridictionnel dont elle fait l’objet, la manière dont une procédure est perçue au niveau national n’a aucune incidence sur le champ d’application du règlement no 44/2001. Ledit règlement ne saurait être interprété uniquement à la lumière de la répartition de compétences entre les différents ordres juridictionnels existant dans certains États membres ( 17 ). En effet, pour être clair, il y a lieu de rappeler que plusieurs États membres ne connaissent pas, dans leur système juridique, la séparation entre juridictions civiles et juridictions administratives ( 18 ).

44.

À ce stade de mon raisonnement, je note également qu’un certain nombre d’éléments relevés dans les arrêts que j’ai cités précédemment viennent au soutien de mon analyse. Premièrement, la créance litigieuse ne découle pas d’une obligation séparée et librement contractée, indépendamment de l’amende en question ( 19 ). Deuxièmement, l’amende dont la créance litigieuse découle ne correspond pas à ce que l’on qualifierait généralement de « matière civile et commerciale » au sens du règlement no 44/2001 – bien au contraire ( 20 ). Troisièmement, et c’est là le point essentiel, la somme sur laquelle porte la créance litigieuse n’a pas été payée par erreur à Siemens. Elle n’est pas la conséquence d’une simple erreur commise par l’Autorité, du type de celle que toute partie privée aurait pu commettre (que l’on qualifie habituellement de « condictio indebiti », ou de « répétition de l’indu »). Au contraire, la créance litigieuse est née purement et simplement en vertu de la loi applicable à la procédure administrative dont il est question dans la procédure au principal ( 21 ).

45.

Enfin, l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Sunico e.a., qui concernait, il est vrai, une situation dans laquelle était invoquée une prétendue fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de type « carrousel », ne remet nullement en cause ma conviction. Certes, dans cette affaire, la Cour semble avoir attaché, à première vue, une grande importance au droit national pour arriver à la conclusion que le règlement était applicable. Or, il ne faudrait cependant pas perdre de vue que le fondement juridique du recours formé par les autorités britanniques contre Sunico était non pas le droit anglais en matière de TVA, mais le fait que Sunico aurait engagé sa responsabilité non contractuelle (en ayant pris part à une « association de malfaiteurs ayant un but de fraude »), s’exposant ainsi à une condamnation à des dommages et intérêts. De plus, Sunico n’étant pas assujettie à la TVA au Royaume-Uni, cette société n’avait aucune relation administrative avec les autorités britanniques ( 22 ).

46.

Il découle de ce qui précède que l’action en paiement de la créance litigieuse faisant l’objet de l’affaire au principal correspond aux « matières administratives » qui, aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, sont exclues du champ d’application de ce règlement. La Cour devrait par conséquent répondre à la question préjudicielle qu’une action en répétition de l’indu fondée sur l’enrichissement sans cause ayant pour origine le remboursement d’une amende infligée dans le cadre d’une procédure en droit de la concurrence, telle que celle en cause au principal, ne relève pas de la « matière civile et commerciale » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 44/2001.

47.

Toutefois, dans l’hypothèse où la Cour devrait retenir que l’action au principal porte sur la « matière civile et commerciale », j’exposerai dans ce qui suit la raison pour laquelle, en tout état de cause, j’estime que l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 ne confère pas à la juridiction de renvoi une compétence spéciale pour statuer sur le fond de l’action au principal.

B – Sur le fond

1. Propos introductifs

48.

La présente affaire offre à la Cour une occasion d’apporter des éclaircissements de portée générale nécessaires en ce qui concerne les interactions entre l’article 2, paragraphe 1, et l’article 5, points 1 et 3, du règlement no 44/2001. Je commencerai mon examen en rappelant les principes directeurs applicables à cette question.

49.

Le règlement no 44/2001 vise à ce que les règles de compétence présentent un haut degré de prévisibilité et s’articulent autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement (compétence exclusive), par exemple, dans les procédures relatives à des droits réels ou à des immeubles. De plus, outre le for du domicile du défendeur, d’autres fors devraient être autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice (compétences spéciales) – par exemple, les juridictions du lieu où l’obligation contractuelle doit être exécutée ( 23 ).

50.

Cela ne change néanmoins rien au fait que le règlement no 44/2001 est fondé sur l’idée qu’une action doit être introduite devant la juridiction du domicile du défendeur.

51.

Par conséquent, c’est sans surprise que la Cour a considéré que le système des attributions de compétences communes prévues au chapitre II du règlement no 44/2001 est fondé sur la règle générale, énoncée à l’article 2, paragraphe 1, de celui-ci, selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites devant les juridictions de cet État, indépendamment de la nationalité des parties. Ce n’est que par dérogation à la règle générale de la compétence des juridictions du domicile du défendeur que le chapitre II, section 2, du règlement no 44/2001 prévoit un certain nombre de règles de compétence spéciale, parmi lesquelles figure celle de l’article 5, point 3, de ce règlement ( 24 ).

52.

Par ailleurs, les règles de compétence spéciale, qui complètent la règle générale énoncée à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, devraient se voir attribuer leur sens propre, déterminé à la lumière de leur finalité et de leurs termes ainsi que du système et de l’objet du règlement, plutôt que d’être interprétées d’une manière susceptible de les priver de leur effet utile ( 25 ). Toutefois, il n’en demeure pas moins que ces règles sont d’interprétation stricte par rapport au principe général et que, en tout état de cause, elles ne permettent pas une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite par le règlement ( 26 ). À titre d’exemple, la Cour a considéré que l’action en dommages et intérêts par laquelle la responsabilité précontractuelle (culpa in contrahendo) du défendeur est invoquée ne peut être fondée sur l’article 5, point 1, de la convention de Bruxelles, mais doit, lorsque cela est possible, être basée sur l’article 5, point 3, de cette convention ( 27 ). C’est à la lumière de ces considérations générales qu’il convient de répondre à la question préjudicielle.

53.

La réponse à cette question n’est pas dénuée de tout doute. Les termes de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 ne mentionnent pas les notions de « restitution », de « répétition de l’indu » ou encore d’« enrichissement sans cause » à l’égal de la « matière délictuelle ou quasi délictuelle », pas plus qu’ils n’indiquent qu’une action sur ce(s) fondement(s) relèverait du champ d’application du règlement. La divergence très nette des positions des parties ayant déposé des observations écrites témoigne également de cette incertitude : Siemens ainsi que les gouvernements allemand et italien estiment qu’une action en paiement de la créance litigieuse ne relève pas du champ d’application de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001. L’Autorité, le gouvernement hongrois et la Commission sont de l’avis opposé.

54.

Or, je n’ai pas d’hésitation quant à la réponse à donner à la question préjudicielle : une action en répétition de l’indu fondée sur l’enrichissement sans cause ne relève pas du champ d’application de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

2. La restitution demandée, fondée sur l’enrichissement sans cause, relève-t-elle de la « matière délictuelle ou quasi délictuelle » ?

55.

Pour qu’une demande puisse être considérée comme relevant de la matière délictuelle ou quasi délictuelle aux fins de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, il est exigé, selon une jurisprudence constante ( 28 ), que deux conditions soient réunies : premièrement, la demande doit viser à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et, deuxièmement, la demande ne doit pas se rattacher à la « matière contractuelle » au sens de l’article 5, point 1, sous a), de ce règlement.

56.

Nonobstant le fait que Siemens a été, selon les observations déposées par l’Autorité, sanctionnée pour avoir participé à un accord anticoncurrentiel, les parties s’accordent à dire que l’action au principal ne se rapporte pas à un contrat, et cela à juste titre, étant donné que l’action au principal concerne une créance de restitution fondée sur l’enrichissement sans cause dont Siemens a bénéficié au détriment de l’Autorité, sans base contractuelle.

57.

La question à laquelle il reste à répondre est celle de savoir si l’action vise à mettre en cause la responsabilité de Siemens.

58.

Tel n’est pas le cas.

59.

En premier lieu, je rappelle qu’il est de jurisprudence constante que la règle de compétence prévue à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès. En effet, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, le juge du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire est normalement le plus apte à statuer, notamment pour des motifs de proximité du litige et de facilité d’administration des preuves. L’expression « lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire », qui figure dans cette disposition, vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et le lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage, de telle sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou de l’autre de ces deux lieux ( 29 ). De plus, il est également de jurisprudence constante qu’une responsabilité non contractuelle ne peut être prise en compte qu’à la condition qu’un lien causal puisse être établi entre le dommage et le fait dans lequel ce dommage trouve son origine ( 30 ).

60.

Il en découle que la règle de compétence spéciale prévue à l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 requiert l’existence d’un « fait dommageable » ayant donné lieu à un « dommage », ou, en d’autres termes, à un préjudice ( 31 ).

61.

En revanche, une action en répétition de l’indu fondée sur l’enrichissement sans cause ne repose pas sur un préjudice. Bien que le règlement no 44/2001 ne contienne aucune définition de l’expression « répétition de l’indu » ou « enrichissement sans cause », je me risquerai à les définir comme suit. Contrairement à une action visant à mettre en jeu la responsabilité non contractuelle du défendeur, qui a pour finalité la réparation d’un dommage ou d’un préjudice subi par le demandeur et au titre duquel la responsabilité du défendeur est recherchée du fait de son comportement, d’une omission ou pour tout autre motif pouvant lui être imputable, l’action en répétition de l’indu fondée sur l’enrichissement sans cause vise à restituer au demandeur un avantage dont le défendeur a bénéficié illégitimement au détriment du premier (ou à lui payer l’équivalent monétaire de cet avantage). Comme l’a fait valoir, en substance, le gouvernement allemand, la répétition de l’indu sur le fondement de l’enrichissement sans cause vise donc intrinsèquement le gain obtenu par le défendeur plutôt que la perte subie par le demandeur ( 32 ). L’enrichissement sans cause est le fondement de l’action, la restitution en étant la réparation. Je ne souscris donc pas à la thèse selon laquelle le simple défaut de réception d’une somme contestée constituerait un « fait dommageable » donnant lieu à un préjudice ( 33 ).

62.

De plus, même si la répétition de l’indu fondée sur l’enrichissement sans cause exige que l’enrichissement soit illégitime, elle ne coïncide pas avec la responsabilité non contractuelle. Mis à part le fait que cette dernière exige un préjudice et l’existence d’un lien de causalité avec le comportement du défendeur, la responsabilité non contractuelle suppose également qu’il existe un motif permettant de considérer le défendeur comme responsable du préjudice subi par le demandeur, que ce soit intentionnellement (dol), par faute ou négligence (culpa) ou même en application d’une responsabilité sans faute. En revanche, le recouvrement d’une somme payée sans cause ne dépend pas nécessairement du point de savoir si le comportement du destinataire était exempt de reproche. De la même manière, en droit de l’Union, lorsqu’un État membre perçoit des taxes en violation de ce droit, leur remboursement n’est pas fondé sur une quelconque responsabilité de cet État membre ( 34 ). Inversement, la responsabilité d’un État membre au titre d’une violation du droit de l’Union suppose que certaines conditions bien connues dégagées par la Cour soient remplies ( 35 ). Il en découle que, contrairement à ce que le gouvernement hongrois a indiqué dans ses observations écrites, le fait qu’il ne soit pas entièrement possible, en droit hongrois, de distinguer le caractère illégitime d’un enrichissement donné, d’une part, d’un préjudice, d’autre part, est dénué de pertinence dans la mesure où, encore une fois, le droit national n’est pas l’élément déterminant dans l’interprétation du règlement no 44/2001 ( 36 ).

63.

Même si dans l’affaire Sapir e.a. ( 37 ), qui concernait également un problème de répétition de l’indu, la Cour n’était pas appelée à interpréter l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, d’autres arrêts viennent conforter dans une certaine mesure mon analyse.

64.

Dans l’affaire Kalfelis ( 38 ), une des questions posées à la Cour était celle de savoir si « l’article 5, [point] 3, de la convention de Bruxelles donne […] aussi en raison de la connexité une compétence accessoire en matière non délictuelle dans le cadre d’une demande fondée sur la responsabilité délictuelle et contractuelle et sur l’enrichissement sans cause » (mise en italique par mes soins), question à laquelle la Cour a répondu « qu’un tribunal compétent, au titre de l’article 5, [point] 3, pour connaître de l’élément d’une demande reposant sur un fondement délictuel n’est pas compétent pour connaître des autres éléments de la même demande qui reposent sur des fondements non délictuels ». Certes, la Cour n’a pas précisé si elle considérait que l’enrichissement sans cause relevait de la matière délictuelle ou quasi délictuelle : elle a simplement exclu la possibilité que l’article 5, point 3, de la convention de Bruxelles puisse couvrir une demande non fondée sur la responsabilité non contractuelle ( 39 ). Cet arrêt témoigne cependant de ce que la Cour était consciente des différences intrinsèques que présentent les divers types de rapports juridiques.

65.

De plus, dans la seconde affaire Reichert et Kockler, la Cour a considéré que l’article 5, point 3, de la convention de Bruxelles ne prévoit pas une compétence spéciale pour un type particulier d’action du droit français en matière d’insolvabilité (action paulienne), qui s’apparente à une action en restitution dès lors qu’elle ne vise pas à faire condamner le débiteur à réparer les dommages qu’il a causés à son créancier par son acte frauduleux, mais à faire disparaître, à l’égard du créancier, les effets de l’acte de disposition passé par son débiteur, y compris à l’égard des tiers ( 40 ).

66.

Je ne partage donc pas l’analyse de l’avocat général Darmon lorsqu’il a soutenu, dans une affaire postérieure, que la Cour avait, dans la définition de la notion de « matière délictuelle ou quasi délictuelle » qu’elle a donnée dans l’arrêt Kalfelis ( 41 ), « inclu[s] dans la matière délictuelle, l’action fondée sur l’enrichissement sans cause» ( 42 ). En tout état de cause, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les questions posées dans cette affaire et ne s’est donc pas prononcée sur l’analyse de l’avocat général ( 43 ).

67.

Par souci d’exhaustivité, j’ajouterai que plusieurs juridictions suprêmes des États membres ont considéré qu’une action en répétition de l’indu fondée sur l’enrichissement sans cause ne relevait pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle ( 44 ). Il est d’ailleurs peu surprenant que la doctrine abordant cette question a également été réticente à qualifier les actions en restitution proprement dites d’actions fondées sur la responsabilité non contractuelle ( 45 ).

68.

En deuxième lieu, interpréter l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 de manière à y inclure les actions en répétition de l’indu sur la base de l’enrichissement sans cause serait faire une interprétation large des règles de compétence spéciale, contrairement aux normes d’interprétation admises. Cela aboutirait en outre à fausser le système instauré par ce règlement, que j’ai décrit aux points 49 à 52 des présentes conclusions.

69.

En toute candeur, les réponses apportées par les parties aux questions qui leur ont été posées lors de l’audience ne me permettent pas de considérer que l’action au principal présenterait un lien plus étroit avec les juridictions hongroises qu’avec les juridictions autrichiennes. Au contraire, il est légitime de déduire de l’omission de toute référence, dans le libellé de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, aux demandes en restitution que cette omission s’explique précisément par l’absence de tout lien de rattachement étroit liant de manière logique ces actions à un for autre que celui du domicile du défendeur ( 46 ). En réalité, le seul élément réel qui lie la créance litigieuse aux juridictions hongroises est le fait qu’elle découle de l’amende infligée par l’Autorité, qui ne fait cependant que démontrer la nature administrative du litige au principal, ainsi que je l’ai expliqué précédemment. Il me semble par conséquent que la réponse attendue par l’Autorité, le gouvernement hongrois et la Commission équivaudrait à interpréter cette disposition au-delà de ce qui est possible.

70.

Dans le même ordre d’idées, je suis encore moins convaincu par l’argument avancé par la Commission selon lequel il ne saurait y avoir de vide juridique entre les points 1 et 3 de l’article 5 du règlement no 44/2001. Rien dans le libellé du règlement no 44/2001 ne permet de le penser. Le fait que l’article 5, point 3, dudit règlement n’entre en application que lorsque l’action ne concerne pas la matière contractuelle n’exclut pas la possibilité qu’une action ne concerne ni la matière contractuelle ni la matière délictuelle ou quasi délictuelle. En vérité, considérer que les points 1 et 3 de l’article 5 du règlement forment un tout indissociable, comme la Commission le donne à penser, impliquerait d’élever ces deux exceptions au rang de règle générale, ce qui aboutirait à priver l’article 2 de tout effet pratique en ce qui concerne le droit des obligations ( 47 ).

71.

En troisième lieu, une analyse contextuelle, incluant une vue générale d’autres règles du droit international privé de l’Union confirme la conclusion qui précède.

72.

Premièrement, en effet, ainsi que l’a souligné le gouvernement allemand, il découle de l’article 10, paragraphe 1, du règlement (CE) no 864/2007 ( 48 ) que, par comparaison avec la matière contractuelle et la matière délictuelle ou quasi délictuelle, par défaut, le droit international privé de l’Union considère l’enrichissement sans cause comme relevant d’une catégorie spécifique. Bien que le règlement no 44/2001 soit antérieur au règlement no 864/2007, le législateur a considéré que le champ d’application matériel et les dispositions du second devaient être cohérents par rapport au premier ( 49 ).

73.

Deuxièmement, tant l’article 5, point 4, du règlement no 44/2001 que l’article 7, point 3, de la refonte de ce règlement, à savoir le règlement (UE) no 1215/2012 ( 50 ), contiennent des chefs de compétence spéciale concernant l’« action en réparation de dommage ou [l’]action en restitution fondées sur une infraction, devant la juridiction saisie de l’action publique » (mise en italique par mes soins) au lieu de les fondre avec le chef de compétence général se rapportant à la responsabilité non contractuelle. De plus, le règlement no 1215/2012 prévoit également un chef de compétence spéciale au titre de l’« action civile, fondée sur le droit de propriété, en restitution d’un bien culturel au sens de l’article 1er, point 1, de la directive 93/7/CEE [ ( 51 )], […] devant la juridiction du lieu où le bien culturel est situé au moment de la saisine » (mise en italique par mes soins). Dans ces deux exemples, il existe un facteur de rattachement clair de ces actions en restitution avec les juridictions d’un État membre autre que celui du domicile du défendeur, un lien qui diffère de celui mentionné au point 59 des présentes conclusions. Il est également utile de noter le fait que le libellé de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012 montre que le législateur de l’Union n’a pas jugé nécessaire d’élargir le chef de compétence spéciale relatif à la responsabilité non contractuelle. Tout cela confirme le point de vue selon lequel les actions en restitution ou, s’agissant particulièrement de la présente affaire, en répétition de l’indu sont systématiquement traitées différemment des actions en paiement de dommages et intérêts fondées sur la responsabilité non contractuelle.

74.

Enfin, l’Autorité soutient que si l’action au principal ne relevait pas de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, elle ne pourrait saisir aucune juridiction – ou plutôt, ainsi que l’Autorité l’a expliqué lors de l’audience, elle ne pourrait engager une action à l’encontre de tous les participants à l’infraction aux règles de la concurrence à l’origine de la présente affaire devant aucune juridiction en Hongrie. L’Autorité prétend qu’une telle situation irait à l’encontre de l’objectif de simplification procédurale que le règlement vise à mettre en œuvre. Premièrement, concernant ces points, je rappellerai que, s’il est vrai qu’il existe des inconvénients à ce que les divers aspects d’un même litige soient jugés par des tribunaux différents, il convient d’observer que le demandeur a toujours la faculté de porter l’ensemble de sa demande devant le tribunal du domicile du défendeur ( 52 ). L’Autorité dispose donc d’un for devant lequel elle peut introduire son action. En tout état de cause, dans l’hypothèse où les juridictions autrichiennes refuseraient de connaître de l’affaire au motif que la créance litigieuse découle du droit public, cette conséquence serait inhérente à l’interaction entre, d’une part, la portée de l’harmonisation opérée en application de ce règlement et, d’autre part, les règles de procédure nationales (en l’occurrence les règles de procédure administrative d’exécution hongroises). Deuxièmement, en ce qui concerne l’objectif de simplification auquel l’Autorité se réfère, il découle du considérant 11 du règlement no 44/2001 que, pour des raisons de prévisibilité, cet objectif est servi par la compétence de principe du domicile du défendeur et, inversement, par le principe selon lequel les chefs de compétence spéciale ou exclusive sont envisageables, mais de manière limitée uniquement. Cet objectif semblerait donc, en réalité, contredire l’analyse de l’Autorité.

75.

Eu égard aux observations qui précèdent, une action en répétition de l’indu fondée sur l’enrichissement sans cause ne relève pas de la « matière délictuelle ou quasi délictuelle » au sens de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.

IV – Conclusion

76.

Pour les raisons exposées ci-dessus, je propose à la Cour de répondre à la question de la Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale) dans le sens que l’action en répétition de l’indu fondée sur l’enrichissement sans cause ayant son origine dans le remboursement d’une amende infligée dans le cadre d’une procédure de droit de la concurrence telle que celle en cause au principal ne relève pas de la « matière civile et commerciale » au sens de l’article 1er du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

77.

À titre subsidiaire, je propose à la Cour de répondre à la question que l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une action en répétition de l’indu fondée sur l’enrichissement sans cause ne relève pas de la « matière délictuelle ou quasi délictuelle » au sens de cette disposition.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Règlement du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), dans sa version en l’espèce applicable, modifiée en dernier lieu par le règlement (CE) no 1103/2008 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 (JO 2008, L 304, p. 80).

( 3 ) A Polgári Törvénykönyvről szóló 1959. évi IV. törvény.

( 4 ) Ci-après la « loi no LVII de 1996 ».

( 5 ) Voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 1976, LTU (29/76, EU:C:1976:137, point 3), et du 23 octobre 2014, flyLAL-Lithuanian Airlines (C‑302/13, EU:C:2014:2319, point 24).

( 6 ) Voir, en ce sens, concernant une demande en interprétation de l’article 86, paragraphe 2, CE, arrêt du 1er octobre 2009, Woningstichting Sint Servatius (C‑567/07, EU:C:2009:593, points 42 et 43). Voir, également, par analogie, arrêt du 7 novembre 2013, Romeo (C‑313/12, EU:C:2013:718, point 20), relatif à une situation purement interne, ainsi que, concernant l’interprétation du droit dérivé de l’Union adopté dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile, ordonnance du 9 septembre 2014, Parva Investitsionna Banka e.a. (C‑488/13, EU:C:2014:2191, point 26).

( 7 ) Comparer, notamment, l’ordonnance du 8 novembre 2012, SKP (C‑433/11, EU:C:2012:702, points 32 à 38), d’irrecevabilité manifeste, d’une part, avec l’ordonnance du 3 avril 2014, Pohotovosť (C‑153/13, EU:C:2014:1854, points 22 à 25), dans laquelle la Cour s’est déclarée manifestement incompétente, d’autre part, se rapportant toutes deux au même instrument de droit dérivé de l’Union.

( 8 ) Voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2006, Manfredi e.a. (C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 30).

( 9 ) Arrêt du 11 avril 2013, Sapir e.a. (C‑645/11, EU:C:2013:228).

( 10 ) Arrêt du 12 septembre 2013, Sunico e.a. (C‑49/12, EU:C:2013:545, points 33 et 34).

( 11 ) Arrêt du 14 novembre 2002, Baten (C‑271/00, EU:C:2002:656, point 37).

( 12 ) Voir, à cet égard, notamment, arrêts du 23 octobre 2014, flyLAL-Lithuanian Airlines (C‑302/13, EU:C:2014:2319, points 28 et 29), et du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2015:335, point 56). Cependant, dans cette dernière affaire, l’avocat général Jääskinen, tout en considérant que l’action en justice en cause relevait de la « matière civile et commerciale », a également estimé que l’application de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 à ce type d’actions était problématique ; voir points 8 à 10, 33, 39, 52 et 53 des conclusions que l’avocat général Jääskinen a présentées le 11 décembre 2014 dans l’affaire CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2014:2443).

( 13 ) Voir, notamment, pour des exemples que la Cour a considérés comme ne relevant pas de la « matière civile et commerciale », concernant le recouvrement de redevances dues au titre de l’utilisation des services et des équipements d’Eurocontrol, arrêt du 14 octobre 1976, LTU (29/76, EU:C:1976:137) ; concernant le recouvrement de frais exposés pour l’enlèvement d’une épave, arrêt du 16 décembre 1980, Rüffer (814/79, EU:C:1980:291), ainsi que, concernant des demandes de réparation par la République fédérale d’Allemagne au titre des actes commis par les forces armées du IIIe Reich pendant l’occupation de la Grèce, arrêt du 15 février 2007, Lechouritou e.a. (C‑292/05, EU:C:2007:102). Voir, notamment, pour des exemples que la Cour a considérés comme relevant de cette matière, concernant une action en réparation du dommage causé par la négligence d’un enseignant d’une école publique lors d’une excursion scolaire ayant causé la mort d’un élève, arrêt du 21 avril 1993, Sonntag (C‑172/91, EU:C:1993:144) ; concernant une action introduite par une association de protection des consommateurs en vue de faire interdire l’utilisation par un commerçant de clauses jugées abusives dans des contrats avec des particuliers, arrêt du 1er octobre 2002, Henkel (C‑167/00, EU:C:2002:555), ainsi que, concernant la subrogation dans des créances alimentaires à l’égard du conjoint divorcé et de l’enfant, arrêt du 14 novembre 2002, Baten (C‑271/00, EU:C:2002:656). Voir, également, jurisprudence citée aux points 44 et 45 des présentes conclusions.

( 14 ) JO 1972, L 299, p. 32, telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci-après la « convention de Bruxelles »).

( 15 ) Arrêt du 16 décembre 1980, Rüffer (814/79, EU:C:1980:291, point 15). Mise en italique par mes soins.

( 16 ) Kfv. No II. 37. 671/2014/12, du 12 novembre 2014.

( 17 ) Voir, par analogie, arrêt du 16 décembre 1980, Rüffer (814/79, EU:C:1980:291, point 14).

( 18 ) C’est le cas, notamment, du Royaume du Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.

( 19 ) Voir, concernant une garantie de paiement de droits de douane délivrée par une compagnie d’assurances de droit français au profit de l’État néerlandais, arrêt du 15 mai 2003, Préservatrice foncière TIARD (C‑266/01, EU:C:2003:282, points 29 à 34).

( 20 ) Voir, concernant une amende infligée par une juridiction allemande pour contrefaçon d’un brevet, arrêt du 18 octobre 2011, Realchemie Nederland (C‑406/09, EU:C:2011:668, point 41), et, à l’inverse, arrêt du 9 septembre 2015, Bohez (C‑4/14, EU:C:2015:563, point 40), relatif à une astreinte ordonnée afin de garantir le respect d’un droit de visite octroyé à l’égard d’enfants.

( 21 ) Voir, concernant une action en répétition de l’excédent versé par erreur (condictio indebiti) par le Land Berlin (Allemagne) dans le cadre d’une procédure administrative visant à la réparation du préjudice causé par la perte d’un bien foncier lors des persécutions sous le régime nazi, arrêt du 11 avril 2013, Sapir e.a. (C‑645/11, EU:C:2013:228, point 37).

( 22 ) Arrêt du 12 septembre 2013, Sunico e.a. (C‑49/12, EU:C:2013:545, points 13 et 36 à 38).

( 23 ) Voir considérants 11 et 12 du règlement no 44/2001.

( 24 ) Arrêt du 18 juillet 2013, ÖFAB (C‑147/12, EU:C:2013:490, point 30 et jurisprudence citée).

( 25 ) Voir, par analogie, point 33 des conclusions que l’avocat général Jacobs a présentées le 14 mars 2002 dans l’affaire Henkel (C‑167/00, EU:C:2002:171) et, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, Zuid-Chemie (C‑189/08, EU:C:2009:475, point 31).

( 26 ) Arrêt du 18 juillet 2013, ÖFAB (C‑147/12, EU:C:2013:490, points 31 et 32 ainsi que jurisprudence citée).

( 27 ) Arrêt du 17 septembre 2012, Tacconi (C‑334/00, EU:C:2002:499, points 26 et 27).

( 28 ) Voir, notamment, arrêts du 27 septembre 1988, Kalfelis (189/87, EU:C:1988:459, point 17), et du 28 janvier 2015, Kolassa (C‑375/13, EU:C:2015:37, point 44 et jurisprudence citée).

( 29 ) Arrêt du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2015:335, points 38 à 40 et jurisprudence citée).

( 30 ) Arrêt du 18 juillet 2013, ÖFAB (C‑147/12, EU:C:2013:490, point 34 et jurisprudence citée).

( 31 ) À la page 2169 des conclusions qu’il a présentées le 20 février 1992 dans l’affaire Reichert et Kockler (C‑261/90, EU:C:1992:78), l’avocat général Gulmann a indiqué que « [l]es différentes versions linguistiques de l’article 5, [point] 3, ont au moins deux éléments en commun. Le premier est qu’il doit y avoir un comportement “illicite”, et l’autre que ce comportement doit avoir causé un “fait dommageable” ».

( 32 ) Voir, notamment, Goff, R., et Jones, G., The Law of Restitution, 4e éd., Sweet & Maxwell, Londres, 1993, p. 16, où il est soutenu qu’« une demande de restitution vise l’avantage, l’enrichissement obtenu par le défendeur au détriment du défendeur, et non pas le préjudice subi » (les italiques figurent dans l’original). Voir, dans le même sens, Virgo, G., The Principles of the Law of Restitution, 3e éd., Oxford University Press, Oxford, 2015, p. 3, selon lequel « le droit de la restitution vise un ensemble générique de voies de recours qui s’ouvrent aux requérants en application de la loi et présentant une fonction commune, celle de priver le défendeur d’un gain plutôt que d’indemniser le demandeur du préjudice qu’il a subi ». En ce qui concerne les demandes de remboursement de sommes d’argent payées conformément à la législation de l’Union à la suite d’irrégularités, toute irrégularité doit entraîner « le retrait de l’avantage indûment obtenu, notamment par l’obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus » ; voir arrêt du 18 décembre 2014, Somvao (C‑599/13, EU:C:2014:2462, point 35).

( 33 ) Voir, par contraste, point 86 des conclusions que l’avocat général Saugmandsgaard Øe a présentées le 17 février 2016 dans l’affaire Austro-Mechana (C‑572/14, EU:C:2016:90).

( 34 ) Voir, notamment, arrêt du 2 décembre 1997, Fantask e.a. (C‑188/95, EU:C:1997:580, point 38 et jurisprudence citée).

( 35 ) Voir arrêt du 4 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame (C‑46/93 et C‑48/93, EU:C:1996:79, point 51).

( 36 ) Il est de jurisprudence constante que l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit (également) s’interpréter de manière autonome ; voir, notamment, arrêt du 10 septembre 2015, Holterman Ferho Exploitatie e.a. (C‑47/14, EU:C:2015:574, point 74 et jurisprudence citée). L’avocat général Saugmandsgaard Øe semble être d’un avis différent : voir point 85 des conclusions qu’il a présentées le 17 février 2016 dans l’affaire Austro-Mechana (C‑572/14, EU:C:2016:90).

( 37 ) Arrêt du 11 avril 2013 (C‑645/11, EU:C:2013:228), dans lequel la Cour a en réalité interprété l’article 6 du règlement no 44/2001 concernant les recours formés contre plusieurs défendeurs.

( 38 ) Arrêt du 27 septembre 1988, Kalfelis (189/87, EU:C:1988:459).

( 39 ) En revanche, l’avocat général Darmon avait préconisé que la compétence sur le fondement de l’article 5, point 1, de la convention de Bruxelles – à savoir, la matière contractuelle – devrait « canaliser » d’autres demandes fondées sur la responsabilité délictuelle et contractuelle, et sur l’enrichissement sans cause (voir points 25 à 31 des conclusions qu’il a présentées le 15 juin 1988 dans l’affaire Kalfelis (189/87, EU:C:1988:312).

( 40 ) Arrêt du 26 mars 1992, Reichert et Kockler (C‑261/90, EU:C:1992:149, points 19 et 20).

( 41 ) Arrêts du 27 septembre 1988, Kalfelis (189/87, EU:C:1988:459) (voir point 55 des présentes conclusions).

( 42 ) Voir point 102 des conclusions que l’avocat général Darmon a présentées le 27 octobre 1992 dans l’affaire Shearson Lehman Hutton (C‑89/91, EU:C:1992:410).

( 43 ) Arrêt du 19 janvier 1993, Shearson Lehman Hutton (C‑89/91, EU:C:1993:15, point 25 ; voir, en particulier, la quatrième question préjudicielle).

( 44 ) Voir décisions de la House of Lords (Royaume-Uni) du 30 octobre 1997 dans l’affaire Kleinwort Benson Ltd v. City of Glasgow District Council [1997] UKHL 43 ; celle de l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) du 13 janvier 1998 dans l’affaire 7 Ob 375/97s ; enfin, celle rendue par le Högsta Domstolen (Cour suprême, Suède) du 31 août 2009 dans l’affaire Ö 1900‑08 (NJA 2000:49).

( 45 ) Voir, notamment, Mankowski, P., et Magnus, U. (éd.), European Commentaries on Private International Law (ECPIL), Brussels Ibis Regulation, vol. I, Otto Schmidt, Cologne, 2016, point 245 ; et Hertz, K., Bruxelles I-forordningen med kommentarer, 2e éd., Jurist- og Økonomforbundets Forlag, Copenhague, 2015, p. 172.

( 46 ) Je rejoins, à cet égard, l’opinion exprimée par Lord Goff le 30 octobre 1997 dans l’affaire Kleinwort Benson Ltd v. City of Glasgow District Council [1997] UKHL 43.

( 47 ) Dans son arrêt du 13 mars 2014, Brogsitter (C‑548/12, EU:C:2014:148, point 27), la Cour a jugé que si les actions intentées par le requérant au principal ne se rattachaient pas à la matière contractuelle, elles devaient être considérées comme relevant de la matière délictuelle ou quasi délictuelle. Cette constatation était toutefois fondée sur l’idée que le requérant au principal dans cette affaire, qui concernait des actions introduites à diverses fins en raison de préjudices que le requérant aurait subis du fait d’agissements considérés comme étant constitutifs de concurrence déloyale, visait à mettre en jeu la responsabilité du défendeur. D’une manière similaire, dans l’affaire Granarolo (C‑196/15), actuellement pendante devant la Cour, il est demandé à la Cour de déterminer si une action en dommages et intérêts – et non pas en restitution – pour rupture brutale de relations commerciales établies relève de la matière contractuelle ou de la matière délictuelle ou quasi délictuelle.

( 48 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) (JO 2007, L 199, p. 40). L’article 10, paragraphe 1, du règlement no 864/2007, intitulé « Enrichissement sans cause », dispose que «[l]orsqu’une obligation non contractuelle découlant d’un enrichissement sans cause, y compris un paiement indu, se rattache à une relation existante entre les parties, telle qu’une obligation découlant d’un contrat ou d’un fait dommageable présentant un lien étroit avec cet enrichissement sans cause, la loi applicable est celle qui régit cette relation ». Voir, également, article 2 de ce règlement.

( 49 ) Voir considérant 7 du règlement no 864/2007.

( 50 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

( 51 ) Directive du Conseil du 15 mars 1993 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre (JO 1993, L 74, p. 74).

( 52 ) Arrêt du 27 septembre 1988, Kalfelis (189/87, EU:C:1988:459, point 20).

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