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Document 61978CC0149
Opinion of Mr Advocate General Capotorti delivered on 21 June 1979. # Metallurgica Luciano Rumi SpA v Commission of the European Communities. # ECSC sales under list price. # Case 149/78.
Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 21 juin 1979.
Metallurgica Luciano Rumi SpA contre Commission des Communautés européennes.
Ventes CECA sous barème.
Affaire 149/78.
Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 21 juin 1979.
Metallurgica Luciano Rumi SpA contre Commission des Communautés européennes.
Ventes CECA sous barème.
Affaire 149/78.
Recueil de jurisprudence 1979 -02523
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1979:159
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. FRANCESCO CAPOTORTI,
PRÉSENTÉES LE 21 JUIN 1979 ( 1 )
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. |
Dans cette affaire, la compétence de la Cour est régie par l'article 36 du traité CECA. En conséquence, la Cour est investie de la pleine juridiction: elle est appelée, d'une part, à juger de la régularité d'une décision de la Commission qui, le 30 mai 1978, a infligé une amende au titre de l'article 64 du traité CECA à la société «Metallurgica Luciano Rumi SpA», à Bergame, mais, d'autre part, également à apprécier le caractère proportionné de l'amende dont le montant est de 65135 UC. La décision de la Commission a été adoptée parce que l'entreprise Rumi aurait violé tant la disposition de l'article 60, paragraphe 2, du traité CECA, relative à la publicité des barèmes des prix et des conditions de vente appliqués par les entreprises sidérurgiques sur le marché commun, que les décisions générales d'application de cette disposition (en particulier, les décisions 30/53 et 31/53 de la Haute Autorité du 2. 5. 1953, relatives respectivement aux pratiques interdites par le paragraphe 1 de l'article 60 précité, et aux conditions de publicité des barèmes des prix et conditions de vente appliqués dans les entreprises des industries de l'acier, modifiées en dernier lieu par les décisions de la Commission 72/440 et 72/441/CECA du 30. 12. 1972). L'infraction spécifiquement reprochée à la société Rumi consisterait dans le fait pour celle-ci d'avoir conclu le 28 avril 1977 avec l'entreprise française Descours & Cabaud de Lyon un contrat de fournitures d'une grande quantité de ronds à béton, à des prix fermes inférieurs aux prix du barème de cette même entreprise en vigueur à cette époque, ainsi que la Commission l'a constaté au cours d'une inspection de la société en question, effectuée en juin 1977. Le montant des sous-cotations qui ressortent d'une série de factures concernant la commande G 20 RM du client précité, en date du 28 avril 1977, a été chiffré par la Commission à 458998933 lires, tandis que la valeur totale des ventes irrégulières s'élève à 1678688435 lires. Dans sa décision du 30 mai 1978, la Commission a déclaré avoir fixé le montant de l'amende en tenant compte de la nature des infractions, du montant des sous-cotations, des circonstances dans lesquelles les infractions ont été commises ainsi que des facultés contributives de l'entreprise. Dans son recours, présenté le 22 juin 1978, la société Rumi demande l'annulation ou, à tout le moins, la réformation de la décision attaquée (dans le sens d'une réduction du montant de l'amende) et la condamnation de la Commission aux dépens. A l'appui de ces conclusions elle fait valoir les moyens de violation des formes substantielles pour défaut de motivation de la décision, de méconnaissance patente du traité et en particulier de l'article 60, paragraphe 2, lettres a et b, de non-admission d'une circonstance exclusive de responsabilité constitutive de force majeure et de détournement de pouvoir. Nous notons cependant que le grief relatif au défaut de motivation est étroitement lié à certains arguments que la requérante utilise en ce qui concerne l'un des griefs qui entrent dans le cadre du vice de méconnaissance patente du traité. Il conviendra donc d'examiner le grief de caractère formel après avoir exposé ces arguments. |
2. |
La requérante souligne que, compte tenu du texte de l'article 60 du traité, de la logique de cette disposition et des objectifs poursuivis par la publication des barèmes, qui ont été clarifiés par la jurisprudence de la Cour, la disposition qui interdit des augmentations ou des réductions par rapport aux prix du barème vise exclusivement les opérations comparables. Or, selon la requérante, les ronds à béton à haute adhérence Fe E 45, fabriqués par celle-ci pour le marché français, constitueraient un produit différent de tout autre type de rond fabriqué pour les autres marchés de la Communauté, de sorte qu'ils ne pourraient pas trouver de débouchés sur d'autres marchés. En outre, l'entreprise Rumi soutient qu'elle n'a, en France, que ce seul client dont provient la commande du 28 avril 1977. De ces deux circonstances résulterait l'impossibilité de transactions comparables pour les ronds en question. A cet égard, la requérante rappelle que la décision 31/53 précitée de la Commission, dans son texte modifié par la décision 72/440, a défini comme comparables au sens de l'article 60, paragraphe 1, du traité «les transactions conclues avec des acheteurs qui se trouvent en concurrence entre eux»; en l'espèce, au contraire, la nature spéciale du produit aurait exclu toute situation de concurrence entre acheteurs. En conséquence, la requérante conclut, en ce qui concerne la commande G 20 RM du 28 avril 1977 (comme en ce qui concerne la commande suivante G 21 RM du 2 mai 1977), qu'il n'y aurait pas eu violation de l'obligation de la publication des prix énoncée par l'article 60, paragraphe 2, du traité CECA, pour la simple raison que cette obligation n'aurait pas existé pour le produit en cause. L'argumentation résumée vise principalement à démontrer que la décision attaquée viole le traité. Mais elle devrait également valoir à l'appui du moyen du recours relatif aux aspects formels de l'acte attaqué, moyen qui se limite au reproche fait à la Commission de n'avoir rien dit, dans la motivation de sa décision, des faits exposés ci-dessus et de leur importance juridique. La jurisprudence de la Cour de justice a déjà établi que la Commission, pour motiver ses actes de façon appropriée, n'est pas tenue de prendre en considération tous les arguments et les faits allégués par les intéressés. Il suffit qu'elle expose clairement les éléments essentiels, tant en fait qu'en droit, retenus comme fondement de sa décision, de manière à faire apparaître le raisonnement logique qui a abouti à celle-ci. En l'espèce, il ne semble pas que les éléments précités de fait et de droit invoqués par la requérante revêtent de l'importance aux fins de la compréhension du raisonnement sur la base duquel la Commission a adopté la décision attaquée. La circonstance que ce raisonnement soit éventuellement erroné, en droit ou en fait, peut donner lieu à un vice de fond et non pas de pur forme; c'est d'autant plus clair dans le cas présent dans lequel, comme nous l'avons vu, le moyen de caractère formel n'a pas une autonomie réelle par rapport au grief de la méconnaissance patente du traité. C'est donc ce grief qui doit être examiné: il ne semble pas qu'il y ait lieu de parler d'un vice de motivation. |
3. |
Pour vérifier le bien-fondé de la thèse de la requérante selon laquelle la publication du prix ne serait pas obligatoire lorsqu'il s'agit d'un produit spécial, il convient d'établir d'abord la fonction de cette publication. L'article 60, paragraphe 2, du traité CECA prescrit que les barèmes des prix et conditions de vente appliqués par les entreprises sidérurgiques doivent être rendus publics, dans la mesure et dans les formes prescrites par la Haute Autorité, aux fins d'assurer le respect de l'interdiction des pratiques contraires aux articles 2, 3 et 4 du traité (particulièrement les pratiques déloyales de concurrence et les pratiques discriminatoires) énoncée au paragraphe 1 de ce même article 60. La publication sert donc essentiellement à éviter que les entreprises traitent d'une manière discriminatoire leurs clients: elle doit assurer «aux utilisateurs les moyens de connaître la qualité et de calculer exactement le coût des produits dont ils se portent acheteurs, aussi bien que de comparer les offres en provenance de différents fournisseurs», comme l'ont souligné les considérants de la décision 31/53 de la Haute Autorité, adoptée en application de l'article 60, paragraphe 2, précité. L'existence actuelle d'un unique client n'exclut pas la possibilité d'un élargissement ultérieur de la clientèle. On ne saurait donc objecter, comme le fait la requérante, que les ronds destinés à la France étaient vendus par elle à une seule entreprise (affirmation au demeurant contestée par la Commission). De plus, le passage cité de la décision 31/53 permet de comprendre que la publication des barèmes sert également à satisfaire une exigence fondamentale de transparence du marché; et il y a d'autant plus de transparence du marché que le barème de chaque entreprise comprend toute la gamme des produits couramment fabriqués par celle-ci. Ce n'est que de cette façon que les acheteurs actuels et potentiels de ronds identiques ou comparables à ceux vendus par la société Rumi à son client français pouvaient «comparer les offres en provenance de différents fournisseurs», conformément à la décision 31/53 précitée de la Haute Autorité. La requérante était donc tenue d'insérer dans son barème des prix le produit en cause. Cette conclusion ne change pas non plus si l'on considère que le caractère comparable des transactions commerciales conditionne l'obligation de publication des barèmes. Sur ce point il y a lieu d'observer que le domaine des transactions non comparables est limité aux contrats de vente fondamentalement différents de ceux conclus d'habitude par le même fournisseur. On ne pourra donc parler de transactions non comparables (par rapport à celles qui doivent être effectuées conformément au barème) que lorsqu'il s'agit de contrats anormaux qui sont conclus par l'entreprise à titre tout à fait exceptionnel: c'est dans ce sens que s'exprime la décision 1/54 de la Haute Autorité JO 1954, p. 217). Ce n'est certainement pas le cas des contrats considérés en l'espèce, qui ont été conclus par la requérante avec son client français, contrats qui, loin de représenter une exception dans l'activité de vente de l'entreprise au regard des caractéristiques particulières du produit vendu, constituent au contraire la situation normale, à tout le moins dans les rapports, de caractère constant, que l'entreprise Rumi a avec le marché français. En réalité, les différences que le rond produit par la requérante pour son client français peut présenter sont dues uniquement à la diversité des normes techniques nationales et ne paraissent pas susceptibles d'avoir une incidence sur les caractéristiques essentielles du produit qui, où qu'il soit vendu, doit remplir les mêmes fonctions. La Commission a affirmé que, en ce qui concerne ses fonctions essentielles et, en particulier, le degré d'élasticité et de résistance à la traction, le rond vendu en France par l'entreprise Rumi est tout à fait comparable au type de rond vendu par la même entreprise en Italie. La requérante n'a pas contesté cette affirmation; elle a pourtant affirmé que le produit vendu en France se distinguait, outre par sa marque, également par des caractéristiques géométriques précises. Il faut sans aucun doute exclure l'idée que la marque d'un produit a la vertu de le rendre non comparable à d'autres produits qui présentent les mêmes propriétés techniques essentielles et sont propres à remplir la même fonction. Il serait autrement trop facile de se soustraire aux obligations imposées par l'article 60 du traité CECA. De plus, les caractéristiques géométriques ne pourraient revêtir de l'importance que si elles étaient de nature à affecter les propriétés fonctionnelles du produit; et il n'apparaît pas que ce soit le cas en l'espèce. En conséquence, nous pensons qu'il est justifié de nier que les ventes en France du rond Fe E 45 fabriqué par l'entreprise Rumi constituent des opérations exceptionnelles susceptibles d'être dispensées de l'obligation de respecter le prix du barème dûment publié par l'entreprise. Le caractère non fondé de l'affirmation de la requérante selon laquelle elle n'aurait eu aucune obligation de publier les barèmes des prix pratiqués pour le produit en question, apparaît comme confirmé. |
4. |
Dans le cadre du moyen de la méconnaissance patente de l'article 60, paragraphe 2, du traité CECA, la requérante fait valoir un deuxième argument: son barème aurait été largement dépassé par la situation exceptionnelle du marché, de sorte que l'on ne devrait pas lui reprocher une vente à un prix différent du barème mais tout au plus une violation de l'obligation de publier un nouveau barème. Cette violation ne serait cependant pas répréhensible dans la mesure où elle a été causée par des raisons de force majeure: en effet, la situation de crise du secteur n'aurait pas permis, à l'époque des contrats en cause, de maintenir un prix au-delà de deux jours, de sorte que les négociations des contrats ouvertes sur la base d'un prix déterminé s'achevaient en stipulant un prix différent à la suite des variations du marché intervenues entre-temps. Cet argument que l'entreprise Rumi avait déjà avancé au cours de la procédure administrative a été rejeté par la Commission dans la motivation de la décision attaquée, motivation qui relève entre autres que, selon l'article 4 de la décision 31/53, le barème des prix et les conditions de vente sont applicables à l'expiration du deuxième jour ouvrable après leur envoi à la Commission, et que cette règle s'applique également aux modifications des barèmes. L'entreprise Rumi aurait donc eu le devoir et la possibilité de publier un nouveau barème répondant à la situation du marché. Cela aurait eu pour seul inconvénient de suspendre pendant deux jours la signature du contrat. La modification du barème ne peut certainement pas être présumée en la déduisant des prix pratiqués dans les différentes opérations de vente. Le barème ne peut remplir sa fonction de rendre transparente la situation du marché sur le plan de l'offre que s'il reçoit une formulation explicite et s'il est rendu public. Cela explique l'obligation de notifier à la Commission les barèmes des prix et toutes leurs modifications. Ainsi que la Cour l'a affirmé dans l'arrêt rendu le 17 décembre 1959 dans l'affaire 1/59, Macchiorlatti Dalmas, «constitue une infraction aux règles de publicité, tout écart par rapport aux prix du barème même si cet écart est appliqué dans une mesure égale à toutes les transactions comparables et ne constitue pas de ce fait une infraction aux règles de non-discrimination» (Recueil 1958-1959, p. 417). La requérante se réfère cependant à la force majeure comme à un principe fondamental de tout ordre juridique qui, dans une situation exceptionnelle, dispense les sujets de l'observation des règles applicables dans une situation normale. La décision de la Commission ne serait pas valide pour n'avoir pas tenu compte de ce principe et, en particulier, pour avoir ignoré l'impossibilité concrète de suivre jour par jour, dans une situation de crise grave, les fluctuations du marché et de les refléter dans des barèmes de prix destinés à la publication. Selon la requérante, lorsque le marché ne connaît pas un minimum de stabilité, il n'est pas raisonnable de prétendre publier des modifications continuelles des barèmes de prix. A notre avis, il y a lieu de distinguer la référence à la prétendue force majeure, qui excuserait l'entreprise de ne pas avoir respecté l'obligation de notification, de l'autre argument qui semble impliquer moins l'impossibilité objective que, plutôt, l'utilité réduite ou nulle de remplir cette obligation dans une situation caractérisée par des variations continuelles et rapides des prix. En ce qui concerne le premier point, il nous semble superflu de revenir sur la question délicate de l'existence et du contenu éventuel d'un principe général du droit communautaire relatif à la force majeure; question que nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer dans nos conclusions dans l'affaire 68/77, IFG contre Commission (Recueil 1978, p. 371 et suiv., spécialement p. 380). Aux fins de la présente affaire il peut suffire de souligner que la requérante, loin d'avoir démontré l'impossibilité de notifier à la Commission la modification de son barème comme elle aurait dû le faire, à tout le moins deux jours avant la conclusion du contrat en cause, a admis qu'elle aurait pu remplir cette obligation en suspendant pendant deux jours la conclusion du contrat précité, si elle s'était rendu compte que cela était nécessaire pour ne pas enfreindre le droit communautaire. En ce qui concerne le deuxième point, il faut reconnaître que dans une situation perturbée, de nature à imposer des changements répétés des prix, la communication à la Commission de toute modification des barèmes ne pourra pas remplir sa fonction d'assurer la transparence du marché avec la même efficacité que dans une période de stabilité relative. Cette considération, cependant, ne peut servir qu'à faire apparaître comme moins grave le préjudice qui découle pour le marché du comportement de l'entreprise Rumi, alors qu'elle ne permet pas de justifier le défaut de notification, étant donné que l'obligation d'informer la Commission de toute modification du barème est clairement imposée par le traité et par les décisions d'application. La prétendue bonne foi de l'entreprise ne peut pas non plus suffire à la dispenser de cette obligation, à supposer même que, comme la requérante le soutient, la Commission ait réellement adopté une attitude de tolérance et que cela ait suscité l'attente d'une attitude identique en l'espèce. Des éléments de ce genre ne peuvent revêtir de l'importance qu'aux fins de la détermination du montant de l'amende. |
5. |
Quelques mots sur le grief de l'excès de pouvoir. Ce grief a été formulé — et n'a pas été développé ensuite — par la requérante sur la base de l'idée que le contrat en cause a précédé de peu la décision de la Commission 962/77/CECA du 4 mai 1977 relative à la fixation des prix minimaux pour certains fers à béton, et a prévu des prix inférieurs à ces prix minimaux. La Commission aurait donc décidé d'étendre les critères édictés par la décision précitée également à une transaction commerciale antérieure, en exerçant ainsi abusivement ses pouvoirs dans la mesure où elle aurait sanctionné un comportement légitime. En vérité, rien ne démontre le bien-fondé de l'hypothèse avancée par la requérante: la Commission n'a fait aucune référence à la décision 962/77, ni pendant la procédure administrative ni au cours du procès, et l'amende a été infligée pour la violation de l'article 60 du traité dont nous sommes en train de discuter. La légalité de la décision individuelle du 30 mai 1978 prise à l'égard de l'entreprise Rumi doit donc être appréciée en vérifiant si l'article 60 a été correctement interprété et appliqué; il n'y a aucune trace du prétendu excès de pouvoir. |
6. |
A titre subsidiaire, la requérante invoque un troisième argument dans le cadre de son grief fondé sur la violation de l'article 60. La décision attaquée aurait méconnu la possibilité de réduire le prix de vente pour permettre aux entreprises de s'aligner sur les prix des concurrents, faculté qui est accordée dans certaines limites par la disposition du paragraphe 2, lettre b, de cet article. En effet, si cette disposition admet l'octroi de rabais par rapport au barème publié, à condition que ces rabais n'excèdent pas «la mesure permettant d'aligner l'offre faite sur le barème, établi sur la base d'un autre point, qui procure à l'acheteur les conditions les plus avantageuses au lieu de livraison». Au cours de la procédure administrative devant la Commission, l'entreprise Rumi avait affirmé que les prix pratiqués par elle dans les transactions auxquelles se référait la communication de contestation des objections, s'alignaient sur les prix pratiqués pour des transactions comparables effectuées par d'autres producteurs de la Communauté et en particulier par les entreprises Feralpi et Iro. Dans son télex du 17 avril 1978 adressé à la Commission, la requérante précisait avoir procédé à ces alignements en utilisant une «communication qui nous a été faite par nos concurrents de leurs prix de base de barème, communication confirmée ultérieurement par votre publication “Fonte et acier”». La requérante poursuivait en affirmant avoir appliqué un prix de base supérieur au prix de base du concurrent, «réalisant un alignement partiel licite du point de vue de la théorie Zimmermann, Preisdiskriminierung, p. 310. En ce qui concerne le prix finalement convenu, il était supérieur au prix à la livraison du concurrent sur lequel nous nous alignions. Par exemple: pour nos ventes litigieuses en France notre prix de base respectivement de 162917 lires et 153965 lires, selon la zone considérée, est supérieur au prix de base du barème Feralpi, à savoir 152500 lires, et par conséquent, le prix final est également supérieur.». Antérieurement, au cours de l'audience qui s'est déroulée le 12 avril 1978 à la Commission, le fonctionnaire qui la présidait avait entre autres affirmé que «l'intention d'alignement doit être manifeste au moment de la conclusion d'un contrat». Conformément à ce point de vue, la décision attaquée s'est ensuite limitée à affirmer que, l'entreprise Rumi n'ayant pas mentionnée par écrit au moment même de la conclusion des contrats dont il s'agit, sa volonté de procéder au prétendu alignement, il manquait un élément essentiel pour l'admissibilité de ce dernier. Cela aurait rendu superflu l'examen de la question sur le fond. Dans la motivation de sa décision, la Commission a également observé qu'au moment du contrôle, l'entreprise Rumi n'avait pas fait allusion au prétendu alignement. Celui-ci aurait donc été invoqué a posteriori pour justifier un comportement fondé en réalité sur d'autres considérations. Il nous semble cependant que dans l'hypothèse où les prix fixés et pratiqués dans l'entreprise Rumi apparaîtraient comme objectivement justifiables à la lumière du critère de l'alignement de l'article 60 et du niveau des prix de ses concurrents, le seul fait de ne pas avoir manifesté expressément la volonté d'alignement au moment de la conclusion des contrats et ne pas l'avoir mentionné au moment de l'inspection, ne suffirait pas à priver de toute valeur cette justification du prix convenu. En vérité, la possibilité d'alignement autorisée par l'article 60, paragraphe 2, lettre b, précité, a pour but de permettre à chaque entreprise de faire face à la concurrence d'autres entreprises dans les rapports avec les différents clients. Comme la Haute Autorité l'a relevé dans son rapport de 1953 sur l'institution du marché commun de l'acier, grâce au critère de l'alignement, la concurrence peut concrètement s'étendre à tout le Marché commun, puisque toute entreprise est mise en mesure de vendre dans la zone d'une autre en tenant compte de la base tarifaire différente adoptée par le concurrent. En conséquence, la possibilité en question ne vise pas simplement à protéger l'intérêt des particuliers mais elle remplit une fonction d'intérêt général. Et, bien qu'elle constitue une limite à l'interdiction de s'écarter des prix du barème, on ne saurait parler d'une disposition de caractère exceptionnel qui exige une interprétation restrictive. |
7. |
Cela dit, examinons le fondement de la thèse de la Commission selon laquelle l'alignement devrait résulter d'une manifestation expresse de volonté au moment de la conclusion du contrat. Aucune disposition en vigueur ne prévoit d'une manière claire et sans équivoque une telle obligation ni l'obligation de faire mention de l'alignement effectué dans les documents commerciaux et comptables. La défenderesse se réfère à l'article 1 de la décision 14/64 de la Haute Autorité qui prévoit l'obligation des entreprises de mettre à la disposition des agents de la Haute Autorité, à l'occasion des contrôles ou vérifications en matière de prix, une documentation comptable et commerciale comprenant au minimum «prix et toutes autres conditions de vente pratiqués». La Commission en déduit que le mode de formation du prix, spécialement si celui-ci est fondé sur le critère de l'alignement, doit résulter des documents. Cela correspondrait également aux exigences énoncées par la Cour de justice dans l'arrêt rendu le 12 juillet 1962 dans l'affaire 16/61, Acciaierie, Ferriere e Fonderie di Modena (Recueil 1962, p. 531), arrêt selon lequel l'alignement doit être effectué sur la base d'éléments «connus et contrôlables». La Commission observe que ces exigences seraient complètement vidées de leur sens si les entreprises pouvaient ne pas respecter les prix publiés et ensuite se justifier, dans un deuxième temps, en alléguant leur volonté d'alignement. Il nous semble cependant qu'il y a lieu d'exclure que la nécessité de faire expressément mention de l'alignement dans le contrat de vente puisse se déduire de l'obligation précitée de mentionner le prix (qui résulte naturellement de la commande concernant le cas d'espèce, mais sans éclaircissements quant à la méthode de détermination appliquée) et moins encore de l'obligation de mentionner les autres conditions de vente (autres, c'est-à-dire différentes du prix). A notre avis, l'existence d'une obligation de caractère formel, dont l'inobservation entraîne des sanctions pécuniaires, ne peut être déduite que d'une disposition claire, qui fait au contraire défaut. En l'absence d'une disposition de ce genre, il ne suffit pas d'invoquer, comme le fait la défenderesse, la circulaire de la Haute Autorité du 20 décembre 1962. Outre le fait qu'il s'agissait d'un acte non contraignant qui avait essentiellement pour but d'informer les entreprises de l'arrêt précité rendu par la Cour de justice le 12 juillet 1962 dans l'affaire 16/61, cette circulaire reconnaissait implicitement l'inexistence d'une obligation formelle aussi rigoureuse que celle qui est aujourd'hui invoquée par la défenderesse. La Haute Autorité se bornait en effet à «recommander vivement» aux entreprises, pour les ventes effectuées avec alignement, de mentionner sur les confirmations de vente le barème sur lequel l'alignement avait été effectué pour éviter le risque de s'exposer à des contestations et, le cas échéant, à des amendes. A l'époque de la circulaire précitée, l'exécutif communautaire ne semblait pas exclure la possibilité pour les entreprises de fournir des éléments propres à démontrer que, même en l'absence d'une mention expresse de l'alignement faite au moment de la conclusion du contrat, le rabais pratiqué par rapport aux prix du barème avait été effectué au titre de l'alignement. La défenderesse rappelle, à l'appui de son point de vue, l'arrêt déjà cité rendu le 12 juillet 1962 dans l'affaire 16/61. Selon cet arrêt, le droit à l'alignement «constitue une exception au principe des prix de barème, mais ne doit pas le dépouiller de tout effet en excluant la publicité par des alignements opérés à posteriori». Il résulte toutefois du contexte de l'arrêt que la Cour visait uniquement l'hypothèse dans laquelle l'alignement est invoqué pour justifier des rabais accordés lors de l'exécution du contrat par rapport au prix indiqué sur les factures et dans la comptabilité de l'entreprise. En l'espèce, au contraire, aucun artifice comptable n'a été reproché à l'entreprise Rumi. Les rabais consentis par la requérante sur ses prix de barème ont été clairement indiqués sur les factures et dans d'autres documents comptables et ont certainement été indiqués lors de la conclusion des contrats de vente. Cela distingue nettement le cas présent de celui auquel se réfère l'arrêt cité. Le seul critère résultant de ce précédent et qui doit être considéré comme applicable également à notre cas, est l'exigence que la fixation du prix par la méthode de l'alignement se fasse véritablement au moment de la conclusion du contrat et que le prix reste donc ferme au moment de l'exécution. En effet, il est clair que lorsque la Cour parle d'alignement effectué «a posteriori», elle vise l'hypothèse dans laquelle le prix effectivement pratiqué est inférieur à celui qui est mentionné dans le contrat et ressort des livres comptables de l'entreprise. Dans ce contexte, la référence aux éléments connus et contrôlables, sur la base desquels on peut établir le caractère correct de l'alignement, signifie simplement que le prix effectivement pratiqué doit coïncider avec celui qui résulte de la facture et des documents comptables, et que seuls les barèmes officiels et, partant, objectivement contrôlables des entreprises concurrentes sur lesquelles l'alignement est effectué, peuvent être pris en considération. Nous n'entendons certainement pas contester qu'il soit utile, pour faciliter les contrôles de la Commission, de faire figurer dans la documentation de l'entreprise des indications propres à révéler l'alignement. Ce que nous nions, c'est qu'il existe actuellement à la charge des entreprises une obligation précise à cet égard. Revenant au cas d'espèce présent, nous notons que la justification de l'alignement a été donnée par l'entreprise Rumi non pas pour la première fois devant la Cour mais dès le début de la procédure administrative, dès que l'accusation lui a été notifiée. La requérante a fait observer que dans son mémoire du 15 octobre 1977, elle avait expliqué avec précision, pour chaque contrat particulier, sur quelles entreprises concurrentes elle s'était alignée. Et il ne nous semble pas que la circonstance qu'à l'occasion du contrôle effectué par les agents de la Commission, les représentants de l'entreprise aient tu l'alignement, puisse suffire à prouver la prétendue mauvaise foi de la requérante. L'inspection n'est pas une procédure contradictoire dans laquelle la partie intéressée doit exposer tous les arguments pour sa défense; de plus, sur le plan pratique, il ne semble pas raisonnable de prétendre que des fonctionnaires administratifs ont l'obligation, à l'occasion d'un contrôle de documents comptables, de faire valoir une circonstance dont ils n'auraient pas pu pleinement saisir l'importance pour l'appréciation du comportement de l'entreprise. |
8. |
A la lumière des considérations qui précèdent, nous estimons que si les prix pratiqués par la requérante pour les ventes en question avaient été objectivement justifiés sur la base du critère de l'alignement, il n'y aurait pas eu infraction à l'article 60 et, partant, la sanction prévue par l'article 64 n'aurait pas été légalement applicable. Tout au plus, à supposer que l'on veuille partager le point de vue de la Commission quant à l'obligation d'indiquer au moment de la conclusion du contrat la méthode suivie pour la formation du prix, aurait-on pu imputer à l'entreprise Rumi une infraction de caractère purement formel à une disposition tout autre que précise et claire; et la licéité de l'amende infligée serait donc très douteuse. Toutefois, à l'issue de l'audience orale, l'aspect fondamental de la question de l'alignement a finalement été abordé par la Commission et un élément important, jusqu'alors négligé par la défenderesse, a ainsi été mis en lumière pour la première fois au cours de la procédure. Dans le mémoire accompagnant les documents que la Cour lui avait demandés lors de l'audience du 11 mai dernier, la défenderesse a fourni des chiffres dont il ressort que l'alignement invoqué par l'entreprise Rumi ne saurait justifier objectivement les prix pratiqués pour les ventes litigieuses. A cet égard, la Commission a observé que sur les barèmes de Feralpi et Iro, c'est-à-dire des deux concurrents sur lesquels la requérante affirme s'être alignée, le prix du produit qualitativement le plus proche du rond vendu par Rumi en France, était, à l'époque de cette vente, supérieur au prix pratiqué par Rumi. Feralpi, en effet, vendait le rond FEB 44 K à 178000 lires la tonne, franco Lonato, et Iro vendait le rond droit 4400 au prix de 168000 lires la tonne, franco Odolo, alors que le prix pratiqué par Rumi avait été de 159336 lires la tonne, franco Montello. D'autre part, les entreprises Feralpi et Iro ayant comme lieu de livraison, c'est-à-dire comme point de départ pour le calcul du prix du transport, respectivement Lonato et Odolo, l'alignement sur ces localités pour une vente en France n'aurait pu permettre à Rumi, qui a comme lieu de livraison Montello, d'accorder aucun rabais en raison d'une incidence moindre des frais de transport. Les chiffres indiqués par la Commission pour les ventes de Feralpi et Iro correspondent à ceux qui résultent des documents 38 et 39 de l'annexe II au mémoire du 11 mai. En outre, dans ses observations du 30 mai, la requérante n'a démenti les affirmations de la défenderesse, ni en ce qui concerne la détermination des produits de Feralpi et Iro qui se prêtaient le mieux à une comparaison avec ses ronds vendus en France, ni en ce qui concerne le niveau des prix des barèmes des deux entreprises. Cela nous conduit à considérer comme fondée la critique de la défenderesse quant à l'absence d'un alignement effectif de Rumi sur les prix de ses concurrents. Il est probable que si la Commission avait veillé à opposer plus tôt cette critique décisive à l'entreprise Rumi, cela aurait pu convaincre cette entreprise à ne pas introduire un recours contré la décision de sanction. Cette décision, telle qu'elle a été motivée, suscite, au contraire, comme nous l'avons vu, une série de doutes sur un point essentiel. Mais puisque la Cour dispose en l'espèce, comme nous l'avons déjà souligné, de la pleine juridiction, elle a le pouvoir de tenir compte des éléments invoqués, fut-ce tardivement, par la défenderesse, éléments qui apparaissent de nature à justifier sur une base différente l'existence de l'infraction à l'article 60 reprochée à l'entreprise Rumi et, partant, à maintenir la décision attaquée. |
9. |
Dans ces conditions, nous considérons cependant qu'une réduction du montant de l'amende est justifiée. La Commission a précisé à l'audience avoir calculé le montant en appliquant le critère proportionnel général fondé sur l'importance des écarts par rapport aux prix du barème. A cet égard, il convient de rappeler que les faits contestés se sont produits dans un marché déjà en crise, sujet à des modifications rapides des prix que les entreprises productrices communiquaient irrégulièrement à la Commission, ainsi que celle-ci l'a admis à l'audience. Comme nous l'avons déjà dit, la rapidité des changements rendait objectivement moins efficace la fonction que la publicité des prix est censée remplir. Un certain poids doit également être attribué à la bonne foi de l'entreprise contre laquelle aucun reproche de comportement frauduleux n'a été formulé étant donné que les prix effectivement pratiqués résultent de sa comptabilité. Enfin, le fait que l'irrégularité relative à l'alignement ne s'est accompagnée d'aucune discrimination de la part de Rumi à l'égard de ses clients, mérite d'être relevé. Ces éléments réduisent la gravité de l'infraction reprochée et doivent donc permettre d'alléger l'amende. Quant aux dépens, nous estimons que le caractère lacunaire, constaté ci-dessus, de l'instruction administrative du cas présent qui se reflète dans la motivation de la décision attaquée et dans la défense de la Commission jusqu'au stade final de cette procédure, doit entrer en ligne de compte. Nous avons vu que la motivation de la décision résout le problème de l'alignement sur la base de la seule thèse, à notre avis non fondée, de l'obligation d'indiquer la méthode de formation du prix au moment de la conclusion du contrat. Nous avons vu également que les aspects fondamentaux de l'alignement n'ont été discutés par la Commission que dans le cadre de son dernier mémoire et que la requérante n'a trouvé aucune réponse à l'argument soulevé par la défenderesse. On peut donc raisonnablement supposer que si cette critique, qui fournit une base juridique solide à l'amende, avait été faite au moment de la procédure administrative, il aurait été possible d'éviter la présente affaire. C'est pourquoi nous pensons qu'il est justifié d'appliquer en l'espèce la disposition de l'article 69, paragraphe 3, alinéa 2, du règlement de procédure, selon lequel «la Cour peut condamner une partie, même gagnante, à rembourser à l'autre partie les frais qu'elle lui a fait exposer et que la Cour reconnaît comme frustratoires ou vexatoires», et, partant, de condamner la défenderesse à supporter entièrement ses propres frais et à rembourser à la requérante un tiers des frais qu'elle a exposés. |
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Pour l'ensemble des raisons que nous venons d'exposer, nous concluons en proposant à la Cour de rejeter la demande d'annulation de la décision attaquée, de réduire l'amende de moitié et de mettre à la charge de la défenderesse, outre ses propres frais, un tiers des frais exposés par la requérante. |
( 1 ) Traduit de l'italien.