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Document 61990CJ0355

Arrêt de la Cour du 2 août 1993.
Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne.
Conservation des oiseaux sauvages - Zones de protection spéciale.
Affaire C-355/90.

European Court Reports 1993 I-04221

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1993:331

61990J0355

Arrêt de la Cour du 2 août 1993. - Commission des Communautés européennes contre Royaume d'Espagne. - Conservation des oiseaux sauvages - Zones de protection spéciale. - Affaire C-355/90.

Recueil de jurisprudence 1993 page I-04221


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

1. Environnement - Conservation des oiseaux sauvages - Directive 79/409 - Préservation, maintien et rétablissement des habitats - Obligations des États membres - Portée

(Directive du Conseil 79/409, art. 3 et 4)

2. Environnement - Conservation des oiseaux sauvages - Directive 79/409 - Mesures de conservation spéciale - Obligations des États membres - Dérogations - Nécessité d' un intérêt général primant les objectifs écologiques - Exclusion des exigences économiques et récréationnelles

(Directive du Conseil 79/409, art. 4)

3. Environnement - Conservation des oiseaux sauvages - Directive 79/409 - Délimitation et modification de zones de protection spéciale - Pouvoir d' appréciation des États membres - Limites

(Directive du Conseil 79/409, art. 4, § 1 et 4)

Sommaire


1. Les articles 3 et 4 de la directive 79/409, concernant la conservation des oiseaux sauvages, obligent les États membres à préserver, à maintenir et à rétablir les habitats desdits oiseaux en tant que tels, en raison de leur valeur écologique. Les obligations à la charge des États membres découlant de ces articles existent avant même qu' une diminution du nombre des oiseaux ait été constatée ou qu' un risque de disparition d' une espèce protégée se soit concrétisé.

2. Dans la mise en oeuvre de la directive 79/409, concernant la conservation des oiseaux sauvages, les États membres ne sont pas habilités à invoquer à leur gré des raisons de dérogation tirées de la prise en compte d' autres intérêts. S' agissant plus particulièrement de l' obligation de prendre des mesures de conservation spéciale pour certaines espèces, énoncée à l' article 4 de la directive, ces raisons, pour être admises, doivent correspondre à un intérêt général supérieur à celui auquel répond l' objectif écologique visé par la directive. En particulier, les intérêts mentionnés à l' article 2 de la directive, à savoir les exigences économiques et récréationnelles, ne sauraient entrer en ligne de compte, cette disposition ne constituant pas une dérogation autonome au régime de protection établi par la directive.

3. Pour choisir les territoires les plus appropriés à un classement en zones de protection spéciale, conformément à l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/409, concernant la conservation des oiseaux sauvages, les États membres jouissent d' une certaine marge d' appréciation, qui trouve sa limite dans le fait que le classement de ces zones obéit à certains critères ornithologiques, déterminés par la directive, tels que la présence d' oiseaux énumérés à l' annexe I de la directive, d' une part, et la qualification d' un habitat comme zone humide, d' autre part.

En revanche, les États membres ne sauraient disposer de la même marge d' appréciation dans le cadre de l' article 4, paragraphe 4, de la directive, lorsqu' ils modifient ou réduisent la superficie de telles zones.

Parties


Dans l' affaire C-355/90,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Ricardo Gosalbo Bono et Mme Blanca Rodríguez Galindo, membres du service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile auprès de M. Nicola Annecchino, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

contre

Royaume d' Espagne, représenté par MM. Carlos Bastarreche Saguees, directeur général de la coordination juridique et institutionnelle communautaire, et Antonio Hierro Hernández-Mora, abogado del Estado du service juridique chargé de représenter le gouvernement espagnol devant la Cour de justice, en qualité d' agents, puis par MM. Alberto José Navarro González, directeur général de la coordination juridique et institutionnelle communautaire, en qualité d' agent, et Antonio Hierro Hernández-Mora, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade du royaume d' Espagne, 4-6, boulevard E. Servais,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que, en ayant omis de prendre des mesures d' entretien et d' aménagement conformes aux impératifs écologiques des habitats et de rétablissement des biotopes détruits dans les Marismas de Santoña, situés dans la Communauté autonome de Cantabria, de les classer comme zone de protection spéciale et de prendre les mesures appropriées pour éviter la pollution ou la détérioration des habitats de cette zone, le royaume d' Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3 et 4 de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO L 103, p. 1),

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, M. Zuleeg et J. L. Murray, présidents de chambre, G. F. Mancini, F. A. Schockweiler, J. C. Moitinho de Almeida, F. Grévisse, M. Díez de Velasco et P. J. G. Kapteyn, juges,

avocat général: M. W. Van Gerven

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l' audience du 21 avril 1993,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 9 juin 1993,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 30 novembre 1990, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l' article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que, en ayant omis de prendre des mesures d' entretien et d' aménagement conformes aux impératifs écologiques des habitats et de rétablissement des biotopes détruits dans les Marismas de Santoña, situés dans la Communauté autonome de Cantabria, de les classer comme zone de protection spéciale et de prendre les mesures appropriées pour éviter la pollution ou la détérioration des habitats de cette zone, le royaume d' Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3 et 4 de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO L 103, p. 1, ci-après "directive").

2 L' article 3, paragraphe 1, de la directive prévoit que, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles, les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour préserver, maintenir ou rétablir une diversité et une superficie suffisantes d' habitats pour toutes les espèces d' oiseaux visées à son article 1er.

3 L' article 4, paragraphe 1, de la directive établit que les espèces mentionnées à l' annexe I font l' objet de mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d' assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution. Les États membres sont notamment tenus de classer en zones de protection spéciale les territoires les plus appropriés en nombre et en superficie à la conservation de ces espèces d' oiseaux.

4 L' article 4, paragraphe 2, de la directive dispose que les États membres prennent des mesures similaires à l' égard des espèces migratrices non visées à l' annexe I dont la venue est régulière, en ce qui concerne leurs aires de reproduction, de mue et d' hivernage ainsi que les zones de relais dans leur aire de migration. A cette fin, les États membres sont tenus d' attacher une importance particulière à la protection des zones humides et tout particulièrement de celles d' importance internationale.

5 Enfin, conformément à l' article 4, paragraphe 4, de la même directive, les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter dans les zones de protection visées aux paragraphes 1 et 2 du même article la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu' elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs de cet article.

6 La Commission estime que, par une série d' interventions dans les Marismas de Santoña, le royaume d' Espagne a négligé les obligations de protection résultant des articles 3 et 4 de la directive.

7 Le gouvernement espagnol rejette les allégations de la Commission tant du point de vue juridique que sur le plan des faits.

8 Pour un plus ample exposé des faits de l' affaire, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d' audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

I - Sur l' interprétation des articles 3 et 4 de la directive

9 En premier lieu, la Commission considère que le royaume d' Espagne se trouvait dans l' obligation de mettre en oeuvre les dispositions de la directive dès le 1er janvier 1986.

10 Le gouvernement espagnol soutient que, en raison de leur nature, les obligations énoncées aux articles 3 et 4 de la directive ne sauraient être mises en oeuvre que de manière progressive et non immédiate.

11 Cet argument doit être écarté. Il y a lieu de souligner tout d' abord que l' acte relatif aux conditions d' adhésion du royaume d' Espagne aux Communautés européennes ne comporte pas de disposition particulière relative à l' applicabilité de la directive dans cet État membre qui, en vertu de l' article 395 de cet acte, devait mettre en vigueur les mesures nécessaires pour s' y conformer dès l' adhésion. En outre, la directive elle-même ne contient aucune indication quant à un délai spécifique qui serait accordé aux autorités nationales pour mettre en oeuvre les obligations prévues par ses articles 3 et 4, qui devaient, comme l' ensemble des dispositions de la directive, faire l' objet des mesures nécessaires de transposition dans le délai de deux ans prévu à l' article 18 de la directive.

12 Il convient de relever par ailleurs que la Commission a accordé un délai considérable au gouvernement espagnol pour se conformer à ces obligations. Elle n' a en effet introduit le recours que plus de deux ans après la lettre de mise en demeure et presque cinq ans après l' adhésion du royaume d' Espagne aux Communautés.

13 En deuxième lieu, la Commission fait valoir que les obligations résultant des articles 3 et 4 de la directive impliquent que des mesures précises soient prises afin de conserver les habitats des oiseaux sauvages.

14 Le gouvernement espagnol estime au contraire que les dispositions susvisées n' imposent qu' une obligation de résultat qui consiste à garantir la conservation des oiseaux sauvages.

15 Il y a lieu de donner raison à la Commission sur ce point. Les articles 3 et 4 de la directive obligent les États membres à préserver, à maintenir et à rétablir les habitats en tant que tels, en raison de leur valeur écologique. Il résulte d' ailleurs du neuvième considérant de la directive que la préservation, le maintien ou le rétablissement d' une diversité et d' une superficie suffisantes d' habitats sont indispensables à la conservation de toutes les espèces d' oiseaux. Les obligations à la charge des États membres découlant des articles 3 et 4 de la directive existent dès lors dès avant qu' une diminution du nombre d' oiseaux ait été constatée ou qu' un risque de disparition d' une espèce protégée se soit concrétisé.

16 En troisième lieu, la Commission relève le caractère impératif des obligations imposées par l' article 4 de la directive.

17 De l' avis du gouvernement espagnol, les exigences écologiques posées par cette disposition doivent être subordonnées à d' autres intérêts, tels que ceux d' ordre social et économique, ou, à tout au moins, être mises en balance avec ces intérêts.

18 Cet argument ne saurait être accueilli. En effet, il ressort de l' arrêt de la Cour du 28 février 1991, Commission/Allemagne (C-57/89, Rec. p. I-883), que les États membres, dans la mise en oeuvre de la directive, ne sont pas habilités à invoquer à leur gré des raisons de dérogation tirées de la prise en compte d' autres intérêts.

19 S' agissant plus particulièrement de l' article 4 de la directive, la Cour a précisé dans l' arrêt susmentionné que ces raisons, pour être admises, devaient correspondre à un intérêt général supérieur à celui auquel répond l' objectif écologique visé par la directive. En particulier, les intérêts mentionnés à l' article 2 de la directive, à savoir les exigences économiques et récréationnelles, ne sauraient entrer en ligne de compte. A cet égard, la Cour a en effet jugé dans ses arrêts du 8 juillet 1987, Commission/Belgique et Commission/Italie (247/85, Rec. p. 3029 et 262/85, Rec. p. 3073) que cette disposition ne constituait pas une dérogation autonome au régime de protection établi par la directive.

20 En quatrième lieu, la Commission fait valoir qu' un État membre peut enfreindre à la fois l' article 4, paragraphes 1 et 2, relatif au classement d' un territoire comme zone de protection spéciale, et l' article 4, paragraphe 4, de la directive, qui concerne les mesures de protection relatives à une telle zone.

21 D' après le gouvernement espagnol, il n' est pas possible de reprocher de façon simultanée à un État membre la violation de ces deux dispositions puisque les mesures de protection ne sauraient être mises en oeuvre qu' après qu' ait été arrêtée la décision relative au classement d' un territoire comme zone de protection spéciale.

22 Cette argumentation doit être rejetée. Il convient de souligner que les objectifs de protection formulés par la directive, tels qu' ils se trouvent explicités dans son neuvième considérant, ne pourraient être atteints si les États membres devaient respecter les obligations qui découlent de l' article 4, paragraphe 4, de la directive dans les seuls cas où une zone de protection spéciale a été préalablement établie.

23 Enfin, s' agissant du rapport entre les articles 3 et 4 de la directive, il y a lieu de rappeler que la première de ces dispositions impose des obligations présentant un caractère général, à savoir l' obligation d' assurer une diversité et une superficie suffisantes d' habitats pour tous les oiseaux visés par la directive, tandis que la seconde contient des obligations spécifiques concernant les espèces d' oiseaux énumérées à l' annexe I et les espèces migratrices non visées à cette annexe. Étant donné qu' il est constant que ces deux catégories d' oiseaux se trouvent dans les Marismas de Santoña, il suffit d' examiner les griefs formulés par la Commission sous l' angle des dispositions de l' article 4 de la directive.

II - Sur l' obligation de classer les Marismas de Santoña comme zone de protection spéciale, conformément à l' article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive

24 La Commission souligne que les Marismas de Santoña constituent non seulement un habitat essentiel pour la survie de plusieurs espèces menacées de disparition, au sens de l' article 4, paragraphe 1, de la directive, mais aussi une zone humide d' importance internationale pour les espèces migratrices dont la venue est régulière dans cette zone, au sens du paragraphe 2 du même article.

25 Le gouvernement espagnol reconnaît la valeur écologique de cette zone. Il fait valoir que la loi n 6 du 27 mars 1992 a classé les Marismas de Santoña et de Noja parmi les réserves naturelles, en raison de l' importance que présentent ces zones humides en tant qu' habitats de nombreuses espèces animales. Toutefois, il est d' avis que les autorités nationales disposent d' une marge d' appréciation quant au choix et à la délimitation des zones de protection spéciale ainsi qu' en ce qui concerne le moment de leur classement.

26 Cette argumentation ne saurait être retenue. S' il est vrai que les États membres jouissent d' une certaine marge d' appréciation en ce qui concerne le choix des zones de protection spéciale, il n' en demeure pas moins que le classement de ces zones obéit à certains critères ornithologiques, déterminés par la directive, tels que la présence d' oiseaux énumérés à l' annexe I, d' une part, et la qualification d' un habitat comme zone humide, d' autre part.

27 A ce sujet, il est constant que les Marismas de Santoña constituent un des écosystèmes les plus importants de la péninsule ibérique pour de nombreux oiseaux aquatiques. En effet, les marais servent de lieu d' hibernation ou d' escale à de nombreux oiseaux au cours de leurs voyages migratoires des pays européens vers des latitudes méridionales d' Afrique et la péninsule ibérique elle-même. Parmi les oiseaux qui se trouvent dans cette zone figurent diverses espèces en voie d' extinction, notamment la spatule blanche, qui se nourrit et se repose dans les Marismas de Santoña au cours de sa migration. En outre, il résulte du dossier et des débats devant la Cour que la zone dont il s' agit accueille de façon régulière 19 espèces figurant à l' annexe I de la directive ainsi qu' au moins 14 espèces d' oiseaux migrateurs.

28 Quant au classement des Marismas de Santoña comme réserve naturelle, établi par la loi n 6 du 27 mars 1992, il ne saurait être considéré comme satisfaisant aux exigences posées par la directive, tant en ce qui concerne l' étendue territoriale de cette zone que pour ce qui est de son statut juridique de protection.

29 A cet égard, il y a lieu de constater tout d' abord que le territoire de la réserve naturelle ne couvre pas la totalité des marais, une superficie de 40 000 m2 en étant exclue. Ces terrains revêtent pourtant une importance particulière pour des oiseaux aquatiques menacés de disparition au sens de l' article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive, vu qu' une réduction progressive des espaces disponibles pour la nidification a été constatée dans les autres zones des marais proches de la côte.

30 Il convient de relever ensuite que, même pour les marais se situant dans la zone classée, les mesures de protection nécessaires n' ont pas été précisées. Ainsi, il ressort du dossier que le plan d' aménagement des réserves naturelles prévu à l' article 4 de la loi n' a pas été approuvé par les autorités compétentes. Ce plan revêt pourtant une importance primordiale pour la protection des oiseaux sauvages parce qu' il est destiné à identifier les activités qui impliquent une altération des écosystèmes de la zone.

31 Dès lors que des mesures aussi essentielles que celles qui déterminent l' aménagement de cette zone ou qui régissent l' utilisation des marais et les activités qui y sont exercées n' ont pas été arrêtées, les exigences de la directive ne sauraient être considérées comme satisfaites.

32 Il y a donc lieu de constater que le royaume d' Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des paragraphes 1 et 2 de l' article 4 de la directive, en ayant omis de classer les Marismas de Santoña comme zone de protection spéciale.

III - Sur l' obligation de protéger les Marismas de Santoña, conformément à l' article 4, paragraphe 4, de la directive

A - Sur le deuxième tracé partiel de la route entre Argoños et Santoña

33 La Commission soutient que le nouveau tracé de la route C-629 entre Argoños et Santoña implique non seulement une réduction non négligeable de la superficie des Marismas de Santoña mais aussi des perturbations affectant la tranquillité de cette zone et, par conséquent, les oiseaux sauvages protégés par les dispositions de la directive.

34 Le gouvernement espagnol expose que la nouvelle route est nécessaire pour améliorer l' accès routier à la ville de Santoña. En outre, le nouveau tracé constitue la meilleure solution entre différentes possibilités, surtout en raison de la proportion peu importante de la superficie totale des Marismas affectée par cette route.

35 Ces explications ne sauraient être admises. Comme la Cour l' a souligné dans son arrêt Commission/Allemagne, précité, s' il est vrai que les États membres jouissent d' une certaine marge d' appréciation lorsqu' ils doivent choisir les territoires les plus appropriés pour un classement en zones de protection spéciale, ils ne sauraient, par contre, disposer de la même marge d' appréciation, dans le cadre de l' article 4, paragraphe 4, de la directive lorsqu' ils modifient ou réduisent la superficie de telles zones.

36 A ce sujet, il y a lieu de constater que la construction du nouveau tracé de la route C-629 entre Argoños et Santoña implique une réduction de la superficie de la zone marécageuse qui est d' ailleurs aggravée par la mise en place de plusieurs édifices nouveaux près du nouveau tracé de la route. Ces opérations ont entraîné la disparition de zones de refuge, de repos et de nidification des oiseaux. Outre les perturbations occasionnées par les travaux routiers, l' intervention en question a pour effet d' altérer les flux de la marée et, partant, de provoquer l' ensablement de cette partie de la zone marécageuse.

37 Étant donné que, conformément aux considérations de principe formulées ci-dessus, une telle intervention ne saurait se justifier par la nécessité d' améliorer les voies d' accès à la commune de Santoña, le grief doit être retenu.

B - Les zones d' activité industrielle à Laredo et Colindres

38 La Commission estime que la création des zones industrielles de Laredo et Colindres conduit à la disparition d' une partie importante de la zone marécageuse, à savoir la zone à côté de l' embouchure du Río Asón, dénommée aussi Ría del Asón o de Treto. Le remblayage des terrains situés en bordure de ces sites affecterait également le flux des marées dans la baie.

39 Le gouvernement espagnol expose que les autorités compétentes ont abandonné la réalisation de ces zones industrielles telles qu' elles avaient été initialement projetées.

40 La Cour prend acte des déclarations écrite et orale du gouvernement espagnol selon lesquelles la création des zones industrielles de Laredo et Colindres n' a pas été réalisée et que les municipalités concernées ont renoncé à l' exécution de ces deux projets dans leur conception initiale.

41 S' il est vrai que l' exécution de ces projets n' est plus envisagée, il n' en demeure pas moins que, après l' adhésion du royaume d' Espagne aux Communautés, les autorités locales ont encore colmaté les digues précédemment érigées autour des terrains prévus pour les installations industrielles. Il est également constant que, jusqu' à présent, aucune mesure n' a été prise pour démolir ces digues, bien que ces mêmes autorités aient reconnu leur impact néfaste sur le milieu aquatique et qu' elles se soient engagées à les démolir. Dans ces conditions, il convient de constater le manquement sur ce point.

C - Sur les structures d' aquaculture

42 La Commission critique l' octroi par l' administration espagnole d' une autorisation à une association de pêcheurs pour élever des clovisses dans la partie centrale des marais, de même que les projets relatifs à d' autres opérations d' aquaculture dans l' estuaire.

43 Le gouvernement espagnol souligne l' intérêt économique que présente cette activité et sa faible incidence sur la situation écologique des marais.

44 A cet égard, il y a lieu de souligner que la mise en place de structures d' aquaculture qui, non seulement entraînent une diminution de la surface de la zone marécageuse et des variations dans les processus naturels de sédimentation dans les sites marécageux, mais aussi modifient la structure du sol existant, a pour effet de détruire la végétation particulière de ces sites, laquelle constitue une source importante d' alimentation pour les oiseaux.

45 Comme il a déjà été relevé ci-dessus, les considérations relatives aux problèmes économiques engendrés par le déclin des secteurs industriel et piscicole de la région, qui, par ailleurs, ont été contredites par l' abandon d' autres projets, en raison d' un manque de rentabilité, ne sauraient justifier une dérogation aux exigences de protection établies par l' article 4, paragraphe 4, de la directive.

46 Comme la superficie touchée par l' activité dont il s' agit n' est nullement négligeable et que cette activité a provoqué une détérioration significative de l' habitat et de la qualité des conditions de vie des oiseaux au centre des Marismas de Santoña, le grief doit être déclaré fondé.

D - Sur le dépôt de déchets solides

47 La Commission fait valoir que le dépôt de déchets solides affecte les courants qui résultent de l' interaction des marées et de l' apport fluvial et, partant, entraîne un changement significatif des paramètres physiques et chimiques des marais.

48 Le gouvernement espagnol explique que le problème soulevé est résolu depuis 1988. Des mesures auraient en effet été prises dans le cadre du plan de gestion des résidus solides urbains des communes de la baie de Santoña. Seuls quelques dépôts illégaux auraient eu lieu jusqu' en 1990.

49 Il ressort des débats devant la Cour que le dépôt autorisé de déchets a cessé en 1988, c' est-à-dire avant l' avis motivé de la Commission. Dès lors, le grief doit être rejeté comme irrecevable.

E - Sur le déversement des eaux résiduaires

50 La Commission souligne que le déversement d' eaux non épurées a produit des effets préjudiciables sur la qualité des eaux de la baie de Santoña.

51 Le gouvernement espagnol ne nie pas que des eaux résiduaires des communes de la baie de Santoña ont été déversées dans les Marismas de Santoña sans être épurées. Toutefois, à son avis, aucune disposition de la directive n' oblige les États membres à se pourvoir d' installations d' épuration afin de préserver la qualité des eaux dans une zone de protection spéciale.

52 Cette argumentation doit être écartée. Les déversements des eaux résiduaires, contenant des substances toxiques et dangereuses, causent un dommage considérable aux conditions écologiques des Marismas de Santoña et produisent une altération significative de la qualité des eaux de cette zone.

53 En raison de l' importance fondamentale que revêt la qualité de ces eaux pour les zones marécageuses, le royaume d' Espagne est obligé, le cas échéant, de prévoir des systèmes d' épuration afin d' empêcher la pollution de ces habitats. Par conséquent, le manquement sur ce point est établi.

F - Sur les travaux de remblayage à Escalante et les activités de la carrière de Montehano

54 La Commission soutient que les opérations de remblayage effectués par la municipalité d' Escalante sur des terrains marécageux ainsi que l' exploitation de la carrière et le dépôt de matériaux non utilisés dans les marais ont entraîné une réduction de la superficie de la zone protégée.

55 Le gouvernement espagnol observe que ces critiques se rapportent à des faits antérieurs à l' adhésion de l' Espagne à la Communauté. Le déversement de ces matériaux dans les marais aurait été interdit en 1986 et serait donc devenu illégal.

56 Il convient de constater que ni l' époque ni l' étendue des opérations litigieuses à l' extrémité de la zone marécageuse n' ont été clarifiées lors des débats devant la Cour. Ainsi, il n' est pas possible de déterminer si et dans quelle mesure des travaux de remblayage et le dépôt de matériaux provenant de la carrière en cause dans la zone marécageuse ont été effectués depuis 1986. En revanche, il est constant, d' une part, que les travaux effectués par la municipalité d' Escalante ont été achevés en 1986 et qu' aucune autorisation n' a été accordée pour d' autres travaux et, d' autre part, que l' activité de la carrière de Montehano est contrôlée et que le dépôt de matières sèches dans les marais a été définitivement interdit. Ce grief doit donc être rejeté.

G - Sur l' ensemble des griefs sous III

57 Il résulte de tout ce qui précède que, par les interventions susmentionnées, sauf celles décrites dans les griefs sous III - D et F, le royaume d' Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 4, paragraphe 4, de la directive, en ayant omis de prendre les mesures appropriées pour éviter la pollution ou la détérioration des habitats des Marismas de Santoña.

58 Il convient donc de constater que le royaume d' Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité, en ayant omis de classer les Marismas de Santoña en zone de protection spéciale et de prendre les mesures appropriées pour éviter la pollution ou la détérioration des habitats de cette zone, contrairement aux dispositions énoncées à l' article 4 de la directive.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

59 Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le royaume d' Espagne ayant succombé en l' essentiel de ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1) Le royaume d' Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CEE, en ayant omis de classer les Marismas de Santoña comme zone de protection spéciale et de prendre les mesures appropriées pour éviter la pollution ou la détérioration des habitats de cette zone, contrairement aux dispositions énoncées à l' article 4 de la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages.

2) Le royaume d' Espagne est condamné aux dépens.

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