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Document 61995CJ0362

Arrêt de la Cour (première chambre) du 16 septembre 1997.
Blackspur DIY Ltd, Steven Kellar, J.M.A. Glancy et Ronald Cohen contre Conseil de l'Union européenne et Commission des Communautés européennes.
Pourvoi - Responsabilité extracontractuelle de la Communauté - Lien de causalité - Droits antidumping - Règlements nºs 3052/88 de la Commission et 725/89 du Conseil.
Affaire C-362/95 P.

European Court Reports 1997 I-04775

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1997:401

61995J0362

Arrêt de la Cour (première chambre) du 16 septembre 1997. - Blackspur DIY Ltd, Steven Kellar, J.M.A. Glancy et Ronald Cohen contre Conseil de l'Union européenne et Commission des Communautés européennes. - Pourvoi - Responsabilité extracontractuelle de la Communauté - Lien de causalité - Droits antidumping - Règlements nºs 3052/88 de la Commission et 725/89 du Conseil. - Affaire C-362/95 P.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-04775


Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Parties


Dans l'affaire C-362/95 P,

Blackspur DIY Ltd, société de droit anglais, établie à Unsworth, Bury (Royaume-Uni),

Steven Kellar, J. M. A. Glancy et Ronald Cohen, demeurant à Manchester (Royaume-Uni),

représentés par M. K. P. E. Lasok, QC, mandaté par M. C. Khan, solicitor, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me M. Dennewald, 12, avenue de la Porte-Neuve

parties requérantes,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (première chambre élargie) du 18 septembre 1995, Blackspur e.a./Conseil et Commission (T-168/94, Rec. p. II-2627), et tendant à l'annulation de cet arrêt ainsi qu'au renvoi de l'affaire devant le Tribunal de première instance,

les autres parties à la procédure étant:

Conseil de l'Union européenne, représenté par M. Y. Crétien, conseiller juridique, en qualité d'agent, assisté de MM. H.-J. Rabe et G. M. Berrisch, avocats à Hambourg, ayant élu domicile auprès de M. B. Eynard, directeur de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

et

Commission des Communautés européennes, représentée par M. N. Khan, membre du service juridique, en qualité d'agent, assisté de MM. H.-J. Rabe et G. M. Berrisch, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,

LA COUR

(première chambre),

composée de MM. L. Sevón, président de chambre, D. A. O. Edward et M. Wathelet (rapporteur), juges,

avocat général: M. G. Tesauro,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales des parties requérantes, représentées par M. K. P. E. Lasok, du Conseil, représenté par M. A. Tanca, conseiller juridique, en qualité d'agent, assisté de M. G. M. Berrisch, et de la Commission, représentée par M. N. Khan, assisté de M. G. M. Berrisch, à l'audience du 24 avril 1997,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 5 juin 1997,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 27 novembre 1995, la société Blackspur DIY Ltd (ci-après «Blackspur») ainsi que MM. Steven Kellar, J. M. A. Glancy et Ronald Cohen ont, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 18 septembre 1995, Blackspur e.a./Conseil et Commission (T-168/94, Rec. p. II-2627, ci-après l'«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à la condamnation, au titre des articles 178 et 215, deuxième alinéa, du traité CEE, du Conseil et de la Commission à la réparation du préjudice prétendument subi par les requérants du fait d'actes et d'omissions de ces institutions, dans le cadre de l'imposition d'un droit antidumping sur les importations de certaines brosses et de pinceaux à peindre originaires de la république populaire de Chine.

2 Il ressort de l'arrêt attaqué que, en juillet 1988, Blackspur, société de droit anglais nouvellement constituée avec un capital d'environ 750 000 UKL et ayant pour objet social la vente et la commercialisation d'outils destinés aux bricoleurs amateurs (marché du «do-it-yourself»), a passé une première commande d'importation de brosses en provenance de Chine. Le dédouanement de cette cargaison a eu lieu le 5 octobre 1988 (point 4).

3 Le 5 mars 1990, les autorités douanières du Royaume-Uni ont réclamé à Blackspur le versement d'un droit antidumping provisoire, au taux de 69 % du prix net par brosse, au titre du règlement (CEE) n_ 3052/88 de la Commission, du 29 septembre 1988, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de certaines brosses à peindre, à badigeonner, à vernir et similaires, originaires de la république populaire de Chine (JO L 272, p. 16) (points 2 et 4).

4 Le 20 mars 1989, le Conseil, par règlement (CEE) n_ 725/89 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de brosses et de pinceaux à peindre, à badigeonner, à vernir ou similaires, originaires de la république populaire de Chine, et portant perception définitive du droit antidumping provisoire institué sur ces importations (JO L 79, p. 24), a institué un droit définitif dont le taux était identique à celui du droit provisoire.

5 En août 1990, Blackspur a été placée en redressement (receivership), puis en liquidation (point 4).

6 Le 22 octobre 1991, la Cour, saisie d'une question préjudicielle par le Finanzgericht Bremen en application de l'article 177 du traité CEE, a, dans l'arrêt Nölle (C-16/90, Rec. p. I-5163), déclaré le règlement n_ 725/89 invalide, au motif que la valeur normale des produits en cause n'avait pas été déterminée d'une manière appropriée et non déraisonnable, au sens de l'article 2, paragraphe 5, sous a), du règlement (CEE) n_ 2423/88 du Conseil, du 11 juillet 1988, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 209, p. 1). Dans cet arrêt, la Cour a, en effet, estimé que l'entreprise allemande Nölle, importateur indépendant de brosses et de pinceaux, avait apporté, au cours de la procédure antidumping, des éléments suffisants pour faire apparaître des doutes sur le caractère approprié et non déraisonnable du choix du Sri Lanka comme pays de référence pour la détermination de la valeur normale et que la Commission et le Conseil n'avaient pas fait un effort sérieux et suffisant pour examiner si, comme Nölle l'avait proposé, Taiwan pouvait être considéré comme un pays de référence adéquat. A la suite à cet arrêt, la Commission a repris l'enquête et, par décision 93/325/CEE, du 18 mai 1993, clôturant la procédure antidumping concernant les importations de brosses et pinceaux à peindre, à badigeonner, à vernir ou similaires originaires de la république populaire de Chine (JO L 127, p. 15), a finalement clôturé la procédure sans instituer de droit antidumping (point 3).

7 C'est dans ces circonstances que Blackspur ainsi que ses directeurs, actionnaires et garants, MM. Kellar, Glancy et Cohen, ont, par requête déposée au greffe de la Cour le 10 août 1993, introduit un recours, au titre de l'article 215, deuxième alinéa, du traité, pour obtenir réparation du manque à gagner et du préjudice qu'ils avaient prétendument subis du fait du comportement illégal de la Communauté dans le cadre de l'institution du droit antidumping en question (point 5).

8 En application de l'article 4 de la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993, modifiant la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom instituant le Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 144, p. 21), l'affaire a été renvoyée, par ordonnance de la Cour du 18 avril 1994, devant le Tribunal.

L'arrêt attaqué

9 Dans l'arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours.

10 Tout d'abord, le Tribunal a rappelé que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l'engagement de la responsabilité de la Communauté dans le cadre de l'article 215, deuxième alinéa, du traité est subordonné à la réunion d'un ensemble de conditions relatives à l'illégalité du comportement reproché aux institutions communautaires, à la réalité du dommage et à l'existence d'un lien de causalité entre le comportement de l'institution concernée et le préjudice allégué (point 38).

11 Après avoir souligné que, selon la jurisprudence de la Cour, le lien de causalité au sens de l'article 215, deuxième alinéa, du traité requiert l'existence d'un lien direct de cause à effet entre le comportement de l'institution concernée et le préjudice invoqué, lien dont il appartient aux requérants d'apporter la preuve (point 40), le Tribunal a ensuite constaté que les requérants n'avaient pas, en l'occurrence, établi l'existence d'un tel lien (point 53).

12 A cet égard, s'agissant du préjudice subi par Blackspur, le Tribunal a considéré:

«41 En l'espèce, les requérants soutiennent que le préjudice subi par la requérante Blackspur, qu'ils estiment à 586 000 UKL, consiste dans la perte des bénéfices qu'elle aurait réalisés sur les ventes de brosses en provenance de Chine, lesquelles représentaient la moitié de son chiffre d'affaires, si elle n'avait pas été mise en liquidation en raison du comportement prétendument fautif des institutions communautaires et, en particulier, en raison de l'institution d'un droit antidumping d'un taux supérieur à celui de la marge de bénéfice qu'elle réalisait sur ces ventes...

42 Le Tribunal estime que les allégations des requérants, selon lesquelles les ventes de brosses à bas prix en provenance de Chine représentaient la moitié du chiffre d'affaires de Blackspur et que la perte de ce débouché commercial a été la cause principale des mauvais résultats financiers qu'elle a enregistrés et qui l'ont conduite à sa liquidation, ne peuvent pas être accueillies.

43 A cet égard, le Tribunal relève, à titre liminaire, que, en réponse à sa demande de produire les bilans de Blackspur pour les années 1988-1989 et 1989-1990 afin d'établir le bien-fondé de ces allégations, les requérants ont répondu qu'ils n'étaient `plus en possession des documents concernant le chiffre d'affaires de Blackspur'. Le Tribunal considère que, si les directeurs et associés de Blackspur pouvaient, éventuellement, faire valoir qu'ils n'étaient plus en possession des documents pertinents concernant le chiffre d'affaires de Blackspur pour les années en cause, compte tenu de la nomination de syndics et de la poursuite de la procédure de liquidation, il n'en va pas de même pour la partie requérante Blackspur. En effet, le Tribunal relève que, par lettre en date du 25 mars 1993, le cabinet en charge de la liquidation de Blackspur a consenti à ce que les avocats de cette dernière introduisent en son nom, en tant que liquidateur de Blackspur, le présent recours. Dans ce cas, on ne saurait accepter que le liquidateur de la requérante Blackspur n'ait pas été en mesure de produire les documents concernant la situation financière de la requérante, et il ne saurait incomber au Tribunal de se substituer à celle-ci en ordonnant la production de tels éléments de preuve.

44 Toutefois, le Tribunal constate que les requérants ont produit, en revanche, une lettre concernant les résultats financiers de Blackspur pour les périodes 1988-1989 et 1989-1990, rédigée par un cabinet d'experts-comptables, à l'attention de la deuxième partie requérante M. Kellar, directeur de Blackspur. En admettant que ce document puisse être regardé comme reflétant fidèlement la situation financière de Blackspur pour les périodes concernées, telle qu'elle résulterait d'un bilan établi en bonne et due forme, il convient d'examiner si les allégations des requérants en ce qui concerne la cause du préjudice prétendument subi par Blackspur sont suffisamment étayées par le contenu de ce document.

45 En ce qui concerne, en premier lieu, l'allégation selon laquelle les ventes de brosses importées de Chine auraient représenté la moitié du chiffre d'affaires de Blackspur, le Tribunal constate qu'il ressort de l'annexe 22 à la réplique, consistant en un résumé des positions de Blackspur concernant ses importations en provenance de Chine, que, d'une part, entre la date de sa constitution, en juillet 1988, et août 1990, date de l'ouverture de la procédure ayant conduit à sa mise en liquidation, Blackspur n'a importé qu'un seul lot de brosses en provenance de Chine, au mois de juillet 1988, d'une valeur totale de 40 948,38 UKL, pour lequel le droit antidumping provisoire à acquitter était de l'ordre de 18 116,83 UKL. D'autre part, ainsi qu'il ressort de la lettre susmentionnée du cabinet d'experts-comptables, pendant la période allant du 1er juillet 1988 au 31 août 1989, Blackspur a réalisé un chiffre d'affaires de 1 435 384 UKL.

46 Il ressort ainsi des pièces versées au dossier que Blackspur n'a pas effectué d'importations de brosses en provenance de Chine avant l'institution du droit antidumping litigieux et que l'affirmation de la requérante, selon laquelle les importations de brosses en provenance de Chine constituaient, pendant la période ayant précédé l'imposition du droit antidumping, la moitié de son chiffre d'affaires, n'est corroborée par aucun élément de preuve. Dans ces conditions, on ne saurait admettre que c'est la perte alléguée du débouché commercial représenté par les ventes de brosses originaires de Chine qui aurait été la cause principale des mauvais résultats financiers ayant conduit Blackspur à sa mise en liquidation.

47 Toutefois, à supposer même que cette affirmation de la requérante puisse être retenue aux fins de la suite du raisonnement du Tribunal, celui-ci constate que, ainsi qu'il ressort de la lettre susmentionnée du cabinet d'experts-comptables, 40,44 % du chiffre d'affaires que Blackspur a réalisé pendant la période du 1er juillet 1988 au 31 août 1989 (1 435 384 UKL) provenait des ventes de brosses d'une valeur totale de 580 503 UKL. Le Tribunal relève que cette constatation est en contradiction avec l'affirmation des requérants, selon laquelle c'est en raison de l'institution du droit antidumping que Blackspur n'a pas pu trouver d'autres sources d'approvisionnement alternatives et s'est vue, par conséquent, contrainte de se retirer du marché des ventes de brosses à bas prix. Il ressort également de la lettre susmentionnée que, si, pendant la période suivante (du 1er septembre 1989 au 31 juillet 1990), le pourcentage des ventes de brosses a baissé, passant de 40,44 à 3,01 %, le chiffre d'affaires de Blackspur a, en revanche, connu une augmentation significative de l'ordre de 30 %, ayant atteint 1 864 016 UKL.

48 Il résulte de ce qui précède que la perte alléguée du débouché commercial représenté par la vente de brosses originaires de Chine, même si elle a pu avoir comme effet de réduire le chiffre d'affaires réalisé sur ce produit lors de l'exercice 1989-1990, n'a aucunement empêché, en fait, Blackspur de poursuivre ses activités commerciales et même d'accroître considérablement son chiffre d'affaires lors de l'exercice 1989-1990, période qui a immédiatement précédé l'ouverture de la procédure ayant conduit à sa mise en liquidation. Le Tribunal constate que la lettre susmentionnée du cabinet d'experts-comptables ne contient aucune référence, indication ou explication, de nature à lui permettre de déterminer dans quelle mesure les résultats financiers enregistrés par Blackspur pendant la période 1988-1989 ont été influencés, ainsi qu'elle l'allègue, par la perte du marché des brosses à bas prix ni les raisons pour lesquelles le chiffre d'affaires que Blackspur a réalisé pendant les années 1988-1989 et 1989-1990 n'a pas été suffisant pour lui permettre d'exécuter le plan commercial approuvé par son banquier et d'éviter ainsi que ce dernier demande la nomination de syndics. Dès lors, et en l'absence de tout autre élément de preuve apporté par les requérants duquel ressortiraient les causes des mauvais résultats financiers prétendument enregistrés par Blackspur ainsi que les motifs précis de l'ouverture, en août 1990, à la demande de son banquier, d'une procédure ayant conduit à la mise en liquidation de Blackspur, il ne saurait être admis que la mise en liquidation de cette dernière ait été due à de mauvais résultats financiers entraînés par la cessation de ses ventes de brosses originaires de Chine, qui l'aurait privée de bénéfices estimés par les requérants à 586 000 UKL, à la suite de l'institution d'un droit antidumping sur ces brosses, et, encore moins, aux comportements prétendument fautifs des institutions défenderesses dans le cadre de l'institution de ce droit.

49 Enfin, il ne saurait, en tout état de cause, être sérieusement soutenu qu'un lien de causalité direct puisse exister entre la dette douanière de 18 116,83 UKL due au titre du droit antidumping appliqué au lot de brosses importées par Blackspur en juillet 1988, en provenance de Chine, et la mise en liquidation de celle-ci, les requérants n'ayant fourni, au cours de la procédure devant le Tribunal, aucune explication plausible du fait que cette dette d'un montant peu élevé a pu conduire à la liquidation judiciaire d'une société constituée par les apports en capital représentant environ 750 000 UKL...»

13 S'agissant du préjudice que prétendent avoir subi les autres requérants, en leur qualité de directeurs de Blackspur, en raison de la perte de leur apport en capital à cette société, ainsi qu'en leur qualité de garants, du fait qu'ils ont été appelés à honorer les garanties personnelles consenties à leur société, et d'associés de celle-ci, en raison de la perte de valeur de leur participation à son capital, le Tribunal a estimé, au point 52 de l'arrêt attaqué:

«dans la mesure où, ainsi qu'il vient d'être constaté, il n'est pas établi que la mise en liquidation de Blackspur présente un lien causal direct avec le comportement prétendument fautif des institutions défenderesses, il ne peut, non plus, exister un lien de causalité direct entre les préjudices que les requérants susmentionnés font valoir et le comportement fautif reproché aux institutions communautaires. Il convient d'ajouter que, ainsi qu'il résulte, par ailleurs, de la jurisprudence de la Cour, les pertes entraînées par un dépôt de bilan constituent un préjudice indirect et éloigné, de sorte que la Communauté ne serait tenue de réparer toute conséquence qui en découle (arrêt [de la Cour du 4 octobre 1979], Dumortier frères e.a./Conseil, [64/76 et 113/76, 167/78 et 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091], point 21)».

Le pourvoi

14 A l'appui de leur pourvoi, les requérants invoquent, en substance, plusieurs moyens ayant trait, en premier lieu, à la nature du préjudice pris en compte dans l'appréciation du lien de causalité, en deuxième lieu, à l'appréciation des éléments de preuve de l'existence du lien de causalité et, en troisième lieu, au rejet des demandes d'indemnisation des directeurs.

15 Le Conseil et la Commission demandent à la Cour de déclarer le pourvoi irrecevable ou, à titre subsidiaire, de le rejeter comme non fondé. Si la Cour devait néanmoins déclarer le pourvoi fondé, ils estiment qu'il serait inutile de renvoyer l'affaire devant le Tribunal, dès lors que les faits seraient suffisamment établis pour permettre à la Cour de statuer.

Appréciation de la Cour

16 Avant d'examiner les moyens soulevés par les requérants, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, un pourvoi ne peut, en vertu de l'article 168 A du traité CE et de l'article 51, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice, s'appuyer que sur des moyens portant sur la violation des règles de droit, à l'exclusion de toute appréciation des faits (voir, notamment, arrêt du 1er octobre 1991, Vidrányi/Commission, C-283/90 P, Rec. p. I-4339, point 12, et ordonnance du 17 septembre 1996, San Marco/Commission, C-19/95 P, Rec. p. I-4435, points 39 et 40).

Sur la nature du préjudice pris en compte dans l'appréciation du lien de causalité

17 Dans leur premier moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal n'a pas compris la mesure exacte du préjudice subi par Blackspur et les autres requérants, de telle sorte qu'il n'aurait pas correctement abordé en droit la question du lien de causalité entre ce préjudice et le comportement reproché aux institutions concernées.

18 En particulier, les requérants estiment que le point 41 de l'arrêt attaqué est entaché d'une erreur de droit en ce que le Tribunal y a attribué aux requérants l'affirmation selon laquelle les ventes de brosses chinoises représentaient la moitié du chiffre d'affaires réalisé par Blackspur, alors que, en réalité, les requérants se seraient limités à affirmer que ces ventes auraient dû représenter environ la moitié du chiffre d'affaires prévu par Blackspur. En outre, dans le même point, le Tribunal aurait attribué aux requérants l'affirmation selon laquelle le manque à gagner de 586 000 UKL était dû au fait que Blackspur avait été mise en liquidation, alors que, en réalité, selon l'argumentation des requérants, ce manque à gagner a découlé de ce que cette société a été privée, par suite de l'institution du droit antidumping litigieux, d'une partie importante de ses activités pendant la période de novembre 1989 à juin 1990, c'est-à-dire avant même que Blackspur ait été mise en liquidation.

19 Il y a lieu de relever, d'emblée, que le Tribunal a rejeté la demande de réparation des requérants au motif qu'ils n'avaient pas établi l'existence d'un lien de causalité entre le comportement prétendument illégal des institutions communautaires et le préjudice invoqué.

20 A cet égard, le Tribunal, au point 26 de l'arrêt attaqué, a correctement repris la description par les requérants du préjudice invoqué puisqu'il y a constaté que ce dernier correspondait «aux bénéfices que (Blackspur) aurait pu réaliser en vendant des brosses originaires de Chine, à savoir 586 000 UKL, si les institutions communautaires n'avaient pas eu le comportement qui leur est reproché».

21 En outre, au point 48 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que les requérants n'avaient fourni aucun élément probatoire permettant d'expliquer le fait, allégué par eux, que les mauvais résultats financiers, susvisés, auraient été dus à la cessation des ventes de brosses originaires de Chine. Dans le même point, le Tribunal a au contraire relevé que la disparition du débouché commercial représenté par la vente des brosses chinoises n'avait pas empêché Blackspur de poursuivre ses activités commerciales jusqu'en août 1990, époque à laquelle s'est ouverte la procédure de redressement. En effet, de la lecture de la documentation produite par les requérants, le Tribunal a déduit, au point 47, que le volume d'affaires, durant la seule période allant de juillet 1988 à août 1989, s'était élevé à 1 435 384 UKL, dont 40,44 % provenaient des ventes de brosses, et que, pour la période suivante (de septembre 1989 à juillet 1990), le volume d'affaires avait progressé de 30 % environ, et ce en dépit de la forte diminution du pourcentage de vente de brosses, passé de 40,44 % à 3,01 %.

22 En l'absence d'autres éléments probants, le Tribunal était justifié à conclure, au point 48 de l'arrêt attaqué, que les requérants n'avaient pas apporté la preuve d'un lien de causalité entre, d'une part, la cessation des ventes de brosses originaires de Chine, à la suite de l'institution d'un droit antidumping sur ces brosses, et, d'autre part, la perte alléguée de bénéfices, ce qui aurait entraîné la mise en liquidation de la société.

23 Dans ces conditions, le moyen tiré d'une attribution erronée aux requérants, au point 41 de l'arrêt, de l'affirmation selon laquelle le volume d'affaires de Blackspur aurait été constitué pour moitié de la vente de brosses chinoises est inopérant. En effet, à supposer même qu'il soit établi, ce moyen concerne des motifs surabondants de l'arrêt attaqué et n'est pas de nature à remettre en question la constatation par le Tribunal que les requérants n'ont fourni aucun élément probatoire permettant d'établir un lien de causalité entre les mauvais résultats financiers, estimés par les requérants à 586 000 UKL, et la cessation des ventes de brosses originaires de Chine, constatation sur laquelle se fonde le rejet de la demande en indemnité (voir, notamment, ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C-137/95 P, Rec. p. I-1611, point 47).

24 Quant à la seconde affirmation qui aurait été attribuée erronément aux requérants, selon laquelle la perte de 586 000 UKL aurait dû être imputée à la mise en liquidation de Blackspur, il suffit de constater que, au point 48 in fine, de l'arrêt attaqué, le Tribunal rappelle, pour la rejeter, la position des requérants telle qu'elle est exposée devant la Cour, en ce sens que le préjudice économique aurait été une cause de la liquidation de la société et non une conséquence de celle-ci.

25 Le premier moyen doit donc être rejeté comme non fondé.

Sur l'appréciation des éléments de preuve de l'existence du lien de causalité

26 Dans leur deuxième moyen, les requérants estiment que, dans l'appréciation des éléments de preuve de l'existence du lien de causalité, le Tribunal n'a pas respecté le droit à un procès équitable ni les droits de la défense. Ils répètent que le Tribunal aurait également mal abordé la question du lien de causalité du fait qu'il aurait mal compris la demande de réparation.

27 Dans la première branche du deuxième moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal a, sans motivation, écarté certains éléments de preuve pertinents, en l'occurrence les informations contenues à l'annexe 1 de la requête et à l'annexe 26 du mémoire en réplique, pour se fonder sur une pièce unique, à savoir la lettre du cabinet d'experts-comptables concernant les résultats financiers de Blackspur pour les exercices 1988-1989 et 1989-1990, dont il est question au point 44 de l'arrêt attaqué. Cette lettre aurait été rédigée spécifiquement pour répondre à une demande d'information du Tribunal concernant le chiffre d'affaires de Blackspur, et non pas pour examiner la question du lien de causalité. Les requérants ajoutent que le Tribunal aurait dû ordonner des mesures d'instruction.

28 A cet égard, il suffit de constater que le point 27 de l'arrêt attaqué fait référence au rapport, contenu à l'annexe 1 de la requête, lequel a été produit par les requérants pour appuyer l'évaluation du préjudice invoqué, tel que pris en compte dans l'appréciation du lien de causalité. En outre, le point 45 de l'arrêt attaqué se réfère à l'annexe 22 de la réplique et le point 46 aux «pièces versées au dossier». Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que, dans l'analyse du lien de causalité, le Tribunal a tenu compte d'un seul élément de preuve, à savoir la lettre du cabinet d'experts-comptables visée au point 44.

29 En tout état de cause, il y a lieu d'observer que, ainsi que la Cour l'a déjà itérativement jugé, il appartient au seul Tribunal d'apprécier la valeur qu'il convient d'attribuer aux éléments de preuve produits devant lui (arrêt du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C-136/92 P, Rec. p. I-1981, point 66, et ordonnance San Marco/Commission, précitée, point 40). Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 2 mars 1994, Hilti/Commission, C-53/92 P, Rec. p. I-667, point 42).

30 En l'occurrence, il n'est pas établi que le Tribunal a dénaturé des éléments de preuve en déduisant de la lettre du cabinet d'experts-comptables, dont il est question au point 44 de l'arrêt attaqué, des informations qu'elle ne reflète pas. Ce document préparé par les requérants eux-mêmes comporte, en effet, des chiffres relatifs à la situation économique de Blackspur, en particulier sur le volume d'affaires et le pourcentage d'incidence des ventes de brosses. La circonstance qu'il ait été produit pour répondre à la question du Tribunal sur le chiffre d'affaires de Blackspur n'empêchait pas ce dernier d'utiliser son contenu objectif pour apprécier l'existence du lien de causalité ni de constater que ce document ne contenait aucun élément probant à cet égard.

31 Par ailleurs, il appartient au premier chef à la partie qui met en cause la responsabilité de la Communauté d'apporter des preuves concluantes quant à l'existence ou à l'étendue du préjudice qu'elle invoque et d'établir le lien de causalité entre ce dommage et le comportement incriminé des institutions communautaires (voir, notamment, arrêt du 21 mai 1976, Roquette frères/Commission, 26/74, Rec. p. 677, points 22 et 23).

32 En l'occurrence, le Tribunal a précisément constaté, au point 48 de l'arrêt attaqué, que les requérants n'avaient pas apporté les éléments de preuve desquels ressortiraient les causes des mauvais résultats financiers prétendument enregistrés par Blackspur ainsi que les motifs précis de l'ouverture, en août 1990, à la demande de son banquier, d'une procédure ayant conduit à la mise en liquidation de Blackspur. En tout état de cause, il ne ressort pas du dossier, ainsi que l'observe M. l'avocat général au point 26 de ses conclusions, que les requérants aient formulé des demandes de mesures d'instruction suffisamment claires et précises.

33 Il en résulte que les arguments des requérants visant à contester l'appréciation portée par le Tribunal sur certains éléments de preuve qui lui étaient soumis sont irrecevables et, partant, doivent être écartés, dès lors que les requérants n'ont ni établi ni même soutenu que le Tribunal avait dénaturé ces éléments.

34 Par suite, le deuxième moyen, dans sa première branche, doit être rejeté.

35 Dans la seconde branche du deuxième moyen, les requérants reprochent au Tribunal d'avoir mal compris leur demande de réparation. D'une part, le Tribunal aurait repris, au point 46 de l'arrêt attaqué, une prétendue affirmation de Blackspur selon laquelle les importations de brosses en provenance de Chine constituaient, pendant la période ayant précédé l'imposition du droit antidumping, la moitié de son chiffre d'affaires pour ensuite constater que cette affirmation n'était corroborée par aucun élément de preuve. D'autre part, au point 47, le Tribunal aurait également attribué à tort aux requérants l'affirmation selon laquelle l'institution même du droit antidumping aurait empêché Blackspur de trouver des sources d'approvisionnement alternatives, ce qui l'aurait, par conséquent, contrainte de se retirer du marché des ventes de brosses à bas prix, pour ensuite constater, au regard des chiffres des ventes réelles de brosses réalisées au cours de la période comprise entre le 1er juillet 1988 et le 31 août 1989, que cette allégation était inexacte.

36 Les requérants ajoutent que leur véritable argument devant le Tribunal était que Blackspur, société constituée en 1988 et dont les premiers résultats financiers étaient faibles, était susceptible d'être particulièrement affectée par la rupture d'échanges qui pouvait résulter de l'institution d'un droit antidumping sur une ligne de produits qui, selon son plan d'exploitation, aurait dû représenter approximativement la moitié de son chiffre d'affaires. La continuation de ses activités et, partant, l'augmentation de son chiffre d'affaires, après l'institution du droit antidumping, à la suite, notamment, de la recherche de sources d'approvisionnement alternatives, c'est-à-dire non chinoises, ou par la vente de certains stocks de brosses à peindre, traduiraient les efforts entrepris par cette société pour survivre aux conséquences de l'institution du droit antidumping, mais ne permettraient nullement d'inférer que les requérants n'ont pas subi un préjudice consistant en la perte de marché consécutive à l'institution du droit antidumping. De surcroît, il reviendrait au Conseil et à la Commission de prouver, d'une part, que les circonstances étaient telles que les requérants auraient pu ou dû prendre des mesures particulières de nature à éviter le préjudice invoqué, et, d'autre part, que les mesures effectivement prises par les requérants soit ont aggravé la situation, soit étaient inadéquates à telle enseigne que les requérants devraient assumer une partie au moins de la responsabilité des pertes encourues.

37 A cet égard, il y a lieu de relever que, au point 26 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que, selon les requérants, «le préjudice subi par Blackspur correspond aux bénéfices que cette dernière aurait pu réaliser en vendant des brosses originaires de Chine, à savoir 586 000 UKL, si les institutions communautaires n'avaient pas eu le comportement qui leur est reproché». En outre, aux points 34 et 35 de l'arrêt attaqué, il est précisé:

«34 Les requérants soutiennent que c'est en raison de l'institution du droit antidumping provisoire dans les conditions décrites ci-dessus ... que Blackspur a été, finalement, écartée du marché, étant donné que le développement des ventes de ses autres lignes de produits n'a pas été suffisant pour compenser les pertes qu'elle a subies dans le secteur des brosses à peindre originaires de Chine et pour empêcher son banquier, suite aux mauvais résultats qu'elle a enregistrés, de demander la nomination de syndics, en août 1990, pour procéder à sa liquidation.

35 En particulier, les requérants considèrent que, dans la mesure où le plan commercial de Blackspur prévoyait une marge bénéficiaire brute de 40 % sur les ventes des brosses originaires de Chine, l'institution d'un droit antidumping au taux de 69 % ne pouvait que rendre déficitaires ces ventes. Il incomberait ainsi aux institutions défenderesses de prouver l'existence d'une autre raison quelconque qui aurait provoqué les pertes subies par Blackspur.»

38 Il découle de ce qui précède que le Tribunal a bien compris la position des requérants dans le sens indiqué au point 36 du présent arrêt.

39 En outre, ainsi qu'il ressort déjà du point 23 ci-dessus, la description de l'argumentation des requérants qui apparaît aux points 41 et 46 de l'arrêt attaqué, à supposer même qu'elle soit effectivement erronée et ne puisse être redressée par la lecture du point 35 de ce même arrêt auquel renvoie son point 41, est sans pertinence sur la motivation, contenue aux points 47 et 48 de l'arrêt attaqué, sur laquelle repose la décision du Tribunal.

40 En conséquence, le deuxième moyen, dans sa seconde branche, doit être rejeté comme non fondé.

En ce qui concerne le rejet des demandes d'indemnisation des directeurs

41 Dans leur troisième moyen, les requérants estiment que le point 52 de l'arrêt attaqué est entaché d'une erreur de droit en ce que le Tribunal n'a pas motivé sa conclusion selon laquelle la totalité de l'indemnisation réclamée par les directeurs devait être rejetée. Ils reprochent au Tribunal de ne pas avoir pris en compte les données fournies par les requérants à ce sujet au cours de la procédure, d'avoir renversé la charge de la preuve et d'avoir dénaturé la portée du point 21 de l'arrêt Dumortier frères e.a./Conseil, précité, auquel se réfère le Tribunal.

42 A cet égard, il y a lieu d'observer que, ainsi qu'il a déjà été relevé ci-dessus, pour parvenir à la conclusion selon laquelle il n'était pas établi que la mise en liquidation de Blackspur présentait un lien de causalité direct avec le comportement reproché aux institutions, le Tribunal s'est livré à une appréciation des faits qui n'est pas susceptible d'être discutée devant la Cour. En l'absence du lien de causalité, dûment établie, entre, d'une part, la perte de bénéfices alléguée et la mise en liquidation de Blackspur et, d'autre part, le comportement reproché aux institutions communautaires, le Tribunal pouvait valablement estimer qu'un tel lien faisait également défaut entre les préjudices subis par les directeurs, garants ou associés et ce même comportement.

43 Dans ces conditions, il est sans importance que le Tribunal ait, au surplus, considéré, par référence à l'arrêt Dumortier frères e.a./Conseil, précité, point 21, que les pertes entraînées par un dépôt de bilan constituaient un préjudice indirect et éloigné. Ce motif étant surabondant, les critiques dont il fait l'objet ne sauraient entraîner l'annulation de l'arrêt attaqué et sont donc inopérantes (ordonnance SPO e.a./Commission, précitée, point 47).

44 Le troisième moyen doit donc être rejeté comme irrecevable.

45 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que les moyens présentés par les requérants à l'appui de leur pourvoi sont soit irrecevables, soit non fondés. Le pourvoi doit dès lors être rejeté.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

46 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure du pourvoi en vertu de l'article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Les requérants ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(première chambre)

déclare et arrête:

1) Le pourvoi est rejeté.

2) Blackspur DIY Ltd ainsi que MM. Steven Kellar, J. M. A. Glancy et Ronald Cohen supporteront leurs propres dépens et ceux exposés par le Conseil et la Commission.

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