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Document 62010CJ0210

    Arrêt de la Cour (première chambre) du 9 février 2012.
    Márton Urbán contre Vám- és Pénzügyőrség Észak-alföldi Regionális Parancsnoksága.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Hajdú-Bihar Megyei Bíróság.
    Transports par route — Infractions aux règles relatives à l’utilisation du tachygraphe — Obligation des États membres d’établir des sanctions proportionnées — Amende forfaitaire — Proportionnalité de la sanction.
    Affaire C-210/10.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2012:64

    ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

    9 février 2012 ( *1 )

    «Transports par route — Infractions aux règles relatives à l’utilisation du tachygraphe — Obligation des États membres d’établir des sanctions proportionnées — Amende forfaitaire — Proportionnalité de la sanction»

    Dans l’affaire C-210/10,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Hajdú-Bihar Megyei Bíróság (Hongrie), par décision du 19 octobre 2009, parvenue à la Cour le 3 mai 2010, dans la procédure

    Márton Urbán

    contre

    Vám- és Pénzügyőrség Észak-alföldi Regionális Parancsnoksága,

    LA COUR (première chambre),

    composée de M. A. Tizzano, président de chambre, MM. M. Safjan, M. Ilešič, E. Levits et Mme M. Berger (rapporteur), juges,

    avocat général: M. J. Mazák,

    greffier: M. A. Calot Escobar,

    vu la procédure écrite,

    considérant les observations présentées:

    pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér, Mme K. Szíjjártó et M. G. Koós, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement danois, par Mme V. Pasternak Jørgensen, en qualité d’agent,

    pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl, en qualité d’agent,

    pour la Commission européenne, par Mmes N. Yerrell et K. Talabér-Ritz, en qualité d’agents,

    vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 19, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements (CEE) no 3821/85 et (CE) no 2135/98 du Conseil et abrogeant le règlement (CEE) no 3820/85 du Conseil (JO L 102, p. 1).

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Urbán au Vám- és Pénzügyőrség Észak-alföldi Regionális Parancsnoksága (commandement de la garde douanière et financière de la région d’Észak-alföldi) au sujet de l’infliction d’une amende pour non-respect des dispositions relatives à l’utilisation de la feuille d’enregistrement de l’appareil de contrôle du poids lourd conduit par le requérant au principal.

    Le cadre juridique

    Le droit de l’Union

    3

    Les articles 13 à 16 du règlement (CEE) no 3821/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route (JO L 370, p. 8), tel que modifié par le règlement no 561/2006 (ci-après le «règlement no 3821/85»), prévoient les obligations de l’employeur et des conducteurs relatives à l’utilisation de l’appareil de contrôle et des feuilles d’enregistrement.

    4

    Aux termes de l’article 15, paragraphe 5, du règlement no 3821/85:

    «Le conducteur doit porter sur la feuille d’enregistrement les indications suivantes:

    a)

    ses nom et prénom au début d’utilisation de la feuille;

    b)

    la date et le lieu au début et à la fin d’utilisation de la feuille;

    c)

    le numéro de la plaque d’immatriculation du véhicule auquel il est affecté avant le premier voyage enregistré sur la feuille et ensuite, en cas de changement de véhicule, pendant l’utilisation de la feuille;

    d)

    le relevé du compteur kilométrique:

    avant le premier voyage enregistré sur la feuille,

    à la fin du dernier voyage enregistré sur la feuille,

    en cas de changement de véhicule pendant la journée de service (compteur du véhicule auquel il a été affecté et compteur du véhicule auquel il va être affecté);

    e)

    le cas échéant, l’heure du changement de véhicule.»

    5

    L’article 15 du règlement no 3821/85 dispose, à son paragraphe 7, sous c):

    «Un agent de contrôle habilité peut vérifier le respect du règlement (CE) no 561/2006 en analysant les feuilles d’enregistrement, les données affichées ou imprimées qui ont été enregistrées par l’appareil de contrôle ou par la carte de conducteur ou, à défaut, en analysant tout autre document probant témoignant du non-respect de dispositions telles que celles prévues à l’article 16, paragraphes 2 et 3.»

    6

    L’article 19, paragraphes 1 et 4, du règlement no 561/2006 énonce:

    «1.   Les États membres établissent des règles concernant les sanctions pour infraction au présent règlement et au règlement (CEE) no 3821/85 et prennent toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’elles soient appliquées. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées, dissuasives et non discriminatoires. […]

    […]

    4.   Les États membres veillent à ce qu’un système de sanctions proportionné, qui peut inclure des sanctions financières, soit mis en place en cas d’infraction au présent règlement ou au règlement (CEE) no 3821/85 par des entreprises ou des expéditeurs associés, chargeurs, tour-opérateurs, commissionnaires de transport, sous-traitants et agences employant des conducteurs qui leur sont associés.»

    7

    L’article 9, paragraphes 1 et 3, de la directive 2006/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant les conditions minimales à respecter pour la mise en œuvre des règlements du Conseil (CEE) no 3820/85 et (CEE) no 3821/85 concernant la législation sociale relative aux activités de transport routier et abrogeant la directive 88/599/CEE du Conseil (JO L 102, p. 35), prévoit:

    «1.   Les États membres mettent en place un système de classification des entreprises par niveau de risque, fondé sur le nombre relatif et la gravité relative des infractions aux règlements (CEE) no 3820/85 ou (CEE) no 3821/85 commises par chaque entreprise. […]

    […]

    3.   Une première liste d’infractions aux règlements (CEE) no 3820/85 et (CEE) no 3821/85 figure à l’annexe III.

    Afin de fournir des lignes directrices concernant l’appréciation des infractions aux règlements (CEE) no 3820/85 et (CEE) no 3821/85, la Commission peut, le cas échéant, conformément à la procédure visée à l’article 12, paragraphe 2, adapter l’annexe III de manière à établir des lignes directrices sur une échelle commune d’infractions classées en différentes catégories selon leur gravité.

    […]»

    Le droit national

    8

    L’article 20, paragraphes 1 et 4, de la loi no I de 1988 sur le transport routier (a közúti közlekedésről szóló 1988. évi I. törvény, ci-après la «loi sur le transport»), dans sa rédaction en vigueur (Magyar Közlöny 2006/1) lors de la commission de l’infraction, énonce:

    «1.   Est passible d’une amende toute personne qui enfreint les dispositions de la présente loi ou d’autres textes, à savoir:

    […]

    c)

    les dispositions relatives au temps de conduite, aux pauses et au temps de repos du [règlement no 561/2006], de la présente loi, ainsi que de l’accord européen relatif au travail des équipages des véhicules effectuant des transports internationaux par route (AETR) promulgué par la loi no IX de 2001;

    d)

    les dispositions relatives à l’utilisation de l’appareil de contrôle et des disques du tachygraphe du [règlement no 3821/85] et de la présente loi;

    […]

    4.   Est passible d’une amende de 50000 HUF à 800000 HUF quiconque enfreint les dispositions du paragraphe 1. Un texte spécifique déterminera le montant des amendes susceptibles d’être infligées en cas d’infraction aux différentes dispositions visées. Dans la mesure où plusieurs personnes sont à considérer comme responsables de la violation des dispositions visées au paragraphe 1, il convient de répartir le montant prévu de l’amende en fonction de la responsabilité respective des personnes concernées.

    […]»

    9

    Le texte spécifique visé à l’article 20, paragraphe 4, de la loi sur le transport et applicable aux faits en cause au principal était le décret gouvernemental no 57/2007, portant fixation du montant des amendes susceptibles d’être infligées en cas de violation de certaines dispositions en matière de transport routier de marchandises et de personnes (a közúti árufuvarozáshoz és személyszállításhoz kapcsolódó egyes rendelkezések megsértése esetén kiszabható bírságok összegéről szóló 57/2007. Korm. rendelet), du 31 mars 2007 (Magyar Közlöny 2007/39, ci-après le «décret gouvernemental no 57/2007»).

    10

    Aux termes de l’article 1, paragraphe 1, du décret gouvernemental no 57/2007:

    «En cas d’infraction aux dispositions prévues à l’article 20, paragraphe 1, de la loi, les amendes prévues aux articles 2 à 10 seront infligées dans le cadre d’une procédure administrative.»

    11

    L’article 5, paragraphe 1, du décret gouvernemental no 57/2007 dispose:

    «Est passible d’une amende d’un montant correspondant à celui prévu au tableau no 4 toute personne contrevenant aux dispositions visées à l’article 20, paragraphe 1, point d), de la loi [sur le transport].

    Si l’autorité effectuant le contrôle constate le défaut du document visé au point no 1, mais que le document faisant défaut, valable au jour du contrôle est présenté à ladite autorité dans les huit jours suivant le jour du contrôle, il y a lieu de réduire le montant de l’amende prévu au point en question de 50 %.»

    12

    Ledit tableau se présentait, à la date des faits au principal, comme suit:

    no

    Actes ou défauts de documentation passibles d’une amende

    Fondement légal

    Montant de l’amende (en HUF)

    3

    Infraction aux dispositions relatives à l’utilisation des feuilles d’enregistrement

    articles 13 à 16 du règlement no 3821/85

    100 000

    La procédure au principal et les questions préjudicielles

    13

    Le 25 mars 2009, dans le cadre d’un contrôle routier mené par une patrouille du bureau des douanes de Debrecen (Hongrie), au poste frontière d’Ártánd, M. Urbán, qui conduisait un poids lourd immatriculé en Hongrie et en transit de la Hongrie vers la Roumanie, a fait l’objet d’un examen de son appareil de contrôle et de ses disques d’enregistrement. Le contrôle n’a révélé aucune insuffisance en relation avec l’utilisation du tachygraphe. Cependant, l’un des quinze disques d’enregistrement présentés par M. Urbán n’indiquait pas le kilométrage à l’arrivée.

    14

    En conséquence, l’autorité douanière de premier ressort a infligé à M. Urbán, par décision du 25 mars 2009, une amende administrative d’un montant de 100000 HUF (correspondant, à ladite date, à environ 332 euros), pour infraction aux dispositions relatives à l’utilisation des feuilles d’enregistrement.

    15

    M. Urbán a formé un recours administratif contre cette décision afin d’obtenir l’annulation de l’amende infligée ou la diminution de son montant, en faisant valoir que l’imposition de cette amende apparaissait excessive au regard de l’omission reprochée, dès lors que la mention du kilométrage figurait sur la lettre de transport.

    16

    Le défendeur au principal a, en tant qu’autorité de second ressort, rejeté le 12 mai 2009 ledit recours, constatant que l’autorité de premier ressort avait, à juste titre, fait application de l’article 5, paragraphe 1, du décret gouvernemental no 57/2007 et du tableau no 4, point 3, mentionné à cette disposition, sur lequel figure l’infraction objective et le montant de l’amende correspondant, qui s’impose à l’autorité douanière.

    17

    M. Urbán a introduit un recours juridictionnel contre cette décision devant le Hajdú-Bihar Megyei Bíróság (tribunal départemental de Hajdú-Bihar) en vue d’en obtenir l’annulation. En réitérant les arguments présentés dans son recours administratif, il a fait valoir que la circonstance que la feuille d’enregistrement de l’appareil de contrôle ne comportait pas la mention du kilométrage final à la fin du dernier voyage n’entraînait aucune possibilité d’abus, dans la mesure où cette mention figurait sur la lettre de transport. L’information manquante sur la feuille d’enregistrement aurait donc pu être vérifiée avec précision sur la base des renseignements fournis par ladite lettre.

    18

    C’est dans ces conditions que le Hajdú-Bihar Megyei Bíróság, éprouvant des doutes quant à la proportionnalité du système de sanctions prévu par le décret gouvernemental no 57/2007 au regard de l’objectif énoncé par les règlements nos 3821/85 et 561/2006, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

    «1)

    Un système de sanctions qui prévoit impérativement l’infliction d’une amende d’un montant forfaitaire atteignant 100000 HUF pour toute infraction aux dispositions des articles 13 à 16 du règlement [no 3821/85] est-il conforme à l’exigence de proportionnalité visée à l’article 19, paragraphes 1 et 4, du règlement [no 561/2006]?

    2)

    Un système de sanctions qui ne module pas le montant de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction commise est-il conforme à l’exigence de proportionnalité?

    3)

    Un système de sanctions qui ne permet pas de tenir compte d’un quelconque fait justificatif dans le chef des contrevenants est-il conforme à l’exigence de proportionnalité?

    4)

    Un système de sanctions qui n’opère aucune distinction en fonction des circonstances personnelles propres à l’auteur de l’infraction est-il conforme à l’exigence de proportionnalité?»

    Sur les questions préjudicielles

    Sur les première et deuxième questions

    19

    Par ses première et deuxième questions, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’exigence de proportionnalité visée à l’article 19, paragraphes 1 et 4, du règlement no 561/2006 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à un système de sanctions, tel que celui introduit par le décret gouvernemental no 57/2007, qui prévoit l’infliction d’une amende d’un montant forfaitaire pour toutes les infractions, quelle que soit leur gravité, aux règles relatives à l’utilisation des feuilles d’enregistrement posées aux articles 13 à 16 du règlement no 3821/85.

    20

    À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon le vingt-septième considérant du règlement no 561/2006, il est souhaitable, pour assurer une application claire et effective des règles relatives aux temps de conduite et de repos, d’établir des dispositions uniformes sur la responsabilité des entreprises de transport et des conducteurs pour les infractions à ce règlement, responsabilité qui peut aboutir à des sanctions pénales, civiles ou administratives dans les États membres.

    21

    À cet égard, l’article 19, paragraphe 1, dudit règlement impose aux États membres d’établir «des règles concernant les sanctions pour infraction à ce règlement et au règlement no 3821/85[,] […] qui doivent être effectives, proportionnées, dissuasives et non discriminatoires».

    22

    Cependant, force est de constater que ledit règlement ne comporte pas de règles plus précises en ce qui concerne l’établissement desdites sanctions nationales et n’établit notamment aucun critère explicite pour l’appréciation du caractère proportionné de telles sanctions.

    23

    Or, selon une jurisprudence constante, en l’absence d’harmonisation de la législation de l’Union dans le domaine des sanctions applicables en cas d’inobservation des conditions prévues par un régime institué par cette législation, les États membres sont compétents pour choisir les sanctions qui leur semblent appropriées. Ils sont toutefois tenus d’exercer leur compétence dans le respect du droit de l’Union et de ses principes généraux, et, par conséquent, dans le respect du principe de proportionnalité (voir, notamment, arrêts du 12 juillet 2001, Louloudakis, C-262/99, Rec. p. I-5547, point 67, et du 29 juillet 2010, Profaktor Kulesza, Frankowski, Jóźwiak, Orłowski, C-188/09, Rec. p. I-7639, point 29).

    24

    Ainsi, en l’occurrence, les mesures répressives permises par la législation nationale en cause au principal ne doivent pas excéder les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par cette législation, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux objectifs visés (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2010, ERG e.a., C-379/08 et C-380/08, Rec. p. I-2007, point 86).

    25

    Dans le cadre des règlements nos 3821/85 et 561/2006, ces objectifs sont, d’une part, l’amélioration des conditions de travail des conducteurs auxquels s’appliquent ces règlements ainsi que de la sécurité routière en général et, d’autre part, l’établissement de règles uniformes relatives aux durées de conduite et aux temps de repos des conducteurs ainsi que leur contrôle.

    26

    À cette fin, lesdits règlements prévoient un ensemble de mesures, notamment des règles uniformes relatives aux durées de conduite et aux temps de repos des conducteurs ainsi que leur contrôle, dont le respect doit être garanti par les États membres par l’application d’un système de sanctions pour toute infraction aux mêmes règlements.

    27

    C’est à la lumière de ces principes qu’il convient de répondre aux première et deuxième questions, telles que reformulées au point 19 du présent arrêt.

    28

    En l’espèce, il y a lieu de relever que l’article 20, paragraphe 4, de la loi sur le transport sanctionne par une amende allant de 50000 HUF à 800000 HUF quiconque enfreint les dispositions des règlements nos 3821/85 et 561/2006. Il convient également de préciser que cette disposition confère aux autorités compétentes le pouvoir de fixer le montant de l’amende en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction.

    29

    Cependant, le décret gouvernemental no 57/2007 institue, à son article 5, paragraphe 1, une amende d’un montant forfaitaire de 100000 HUF pour toutes les infractions aux dispositions relatives à l’utilisation des feuilles d’enregistrement prévues aux articles 13 à 16 du règlement no 3821/85, sans prévoir de distinction entre la nature et la gravité des différentes infractions en cause.

    30

    Ainsi, si un système tel que celui en cause au principal peut apparaître comme étant approprié pour atteindre les objectifs énoncés aux règlements nos 3821/85 et 561/2006, il convient toutefois de constater qu’il dépasse les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par ces règlements.

    31

    Certes, il résulte de l’article 15, paragraphe 5, du règlement no 3821/85 que le conducteur d’un véhicule automobile est tenu de porter sur la feuille d’enregistrement le relevé du compteur kilométrique «à la fin du dernier voyage enregistré sur la feuille».

    32

    L’omission de cette indication doit cependant, contrairement à ce qu’a fait valoir la Hongrie, être considérée comme une infraction mineure.

    33

    En effet, ainsi que l’a fait observer à juste titre la Commission, les infractions aux règlements nos 3821/85 et 561/2006 ne présentent pas toutes le même niveau de gravité. Les infractions susceptibles d’empêcher le contrôle effectif des conditions de travail des conducteurs et du respect de la sécurité routière ne peuvent être rangées dans la même catégorie que celle des infractions mineures qui, quand bien même elles constitueraient une violation aux dispositions des règlements en cause, ne font toutefois pas obstacle à ce que le respect des obligations prévues par la législation de l’Union en cause soit contrôlé.

    34

    À cet égard, comme l’a également fait valoir la Commission, la violation de l’article 15, paragraphe 7, du règlement no 3821/85, disposition qui prévoit que «le conducteur doit être en mesure de présenter, à toute demande des agents de contrôle, les feuilles d’enregistrement de la semaine en cours et, en tout cas, la feuille du dernier jour de la semaine précédente au cours duquel il a conduit», constitue une infraction plus grave que la violation de l’article 15, paragraphe 1, de ce règlement, selon lequel les conducteurs sont tenus de ne pas utiliser de feuilles d’enregistrement souillées ou endommagées et de les protéger de manière adéquate.

    35

    De manière analogue, il y a lieu de constater que l’omission, de la part d’un conducteur, de porter sur la feuille d’enregistrement le relevé du compteur kilométrique à la fin du dernier voyage a un impact minimal, voire inexistant, sur la sécurité routière eu égard aux autres obligations énumérées à ce même article 15.

    36

    Cette constatation est corroborée par le fait que la Commission, se fondant sur l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2006/22, a adopté la directive 2009/5/CE, du 30 janvier 2009, modifiant l’annexe III de la directive 2006/22 (JO L 29, p. 45), laquelle contient des lignes directrices sur une échelle commune d’infractions aux règlements nos 3821/85 et 561/2006 classées en différentes catégories en fonction de leur gravité.

    37

    S’il est vrai que l’idée d’une gradation des différentes infractions aux dispositions des règlements nos 3821/85 et 561/2006 n’a été précisée que par la suite, par les directives 2006/22 et 2009/5, lesquelles ne sont pas applicables au litige au principal, force est toutefois de constater que cette idée ressortait déjà implicitement du règlement no 561/2006. En effet, s’agissant des sanctions, son vingt-sixième considérant évoquait une «échelle commune des mesures que les États membres peuvent appliquer».

    38

    De plus, cette annexe III, qui distingue les groupes d’infractions au règlement no 561/2006 et les groupes d’infractions au règlement no 3821/85, indique, pour chaque type d’obligations, leur base juridique, les types d’infractions et le degré de gravité de celles-ci. Ces dernières sont classées en trois niveaux, à savoir «infraction très grave», «infraction grave» et «infraction mineure».

    39

    S’agissant des infractions au règlement no 3821/85, ladite annexe prévoit, en ce qui concerne les obligations relatives aux indications à saisir, et dont la base juridique est l’article 15, paragraphe 5, du règlement no 3821/85, l’infraction intitulée «Pas de relevé du compteur (fin) sur la feuille d’enregistrement». Cette infraction est considérée comme une «infraction mineure».

    40

    Par ailleurs, nonobstant le fait que les États membres doivent prévoir des sanctions en cas d’omission de l’indication du kilométrage à l’arrivée, force est de constater que cette indication n’est pas indispensable à la bonne fin du contrôle du respect des règles concernant les temps de conduite et de repos. De même, tout manquement à ladite indication ne constitue pas la même menace pour la sécurité routière que la violation d’autres dispositions dans la catégorie d’infractions portant sur les «indications à saisir».

    41

    Par conséquent, l’application d’une amende d’un montant forfaitaire pour toute violation des règles relatives à l’utilisation des feuilles d’enregistrement, sans modulation du montant de ladite amende en fonction de la gravité de l’infraction, apparaît comme étant disproportionnée au regard des objectifs visés par la réglementation de l’Union.

    42

    En outre, il convient de mentionner que le législateur hongrois a adopté, le 29 juillet 2009, le décret gouvernemental no 156/2009, qui n’est pas applicable au litige au principal, en abrogeant avec effet au 1er août 2009 le décret gouvernemental no 57/2007.

    43

    Le nouveau système de sanctions introduit par ce décret gouvernemental prévoit désormais une modulation du montant de l’amende en fonction de la gravité des infractions aux articles 13 à 16 du règlement no 3821/85. En ce qui concerne les infractions analogues à celle examinée dans l’affaire au principal, ledit décret gouvernemental établit le montant de l’amende à infliger à 30000 HUF et qualifie ces infractions d’«infractions mineures».

    44

    Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux première et deuxième questions posées que l’exigence de proportionnalité visée à l’article 19, paragraphes 1 et 4, du règlement no 561/2006 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à un système de sanctions tel que celui introduit par le décret gouvernemental no 57/2007 qui prévoit l’infliction d’une amende d’un montant forfaitaire pour toutes les infractions, quelle que soit leur gravité, aux règles relatives à l’utilisation des feuilles d’enregistrement, posées aux articles 13 à 16 du règlement no 3821/85.

    Sur les troisième et quatrième questions

    45

    Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’exigence de proportionnalité visée à l’article 19, paragraphes 1 et 4, du règlement no 561/2006 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose d’une part, à un système de sanctions, tel que celui en cause au principal, qui instaure une responsabilité objective des auteurs d’infraction et, d’autre part, à l’intensité de la sanction prévue par ce système.

    46

    Il convient de rappeler d’emblée qu’il ressort du dossier que les autorités nationales chargées de la mise en œuvre de l’article 5, paragraphe 1, du décret gouvernemental no 57/2007 ne disposent d’aucune possibilité de s’écarter du montant forfaitaire de l’amende prévu en tenant compte des circonstances concrètes du cas de l’espèce et ainsi d’adapter ce montant à ces circonstances.

    47

    S’agissant, en premier lieu, de la compatibilité, avec le principe de proportionnalité, de l’instauration d’une responsabilité objective, il convient de constater que la Cour a déjà jugé qu’un tel système sanctionnant la violation d’un règlement, notamment en matière sociale dans le domaine des transports par route, n’est pas, en lui-même, incompatible avec le droit communautaire (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 1990, Hansen, C-326/88, Rec. p. I-2911, points 14 à 19, ainsi que du 2 octobre 1991, Vandevenne e.a., C-7/90, Rec. p. I-4371, points 16 et 17; voir par analogie, en ce qui concerne d’autres domaines, arrêt du 27 février 1997, Ebony Maritime et Loten Navigation, C-177/95, Rec. p. I-1111, point 36).

    48

    En effet, selon la Cour, l’instauration d’un système de responsabilité objective n’est pas disproportionnée par rapport aux objectifs recherchés, lorsque ce système est de nature à inciter les personnes visées à respecter les dispositions d’un règlement et lorsque les objectifs poursuivis revêtent un intérêt général pouvant justifier l’instauration d’un tel système (voir, en ce sens, arrêt Hansen, précité, point 19).

    49

    À la lumière de cette jurisprudence, il convient de rappeler ensuite que le règlement no 3821/85 attribue notamment aux conducteurs la responsabilité de l’application des obligations relatives à l’appareil de contrôle. Les dispositions de ce règlement relatives à l’utilisation des feuilles d’enregistrement définissent précisément la manière dont les conducteurs doivent enregistrer les informations nécessaires, telles que le relevé du compteur kilométrique. Ainsi, en vertu de l’article 15, paragraphe 5, sous d), deuxième tiret, dudit règlement, le kilométrage d’arrivée doit impérativement être indiqué sur la feuille d’enregistrement.

    50

    En vertu de la législation hongroise, l’infraction à cette obligation est constituée dès lors que le relevé du compteur kilométrique correspondant à la fin du dernier voyage ne figure pas sur la feuille d’enregistrement. Pour ne pas être en situation d’infraction, le conducteur doit ainsi satisfaire aux obligations telles que définies par le règlement no 3821/85.

    51

    Étant donné que, d’une part, ledit système de responsabilité objective est de nature à inciter les conducteurs à respecter les dispositions du règlement no 3821/85 et que, d’autre part, la sécurité routière et l’amélioration des conditions sociales des conducteurs revêtent un intérêt général, l’instauration, par la législation hongroise, d’un système de responsabilité objective peut être justifiée.

    52

    Dès lors, prévoir un système de responsabilité objective, tel que celui en cause au principal, qui sanctionne la violation dudit règlement n’est pas, en soi, incompatible avec le droit de l’Union.

    53

    S’agissant, en second lieu, de l’intensité de l’amende prévue par le régime de sanctions en cause au principal, il convient de rappeler la jurisprudence citée aux points 23 et 24 du présent arrêt, selon laquelle les États membres sont compétents pour choisir les sanctions qui leur semblent appropriées. Toutefois, les États membres sont tenus d’exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union et de ses principes généraux, et, par conséquent, dans le respect du principe de proportionnalité. Les mesures répressives ne doivent donc pas, notamment, aller au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par la législation en cause et, en outre, être démesurées par rapport à ces objectifs.

    54

    Or, il y a lieu de signaler, à cet égard, que le principe de proportionnalité s’impose aux États membres non seulement en ce qui concerne la détermination des éléments constitutifs d’une infraction et la détermination des règles relatives à l’intensité des amendes, mais également en ce qui concerne l’appréciation des éléments pouvant entrer en ligne de compte pour la fixation de l’amende.

    55

    Ceci étant précisé, force est de constater que l’obligation pour les autorités nationales chargées de sanctionner les infractions aux règlements nos 3821/85 et 561/2006 d’infliger une amende d’un montant forfaitaire de 100000 HUF, sans pouvoir tenir compte des circonstances concrètes du cas d’espèce et, le cas échéant, minorer le montant de cette amende, ne remplit pas les conditions exigées par la jurisprudence citée aux points 23 et 24 du présent arrêt.

    56

    Dès lors, le régime de sanctions hongrois apparaît disproportionné, notamment dans un cas tel que celui à l’origine de l’affaire au principal où seul un disque sur les quinze disques contrôlés présentait un défaut d’enregistrement, à savoir que le kilométrage à l’arrivée n’y figurait pas. En outre, il ressort du dossier soumis à la Cour que le défaut d’enregistrement en cause au principal ne pouvait constituer un abus, dans la mesure où l’indication manquante sur la feuille d’enregistrement figurait en revanche sur la lettre de transport.

    57

    En effet, s’agissant, d’une part, de la condition selon laquelle la mesure répressive ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par la législation en cause au principal, il convient de constater qu’il serait possible, pour les autorités nationales compétentes, d’atteindre les objectifs visés également par des mesures moins restrictives, étant donné que, en réalité, l’infraction commise ne portait pas atteinte aux objectifs de la sécurité routière et aux conditions de travail des conducteurs, prévus par les règlements nos 3821/85 et 561/2006.

    58

    S’agissant, d’autre part, de la condition selon laquelle la mesure répressive ne doit pas être démesurée par rapport auxdits objectifs, il convient de constater que, comme cela ressort de la décision de renvoi, le montant de ladite amende est presque équivalent au revenu moyen mensuel net d’un travailleur salarié en Hongrie. Par conséquent, l’intensité de la sanction apparaît, dans l’affaire au principal, disproportionnée par rapport à l’infraction commise.

    59

    Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions posées que l’exigence de proportionnalité visée à l’article 19, paragraphes 1 et 4, du règlement no 561/2006 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à un système de sanctions tel que celui introduit par le décret gouvernemental no 57/2007, qui instaure une responsabilité objective. En revanche, elle doit être interprétée comme s’opposant à l’intensité de la sanction prévue par ce système.

    Sur les dépens

    60

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

     

    1)

    L’exigence de proportionnalité visée à l’article 19, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements (CEE) no 3821/85 et (CE) no 2135/98 du Conseil et abrogeant le règlement (CEE) no 3820/85 du Conseil, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à un système de sanctions tel que celui introduit par le décret gouvernemental no 57/2007, portant fixation du montant des amendes susceptibles d’être infligées en cas de violation de certaines dispositions en matière de transport routier de marchandises et de personnes (a közúti árufuvarozáshoz és személyszállításhoz kapcsolódó egyes rendelkezések megsértése esetén kiszabható bírságok összegéről szóló 57/2007. Korm. Rendelet), du 31 mars 2007, qui prévoit l’infliction d’une amende d’un montant forfaitaire pour toutes les infractions, quelle que soit leur gravité, aux règles relatives à l’utilisation des feuilles d’enregistrement, posées aux articles 13 à 16 du règlement (CEE) no 3821/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route, tel que modifié par le règlement no 561/2006.

     

    2)

    L’exigence de proportionnalité visée à l’article 19, paragraphes 1 et 4, du règlement no 561/2006 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à un système de sanctions tel que celui introduit par le décret gouvernemental no 57/2007, du 31 mars 2007, portant fixation du montant des amendes susceptibles d’être infligées en cas de violation de certaines dispositions en matière de transport routier de marchandises et de personnes, qui instaure une responsabilité objective. En revanche, elle doit être interprétée comme s’opposant à l’intensité de la sanction prévue par ce système.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure: le hongrois.

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