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Document 52023AS61880

State Aid – France – State Aid SA.61880 (2021/EO) (ex 2018/FC) – Potential aid measures for Fret SNCF – Invitation to submit comments pursuant to Article 108(2) of the Treaty on the Functioning of the European UnionText with EEA relevance.

C/2023/297

OJ C 131, 14.4.2023, p. 14–44 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, GA, HR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

14.4.2023   

EN

Official Journal of the European Union

C 131/14


STATE AID – France

STATE AID SA.61880 (2021/EO) (ex 2018/FC)

Potential aid measures for Fret SNCF

Invitation to submit comments pursuant to Article 108(2) of the Treaty on the Functioning of the European Union

(Text with EEA relevance)

(2023/C 131/13)

By means of the letter dated 18 January 2023 reproduced in the authentic language on the pages following this summary, the Commission notified France of its decision to initiate the procedure laid down in Article 108(2) of the Treaty on the Functioning of the European Union concerning the above-mentioned measure.

Interested parties may submit their comments on the measures in respect of which the Commission is initiating the procedure within one month of the date of publication of this summary and the following letter, to:

European Commission

Directorate-General for Competition

Place Madou/Madouplein,

1049 Bruxelles//Brussel

BELGIQUE/BELGIË

Fax: + 32 2 2961242

Stateaidgreffe@ec.europa.eu

The comments will be communicated to France. Confidential treatment of the identity of the interested party submitting the comments and/or of any party identified in the comments submitted may be requested in writing, stating the reasons for the request.

Fret SNCF SAS (‘Fret SNCF’, formerly part of the previous EPIC SNCF) is the largest freight carrier in the SNCF group, France’s principal freight operator and the third largest rail freight operator in Europe in terms of turnover. It employs around 5 000 staff and, in 2019, generated a turnover of EUR 850 million. It offers the full range of rail freight services, including single wagon transport. Fret SNCF has been experiencing economic difficulties for a number of years now.

The Commission’s investigation will cover the following three public support measures for Fret SNCF:

the covering of Fret SNCF’s losses by the parent company SNCF between 2007 and 2019 by means of cash advances totalling between EUR 3,9 — 4,4 billion;

the write-off of the financial debt accumulated by Fret SNCF between 2007 and 2019, totalling EUR 5,3 billion when it was converted into a commercial company (SAS), by order of the French authorities adopted on 3 June 2019, and

a capital injection of EUR 170 million made by SNCF into its subsidiary Fret SNCF when it was converted into a commercial company.

According to the Commission’s preliminary assessment, the above interventions constitute State aid. First of all, the funds come from State resources and are imputable to the State, which is closely associated with the management of the SNCF. Secondly, they confer on Fret SNCF an advantage that it could not have enjoyed under normal market conditions. Specifically, according to the Commission, by providing intra-group financing to its freight business, SNCF did not behave like a prudent market operator. Lastly, according to the Commission’s preliminary assessment, the measures are selective in so far as they concern only Fret SNCF and threaten to distort competition and affect trade between Member States.

The Commission takes the preliminary view that the measures in question were implemented without prior notification to it in accordance with Article 108(3) of the Treaty on the Functioning of the European Union and that they therefore constitute unlawful aid.

As regards the compatibility of the measures in question with the internal market, the Commission has, on a preliminary basis, rejected France’s argument that any finding that the measures in question are incompatible should be made subject to a prior examination of whether the measures pursued an environmental objective of common interest. The Commission points out in particular in this regard that the French authorities have failed to demonstrate that the measures in question are adequate, necessary and proportionate to the pursuit of such an objective.

The Commission has also examined whether the compatibility of the measures in question could be accepted on the basis of the 2014 Guidelines on aid for rescuing and restructuring firms in difficulty (1), in so far as Fret SNCF satisfied the conditions for classification as a firm in difficulty. The Commission has, by way of a preliminary finding, ruled out this possibility as no restructuring plan has been communicated to it and Fret SNCF has already received restructuring aid.

TEXT OF LETTER

La Commission informe la France que, après avoir examiné les informations fournies par les autorités françaises concernant le financement public en faveur de Fret SNCF SAS (2) (ci-après «Fret SNCF»), elle a décidé d’ouvrir la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après le «TFUE»).

1.   PROCEDURE

(1)

Le 22 avril 2015, le régulateur ferroviaire français ARAF (3) a adopté une décision («la décision de l’ARAF» ou «la décision du 22 avril 2015») (4), dans laquelle il soulève un risque potentiel de subventions croisées au sein de la Société Nationale des Chemins de Fer Français («SNCF») au profit de sa branche de fret ferroviaire Fret SNCF. Par la suite, la Commission a reçu les plaintes de trois parties intéressées concernant de potentielles aides d’État octroyées à Fret SNCF. Sous couvert d’anonymat, ces parties ont déposé leurs plaintes respectivement le 22 décembre 2016, le 31 janvier 2018 et le 6 septembre 2019. Les trois plaignants ont ensuite retiré leurs plaintes, le 1er février 2021 pour le premier, le 24 février 2021 pour le troisième, et le 25 octobre 2021 pour le second.

(2)

Le 26 janvier 2017, la Commission a transmis une première demande de renseignements à la France, que les autorités françaises ont reçus ce même jour. La France y a répondu le 5 avril 2017.

(3)

Le 22 décembre 2017, la Commission a transmis une demande additionnelle de renseignements à la France. La France y a répondu le 23 février 2018.

(4)

Le 26 février 2018, la Commission a demandé à la France des renseignements concernant les mesures de financement de Fret SNCF mentionnées dans la décision précitée de l’ARAF. La France a répondu le 12 avril 2018.

(5)

Le 8 mai 2018, la Commission a envoyé une nouvelle demande de renseignements à la France, qui a fourni une réponse en date du 28 mai 2018. Le 20 juillet 2018, la France a fourni un complément d’informations à la Commission.

(6)

Le 25 juillet 2018, la Commission a envoyé une demande de renseignements complémentaires à la France, qui y a répondu le 16 octobre 2018.

(7)

Le 22 février 2019, la France a fourni de nouveaux renseignements à la Commission.

(8)

Le 4 octobre 2019, la Commission a envoyé une nouvelle demande de renseignements à la France. Le 13 janvier 2020, la France a répondu à cette demande de la Commission, réponse actualisée le 4 février 2020.

(9)

Les 1er, 23 et 31 juillet 2020, la Commission a envoyé des demandes de renseignements supplémentaires à la France. Le 30 juillet 2020, la France a fourni des clarifications quant à la demande de la Commission du 23 juillet. La France a ensuite envoyé ses renseignements les 16 et 29 septembre 2020.

(10)

Le 8 juillet 2021, la France a fait parvenir des éléments d’information à la Commission.

(11)

Les 17 février, 7 mars, 7, 8 et 19 avril 2022, la France a fourni de nouveaux renseignements à la Commission.

2.   CONTEXTE DES MESURES

2.1.   La structure du groupe SNCF et son évolution

(12)

La présente décision concerne Fret SNCF SAS, anciennement Fret SNCF (branche d’activité), qui constitue la principale branche de fret ferroviaire de la SNCF.

(13)

La SNCF a été créée le 1er janvier 1938, suite à une convention conclue le 31 août 1937, en réponse aux difficultés économiques rencontrées par les compagnies privées qui géraient jusqu’alors les lignes de chemin de fer français. À cette date, la SNCF était une société anonyme d’économie mixte dont l’État possédait 51 % du capital, les 49 % restant appartenant aux actionnaires des sociétés financières ayant succédé aux anciennes compagnies privées.

(14)

La convention de 1937 arrivant à expiration, la Loi d’Orientation des Transports Intérieurs du 30 décembre 1982 («la LOTI») a transféré le 1er janvier 1983 l’ensemble du capital de la SNCF à l’État français et a également doté la SNCF d’un nouveau statut: à partir du 1er janvier 1983, la SNCF est devenue un Établissement public à caractère industriel et commercial («EPIC») («le premier EPIC SNCF»).

(15)

Avant le 31 décembre 2014, le groupe SNCF était divisé en cinq branches, dont SNCF Géodis, regroupant l’ensemble des métiers du transport et de la logistique des marchandises. Au sein de SNCF Géodis, l’activité de transport ferroviaire de marchandises était effectuée, dans le premier EPIC SNCF, par l’activité Fret SNCF et simultanément, en dehors de cet EPIC, par la filiale VFLI (5).

(16)

Cependant, comme rappelé par le régulateur ferroviaire français ARAF dans sa décision de 2015 (6), l’activité Fret SNCF faisait l’objet de comptes dissociés de ceux du reste des autres activités du premier EPIC SNCF. Cette exigence comptable résultait d’un engagement de la France au titre des aides d’État octroyées à Fret SNCF telles qu’approuvées par la Commission dans sa décision du 2 mars 2005 («la décision de 2005») (7).

(17)

La réforme ferroviaire de 2014 (8) a conduit à une nouvelle réorganisation de la SNCF au 1er janvier 2015, désormais constituée de trois EPIC: l’EPIC SNCF («le deuxième EPIC SNCF») et un établissement assurant le pilotage stratégique de deux établissements publics «filles», à savoir l’EPIC SNCF Réseau (le gestionnaire d'infrastructure) et l'EPIC SNCF Mobilités («SNCF Mobilités»), l’exploitant ferroviaire.

(18)

Dans cette nouvelle configuration, Fret SNCF était intégrée à SNCF Mobilités et ne disposait pas à ce titre de personnalité juridique propre et distincte de celle de SNCF Mobilités. Fonctionnellement, Fret SNCF était rattachée à la branche SNCF Logistics, qui regroupait Fret SNCF ainsi que des filiales de transport et logistique de SNCF Mobilités. Fret SNCF constituait néanmoins une unité économique durable, ayant un objet économique propre, dotée d’une organisation propre, de moyens humains et matériels dédiés, d’une comptabilité séparée (identique à celle visée au considérant (16)) et exerçant sa propre politique commerciale.

(19)

La réforme ferroviaire de 2018 a de nouveau modifié la structure de la SNCF. La loi pour un nouveau pacte ferroviaire du 27 juin 2018 («la loi de 2018») (9) telle que complétée par l’ordonnance no 2019-552 du 3 juin 2019 (10) («l’ordonnance du 3 juin 2019») a ainsi décidé la création au 1er janvier 2020 d’un groupe public unifié dans le domaine du transport ferroviaire et de la mobilité. Les trois EPIC de la réforme ferroviaire de 2014 sont transformés et intégrés dans un groupe verticalement intégré («le groupe SNCF») dont le graphique 1 précise la structure:

Graphique 1

Structure simplifiée du groupe SNCF au 31 décembre 2021

Image 1

Source: rapport financier annuel du groupe SNCF pour l’exercice 2021 (11)

(20)

La société faîtière SNCF («SNCF SA») se substitue à l’EPIC SNCF Mobilités (12) est intégralement détenue par l’État et son capital est incessible. SNCF SA détient directement ou indirectement toutes les autres sociétés du groupe SNCF (qui abandonnent chacune le statut d’EPIC) (13).

(21)

Dans ce nouvel ensemble, Fret SNCF n’est plus une branche d’activité sans personnalité juridique propre mais est devenue au 1er janvier 2020 une SAS (14). Cette filialisation est le résultat de l’application de la loi de 2018 et de l’ordonnance du 3 juin 2019 qui dispose que (15): «l'établissement public SNCF Mobilités transfère, par voie d'apport à la valeur nette comptable, à une société dont il détient l'intégralité du capital, l'ensemble des biens, droits et obligations, attaché aux activités en France et hors de France relevant du périmètre de ses comptes dissociés relatifs aux activités relatives à la fourniture des services de transport ferroviaire de marchandises à la date du 31 décembre 2019, ainsi que les autorisations de toute nature qui y sont liées. Par exception, la dette financière n'est pas transférée.» Il en est de même des contrats de travail qui sont transférés à Fret SNCF SAS (16). Cette même ordonnance précise que le transfert concerne bien la branche complète et autonome d'activités de transport ferroviaire de fret, et non un simple transferts d’actifs (17).

(22)

Même si elle est détenue à 100 % par la société faîtière SNCF SA, Fret SNCF est rattachée, du point de vue fonctionnel, à l’entité Rail Logistics Europe (dépourvue de personnalité juridique), qui comprend aussi les autres activités de transport et logistique ferroviaires de marchandises regroupées dans l’entité RAIL4LOGISTICS (18), comme illustré dans le graphique 2.

Graphique 2

Structure des activités de fret ferroviaire du groupe SNCF

Image 2

Source: France

2.2.   Les activités du bénéficiaire et son marché de référence

(23)

Fret SNCF est la plus importante entité de fret du groupe SNCF, premier opérateur de fret en France et, selon la SNCF, troisième opérateur de fret ferroviaire en Europe en terme de chiffre d’affaires. L’entreprise compte environ 5 000 salariés et a réalisé un chiffre d’affaires de 850 millions EUR en 2019. Elle offre toute la gamme de services de transport ferroviaire de fret, en ce compris des services d’acheminement du wagon isolé. La logique de production de ces services est fondée sur la juxtaposition:

(i)

de trains dédiés répondant aux besoins et contraintes spécifiques de certains clients (tels le combiné ou des flux industriels à gros volumes) et,

(ii)

d’une offre de transport fondée sur un plan de transport mutualisé sur des axes capacitaires prédéfinis et des plateformes de dessertes terminales irriguant les territoires (les trains embarquant ainsi indifféremment l'ensemble des wagons des clients de Fret SNCF, quels que soient le format et le type de marchandise).

(24)

Selon l’Autorité de la concurrence (19), vingt entreprises ferroviaires de marchandises ont assuré en 2018 sur le réseau ferré national français un trafic de 59,8 millions de trains.km et de 33 milliards de tonnes.km. Ce trafic se répartit très inégalement entre ces entreprises. En effet, les dix premiers acteurs totalisent plus de 99 % des trains.km effectués en 2018 sur le réseau ferré national. Le principal d’entre eux reste Fret SNCF, qui a effectué 58 % des trains.km. Les filiales du groupe SNCF totalisent 72 % du trafic réalisé, exprimé en trains.km, dont 11 % pour VFLI et 3 % pour Naviland Cargo. En dehors du groupe SNCF, seules trois entreprises ferroviaires réalisent chacune plus de 3 % des trains.km (Euro Cargo Rail, filiale de DB Cargo (12 %); Europorte France, filiale de Getlink (6 %) et Regiorail France (3 %)). La part de marché de Fret SNCF tend légèrement à s’éroder au cours de la période 2017-2019, passant de 59 % en 2017 à 55 % en 2019, mais la part globale des opérateurs de fret du groupe SNCF se maintient autour de 75 %.

2.3.   La situation financière de Fret SNCF

(25)

Fret SNCF a été confrontée dès 2003 à des difficultés financières récurrentes, comme en témoignent la décision de 2005 ainsi que les comptes dissociés transmis par la France. Le Tableau 1 expose les principaux éléments financiers de la société sur la période 2007-2019. Au cours de cette période, la société a accumulé des pertes pour un montant total de 4,8 milliards EUR. L’entité était structurellement déficitaire. Sa marge nette (résultat net/chiffre d’affaires) oscille en moyenne entre - 20 % et - 40 % sur la période (-56 % en 2009). Sa marge opérationnelle (marge d’EBIT — «Earnings Before Interests and Taxes») s’est établie autour de - 20 % de 2007 à 2019, comme illustré au Tableau 1 ci-dessous.

(26)

La France n’a pas communiqué les comptes annuels définitifs de Fret SNCF pour les années 2019, 2020 et 2021. Toutefois, les comptes arrêtés au 30 juin 2020 semblent révéler pour l’exercice 2019 une marge négative de - 26 % (le résultat net s’élève à - 181 millions EUR pour un chiffre d’affaires de 693 millions EUR (20)).

(27)

Les capitaux propres de Fret SNCF sont négatifs sur toute la période étudiée (à partir de l’exercice financier 2007 jusqu’en 2019 inclus), et même depuis 2005 de manière ininterrompue, selon les comptes dissociés transmis par la France. Au capital social de 1 166 millions EUR (21) s’accumulent les pertes récurrentes. Au 31 décembre 2019, les capitaux propres ont atteint un chiffre de -5 187 millions EUR pour un total de l’actif de 508 millions EUR et des dettes financières de 5 266 millions EUR. La dette financière de Fret SNCF est en constante augmentation avec un pic durant les années 2010-2012 autour de + 15 % en rythme annuel. Fret SNCF a été subventionnée en 2005 et 2006 à l’issue d’une aide à la restructuration d’un montant de 1,5 milliards EUR approuvée par la Commission dans sa décision de 2005. L’octroi de cette aide était conditionnée au respect d’une série d’engagements qui devaient être mis en œuvre par la France au cours de la période de restructuration (2005-2008) et au-delà, pour les aides supplémentaires (22). À défaut, la France serait tenue de récupérer l’aide à la restructuration accordée à Fret SNCF.

(28)

La situation économique de Fret SNCF a conduit le régulateur ferroviaire français ARAF à adopter, en 2015, la décision visée au premier considérant qui suggérait l’existence d’aides au fonctionnement depuis 2006. Dans sa décision, l’ARAF souligne qu’au 31 décembre 2013, les fonds propres de Fret SNCF étaient négatifs (environ - 3,3 milliards EUR) et nettement inférieurs aux [0.2-0.3] milliards EUR prévus dans la décision de 2005 pour 2008, à la fin de la période de restructuration. De plus, au 31 décembre 2014, les dettes à long terme représentaient 3,5 milliards EUR.

(29)

Dans la même décision, l’ARAF souligne que les fonds propres, qui s’élevaient à - 534,4 millions EUR au 31 décembre 2004, ont pourtant bénéficié de l’effet favorable de deux opérations d’aides de respectivement 500 millions EUR en 2005 et 900 millions EUR en 2006, partagées entre l’État et la SNCF à hauteur de 50 % chacun (23). Malgré l’aide mentionnée dans le considérant (27), la situation nette de Fret SNCF s’est dégradée, sous l’effet cumulatif des reports à nouveau déficitaires, liés aux mauvaises performances économiques de l’activité. D’autre part, au 31 décembre 2013, la branche d’activité Fret SNCF présente une dette nette d’une valeur de 3 529 millions EUR, dont 21 millions de dettes à court terme et 3 508 millions de dettes à long terme. Il s’agit d’un endettement entièrement interne, porté par l’EPIC SNCF (24).

(30)

Par conséquent, suite à l’aide à la restructuration approuvée par la Commission en 2005, Fret SNCF n’est pas devenue rentable. Le Tableau 1 ci-après retrace notamment l’évolution de l’endettement de la branche d’activité Fret SNCF (couvert par la SNCF sous forme de prêts intragroupe donnant lieu au paiement d’intérêts), qui atteint en 2019 plus de 5 milliards EUR, ainsi que celui de son chiffre d’affaires, qui est passé de plus de 2 milliards EUR en 2004 (25) à 855 millions d’EUR en 2019.

Tableau 1

Indicateurs financiers pertinents de Fret SNCF pendant la période 2007-2019

Millions EUR (au 31 décembre de chaque exercice)

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Chiffre d'affaires

1934

1 799

1 461

1 277

1 260

1 163

1 107

1 079

1 060

920

930

868

855

EBE (26) (marge opérationnelle)

-128

-174

-370

-400

-299

-333

-179

-116

-86

-129

-122

-216

-155

Résultat opérationnel (EBIT)

-204

-260

-454

-466

-351

-310

-179

-83

-70

-172

-138

-182

-184

Résultat net

-237

-345

-819

-587

-464

-443

-328

-248

-253

-346

-303

-330

-344

Total de l'actif

1 786

2 110

1 594

947

867

849

694

650

668

571

536

583

508

Capitaux propres

-217

-558

-1 381

-2 017

-2 482

-2 925

-3 275

-3 538

-3 796

-4 141

-4 444

-4 854

-5 187

Dettes financières

1 314

1 992

2 122

2 510

2 903

3 291

3 508

3 792

4 025

4 307

4 590

4 973

5 266

Variation annuelle de la dette financière

 

+52 %

6,5  %

18,3  %

15,7  %

13,4  %

6,6  %

8,1  %

6,1  %

7,0  %

6,6  %

8,3  %

5,9  %

Taux d'intérêt moyen (27)

[3-6]%

[3-6]%

[3-6]%

[3-6]%

[3-6]%

[3-6]%

[3-6]%

[3-6]%

[3-6]%

[3-6]%

[3-6]%

[3-6]%

NA

Marge opérationnelle (EBIT)

-11 %

-14 %

-31 %

-36 %

-28 %

-27 %

-16 %

-8 %

-7 %

-19 %

-15 %

-21 %

-22 %

Marge nette

-12 %

-19 %

-56 %

-46 %

-37 %

-38 %

-30 %

-23 %

-24 %

-38 %

-33 %

-38 %

-40 %

Dettes financières / Actifs totaux

74 %

94 %

133 %

265 %

335 %

388 %

505 %

583 %

603 %

754 %

856 %

853 %

1 037  %

Source: Comptes dissociés de gestion de Fret SNCF fournis par la France (28).

3.   LES MESURES D’AIDE D’ÉTAT POTENTIELLES

3.1.   Cadre temporel de l’examen de la Commission

(31)

L’examen de la Commission porte sur les mesures de financement de Fret SNCF visées à la section 3.2 et octroyées depuis le 27 janvier 2007 , date à partir de laquelle les pouvoirs de la Commission en matière de récupération des aides possiblement octroyées par la France ne sont pas prescrits au regard de l’article 17 du règlement 2015/1589 du Conseil (29), compte tenu des mesures prises par la Commission en 2017 (voir considérant (2)).

3.2.   Description des mesures examinées

3.2.1.   Mesure 1: Financement sous la forme d’avances de trésorerie intra-groupe depuis le 27 janvier 2007

(32)

La Commission identifie la mesure 1 comme les avances de trésorerie effectuées par la SNCF au profit de Fret SNCF depuis le 27 janvier 2007. Une partie de ces avances de trésorerie ont été visées dans la décision de l’ARAF de 2015 précitée. L’ARAF indique qu’«au 31 décembre 2013 l’activité Fret SNCF présente une dette nette d’une valeur de 3 529 millions EUR, dont 21 millions de dettes à court terme et 3 508 millions de dettes à long terme. Il s’agit d’un endettement entièrement interne, porté par l’EPIC SNCF» (30). L’ARAF mentionne en particulier que «les frais financiers facturés par l’EPIC à Fret SNCF apparaissent a priori faibles au regard de la situation financière de l’activité et de ses perspectives et reposent la question de l’existence éventuelle d’une aide d’État» (31).

(33)

La Commission observe que le financement intra-groupe de Fret SNCF se poursuit postérieurement à l’exercice 2007 au moins jusqu’à la filialisation de Fret SNCF. SNCF a continué à combler les pertes engrangées par sa filiale Fret SNCF (précédemment une branche d’activité) par des prêts qui se sont ajoutés et accumulés aux dettes préexistantes de la société bénéficiaire, sans qu’il n’y ait d’indication que ces financements auraient entretemps cessé. Ainsi que le montre le Tableau 1, les dettes financières cumulées de Fret SNCF sont passées de 1 314 millions EUR fin 2007 à 5 266 millions EUR fin 2019.

(34)

La France confirme que la dette de Fret SNCF est constituée de l’accumulation, année par année, de flux de trésorerie négatifs liés essentiellement aux pertes opérationnelles et aux charges financières afférentes à cette dette, partiellement neutralisées par des cessions d’actifs. La France explique qu’il s’agit d’une dette entièrement interne au sein de la SNCF (alors l’EPIC SNCF Mobilités) et que par conséquent aucun protocole de financement ou contrat de prêt n’a été conclu par Fret SNCF.

(35)

La France ajoute que l’endettement interne de Fret SNCF depuis le 1er janvier 2003 correspond au montant nécessaire au financement des actifs immobilisés, net des provisions, après prise en compte des capitaux propres. L’endettement ainsi calculé sert de base au calcul des frais financiers. À cet égard, la France a fourni le tableau suivant permettant d’identifier le niveau de dette et des charges financières afférentes pour les exercices 2005 à 2016.

Tableau 2

Niveau de dette et des charges financières afférentes pour les exercices 2005 à 2016

 

Dette d'ouverture

Dette de clôture

Modalités de calcul des charges d'intérêt

Charges financières (millions EUR)

Taux moyen de la dette

2005

1 606

1 447

Non disponible — taux de l'EPIC

-[60-100]

[3-6]%

2006

1 447

926

Non disponible — taux de l'EPIC

-[60-100]

[5-8]%

2007

926

1 316

Non disponible — taux de l'EPIC

-[50-90]

[3-6]%

2008

1 316

1 992

Non disponible — taux de l'EPIC

-[60-100]

[3-6]%

2009

1 992

2 122

Taux de l'EPIC pour la part inférieure à

[1-2] Milliard EUR ([3-6]%)

[5-8]% pour la part supérieure à [1-2] Milliard EUR

-[60-100]

[3-6]%

2010

2 122

2 510

Taux de l'EPIC pour la part inférieure à

[1-2] Milliard EUR ([3-6]%)

[5-8]% pour la part supérieure à [1-2] Milliard EUR

-[60-100]

[3-6]%

2011

2 510

2 903

Taux de l'EPIC pour la part inférieure à

[1-2] Milliard EUR ([3-6]%)

[5-8]% pour la part supérieure à [1-2] Milliard EUR

-[110-150]

[3-6]%

2012

2 903

3 291

Taux de l'EPIC pour la part inférieure à

[1-2] Milliard EUR ([3-6]%)

[5-8]% pour la part supérieure à [1-2] Milliard EUR

-[110-150]

[3-6]%

2013

3 291

3 508

Taux de l'EPIC pour la part inférieure à

[1-2] Milliard EUR ([2-5]%)

[5-8]% pour la part supérieure à [1-2] Milliard EUR

-[130-170]

[3-6]%

2014

3 508

3 792

Taux de l'EPIC pour la part inférieure à

[1-2] Milliard EUR ([3-6]%)

[5-8]% pour la part supérieure à [1-2] Milliard EUR

-[160-200]

[3-6]%

2015

3 792

4 025

[3-6]% pour la totalité de la dette

-[160-200]

[3-6]%

2016

4 025

4 307

[3-6]% pour la totalité de la dette

-[160-200]

[3-6]%

Source: observations des autorités françaises du 28 mai 2018

(36)

Afin de justifier les modalités de financement passé de Fret SNCF, la France rappelle qu’aux termes de la décision de 2005, «les autorités françaises se sont engagées à ce que, à compter de l’adoption de la présente décision, un mécanisme de compensation interne assurera que Fret SNCF se financera à un taux de marché reflétant sa structure financière propre, et non les conditions de financement privilégiées liées au statut d’EPIC de la SNCF» (32).

(37)

La Commission relève que la France a transmis des rapports annuels sur la mise en œuvre de la décision de 2005 jusqu’en 2008. Selon la France, le dernier rapport, reçu le 16 janvier 2008, concerne la mise en œuvre de la décision pour l’exercice 2006, le dernier exercice avant celui couvert par le présent examen (2007). Cependant, ce rapport présente la manière dont la France a défini les modalités du financement intra-groupe au titre de 2006 mais également au titre de l’exercice 2007:

«Les autorités françaises se sont engagées à ce que, à compter de l’adoption de la décision, le financement de Fret SNCF reflète les conditions de marché via un mécanisme de compensation interne au sein de la SNCF. Ce mécanisme a pour objet d'appliquer pour toute dette nouvellement contractée un taux reflétant la structure financière propre de Fret SNCF.

Comme cela a été présenté à la Commission dans le 1er rapport de mise en œuvre du plan de restructuration, la dette de référence retenue pour appréhender les éventuels besoins de financement supplémentaires de Fret est celle du 31 décembre 2004, soit [1 000 — 2 000] M€. Les besoins de financement éventuels ultérieurs de Fret seront constitués de la capacité d’autofinancement (CAF) de Fret diminuée ou augmentée selon le cas de la variation du BFR (33) , augmentée des versements effectifs des tranches d’aide et diminuée des investissements nets, étant entendu que toute augmentation de la trésorerie issue d’une année n’est consacrée au désendettement [qu’]à due concurrence.

Règle de gestion et de facturation

Deux cas de figure peuvent se présenter:

la dette de Fret SNCF à la fin d’un exercice est inférieure ou égale à la dette de l’année précédente: la dette moyenne de Fret SNCF est alors facturée du taux de charge tel que calculé aujourd’hui.

la dette de Fret SNCF à la fin d’un exercice est supérieure à la dette de l’année précédente, ce qui signifie qu’une nouvelle dette a dû être contractée: le montant équivalent à la dette de référence continue d’être facturée au taux de charge tel que calculé aujourd’hui et l’encours moyen supplémentaire lié à la nouvelle dette est facturée à un taux qui reflète la structure financière propre de Fret, objet du point ci-dessous.

Ce dernier mécanisme n’a pas été appliqué en 2006, ni en 2007, dans la mesure [où] les résultats de Fret SNCF ne font pas apparaître de besoin de financement.

Rappel des taux proposés à la Commission par les autorités françaises: Financement de court terme

Dans l’attente de la réalisation du Plan Fret (au-delà de 2006), la structure financière de Fret SNCF reste fragile. Par conséquent, il est clair qu’un émetteur privé ayant une structure financière comparable ne se financerait pas par l’intermédiaire du marché tant les taux pratiqués seraient prohibitifs. Dans un tel contexte, un agent économique rationnel aurait recours à des opérations de titrisation ou équivalentes, lui permettant de se financer sur une période transitoire à des coûts pertinents. Le coût d’opérations de titrisation de créances sur des créances de bonne qualité, de même que des opérations de location financement adossées à des actifs de qualité se négocieraient dans une fourchette [Euribor + [0-3]%; Euribor + [0-3]%].

Financement à moyen et long terme

Il a été proposé de retenir comme taux:

sur la période 2005-2006 pour laquelle les ratios d’endettement de Fret ne lui permettraient pas d’accéder au marché: un taux correspondant à la titrisation de ses créances, soit Euribor + [0-3] % dans la limite de l’encours des créances, sous réserve de la justification de ce taux.

Comme indiqué plus haut, ce mécanisme n’a pas trouvé à s’appliquer.

au-delà de 2006, un taux correspondant à ceux d’émetteurs comparables en terme de structure financière avec un maximum d’Euribor + [2-5]%. En cas de difficultés temporaires, Fret SNCF pourrait avoir un taux de titrisation à hauteur du montant des créances disponibles si celui-ci s’avère plus avantageux.

Dans tous les cas, le taux retenu ne serait utilisé que s’il s’avérait supérieur au taux de charge de l’EPIC tel que défini ci-dessus».

(38)

La France a précisé que sur la période 2005-2007, le niveau de dette de Fret SNCF est resté inférieur à [1-2] milliards EUR (34), et aucun besoin supplémentaire de financement n’est apparu, de sorte que l’EPIC a appliqué le taux en vigueur conformément au mécanisme prévu, visé au Tableau 2 (35).

(39)

S’agissant des exercices 2008 à 2014, la France précise dans ses observations du 28 mai 2018 que:

En 2008, le niveau de dette a franchi le seuil des [1-2] milliard EUR et la dette de Fret SNCF a atteint 1 992 millions EUR au 31 décembre 2008. Dans ces conditions, le taux retenu pour la tranche de dette supérieure à [1-2] milliard EUR a été de [5-8]%. Ce taux de [5-8]% était le résultat du calcul suivant: Euribor 6 mois + [2-5] + [0-3]% = [2-5]% + [2-5]% + [0-3]%=[5-8]%.

Sur la période 2009-2014, il a été appliqué le taux en vigueur de l’EPIC pour la première tranche de [1-2] milliard EUR, et le taux de [5-8]% pour la tranche supérieure à [1-2] milliard EUR. La France confirme que ces taux n’ont pas été revus.

(40)

S’agissant des exercices postérieurs à 2014, la France précise dans ses observations du 28 mai 2018 que:

En 2015, des discussions ont eu lieu entre la SNCF et l’ARAF, à la suite de la décision no 2015-010 de l’ARAF du 22 avril 2015, relativement à la tenue de comptes séparés pour Fret SNCF.

Ces discussions avec l’ARAF ont abouti selon la France à modifier le taux de financement de Fret SNCF pour le rendre variable afin de mieux refléter les conditions de marché: plus précisément, il est déterminé sur la base de la moyenne des trois dernières années des taux d’obligation corporate BB à laquelle est appliquée une marge de […] points de base. La France n’a cependant pas précisé quand ce mécanisme a débuté, s’il a pris fin et quels purent être les éventuels mécanismes successeurs..

(41)

Selon la France, une comparaison avec l’évolution du taux Euribor 6 mois depuis 2009 montre en tout état de cause que le taux de [5-8]% retenu depuis 2009 serait supérieur à Euribor 6 mois +[2-5] + [0-3]%, comme l’illustrerait le tableau 3 (à l’exception du tout début de 2009 du fait de la crise financière):

Tableau 3

Évolution du taux Euribor et du taux d’intérêt hypothétique résultant de l’application du mécanisme de financement proposé par la France en application de la décision de 2005

Euribor 6 mois — Premier taux de l'année

Spread de

[2-5]%

Ajout de

[0-3]%

Total

2/1/2018

-0,27  %

[2-5]%

[0-3]%

[3-6]%

2/1/2017

-0,22  %

[2-5]%

[0-3]%

[3-6]%

4/1/2016

-0,04  %

[2-5]%

[0-3]%

[3-6]%

2/1/2015

0,17  %

[2-5]%

[0-3]%

[3-6]%

2/1/2014

0,39  %

[2-5]%

[0-3]%

[3-6]%

2/1/2013

0,32  %

[2-5]%

[0-3]%

[3-6]%

2/1/2012

1,61  %

[2-5]%

[0-3]%

[3-6]%

3/1/2011

1,22  %

[2-5]%

[0-3]%

[3-6]%

4/1/2010

1,00  %

[2-5]%

[0-3]%

[3-6]%

2/1/2009

2,95  %

[2-5]%

[0-3]%

[3-6]%

Source: Observations de la France du 28 mai 2018

(42)

La Commission comprend que le taux appliqué au financement de Fret SNCF (apparemment arrêté à [5-8]% pour la tranche supérieure à [1-2] milliard EUR (36)) sur la période 2007-2019 pourrait ainsi toujours excéder (à l’exception de 2009) le taux résultant de l’application du mécanisme de financement proposé par la France en application de la décision de 2005.

(43)

La France n’explique cependant pas en quoi le taux d’intérêt moyen appliqué annuellement à la dette de Fret SNCF (compris entre [3-6]% et [3-6]% entre 2007 et 2009 comme illustré au Tableau 1) reste à chaque exercice un taux de marché, étant entendu que, comme rappelé au considérant (37) , la France elle-même précise qu’«un émetteur privé ayant une structure financière comparable ne se financerait pas par l’intermédiaire du marché tant les taux pratiqués seraient prohibitifs (37) ».

(44)

À cet égard, la déconnection apparente avec les réalités de marché semble avoir suscité les doutes de l’ARAF dans sa décision de 2015 visée au premier considérant. Pour l’année 2014, l’ARAF observe que Fret SNCF a payé un taux d’intérêt de [2-5] % sur sa dette intragroupe impayée avant 2005 et de [5-8]% pour la dette intragroupe supplémentaire contractée avec la SNCF. Selon l’ARAF, ces taux fixes ne semblent pas, à titre préliminaire, refléter un taux de marché, en violation du considérant 180 de la décision de 2005 précité (38).

Outre la question spécifique du taux d’intérêt appliqué à la dette annuelle incrémentale de Fret SNCF, les informations transmises par la France ne permettent pas davantage d’établir si l’octroi même des avances annuelles de trésorerie correspond à un comportement d’un acteur de marché. Sur la base des informations disponibles, le financement de Fret SNCF au moyen d’avances de trésorerie semble avoir été assuré de façon automatique à hauteur du montant nécessaire pour couvrir chaque année les besoins en liquidités de Fret SNCF. Mais la France n’a pas clairement indiqué si au regard de la dette accumulée par Fret SNCF (39), SNCF avait ainsi agi en tant qu’actionnaire ou créancier.

(45)

La France n’a ainsi pas produit d’indices ou évaluations (par exemple sous forme de plan d’affaires) établissant que, pendant la période considérée au titre du présent examen, ces avances annuelles correspondent à un comportement d’actionnaire mû par des exigences de rentabilité à long terme (40). Ces exigences pourraient notamment prendre la forme du suivi de la valeur actualisée nette des flux financiers de Fret SNCF (incluant les avances de trésorerie).

(46)

Il ne ressort pas non plus clairement et de manière univoque des renseignements transmis par la France que ces avances de trésorerie puissent être alternativement qualifiées de prêt, (auquel cas le comportement de la SNCF devrait s’apparenter à celui d’un prêteur):

alors que le mécanisme de financement de l’activité de Fret SNCF par la SNCF, apparemment assis sur celui visé par la décision de 2005 (et révisé en 2015) pourrait éventuellement présenter certaines caractéristiques d’un prêt, puisqu’il mêle une dette et un taux d’intérêt, , le(s) avances n'ont été formalisées par aucun contrat de prêt ou convention de financement entre la SNCF et Fret SNCF, comme l’a confirmé la France (voir considérant (34)); il ne semble avoir été prévu aucun montant maximum pour ce prêt, ni période de remboursement ou d’échéancier de remboursement;

aucun remboursement du principal ne semble pas avoir eu lieu sur ce(s) prêt(s);

les taux acquittés par Fret SNCF au titre des avances de trésorerie faites par la SNCF ne semblent pas avoir été revus entre 2009 et 2019 (41), et pour la période 2015-2019, la méthode de fixation des taux révisée en 2015 (42) semble décorrélée de la situation financière propre à Fret SNCF puisqu’elle est assise sur les conditions de financement «corporate» qui relèvent de l’EPIC SNCF Mobilités. À cet égard, la France n’a produit aucune analyse démontrant quels seraient les taux qui auraient été appliqués par un intermédiaire de marché depuis l’exercice 2007 à une entreprise présentant la structure financière de Fret SNCF telle que visée au Tableau 1, comme indiqué au considérant (43).

(47)

Il ressort de ce qui précède que la mesure 1, à savoir les avances annuelles de trésorerie faites par la SNCF au profit de Fret SNCF depuis le 27 janvier 2007, s’apparentent:

aux injections de capital conduites annuellement en vue de couvrir la perte comptable constatée lors de chaque exercice comptable (au cas où la SNCF se serait comportée en tant qu’actionnaire), ou,

aux prêts intra-groupe (constitués du principal et des intérêts afférents (dans le cas où la SNCF se serait comportée en tant que créancier).

(48)

La Commission observe que, sur la base des informations dont elle dispose (voir en particulier Tableau 1), pour la période comprise entre le 27 janvier 2007 et le 31 décembre 2019, les avances de trésorerie sur lesquelles porte la présente décision se calculent comme la différence entre le montant des dettes financières au 31 décembre 2019 (estimé à 5 266 millions EUR) et celui au 27 janvier 2007. Ce dernier montant est en principe compris dans l’intervalle borné par les montants connus aux dates de clôtures des comptes des exercices précédant et suivant immédiatement la date du 27 janvier 2007, soit en pratique le montant des dettes constatées au 31 décembre 2006 (924,3 millions EUR) et celles constatées au 31 décembre 2007 (1 316 millions EUR). Ce montant représente l’augmentation de la dette financière (en ce compris la valeur nominale de la dette et les taux d’intérêt appliqués à cette dernière par la SNCF en vertu du mécanisme visé au considérant (37)) qui semble avoir été accumulée en vue de combler les pertes récurrentes engrangées par Fret SNCF.

(49)

S’agissant du différentiel de taux visé au considérant (46), la Commission n’est pas en mesure, compte tenu du manque d’informations fournies par la France, d’établir à ce stade la valeur de ces différentiels de taux.

3.2.2.   Mesure 2: Annulation de la dette

(50)

Au 31 décembre 2019, les dettes à long terme représentaient 5,3 milliards EUR (voir Tableau 1). Elles constituent entièrement une dette intragroupe, puisque le seul créancier de Fret SNCF semble être la SNCF (SNCF Mobilités à cette date).

(51)

Comme indiqué au considérant (21), l’ordonnance du 3 juin 2019 stipule à l’article 18, par. 2 alinéa c): «L'établissement public SNCF Mobilités transfère, par voie d'apport à la valeur nette comptable, à une société dont il détient l'intégralité du capital, l'ensemble des biens, droits et obligations, attachés aux activités en France et hors de France relevant du périmètre de ses comptes dissociés relatifs aux activités relatives à la fourniture des services de transport ferroviaire de marchandises à la date du 31 décembre 2019, ainsi que les autorisations de toute nature qui y sont liées. Par exception, la dette financière n'est pas transférée.» (soulignement ajouté)

(52)

L’ordonnance du 3 juin 2019 semble organiser ainsi l’annulation de la dette financière de Fret SNCF à la date du 31 décembre 2019.

3.2.3.   Mesure 3: Injection de capital de 170 millions EUR

(53)

Dans le contexte de l’annonce de la réforme du système ferroviaire (considérants (17) et (19)), le Premier ministre a annoncé le 16 avril 2018 que la France envisageait de filialiser Fret SNCF au sein du groupe SNCF au début de l’année 2020. Ce même jour, la SNCF a également annoncé qu’«après avoir largement assaini sa situation opérationnelle depuis 7 ans, l’opérateur public Fret SNCF doit bâtir un plan d’affaires rentable. […] Ce scénario nécessite aussi l’assainissement de sa situation financière. Celle-ci appelle une recapitalisation, nécessaire pour pérenniser l’activité de l’opérateur public de référence. […] Ce projet sera soumis aux institutions représentatives du personnel et à l’approbation de la Commission européenne» (43). La Commission ne s’est vue soumettre, ni le projet d’assainissement de la situation financière de Fret SNCF, ni le plan d’affaires justifiant le retour à la viabilité de celle-ci.

(54)

Dans ses observations du 16 septembre 2020 envoyées à la Commission, la France a en revanche incidemment confirmé que la recapitalisation avait eu lieu, puisqu’elle indique que «les états financiers fournis font apparaître un niveau de trésorerie de 169 millions EUR au 30 juin 2020. Celui-ci prend en compte l’apport en capital de 170 millions EUR réalisé fin 2019 par l’ancien EPIC SNCF Mobilités.» Fret SNCF a donc en principe bénéficié d’une augmentation de capital d’un montant de 170 millions EUR à la fin de l’année 2019 (la France n’a pas indiqué la date précise à laquelle cette mesure a été mise en œuvre).

4.   OBSERVATIONS TRANSMISES PAR LA FRANCE

(55)

La France fait valoir qu’elle a respecté tous ses engagements issus de la décision de 2005. La France souligne notamment que Fret SNCF a produit des comptes dissociés (certifiés par un cabinet d’audit en décembre 2007) et que ces comptes sont publiés depuis 2016 sans observations de la part de la Commission. Le rapport d’audit a également confirmé le respect de l’autonomie financière de Fret SNCF au sein du groupe SNCF.

(56)

La France fait également valoir (i) qu’elle a présenté des rapports sur la mise en œuvre du plan de restructuration qui a pris fin en 2008, (ii) qu’elle a ouvert son marché du fret ferroviaire en 2006 (au lieu de 2007), (iii) qu’elle a proposé une méthodologie pour déterminer les taux d’intérêt aux conditions du marché (garantissant ainsi le respect des engagements 5 (44) et 8 (45) de la décision de 2005), (iv) et qu’elle n’a pas accordé d’aide supplémentaire à la restructuration à Fret SNCF depuis l’aide à la restructuration autorisée par la décision de 2005. La France allègue également que la Commission a contrôlé le respect de ses engagements, car la Commission n’a jamais pris position sur l’exécution de la décision de 2005, ce que la France considère comme un accord tacite.

(57)

La France ne s’est pas spécifiquement prononcée sur les mesures 2 et 3, puisqu’elle se borne à présenter les motivations de la restructuration et de la filialisation de Fret SNCF de manière générale sans justifier juridiquement ces deux mesures au regard des règles d’aides d’État (aucun plan d’affaires, échéancier financier ou analyse financière n’a été fourni pour ces deux mesures). Au regard de la mesure 1, la France indique qu’aucun avantage économique n’a été accordé à Fret SNCF, puisque la SNCF aurait agi comme un investisseur en économie de marché à l’égard de Fret SNCF. La SNCF aurait respecté le critère de l’investisseur privé en accordant des prêts supplémentaires à Fret SNCF. La SNCF ne couvrirait les pertes qu’en vue de rétablir la rentabilité à long terme de Fret SNCF. La France souligne à cet égard que l'appréciation du comportement prétendument avisé de la SNCF (alors EPIC SNCF Mobilités) doit tenir compte du temps long propre au secteur du fret ferroviaire (46).

(58)

Le soutien financier approuvé par la Commission dans sa décision de 2005 s’est accompagné d’une nouvelle restructuration en profondeur en 2009, qui a entraîné une diminution des capacités au lendemain de la crise financière de 2007-2008, alors que la plupart de ses autres concurrents européens ont également subi d’importantes pertes d’exploitation en 2009-2010. La SNCF aurait privilégié l’amélioration de la situation financière de Fret SNCF au détriment de sa part de marché. Selon la France, cette stratégie s’est avérée fructueuse, puisque ces mesures ont entraîné une forte diminution des pertes de Fret SNCF, qui sont passées d’environ 400 millions EUR en 2010 à 85 millions EUR en 2015, soit un niveau de marge opérationnelle (-7 %) comparable à celui de ses principaux concurrents européens à l’époque (47).

(59)

La France précise qu’un arrêt des activités de sa branche fret durant cette période aurait de plus fortement pénalisé le développement de la SNCF en générant des surcoûts conséquents sur une période relativement importante. Les surcoûts liés à un arrêt des activités de la branche fret seraient essentiellement liés aux pénalités à verser aux clients et aux prestataires (comme par exemple sous-traitants et loueurs) en cas de rupture anticipée des relations commerciales, au personnel à reclasser dans le reste du Groupe SNCF, et aux locomotives, propriétés de la SNCF à maintenir (étant précisé qu’une large part d’entre elles sont amiantées et donc incessibles). Pour la SNCF, ces charges, liées à un arrêt de l’activité, qui portaient sur un montant a minima de [0-5] milliards EUR en 2010, se seraient traduites par des sorties de trésorerie externes et donc un accroissement significatif de son endettement externe.

(60)

La France indique également que le soutien de longue date de la SNCF à Fret SNCF en tant qu’actionnaire, déficitaire, n’est pas exceptionnel et pourrait également être observé dans le secteur privé, comme c’était le cas pour Alcatel Lucent (48) (qui a accumulé 20 milliards EUR de pertes sur la période 2001-2004). La France fait également référence au cas de Caixa Geral de Depósitos, qui a bénéficié d’une aide à la restructuration approuvée en 2013 (49), puis d’une injection ultérieure de 4 milliards EUR reconnue par la décision de la Commission en 2017 (50) comme ne constituant pas une aide.

(61)

La France souligne que le coût de la dette de Fret SNCF (plus de [3-6]%) est supérieur à celui de ses concurrents français (environ 1 % pour ECR et Europorte malgré les pertes) et européens (Trenitalia Cargo, DB Cargo). En partant du principe que les conditions de financement des concurrents reflètent les conditions de marché, la France en conclut que le coût de financement de Fret SNCF est significativement supérieur aux conditions de marché. La critique de l’ARAF quant à la méthodologie sous-tendant la détermination du coût de financement de la SNCF ne concernerait pas spécifiquement Fret SNCF, selon la France.

(62)

La France souligne également les pertes financières accumulées par les activités de fret des opérateurs historiques allemands, espagnols, italiens ou suisses en raison des difficultés de ce secteur, comme l’aurait reconnu la Cour des comptes européenne (51).

(63)

En outre, la France fait valoir que l’entreprise concernée au regard du droit de la concurrence est la SNCF. La France souligne à cet égard que le principe de non-récurrence interdisant les aides à la restructuration supplémentaires pendant 10 ans s’applique à la SNCF (alors EPIC SNCF Mobilités) et non à Fret SNCF pris isolément.

(64)

S'agissant de Fret SNCF, la France indique que «l'entreprise bénéficie d'une bonne santé financière et d'une trajectoire favorable depuis une dizaine d'années», et qu’elle n’est pas une entreprise en difficulté.

(65)

Dans ses observations du 17 février 2022, la France indique que depuis le 1er janvier 2020, date de la filialisation de Fret SNCF, le «Groupe SNCF» s'est à nouveau comporté en opérateur avisé s'agissant de ses activités de transport de marchandises avec:

la constitution de la SAS Fret SNCF, entité juridique autonome, au 1er janvier 2020;

l’arrêt depuis cette même date du recrutement d’agents statutaires;

l’accélération de la restructuration interne, avec la mise en œuvre du plan Fret SNCF 2025 et la poursuite de la mutualisation des ressources et des capacités, grâce à la gestion capacitaire;

la constitution, au 1er janvier 2021, de Rail Logistics Europe (RLE); et

la cession en octobre 2021 d’Ermewa, leader européen de la location de wagons de fret ferroviaire.

(66)

Enfin, la France considère que, si la Commission venait à considérer une aide comme incompatible, elle devrait également vérifier que cette incompatibilité ne viole pas d'autres principes du droit européen, tel que l'exigence de préserver et d'améliorer l'environnement. La France considère que le fret ferroviaire constitue une priorité politique de l’Union, en tant que vecteur essentiel de la transition écologique et des objectifs environnementaux. La France ajoute que la responsabilité de la Commission pourrait être mise en cause en cas de non-respect de ces objectifs environnementaux et climatiques.

5.   APPRÉCIATION DES MESURES EXAMINEES

(67)

La Commission examinera tout d’abord si les mesures 1 à 3 en faveur de Fret SNCF décrites à la section 3.2 constituent des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir section 5.1 ci-dessous). Puis, la Commission examinera si, dans le cas où ces mesures constituent des aides d’État, elles ont déjà été mises à exécution (voir section 5.3 ci-dessous) et si elles peuvent être compatibles avec le marché intérieur (voir section 5.4 ci-dessous).

5.1.   Identification des entités octroyant et bénéficiant des mesures

(68)

Comme indiqué au considérant (21), la création du groupe public unifié a entrainé la création à la date du 1er janvier 2020 de la société anonyme par actions simplifiée Fret SNCF SAS, auparavant détenue directement à 100 % par SNCF SA, par la suite détenue à 100 % par Rail Logistics Europe.

(69)

Aux termes de l’ordonnance du 3 juin 2019 (52), «l'établissement public SNCF Mobilités transfère, par voie d'apport à la valeur nette comptable, à une société dont il détient l'intégralité du capital, l'ensemble des biens, droits et obligations, attaché aux activités en France et hors de France relevant du périmètre de ses comptes dissociés relatifs aux activités relatives à la fourniture des services de transport ferroviaire de marchandises à la date du 31 décembre 2019, ainsi que les autorisations de toute nature qui y sont liées. Par exception, la dette financière n'est pas transférée.» Il en est de même des contrats de travail qui sont transférés à Fret SNCF SAS (53).

(70)

Cette même ordonnance précise que le transfert concerne bien la branche complète et autonome d'activités de transport ferroviaire de fret, et non un simple transferts d’actifs (54).

(71)

La Commission comprend dès lors que le gouvernement français a ainsi organisé une continuité juridique (et, en tout état de cause, économique) entre la branche d’activité Fret SNCF et Fret SNCF SAS, dont elle reprend l’ensemble des actifs et droits associés ainsi que toutes les obligations juridiques et financières à la seule exception de la dette financière. La Commission estime par conséquent qu’aux fins de la présente décision, Fret SNCF SAS semble pouvoir être considéré comme le successeur juridique (et en tout état de cause, économique) de la branche d’activité Fret SNCF, et par conséquent le bénéficiaire des mesures examinées au titre de la présente décision (55).

(72)

À ce titre, la Commission ne partage pas la position de la France exposée au considérant (63) selon laquelle l’entreprise concernée au regard du droit de la concurrence dans le cas présent est la «SNCF». S’agissant de Fret SNCF SAS, sa séparation juridique du reste des autres entités légales de la SNCF (notamment SNCF SA) justifie que son financement ne soit pas assimilé à celui de ces autres entités. S’agissant de la branche d’activité Fret SNCF, la Commission relève que celle-ci doit être qualifiée «d’entreprise» au sens de la jurisprudence de la Cour de justice. Celle-ci a en effet clarifié que les entreprises doivent être définies comme des entités exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de ces entités et de leur mode de financement (56). La question de savoir si une entité particulière constitue une entreprise ou non dépend donc entièrement de la nature de ses activités. Or à l’instar de la décision de 2005 (57), la Commission relève à titre préliminaire que:

(i)

la branche d’activité Fret SNCF était uniquement active dans le marché du transport de fret ferroviaire, ce qui la distinguait des autres activités de la SNCF à laquelle elle était rattachée. Ce dernier était par exemple également présent dans les activités de transport de passagers ou de gestion des gares;

(ii)

la branche d’activité Fret SNCF constituait une unité économique pérenne ayant un objet économique propre, dotée d’une organisation propre, de moyens humains et matériels dédiés (58), d’une comptabilité propre et exerçant une politique commerciale propre (59). Les clients de Fret SNCF dont la France a fourni la liste en 2018 semblaient lui être propres. Ils étaient composés d'entreprises appartenant à tous les secteurs de l'industrie et du commerce, totalement différents des clients des activités de transport de voyageurs de la SNCF;

(iii)

Fret SNCF dispose également depuis 1997 d'un système d'information comptable et de contrôle de gestion séparé;

(iv)

La branche d’activité Fret SNCF disposait depuis 1997 d'un compte de résultat propre, et depuis le 1er janvier 2003, d'un bilan, établi conformément à la directive 91/440 (60), telle que modifiée par la directive 2001/12 (61), puis remplacée par la directive 2012/34 (62), qui impose que «des comptes de profits et pertes, soit des bilans financiers annuels décrivant l'actif et le passif, [soient] tenus et publiés pour les activités relatives à la fourniture des services de transport ferroviaire de fret». La Commission observe en effet que les comptes dissociés publiés par la France de 2007 jusqu’au 31 décembre 2019 incluent chaque année au moins un compte de résultat et un bilan décrivant, certes de manière parfois sommaire, l’actif et le passif de la branche d’activité Fret SNCF (qui fournit des services de transport ferroviaire de fret, comme décrit au considérant (23)).

(v)

La Commission relève que l’exigence de séparation comptable de la branche d’activité Fret SNCF au sein de la SNCF, n’est pas une nouveauté puisqu’elle était déjà applicable en 2005 (63) et a été reprise à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2012/34/UE (64), applicable à partir du 15 décembre 2012. Comme déjà indiqué dans la décision de 2005 (65), la finalité de la séparation comptable est «de s’assurer de l’absence des subventions croisées entre les activités ouverts à la concurrence et d’autres activités, notamment celles bénéficiant de compensations de service public». Dans la mesure où il est manifeste que la SNCF était du 27 janvier 2007 au 31 décembre 2019 active dans autres activités, notamment celles bénéficiant de compensations de service public (66), la Commission estime donc que l’application des règles précitées tenant à l’obligation de séparation comptable a permis de bien distinguer la comptabilité de la branche d’activité de celle de la SNCF.

(73)

Enfin, comme la loi française a organisé en 2014 et en 2018 la transformation du premier EPIC SNCF en SNCF Mobilités puis en SNCF SA, la Commission considère à titre préliminaire que SNCF SA semble pouvoir être considérée comme le successeur juridique (et, en tout état de cause, économique) de ces deux EPIC, dont le comportement passé peut lui être économiquement et juridiquement imputé (67).

5.2.   Existence d’une aide d’État

(74)

Aux termes de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE, «sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions».

(75)

La qualification d’aide d’État d’une mesure au sens de cette disposition nécessite donc que les conditions cumulatives suivantes soient remplies: i) la mesure doit être imputable à l’État et financée au moyen de ressources d’État; ii) elle doit procurer un avantage à son bénéficiaire; iii) cet avantage doit être sélectif; et iv) la mesure doit fausser ou menacer de fausser la concurrence et affecter les échanges entre États membres.

5.2.1.   Ressources publiques et imputabilité à l’État

(76)

Ainsi que la Cour de justice l’a indiqué (68), pour que les mesures puissent être qualifiées d’aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du traité, a) elles doivent provenir des ressources de l’État, soit indirectement, soit directement par tout organisme intermédiaire agissant en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés et b) elles doivent être imputables à l’État. La notion d’État englobe tous les niveaux de pouvoirs publics, qu’il s’agisse d’une autorité nationale, d’une autorité régionale ou d’une autorité locale (69).

Ressources publiques

(77)

Dans l’arrêt Stardust Marine (70), la Cour a jugé que les ressources d’une entreprise de droit privé, dont les parts sont majoritairement détenues par l’État, constituent des ressources d’État. La SNCF (sous ses différentes formes juridiques visées aux considérants (14) à (20)) est une entité détenue et contrôlée à 100 % par l’État. Par conséquent, la SNCF est considérée comme une entreprise publique au sens de la directive de la Commission 2006/111/CE (71), dans la mesure où les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante sur la SNCF. L’article 2, point b) de cette directive dispose que l’influence dominante des pouvoirs publics sur l’entreprise est présumée lorsque, directement ou indirectement, ceux-ci détiennent la majorité du capital souscrit de l’entreprise. Dans ce contexte, «…il convient de rappeler qu'il découle déjà de la jurisprudence de la Cour que l’article [107], paragraphe 1, [TFUE] englobe tous les moyens pécuniaires que les autorités publiques peuvent effectivement utiliser pour soutenir des entreprises, sans qu’il soit pertinent que ces moyens appartiennent ou non de manière permanente au patrimoine de l'État. En conséquence, même si les sommes correspondant à la mesure en cause ne sont pas de façon permanente en possession du Trésor public, le fait qu'elles restent constamment sous contrôle public, et donc à la disposition des autorités nationales compétentes, suffit pour qu'elles soient qualifiées de ressources d'État.» (72) À titre préliminaire, la Commission considère que les mesures dont a bénéficié Fret SNCF telles que décrites à la section 3.2, ayant comme origine la SNCF, ont donc été réalisées au moyen de ressources d’État.

Imputabilité à l’État

(78)

Il ressort de l’arrêt Stardust Marine précité que «le seul fait qu'une entreprise publique soit sous contrôle étatique ne suffit pas pour imputer des mesures prises par celle-ci, telles que les mesures de soutien financier en cause, à l'État. Il est encore nécessaire d'examiner si les autorités publiques doivent être considérées comme ayant été impliquées, d'une manière ou d'une autre, dans l'adoption de ces mesures […]» (73). Il en découle que le critère de l’imputabilité à l’État doit faire l’objet d’un examen au cas par cas par la Commission.

(79)

À cet égard, la Cour de justice a dégagé plusieurs indices dans son arrêt Stardust Marine, tels que notamment des exigences de la part des pouvoirs publics, son intégration dans les structures de l’administration publique, la nature de ses activités et l’exercice de celles-ci sur le marché dans des conditions normales de concurrence avec des opérateurs privés, le statut juridique de l’entreprise, celle-ci relevant du droit public ou du droit commun des sociétés, l’intensité de la tutelle exercée par les autorités publiques sur la gestion de l’entreprise ou tout autre indice indiquant, dans le cas concret, une implication des autorités publiques ou l’improbabilité d’une absence d’implication dans l’adoption d’une mesure, eu égard à l’ampleur de celle-ci, à son contenu ou aux conditions qu’elle comporte.

(80)

Il est possible de distinguer, au sein de ces indices, entre d’un côté des indices structurels, qui établissent une plus haute probabilité d’implication de l’État pour des entreprises relativement plus proches de ce dernier, et de l’autre côté des indicateurs liés à la mesure concrète sous examen. En ce qui concerne d’abord les indices structurels, il est important de relever que la SNCF a eu jusqu’au 31 décembre 2019 un statut de droit public, à savoir celui d’EPIC, et était de ce fait soumise à une tutelle relativement étroite de l'État. Elle a d’importantes missions de service public, qui ont pour conséquence que l’État suit de très près ses activités. La Commission a considéré dans sa pratique décisionnelle antérieure que ces seuls indicateurs de nature structurelle suffisent pour établir l'imputabilité d'une décision de la SNCF à l'État français (74). À titre préliminaire la Commission considère que ce raisonnement s'applique aussi dans le cas d’espèce.

(81)

Par ailleurs, en ce qui concerne la mesure 1 (avances de trésorerie), l’État a été étroitement associé à la gestion de la SNCF, notamment pour la définition de son rôle stratégique et financier vis-à-vis de Fret SNCF. Les indices de cette relation sont les suivants:

(i)

une partie significative des membres du conseil d’administration de la SNCF (ci-après «CA») représente directement ou indirectement (75) les pouvoirs publics, mettant ainsi en évidence une intensité de tutelle exercée par les autorités publiques. De plus, le président du conseil d’administration est nommé, sur proposition de celui-ci, par décret en Conseil des ministres;

(ii)

au-delà du seuil de [60-100] millions EUR, toutes les décisions d’engagements financiers relatifs à Fret SNCF passaient par le CA de la SNCF (76). Par conséquent, pour toutes les pertes qui étaient supérieures à ce seuil (et le Tableau 1 suggère que tel était le cas depuis 2007), le CA (et donc avec l’implication des représentants de l’État) devait être décisionnaire. Les extraits des comptes rendus des réunions des instances de direction transmis par la France pour la période 2008 à 2010 (77) confirment en pratique que l’intervention de l’État est omniprésente (78) pendant cette période. Les documents transmis par la France font apparaitre non seulement que les représentants de l’État (présents au CA de la SNCF en tant que représentants parlementaires, commissaires du gouvernement ou membres de la mission ministérielle de contrôle économique et financière du transport) sont systématiquement représentés dans ces instances, mais qu’au surplus ils jouent un rôle actif dans la définition de la gestion stratégique et opérationnelle de Fret SNCF.

(iii)

La SNCF est une entité dont la gestion doit tenir compte des directives des pouvoirs publics, comme le démontrent en particulier la LOTI (79), la loi de 2014 (80), et la loi de 2018 (81) . Comme indiqué au point précédent, l’implication des autorités publiques est manifeste dans la conduite de la gestion de l’entreprise et des décisions stratégiques la gouvernant.

(iv)

le maintien de Fret SNCF comme branche d’activité dans un EPIC permettait à l’État de prémunir Fret SNCF du risque de faillite. C’est d’ailleurs l’État qui a décidé d’y mettre fin, non pas par des décisions de gestion imputables à ses représentants au sein du CA de la SNCF, mais par la loi de 2018 et l’ordonnance du 3 juin 2019, notamment en raison des conséquences perçues de l’arrêt La Poste (82) (comme indiqué au considérant (19), la loi et l’ordonnance précitées organisent la transformation des trois EPIC en un groupe verticalement intégré reposant sur des sociétés anonymes. La disparition du statut d’EPIC est notamment motivée, selon le rapporteur de la loi de 2018 à l’Assemblée nationale, par le souci de faire disparaître le risque juridique lié à ce statut au regard des règles d’aides d’État (83)). Il s’ensuit que la Commission estime à titre préliminaire que les décisions relatives à la gestion de Fret SNCF dans un tel régime dérogatoire (abrogé au 1er janvier 2020) ne pouvaient donc pas se faire sans l’intervention directe ou indirecte de l’État.

(82)

La Commission estime donc à titre préliminaire que la mesure 1 dont a bénéficié Fret SNCF au cours de la période 2007-2019 est imputable à l’État. S’agissant des exercices 2020 et 2021 (84), la France n’a pas fourni d’informations relatives aux pertes constatées par Fret SNCF. Étant donné notamment les motifs déjà exposés pour la période antérieure (85), et compte tenu du fait que ces deux exercices s’inscrivent dans le prolongement direct de l’action de l’État décrite au considérant (53)et la Commission ne peut donc à ce stade exclure que la couverture des éventuelles pertes constatées soit imputable à l’État.

(83)

En ce qui concerne la mesure 2 (l’annulation de la dette), il convient de noter que cette mesure découle de l’État, qui a directement décidé de la mesure par l’adoption de l’ordonnance du 3 juin 2019 par laquelle l’État organise l’annulation de la dette financière de Fret SNCF (voir considérant (51)). La Commission estime donc à titre préliminaire que la mesure 2 dont a bénéficié Fret SNCF au 31 décembre 2019 est imputable à l’État.

(84)

En ce qui concerne la mesure 3 (l’injection de capital), l’apport en capital de 170 millions EUR à la fin de 2019 par la SNCF est également imputable à titre préliminaire à l’État compte tenu de l’action de l’État décrite au considérant (53) ainsi que pour les motifs déjà exposés en ce qui concerne la mesure 1 et toujours applicables à la SNCF et à Fret SNCF suite à leur changement de personnalité juridique au 1er janvier 2020 (voir notamment le considérant (82), (ii) et (iii)).

(85)

La Commission conclut par conséquent à titre préliminaire que l’ensemble des mesures sous examen sont imputables à l’État.

5.2.2.   Avantage économique

(86)

Afin de vérifier si une entreprise a bénéficié d’un avantage économique, la Commission applique le principe de l’opérateur en économie de marché. Selon ce principe, les capitaux mis à la disposition d’une entreprise, directement ou indirectement, par l’État dans des circonstances qui correspondent aux conditions normales du marché ne devraient pas être qualifiés d’aide d’État (86). L’appréciation de la Commission se concentre sur la réalisation de l’opération du point de vue d’un hypothétique créancier ou investisseur privé avisé (87).

5.2.2.1.   Appréciation de l’avantage économique conféré par la mesure 1 (avances de trésorerie)

(87)

La mesure 1 est présentée par les autorités françaises comme un «prêt de groupe» et est enregistrée en tant que passif financier dans les comptes de Fret SNCF. Comme indiqué au considérant (47), la Commission estime que, à ce stade de la procédure, la mesure 1 doit être définie comme les avances de trésorerie faites par la SNCF au profit de Fret SNCF depuis le 27 janvier 2007.

(88)

La Commission estime à titre préliminaire que les avances en trésorerie telles que consenties par la SNCF ne sauraient être considérées ni comme des injections de capital réalisées par un actionnaire avisé, ni comme des prêts octroyés par un créancier avisé.

S’agissant du test de l’investisseur privé

(89)

En effet, le comportement de la SNCF ne s’apparente pas à celui d’un actionnaire mû par des perspectives de rentabilité de long terme. Tout d’abord, la France n’a, comme indiqué au considérant (45), fourni aucun élément quantifié permettant d’identifier comment la SNCF aurait pu se comporter comme un actionnaire avisé au titre de la mesure 1 sur la période considérée. La France n’a ainsi pas démontré en quoi la valeur actuelle nette de toutes les avances de trésorerie consenties par la SNCF était restée positive à chaque nouvelle avance versée annuellement.

(90)

De surcroît, les autorités françaises considèrent dans leurs observations du 17 février 2022 que la décision de maintenir l'activité de Fret SNCF est toujours apparue comme étant la meilleure des options, comparée à d'autres, en particulier celle de sa liquidation. La France n’a cependant fourni aucune indication (notamment par le biais d’une analyse financière comparant chaque option) permettant de justifier le bienfondé d’une telle affirmation.

(91)

Les autorités françaises considèrent par ailleurs qu'un opérateur avisé en économie de marché aurait soutenu un investissement de long-terme en couvrant de manière répétée les pertes de Fret SNCF. A l'appui de leur position exposée en section 4, les autorités françaises se réfèrent entre autres au soutien de long-terme dont Alcatel Lucent ou d’autres opérateurs du secteur ferroviaire (Eurotunnel) auraient pu bénéficier de la part de leurs actionnaires malgré leurs difficultés financières récurrentes, ainsi qu'aux jugements SACE (88) et Alfa Romeo (89), selon lesquels il peut être justifié de fournir un soutien de long-terme, en cas de crises économiques majeures, longues et imprévisibles. La Commission a des doutes à ce stade quant à la position des autorités françaises pour les raisons suivantes:

(i)

l'amélioration de la situation financière (incluant l’atteinte de la rentabilité) de plusieurs opérateurs de fret ferroviaire au sein de l'Union à partir de 2011, y compris en France (90), n’est pas de nature à soutenir les arguments français sur la persistance des effets de la crise sur la rentabilité de l'ensemble des opérateurs.

(ii)

La durée de restructuration de Fret SNCF, a minima de 2005 à 2015, semble excéder celle qu'un investisseur avisé aurait acceptée en termes de pertes, qui plus est au vu du montant de ces dernières. Un actionnaire avisé aurait probablement réexaminé très régulièrement l'opportunité de financements supplémentaires à Fret SNCF par rapport à l'alternative d'un démantèlement ou d'une cession. Ceci n'apparaît pas avoir été le cas pour Fret SNCF. Premièrement, si les autorités françaises affirment que l'État, en tant qu'actionnaire de SNCF, et les organes de gouvernance de SNCF (conseil d'administration et comité transports et logistique) ont apprécié à intervalles réguliers les conditions de financement de Fret SNCF durant la période considérée, elles n’en ont pas apporté la preuve, sauf pour les exercices 2009 et 2010. De surcroît, l'analyse contrefactuelle prétendument effectuée par la SNCF à la suite de la crise financière, telle que transmise dans les observations des autorités françaises le 20 juillet 2018, n’est pas convaincante aux fins de démontrer que la SNCF a retenu le scénario financier le plus avantageux. Cette analyse repose sur l'exposé qualitatif des trois options dont la SNCF disposait à l'époque (poursuite du soutien à Fret SNCF, filialisation des activités, cessation des activités), mais elle ne démontre pas en quoi, en tenant compte de l'exposition économique antérieure de la SNCF à Fret SNCF, le démantèlement ou la filialisation n'étaient pas des alternatives préférables d'un point de vue financier à la poursuite de l'octroi de financements à Fret SNCF. Ce faisant, la SNCF ne semble pas s’être inscrite dans la logique de réexamen régulier requis lorsque les perspectives de rentabilité apparaissent incertaines et justifient dès lors un suivi serré de la part des organes de direction.

(iii)

Si la France invoque les exemples d’autres entreprises du secteur ferroviaire ayant connu plusieurs plans de restructuration et soutenu une activité déficitaire pendant plusieurs années avant de retrouver un équilibre financier, la Commission relève qu’une telle conclusion ne semble pas s’appliquer à Fret SNCF jusqu’à sa filialisation, puisque cette dernière n’a jamais retrouvé un équilibre financier jusqu’au 31 décembre 2020. S’agissant de la période débutant au 1er janvier 2021, la France n’a pas fourni d’informations sur un potentiel financement intra-groupe, et la Commission ne peut donc exclure que la SNCF n’ait continué à fournir des avances de trésorerie.

(92)

Les autorités françaises soutiennent enfin que la couverture annuelle des pertes de Fret SNCF se justifiait par le retour anticipé de la profitabilité de la branche fret de l’entreprise, notamment portée par la «confiance légitime» du groupe SNCF dans les annonces de l’État, relatives au principe d’un soutien plus marqué en faveur du fret ferroviaire. La France semble plus particulièrement conditionner le retour à la profitabilité de Fret SNCF à l’existence de mesure de soutien public en faveur du wagon isolé (91). Cependant, la Commission doute à ce stade que le groupe SNCF puisse avoir fondé (même partiellement) un hypothétique retour à l’équilibre sur la base des annonces de l’État au sujet d’un soutien financier en faveur du fret ferroviaire. En effet, la Commission n’est à ce stade en mesure d’identifier précisément, ni la nature des mesures de soutien public invoquées (92), ni leur capacité à restaurer l’équilibre financier de Fret SNCF, ni leur pérennité pendant et au-delà de la période considérée (condition essentielle qu’un investisseur avisé aurait requise pour inclure un financement public dans son plan d’affaires) (93).

(93)

La Commission considère donc à titre préliminaire que le soutien à Fret SNCF par la SNCF agissant comme actionnaire visait à couvrir annuellement ses pertes, et non à nourrir d’hypothétiques perspectives de rentabilité. Dans ces conditions, la Commission estime à ce stade de la procédure que la France peut difficilement invoquer la jurisprudence Alfa Romeo précitée, puisque la Cour a déjà confirmé dans cet arrêt (94) qu’un financement de long-terme destiné à couvrir durablement les dettes du bénéficiaire afin d'assurer sa survie constituait une aide.

S’agissant du test du créancier privé

(94)

Même dans l’hypothèse où le comportement de la SNCF devrait être apprécié comme celui d’un créancier, la Commission nourrit à ce stade des doutes quant à la capacité de Fret SNCF d’obtenir un prêt, et même si cela était le cas, quod non, à la capacité de Fret SNCF d’obtenir les taux d’intérêts consentis par la SNCF au titre du paiement de la dette dans les conditions rappelées aux considérants (33) à (46).

(95)

S’agissant du principal de la dette, la Commission doute à titre préliminaire qu’un créancier aurait en premier lieu consenti à octroyer un prêt à Fret SNCF. L’analyse financière des comptes de Fret SNCF suggère en effet l'incapacité de Fret SNCF à rembourser tout ou partie du principal desdits «prêt(s)», du fait de ses pertes opérationnelles récurrentes et de ses coûts financiers. Après des années de détérioration de sa situation financière (chiffre d'affaires en diminution, pertes ininterrompues, dette en croissance continue), un créancier avisé aurait probablement conclu que Fret SNCF était incapable de rembourser le prêt additionnel que l’entité aurait reçu, et ce, quel qu'ait été le taux d'intérêt facturé. Ainsi, même si l'on devait considérer de manière hypothétique, à l’instar de la France, qu'un créancier aurait pu octroyer un prêt à Fret SNCF suite à la décision de 2005 de la Commission et malgré la crise financière de 2009-2010, il apparaît cependant improbable qu'un opérateur de marché eût pu escompter que Fret SNCF rembourserait ses «prêts»,. Comme expliqué par les autorités françaises, au-delà de la crise, Fret SNCF était structurellement désavantagé vis-à-vis de ses concurrents par son système social et son mode d'organisation contraint, avec une part de marché décroissante depuis l'ouverture à la concurrence. Fret SNCF a en effet continué depuis 2007 d'enregistrer des pertes considérables tel que l’établit le Tableau 1 (notamment avec des pertes à hauteur de 30 % du chiffre d'affaires en 2010-2011, tandis qu'à partir de 2010, la plupart des acteurs français et européens renouaient avec les profits suite à la fin de la crise financière (95)).

(96)

S’agissant des conditions des «prêts» à Fret SNCF, la Commission observe à ce stade que les opérations concernées ne correspondent pas à de véritables prêts et doute en tout état de cause qu’un créancier avisé aurait pu les offrir dans les mêmes conditions que celles consenties la SNCF.

(i)

Tout d’abord, la Commission s’interroge à ce stade sur le point de savoir si les avances de trésorerie telles qu’octroyées par la France peuvent être assimilées à des prêts au sens économique et juridique. Les termes et conditions du financement de Fret SNCF auraient dû prévoir les conséquences d’un (sans cesse plus probable) non-remboursement du financement octroyé par la SNCF et refléter cette situation financière délicate, mais cela ne semble pas avoir été le cas. Le financement de Fret SNCF au moyen desdits «prêts» intra-groupe semble avoir été assuré de façon automatique à hauteur du montant nécessaire pour couvrir chaque année les besoins en liquidités de Fret SNCF. Ainsi qu’il est indiqué au considérant (46) ci-dessus, même si les financements sont enregistrés comptablement dans les comptes dissociés de Fret SNCF en tant que passif financier, le(s) «prêt(s)» n'ont été formalisés par aucun contrat de prêt ou convention de financement entre SNCF et Fret SNCF, comme le confirme d’ailleurs la France (96);

(ii)

il ne ressort pas des informations fournies par les autorités françaises quels seraient le montant des intérêts applicables, le montant maximum pour chacun de ces «prêts», leur période de remboursement, les échéanciers de remboursement;

(iii)

aucun remboursement du principal sur ce(s) «prêt(s)» ne semble être intervenu et aucun remboursement ne semblait d’ailleurs attendu puisque le plan d'affaires 2010-2015 (97) fait apparaître une «absorption» de la dette de Fret SNCF. Un opérateur en économie de marché cherche normalement à obtenir le paiement des sommes qui lui sont dues par un débiteur connaissant des difficultés financières (98);

(iv)

le niveau des taux pratiqués ne semble pas correspondre à celui de conditions offertes à une entreprise concurrente présentant une structure financière similaire à celle de Fret SNCF. Comme indiqué au considérant (37), la France semble elle-même considérer qu’«un émetteur privé ayant une structure financière comparable ne se financerait pas par l’intermédiaire du marché tant les taux pratiqués seraient prohibitifs»;

(v)

À cet égard, la France n’explique pas non plus quel est l’effet du statut d’EPIC de la SNCF sur les conditions de financement de sa branche d’activité Fret SNCF, puisque, tel que cela a été rappelé au considérant (81), ledit statut emporte en principe octroi d’une garantie illimitée de l’État. Cette garantie pouvait bénéficier d’abord à la SNCF pour obtenir un financement sur le marché à des conditions privilégiées dont bénéficierait indirectement Fret SNCF (tant pour financer le principal de la dette que pour diminuer le taux d’intérêt dû au titre de cette dernière). Ce statut pouvait aussi bénéficier directement à Fret SNCF dans sa capacité à signer des contrats avec des créanciers et des fournisseurs sans le risque d’insolvabilité. Fret SNCF semblait donc pouvoir bénéficier grâce au statut d’EPIC de conditions de financement plus favorables que ne le peuvent les entreprises soumises au droit privé des sociétés.

S’agissant des autres informations communiquées par la France

(97)

Enfin, s’agissant des informations pour lesquelles la France n’invoque pas clairement la qualité de la SNCF comme actionnaire ou créancier, la nature des informations reçues de la France ne semble pas davantage démontrer le caractère avisé de la SNCF au titre de la mesure 1.

(98)

Les autorités françaises ont ainsi mentionné (99) l’existence de trois phases de transformation (100), prévoyant l'atteinte par Fret SNCF de résultats opérationnels positifs à l'horizon 2013 et respectivement 2015. Interrogées sur les éventuelles études ex-ante que SNCF aurait réalisées avant de décider de poursuivre son soutien financier à Fret SNCF, les autorités françaises ont fourni quatre études. La Commission relève que ces études ne permettent pas à ce stade de démontrer le caractère avisé de l’octroi des mesures:

(i)

aucune des études reçues au sujet de la mesure 1 ne permet de démontrer comment la SNCF (agissant comme actionnaire ou comme créancier avisé), aurait examiné les perspectives de remboursement de son «prêt» ou d’une avance de trésorerie à l’issue du plan de restructuration précité au 31 décembre 2008 (qui excluait toute nouvelle aide à la restructuration en vertu du considérant 194 de la décision de 2005). Les autorités françaises ont en revanche soumis des informations émanant de la SNCF (101) suggérant que le niveau de la dette ne permettait a priori aucun remboursement de cette dernière. En effet, à l’issue du plan de restructuration opérée suite à la décision de 2005, les indicateurs financiers de Fret SNCF à partir de fin 2008 (102) suggèrent que ledit plan n’avait pas permis d’atteindre la rentabilité escomptée et, ainsi qu’il a été établi à la section 2.3, Fret SNCF serait probablement, nonobstant la mesure d’aides examinée, une entreprise en difficulté financière, avec des fonds propres négatifs et en constante baisse, des pertes récurrentes et une dette financière croissante d’un montant avoisinant les fonds propres (103);

(ii)

de surcroît, la France n’a pas soumis d’information permettant d’établir que la SNCF, agissant comme un opérateur avisé (agissant comme créancier ou comme actionnaire), avait mené une analyse comparative détaillée ex ante des scénarios possibles lors des mesures annuelles de financement des pertes de Fret SNCF: comme déjà mentionné au considérant (91), un créancier aurait comparé sur la base de données et prévisions financières les conséquences du remboursement de son prêt et celles de la poursuite de l’octroi de prêt, quand un actionnaire avisé aurait également considéré la variation de dette liée aux dépenses d'investissement nettes des produits de cessions et aurait comparé l'accroissement de l'encours de dette lié à la poursuite de l'exploitation de Fret SNCF aux coûts d'arrêt de l'activité (n’étant quantifiés que pour le seul exercice 2010 à [0-5] milliards EUR (104)). La présentation au conseil d'administration de la SNCF de 2010 prévoit ainsi une croissance de la dette des activités fret de SNCF de [2 000 — 3 000] millions EUR à [4 000 — 5 000] millions EUR entre 2010 et 2015 et suggère qu’il n’existait pas de perspective de remboursement de l'augmentation de l'encours de dette lié aux pertes additionnelles de Fret SNCF pendant la période de restructuration;

(iii)

les quatre études ayant trait à la mesure 1 ne couvrent pas l’ensemble de la période considérée (notamment pour la période qui débute en 2015, pour laquelle les autorités françaises se bornent à illustrer les difficultés endogènes et exogènes rencontrées par Fret SNCF) (105);

(iv)

ces études ne démontrent pas en quoi, sur la base de ces documents, la SNCF pouvait raisonnablement espérer le remboursement des avances additionnelles prévues par ces plans (et des intérêts afférents).

(99)

Les autres observations des autorités françaises ne permettent pas non plus à ce stade d’établir comment Fret SNCF aurait pu renouer avec un équilibre économique, en dépit de tentatives de restructuration successives (réduction de [40-50]% des effectifs entre 2003 et 2008) et d'une amélioration temporaire du résultat d'exploitation sur la période 2010-2015 (de - 400 millions EUR à - 85 millions EUR). En outre, ainsi que les différents envois des autorités françaises tendent à le démontrer, la situation financière de Fret SNCF s'est détériorée depuis 2007. L’évolution dynamique de la dette, ayant conduit à son apurement par l’État à la fin de 2019, en atteste.

(100)

Il ressort de tout ce qui précède que les autorités françaises n'ont ainsi pas pu produire à ce stade de la procédure des pièces justificatives établies préalablement ou simultanément au comblement annuel des pertes de Fret SNCF par la SNCF et de nature à soutenir la position desdites autorités tendant à conclure au respect du critère de l'investisseur avisé (qu’il s’agisse d’un créancier ou d’un actionnaire avisé). Or, aux termes de la jurisprudence (voir, par exemple, l’arrêt du Tribunal dans l'affaire EDF (106)), les autorités françaises sont tenues de produire des éléments tangibles pour soutenir leur position.

(101)

En conclusion, les arguments avancés par la France ne permettent pas de conclure à titre préliminaire au caractère avisé du financement intra-groupe dont a bénéficié Fret SNCF, selon le principe de l’opérateur en économie de marché (que celui soit appliqué au comportement de la SNCF agissant comme actionnaire ou comme créancier). À ce stade, la Commission conclut à titre préliminaire que Fret SNCF aurait ainsi bénéficié d'un avantage économique grâce à l’octroi d’avances de trésorerie ne respectant pas les conditions de marché.

(102)

Enfin, conformément à la jurisprudence, lors de l’application de principe de l’opérateur privé à une mesure concernée, la Commission n’est pas tenue de prendre en compte les risques économiques liées aux aides accordées au bénéficiaire de ladite mesure dans le passé (107). Partant, lors de l’appréciation de la rationalité économique de la mesure 1 au regard du principe de l’opérateur privé, la Commission est d’avis que ne devraient pas être pris en compte les risques économiques découlant pour la France de l’aide à la restructuration accordée à Fret SNCF visée par la décision de 2005.

5.2.2.2.   Appréciation de l’avantage économique conféré par la mesure 2 (annulation de la dette)

(103)

Comme il est expliqué aux considérants (51) et (52), l’ordonnance du 3 juin 2019 organise l’annulation de la dette financière de Fret SNCF de 5,3 milliards EUR au 31 décembre 2019. Il s’agit d’une dette intragroupe de 100 %, puisque le seul créancier de Fret SNCF est la SNCF (SNCF Mobilités au 31 décembre 2019).

(104)

L’appréciation de la Commission se concentre sur la réalisation de l’opération du point de vue d’un hypothétique créancier ou investisseur privé avisé. En l’occurrence, la Commission doute à ce stade qu’un créancier privé avisé eût consenti à renoncer à tout ou même une partie des fonds prêtés, a fortiori quand le montant atteint 5,3 milliards EUR, et que parallèlement son débiteur eût une perspective de rembourser sa dette. En effet, comme il est expliqué au chapitre 2.4., la situation financière de Fret SNCF était préoccupante, puisqu’au 31 décembre 2019 les capitaux propres s’élevaient à -5 187 millions EUR pour un total de l’actif de 508 millions EUR et des dettes financières de 5 266 millions EUR.

(105)

Dans son avis (108) du 9 mai 2019, l’ARAFER déclare à ce sujet que «l’activité Fret SNCF est très lourdement endettée. Les comptes séparés en normes IFRS publiés par SNCF Mobilités pour l’exercice 2018 font apparaître un montant de dette financière de 4 590 millions EUR et des capitaux propres négatifs à hauteur de 4 444 millions EUR. Au cours de l’instruction, les services de l’État ont indiqué que le transfert de la dette financière à la société reprenant l’activité de transport ferroviaire de fret impliquerait une non-viabilité de l’entreprise dès sa création et que la solution prévue dans le projet d’ordonnance est provisoire pour assurer la viabilité de la nouvelle société de transport ferroviaire de fret. Si l’Autorité comprend l’impossibilité de transférer ce bilan à une nouvelle entité et de créer, de fait, une société présentant dès l’origine des capitaux propres négatifs, la solution qui consiste en une absence de transfert de dette, même temporaire, peut s’apparenter à un apurement de cette dette historique par SNCF Mobilités et soulève la question des aides d’État pour cette activité en concurrence dont il appartiendra à la Commission européenne d’apprécier la compatibilité avec le droit de l’Union européenne» (109).

(106)

Par ailleurs, l’Autorité de la concurrence dans son avis du 10 mai 2021 précité (110), estime que « le transfert de l’endettement de l’activité fret, caractérisé pour l’exercice 2018 par une dette de 4 590 M€ et par des capitaux propres négatifs de 4 444 M€, aurait impliqué, selon les services de l’État, «une non-viabilité de l’entreprise dès sa création» en l’absence de la solution «provisoire» prévue par l’ordonnance, qui permet «d’assurer la viabilité de la nouvelle société de transport ferroviaire de fret. […] L’absence de transfert, à la SAS Fret SNCF, de la dette financière de l’activité fret, outre qu’elle soulève, comme l’a relevé l’ARAFER, une question relative aux aides d’État, fausse la lecture de la rentabilité économique de l’activité » (111) (soulignements ajoutés).

(107)

La Commission relève que la France n’a pas produit d’étude ou d’analyse pouvant démontrer les perspectives de rentabilité de l’octroi de la mesure 2 (comme indiqué au considérant (52)), et partage à ce stade les avis émis par l’ARAFER (112) et de l’Autorité de la concurrence (113) tendant à conclure à ce que le transfert de la dette de la branche d’activité Fret SNCF à Fret SNCF SAS aurait dû conduire à l’absence de viabilité de cette dernière à sa création. La Commission n’a reçu aucune analyse ou plan d’affaires justifiant le caractère avisé de la mesure 2.

(108)

La France a précisé (114) que, conformément à l’ordonnance du 3 juin 2019 portant diverses dispositions relatives au groupe SNCF, la dette liée à l’activité de fret ferroviaire au sein de SNCF Mobilités a été maintenue techniquement au sein de la holding SNCF SA (ex SNCF Mobilités). S'agissant de cette dette, la France souligne que la réforme de 2020 ne s'est accompagnée d'aucun élément d'aide d’État à Fret SNCF, la dette analytiquement affectée à cette activité avant le 1er janvier 2020 étant prétendument suivie dans les mêmes conditions qu’auparavant et ses intérêts étant par ailleurs capitalisés à un taux reflétant la situation financière intrinsèque de l'activité. La Commission nourrit à ce stade des doutes sur la position de la France quant à l’absence d’une aide d’État. En effet, la Commission n’a reçu aucune information de la France détaillant le mécanisme mis en place et démontrant que Fret SNCF SAS doive s’acquitter d’intérêts liés à la dette historique de la branche d’activité Fret SNCF. De surcroît, même si Fret SNCF SAS devait réellement s’acquitter d’un tel paiement d’intérêts, il n’en demeure pas moins qu’en vertu de la mesure 2, Fret SNCF SAS s’est vue allégée de la dette financière préalablement assignée à la branche d’activité Fret SNCF, dont la Commission considère à titre préliminaire qu’elle en est le successeur (voir considérant (71)).

(109)

La Commission estime donc à titre préliminaire que la SNCF ne pouvait espérer retirer des gains financiers de l’octroi de la mesure 2 et, par conséquent, que la SNCF ne s’est pas comportée comme un investisseur avisé, ni comme un créancier avisé. Par conséquent, la Commission estime à ce stade que Fret SNCF a bénéficié d'un avantage économique grâce à la mesure 2.

5.2.2.3.   Appréciation de l’avantage économique conféré par la mesure 3 (augmentation de capital)

(110)

Comme indiqué à la section 3.2.3, Fret SNCF a bénéficié d’un apport en capital de 170 millions EUR à la fin de 2019 par l’ancien EPIC SNCF Mobilités. La Commission doit évaluer si un hypothétique créancier ou investisseur privé avisé aurait effectué la même opération dans des conditions similaires.

(111)

La Commission note de prime abord que la France n’a pas fourni d’éléments financiers démontrant le caractère avisé de l’augmentation de capital projetée, comme indiqué au considérant ((53)). Une telle analyse est d’autant plus nécessaire qu’un investisseur avisé aurait pu déjà douter des perspectives de rentabilité de cette injection de capital prise isolément, compte tenu des risques alors identifiés. En effet, selon le projet de loi de Finances 2018, «Fret SNCF reste très pénalisé par le coût et le régime de travail de ses personnels. Sa masse salariale reste importante, malgré la réduction des effectifs. Par rapport à un opérateur privé, le surcoût lié à l'organisation du temps de travail est de 20 %, voire de 30 % si l'on prend en compte l'absentéisme très élevé qu'il subit. Le nombre moyen de jours d'absence par agent et par an chez Fret SNCF, soit 12,8 en 2014, est en effet proche du double de celui observé chez VFLI, soit 6,6. La loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire devait donner l'opportunité à l'État et au groupe public ferroviaire de réduire le différentiel de compétitivité entre l'opérateur public et les autres entreprises ferroviaires ainsi que les transporteurs routiers. Mais cette occasion a été manquée: dans le contexte des grèves liées à la loi El Khomri et de l'Euro de football, l'État a imposé à la SNCF un accord d'entreprise très favorable aux agents, “qui maintient, voire améliore, pour les salariés de Fret SNCF, leur régime de travail.” (115).

(112)

Par conséquent, la Commission doute à ce stade qu’un investisseur avisé aurait consenti à la mesure 3 sans aucune perspective de rentabilité et compte tenu des surcoûts significatifs d’exploitation de Fret SNCF.

(113)

Cette conclusion préliminaire ne semble pas devoir être remise en cause par les observations fournies par la France. La Commission relève tout d’abord que les informations fournies par la France sur la stratégie de SNCF SA conduite dans le secteur du fret ferroviaire depuis le 1er janvier 2020 (116) ne permettent pas à ce stade d’éclairer le caractère avisé de la mesure 3. Il s’agit, soit d’informations de contexte sur l’organisation du groupe SNCF (comme la vente d’Ermewa), soit d’informations a priori postérieures à la mesure 3 (comme la création de Rail Logistics Europe) ou d’informations (comme la constitution de Fret SNCF SAS ou l’arrêt du recrutement d’agents statutaires (117)), mais la France n’a fourni aucun plan d’affaires indiquant la rentabilité de la mesure 3 dans les circonstances invoquées . De surcroît, l’affirmation de la France selon laquelle Fret SNCF bénéficie maintenant d’une bonne santé financière et d’une trajectoire favorable depuis une dizaine d’années (118) semble se fonder sur la simple observation rétrospective des comptes de Fret SNCF. La Commission relève que lesdits comptes ont été produits une fois mises en œuvre les trois mesures faisant l’objet du présent examen, y compris la troisième mesure. En outre, même si la trajectoire financière de Fret SNCF montre une évolution plus favorable, il n’en demeure pas moins que l’entreprise n’a jamais été bénéficiaire jusqu’à 2020 et que ses fonds propres négatifs sont restés durablement négatifs. Finalement, la Commission rappelle que l’analyse de la rentabilité d’une mesure de soutien doit en principe s’effectuer préalablement à son octroi en vue de conclure à ce qu’elle a été conclue à des conditions de marché, et que l’observation de la rentabilité de ladite mesure postérieurement à son octroi ne saurait en elle-même constituer la preuve que le test de l’investisseur avisé en économie de marché serait satisfait (119).

(114)

De surcroît, la Commission doute qu’un investisseur avisé eût pu consentir à octroyer la mesure 3 sans prendre en considération la mesure 2. La concomitance des mesures 2 et 3 et le fait que l’État ait joué un rôle central dans leur adoption suggère plutôt qu’il convienne de les apprécier conjointement (voir en ce sens la jurisprudence BP Chemicals (120)).

(115)

En tout état de cause, en l’espèce, comme indiqué au considérant (109), la Commission a estimé à titre préliminaire que l’octroi de la mesure 2 ne pourrait à ce stade satisfaire au test de l’investisseur avisé en économie de marché. Compte tenu des montants des mesures 2 et 3 (la première étant plus de 30 fois plus importante que la seconde), il est alors probable qu’un investisseur avisé n’aurait pas davantage consenti à octroyer la mesure 3 compte tenu de la perte irrémédiable qu’il devrait subir au titre de la mesure 2: la Commission considère, à titre préliminaire, qu’aucun investisseur ne consentirait à investir une nouvelle tranche de 170 millions EUR, tout en devant simultanément renoncer à recouvrir une créance de 5,3 milliards EUR.

(116)

Indépendamment d’une possible appréciation conjointe des mesures 2 et 3 (voir considérant (114)), la Commission estime donc à titre préliminaire que la SNCF ne pouvait espérer retirer des gains financiers de l’octroi de la mesure 3 et que par conséquent la SNCF ne s’est pas comportée comme un investisseur avisé (121). Par conséquent, la Commission estime à ce stade que Fret SNCF a bénéficié d'un avantage économique grâce à la mesure 3.

(117)

Enfin, conformément à la jurisprudence rappelée au considérant (102), lors l’appréciation de la rationalité économique des mesures en cause au regard du principe de l’opérateur privé, la Commission est d’avis que ne devraient pas être pris en compte les risques économiques découlant pour la France de l’aide à la restructuration accordée à Fret SNCF conformément à la décision de 2005.

5.2.3.   Sélectivité

(118)

Pour être qualifiée d’aide d’État, une mesure doit favoriser “certaines entreprises ou certaines productions”, selon l’article 107 (1) du Traité.

(119)

Les mesures exposées à la section 3.2 ne sont mises en œuvre qu’au bénéfice de Fret SNCF et ne constituent pas des mesures générales. La Commission estime à titre préliminaire qu’elles octroient à Fret SNCF un avantage dont d’autres entreprises ne bénéficient pas.

(120)

Quant au caractère sélectif de l’aide, une jurisprudence constante indique qu’il importe de vérifier si la mesure en question entraîne ou non des avantages au bénéfice exclusif de certaines entreprises ou de certains secteurs d’activité. Les mesures sont des aides individuelles en faveur de Fret SNCF. Comme les juridictions de l’Union l’ont indiqué, lorsqu’une aide individuelle est en cause, l’identification de l’avantage économique est, en principe, suffisante pour étayer la présomption de sélectivité d’une mesure (122). Il en va ainsi indépendamment de la question de savoir s’il existe, sur les marchés en cause, des opérateurs se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable. Par conséquent, la Commission estime donc à titre préliminaire que les mesures exposées à la section 3.2 sont de nature sélective.

5.2.4.   Distorsion de concurrence

(121)

La Commission a examiné si les mesures exposées aux chapitres 3.2 faussent ou menacent de fausser la concurrence.

(122)

Le marché du fret ferroviaire de l’Union Européenne (UE) a été ouvert à la concurrence pour la première fois le 15 mars 2003 sur le réseau transeuropéen de fret ferroviaire avec le premier paquet ferroviaire (123). Le deuxième paquet ferroviaire a libéralisé l’ensemble du transport international de marchandises le 1 janvier 2006 et le fret ferroviaire national à partir du 1 janvier 2007 (124). Toutefois, plusieurs États membres de l’UE avaient libéralisé unilatéralement leurs marchés nationaux avant cette date. Fret SNCF opère donc sur un marché ouvert et concurrentiel au sein du marché intérieur européen. L’entreprise se trouve en outre en concurrence intermodale, notamment avec le transport routier.

(123)

À ce stade, la Commission considère donc que les mesures sous examen faussent ou menacent de fausser la concurrence sur le marché intérieur.

5.2.5.   Effets sur les échanges

(124)

Lorsqu’une aide accordée par un État membre renforce la position d’une entreprise par rapport à d’autres entreprises concurrentes dans les échanges à l’intérieur de l’Union, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l’aide (125). Il suffit que le bénéficiaire de l’aide soit en concurrence avec d’autres entreprises sur des marchés ouverts à la concurrence (126).

(125)

En l’espèce, le bénéficiaire est en concurrence avec d’autres entreprises fournissant des services de transport de fret ferroviaire dans l’UE et aussi avec d’autres opérateurs de services de transport de fret, comme indiqué au considérant (24).

(126)

Comme la Cour l’a précisé, “dès lors qu’une entreprise agit dans un secteur où s’exerce une concurrence effective de la part des producteurs de différents États membres, toute aide dont elle bénéficie de la part des pouvoirs publics est susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et de porter atteinte à la concurrence, dans la mesure où son maintien sur le marché empêche les concurrentes d’accroître leur part de marché et diminue leurs possibilités d’augmenter leurs exportations” (127).

(127)

Dans ses observations du 17 février 2022, la France rappelle que, tel qu’il serait précisé dans la Communication de la Commission sur la notion d'aides d’État (128), « les aides publiques aux entreprises constituent des aides d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du traité uniquement si elles «faussent ou […] menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions» et dans la mesure où elles «affectent les échanges entre États membres». Selon la France, il s'agit là de deux éléments distincts et nécessaires de la notion d'«aide» (129).

(128)

En l'espèce, les spécificités de ce dossier permettent selon la France, une analyse in concreto des effets sur la concurrence. Selon les autorités françaises, l'accompagnement financier de Fret SNCF par le Groupe SNCF ne s'est pas fait au détriment de la concurrence, puisque Fret SNCF a connu une baisse constante de ses parts de marché depuis 2006 au profit de ses concurrents. Au global, sur une quinzaine d'années, la part de marché de Fret SNCF aurait été, selon la France, ramenée à [40-50]% de part de marché sur les trains massifs en France (10 milliards de Tkm (130)) et [70-80]% sur le wagon isolé (en Tkm). Selon les autorités françaises, l'intensité concurrentielle aurait d'ailleurs très fortement augmenté en France depuis 15 ans et se situerait aujourd’hui dans la moyenne européenne, démontrant ainsi l'absence d'affectation de la concurrence.

(129)

La Commission ne partage pas à titre préliminaire la position de la France. Elle observe que seul Fret SNCF semble avoir bénéficié au cours de la période couverte par le présent examen d’un soutien public aussi récurrent que significatif. Indépendamment d’une éventuelle baisse de parts de marché depuis 2006 de Fret SNCF au profit de ses concurrents, telle qu’allégué par la France, un tel soutien a pu, en tout état de cause, freiner la croissance des autres opérateurs tant sur le marché français que sur l’espace ferroviaire européen qui est pleinement ouvert à la concurrence depuis 2007. En effet, conformément à la directive relative au développement de chemins de fer communautaires (131), le transport ferroviaire international de marchandises est libéralisé à compter du 1 janvier 2006 et tous les autres services de transport ferroviaire de marchandises à partir du 1 janvier 2007. Ces soutiens financiers ont également permis le maintien sur le marché de Fret SNCF, qui aurait dû cesser son activité en l’absence de ces derniers.

(130)

Dès lors, la Commission considère que l’octroi de ressources d’État est susceptible d’affecter les échanges entre États membres étant donné qu’il favorise une seule entreprise placée en situation de concurrence avec d’autres compagnies. Par conséquent, à ce stade, la Commission considère que les mesures examinées sont susceptibles d’affecter les échanges de l’UE.

5.2.6.   Conclusion sur l’existence de l’aide

(131)

À ce stade de l’analyse, la Commission conclut que les mesures 1 à 3 décrites à la section 3.2 sont susceptibles de constituer des aides d’État au profit de Fret SNCF au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE et invite la France et les parties intéressées à présenter leurs observations sur ce point de vue préliminaire.

5.3.   Légalité de l’aide

(132)

La Commission note que, en ce qui concerne la présente investigation, les mesures 1 à 3 ont été accordées au moins depuis le 27 janvier 2007. S’il est prouvé que les mesures 1 à 3 constituent des aides d’État, celles-ci n’ont pas été soumises à l’approbation de la Commission et, par conséquent, la France n’a pas respecté l’obligation de suspension prévue à l’article 108, paragraphe 3, du TFUE.

(133)

Si la Commission parvient à la conclusion que les mesures 1 à 3 doivent être considérées comme des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, du TFUE, elles constitueront alors des aides d’État illégales.

5.4.   Compatibilité de l’aide

(134)

La Commission doit apprécier si les mesures 1 à 3 sous examen peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur. Selon la jurisprudence de la Cour, c’est à l’État membre qu’il incombe d’indiquer les raisons justifiant la compatibilité des mesures en cause avec le marché intérieur, et de démontrer que les conditions de compatibilité sont réunies (132).

(135)

La France n’a pas justifié de la compatibilité des mesures en cause, étant donné que l’État membre juge qu’elles ne sont pas constitutives d’aides de l’État à Fret SNCF.

5.4.1.   Les règles du droit de l’Union en matière d’environnement

(136)

La France estime que les objectifs d'une concurrence libre et non faussée dans le marché intérieur doivent être conciliés avec ceux de la protection de l'environnement. À ce titre, elle mentionne:

l'article 11 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui précise que «Les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l'Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable»;

l'avocat général Bot a précisé que si ce «principe d'intégration»«n’impose pas de donner systématiquement la priorité à la protection de l’environnement, il implique, en revanche, que l’objectif environnemental puisse être systématiquement mis en balance avec les autres objectifs fondamentaux de l’Union» (133);

la Cour de justice aurait affirmé qu’il ressort de l’exigence de préserver et d’améliorer l’environnement «lorsque la Commission vérifie si une aide d’État en faveur d’une activité économique appartenant à ce secteur satisfait à la première condition posée à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, […], elle doit, […], vérifier que ladite activité ne viole pas des règles du droit de l’Union en matière d’environnement» (134);

les lignes directrices concernant les aides d’État au climat, à la protection de l'environnement et à l'énergie pour 2022 («CEEAG»), adoptées par la Commission le 27 janvier 2022, auraient confirmé à leurs points 4 et 11 la nécessité de mettre le droit de la concurrence au service de l'environnement, en créant notamment une exigence d'accès à la justice en matière d'environnement;

au niveau européen, la «loi européenne sur le climat» (135) confèrerait aux institutions de l'Union, et à la Commission en particulier, une responsabilité particulière dans la réalisation de l'objectif de neutralité climatique dans l'Union d'ici à 2050.

(137)

Selon la France, un tel raisonnement devrait par cohérence signifier, a contrario, que si la Commission venait à considérer une aide comme incompatible, elle devrait également vérifier que cette incompatibilité ne viole pas d'autres principes du droit européen, tel que l'exigence de préserver et d'améliorer l'environnement. La France ajoute que la responsabilité de la Commission pourrait être mise en cause en cas de non-respect de ces objectifs environnementaux et climatiques.

(138)

À titre préliminaire, la Commission ne partage pas la position des autorités françaises:

(i)

la Commission observe que, contrairement à ce que semble suggérer la France, la jurisprudence de la Cour n’a pas établi de hiérarchie entre les articles du TFUE, qui donnerait préséance aux articles relatifs à la politique protection de l’environnement au détriment de ceux relatifs à la politique de concurrence.

(ii)

la Commission ne partage pas l’interprétation faite par la France de l’arrêt Hinkley Point. La Commission souligne que le point 20 de l’arrêt énonce au contraire très clairement que «l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE ne subordonne […] pas la compatibilité d’une aide à la condition qu’elle poursuive un objectif d’intérêt commun, et ce sans préjudice de la circonstance que les décisions adoptées par la Commission à ce titre doivent veiller au respect du droit de l’Union».

(iii)

La Commission relève que la France fait référence aux CEEAG. Toutefois, elle n’explique pas à ce stade quelle est la nature des droits et obligations juridiques qu’auraient prétendument créés les points 4 et 11 desdites lignes directrices au titre de l’examen de la compatibilité des mesures en cause. La Commission observe d’ailleurs que la France n’a pas invoqué les CEEAG comme une base de compatibilité des mesures examinées.

(139)

Au demeurant, les autorités françaises n’ont aucunement démontré que les mesures litigieuses examinées soient adéquates, nécessaires et proportionnées à la poursuite d’un objectif environnemental.

(140)

Il ressort de ce qui précède qu’à ce stade, et en l’état de la jurisprudence, la Commission ne considère pas fondé de subordonner l’éventuel constat d’incompatibilité des mesures en cause à l’examen préalable de la poursuite d’un objectif d’intérêt commun en matière environnementale.

5.4.2.   Entreprise en difficulté

(141)

Conformément au point 137 des lignes directrices de 2014 concernant les aides au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté (136) («les lignes directrices S&R»), la compatibilité des mesures décrites à la section 3.2 pourrait être évaluée au regard de ces lignes directrices.

(142)

Les lignes directrices S&R fournissent à leur section 2.2 une définition d’entreprise en difficulté aux fins de l’appréciation de la compatibilité de telles mesures conformément à l’article 107, paragraphe 3, point c), du TFUE.

(143)

Selon le point 20 des lignes directrices S&R, Fret SNCF (137) pourrait être considéré comme une entreprise en difficulté: ses fonds propres ont été négatifs et en diminution constante (de - 194 millions EUR en 2006 à -5 187 millions EUR en 2019) du fait de pertes continues sur la période étudiée. Ses capitaux propres sont demeurés constamment négatifs et en baisse depuis 2007 au moins jusqu'à fin 2019. De plus, la valeur des actifs de Fret SNCF (sur la base de son bilan arrêté fin 2019) est seulement de 508 millions EUR, ce qui est significativement inférieur aux montants des prêts intra-groupes (5 266 millions EUR fin 2019).

(144)

A supposer que Fret SNCF puisse être qualifiée d’entreprise en difficulté au sens des lignes directrices S&R, la compatibilité des aides reçues avec ces lignes directrices n’est pas établie. La France n'a à ce stade notifié aucun plan de restructuration pour Fret SNCF, vu qu’elle juge que les mesures analysées dans la présente décision ne sont pas constitutives d’aides de l’État. Par conséquence, la Commission ne peut pas évaluer les composantes d'une éventuelle restructuration de Fret SNCF, y compris les mesures d'investissement et de modernisation, et elle ne peut pas non plus évaluer notamment si:

les mesures rétabliraient la viabilité à long terme et seraient réduites au minimum,

l'entreprise apporterait une contribution substantielle à sa restructuration, de sorte que les distorsions de concurrence seraient évitées,

des mesures structurelles ou comportementales ont été mises en place pour limiter la distorsion de concurrence découlant de l’octroi des aides.

Étant donné que Fret SNCF était déficitaire depuis 2007, un plan de restructuration aurait dû vraisemblablement couvrir la période d'applicabilité des mesures. Même si la société avait mis en place un plan de restructuration sur la période 2005-2008, approuvé par la Commission dans le cadre de sa décision de 2005, celui-ci ne couvrirait que les mesures approuvées par cette dernière décision.

(145)

Enfin, la Commission considère à titre préliminaire que le principe de non-récurrence empêche Fret SNCF de recevoir des aides à la restructuration pendant 10 ans à partir du 31 décembre 2008, fin de la période de restructuration couverte par la décision de 2005.

(146)

Par conséquent, dans le cas où Fret SNCF constituerait une entreprise en difficulté, il semble toutefois qu’à ce stade de l’analyse, les mesures décrites à la section 3.2 ne peuvent pas être considérées comme respectant les critères de compatibilité des aides au sauvetage ou à la restructuration énoncés dans les lignes directrices S&R.

5.4.3.   Autres bases de compatibilité

(147)

Les lignes directrices ferroviaires(137) n’offrent a priori pas de base de comptabilité pour les mesures en question.

(148)

Plus généralement, la Commission n’aperçoit pas à ce stade d’autre base de compatibilité des mesures examinées.

5.5.   Conclusion

(149)

Par conséquent, la Commission doute à ce stade que les mesures 1 à 3 décrites aux considérants (32) à (54) puissent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur.

6.   DECISION

À la lumière des considérations qui précèdent, la Commission, agissant conformément à la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, invite la France à présenter ses observations et à fournir toutes les informations utiles à l’appréciation de l’aide/des mesures, dans un délai d’un mois à compter de la date de réception de la présente lettre. Elle invite vos autorités à transmettre immédiatement une copie de cette lettre au bénéficiaire potentiel de l’aide. La Commission souhaite rappeler à la France que l’article 108, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne a un effet suspensif et attire votre attention sur l’article 16 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, qui dispose que toute aide illégale peut faire l’objet d’une récupération auprès de son bénéficiaire.

La Commission avertit la France qu’elle informera les parties intéressées en publiant la présente lettre et un résumé utile de celle-ci au Journal officiel de l’Union européenne. Elle informera également les intéressés dans les pays de l’AELE signataires de l’accord EEE par la publication d’une communication dans le supplément EEE du Journal officiel, ainsi que l’autorité de surveillance de l’AELE en leur envoyant une copie de la présente. Toutes ces parties intéressées seront invitées à présenter leurs observations dans un délai d’un (1) mois à compter de la date de cette publication.

Dans le cas où la présente lettre contiendrait des éléments confidentiels qui ne doivent pas être publiés, vous êtes invité à en informer la Commission, dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la date de sa réception. Si la Commission ne reçoit pas de demande motivée à cet effet dans le délai prescrit, elle considérera que vous acceptez la publication du texte intégral de la lettre dans la langue faisant foi à l'adresse internet suivante: http://ec.europa.eu/competition/elojade/isef/index.cfm.

Cette demande devra être envoyée par courriel à l'adresse suivante:

Commission européenne

Direction générale de la concurrence

Greffe des aides d'État

1049 Bruxelles

Stateaidgreffe@ec.europa.eu

Veuillez croire, Monsieur le Ministre, à l’assurance de ma haute considération.

Par la Commission,

Margrethe VESTAGER

Vice-présidente exécutive


(1)  Guidelines on State aid for rescuing and restructuring non-financial undertakings in difficulty (OJ C 249, 31.7.2014, p. 1).

(2)  Société par actions simplifiée.

(3)  L’Autorité de régulation des activités ferroviaires («ARAF») est devenue par la loi no 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (article 1) l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières («ARAFER») puis, à partir du 1er octobre 2019, l’Autorité de régulation des transports («ART»).

(4)  Décision no 2015-010 du 22 avril 2015.

(5)  Voies ferrées locales et industrielles, aujourd’hui renommée Captrain France.

(6)  Voir note de bas de page 3.

(7)  Décision de la Commission du 2 mars 2005 dans l’affaire no N 386 /2004 — France — Aide à la restructuration à Fret SNCF (JO C 172 du 12.7.2005, p. 3).

(8)  Loi no 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire («la loi de 2014»).

(9)  Loi no 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire.

(10)  Ordonnance no 2019-552 du 3 juin 2019 portant diverses dispositions relatives au groupe SNCF — https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038543643

(11)  https://medias.sncf.com/sncfcom/finances/rapport-financier/reports/sncf-2021-12-31.html, p. 10.

(12)  En vertu de l’article 18, I, 3o de l’ordonnance précitée, «l'établissement public SNCF Mobilités est transformé de plein droit, du seul fait de la loi, en société anonyme. L'intégralité du capital de cette société est détenue par l'État».

(13)  https://www.sncf.com/fr/groupe/profil-et-chiffres-cles/portrait-entreprise/sncf-2020-nouveau-groupe

(14)  SAS = Société par Actions Simplifiée, de droit français. Contrairement à l’ancienne branche d’activité Fret SNCF logée dans l’EPIC SNCF Mobilités maintenant disparu, Fret SNCF SAS est donc désormais soumise aux procédures d’insolvabilité et de faillite de droit commun.

(15)  Article 18.I.2.c de l’ordonnance du 3 juin 2019.

(16)  Article 19.2 de l’ordonnance du 3 juin 2019.

(17)  L’article 18.I.2.e. dispose que «Les transferts prévus aux 1o et 2o du présent I sont réputés porter sur des branches complètes et autonomes d'activités et des entités économiques autonomes. Ces transferts et les autres opérations prévues aux mêmes 1o et 2o sont réalisés de plein droit et sans qu'il soit besoin d'aucune formalité nonobstant toutes disposition ou stipulation contraires et entraînent l'effet d'une transmission universelle de patrimoine ainsi que le transfert de plein droit et sans formalité des accessoires des créances cédées et des sûretés réelles et personnelles les garantissant, ainsi que de toute subvention. Ils ne sont de nature à justifier par eux-mêmes la mise en cause d'aucune autorisation. Ils ne sont de nature à justifier ni la résiliation des contrats conclus par l'une quelconque des entités concernées en cours d'exécution, ni la modification de l'une quelconque de leurs clauses ni, le cas échéant, le remboursement anticipé des dettes qui en sont l'objet.»

(18)  RAIL4LOGISTICS, anciennement dénommée SNCF Rail Logistics, était jusqu’au 31 janvier 2020 une pure société faîtière détenant (à l’exception notable de Fret SNCF) les filiales du groupe SNCF actives sur 4 métiers: opérateurs de fret ferroviaire (par ex. Captrain France, ex-VFLI et les autres filiales de fret ferroviaire hors de France du réseau Captrain), opérateurs de transport combiné (par ex. Naviland), exploitant d’autoroutes ferroviaires (VIIA) et commissionnaires de transport (par ex. Forwardis). En date du 1er février 2021 (avec effet rétroactif comptable au 1er janvier 2021), RAIL4LOGISTICS est devenue une société faîtière en charge du suivi de groupe des entités opérationnelles filiales.

(19)  Avis no 21-A-07 du 10 mai 2021 relatif à un projet de règles de séparation comptable de la SA SNCF Voyageurs et de la SAS Fret SNCF.

(20)  La presse rapporte une perte totalisant 163 millions EUR pour l’année 2020 — https://www.ville-rail-transports.com/ferroviaire/232991/

(21)  Le capital social de Fret SNCF se monte à 1 166 millions EUR depuis 2006 selon les comptes dissociés de gestion transmis par la France. Toutefois, une incohérence subsiste dans les informations communiquées par la France pour l’exercice 2019: dans le document «États financiers & annexe comptable au 31/12/2019» transmis par la France, le capital social se monte à 21 437 500 € au 31/12/2019, alors qu’un autre document transmis par la France établi au 15/09/2020, «Comptes 2019 et 2020», indique un capital social de 1 166 millions d’euros.

(22)  Voir notamment les considérants 172 à 181 de la décision de 2005.

(23)  Ces tranches d’aides sont celles mentionnées par la France dans son rapport précité du 18 janvier 2008 relatif à la mise en œuvre de la décision de 2005.

(24)  Points 34 et 35 de la décision de l’ARAF.

(25)  En 2004, Fret SNCF a réalisé un chiffre d’affaires de 2 116 millions EUR, selon les comptes dissociés de Fret SNCF pour l’exercice 2005.

(26)  Excédent brut d’exploitation.

(27)  Il s’agit du taux d’intérêt moyen de la dette financière fourni par la France.

(28)  Conformément à l’article L.2144-1 du code des transports, Fret SNCF faisait l’objet d’une comptabilité séparée au sein de l’EPIC SNCF Mobilités.

(29)  Règlement (UE) 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d'application de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (JO L 248 du 24.9.2015, p. 9).

(30)  Point 35 de la décision ARAF.

(31)  Ibid, point 49.

(32)  Considérant 180 de la décision de 2005.

(33)  Le BFR est le besoin en fonds de roulement.

(34)  La France définit ce montant dans ses observations du 16 janvier 2008 comme la dette de référence retenue pour appréhender les éventuels besoins de financement supplémentaires de Fret SNCF aux termes du 1er rapport de mise en œuvre du plan de restructuration présenté au titre de la décision de 2005.

(35)  La France n’a pas soumis à la Commission les nouveaux rapports de mise en œuvre de la décision de 2005 au titre des exercices complets 2007 et 2008. En effet le rapport du 16 janvier 2008 relatif à la mise en œuvre de la décision de 2005 au titre de l’exercice 2006 contient de manière incomplète des éléments relatifs au seul exercice 2007.

(36)  Voir considérant (39).

(37)  Cette observation n’est à ce stade pas remise en cause par le recours à une possible titrisation (ou opération équivalente) dans la mesure où la France semble limiter le recours à cet instrument à une “période transitoire” (voir considérant (37)). Or une période de près de 13 ans (de 2007 à 2019) ne semble pouvoir être qualifiée de transitoire pour le financement d’une entreprise présentant le profil financier durablement dégradé de Fret SNCF.

(38)  Voir note de bas de page 31.

(39)  Par exemple le plan d’affaires 2010-2015 fait apparaître une «absorption» de la dette de Fret SNCF, laissant à penser qu’aucun remboursement de cette dernière n’était attendu. Ainsi, le rapport prévoit une croissance de la dette des activités fret de SNCF de [2 000 — 3 000] millions EUR à près de [4 0005 000] millions EUR entre 2010 et 2015, se décomposant comme suit: [300-400] millions EUR pour les pertes opérationnelles anticipées sur cette période, [900 — 1 000] millions EUR de charges financières et [400 — 500] millions EUR de dépenses d'investissement. La France n’a pas produit de document démontrant les perspectives de la SNCF (agissant en tant qu’actionnaire ou créancier) de se voir rembourser l’augmentation de l’encours de dette liée aux pertes additionnelles de Fret SNCF.

(40)  Au considérant 144 de la décision de 2005, la Commission avait pris acte du fait que le capital de Fret SNCF était alors constitué par une quote-part du capital de l'EPIC SNCF et avait été affecté conventionnellement au prorata des immobilisations corporelles brut de Fret SNCF par rapport à celles de l'ensemble de l'EPIC SNCF. La France n’a pas fourni d’informations nouvelles à ce sujet.

(41)  Voir considérants (39) et (40).

(42)  Voir considérant (40).

(43)  Communiqué de presse de la SNCF, 16 avril 2018: «Communiqué de SNCF Mobilités — Développement et recapitalisation de Fret SNCF». https://www.sncf.com/sites/default/files/press_release/cp_developpement_et_recapitalisation_de_fret_sncf.pdf

(44)  Absence d’aide supplémentaire à la restructuration pour l’ensemble de la SNCF depuis 10 ans (tant que Fret SNCF n’est pas transformé et constitué en société). Voir considérant 190 de la décision de 2005.

(45)  Démonstration que Fret SNCF serait financé aux conditions du marché, reflétant sa propre structure financière (et non plus celle de la SNCF), y compris la garantie illimitée découlant du statut d’EPIC de cette dernière). Voir considérant 180 de la décision de 2005.

(46)  Selon la France, le fret ferroviaire présente en effet des caractéristiques propres liées à la durée de vie longue des actifs, à l'importance de la part des coûts fixes qui ne permet qu’une adaptation progressive aux fluctuations du marché ou encore au caractère massif des investissements d'infrastructures nécessaires (modernisation des terminaux existants, construction de nouvelles plateformes multimodales, remise à niveau, modernisation et extension du réseau).

(47)  Les performances relativement médiocres du Fret SNCF en 2016 (126 millions EUR de pertes d’exploitation) sont liées, selon la France, à des événements exceptionnels correspondant à des conflits sociaux, à un très faible niveau de production céréalière et à la crise migratoire à Calais qui touche les «autoroutes ferroviaires». Ces aléas auraient retardé le retour au seuil de rentabilité attendu en 2018.

(48)  Entreprise franco-américaine spécialisée dans les infrastructures de télécommunications, rachetée par l’entreprise Nokia en 2015.

(49)  Décision de la Commission du 24 juillet 2013 concernant l'aide d'État SA.35062 mise en œuvre par le Portugal en faveur de Caixa Geral de Depósitos (JO L 323 du 7.11.2014, p. 19).

(50)  Décision de la Commission du 22.05.2017, SA.47178 (2017/NN) Recapitalização da Caixa Geral de Depósitos, S.A. (JO C 219 du 7.7.2017, p. 1).

(51)  Rapport spécial no 08/2016: Le transport ferroviaire de marchandises dans l’UE: toujours pas sur la bonne voie.

(52)  Article 18.I.2.c.

(53)  Voir l’article 19.2 de l’ordonnance précitée.

(54)  Voir considérant (21).

(55)  La Commission se référera dans la suite de la décision à «Fret SNCF», quelle que soit la forme juridique revêtue par cette entreprise depuis 2007.

(56)  Arrêt de la Cour de justice du 12 septembre 2000, Pavlov e.a., affaires jointes C-180/98 à C-184/98, EU:C:2000:428, point 74; arrêt de la Cour de justice du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C-222/04, EU:C:2006:8, point 107.

(57)  Considérants 133 à 136.

(58)  Dans ses observations du 28 mai 2018, la France précise en effet que «Fret SNCF dispose aujourd’hui d’une autonomie importante en termes de moyens de production, la dernière étape dans l’intégration industrielle étant la reprise en cours des prestations de maintenance. Cette autonomie n’a fait que s’accroître depuis la restructuration de 2005. Cette intégration industrielle réalisée en 2008 inclut notamment les éléments suivants: les conducteurs, les agents au sol, les engins de ligne et de manœuvre, les commandes de sillons»

(59)  Dans ses observations du 28 mai 2018, la France précise que Fret SNCF dispose des organes et prérogatives suivants: «Le Comité de Direction regroupe la Direction Générale, les Directeurs des Directions FRET, la Direction Financière et Juridique, la Direction Internationale, la Direction Industrielle, la DRH, la Direction de la Sécurité, la Direction de la Communication, la Direction SI, la Direction de l’Innovation, la Direction Marketing et Offre, le chef de projet du programme Transformation et un représentant du Domaine Matériel. Ce Comité se réunit une fois par mois et échange, voire donne lieu à arbitrage le cas échéant, sur les sujets d’actualité et de pilotage (commercial/production/gestion) de FRET SNCF. C’est par exemple à cette occasion que sont entérinés les objectifs de productivité et de développement à intégrer au budget de l’année suivante». Les règles d’engagements budgétaires transmises par la France dans ses observations du 28 janvier 2018 montrent que le conseil d’administration de SNCF Mobilités n’est saisi que pour des engagements budgétaires concernant Fret SNCF qui dépassent [60-100] millions EUR.

(60)  Directive 91/440/CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au développement de chemins de fer communautaires, (JO L 237 du 24.8.1991, p. 25).

(61)  Directive 2001/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2001 modifiant la directive 91/440/CEE du Conseil relative au développement de chemins de fer communautaires (JO L 75 du 15.03.2001, p. 1).

(62)  Directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen, (JO L 343 du 14.12.2012, p. 32).

(63)  Article 1, point 10) de la directive 2001/12/CE précitée, qui dispose: [À l’article 9, le paragraphe suivant est ajouté: «4. En ce qui concerne les entreprises ferroviaires, des comptes de profits et pertes et soit des bilans, soit des bilans financiers annuels décrivant l’actif et le passif sont tenus et publiés pour les activités relatives à la fourniture des services de transport ferroviaire de fret. Les contributions versées aux activités relatives à la fourniture de services de transport de voyageurs au titre des missions de service public doivent figurer séparément dans les comptes correspondants et ne peuvent pas être transférées aux activités relatives à la fourniture d’autres services de transport ou à toute autre activité.»]

(64)  «3. Les États membres veillent à ce que des comptes de profits et pertes et des bilans distincts soient tenus et publiés pour, d’une part, les activités relatives à la fourniture des services de transport ferroviaire de fret et, d’autre part, les activités relatives à la fourniture de services de transport ferroviaire de voyageurs. Les fonds publics versés pour des activités relatives à la fourniture de services de transport au titre des missions de service public figurent séparément, conformément à l’article 7 du règlement (CE) no 1370/2007, dans les comptes correspondants et ne sont pas transférés aux activités relatives à la fourniture d’autres services de transport ou à toute autre activité.»

(65)  Voir le considérant 201 de la décision de 2005.

(66)  À cet égard, la Commission relève que pendant toute la période examinée, la SNCF a été titulaire de contrats de service public de transport ferroviaires de passagers donnant lieu à l’octroi de compensations de service public (par exemple au titre des transports régionaux conventionnés). Par conséquent, sans que la directive 2001/12/CE puis la directive 2012/34/UE n’impose de séparation juridique entre la SNCF et la branche d’activité Fret SNCF, cette dernière était bien assujettie aux obligations de séparation comptable permettant de la distinguer comptablement de la SNCF.

(67)  La Commission se référera dans la suite de la décision à «la SNCF», quelle que soit la forme juridique revêtue par cette entreprise depuis 2007.

(68)  Arrêt de la Cour du 16 mai 2002, France/Commission («Stardust Marine»), C-482/99, EU:C:2002:294.

(69)  Arrêt de la Cour du 14 octobre 1987, Allemagne/Commission, C-248/84, EU:C:1987:437, point 17.

(70)  Arrêt Stardust Marine, points 51 et suivants.

(71)  Directive 2006/111/CE de la Commission du 16 novembre 2006 relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques ainsi qu’à la transparence financière dans certaines entreprises (JO L 318 du 17.11.2006, p. 17).

(72)  Arrêt Stardust Marine, point 37.

(73)  Arrêt Stardust Marine, point 52.

(74)  Décision de la Commission du 20 octobre 2004 dans l’affaire 2006/367/CE, Sernam, JO L 140 du 29.5.2006, p. 1, considérants 161 et 162; décision du 2 mars 2005 précitée en note de bas de page 6, considérants 108 et 109; décision du 22 juin 2011 dans l’affaire SA.32600 (2011/N) — Aide à la restructuration de SeaFrance, JO C 208 du 14.7.2011, p. 8, considérant 67.

(75)  L’article 21 de la LOTI dispose que 12 membres des 18 membres du CA sont désignés par les pouvoirs publics: 7 représentants de l’État et 5 membres choisis en raison de leur compétence mais nommés par décret du gouvernement (voir en ce sens la décision de la Commission du 2 mars 2005 précitée, où l’imputabilité de la mesure visée avait été établie notamment sur le seul fondement de la nomination directe de 7 des 18 membres représentants de l’État). Les lois de 2014 et 2018, ainsi que les changements des modalités de désignation des membres du conseil d'administration de SNCF Mobilités (telles que visées à l’article 7 du décret no 2015-138 du 10 février 2015 relatif aux missions et aux statuts de SNCF Mobilités ou l’article 11 du décret no 2019-1585 du 30 décembre 2019 approuvant les statuts de SNCF SA) n’ont pas davantage remis en cause la désignation directe ou indirecte de la majorité des membres du CA par l’État. Aux termes dudit article 7, sont désignés membres du CA le président du directoire de la SNCF (nommé par l’État), 4 représentants de l'État, deux personnalités choisies par l'État en raison de leur compétence, et 5 personnalités choisies par le deuxième EPIC SNCF (contrôlé par l’État) pour le représenter: au total 12 des 18 membres étaient désignés par les pouvoirs publics jusqu’au 31 décembre 2019. Depuis le 1er janvier 2020, aux termes dudit article 11, 7 membres sont nommés par l'assemblée générale des actionnaires (à savoir donc l’État, actionnaire à 100 % de SNCF SA), 1 représentant est désigné par l'État, soit au total 8 des 12 membres du CA.

(76)  Réponse de la France à la demande de renseignements complémentaires de la Commission du 29 mai 2018.

(77)  Conseil d’administration et «Comité Transport et Logistique» (parfois également appelé «Comité fret»). Ce dernier était, selon les autorités françaises, une émanation du Conseil d’administration de SNCF Mobilités. Composé de membres du Conseil d’administration, il était chargé d’apporter audit Conseil l’ensemble des éléments et informations nécessaires à sa prise de décision relative à la branche Transports et Logistique à laquelle appartenait Fret SNCF.

(78)  Voir les annexes 12 et 13 transmises par la France dans des observations du 17 octobre 2018. À titre d’exemples:

lors de la réunion du 18 septembre 2009 du Comité Transport et Logistique, son président «rappelle à l’intention des Membres du Comité que la présente réunion a pour objet de préparer la séance du Conseil d'Administration du 23 septembre prochain au cours de laquelle sera examiné le dossier relatif à l’évolution de l’activité Fret. La communication présentée le 16 septembre dernier en Conseil des ministres par le ministre d’État, ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat et le secrétaire d'État chargé des transports en a fixé le cadre à travers l’annonce d’un certain nombre de décisions gouvernementales touchant notamment aux infrastructures liées au Fret. C’est cette communication que Monsieur le Commissaire du Gouvernement va présenter au Comité Transports et Logistique» . (soulignement ajouté)

lors de la réunion du CA du 23 septembre 2009, le représentant du Sénat «tient à rappeler que l’activité de fret ferroviaire est aujourd’hui à l’origine des deux tiers du déficit de l’Entreprise, ce constat exigeant de mettre en œuvre les nouvelles orientations préalablement présentées par la direction de la branche SNCF Geodis. À cet égard, il souhaiterait que soit communiqué un bilan économique et écologique de l’activité de wagon isolé, son maintien pouvant apparaître économiquement moins pertinent dans les régions les plus rurales du territoire» (soulignement ajouté);

lors de la réunion du 17 juin 2010 du Comité Transport et Logistique, un autre représentant de l’État « estime opportune la mise en place de ce tableau de bord, observant toutefois que l’activité Fret de l’Entreprise est également présente dans d’autres entités du groupe SNCF que celles sur lesquelles il porte, qu’il s’agisse de STVA ou de Naviland Cargo. Par conséquent, il s’interroge sur le caractère exhaustif de ce projet de tableau de bord». (soulignement ajouté)

(79)  L’article 24 dispose que «Un contrat de plan passé entre l'État et la Société nationale des chemins de fer français dans les conditions de la loi no 82-653 du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification détermine les objectifs assignés à l'entreprise et au groupe dans le cadre de la planification nationale et les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre.» (soulignement ajouté)

(80)  Aux termes de l’article premier de la loi de 2014, «La SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités constituent le groupe public ferroviaire au sein du système ferroviaire national. Ces trois entités ont un caractère indissociable et solidaire. Le groupe remplit une mission, assurée conjointement par chacun des établissements publics dans le cadre des compétences qui leur sont reconnues par la loi, visant à exploiter le réseau ferré national et à fournir au public un service dans le domaine du transport par chemin de fer. Il remplit des missions de service de transport public terrestre régulier de personnes, des missions de transport de marchandises et des missions de gestion de l'infrastructure ferroviaire, dans une logique de développement durable et d'efficacité économique et sociale».

(81)  Aux termes de l’article premier de la loi de 2018, «La société nationale à capitaux publics SNCF et ses filiales constituent un groupe public unifié qui remplit des missions de service public dans le domaine du transport ferroviaire et de la mobilité et exerce des activités de logistique et de transport ferroviaire de marchandises, dans un objectif de développement durable, de lutte contre le réchauffement climatique, d'aménagement du territoire et d'efficacité économique et sociale»

(82)  Arrêt de la Cour du 3 avril 2014, France/Commission, C-559/12 P, EU:C:2014:217.

(83)  Voir en ce sens le rapport Djebbari (no 764) fait au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’assemblée nationale sur le projet de loi de la loi ferroviaire de 2018: «Le statut juridique de l’EPIC pose problème au regard de la jurisprudence constante de la Cour de Justice de l’Union européenne: elle considère que cela crée une garantie financière implicite et totale de l’État, ce qui est susceptible de fausser la concurrence. Sur le plan opérationnel, la transformation en SA permet de conserver le contrôle de la stratégie de l’entreprise».

(84)  Voir considérant (26).

(85)  Lorsqu’ils ne sont pas altérés à la suite du changement de personnalité juridique.

(86)  Communication de la Commission aux États membres: Application des articles 92 et 93 du traité CEE et de l’article 5 de la directive 80/723/CEE de la Commission aux entreprises publiques du secteur manufacturier (JO C 307 du 13.11.1993, p. 3, point 11). Cette communication concerne le secteur manufacturier, mais en application de son paragraphe 3, elle peut s’appliquer aux autres secteurs économiques «dans la mesure où les principes de la présente communication sont applicables à ces secteurs exclus, et si la Commission estime qu'il est indispensable de déterminer s'il y a aide d'État» Voir également l’arrêt du Tribunal du 30 avril 1998, Cityflyer, T-16/96, EU:T:1998:78, point 51.

(87)  Arrêt de la Cour du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Kosice, C-300/16 P, EU:C:2017:706, point 28.

(88)  Arrêt du Tribunal du 25 juin 2015, SACE et Sace BT/Commission, T-305/13, EU:T:2015:435, point 48.

(89)  Arrêt de la Cour du 21 mars 1991, Italie/Commission (Alfa Romeo), C-305/89, EU:C:1991:142, points 22 et 23.

(90)  VFLI (devenu Captrain France) semble avoir réalisé entre 2011 et 2020 des exercices bénéficiaires à l’exception de 2019. Quant à Europorte, sa performance financière s’est durablement améliorée depuis 2011, puisque son résultat net initialement négatif pendant la période 2011-2016 est devenu depuis lors systématiquement positif (source Orbis).

(91)  Dans ses observations du 17 février 2022, la France note que «Ainsi la trajectoire du dernier plan stratégique de Fret SNCF montre une trajectoire soutenable pour le futur dès lors qu’elle s’accompagne d’une politique publique durable de soutien au wagon isolé, cette activité n’étant soutenable pour aucun opérateur sans corriger le différentiel de compétitivité entre la route et le rail du fait que la route ne paye pas encore ses externalités .» (soulignement ajouté)

(92)  Lors de l’adoption de la mesure 1 (et des mesures 2 et 3), la Commission observe qu’il n’y avait en particulier aucun régime d’aide spécifique au wagon isolé.

(93)  La Commission relève a contrario que certaines des mesures de soutien au secteur du fret ferroviaire mentionnées par la France dans ses observations du 17 février 2022 (à l’instar de l’écotaxe, une mesure envisagée par les autorités françaises en 2013 et visant à prélever une taxe nationale sur les véhicules de transport routier de marchandise au profit du secteur ferroviaire, mais abandonnée avant son adoption) n’ont jamais été mises en œuvre, ce qui aurait incité un investisseur prudent à ne pas les prendre en compte dans son plan d’affaires.

(94)  Points 22-23.

(95)  Envoi des autorités françaises du 6 avril 2018.

(96)  Voir considérant (34).

(97)  Annexe 11 de la réponse des autorités françaises du 16 octobre 2018.

(98)  Voir à cet effet les arrêts de la Cour du 29 avril 1999 Espagne/Commission, C-342/96, EU:C:1999:210, point 46 et du 29 juin 1999 DM Transport, C-256/97, EU:C:1999:332, point 24.

(99)  Observations du 20 juillet 2018 et du 17 février 2022.

(100)  Lors de la première phase s’étendant de septembre 2007 au premier semestre 2008 la branche fret de la SNCF aurait mis en œuvre le plan d'affaires 2008-2012, qui prévoyait notamment sa réorganisation industrielle, puis le plan d'affaires 2009-2011.

Lors d’une deuxième phase s’étendant du deuxième semestre 2008 à la fin 2009, la SNCF a mis en place un plan de restructuration intitulé «Schéma directeur pour un nouveau transport ferroviaire écologique de marchandises».

Lors d’une troisième phase s’étendant de la fin 2009 à 2015, la mise en œuvre du schéma directeur aurait fait l'objet d'un suivi régulier et précis par les organes de gouvernance du Groupe SNCF.

(101)  Ces indications sont tirées notamment des informations financières transmises ainsi que du procès-verbal de la réunion du CA du 6 juillet 2010.

(102)  Voir Tableau 1. Fret SNCF a des capitaux propres et un résultat net constamment négatifs jusqu’au 31 décembre 2019.

(103)  Ainsi, le bilan de 2019 indique un montant de capitaux propres négatif de -5 187 millions EUR et un endettement financier de 5 266 millions EUR.

(104)  Voir considérant (59).

(105)  Point 211 des observations des autorités françaises du 18 octobre 2018 (i) Business plan 2008-2012; (ii) plan d’affaires 2009-2011 daté d'avril 2008 (annexe 9 aux observations du 18 octobre 2018) (iii) schéma directeur pour un nouveau transport écologique daté du 18 septembre 2009 (annexe 10) et (iv) plan d'affaires 2010-2015 mettant en œuvre le schéma directeur de 2009 (annexe 11).

(106)  Arrêt du Tribunal du 16 janvier 2018, EDF/Commission, T-747/15, EU:T:2018:6, points 222 à 224.

(107)  Arrêt du 6 mars 2018, Commission/FIH, C-579/16 P, EU:C:2018:159, points 62-63 et 73 et jurisprudence citée.

(108)  Avis no 2019-028 du 9 mai 2019 relatif au projet d’ordonnance portant diverses dispositions relatives à la nouvelle SNCF.

(109)  Chapitre 2.3.3.

(110)  Voir note de bas de page 18.

(111)  Points 131 et 132.

(112)  Voir considérant (105).

(113)  Voir considérant (106).

(114)  Voir les observations des autorités françaises du 17 février 2022.

(115)  https://www.senat.fr/rap/a17-113-5/a17-113-57.html

(116)  Voir considérant (65).

(117)  Dans ses observations du 7 avril 2022, la France indique qu’à la fin 2021, Fret SNCF comptait 4.812 salariés, répartis à [80-90]% en agents statutaires et à [10-20]% en personnel contractuel. La part déjà élevée des agents statutaires l’était donc encore davantage à la date de l’octroi de la mesure 3.

(118)  Voir considérant (64).

(119)  Arrêt de la Cour du 10 décembre 2020, Comune di Milano/Commission, C-160/19 P, EU:C:2020:1012, notamment points 106 à 118.

(120)  Arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, BP Chemicals Limited/Commission, T-11/95, EU:T:1998:199, notamment point 180.

(121)  Ce constat préliminaire ne tient pas compte des aides couvertes par la décision de 2005, conformément à l’arrêt du 6 mars 2018, Commission/FIH, C-579/16 P, EU:C:2018:159, points 62-63.

(122)  Voir l’arrêt du 4 juin 2015, Commission/MOL, C-15/14 P, EU:C:2015:362, point 60.

(123)  Directive 2001/12/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2001 modifiant la directive 91/440/CEE du Conseil relative au développement de chemins de fer communautaires (JO L 75 du 15.3.2001, p. 1); directive 2001/13/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2001 modifiant la directive 95/18/CE du Conseil concernant les licences des entreprises ferroviaires (JO L 75 du 15.3.2001, p. 26); directive 2001/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2001 concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité (JO L 75 du 15.3.2001, p. 29).

(124)  Règlement (CE) 881/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 instituant une Agence ferroviaire européenne (JO L 164 du 30.4.2004, p. 1); directive 2004/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 concernant la sécurité des chemins de fer communautaires et modifiant la directive 95/18/CE du Conseil concernant les licences des entreprises ferroviaires, ainsi que la directive 2001/14/CE concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité (JO L 164 du 30.04.2004, p. 44); directive 2004/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 modifiant la directive 96/48/CE du Conseil relative à l’interopérabilité du système ferroviaire transeuropéen à grande vitesse et la directive 2001/16/CE du Parlement européen et du Conseil relative au développement du système ferroviaire transeuropéen conventionnel (JO L 164 du 30.04.2004, p. 114); directive 91/440/CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, précité, directive2004/51/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 modifiant la directive 91/440/CEE du Conseil relative au développement de chemins de fer communautaires, (JO L 164 du 30.4.2004, p. 164).

(125)  Voir, en particulier, l’arrêt de la Cour du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission, 730/79, EU:C:1980:209, point 11; arrêt de la Cour du 22 novembre 2001, Ferring, C-53/00, EU:C:2001:627, point 21; arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/ Commission, C-372/97, EU:C:2004:234, point 44.

(126)  Arrêt du Tribunal du 30 avril 1998, Het Vlaamse Gewest/Commission, T-214/95, EU:T:1998:77, points 49-52.

(127)  Arrêt Alfa Romeo précité, point 26.

(128)  Communication de la Commission relative à la notion d»«aide d'État» visée à l'article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, (JO C 262 du 19.7.2016, p. 1).

(129)  Points 185 et 186.

(130)  Tkm = tonnes.km.

(131)  Directive 2004/51/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 modifiant la directive 91/440/CEE du Conseil relative au développement de chemins de fer communautaires (JO L 164 du 30.4.2004, p. 164).

(132)  Voir l’arrêt de la Cour du 28 avril 1993, République italienne/Commission, C-364/90, EU:C:1993:157, point 20.

(133)  Conclusions de l'avocat général Bot dans l’affaire Essent Belgium NV (affaires jointes C-204/12 à C-208/12, EU:C:2013:294, point 97).

(134)  Arrêt de la Cour du 22 septembre 2020, Autriche/Commission («Hinkley Point»), C-594/18 P, EU:C:2020:742, point 100.

(135)  Règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) no 401/2009 et (UE) 2018/1999 (JO L 243 du 9.7.2021, p. 1).

(136)  Lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté autres que les établissements financiers, (JO C 249 du 31.7.2014, p. 1).

(137)  Pour les raisons invoquées au considérant (72), la Commission ne considère pas, contrairement aux allégations des autorités françaises, que le bénéficiaire soit «la SNCF» mais bien Fret SNCF.


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