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Document 62024CO0047
Order of the Court (Seventh Chamber) of 1 October 2024.#CN v Cofidis Magyarországi Fióktelepe.#Request for a preliminary ruling from the Fővárosi Törvényszék.#Case C-47/24.
Order of the Court (Seventh Chamber) of 1 October 2024.
CN v Cofidis Magyarországi Fióktelepe.
Request for a preliminary ruling from the Fővárosi Törvényszék.
Case C-47/24.
Order of the Court (Seventh Chamber) of 1 October 2024.
CN v Cofidis Magyarországi Fióktelepe.
Request for a preliminary ruling from the Fővárosi Törvényszék.
Case C-47/24.
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2024:869
ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)
1er octobre 2024 (*)
« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Directive 93/13/CEE – Protection des consommateurs – Clauses abusives dans des contrats de prêt libellés en devise étrangère conclus avec des consommateurs – Exigence de présentation du contexte factuel et réglementaire du litige au principal – Exigence d’indication des raisons justifiant la nécessité d’une réponse par la Cour ainsi que du lien entre les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est demandée et la législation nationale applicable – Absence de précisions suffisantes – Irrecevabilité manifeste »
Dans l’affaire C‑47/24,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), par décision du 10 janvier 2024, parvenue à la Cour le 25 janvier 2024, dans la procédure
CN
contre
Cofidis Magyarországi Fióktelepe,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. F. Biltgen, président de chambre, Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de la deuxième chambre, faisant fonction de juge de la septième chambre, et Mme M. L. Arastey Sahún, juge,
avocat général : M. A. M. Collins,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant CN à Cofidis Magyarországi Fióktelepe (ci-après « Cofidis ») au sujet d’une demande d’exécution forcée, formée par le prédécesseur en droit de Cofidis, d’un jugement par lequel CN a été condamné au paiement d’une somme d’argent au titre d’une créance issue d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère conclu entre CN et le prédécesseur en droit de Cofidis et résilié par ce dernier.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 93/13
3 Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
4 L’article 7, paragraphe 1, de cette directive prévoit :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
Le règlement de procédure de la Cour
5 L’article 94 du règlement de procédure de la Cour dispose :
« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :
a) un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;
b) la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ;
c) l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »
Le droit hongrois
Le code civil
6 Conformément à l’article 209, paragraphe 1, de la polgári törvénykönyvről szóló 1959. évi IV. törvény (loi no IV de 1959, instituant le code civil), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code civil ») :
« Une partie peut contester toute condition générale contractuelle considérée comme étant abusive. »
7 L’article 209/A du code civil disposait :
« Une clause abusive dans un contrat de consommation peut être contestée par le consommateur même si elle ne peut être qualifiée de clause contractuelle générale. »
8 Aux termes de l’article 209/B du code civil :
« 1. Une condition générale contractuelle ou une clause d’un contrat conclu avec un consommateur est abusive lorsque, en violation des exigences de bonne foi, elle détermine unilatéralement et sans motif, au détriment d’une des parties, les droits et obligations des parties découlant du contrat.
2. Les droits et obligations défavorables sont réputés déterminés unilatéralement et sans motif :
a) s’ils s’écartent sensiblement d’une disposition essentielle, applicable au contrat ; ou
b) s’ils sont incompatibles avec l’objet ou le but du contrat.
3. Il y a lieu, afin de constater le caractère abusif d’une clause, de prendre en considération toutes les circonstances existant à la date de la conclusion du contrat et qui en ont déterminé la conclusion, ainsi que la nature de la prestation convenue et le lien de la clause en question avec d’autres clauses du contrat ou avec d’autres contrats.
[...] »
La loi no III de 1952, portant code de procédure civile
9 Conformément à l’article 253, paragraphe 3, de la polgári perrendtartásról szóló 1952. évi III. törvény (loi no III de 1952, portant code de procédure civile) :
« La juridiction de second degré ne peut réformer la décision rendue par la juridiction de première instance que dans le cadre défini par l’appel (appel incident) et le mémoire en défense [...] Dans ce cadre, elle peut toutefois se prononcer sur des questions qui fondent le droit invoqué dans l’affaire ou la défense présentée à cet égard et qui n’ont pas été examinées par la juridiction de première instance ou sur lesquelles cette dernière ne s’est pas prononcée. [...] »
La loi no CXXX de 2016, portant code de procédure civile
10 L’article 528, paragraphe 2, de la polgári perrendtartásról szóló 2016. évi CXXX. törvény (loi no CXXX de 2016, portant code de procédure civile) dispose :
« Le débiteur peut, par requête, demander l’annulation ou la limitation de l’ordonnance d’exécution forcée ou du titre exécutoire qui en fait l’objet si
a) la créance à recouvrer ou le droit d’exécution forcée sont prescrits,
[...] »
La loi no LIII de 1994, relative à l’exécution judiciaire
11 Aux termes de l’article 15, paragraphe 1, de la bírósági végrehajtásról szóló 1994. évi LIII. törvény (loi no LIII de 1994, relative à l’exécution judiciaire) :
« Le tribunal saisi de l’affaire en première instance émet un certificat d’exécution
a) en se fondant sur la décision de condamnation en matière [...] civile,
b) en se fondant sur la partie d’une décision du tribunal dans une affaire pénale par laquelle ce dernier se prononce sur une demande de droit civil,
c) en se fondant sur un accord homologué par le tribunal. »
12 Conformément à l’article 23/C, paragraphe 1, de cette loi :
« Le notaire qui dresse l’acte annexe une clause exécutoire à l’acte notarié si celui-ci précise :
a) l’engagement portant sur la prestation et la contreprestation ou l’engagement unilatéral,
b) le nom du créancier et celui du débiteur,
c) l’objet de l’obligation, sa quantité (son montant) et sa cause, ainsi que
d) les modalités et le délai de l’exécution. »
13 Aux termes de l’article 41, paragraphe 1, de ladite loi :
« 1. Si le débiteur produit un document établissant que l’obligation à exécuter est dépourvue de fondement, qu’elle a déjà été exécutée ou qu’elle s’est éteinte pour un autre motif, ou fait valoir que la créance ou le droit d’exécution sont prescrits, l’huissier de justice invite la partie demandant l’exécution, en se référant aux éléments de preuve, à établir l’existence de l’obligation dans un délai de quinze jours [...] L’attention de la partie demandant l’exécution forcée doit être attirée sur les conséquences juridiques visées au paragraphe 3. »
14 L’article 217, paragraphe 1, de la même loi dispose :
« La partie qui s’oppose à l’exécution ou toute autre partie intéressée peut former une opposition [...] devant la juridiction compétente en matière d’exécution forcée contre tout acte ou [toute] omission de l’huissier de justice qui porte atteinte de manière substantielle aux règles de la procédure d’exécution et au droit ou à l’intérêt légitime de la partie qui s’oppose à l’exécution [...] Aux fins du présent article, on entend par violation substantielle des règles de la procédure d’exécution toute violation de la règle de droit qui a eu une incidence sur le fond du déroulement de la procédure d’exécution. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
15 Le 15 novembre 2005, un contrat de prêt libellé en francs suisses (CHF) a été conclu entre CN, un consommateur, et Banif Plus Bank Zrt., le prédécesseur en droit de Cofidis. Ce contrat de prêt contenait notamment une clause ayant pour effet de transférer à CN le risque de change associé à l’appréciation de la devise ainsi stipulée.
16 Le 22 avril 2008, Banif Plus Bank a résilié ledit contrat de prêt.
17 Par un jugement définitif du 22 avril 2014 (ci-après le « jugement du 22 avril 2014 »), le Budapesti IV. és XV. Kerületi Bíróság (tribunal des IVe et XVe arrondissements de Budapest, Hongrie) a condamné CN, à la demande de Banif Plus Bank, à payer la somme de 1 318 517 forints hongrois (HUF) (environ 3 364 euros), augmentée des frais accessoires, condamnation fondée sur le défaut de paiement, par CN, des tranches du même contrat de prêt.
18 Par une requête du 23 avril 2015, Banif Plus Bank a demandé que soit ordonnée l’exécution forcée de ce jugement. À la suite de cette demande, le Budapesti IV. és XV. Kerületi Bíróság (tribunal des IVe et XVe arrondissements de Budapest) a émis un certificat d’exécution dudit jugement.
19 Avec effet au 31 décembre 2016, Banif Plus Bank a été radiée du registre du commerce et son existence juridique a pris fin à la suite d’une ordonnance, passée en force de la chose jugée, de la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), qui est la juridiction de renvoi. Par cette ordonnance, Cofidis S.A. a été désignée comme étant le successeur en droit de Banif Plus Bank par suite de la fusion ayant eu lieu à la même date.
20 Par une ordonnance du 17 août 2023 (ci-après l’« ordonnance du 17 août 2023 »), le Budapesti IV. és XV. Kerületi Bíróság (tribunal des IVe et XVe arrondissements de Budapest) a constaté, à la demande de l’huissier de justice concerné, que, à la suite de la désignation de Cofidis S.A. comme étant le successeur en droit de Banif Plus Bank, Cofidis était désormais le successeur en droit de cette dernière aux fins de l’exécution forcée du jugement du 22 avril 2014.
21 CN a formé un recours contre cette ordonnance auprès de la juridiction de renvoi, demandant que celle-ci soit annulée et qu’il soit mis fin à la procédure d’exécution forcée correspondante. À cet égard, CN fait, notamment, valoir que l’huissier de justice concerné aurait dû tenir compte du fait que le droit d’exécution au titre du jugement du 22 avril 2014 était manifestement prescrit depuis le 31 décembre 2021. Il relève, à cet effet, que, Banif Bank Plus ayant cessé d’exister le 31 décembre 2016, Cofidis aurait dû invoquer ses droits dans le délai de prescription de cinq ans à compter de cette dernière date, mais que celle-ci ne l’a fait qu’un an et demi après l’expiration de ce délai.
22 Cofidis n’a pas déposé d’observations à la suite du recours formé par CN.
23 Par une ordonnance du 10 janvier 2024, la juridiction de renvoi a confirmé l’ordonnance du 17 août 2023 pour autant que celle-ci porte sur la succession en droit visée au point 20 de la présente ordonnance. Toutefois, elle a réservé sa décision sur le point de savoir si, en cas de poursuite de l’exécution forcée en cause au principal, à laquelle il serait, selon cette juridiction, possible de mettre fin en application de l’article 528 de la loi no CXXX de 2016, portant code de procédure civile, il serait justifié de poursuivre la procédure d’exécution forcée correspondante en tant qu’elle concerne l’obligation de paiement découlant de la clause contractuelle relative au risque de change.
24 Cette juridiction considère, dans ce cadre, que cette clause revêt un caractère abusif, compte tenu du fait que l’information de CN quant à l’existence d’un risque de change s’est limitée à la précision selon laquelle « le client reconnaît et accepte que, si une devise étrangère est choisie, le capital restant dû et les mensualités peuvent varier en raison des variations des taux de change, et il assume ce risque de variations ». Une telle information ne saurait en effet être considérée comme étant suffisante au regard la jurisprudence issue des arrêts du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a. (C‑186/16, EU:C:2017:703), ainsi que du 20 septembre 2018, OTP Bank et OTP Faktoring (C‑51/17, EU:C:2018:750).
25 Cela étant, selon ladite juridiction, le caractère abusif de ladite clause, qui a eu une incidence sur l’importance des obligations financières incombant à CN au titre du contrat de prêt en cause au principal, n’a été examiné à aucun stade des procédures antérieures à celle dont elle est saisie, alors que, conformément à la jurisprudence issue des arrêts du 21 février 2013, Banif Plus Bank (C‑472/11, EU:C:2013:88), et du 30 mai 2013, Jőrös (C‑397/11, EU:C:2013:340), une telle clause aurait dû faire l’objet d’un examen d’office.
26 La juridiction de renvoi précise que l’omission d’un tel examen s’explique par le fait que les arrêts pertinents de la Cour, visés au point 24 de la présente ordonnance, n’ont été prononcés qu’après que le jugement du 22 avril 2014 a été rendu.
27 La juridiction de renvoi ajoute que de nombreux litiges similaires seraient actuellement pendants devant les juridictions hongroises. La solution de ces litiges dépendrait ainsi, en l’état, dans une large mesure, du point de savoir si le jugement dans chacun de ces litiges a été rendu avant ou après le prononcé de ces arrêts. Or, dans ces conditions, l’objectif de la directive 93/13, qui serait la protection des consommateurs, risquerait de ne pas être atteint, étant donné que, en fonction du moment où il a été statué dans les affaires portant sur de tels litiges, certains consommateurs supporteraient les conséquences juridiques des clauses abusives, tandis que d’autres ne les supporteraient pas.
28 En revanche, s’il est permis aux juridictions nationales de constater d’office, dans les procédures d’exécution dont elles sont saisies, le caractère abusif d’une clause relative au risque de change, celles-ci pourraient en informer le débiteur en l’invitant à indiquer s’il souhaite que les conséquences juridiques du contrat concerné soient éliminées et que le montant de l’exécution forcée soit réduit. Si le consommateur le demande, la partie qui demande l’exécution forcée pourrait être invitée à déclarer la réduction de la créance après déduction des créances résultant des clauses contractuelles abusives. L’exécution forcée ne pourrait alors plus se poursuivre que pour la créance résultant de l’inapplication des clauses contractuelles abusives.
29 Dans ces circonstances, la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La réalisation pleine et entière des objectifs de la directive [93/13] implique-t-elle que, dans le cadre de l’adoption d’une ordonnance dans une procédure d’exécution pendante et de l’appréciation de celle-ci, le juge ou la chambre saisi[s] de l’affaire constate[nt], sur la base des arrêts [du 21 février 2013, Banif Plus Bank (C‑472/11, EU:C:2013:88), et du 30 mai 2013, Jőrös (C‑397/11, EU:C:2013:340)], le caractère manifestement abusif des clauses du contrat sur lequel se fonde la décision à exécuter, y compris en ce qui concerne l’objet principal du contrat, dès lors qu’il ou elle en a connaissance de manière officielle, et en informe le débiteur (consommateur) en l’invitant à déclarer s’il souhaite que soient tirées les conséquences juridiques du caractère abusif de la clause contractuelle en cause, et, si le consommateur le demande, invite la partie demandant l’exécution forcée à réduire sa créance du montant résultant de l’application des clauses contractuelles abusives imposées au consommateur et à en faire la déclaration à l’huissier de justice ?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, la réalisation des objectifs de la directive [93/13] implique-t-elle également de clarifier la question de savoir si une distinction peut être faite parmi les procédures d’exécution selon que l’exécution forcée est ordonnée au moyen de l’émission d’un certificat d’exécution, conformément à l’article 15, paragraphe 1, de la loi LIII de 1994, [relative à l’exécution judiciaire], ou de l’apposition de la clause exécutoire visée à l’article 23/C [de cette loi] ?
3) Compte tenu du grand nombre de procédures d’exécution de ce type en cours en Hongrie, une intervention législative est-elle nécessaire afin d’éviter une atteinte aux intérêts des consommateurs et de leur assurer dans les plus brefs délais la compensation du préjudice résultant des clauses contractuelles abusives, et [afin] que les consommateurs ne se voient pas libérés individuellement des conséquences de ces procédures d’exécution en fonction de la possibilité d’un examen juridictionnel découlant d’un acte d’exécution et ainsi de la possibilité que le caractère abusif de la clause contractuelle soit constaté ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
30 En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.
31 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.
32 À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que, selon une jurisprudence constante, si les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence, il n’en demeure pas moins que la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige. Comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie (arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 167 ainsi que jurisprudence citée).
33 En l’occurrence, ainsi que cela résulte des explications fournies par la juridiction de renvoi, le litige au principal a pour objet un recours introduit par CN contre l’ordonnance du 17 août 2023, portant sur l’exécution forcée du jugement du 22 avril 2014, par lequel CN avait été condamné à payer à Banif Plus Bank une somme d’argent d’un certain montant au titre d’une créance issue d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère conclu entre ces parties.
34 Par cette ordonnance, Cofidis a été substituée à Banif Plus Bank, en tant que successeur en droit de cette dernière, aux fins de la poursuite de la procédure d’exécution menée à l’égard de CN, étant donné que Banif Plus Bank avait cessé d’exister juridiquement avec effet au 31 décembre 2016.
35 Pour contester ladite ordonnance et, ainsi, s’opposer à la poursuite de la procédure d’exécution forcée concernée, CN fait valoir, devant la juridiction de renvoi, que le droit d’exécution en cause au principal est prescrit depuis le 31 décembre 2021, compte tenu de l’expiration, à cette date, du délai de prescription de cinq ans applicable, délai qui aurait commencé à courir le 31 décembre 2016.
36 Or, la juridiction de renvoi, pour sa part, tout en ne s’étant pas, à ce stade du litige, définitivement prononcée sur cette demande de CN, semble néanmoins admettre le bien-fondé de l’argumentation invoquée à l’appui de celle-ci, tirée du seul droit interne, dans la mesure où il ressort des précisions fournies par cette juridiction que la question de l’interprétation de la directive 93/13 ne se pose qu’en cas de poursuite de l’exécution forcée « à laquelle il est possible de mettre fin [...] dans le cas présent », en application de la procédure prévue à l’article 528 de la loi no CXXX de 2016, portant code de procédure civile, dont le paragraphe 2, sous a), prévoit l’hypothèse où le droit d’exécution forcée est prescrit.
37 Il apparaît ainsi que le litige au principal peut être tranché en faisant droit à la demande de CN de mettre fin à la procédure d’exécution concernée compte tenu de l’expiration du délai prévu à cet effet dans le droit interne, sans qu’il soit besoin, aux fins de la solution de ce litige, d’effectuer une interprétation de la directive 93/13.
38 Certes, il découle d’une jurisprudence constante que les juridictions nationales sont libres d’exercer la faculté de saisir la Cour à tout moment de la procédure qu’elles jugent approprié. En effet, le choix du moment le plus opportun pour interroger la Cour par voie préjudicielle est de leur compétence exclusive [arrêt du 30 avril 2024, M. N. (EncroChat), C‑670/22, EU:C:2024:372, point 67 et jurisprudence citée].
39 Il n’en demeure pas moins que les juges nationaux doivent, en exerçant cette compétence, s’assurer qu’il existe entre le litige au principal et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée un lien de rattachement tel que cette interprétation réponde à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit rendre (arrêt du 13 juillet 2023, Azienda Ospedale-Università di Padova, C‑765/21, EU:C:2023:566, point 54 et jurisprudence citée).
40 Or, au vu de ce qui est relevé aux points 36 et 37 de la présente ordonnance, il apparaît qu’un tel lien fait défaut en l’occurrence.
41 En second lieu, il convient, par ailleurs, de constater que la demande de décision préjudicielle ne répond, en tout état de cause, manifestement pas aux exigences prévues à l’article 94 du règlement de procédure.
42 À cet égard, il convient de rappeler que, dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à la procédure de renvoi préjudiciel devant la Cour au titre de l’article 267 TFUE, il est indispensable que la juridiction nationale explicite, dans cette décision, le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’inscrit le litige au principal et donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis [arrêt du 4 juin 2020, C.F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 23 et jurisprudence citée].
43 Ainsi, en vertu d’une jurisprudence constante, désormais reflétée à l’article 94, sous a) et b), du règlement de procédure, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. En outre, il est indispensable, comme le prévoit l’article 94, sous c), du règlement de procédure, que la demande de décision préjudicielle expose les raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la réglementation nationale applicable au litige au principal (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 59 et jurisprudence citée).
44 La même nécessité de parvenir à une interprétation utile pour le juge national exige que celui-ci respecte scrupuleusement ces exigences, lesquelles sont, par ailleurs, rappelées dans les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1) (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C‑561/19, EU:C:2021:799, point 68 ainsi que jurisprudence citée).
45 En l’occurrence, la demande de décision préjudicielle comporte trois questions visant, en substance, les conséquences qu’il convient de tirer de la directive 93/13, en vue de la « réalisation pleine et entière des objectifs de [cette directive] », dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée d’un jugement définitif, rendu contre un consommateur, par lequel ce consommateur a été condamné au paiement d’une somme d’argent au titre d’une créance issue d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère relevant du champ d’application de ladite directive. Ces questions visent l’hypothèse où, lors de la procédure ayant conduit à ce jugement, les clauses de ce contrat n’ont, en méconnaissance des enseignements issus la jurisprudence visée au point 25 de la présente ordonnance, pas fait l’objet d’un examen d’office de leur caractère abusif et où l’une de ces clauses s’avère effectivement abusive.
46 Il apparaît donc que lesdites questions, prises ensemble, portent sur l’encadrement, par le droit de l’Union, des modalités procédurales régissant l’examen d’office de clauses relevant du champ d’application de la directive 93/13.
47 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, fondée notamment sur le principe d’effectivité, le juge national, saisi de l’exécution forcée d’un jugement prononcé à l’égard d’un consommateur sans qu’ait été examiné le caractère éventuellement abusif de la totalité ou d’une partie des clauses de ce contrat, peut être tenu, en vertu de ce principe, de procéder lui-même, d’office, à cet examen. Une telle obligation n’existe toutefois que sous réserve d’une appréciation d’ensemble de la procédure ayant conduit au prononcé de ce jugement et, notamment, du point de savoir si les modalités procédurales applicables étaient de nature à permettre d’assurer le respect des droits que les consommateurs tirent de la directive 93/13 [voir, en ce sens, arrêt du 9 avril 2024, Profi Credit Polska (Réouverture de la procédure terminée par une décision définitive), C‑582/21, EU:C:2024:282, points 76 et 77 ainsi que jurisprudence citée].
48 En effet, le respect des exigences découlant du principe d’effectivité doit être analysé en tenant compte de la place des règles nationales concernées dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités vues comme un tout, ainsi que, le cas échéant, des principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure. Dans cette perspective, la Cour a estimé que le respect du principe d’effectivité ne saurait aller jusqu’à suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné (arrêt du 17 mai 2022, Unicaja Banco, C‑869/19, EU:C:2022:397, point 28 et jurisprudence citée).
49 Or, force est de constater, premièrement, que, compte tenu de cette jurisprudence, la juridiction de renvoi a omis de fournir les faits pertinents en l’occurrence, de sorte que la demande de décision préjudicielle n’est pas conforme à l’article 94, sous a), du règlement de procédure.
50 En particulier, la demande de décision préjudicielle ne contient aucune information sur le déroulement de la ou des procédures, portant sur l’exécution de la créance en cause au principal, qui ont pu être menées entre le moment où le jugement du 22 avril 2014 a été déclaré exécutoire et la reprise de la procédure d’exécution par l’adoption de l’ordonnance du 17 août 2023, ou, au contraire, sur l’absence de toute procédure pendant cette période et sur les raisons qui sont à l’origine d’une telle absence.
51 S’agissant, deuxièmement, de l’article 94, sous b), du règlement de procédure, bien que la juridiction de renvoi ait exposé une partie du cadre juridique national susceptible de s’appliquer dans le litige dont elle est saisie, elle n’a fourni cependant aucune information relative aux modalités et aux conditions procédurales prévues dans le droit interne concernant les éléments visés au point 48 de la présente ordonnance, et notamment aux possibilités pour les intéressés, d’une part, de s’opposer, de façon régulière, à des jugements tels que celui dont l’exécution est en cause au principal et, d’autre part, d’obtenir, si besoin est, une réouverture ou un réexamen d’un tel jugement lorsque ce jugement est devenu définitif, mais est vicié par une illégalité.
52 Troisièmement, quant à l’article 94, sous c), du règlement de procédure, si, malgré l’absence de mention, dans le libellé des questions et dans les motifs du renvoi, des dispositions de la directive 93/13 concrètement visées par la demande de décision préjudicielle, il y a lieu de comprendre que ces questions concernent l’interprétation, notamment, des articles 6 et 7 de cette directive, la juridiction de renvoi n’a cependant nullement expliqué la nature des doutes qu’elle pourrait nourrir en ce qui concerne l’interprétation de ces dispositions.
53 À cela s’ajoute le fait que la décision de renvoi ne permet pas d’établir de lien entre les dispositions pertinentes du droit national, qui ne sont en effet pas exposées à suffisance dans celle-ci, et les articles 6 et 7 de la directive 93/13.
54 Il est ainsi impossible pour la Cour de comprendre les raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation de ces dispositions, telles qu’interprétées dans la jurisprudence à laquelle cette juridiction se réfère dans ce cadre, et, en conséquence, de répondre utilement aux questions posées.
55 En ce qui concerne au demeurant, plus particulièrement, la deuxième question, il y a encore lieu de préciser que cette question se rapporte au point de savoir s’il importe, aux fins de la directive 93/13, de distinguer les procédures d’exécution selon le titre exécutoire sur la base duquel elles sont menées, à savoir un acte notarié comprenant une clause exécutoire ou, comme dans le litige au principal, un jugement définitif assorti d’un certificat d’exécution. Or, s’il résulte de la jurisprudence qu’une telle distinction peut, en fonction des circonstances de l’espèce, être pertinente (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary, C‑32/14, EU:C:2015:637, point 47), force est néanmoins de constater que la juridiction de renvoi n’a pas fourni la moindre explication quant à l’éventuelle pertinence de cette distinction dans les circonstances du litige au principal, d’autant que seule l’exécution d’un jugement y est en jeu.
56 S’agissant de la troisième question, qui vise l’existence éventuelle d’une obligation pour le législateur de l’État membre concerné d’adopter une législation destinée à régler de manière coordonnée un grand nombre de litiges similaires ayant pour objet les droits tirés par les consommateurs de la directive 93/13, il convient d’ajouter que la juridiction de renvoi n’indique pas dans quelle mesure une réponse à cette question serait nécessaire pour trancher le litige dont elle est saisie (voir, en ce sens, arrêt du 31 mars 2022, Lombard Lízing, C‑472/20, EU:C:2022:242, point 68).
57 Au vu de tout ce qui précède, la demande de décision préjudicielle est, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, manifestement irrecevable.
Sur les dépens
58 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) ordonne :
La demande de décision préjudicielle introduite par la Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie), par décision du 10 janvier 2024, est manifestement irrecevable.
Signatures
* Langue de procédure : le hongrois.