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Document 62024CO0501

Euroopa Kohtu (kuues koda) määrus, 2.5.2025.
Klinka-Geo Trans Földmunkavégző Ipari, Kereskedelmi és Szolgáltató Kft. versus Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága.
Eelotsusetaotlus, mille on esitanud Fővárosi Törvényszék.
Kohtuasi C-501/24.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2025:348

ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

2 mai 2025 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 99 du règlement de procédure de la Cour – Incompétence manifeste – Irrecevabilité manifeste – Réponse pouvant être clairement déduite de la jurisprudence – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Droit à déduction de la TVA payée en amont – Refus – Obligations de l’assujetti – Charge de la preuve – Principes de proportionnalité et de sécurité juridique – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Contradiction entre la jurisprudence nationale et le droit de l’Union – Article 267 TFUE – Primauté du droit de l’Union – Obligation de renvoi préjudiciel »

Dans l’affaire C‑501/24,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), par décision du 4 juin 2024, parvenue à la Cour le 17 juillet 2024, dans la procédure

Klinka-Geo Trans Földmunkavégző Ipari, Kereskedelmi és Szolgáltató Kft.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. A. Kumin, président de chambre, Mme I. Ziemele et M. S. Gervasoni (rapporteur), juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, et à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 167, de l’article 168, sous a), et de l’article 178, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci‑après la « directive TVA »), lus en combinaison avec les principes de neutralité fiscale, de sécurité juridique et d’effectivité du droit de l’Union, l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), l’article 267 TFUE ainsi que le principe de primauté du droit de l’Union.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la société de droit hongrois Klinka-Geo Trans Földmunkavégző Ipari, Kereskedelmi és Szolgáltató Kft. (ci-après « Klinka-Geo ») à la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatósága (direction des recours de l’administration nationale des impôts et des douanes, Hongrie) au sujet du refus, opposé à cette société, du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) acquittée en amont au titre de certaines prestations.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le traité FUE

3        L’article 267 TFUE dispose :

« La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :

a)      sur l’interprétation des traités,

[...]

Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

Lorsqu’une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

[...] »

 La directive TVA

4        L’article 167 de la directive TVA est libellé comme suit :

« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »

5        Aux termes de l’article 168, sous a), de cette directive :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

6        L’article 178, sous a), de ladite directive dispose :

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

a)      pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240 ;

[...] »

 Le droit hongrois

7        L’article 120 de l’az általános forgalmi adóról szóló 2007. évi CXXVII. törvény (loi no CXXVII de 2007 relative à la taxe sur la valeur ajoutée) (Magyar Közlöny 2007/155, p. 10893) dispose :

« Dans la mesure où les biens ou les services sont utilisés, ou autrement exploités, par l’assujetti – et en cette qualité – en vue d’effectuer des livraisons de biens ou des prestations de services taxées, celui-ci a le droit de déduire du montant de la taxe dont il est redevable :

a)      la taxe qui lui est facturée par tout autre assujetti – y compris toute personne ou entité soumise à l’impôt simplifié sur les sociétés – à l’occasion de l’acquisition des biens ou de l’utilisation des services.

[...] »

8        Aux termes de l’article 127, paragraphe 1, de cette loi :

« L’exercice du droit à déduction est subordonné à la condition de fond que l’assujetti dispose personnellement :

a)      dans le cas visé à l’article 120, sous a), d’une facture à son nom établissant la réalisation de l’opération ;

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9        L’activité principale de Klinka-Geo est le commerce de véhicules automobiles. L’administration fiscale hongroise a remis en cause son droit à déduction de la TVA se rapportant à une série de factures émises par trois sociétés au cours de l’année 2011.

10      La première, Intellisec Kft., aurait fourni des services de gardiennage à Klinka-Geo dans les deux établissements que celle-ci exploitait. À la suite des contrôles effectués auprès d’Intellisec, portant sur la TVA, l’administration fiscale hongroise a constaté que celle-ci ne disposait pas de la main-d’œuvre nécessaire à la réalisation des prestations mentionnées sur la facture qu’elle avait émise. En outre, cette administration a jugé non crédibles les factures de sous-traitants qu’Intellisec avait produites en guise d’explication, dès lors que ces derniers n’avaient été en mesure de produire ni pièces comptables ni registre établissant l’existence du personnel et des moyens nécessaires à l’exécution des prestations. Dans ces conditions, ladite administration a considéré que ces factures ne constituaient pas des éléments probants sur lesquels Klinka-Geo pouvait fonder son droit à déduction.

11      La deuxième société, Magyar Beton Gyártó Kft., aurait fourni à la requérante au principal une dalle en béton armé. Le représentant de cette société n’a ni déféré à la convocation à un contrôle a posteriori effectué par l’administration fiscale auprès de ladite société, ni transmis de dossier à cette administration. Celle-ci a considéré que la même société, qui n’avait pas rempli ses obligations fiscales et ne disposait pas des moyens en personnel et en matériel pour effectuer la prestation mentionnée sur la facture adressée à Klinka-Geo, n’avait pas réalisé cette prestation. En outre, le nouveau gérant de la société, entré en fonction après la période au cours de laquelle cette facture avait été établie, a déclaré que celle-ci ne correspondait à aucune prestation réelle réalisée par Magyar Beton Gyártó et a porté plainte à ce sujet.

12      La troisième société, Double Two Kft., active dans le domaine du traitement et de l’élimination des déchets non dangereux, aurait fourni des services de transport à Klinka-Geo. À la suite de contrôles portant sur la TVA afférente à la période allant du 1er janvier 2011 au 31 mars 2013, l’administration fiscale a constaté que, après le deuxième trimestre de l’année 2012, Double Two n’avait plus déposé de déclaration de TVA et qu’un courrier envoyé au siège de cette société lui était revenu avec l’indication « inconnu ». Le droit à déduction de la TVA fondé sur les factures de Double Two a été refusé à Klinka-Geo par l’administration fiscale, en raison de l’absence de documents attestant la réalisation effective des services de transport invoqués et en considération du fait que la personne représentant Double-Two et Klinka-Geo était la même.

13      Dès lors, l’administration fiscale a conclu à une déduction indue de la TVA par la société Klinka-Geo pour la période du mois de décembre 2011. Elle a redressé le montant de la TVA due par cette société et lui a infligé une amende fiscale.

14      Sur un recours formé par Klinka-Geo contre la décision de l’administration fiscale, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), qui est la juridiction de renvoi, a annulé le redressement du montant de la TVA ainsi que l’amende fiscale. Cette juridiction a considéré que cette administration n’avait pas établi l’existence de circonstances objectives justifiant de refuser à Klinka-Geo le droit à déduction de la TVA en amont, et ce compte tenu de la jurisprudence de la Cour. À cet égard, elle s’est référée, entre autres, aux arrêts du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid (C‑80/11 et C‑142/11, EU:C:2012:373), et du 6 septembre 2012, Tóth (C‑324/11, EU:C:2012:549), ainsi qu’aux ordonnances du 3 septembre 2020, Vikingo Fővállalkozó (C‑610/19, EU:C:2020:673), et du 3 septembre 2020, Crewprint (C‑611/19, EU:C:2020:674).

15      La Kúria (Cour suprême, Hongrie) a annulé l’arrêt de la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) et a ordonné à celle-ci de reprendre la procédure afin de rendre une nouvelle décision. Elle a considéré que la juridiction de renvoi avait ignoré les particularités de l’affaire dont elle était saisie, dont les faits étaient différents de ceux des affaires à l’origine des décisions précitées de la Cour. La juridiction de renvoi n’aurait pas accordé l’importance requise au fait que l’administration fiscale avait refusé à Klinka-Geo le droit à déduction de la TVA figurant sur la facture émise par Intellisec, en raison de l’absence de réalisation de la prestation par cette dernière avec ses propres moyens, et, s’agissant du refus de déduction de la TVA figurant sur les factures des deux autres sociétés, en raison de l’absence de réalisation des opérations économiques. La Kúria (Cour suprême) a souligné, à cet égard, que Klinka-Geo n’avait ni apporté ni proposé d’apporter la preuve de la réalisation des opérations économiques mentionnées sur les factures en cause.

16      En vue de la reprise de la procédure, la Kúria (Cour suprême) a ordonné à la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) d’appliquer son avis no 5/2016. (IX. 26.) KMK, qui synthétise sa jurisprudence en vertu de laquelle la vérification du droit à déduction de la TVA obéit à des règles différentes selon que l’opération économique a ou non été réalisée ou a été réalisée, mais pas entre les parties dont les noms figurent sur la facture.

17      Ressaisie de l’affaire, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) nourrit des doutes quant à la compatibilité de la pratique de l’administration fiscale, confirmée par la Kúria (Cour suprême), avec la jurisprudence de la Cour. Elle se demande si les constatations de cette administration permettent de justifier le refus de la déduction de la TVA. Elle s’interroge également sur les obligations qui découlent, pour les juridictions nationales, de la primauté du droit de l’Union, eu égard au fait que, selon son appréciation, la Kúria (Cour suprême) n’a pas appliqué la jurisprudence de la Cour.

18      Dans ces conditions, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Peut-on considérer comme étant conforme à l’article 167, à l’article 168, sous a), et à l’article 178, sous a), de la directive TVA ainsi qu’au droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, consacré en tant que principe général de droit par l’article 47 de la [Charte], considérés en combinaison avec les principes fondamentaux de neutralité fiscale, d’effectivité et de sécurité juridique, une pratique de l’administration fiscale consistant, conformément aux points 1 et 2 de l’avis 5/2016. (IX. 26.) KMK de la juridiction nationale statuant en dernier ressort, à appliquer les règles qui précèdent en faisant une distinction selon laquelle ladite administration, si elle constate que l’opération économique mentionnée sur la facture n’a pas eu lieu, ne vérifie pas si le destinataire de la facture avait ou devait avoir connaissance de l’éludement de la taxe ou de la fraude fiscale, alors que, si elle constate que l’opération économique a bien eu lieu, mais pas entre les parties figurant sur la facture, elle vérifie, en fonction des faits, si le destinataire de la facture avait ou devait avoir connaissance de l’éludement de la taxe ou de la fraude fiscale ?

2)      Peut-on considérer comme étant conforme aux dispositions de la directive TVA et aux principes fondamentaux précités, ainsi qu’à l’obligation qui pèse légalement sur l’administration fiscale d’apporter la preuve de ce qu’elle avance en tenant compte de circonstances objectives, la pratique en vertu de laquelle ladite administration

a)      exige de l’assujetti, comme condition de l’exercice du droit à déduction, en invoquant le fait qu’il n’a pas été fait montre de toute la diligence requise, qu’il vérifie si l’émetteur de la facture n’a pas commis une erreur, de nature à entraîner l’invalidité [du contrat], qui n’a aucun lien de causalité avec le respect de l’obligation de verser la TVA, et donc avec l’exercice du droit à déduction, puisque, en vertu du droit de l’Union et du droit national, l’obligation de paiement de la TVA s’applique également dans le cas des contrats invalides, dès lors qu’un résultat économique peut être démontré,

b)      refuse à l’assujetti, sans vérifier s’il a fait preuve de la diligence requise, le droit à la déduction de la taxe payée en amont au motif qu’elle a constaté, après l’opération économique et en se fondant sur des circonstances propres à l’émetteur de la facture intervenues au cours de la période faisant l’objet du contrôle, que l’opération économique visée par la facture n’a pas eu lieu,

c)      répercute la charge de la preuve infructueuse sur l’assujetti qui a justifié l’opération économique au moyen d’une facture, en invoquant le fait que, pour que soit autorisée la déduction de la TVA, il est nécessaire, outre la facture, que les circonstances dans lesquelles s’est réalisée l’opération économique visée par la facture fassent l’objet d’explications détaillées de la part des assujettis mentionnés sur la facture ainsi que des représentants des sociétés qui ont pris part, d’une manière ou d’une autre, à la réalisation de l’opération économique, eu égard également au principe énoncé par la Cour selon lequel les règles de droit national en matière d’administration de la preuve ne doivent pas porter atteinte à l’application effective du droit de l’Union ?

3)      Eu égard aux règles précitées de la directive TVA, à l’article 47 de la Charte et à la primauté du droit de l’Union, y a-t-il lieu, lorsque l’administration fiscale conclut que l’opération économique n’a pas eu lieu en se référant aux mêmes circonstances que celles qu’elle examine également s’agissant de déterminer ce que savait ou devait savoir l’assujetti, d’appliquer les décisions de la Cour contenant des orientations sur les règles de la directive TVA relatives au droit à déduction et sur les circonstances à apprécier s’agissant de déterminer ce que savait ou devait savoir l’assujetti ?

4)      Faut-il considérer comme constituant une violation de l’article 267 TFUE, du principe de primauté du droit de l’Union, du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit à un procès équitable au sens de l’article 47 de la Charte le fait que la juridiction de l’État membre statuant en dernier ressort

a)      n’applique pas, dans le cadre du pourvoi portant sur le réexamen des décisions ayant pour objet la déduction de la TVA, les décisions de la Cour en matière de déduction de la TVA, ou s’oppose à ce qu’il y soit fait référence dans le cadre de la procédure sur renvoi après cassation, au motif d’une différence dans les circonstances factuelles par rapport à ces décisions de la Cour, en invoquant le fait que lesdites décisions ne contiennent que l’une ou l’autre circonstance seulement par comparaison avec l’ensemble des circonstances énumérées dans la décision faisant l’objet du pourvoi, et en se référant à la distinction effectuée aux points 1 et 2 de l’avis 5/2016. (IX. 26.) KMK de la juridiction statuant en dernier ressort, selon la logique duquel la décision de la Cour rendue en matière de TVA n’a pas vocation à s’appliquer si l’administration fiscale constate que l’opération économique visée par la facture n’a pas eu lieu, et ce en dépit du fait que la requérante, dans sa requête, conteste la légalité de cette constatation,

b)      après avoir déclaré que c’est erronément que les décisions de la Cour ont fait l’objet d’une application dans l’affaire en cause, impose à la juridiction saisie dans le cadre de la procédure sur renvoi après cassation l’obligation de statuer dans la nouvelle procédure en se conformant, en contradiction avec les décisions de la Cour, à la jurisprudence résumée dans l’avis KMK de la Kúria (Cour suprême) – dépourvue de valeur contraignante – qui est suivie depuis l’adoption de cet avis,

c)      dans le cadre d’un pourvoi en cassation, écarte une décision adoptée sur la base d’un arrêt de la Cour rendu dans le cadre d’une procédure préjudicielle et rend une décision en sens contraire sans que la juridiction statuant en dernier ressort ait elle-même introduit une demande de décision préjudicielle, en dépit des contradictions en matière d’interprétation du droit de l’Union constatées dans sa décision ?

5)      Compte tenu de l’effectivité des droits et des principes énumérés au point précédent ainsi que de l’obligation d’écarter le droit national contraire au droit de l’Union, une juridiction appelée à statuer à nouveau, sur renvoi de l’affaire devant elle par la juridiction statuant en dernier ressort, peut-elle, dans le cadre de la procédure sur renvoi après cassation, s’écarter des orientations qui lui ont été fournies par la juridiction statuant en dernier ressort, si elle juge ces orientations contraires au droit de l’Union et que la juridiction statuant en dernier ressort a donné lesdites orientations sans introduire de procédure préjudicielle ou que, après qu’une procédure sur renvoi après cassation a été ordonnée, la Cour, dans une affaire portant sur des faits similaires, a rendu, sur une question de droit identique, une décision contraire à l’interprétation du droit qui sous-tend l’injonction de reprendre la procédure ; ou bien la possibilité de déroger aux injonctions de la juridiction d’un État membre statuant en dernier ressort et d’appliquer la décision rendue ultérieurement par la Cour n’est-elle ouverte que si la juridiction à nouveau saisie engage une procédure préjudicielle dans le cadre du renvoi de l’affaire devant elle après cassation ?

6)      Eu égard au principe de la primauté du droit de l’Union et à l’obligation qui en découle d’écarter le droit national contraire audit droit de l’Union, la réponse aux quatrième et cinquième questions est-elle applicable dans tous les cas d’espèce, quel que soit l’objet du litige, ou seulement dans ceux où c’est le droit à déduction de la TVA qui est en cause ? »

 Sur les questions préjudicielles

19      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire ou lorsqu’une demande ou une requête est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

20      En outre, en vertu de l’article 99 du règlement de procédure, lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à une telle question ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

21      Il y a lieu de faire application de ces dispositions afin de statuer sur les questions préjudicielles dans la présente affaire.

 Sur les première et troisième questions

22      Par ses première et troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que l’administration fiscale refuse la déduction de la TVA grevant une opération économique, sans vérifier si le destinataire de la facture savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude à la TVA, lorsqu’elle constate que ladite opération n’a pas eu lieu.

23      Il convient de rappeler que le droit à déduction de la TVA est subordonné au respect d’exigences ou de conditions tant matérielles que formelles.

24      S’agissant des exigences ou des conditions matérielles, il ressort de l’article 168, sous a), de la directive TVA que, pour pouvoir bénéficier dudit droit, il faut, d’une part, que l’intéressé soit un « assujetti », au sens de ladite directive, et, d’autre part, que les biens ou les services invoqués pour fonder le droit à déduction de la TVA soient utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées et que, en amont, ces biens soient livrés ou ces services soient rendus par un autre assujetti (ordonnance du 9 janvier 2023, A.T.S. 2003, C‑289/22, EU:C:2023:26, point 45).

25      Cette seconde exigence ou condition matérielle à laquelle est subordonné le droit à déduction implique que la livraison de biens ou la prestation de services à laquelle se rapporte la facture ait été effectivement réalisée (ordonnance du 9 janvier 2023, A.T.S. 2003, C‑289/22, EU:C:2023:26, point 46).

26      Par conséquent, le caractère fictif de la livraison de biens ou de la prestation de services suffit à priver le destinataire de la facture qui s’y rapporte du droit d’obtenir la déduction de la TVA.

27      La question de savoir si l’assujetti savait ou aurait dû savoir qu’il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA se pose seulement, le cas échéant, lorsque toutes les conditions matérielles et formelles du droit à déduction sont réunies.

28      Si tel est le cas, le bénéfice du droit à déduction ne peut être refusé à l’assujetti que s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que l’assujetti a lui-même commis une fraude à la TVA ou qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il participait à une opération impliquée dans une telle fraude commise par le fournisseur ou un autre opérateur intervenant en amont ou en aval dans la chaîne des livraisons ou des prestations (voir, en ce sens, ordonnance du 9 janvier 2023, A.T.S. 2003, C‑289/22, EU:C:2023:26, points 51 et 52).

29      Il y donc lieu de répondre aux première et troisième questions que la directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale refuse la déduction de la TVA grevant une opération économique sans vérifier si le destinataire de la facture savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude à la TVA, lorsqu’elle constate que cette opération n’a pas eu lieu.

 Sur la deuxième question

30      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les circonstances relevées, en l’occurrence, par l’administration fiscale sont susceptibles de justifier le refus de la déduction de la TVA opposé à la requérante au principal.

31      Il convient de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour, saisie dans le cadre de l’article 267 TFUE, de qualifier les faits du litige au principal, une telle qualification relevant de la seule compétence du juge national. Le rôle de la Cour se limite à fournir à ce dernier une interprétation du droit de l’Union utile pour la décision qu’il lui revient de prendre dans le litige dont il est saisi [arrêts du 13 octobre 2005, Parking Brixen, C‑458/03, EU:C:2005:605, point 32 ; du 21 mai 2015, Kansaneläkelaitos, C‑269/14, EU:C:2015:329, point 25, et du 2 juillet 2020, Blackrock Investment Management (UK), C‑231/19, EU:C:2020:513, point 25].

32      En effet, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, la Cour n’est pas compétente pour appliquer les règles du droit de l’Union à une situation déterminée, l’article 267 TFUE habilitant seulement la Cour à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union européenne (arrêt du 16 juin 2022, DuoDecad, C‑596/20, EU:C:2022:474, point 37 et jurisprudence citée).

33      Il est rappelé, à cet égard, aux points 8 et 11 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO C, C/2024/6008), libellés, en substance, en des termes identiques à ceux des points 8 et 11 des mêmes recommandations publiées en 2019 (JO 2019, C 380, p. 1), que la demande de décision préjudicielle ne peut porter sur des questions de fait soulevées dans le cadre du litige au principal et que la Cour n’applique pas, elle-même, le droit de l’Union à ce litige (arrêt du 16 juin 2022, DuoDecad, C‑596/20, EU:C:2022:474, point 38).

34      Il résulte de ce qui précède que la Cour est manifestement incompétente pour répondre à la deuxième question préjudicielle, dès lors que, par cette question, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’apprécier les circonstances du litige dont elle est saisie au regard du droit à déduction de la TVA.

 Sur la quatrième question

35      Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le fait pour la juridiction nationale statuant en dernier ressort de décider, dans certaines circonstances, de ne pas appliquer une décision de la Cour sans pour autant lui adresser une question préjudicielle constitue une violation de l’article 267 TFUE, du principe de primauté du droit de l’Union, du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit à un procès équitable.

36      Selon la jurisprudence de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige. Comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie. En effet, la mission de la Cour, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, est d’assister la juridiction de renvoi dans la solution du litige concret pendant devant elle. Dans le cadre d’une telle procédure, il doit ainsi exister entre ledit litige et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée un lien de rattachement tel que cette interprétation réponde à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit prendre (ordonnance du 4 octobre 2024, Shkotareva, C‑255/24, EU:C:2024:878, point 25 et jurisprudence citée).

37      En l’occurrence, une réponse à la quatrième question, qui porte sur l’obligation, pour une juridiction nationale dont les décisions sont insusceptibles de recours en droit interne, de saisir la Cour d’une demande préjudicielle n’est manifestement pas nécessaire pour permettre à la juridiction de renvoi, qui n’est pas elle-même une telle juridiction, de trancher le litige au principal.

38      Eu égard à ce qui précède, la quatrième question préjudicielle est manifestement irrecevable.

 Sur la cinquième question

39      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe de primauté du droit de l’Union et l’article 267 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’une juridiction nationale statuant dans le cadre d’une procédure sur renvoi après cassation, qui lui impose, en vertu du droit national, de suivre les orientations de la décision de renvoi, peut néanmoins écarter ces orientations si elle les estime contraires au droit de l’Union, sans être tenue d’adresser au préalable une question préjudicielle à la Cour.

40      La réponse à cette question peut être clairement déduite de la jurisprudence de la Cour.

41      Selon une jurisprudence constante, le principe de primauté du droit de l’Union impose à toutes les instances des États membres, donc également à leurs juridictions, de donner leur plein effet aux différentes normes de l’Union, en écartant au besoin les normes de droit national qui n’y sont pas conformes (voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 1989, Costanzo, 103/88, EU:C:1989:256, points 30 et 31, ainsi que du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C‑511/18, C‑512/18 et C‑520/18, EU:C:2020:791, point 214).

42      Ce principe oblige notamment le juge national, ayant exercé la faculté que lui confère l’article 267 TFUE, d’écarter les appréciations en droit d’une juridiction nationale supérieure, s’il estime, eu égard à l’interprétation d’une disposition de droit de l’Union fournie par la Cour, que ces appréciations ne sont pas conformes à ce droit (arrêt du 11 janvier 2024, Global Ink Trade, C‑537/22, EU:C:2024:6, point 30 et dispositif).

43      Cette obligation pèse également sur le juge national qui n’a pas exercé la faculté que lui confère l’article 267 TFUE. En effet, lorsque la jurisprudence de la Cour a déjà apporté une réponse claire à une question portant sur l’interprétation du droit de l’Union, ledit juge national doit faire tout le nécessaire pour que cette interprétation soit mise en œuvre (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2022, Grossmania, C‑177/20, EU:C:2022:175, point 42 et jurisprudence citée).

44      La circonstance que le juge national statue dans le cadre d’une procédure sur renvoi après cassation et doive, en vertu du droit national, suivre les orientations de la décision de renvoi n’est pas de nature à remettre en cause l’obligation pour ce juge d’écarter les appréciations d’une juridiction nationale supérieure, si celles-ci sont contraires à une jurisprudence claire de la Cour. En effet, une solution différente serait incompatible avec le principe de primauté du droit de l’Union.

45      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la cinquième question que le principe de primauté du droit de l’Union et l’article 267 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’une juridiction nationale statuant dans le cadre d’une procédure sur renvoi après cassation, qui lui impose, en vertu du droit national, de suivre les orientations de la décision de renvoi, a néanmoins l’obligation d’écarter ces orientations si elle les estime, au vu d’une jurisprudence claire de la Cour, contraires au droit de l’Union, sans pour cela être tenue d’adresser au préalable une question préjudicielle à la Cour.

 Sur la sixième question

46      Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la réponse donnée aux quatrième et cinquième questions vaut dans tout litige, quel qu’en soit l’objet, ou seulement dans les affaires relatives au droit à déduction de la TVA.

47      Il convient de rappeler que la justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un contentieux [arrêt du 25 juin 2020, Ministerio Fiscal (Autorité susceptible de recevoir une demande de protection internationale), C‑36/20 PPU, EU:C:2020:495, point 48 et jurisprudence citée].

48      Or, il ne ressort pas de la demande de décision préjudicielle que la sixième question serait utile pour la solution du litige au principal, comme l’observe à juste titre la Commission européenne. Elle est donc manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

49      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne :

1)      La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce que l’administration fiscale refuse la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) grevant une opération économique sans vérifier si le destinataire de la facture savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude à la TVA, lorsqu’elle constate que cette opération n’a pas eu lieu.

2)      La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre à la deuxième question préjudicielle posée par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie).

3)      La demande de décision préjudicielle introduite par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), par décision du 4 juin 2024, est manifestement irrecevable en ce qui concerne les quatrième et sixième questions posées par cette juridiction.

4)      Le principe de primauté du droit de l’Union et l’article 267 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’une juridiction nationale statuant dans le cadre d’une procédure sur renvoi après cassation, qui lui impose, en vertu du droit national, de suivre les orientations de la décision de renvoi, a néanmoins l’obligation d’écarter ces orientations si elle les estime, au vu d’une jurisprudence claire de la Cour, contraires au droit de l’Union, sans pour cela être tenue d’adresser au préalable une question préjudicielle à la Cour.

Signatures


*      Langue de procédure : le hongrois.

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