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Document 61999TJ0082

Sentencia del Tribunal de Primera Instancia (Sala Cuarta) de 14 de julio de 2000.
Michael Cwik contra Comisión de las Comunidades Europeas.
Funcionarios - Autorización de publicación - Artículo 17, párrafo segundo, del Estatuto - Intereses de las Comunidades - Error manifiesto de apreciación.
Asunto T-82/99.

European Court Reports – Staff Cases 2000 I-A-00155; II-00713

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2000:193

61999A0082

Arrêt du Tribunal de première instance (quatrième chambre) du 14 juillet 2000. - Michael Cwik contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Autorisation de publication - Article 17, second alinéa, du statut - Intérêts des Communautés - Erreur manifeste d'appréciation. - Affaire T-82/99.

Recueil de jurisprudence - fonction publique 2000 page IA-00155
page II-00713


Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Parties


Dans l'affaire T-82/99,

Michael Cwik, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Tervuren (Belgique), représenté par Me N. Lhoëst, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Becker et Cahen, 3, rue des Foyers,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Currall, conseiller juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission du 10 juillet 1998 refusant au requérant l'autorisation de publier le texte de la conférence qu'il a donnée le 30 octobre 1997,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

(quatrième chambre),

composé de Mme V. Tiili, président, MM. R. M. Moura Ramos et P. Mengozzi, juges,

greffier: M. G. Herzig, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 8 mars 2000,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


Cadre juridique

1 L'article 17, second alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») prévoit: «Le fonctionnaire ne doit ni publier ni faire publier, seul ou en collaboration, un texte quelconque dont l'objet se rattache à l'activité des Communautés sans l'autorisation de l'autorité investie du pouvoir de nomination. Cette autorisation ne peut être refusée que si la publication envisagée est de nature à mettre en jeu les intérêts des Communautés.»

2 En outre, l'article 25, deuxième alinéa, du statut dispose: «Toute décision individuelle prise en application du présent statut doit être communiquée par écrit, sans délai, au fonctionnaire intéressé. Toute décision faisant grief doit être motivée.»

Faits à l'origine du litige

3 Le requérant, économiste de formation, est entré au service de la Commission en 1970. Lors de l'introduction du recours, il était affecté à l'unité 5 «Information, publications et documentation économique», directement rattachée au directeur général adjoint chargé des directions B, C et E, de la direction générale «Affaires économiques et financières» (DG II). Sa fonction consistait à accueillir des groupes de visiteurs et à donner des conférences sur l'euro, sur l'Union économique et monétaire et sur l'ensemble des activités et programmes relevant de cette direction générale.

4 Par lettre du 12 mars 1997, le requérant a été invité par le gouvernement de la province de Cordoue (Espagne) à donner une conférence dans le cadre du 5e Congrès international de culture économique.

5 Le 20 octobre 1997, le requérant a introduit une demande auprès de son supérieur hiérarchique, M. G. Ravasio, afin d'obtenir l'autorisation de donner cette conférence le 30 octobre suivant. La demande indiquait que ladite conférence aurait comme titre «The need for economic fine-tuning at the local and regional level in the Monetary Union of the European Union» («La nécessité d'une modulation des politiques économiques aux niveaux local et régional au sein de l'Union monétaire de l'Union européenne»). Il a joint à sa demande un résumé et un plan détaillé de son intervention avec une annexe.

6 Le 26 octobre 1997, M. Ravasio a donné son autorisation en précisant cependant: «Ceci n'est pas très économique. Présentation plus classique SVP. Attention aux risques `fine-tuning'.»

7 Le 27 octobre 1997, le requérant a obtenu un ordre de mission sans frais pour se rendre à Cordoue du 29 octobre au 2 novembre 1997 et, le 30 octobre 1997, il a donné sa conférence.

8 En février 1998, les organisateurs du congrès lui ont demandé de leur communiquer le texte de son intervention en vue de le publier avec ceux des autres intervenants.

9 Le requérant a alors rédigé ledit texte et a demandé à M. Ravasio, en sa qualité d'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN»), l'autorisation de le publier, conformément à l'article 17, second alinéa, du statut.

10 M. Ravasio a recueilli l'avis de M. Östberg, économiste détaché auprès de la DG II par la Banque centrale de Suède, sur l'opportunité de cette publication.

11 M. Östberg a émis un avis très critique sur le texte en cause, mais avant de le transmettre à M. Ravasio, il a soumis cet avis à ses supérieurs hiérarchiques M. Kröger, chef de l'unité 3 «Union monétaire: relations de change et politiques monétaires internes», de la direction D «Affaires monétaires», de la DG II, et M. H. Carré, directeur de cette direction. Le premier a paraphé l'avis sans ajouter aucun commentaire et le second a écrit que «la publication du texte incriminé serait inopportune». De son côté, M. Ravasio a consulté aussi M. Schutz, chef de l'unité «Ressources budgétaires; information et documentation économique; relations avec le Parlement européen, le Comité économique et social et le Comité des régions», directement rattachée au directeur général de la DG II, qui a paraphé le texte litigieux sans aucun commentaire.

12 Au vu des ces éléments, M. Ravasio a indiqué au requérant le 20 avril 1998 que «la publication [était] inopportune».

13 Le 5 juin 1998, le requérant a soumis pour approbation à M. Ravasio une nouvelle version du texte, modifié sur la base des critiques exprimées par M. Östberg. M. Ravasio a demandé à M. Schmidt, directeur de la direction B «Service économique», de la DG II, chargée notamment de l'évaluation de l'impact économique des politiques communautaires, de lui faire connaître son avis sur le contenu du texte remanié. M. Schmidt a formulé certaines critiques et a conclu: «DG II has so far had a very prudent, almost negative, position towards the usefulness of discretionary fiscal policy. This article seems to advocate its full use referring to fine-tuning.» («La DG II a jusqu'à présent adopté une position très prudente, presque négative, à l'égard de l'utilité d'une politique fiscale discrétionnaire. Cet article semble défendre la mise en oeuvre d'une telle politique en se référant aux politiques économiques territorialement différenciées [au sein de l'Union monétaire].»

14 De sa propre initiative, le requérant a communiqué la seconde version du texte à M. Östberg en lui demandant s'il maintenait les objections qu'il avait exprimées à l'égard de la première version, mais celui-ci a refusé de l'examiner au motif qu'il ne pouvait pas donner son opinion sans avoir reçu d'instructions spécifiques de la part de M. Ravasio.

15 Par lettre du 10 juillet 1998, M. Ravasio a informé le requérant de son refus d'autoriser la publication du texte litigieux, au motif «qu'il présent[ait] un point de vue qui n'est pas celui des services de la Commission, même si cette dernière n'a pas adopté une politique officielle à ce sujet». Il ajoutait:

«Je reconnais l'importance d'avoir des débats internes qui reflètent les différentes options des politiques économiques. Néanmoins, lorsque nous sortons à l'extérieur il serait souhaitable de présenter un point de vue commun [...]

Je crains que les intérêts de la Communauté pourraient être mis en jeu lorsque la Commission et ses fonctionnaires manifestent des points de vue différents. D'autre part, mes collaborateurs, qui ont lu votre article, ont des doutes sur sa qualité. Pour ces raisons, je n'autorise pas la publication.»

16 Le 25 août 1998, le requérant a introduit une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut à l'encontre de cette décision.

17 Par décision du 5 janvier 1999, cette réclamation a été rejetée.

Procédure et conclusions des parties

18 Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 12 avril 1999, le requérant a introduit le présent recours.

19 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, la défenderesse a été invitée à répondre par écrit à certaines questions avant l'audience.

20 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 8 mars 2000.

21 Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la décision de la Commission du 5 janvier 1999 rejetant sa réclamation à l'égard de la décision refusant l'autorisation de publier le texte de la conférence qu'il a donnée à Cordoue le 30 octobre 1997;

- dire pour droit que sa demande tendant à obtenir l'autorisation de publier ce texte est recevable et fondée;

- condamner la défenderesse aux dépens de l'instance.

22 La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours;

- statuer comme de droit sur les dépens.

En droit

23 Bien que les conclusions du requérant visent également à l'annulation de la décision de la Commission du 5 janvier 1999 rejetant la réclamation introduite le 25 août 1998, au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut, contre la décision de l'AIPN du 10 juillet 1998, le présent recours a pour effet, conformément à une jurisprudence constante, de saisir le Tribunal de l'acte faisant grief contre lequel la réclamation a été présentée (voir, notamment, arrêts du Tribunal du 9 juillet 1997, Echauz Brigaldi e.a./Commission, T-156/95, RecFP p. I-A-171 et II-509, point 23, et du 15 décembre 1999, Latino/Commission, T-300/97, RecFP p. II-1263, point 30). Il en résulte que le présent recours tend à l'annulation de la décision de la Commission du 10 juillet 1998 refusant au requérant l'autorisation de publier le texte de la conférence qu'il a donnée à Cordoue le 30 octobre 1997 (ci-après la «décision attaquée»).

24 C'est également en ce sens que doit être interprété le deuxième chef des conclusions du requérant visant à ce qu'il plaise au Tribunal de dire pour droit que sa demande tendant à obtenir l'autorisation de publier ce texte est recevable et fondée. À supposer néanmoins que cette dernière demande doive être interprétée dans un sens littéral, il convient de rappeler que, dans le cadre d'un recours en annulation, des demandes tendant uniquement à ce que soient constatés des points de fait ou droit ne peuvent, par elles-mêmes, constituer des demandes valables (arrêt du Tribunal du 11 juillet 1996, Bernardi/Parlement, T-146/95, Rec. p. II-769, point 23, confirmé par ordonnance de la Cour du 6 mars 1997, Bernardi/Parlement, C-303/96 P, Rec. p. I-1239, point 45).

25 À l'appui de ses conclusions le requérant invoque trois moyens, tirés, premièrement, de la violation de l'article 17, second alinéa, du statut, de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation et d'un abus de pouvoir, deuxièmement, d'une violation du principe de protection de la confiance légitime et, troisièmement, de la violation du devoir de sollicitude. Il convient d'examiner le premier moyen.

Arguments des parties

26 Le requérant invoque une erreur de droit commise par la Commission dans son interprétation de l'article 17, second alinéa, du statut. S'appuyant sur l'arrêt du Tribunal du 19 mai 1999, Connolly/Commission (T-34/96 et T-163/96, RecFP p. I-A-87 et II-463), il fait valoir que tout fonctionnaire bénéficie de la liberté d'expression dans le cadre de ses obligations statutaires et que l'article 17, second alinéa, du statut protège cette liberté. Dans la mesure où cette disposition prévoirait une exception à la liberté d'expression, les conditions permettant de refuser la publication devraient être interprétées de manière restrictive.

27 Le requérant soutient que, en refusant la publication de son texte au motif qu'une telle publication réduirait la marge de manoeuvre de l'institution, la Commission a, d'une part, commis une erreur manifeste d'appréciation, en violation de l'article 17, second alinéa, du statut, et, d'autre part, abusé du pouvoir d'appréciation que lui confère cette disposition.

28 Il conteste que la publication du texte litigieux entraîne un risque d'atteinte ou de limitation de la marge de manoeuvre de la Commission. Il souligne que son texte exprime une thèse en vue de renforcer l'efficacité de l'Union économique et monétaire, dans le cadre d'un débat académique sur les conséquences de cette union. Selon lui, il ne critique nullement la politique de la Commission, ni ne va à l'encontre d'une position officielle de cette institution, cette dernière reconnaissant, en plus, n'avoir adopté aucune position en la matière.

29 En outre, la Commission aurait manqué d'expliquer en quoi sa marge de manoeuvre serait ainsi limitée alors que le requérant s'exprime en son nom personnel, qu'il avait déjà été autorisé à développer sa thèse au cours d'une conférence et qu'il n'existe aucune divergence ou contradiction entre, d'une part, le contenu du résumé et du plan détaillé soumis à son supérieur hiérarchique en vue d'obtenir l'autorisation de donner ladite conférence et, d'autre part, celui du texte destiné à être publié.

30 Le requérant relève, notamment, que, dans le plan détaillé et dans le résumé de la conférence, il a très clairement indiqué à son supérieur hiérarchique qu'il voulait développer la thèse en faveur de politiques économiques territorialement différenciées (le «fine-tuning») aux niveaux local et régional. Cette thèse correspondrait également en tous points à celle exposée dans le texte litigieux.

31 Le requérant soutient encore que la qualité de son texte ne peut pas être mise en cause et que, dans sa décision du 5 janvier 1999, la Commission ne soulève absolument pas un manque de qualité dudit texte pour justifier le rejet de la réclamation.

32 La défenderesse s'oppose à l'interprétation par le requérant de l'article 17, second alinéa, du statut en soutenant que cette disposition doit être lue à la lumière du point 152 de l'arrêt Connolly/Commission, précité, et se fonde sur ce point pour contester qu'elle pratique la censure.

33 D'après la défenderesse, si l'article 17, second alinéa, du statut comporte une présomption en faveur de la publication, cette présomption ne joue plus lorsque la publication est de nature à mettre en jeu les intérêts de la Communauté.

34 Ainsi, ce qui serait décisif pour l'application de ladite disposition serait l'appréciation par l'AIPN de la question de savoir si les intérêts de la Communauté peuvent être mis en jeu, appréciation dans laquelle l'AIPN disposerait nécessairement d'un large pouvoir et qui serait soumise au contrôle juridictionnel seulement en cas d'erreur manifeste (comme une position irrationnelle ou la déformation d'un fait essentiel) ou de détournement de pouvoir.

35 La défenderesse fait valoir que, en l'espèce, l'intérêt à protéger est celui de ne pas réduire sa marge d'appréciation au sujet du «territorial fine-tuning» par des opinions de ses fonctionnaires risquant d'être mal interprétées ou d'être attribuées à l'institution.

36 À cet égard, la défenderesse conteste, en premier lieu, la prémisse du requérant selon laquelle la publication doit être autorisée dès lors qu'il n'est pas allégué que le texte en cause critique la politique de l'institution. En effet, le refus de l'autorisation de publication pourrait être aussi fondé sur d'autres motifs, comme la possibilité pour la Commission de garder sa neutralité sur certains sujets. Cela serait particulièrement le cas lorsqu'il s'agit d'un aspect d'une politique toujours en évolution, comme l'Union économique et monétaire, laquelle, de 1997 jusqu'à maintenant, aurait continué à faire l'objet de vives discussions.

37 En deuxième lieu, la défenderesse rappelle que l'expression «fine-tuning» a acquis la signification d'une politique fiscale volontariste et interventionniste à mettre en oeuvre sur le plan local ou régional pour répondre aux besoins de différenciation spécifiquement locaux perçus par les partisans de cette politique. Celle-ci trouverait une justification particulière dans la prévention des chocs économiques sur certaines régions, étant donné que, dans le nouveau régime de la monnaie unique, un des facteurs permettant d'amortir ces chocs, à savoir la fluctuation des taux de change, est éliminé.

38 La défenderesse souligne que cette problématique va au-delà d'un simple débat d'économistes et concerne également l'organisation administrative et constitutionnelle des États. Les institutions de la Communauté, et plus particulièrement la Commission, se seraient abstenues de prendre position sur ces points, estimant qu'ils relèvent du pouvoir d'organisation interne des États membres.

39 La défenderesse considère que l'objectif principal en termes de politique fiscale est de poursuivre la consolidation fiscale, ce qui exclut que le «fine-tuning» puisse être une option importante de sa politique. En effet, elle doute de l'utilité de ce type de mesure en tant que composante majeure de la politique économique, du moins en dehors d'hypothèses exceptionnelles.

40 En troisième lieu, la défenderesse soutient qu'il y avait un risque de confusion entre les opinions exprimées par le requérant et les siennes, alors qu'elle avait voulu rester neutre sur la question abordée dans la conférence. En l'espèce, la Commission n'ayant pas encore pris une position officielle, toute expression d'opinion de la part d'un de ses fonctionnaires pourrait être comprise comme ayant un caractère officiel.

41 En effet, la note de bas de page selon laquelle le requérant prétend exprimer un point de vue personnel serait une précision habituelle et de pure forme qui n'aurait qu'une valeur très limitée. En outre, le requérant serait chargé au sein de la DG II de la communication, de sorte que donner des conférences ferait partie de sa fonction. Dans ces conditions, il serait presque inévitable que le requérant soit perçu, quelles que soient les précautions dont il s'entoure, comme un porte-parole autorisé exprimant une position officielle.

42 Cette analyse serait démontrée par l'article consacré à la conférence en cause, paru dans la presse locale, dont le titre annoncerait le rôle essentiel que le requérant attribue aux collectivités locales pour l'avenir de l'Union et qui présenterait celui-ci comme l'«économiste de la Commission européenne». Certes, dans le corps de l'article, le journaliste noterait que l'intervenant exprime une opinion «très personnelle», mais il ajouterait que cette opinion est le résultat de 30 ans de travail à la Commission.

43 En quatrième lieu, la défenderesse souligne la différence existant entre une intervention à un congrès et une publication. La première serait fugitive alors que la dernière aurait un caractère durable et serait, de ce fait, en mesure d'atteindre un public autrement plus vaste. C'est cette différence fondamentale entre les deux types d'expression qui ferait qu'il serait inconcevable que le pouvoir d'appréciation de l'AIPN soit réduit au seul motif qu'elle aurait autorisé une intervention orale sur le sujet traité par le texte à publier.

44 Elle fait valoir que le requérant n'est pas fondé à soutenir que le résumé et le plan détaillé de la conférence exposent la même thèse que le texte litigieux. Dans le résumé et le plan, le requérant se serait limité à poser des questions, alors que, dans le texte litigieux, il développerait sa thèse de manière affirmative. La défenderesse ne conteste pas qu'il y a de nombreux points communs entre le plan détaillé et le texte en cause, mais elle considère que ces ressemblances ne font pas disparaître les divergences, qui demeurent très importantes. En tout état de cause, même à supposer que le texte et le plan détaillé de la conférence soient identiques quant au fond, le fait d'avoir autorisé le requérant à donner cette conférence au vu dudit plan ne signifierait nullement que l'AIPN a commis une erreur manifeste en refusant l'autorisation de la publication du texte parce que les deux situations seraient différentes.

45 En ce qui concerne la qualité du texte, mise en cause par M. Ravasio dans la décision attaquée, la défenderesse déclare s'abstenir d'aborder cette question et confirme que la réponse à la réclamation ne se fonde pas sur un tel motif mais sur l'appréciation des intérêts de l'institution.

46 À l'audience, la défenderesse a encore souligné que les motifs de la décision attaquée doivent être analysés dans le contexte de l'époque, correspondant à une phase délicate pour la mise en place de l'Union monétaire, où celle-ci était contestée et où il était raisonnable de penser qu'il existait un risque d'assimilation entre l'opinion du requérant, comme fonctionnaire de la Commission, et celle de l'institution elle-même.

Appréciation du Tribunal

47 Dans le cadre du présent moyen, le requérant fait valoir, notamment, que, en lui refusant l'autorisation de publier le texte litigieux, l'AIPN a fait une interprétation et une application erronées de l'article 17, second alinéa, du statut.

48 Cette disposition prévoit:

«Le fonctionnaire ne doit ni publier ni faire publier, seul ou en collaboration, un texte quelconque dont l'objet se rattache à l'activité des Communautés sans l'autorisation de l'[AIPN]. Cette autorisation ne peut être refusée que si la publication envisagée est de nature à mettre en jeu les intérêts des Communautés.»

49 Si cette disposition subordonne l'exercice de la liberté d'expression des fonctionnaires communautaires, concernant la publication de textes se rattachant à l'activité des Communautés, à une autorisation de l'AIPN, elle établit néanmoins qu'une telle autorisation ne saurait être refusée que dans le cas où une telle publication serait de nature à mettre en jeu les intérêts des Communautés.

50 À cet égard, il convient de rappeler que la liberté d'expression, consacrée à l'article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, fait partie des droits fondamentaux qui, selon une jurisprudence constante, réaffirmée par le préambule de l'Acte unique européen et par l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne (devenu, après modification, article 6, paragraphe 2, UE), sont protégés dans l'ordre juridique communautaire et dont jouissent, en particulier, les fonctionnaires communautaires (arrêts de la Cour du 13 décembre 1989, Oyowe et Traore/Commission, C-100/88, Rec. p. 4285, point 16, du 8 juillet 1999, Montecatini/Commission, C-235/92 P, Rec. p. I-4539, point 137, et du Tribunal du 17 février 1998, E/CES, T-183/96, RecFP p. I-A-67 et II-159, point 41).

51 Néanmoins, il résulte également d'une jurisprudence constante que les droits fondamentaux ne constituent pas des prérogatives absolues, mais peuvent comporter des restrictions, à condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable dans une société démocratique, qui porterait atteinte à la substance même des droits protégés (voir arrêts de la Cour du 5 octobre 1994, X/Commission, C-404/92 P, Rec. p. I-4737, point 18, et du Tribunal du 15 mai 1997, N/Commission, T-273/94, RecFP p. I-A-97 et II-289, point 73).

52 Examiné à la lumière de ces principes, l'article 17, second alinéa, du statut exprime l'idée de la nécessité permanente d'un juste équilibre entre la garantie de l'exercice d'un droit fondamental et la protection d'un objectif légitime d'intérêt général. Cet objectif peut ainsi justifier une restriction à l'exercice d'un tel droit seulement si les circonstances concrètes l'exigent et dans la mesure du nécessaire. D'après cette disposition, d'une part, le fonctionnaire est soumis à l'obligation de demander l'autorisation pour publier un article, mais, d'autre part, cette obligation est circonscrite aux articles qui se rattachent à l'activité des Communautés, et l'autorisation ne peut être refusée que «si la publication envisagée est de nature à mettre en jeu les intérêts des Communautés».

53 En l'espèce, pour déterminer si la décision attaquée a été prise dans le respect des règles applicables, il convient, tout d'abord, de déterminer si la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant l'autorisation de la publication du texte litigieux au motif que celle-ci était de nature à mettre en jeu les intérêts des Communautés.

54 À cet égard, il y a lieu de relever que, pour l'essentiel, le refus d'autorisation de la publication du texte litigieux est fondé sur les motifs examinés ci-après.

55 En premier lieu, dans le texte même de la décision attaquée, il est exposé:

«[Le texte litigieux] présente un point de vue qui n'est pas celui des services de la Commission, même si cette dernière n'a pas adopté une politique officielle à ce sujet.

Je reconnais l'importance d'avoir des débats internes qui reflètent les différentes options des politiques économiques. Néanmoins, lorsque nous sortons à l'extérieur il serait souhaitable de présenter un point de vue commun [...]

Je crains que les intérêts de la Communauté pourraient être mis en jeu lorsque la Commission et ses fonctionnaires manifestent des points de vue différents.»

56 Il y a lieu de constater que, dans la décision attaquée, l'AIPN se limite à déclarer que les intérêts des Communautés pourraient être mis en jeu lorsque la Commission et ses fonctionnaires expriment publiquement des points de vue différents. Cette décision n'explique pas pourquoi, dans le cas d'espèce, ce danger existerait.

57 Or, dans une société démocratique fondée sur le respect des droits fondamentaux, l'expression publique, par un fonctionnaire, de points de vue différents de ceux de l'institution pour laquelle il travaille ne peut pas, en soi, être considérée comme étant de nature à mettre en danger les intérêts des Communautés.

58 À l'évidence, l'utilité de la liberté d'expression est justement la possibilité d'exprimer des opinions différentes de celles retenues au niveau officiel. Admettre que la liberté d'expression puisse être limitée au seul motif que l'opinion en cause diffère de la position retenue par les institutions reviendrait à priver ce droit fondamental de son objet.

59 De la même manière, l'article 17, second alinéa, du statut serait privé d'effet, puisque, tel qu'il résulte de son libellé, cette disposition établit clairement le principe d'octroi de l'autorisation de publication en disposant expressément qu'une telle autorisation ne peut être refusée que si la publication en cause est de nature à mettre en jeu les intérêts des Communautés.

60 Par conséquent, la différence d'opinion entre le requérant et la Commission, dans la mesure où il n'est pas démontré que le fait de la rendre publique serait de nature à mettre en jeu, dans les circonstances de l'espèce, les intérêts des Communautés, ne peut pas justifier une restriction à l'exercice de la liberté d'expression.

61 En second lieu, conformément aux règles applicables, la motivation du refus d'autorisation de publication a été complétée par la décision de rejet de la réclamation (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 12 février 1992, Volger/Parlement, T-52/90, Rec. p. II-121, point 36).

62 Dans cette décision, la Commission affirme:

«[...] les éventuels conflits d'intérêt entre le fonctionnaire et son institution concernant une publication ne se limitent pas à l'hypothèse d'une opposition publique à une politique de l'institution, l'intérêt de celle-ci pouvant résider dans le maintien d'un maximum de marge de manoeuvre avant d'arrêter une position définitive. Il est clair que le fait que le réclamant s'exprime nettement et par écrit sur la question [de savoir si l'Union économique et monétaire nécessite ou non une modulation territoriale des politiques salariales ou fiscales (le `fine-tuning')] revient justement à compromettre le maintien de cette marge de manoeuvre; même s'il devait présenter son opinion comme étant purement personnelle, l'on ne saurait exclure que le lecteur, malgré cette réserve, rapproche l'avis du fonctionnaire travaillant dans ce secteur à celui de son institution, à défaut précisément d'une opinion de celle-ci.»

63 En outre, en ce qui concerne l'argument du requérant, présenté dans sa réclamation, selon lequel la décision attaquée serait injustifiée du fait que l'AIPN l'avait autorisé à donner la conférence dont le contenu est repris dans le texte litigieux, la Commission, dans la décision portant rejet de la réclamation, déclare:

«[...E]n aucun cas, un résumé d'une page ne peut être assimilé à un article de plus de 20 pages. L'autorisation sur la base du premier ne peut certainement pas emporter autorisation du second. Et ce principe est d'autant plus vrai dans le cas de l'espèce que des divergences importantes sont à relever entre le résumé de la conférence et le texte de l'article.»

64 Il y a lieu de constater que, dans la réponse à la réclamation, l'AIPN ajoute comme motif de sa décision la réduction de la marge de manoeuvre de la Commission sur le «fine-tuning» qui découlerait du danger de confusion entre l'opinion du requérant et celle de l'institution.

65 Ce raisonnement ne saurait être accueilli.

66 En effet, il résulte du dossier que, à l'époque des faits, la Commission s'était déjà exprimée publiquement et clairement sur le «fine-tuning», à travers, notamment, des documents officiels, et que, du moins en dehors d'hypothèses exceptionnelles, elle doutait de l'utilité de ce type de mesure et du recours, déjà au niveau des États membres, à des politiques budgétaires discrétionnaires. En outre, le texte litigieux a été écrit par un fonctionnaire qui n'exerce aucune responsabilité de direction et qui s'exprime à titre individuel. De plus, ce texte concerne une matière sur laquelle la Commission prétend ne pas avoir de politique officielle. Par ailleurs, sa publication étant prévue dans le recueil des interventions faites au congrès en cause, il s'adresse à un public constitué par des spécialistes en la matière, qui ont vraisemblablement la possibilité d'être bien informés des positions de la Commission.

67 Dans ces circonstances, la thèse de la défenderesse, qui soutient que la publication du texte litigieux pourrait entraîner un risque significatif de confusion de la part du public entre l'opinion du requérant et celle de l'institution, pouvant réduire la marge de manoeuvre de celle-ci en la matière et, ainsi, mettre en jeu les intérêts des Communautés, n'est manifestement pas fondée.

68 Par ailleurs, même s'il peut exister une différence de portée entre une conférence et la publication du texte de celle-ci, une telle différence ne suffirait pas, dans les circonstances de l'espèce, à fonder la crainte de la diminution de la marge de manoeuvre de la Commission. À cet égard, il suffit de rappeler, outre les éléments déjà mentionnés (voir ci-dessus point 66), que le texte litigieux expose la même thèse que celle présentée par le requérant lors de la conférence, qui avait déjà comme titre «La nécessité d'une modulation des politiques économiques aux niveaux local et régional au sein de l'Union monétaire de l'Union européenne» («The need for local and regional economic fine-tuning in the monetary union of the European Union»). En outre, le fait qu'une telle conférence a été autorisée par l'AIPN confirme l'absence de risque de confusion entre l'opinion du requérant et celle de la Commission. Dans ces circonstances, la défenderesse ne saurait être fondée à soutenir qu'elle avait une crainte raisonnable de voir sa marge de manoeuvre réduite par la publication du texte en cause.

69 Il résulte de tout ce qui précède que la défenderesse a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant l'autorisation de la publication du texte litigieux au motif qu'elle était de nature à mettre en jeu les intérêts des Communautés.

70 Dans cette mesure, le premier moyen du requérant, en ce qu'il invoque l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation, doit être accueilli.

71 Il y a donc lieu d'annuler la décision attaquée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens et arguments avancés par le requérant.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

72 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La défenderesse ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Dispositif


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL

(quatrième chambre)

déclare et arrête:

73 La décision de la Commission du 10 juillet 1998, refusant au requérant l'autorisation de publier le texte de la conférence qu'il a donnée le 30 octobre 1997, est annulée.

74 La Commission supportera l'ensemble des dépens.

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