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Document 61978CC0143

Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 22 février 1979.
Jacques de Cavel contre Louise de Cavel.
Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne.
Affaire 143/78.

European Court Reports 1979 -01055

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1979:50

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. JEAN-PIERRE WARNER,

PRÉSENTÉES LE 22 FÉVRIER 1979 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Cette affaire vient devant vous à la suite d'une demande de décision préjudicielle présentée par le Bundesgerichtshof en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

La question soulevée par cette demande concerne le champ d'application de la convention et, plus particulièrement, l'étendue des exceptions qui lui sont apportées par l'article 1, alinéa 2, chiffre 1, pour les matières concernant «l'état … des personnes physiques» et «les régimes matrimoniaux».

Comme vous le savez, Messieurs, la Convention n'est actuellement en vigueur que dans les États membres originaires et ses seuls textes authentiques sont les textes allemand, français, italien et néerlandais. Dans nos conclusions relatives à des instruments communautaires antérieurs à 1973 dont il n'existe pas de texte anglais authentique, nous avons coutume de nous référer au texte français. Toutefois, vous savez aussi qu'une convention («la Convention d'adhésion»), relative à l'adhésion des nouveaux États membres à la convention de 1968 et au protocole concernant son interprétation par la Cour, a été signée à Luxembourg le 9 octobre 1978. Des versions de la convention originale et du protocole en danois, en anglais et en néerlandais sont jointes en annexe à cette convention d'adhésion et son article 37 dispose que ces versions «font foi dans les mêmes conditions que les textes originaux de la Convention de 1968 et du protocole de 1971». Dans ces conditions, nous proposons de partir pour nos citations de ce que sera le texte anglais faisant foi, lorsque la ratification de la convention d'adhésion sera complète. Un avantage de cette manière de faire est que ce texte fait apparaître dans une certaine mesure la pensée (à tout le moins) des auteurs de la Convention d'adhésion au sujet de la signification de la Convention originale.

Revenons aux faits de la présente affaire.

Le 12 janvier 1977, M. Jacques de Cavel («l'époux») a introduit devant le tribunal de grande instance de Paris une procédure en divorce contre sa femme Mme Luise de Cavel («l'épouse»). L'époux est un citoyen français, travaillant à Francfort-sur-le-Main. L'épouse est d'origine allemande. Ils possédaient un appartement à Francfort et un autre à Cannes. Il semble qu'en novembre 1976 l'épouse ait fait déménager de l'appartement de Cannes et vendu à son profit certains tapis de valeur dont l'époux soutient qu'ils lui appartenaient. Il prétend aussi que, lorsqu'il est retourné à Francfort après ses vacances au début de janvier 1977, il a trouvé qu'un certain nombre d'objets avaient également été enlevés de l'appartement et de son bureau. En se fondant sur ces allégations, il a joint à sa demande de divorce, une demande de mesures conservatoires adressée au tribunal de grande instance de Paris.

Le 19 janvier 1977, le juge aux affaires matrimoniales du tribunal a ordonné tout d'abord l'apposition des scellés sur l'immeuble et les effets se trouvant dans l'appartement de Francfort et sur un coffre-fort loué au nom de l'épouse dans une banque de Francfort puis, en second lieu, la saisie-arrêt de deux comptes bancaires au nom de l'épouse dans des banques de Francfort. Il est constant, semble-t-il, que cette ordonnance a été rendue ex parte et qu'elle l'a été en vertu de l'article 257 du Code civil français qui autorise un juge à prescrire des mesures urgentes, dès qu'une demande en divorce a été présentée. Au cours des débats, référence a été faite à l'article 220 du Code qui permet de prendre de telles mesures indépendamment de la procédure en divorce, mais une ordonnance au titre de cet article ne doit être prise que par le président du tribunal, or l'ordonnance dont il est question ici n'a pas été rendue par lui.

L'époux a demandé au Landgericht de Francfort que la décision du 12 janvier 1977 soit revêtue de la formule exécutoire en application de l'article 31 de la convention de 1968. Le 3 mai 1977, cette juridiction a rejeté sa demande au motif que «le demandeur n'avait pas produit, comme l'exige l'article 47 de la Convention, de documents de nature à établir que, selon la loi de l'État d'origine, la décision est exécutoire et a été signifiée».

L'époux a fait appel devant l'Oberlandesgericht de Francfort qui, à son tour, a refusé d'apposer la formule exécutoire sur la décision, pour le motif différent que des mesures conservatoires adoptées au cours d'une procédure en divorce font partie de cette procédure et doivent par conséquent être regardées comme des mesures. concernant l'état des personnes physiques qui, en vertu du second paragraphe de l'article 1 de la Convention, sont exclues de son champ d'application. Selon l'Oberlandesgericht, il importait peu que l'objet des mesures, ait été de protéger des intérêts de nature matrimoniale, puisque le même paragraphe se réfère explicitement aux «régimes matrimoniaux».

L'époux a alors fait appel devant le Bundesgerichtshof, qui vous a demandé de statuer à titre préjudiciel sur la question de savoir si, pour parler brièvement, la convention de 1968 est inapplicable à une ordonnance telle que celle prise par le juge français en l'espèce, parce qu'il s'agit d'une ordonnance accessoire à une procédure relative à l'état des personnes ou aux régimes matrimoniaux.

Aux fins de leur argumentation, la Commission, le gouvernement allemand et le gouvernement du Royaume-Uni ont décomposé cette question en deux parties:

1)

La Convention de 1968 est-elle applicable à une ordonnance accessoire rendue au cours d'une procédure dont la demande principale n'entre pas dans le champ d'application de la Convention; plus particulièrement la Convention est-elle applicable à une ordonnance relative à des mesures provisoires, rendue au cours d'une procédure en divorce?

2)

En cas de réponse affirmative à la première question, des mesures du genre de celles prescrites par le juge français dans la présente affaire concernent-elles «l'état des personnes physiques» ou les «régimes matrimoniaux» selon la signification de ces phrases dans le second paragraphe de l'article 1 de la Convention?

Le gouvernement du Royaume-Uni a soutenu qu'il fallait répondre négativement à la première question. A l'appui de sa thèse, il a fait valoir quatre arguments principaux:

1.

Il existe de grandes différences à la fois dans les bases sur lesquelles les juridictions des États membres se déclarent compétentes en matière de divorce et dans les motifs (s'il y en a) pour lesquels elles permettent qu'un mariage soit dissous. C'est là la raison primordiale de l'exclusion de l'état des personnes physiques du champ d'application de la convention. Les législations concernant le divorce étant profondément enracinées dans des attitudes sociales, morales et religieuses, il pourrait être difficile aux juridictions d'un pays de faciliter aux juridictions d'un autre pays l'exercice de cette compétence. Il serait illogique et contraire à l'esprit de la convention d'exiger néanmoins que des ordonnances accessoires prises dans l'exercice de la même compétence soient rendues exécutoires par les juridictions d'un autre pays.

2.

Puisque les actions en divorce sont exclues de la convention, une juridiction qui admet ces actions n'a pas à observer les règles de la convention concernant la compétence sur des personnes domiciliées ailleurs dans la Communauté. Il s'ensuit qu'une ordonnance accessoire pourrait être rendue dans une procédure en divorce par une juridiction n'ayant pas compétence pour le faire en vertu de la Convention. Il n'y aurait aucun moyen de le contrôler, parce que l'article 28 de la Convention interdit de réexaminer la base de compétence.

3.

La compétence pour rendre des ordonnances accessoires entrant dans le champ d'application de la Convention devrait être fondée sur les dispositions de la Convention elle-même. Une juridiction exerçant sa compétence en matière de divorce sur une base qui n'est pas autorisée, de manière générale, par la Convention serait dépossédée de son pouvoir de rendre des ordonnances accessoires de cette sorte au cours de la procédure.

4.

L'article 5 (paragraphe 2) de la Convention attribue compétence «en matière d'obligation alimentaire» au «tribunal du lieu où le créancier d'aliments a son domicile ou sa résidence habituelle». Cet article a été amendé par la Convention d'adhésion qui ajoute la disposition suivante:

«ou, s'il s'agit d'une demande accessoire à une action relative à l'état des personnes, devant le tribunal compétent selon la loi du for pour en connaître, sauf si cette compétence est uniquement fondée sur la nationalité d'une des parties».

Selon le gouvernement du Royaume-Uni, cet amendement aurait été superflu, si des procédures en matière d'obligation alimentaire, accessoires à des procédures en matière d'état des personnes, entraient déjà dans le champ d'application de la Convention.

Ce sont là des arguments solides, particulièrement, à notre avis, le deuxième et le troisième. Toutefois, nous sommes parvenus à la conclusion que, à tout prendre, les considérations mises en avant par la Commission et le gouvernement allemand ont un poids supérieur.

Le premier paragraphe de l'article 1 de la Convention dispose expressément que la réponse à la question de savoir si la Convention s'applique ou non dans un cas particulier ne dépend pas de la «nature de la juridiction» concernée. Les dispositions suivantes de la Convention nous semblent faire apparaître clairement que, d'une manière générale, la réponse à cette question ne peut pas dépendre non plus de la nature de la procédure. Le facteur déterminant est généralement l'objet de l'affaire. A ce principe général il existe des exceptions expresses, telles que celles relatives aux faillites et autres procédures analogues ainsi qu'à l'arbitrage, prévues aux alinéas 2 et 4, du paragraphe 2, de l'article 1.

C'est ce que l'on attendrait. Il serait étrange que l'applicabilité de la convention dépende de la juridiction particulière ou du type de procédure choisi par le requérant, le demandeur ou tout autre plaignant; que, par exemple, dans la présente affaire, la situation ait été différente si l'époux avait adressé sa demande au président du tribunal en vertu de l'article 220 du Code civil indépendamment de la procédure en divorce ou que la possibilité d'exécuter une ordonnance de la Haute Cour d'Angleterre, destinée à préserver les biens possédés en commun par un époux et une épouse, dépende la question de savoir si elle avait été rendue par la «Chancery Division» dans l'exercice de sa juridiction d'équité (comme dans Waller — contre — Waller 1967 1 WLR 451) ou par la «Family Division» au cours d'une procédure en divorce.

A notre avis, l'interprétation donnée par le gouvernement du Royaume-Uni de l'article 5, paragraphe 2, de la Convention et de l'effet de l'amendement qui doit lui être apporté par la Convention d'adhésion est erronée. Tel qu'il est actuellement, l'article 5, paragraphe 2, constitue une exception à la règle générale contenue dans l'article 2 selon laquelle une personne doit être attraite devant les juridictions de l'État où elle est «domiciliée». L'effet de cette exception est qu'un «créancier (ou une créancière) d'aliments» peut aussi être attrait (e) devant les juridictions de l'État où il (ou elle) a sa résidence habituelle. L'article 5, paragraphe 2, ne parle pas de la question de savoir si la Convention s'applique à une ordonnance en matière d'obligation alimentaire rendue au cours d'une procédure en divorce. Le rapport du professeur Schlosser relatif au projet de Convention d'adhésion (paragraphe 32) en voit la raison dans le fait que, lorsque la Convention de 1968 a été rédigée, les États membres originaires appliquaient encore le principe selon lequel des procédures en matière de pension alimentaire ne pouvaient pas être combinées aves des procédures relatives à l'état des personnes. Toutefois, depuis 1968, des réformes étendues du droit de la famille dans ces États ont abouti à un nombre croissant de procédures combinées. On peut en voir le résultat dans le jugement du 4 juin 1976 de l'Oberlandesgericht de Karlsruhe dans B.K. contre P.K. (2 W 7/76 — Aperçu de jurisprudence sur la Convention de 1968, Part 2, no 54). L'Oberlandesgericht n'a pas eu de difficulté à considérer qu'une ordonnance relative à une pension alimentaire, rendue par le tribunal de grande instance de Paris dans une procédure en divorce, était exécutoire en vertu de la Convention. En fait, l'Oberlandesgericht a estimé que ce point était trop évident pour justifier un renvoi à la Cour. De ce point de vue, l'effet de l'amendement à l'article 5, paragraphe 2, doit être qu'une juridiction d'un État membre qui n'est ni celle du domicile du «débiteur d'aliments» ni celle du domicile ou de la résidence habituelle du «créancier d'aliments» aura le pouvoir de rendre une ordonnance en faveur de ce dernier, à la condition que cette ordonnance soit rendue comme une décision accessoire dans une procédure concernant l'état d'une personne, que cette Cour a compétence pour admettre, conformément à sa propre loi, et à la condition que cette compétence ne soit pas basée uniquement sur la nationalité de l'une des parties.

La Commission et le gouvernement allemand ont trouvé un appui pour leur interprétation de l'article 1 (que nous approuvons) dans d'autres dispositions de la Convention, notamment l'article 42, l'article 5, paragraphe 4 et l'article 24.

Le premier paragraphe de l'article 42 dispose:

«Lorsque la décision étrangère a statué sur plusieurs chefs de la demande et que l'exécution ne peut être autorisée pour le tout, l'autorité judiciaire accorde l'exécution pour un ou plusieurs d'entre eux.»

Cela semble vouloir dire que lorsqu'une décision concerne des matières qui sont soumises à la Convention et d'autres matières qui n'y sont pas soumises, l'exécution doit être ordonnée pour celles qui y sont soumises. Il semblerait incompatible avec la manière dont cet article traite la question, de décider qu'une ordonnance accessoire concernant une matière soumise à la Convention ne peut pas être exécutée si elle a été rendue dans une procédure relative également à des matières qui n'y sont pas soumises.

L'article 5 (paragraphe 4) confère à une juridiction saisie d'une procédure pénale la compétence pour connaître des réclamations civiles en dommage ou en restitution fondées sur l'acte qui a donné lieu à ces procédures. C'est un cas où la Convention s'applique expressément à une procédure accessoire, bien que la procédure principale soit clairement en dehors de son champ d'application.

Nous parlerons de l'article 24 au plus tard dans un autre contexte. Sur ce point il nous paraît neutre.

Venons-en à la seconde question.

Il nous paraît tout à fait évident qu'une ordonnance du genre de celle qui a été rendue par le juge français dans la présente affaire ne se rapporte pas à l'état d'une personne physique. Elle a trait uniquement à des biens. Ainsi, la véritable question est de savoir si elle concerne les «régimes matrimoniaux». Lorsque l'on aborde cette question, deux difficultés principales apparaissent.

La première est que, comme la Commission nous l'a montré, les phrases correspondant aux «régimes matrimoniaux» dans les textes de la Convention dans les différentes langues officielles n'ont pas toutes la même signification. Il semble que la phrase contenue dans le texte allemand «chelicher Güterstand» soit particulièrement étroite.

En second lieu, il existe une grande disparité, même parmi les systèmes juridiques des États membres originaires, dans les règles qui régissent les relations patrimoniales entre époux. Dans tous ces États, il semble que ces relations soient régies par des «régimes» consistant chacun en un ensemble plus ou moins complet de dispositions, par exemple «la communauté de biens», «la séparation de biens» ou «la communauté réduite aux acquêts», pour lesquels les couples sont priés d'opter au moment de leur mariage.

Dans quelques pays (par exemple l'Allemagne) le régime applicable à un couple particulier peut être modifié par la suite. Dans d'autres cela n'est pas possible. Dans certains pays (par exemple la France) il existe un régime appelé «régime matrimonial primaire», qui s'applique sans égard aux régimes particuliers choisis. Dans d'autres pays cela n'existe pas. De plus, les règles applicables sous chaque régime diffèrent de pays à pays. Le résultat est qu'il n'est jamais possible de déterminer sans une étude détaillée quels sont les droits d'un époux sur des biens particuliers, ni jusqu'à quel point ces droits découlent de la législation générale ou du régime matrimonial en question. Les disparités augmenteront avec l'accession à la Convention de l'Irlande et du Royaume-Uni où de tels régimes sont inconnus mais où les droits d'un époux peuvent aussi découler entièrement ou partiellement soit du droit général de la propriété soit de sa position en tant qu'époux ou épouse (et dans ce dernier cas entièrement ou partiellement soit d'un «marriage seulement» soit du droit général applicable entre époux).

Une chose est certaine: le but même de la Convention serait éludé si, dans tous les cas où l'exécution dans un État membre d'une décision d'une juridiction d'un autre État membre est demandée, la juridiction devant laquelle l'exécution est demandée devait rechercher dans quelle mesure les droits de propriété auxquels la décision donne effet ou vise à donner effet, découlent d'un régime matrimonial, d'un «marriage seulement», du droit matrimonial général, du droit général de propriété ou peut être d'autres branches du droit général.

Pour que la Convention fonctionne conformément à son but, la juridiction devant laquelle l'exécution est demandée doit être capable de juger, pour ainsi dire au premier coup d'œil, si la décision est ou non une décision à laquelle s'applique la Convention. De plus, dans le cas d'une ordonnance relative à des mesures conservatoires comme celle dont il s'agit ici, une étude de ce genre serait vaine, puisqu'une telle ordonnance est destinée non à donner effet à des droits de propriété mais simplement à préserver les biens auxquels elle se rapporte, de manière qu'il soit possible ultérieurement de statuer utilement sur les droits respectifs des époux sur ces biens.

Au cours des arguments qui nous ont été présentés, trois solutions du problème ont été discutées.

L'une, qui est la solution en faveur de laquelle la Commission s'est exprimée, était de donner à la phrase «régimes matrimoniaux», une interprétation très étroite, en la réduisant aux matières relatives à l'adoption, à l'existence ou à la dissolution d'un régime matrimonial et d'exclure toute question relative à des droits provenant de l'existence ou de la dissolution de ce régime. Cette solution pourrait, sans doute, être praticable au cours de la période antérieure à l'entrée en vigueur de la Convention d'adhésion et il se peut qu'elle soit compatible avec les quatre textes authentiques actuels de la Convention de 1968. Mais elle ne serait pas praticable après l'entrée en vigueur de la Convention d'adhésion et serait inconciliable avec ce que sera alors le texte anglais de l'article 1. En d'autres termes, elle irait à l'encontre de l'intention exprimée des auteurs de la Convention d'adhésion, à moins que l'on ne décide que l'entrée en vigueur de la Convention d'adhésion modifiera la signification de l'article 1.

La seconde solution possible était d'interpréter la phrase «régimes matrimoniaux» tout à fait littéralement comme excluant tous droits subsistant entre époux qui auraient existé entre eux, même s'ils n'avaient pas été mariés.

D'après la manière dont nous avons compris ces arguments, personne en réalité ne soutenait cette solution. Son adoption serait incompatible avec l'objectif de la Convention dans son ensemble pour la raison, à laquelle nous avons fait allusion il y a un instant, qu'elle exigerait, dans chaque cas, une étude, par la juridiction d'exécution, des sources des droits auxquels la décision a entendu donner effet.

Reste enfin la solution soutenue par le gouvernement allemand (si nous l'avons correctement compris), par le gouvernement du Royaume-Uni (quoique brièvement) et au nom de l'épouse. Elle consiste à donner à la phrase une signification large, en se fondant sur le fait, qu'en pratique, dans de rares litiges entre époux, relatifs à des biens, il est probable que le lien matrimonial entre eux ne jouera aucun rôle. Un cas dans lequel ce lien ne joue aucun rôle peut assurément se présenter mais alors ce fait peut être exposé clairement dans la décision et il le sera sans aucun doute si l'on sait assez largement dans la profession juridique et parmi les juges des États membres que cela est une condition préalable à l'exécution de la décision en vertu de la Convention dans d'autres États membres.

A notre avis, le résultat est qu'un jugement ou une ordonnance relatif à un litige concernant les biens entre époux devrait, par présomption, être considéré comme étant en dehors du champ d'application de la Convention à moins qu'il ne soit apparent, au vu du jugement particulier ou de l'ordonnance en question, que tel n'est pas le cas.

L'argument de la Commission selon lequel cette interprétation doit nécessairement restreindre le champ d'application de la Convention ne nous a pas échappé.

Toutefois, cela ne signifie pas que ce ne soit pas l'interprétation exacte, comme le démontre l'arrêt que vous venez de rendre dans l'affaire 133/78 Gourdain/Nadler où un argument similaire avait été avancé par la Commission.

On a allégué également au nom de la Commission que cette interprétation serait incompatible avec le fait que la Convention s'applique à des ordonnances en matière de pension alimentaire. Nous ne le pensons pas. Les ordonnances en matière de pension alimentaire sont généralement des ordonnances en vue d'un paiement en argent. Elles ont un effet «in personam» et ne peuvent pas affecter des droits patrimoniaux, excepté dans le cas où une obligation alimentaire garantie est ordonnée, mais alors l'affectation de biens est de nature limitée et spéciale.

La Commission a allégué en outre que cette interprétation serait incompatible avec le fait que les auteurs de la Convention de 1968 se sont délibérément écartés du texte de la Convention de La Haye sur la reconnaissance et l'exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale, qui, dans la disposition correspondante à l'alinéa 1 du paragraphe 2 de l'article 1 de la Convention de 1968, se réfère «à l'état ou à la capacité des personnes ou à des questions de droit de famille, y compris les droits et obligations personnelles et pécuniaires entre parents et enfants et entre époux». Toutefois, il suffit de se reporter au rapport de M. Jenard sur le projet de Convention de 1968 (chaptire III, paragraphe IV (A)) pour voir pourquoi ses auteurs se sont ainsi écartés du texte de la Convention de La Haye. Leurs raisons n'ont rien à voir avec la présente question, excepté dans la mesure où ils désiraient rendre la Convention applicable à des ordonnances en matière d'obligation alimentaire.

L'argumentation qui nous a été présentée au nom de l'époux a été fondée pour ainsi dire entièrement sur l'article 24 de la Convention, qui déclare:

«Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un État contractant peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet État, même si, en vertu de la présente Convention, une juridiction d'un autre État contractant est compétente pour connaître du fond.»

A notre avis, cet article n'est pas pertinent, parce qu'il s'applique uniquement, lorsqu'en vertu de la Convention, la compétence concernant le fond d'une matière particulière est conférée aux juridictions d'un «État contractant» particulier. En d'autres termes, l'article 24 ne s'applique pas lorsque la question de fond n'entre pas dans le champ d'application de la Convention. Il serait étonnant qu'il en soit autrement parce que cela signifierait que, dans des cas n'entrant pas dans le champ d'application de la Convention, les juridictions des États membres seraient néanmoins obligées d'exécuter les ordonnances provisoires les unes des autres.

En définitive, nous concluons à ce que, en réponse à la question adressée à la Cour par le Bundesgerichtshof, vous disiez pour droit qu'une ordonnance relative à des mesures conservatoires, rendue par une juridiction d'un État membre au cours d'une procédure de divorce n'est pas, pour la simple raison qu'elle est rendue au cours de cette procédure, exclue du champ d'application de la Convention du 27 septembre 1968, mais que, lorsque l'ordonnance concerne des biens qui font l'objet d'un litige entre les parties à cette procédure, elle doit être considérée comme étant en dehors du champ d'application de la Convention à moins qu'il n'apparaisse, au vu de l'ordonnance, que les droits litigieux sont nés indépendamment du lien matrimonial entre les parties.


( 1 ) Traduit de l'anglais.

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