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Document 62009CJ0221

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 17 mars 2011.
AJD Tuna Ltd contre Direttur tal-Agrikoltura u s-Sajd et Avukat Generali.
Demande de décision préjudicielle: Prim’Awla tal-Qorti Ċivili - Malte.
Règlement (CE) nº 530/2008 - Validité - Politique commune de la pêche - Conservation des ressources - Reconstitution des stocks de thon rouge dans l’Atlantique Est et dans la Méditerranée.
Affaire C-221/09.

European Court Reports 2011 I-01655

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2011:153

Affaire C-221/09

AJD Tuna Ltd

contre

Direttur tal-Agrikoltura u s-Sajd
et
Avukat Generali

(demande de décision préjudicielle, introduite par

la Prim'Awla tal-Qorti Ċivili)

«Règlement (CE) nº 530/2008 — Validité — Politique commune de la pêche — Conservation des ressources — Reconstitution des stocks de thon rouge dans l’Atlantique Est et dans la Méditerranée»

Sommaire de l'arrêt

1.        Pêche — Conservation des ressources de la mer — Compétence pour adopter des mesures d'urgence en matière de conservation conférée à la Commission par l'article 7 du règlement nº 2371/2002 — Absence d'obligation de recueillir les observations des opérateurs susceptibles d'être affectés

(Art. 288 TFUE; règlement du Conseil nº 2371/2002, art. 7, § 1)

2.        Pêche — Conservation des ressources de la mer — Mesures visant à pallier la menace d'effondrement du stock de thon rouge de l'Atlantique Est — Différence de traitement entre l'Espagne et d'autre États membres concernant la date d'entrée en vigueur de ces mesures

(Règlement du Conseil nº 2371/2002, art. 7, § 1; règlement de la Commission nº 530/2008)

1.        N'affecte pas la validité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement de base nº 2371/2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche, au regard du principe du contradictoire et du principe de protection juridictionnelle effective, la circonstance qu’il ne prévoit pas, lors du processus d’adoption des mesures d’urgence prévues au paragraphe 1 de cet article, de recueillir les observations des opérateurs susceptibles d’être affectés par ces mesures.

Cette dernière disposition du règlement habilite la Commission à adopter des mesures pour mettre fin à des menaces graves pour la conservation des ressources aquatiques vivantes ou pour l’écosystème marin lorsque ces menaces résultent des activités de pêche. Par conséquent, les mesures adoptées affectent les opérateurs économiques dans le secteur de la pêche dans une zone donnée et pour une espèce vivante donnée. La mesure d’urgence n’est donc pas adoptée en fonction des intérêts des opérateurs économiques mais dans le seul but de conserver les ressources aquatiques vivantes et l’écosystème marin. Les règlements adoptés sur le fondement dudit article 7, paragraphe 1, s’appliquent dès lors à des situations déterminées objectivement et produisent des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite. Ils s'analysent par conséquent en des règlements au sens de l'article 288 TFUE et, comme tels, ne sont pas visés à l'article 41 de la charte des droits fondamentaux, qui affirme, notamment, le droit pour toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre.

(cf. points 49-56)

2.        Le règlement nº 530/2008, établissant des mesures d’urgence en ce qui concerne les senneurs à senne coulissante pêchant le thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45º O, et dans la Méditerranée, pris sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1 du règlement de base nº 2371/2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche, est invalide en ce que, ayant pour objet d’arrêter des mesures afin de pallier la menace d’effondrement du stock de thon rouge de l’Atlantique Est et de la Méditerranée, il a fixé la date d’entrée en vigueur de ces mesures au 16 juin 2008 mais a reporté cette date au 23 juin 2008 pour les senneurs à senne coulissante battant pavillon espagnol ou enregistrés en Espagne, créant ainsi une différence de traitement en raison de la nationalité avec les senneurs battant pavillon maltais, grec, français, italien et chypriote ou enregistrés dans ces États membres, sans que cette différence soit objectivement justifiée.

(cf. point 113, disp. 3)







ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

17 mars 2011 (*)

«Règlement (CE) n° 530/2008 – Validité – Politique commune de la pêche – Conservation des ressources – Reconstitution des stocks de thon rouge dans l’Atlantique Est et dans la Méditerranée»

Dans l’affaire C‑221/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Prim’Awla tal-Qorti Ċivili (Malte), par décision du 4 juin 2009, parvenue à la Cour le 17 juin 2009, dans la procédure

AJD Tuna Ltd

contre

Direttur tal-Agrikoltura u s-Sajd,

Avukat Generali,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. A. Arabadjiev, A. Rosas, A. Ó Caoimh et Mme P. Lindh (rapporteur), juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 mai 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour AJD Tuna Ltd, par Mes J. Refalo et R. Mastroianni, avukati,

–        pour le gouvernement maltais, par M. S. Camilleri, en qualité d’agent, assisté de Me A. Buhagiar, avukat,

–        pour le gouvernement grec, par M. I. Chalkias et Mme S. Papaïoannou, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. F. Arena, avvocato dello Stato,

–        pour le Conseil de l’Union européenne, par Mmes M. Sims, G. Kimberley et A. Westerhof Löfflerova ainsi que M. M. Sammut, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme K. Banks ainsi que MM. E. Depasquale et D. Nardi, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 septembre 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur la validité et l’interprétation du règlement (CE) n° 530/2008 de la Commission, du 12 juin 2008, établissant des mesures d’urgence en ce qui concerne les senneurs à senne coulissante pêchant le thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée (JO L 155, p. 9, ci-après le «règlement»), ainsi que sur la validité de l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2371/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche (JO L 358, p. 59, ci-après le «règlement de base»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AJD Tuna Ltd (ci-après «AJD Tuna») au Direttur tal-Agrikoltura u s-Sajd (directeur de l’agriculture et des pêcheries), ainsi qu’à l’Avukat Generali, à propos d’une décision par laquelle ce directeur a interdit à AJD Tuna d’acheter ou d’importer du thon rouge à Malte aux fins de ses activités d’élevage et d’engraissement, ladite décision ayant pour objet de mettre en œuvre le règlement.

 Le cadre juridique

 Le règlement de base

3        Le règlement de base arrête la politique commune de la pêche en ce qui concerne la conservation, la gestion et l’exploitation des ressources halieutiques.

4        L’article 2 de ce règlement, intitulé «Objectifs», énonce:

«1.      La politique commune de la pêche garantit une exploitation des ressources aquatiques vivantes qui crée les conditions de durabilité nécessaires tant sur le plan économique, environnemental qu’en matière sociale.

À cet effet, la Communauté applique l’approche de précaution en adoptant des mesures destinées à protéger et à conserver les ressources aquatiques vivantes, à permettre leur exploitation durable et à minimiser les répercussions des activités de pêche sur les écosystèmes marins. Elle a pour objectif la mise en œuvre progressive d’une approche de la gestion de la pêche fondée sur les écosystèmes. Elle s’efforce de contribuer à l’efficacité des activités de pêche dans un secteur de la pêche et de l’aquaculture économiquement viable et compétitif, en garantissant un niveau de vie équitable à ceux qui sont tributaires des activités de pêche et en tenant compte des intérêts des consommateurs.

2.      La politique commune de la pêche est sous-tendue par les principes suivants de bonne gouvernance:

a)      définition claire des responsabilités aux niveaux communautaire, national et local;

b)      processus décisionnel reposant sur des avis scientifiques sérieux et qui donne des résultats en temps opportun;

c)      large participation des intéressés à toutes les étapes de la politique, de la conception à la mise en œuvre;

d)      compatibilité avec les autres politiques communautaires, notamment les politiques environnementale, sociale, régionale et les politiques en matière de développement, de santé et de protection des consommateurs.»

5        L’article 5 dudit règlement, intitulé «Plans de reconstitution», précise:

«1.      Le Conseil adopte en priorité des plans de reconstitution pour les pêcheries exploitant des stocks dont le volume est en dehors des limites biologiques sûres.

2.      L’objectif des plans de reconstitution est de garantir la reconstitution des stocks pour qu’ils se trouvent à nouveau dans des limites biologiques sûres.

[...]»

6        L’article 7 du même règlement, intitulé «Mesures d’urgence adoptées par la Commission», est ainsi libellé:

«1.      S’il existe des preuves qu’il existe une menace grave pour la conservation des ressources aquatiques vivantes ou pour l’écosystème marin résultant des activités de la pêche et nécessitant une intervention immédiate, la Commission peut, sur demande dûment justifiée d’un État membre ou d’office, arrêter les mesures d’urgence pour une période maximale de six mois. La Commission peut prendre une nouvelle décision pour proroger les mesures d’urgence d’une durée maximale de six mois.

2.      L’État membre notifie la demande simultanément à la Commission, aux autres États membres et aux conseils consultatifs régionaux concernés. Ceux-ci peuvent présenter leurs observations écrites à la Commission dans un délai de cinq jours ouvrables à compter de la réception de la demande.

[...]

3.      Les mesures d’urgence prennent effet immédiatement. Elles sont notifiées aux États membres concernés et publiées au Journal officiel.

[...]»

7        L’article 20 du règlement de base, intitulé «Attribution des possibilités de pêche», énonce:

«1.      Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, arrête les limitations de capture et/ou de l’effort de pêche, la répartition des possibilités de pêche entre les États membres, ainsi que les mesures associées à ces limitations. Les possibilités de pêche sont réparties entre les États membres de manière à assurer à chaque État membre une stabilité relative des activités de pêche pour chaque stock ou pêcherie.

2.      Lorsque la Communauté fixe de nouvelles possibilités de pêche, le Conseil statue sur l’attribution desdites possibilités, compte tenu des intérêts de chaque État membre.

3.      Chaque État membre décide, pour les navires battant son pavillon, de la méthode d’attribution des possibilités de pêche allouées à cet État membre, conformément au droit communautaire. Il informe la Commission de la méthode d’attribution retenue.

4.      Le Conseil fixe les possibilités de pêche disponibles pour les pays tiers dans les eaux communautaires et les attribue à chaque pays tiers.

5.      Les États membres, après notification à la Commission, peuvent échanger tout ou partie des possibilités de pêche qui leur ont été allouées.»

8        L’article 26 de ce règlement, intitulé «Responsabilités de la Commission», prévoit:

«[...]

2.      S’il existe des preuves que les règles relatives à la conservation, au contrôle, à l’inspection ou à l’exécution des mesures prévues par la politique commune de la pêche ne sont pas respectées et qu’il peut en découler une menace grave pour la conservation des ressources aquatiques vivantes ou pour le fonctionnement efficace du système communautaire de contrôle et d’exécution nécessitant une action urgente, la Commission informe par écrit l’État membre concerné de ses constatations et fixe un délai minimal de quinze jours ouvrables à l’État membre concerné pour qu’il démontre le respect des règles et présente ses observations. La Commission tient compte des observations formulées par les États membres pour toute mesure qu’elle est susceptible de prendre en vertu du paragraphe 3.

3.      S’il est avéré que les activités de pêche menées dans une zone géographique donnée risquent de menacer gravement la conservation des ressources aquatiques vivantes, la Commission peut prendre des mesures préventives.

Ces mesures sont proportionnées au risque de menace grave pour la conservation des ressources aquatiques vivantes.

Elles n’excèdent pas une durée de trois semaines. Elles peuvent être prolongées jusqu’à une durée maximale de six mois, dans la mesure où cela est nécessaire pour la conservation des ressources aquatiques vivantes, par une décision adoptée conformément à la procédure prévue à l’article 30, paragraphe 2.

Les mesures sont levées immédiatement lorsque la Commission estime que le risque n’existe plus.

4.      Lorsqu’il est estimé que le quota, l’allocation ou la part d’un État membre sont épuisés, la Commission peut, en se fondant sur les informations disponibles, arrêter immédiatement les activités de pêche.

[...]»

 La réglementation spécifique à la pêche au thon rouge

 La réglementation internationale

9        Signée à Rio de Janeiro (Brésil) le 14 mai 1966 et entrée en vigueur le 21 mars 1969, la convention internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (ci-après la «convention») a pour objet principal d’assurer la conservation et la gestion optimales des ressources de thonidés de l’océan Atlantique ainsi que des mers adjacentes. Cet objectif doit être atteint au moyen d’une collaboration accrue entre les parties contractantes afin de maintenir les populations de thonidés à des niveaux permettant un rendement maximal soutenu à des fins alimentaires et autres.

10      À cet effet, les parties contractantes sont convenues de mettre en place une commission, désignée sous le nom de commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (ci-après la «CICTA»), dont le rôle est de veiller à la réalisation des objectifs de la convention.

11      Par la décision 86/238/CEE du Conseil, du 9 juin 1986 (JO L 162, p. 33), a été approuvée l’adhésion de l’Union européenne à la convention, telle que modifiée par le protocole annexé à l’acte final de la conférence des plénipotentiaires des États parties à la convention signé à Paris le 10 juillet 1984, adhésion qui est devenue effective le 14 novembre 1997. Conformément à l’article XIV, paragraphe 6, de la convention, dans sa version résultant dudit protocole, l’Union est subrogée à cette date aux droits et obligations des États membres qui étaient déjà parties à la convention. En conséquence, elle a remplacé ces derniers au sein de la CICTA.

12      Lors de sa réunion annuelle au mois de novembre 2006, la CICTA a adopté la recommandation 06-05 visant à l’établissement d’un plan de reconstitution de quinze ans pour le thon rouge (Thunnus thynnus) de l’Atlantique Est et de la Méditerranée.

13      Pour reconstituer le stock, ce plan prévoit une réduction progressive du niveau du total admissible de capture (ci-après le «TAC») de 2007 à 2010, des limitations de la pêche dans certaines zones et au cours de certaines périodes, une nouvelle taille minimale pour le thon rouge, des mesures concernant la pêche sportive et de loisir, des mesures de contrôle et la mise en œuvre du programme d’inspection commune internationale adopté par la CICTA afin d’assurer l’efficacité dudit plan.

 La réglementation de l’Union

14      Le Conseil a, conformément à l’article 5 du règlement de base, adopté le règlement (CE) n° 1559/2007, du 17 décembre 2007, établissant un plan pluriannuel de reconstitution des stocks de thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée et modifiant le règlement (CE) n° 520/2007 (JO L 340, p. 8).

15      Aux termes de son article 1er, le règlement n° 1559/2007 a pour objectif de définir les règles générales d’application d’un plan pluriannuel de reconstitution pour le thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée.

16      Les troisième et cinquième considérants de ce règlement sont ainsi libellés:

«(3)      Pour reconstituer le stock [de thon rouge], le plan de reconstitution de la CICTA prévoit une réduction progressive du niveau du total admissible des captures (TAC) de 2007 à 2010, des limitations de la pêche dans certaines zones et au cours de certaines périodes [...]

[...]

(5)      Il y a donc lieu de mettre en œuvre le plan de reconstitution de la CICTA sur une base permanente par un règlement instituant un plan de reconstitution conformément à l’article 5 du règlement [de base] [...]»

17      En vertu de l’article 3 du règlement n° 1559/2007, les TAC fixés par la CICTA, en ce qui concerne les stocks de thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée, sont les suivants: 28 500 tonnes pour l’année 2008, 27 500 tonnes pour l’année 2009 et 25 500 tonnes pour l’année 2010.

18      L’article 4 de ce règlement précise:

«1.      Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que l’effort de pêche de ses navires et de ses madragues soit proportionné aux possibilités de pêche au thon rouge dont il dispose dans l’Atlantique Est et la Méditerranée.

2.      Chaque État membre établit un plan de pêche annuel pour ses navires pêchant le thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée. [...]

3.      Ce plan de pêche annuel indique:

a)      notamment les navires de plus de 24 mètres inscrits sur la liste visée à l’article 12 ainsi que les quotas individuels qui leur sont alloués;

b)      au minimum, pour les navires de moins de 24 mètres et les madragues, les quotas alloués aux organisations de producteurs ou aux groupes de navires qui pêchent au moyen d’engins similaires.

[...]»

19      L’article 5, paragraphe 2, dudit règlement prévoit que la pêche au thon rouge à la senne coulissante est interdite dans l’Atlantique Est et la Méditerranée au cours de la période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre.

20      L’article 12, paragraphe 1, du même règlement prévoit que, pour «le 31 janvier 2008 au plus tard, chaque État membre transmet à la Commission par voie électronique une liste de tous les navires de pêche battant son pavillon qui sont autorisés à pêcher activement le thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée à la suite de la délivrance d’un permis de pêche spécial».

21      Le Conseil a, en application de l’article 20 du règlement de base, adopté le règlement (CE) n° 41/2007, du 21 décembre 2006, établissant, pour 2007, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans les eaux soumises à des limitations de capture (JO 2007, L 15, p. 1), ainsi que le règlement (CE) n° 40/2008, du 16 janvier 2008, établissant, pour 2008, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans les eaux soumises à des limitations de capture (JO L 19, p. 1).

22      Par ces règlements, le Conseil a arrêté les TAC par pêcheries et réparti les possibilités de pêche par quotas entre les États membres.

23      Il ressort des annexes ID de ces règlements que, en ce qui concerne le thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée, le TAC a été adopté dans le cadre de la CICTA. Le TAC pour cette zone et cette espèce de poisson a été fixé à 29 500 tonnes pour l’année 2007 et 28 500 tonnes pour l’année 2008. Sur cette quantité, 9 397,70 tonnes pour l’année 2007 et 16 210,75 tonnes pour l’année 2008 ont été attribuées à la Communauté et réparties quasi intégralement entre la République de Malte, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, la République italienne, la République de Chypre et la République portugaise, les autres États membres ne disposant, ensemble, que d’un quota de 30 tonnes pour l’année 2007 et de 60 tonnes pour l’année 2008.

24      La répartition entre États membres prévue par le règlement n° 40/2008 a été ultérieurement modifiée par le règlement (CE) n° 446/2008 de la Commission, du 22 mai 2008, adaptant certains quotas de thon rouge établis pour 2008 conformément à l’article 21, paragraphe 4, du règlement (CEE) n° 2847/93 du Conseil instituant un régime de contrôle applicable à la politique commune de la pêche (JO L 134, p. 11).

 Le règlement

25      La Commission a adopté le règlement sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, du règlement de base.

26      Les premier à quatrième, sixième à huitième ainsi que dixième considérants du règlement sont ainsi libellés:

«(1)      Le règlement [...] n° 40/2008 [...] fixe la quantité de thon rouge pouvant être pêchée en 2008 par les navires de pêche communautaires dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, ainsi que dans la Méditerranée.

(2)      Le règlement [...] n° 446/2008 [...] modifie la quantité de thon rouge pouvant être pêchée en 2008 par les navires de pêche communautaires dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, ainsi que dans la Méditerranée.

(3)      Conformément au règlement [...] n° 1559/2007 [...], les États membres sont tenus d’informer la Commission des quotas individuels attribués à leurs navires de plus de vingt-quatre mètres.

(4)      La politique commune de la pêche vise à assurer la viabilité à long terme du secteur de la pêche grâce à une exploitation durable des ressources aquatiques vivantes, fondée sur le respect du principe de précaution.

[...]

(6)      Les informations dont dispose la Commission, ainsi que celles qui lui ont été communiquées par ses inspecteurs au cours de leurs missions dans les États membres concernés, montrent que les possibilités de pêche du thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, ainsi que dans la Méditerranée, attribuées aux senneurs à senne coulissante battant pavillon de la Grèce, de la France, de l’Italie, de Chypre et de Malte, ou enregistrés dans ces États membres, seront réputées épuisées le 16 juin 2008 et que les possibilités de pêche pour ce même stock attribuées aux senneurs à senne coulissante battant pavillon de l’Espagne, ou enregistrés dans cet État membre, seront réputées épuisées le 23 juin 2008.

(7)      Le comité scientifique de la [CICTA] estime que la surcapacité des flottes est le principal facteur qui pourrait mener à un effondrement du stock de thon rouge de l’Atlantique Est et de la Méditerranée. En raison de cette surcapacité des flottes, le risque est grand que le total autorisé des captures soit dépassé. De plus, la capacité de capture quotidienne d’un seul senneur à senne coulissante est si importante que le total autorisé de captures peut être très rapidement atteint, voire dépassé. C’est pourquoi toute pêche hors quota par cette flotte représente une grave menace pour la conservation du stock de thon rouge.

(8)      Durant la campagne de pêche 2008 du thon rouge, la Commission a surveillé de près le respect par les États membres des règles communautaires applicables. Les informations dont dispose la Commission et celles qui lui ont été communiquées par les inspecteurs montrent que les États membres concernés n’ont pas respecté dans leur intégralité les exigences établies dans le règlement [...] n° 1559/2007.

[...]

(10)      Afin de renforcer l’efficacité de ces mesures conçues pour prévenir toute menace grave pour la conservation du stock de thon rouge, il convient d’enjoindre aux opérateurs communautaires de refuser le débarquement, la mise en cage aux fins de l’engraissement ou de l’élevage ainsi que le transbordement de thon rouge capturé par des senneurs à senne coulissante dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée».

27      Les articles 1er à 3 de ce règlement énoncent:

«Article premier

La pêche du thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, par des senneurs à senne coulissante battant pavillon de la Grèce, de la France, de l’Italie, de Chypre et de Malte, ou enregistrés dans ces États membres, est interdite à compter du 16 juin 2008.

Il est également interdit de conserver à bord, de mettre en cage aux fins de l’engraissement ou de l’élevage, de transborder, de transférer ou de débarquer des poissons de ce stock capturés par ces navires à compter de cette date.

Article 2

La pêche du thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, par des senneurs à senne coulissante battant pavillon de l’Espagne, ou enregistrés dans cet État membre, est interdite à compter du 23 juin 2008.

Il est également interdit de conserver à bord, de mettre en cage aux fins de l’engraissement ou de l’élevage, de transborder, de transférer ou de débarquer des poissons de ce stock capturés par ces navires à compter de cette date.

Article 3

1.      Sans préjudice des dispositions du paragraphe 2, à compter du 16 juin 2008, les opérateurs communautaires refusent les débarquements, les mises en cage à des fins d’engraissement ou d’élevage ainsi que les transbordements dans les eaux ou dans les ports communautaires de thon rouge capturé par des senneurs à senne coulissante dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée.

2.      Le débarquement, la mise en cage aux fins de l’engraissement ou de l’élevage ainsi que le transbordement dans les eaux et dans les ports communautaires de thon rouge capturé dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, par des senneurs à senne coulissante battant pavillon de l’Espagne, ou enregistrés dans cet État membre, sont autorisés jusqu’au 23 juin 2008.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

28      AJD Tuna, société établie à Malte, a pour principale activité l’élevage et l’engraissement des thons rouges pêchés vivants en Méditerranée en vue de leur revente à des négociants. Elle possède deux fermes marines d’élevage. La première a une capacité maximale d’engraissement de 2 500 tonnes et la seconde de 800 tonnes.

29      À la suite de l’adoption du règlement, le Direttur tal-Agrikoltura u s‑Sajd a interdit à AJD Tuna d’acheter et d’importer du thon rouge à Malte aux fins de ses activités.

30      Considérant qu’elle se trouvait dans l’impossibilité d’acquérir les quantités de thon auxquelles elle estimait avoir droit, AJD Tuna a saisi la Prim’Awla tal-Qorti Ċivili afin d’obtenir une indemnisation du préjudice qu’elle prétend avoir subi du fait de ladite interdiction, laquelle serait abusive, illégale et déraisonnable.

31      Selon la juridiction de renvoi, AJD Tuna prétend que, pour l’année 2008, elle a été autorisée par la CICTA à acquérir 3 200 tonnes de thon rouge aux fins de ses activités et que, en conséquence, elle avait acheté cette quantité à des pêcheurs français et italiens avant l’ouverture de la saison de pêche. L’interdiction d’acheter ou d’importer à Malte s’est appliquée non seulement aux thons rouges capturés dans les eaux de l’Union mais aussi à ceux capturés en dehors de ces eaux. De ce fait, AJD Tuna se serait trouvée dans l’impossibilité d’acquérir la quantité de thon rouge qu’elle était en droit de détenir dans ses fermes marines.

32      La juridiction de renvoi a dès lors estimé que la solution du litige était conditionnée par la validité du règlement.

33      Dans ces conditions, la Prim’Awla tal-Qorti Ċivili a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le règlement [...] est-il nul parce qu’il viole l’article 253 CE en ce qu’il n’indique pas suffisamment les raisons de l’adoption des mesures d’urgence énoncées [à ses articles 1er à 3] et dans la mesure où il ne donne pas une image suffisamment claire du raisonnement qui sous-tend ces mesures?

2)      Le règlement [...] est-il nul parce qu’il viole l’article 7, paragraphe 1, du règlement [de base] dans la mesure où, dans ses considérants, il n’établit pas à suffisance[, d’une part,] l’existence d’une menace grave pour la conservation de ressources aquatiques vivantes ou de l’écosystème marin résultant des activités de pêche et[, d’autre part,] la nécessité de prendre des mesures immédiates?

3)      Le règlement [...] est-il nul parce que les mesures adoptées privent des opérateurs communautaires, tels que la partie demanderesse, de leur confiance légitime fondée sur l’article 1er du règlement n° 446/2008 [...] et sur l’article 2 du règlement [de base]?

4)      L’article 3 du règlement [...] est-il nul parce qu’il viole le principe de proportionnalité dans la mesure où il implique[, en premier lieu,] qu’aucun opérateur communautaire ne peut exercer une activité consistant à débarquer ou à mettre en cage des thons en vue de leur élevage et de leur engraissement, même s’agissant de thons capturés précédemment et de manière tout à fait régulière au regard du même règlement [...] et[, en second lieu,] qu’aucun opérateur communautaire ne peut exercer cette activité s’agissant de thons capturés par des pêcheurs dont les navires ne battent pas le pavillon de l’un des États membres énumérés à l’article 1er du règlement [...], même si ces thons ont été capturés dans le respect des quotas fixés par la [CICTA]?

5)      Le règlement [...] est-il nul parce qu’il viole le principe de proportionnalité dans la mesure où la Commission n’a pas établi que la mesure qu’elle s’apprêtait à adopter allait contribuer à reconstituer les stocks de thons?

6)      Le règlement [...] est-il nul parce que les dispositions qu’il édicte sont déraisonnables et discriminatoires en raison de la nationalité, au sens de l’article 12 CE, dans la mesure où ledit règlement fait une distinction entre les senneurs à senne coulissante battant pavillon de l’Espagne et ceux qui battent pavillon de la Grèce, de la France, de l’Italie, de Chypre et de Malte, et dans la mesure où il fait une distinction entre ces six États membres et les autres?

7)      Le règlement [...] est-il nul parce que les principes de justice protégés par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’ont pas été respectés, les parties intéressées et les États membres n’ayant pas eu la possibilité de présenter leurs observations écrites avant que la décision ne soit adoptée?

8)      Le règlement [...] est-il nul parce que le principe du contradictoire (audi alteram partem), principe général du droit communautaire, n’a pas été respecté dans la mesure où les parties intéressées et les États membres n’ont pas eu la possibilité de présenter leurs observations écrites avant que la décision ne soit adoptée?

9)      L’article 7, paragraphe 2, du règlement [de base] est-il nul parce que le principe du contradictoire (audi alteram partem), principe général du droit communautaire, et/ou les principes de justice protégés par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’ont pas été respectés et, par voie de conséquence, le règlement [...] est-il nul parce qu’il a été adopté sur la base du règlement [de base]?

10)      Dans l’hypothèse où la Cour de justice jugerait que le règlement [...] est valide, conviendrait-il d’interpréter ce règlement comme signifiant que les mesures arrêtées à son article 3 empêchent également les opérateurs communautaires d’accepter les débarquements, les mises en cage aux fins de l’engraissement ou de l’élevage, ou les transbordements dans les eaux ou dans les ports communautaires, de thons rouges capturés dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée par des senneurs à senne coulissante battant pavillon d’un pays tiers?»

 Sur la demande tendant à l’organisation de mesures d’instruction et/ou à la réouverture de la procédure orale

34      Par acte parvenu au greffe le 19 octobre 2010, la Commission a demandé à la Cour d’ordonner des mesures d’instruction et/ou la réouverture de la procédure orale en application des articles 60 et 61 du règlement de procédure de la Cour.

35      Par acte parvenu au greffe le 27 octobre 2010, le Conseil a indiqué qu’il soutenait la demande de la Commission.

36      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour peut d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 61 de son règlement de procédure, si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (voir, notamment, arrêts du 26 juin 2008, Burda, C‑284/06, Rec. p. I‑4571, point 37, ainsi que du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, C‑42/07, Rec. p. I‑7633, point 31).

37      À l’appui de la requête, la Commission expose un certain nombre de griefs quant au déroulement de la procédure orale qui justifieraient, selon elle, que la Cour procède à des mesures d’instruction et/ou ordonne la réouverture de la procédure orale afin que soient éclaircies les données de fait qui sont à la base du règlement.

38      Tout d’abord, alors que la langue de procédure était le maltais, le représentant d’AJD Tuna s’est exprimé en italien, ce qui avait été autorisé par la Cour sans que le Conseil et la Commission en aient été avisés.

39      Sur ce point, il convient de rappeler que l’article 29, paragraphe 2, sous c), deuxième alinéa, du règlement de procédure précise que, à la demande justifiée d’une partie au litige au principal, l’autre partie au litige au principal et l’avocat général entendus, l’emploi d’une autre des langues mentionnées au paragraphe 1 dudit article peut être autorisé pour la procédure orale.

40      Par lettre parvenue au greffe de la Cour le 11 février 2010, AJD Tuna a demandé à être autorisée à plaider soit en anglais, soit en italien. Par décision du 14 avril 2010, après avoir entendu les autres parties au litige au principal et l’avocat général, le président de la deuxième chambre de la Cour a autorisé AJD Tuna à plaider en italien. N’étant pas des parties au litige au principal, le Conseil et la Commission n’avaient pas à être avisés de cette autorisation.

41      La Commission expose également que, lors de l’audience, l’un de ses agents, M. Depasquale, a été empêché de répondre aux questions de la Cour en anglais, alors que la Commission avait obtenu l’autorisation pour ses agents de répondre dans cette langue aux questions de la Cour.

42      Par lettre signée de Mme Banks et de MM. Depasquale et Nardi, parvenue au greffe de la Cour le 19 avril 2010, la Commission a demandé à la Cour que Mme Banks et M. Nardi soient autorisés à répondre aux questions de la Cour en anglais. Le président de la deuxième chambre a accueilli favorablement cette demande le 26 avril 2010.

43      La demande de la Commission n’ayant été présentée que pour Mme Banks et M. Nardi, l’autorisation de répondre aux questions de la Cour en anglais ne pouvait pas concerner M. Depasquale, même si l’autorisation était rédigée en termes généraux.

44      Au surplus, ainsi que l’indique la Commission, le maltais étant la langue maternelle de M. Depasquale, ce dernier n’a pas éprouvé de difficultés à répondre aux questions de la Cour dans cette langue.

45      En ce qui concerne les critiques portées sur le contenu des conclusions de Mme l’avocat général, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 252, deuxième alinéa, TFUE, l’avocat général a pour rôle de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. Dans l’exercice de cette mission, il lui est loisible, le cas échéant, d’analyser une demande de décision préjudicielle en la replaçant dans un contexte plus large que celui strictement défini par la juridiction de renvoi ou par les parties au principal. La Cour n’est liée ni par les conclusions de l’avocat général ni par la motivation au terme de laquelle il parvient à celles-ci (voir arrêt du 11 novembre 2010, Hogan Lovells International, C‑229/09, non encore publié au Recueil, point 26).

46      La Cour considère qu’elle dispose en l’occurrence de tous les éléments nécessaires pour répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi.

47      En conséquence, il y a lieu de rejeter la demande de mesures d’instruction et de réouverture de la procédure orale.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les septième à neuvième questions

48      Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble et préalablement aux autres questions, la juridiction de renvoi s’interroge sur la validité du règlement ainsi que sur celle de l’article 7 du règlement de base sur le fondement duquel le règlement a été adopté. Plus précisément, cette juridiction demande, en substance, à la Cour si l’article 7, paragraphe 2, du règlement de base est invalide au motif qu’il ne prévoit pas que les États membres et les parties intéressées ont la faculté de présenter des observations à la Commission lorsque celle-ci envisage, d’office, d’arrêter des mesures d’urgence prévues au paragraphe 1 dudit article 7, ce qui constituerait une violation du principe du contradictoire et des principes énoncés à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «charte»).

49      L’article 41 de la charte, dont AJD Tuna soutient qu’il aurait été violé, affirme, notamment, le droit pour toute personne à être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre. Il en résulte que cette disposition ne vise pas les processus d’élaboration des actes de portée générale.

50      Il ressort de la définition contenue à l’article 288 TFUE qu’un règlement est un acte de portée générale, obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tous les États membres.

51      Le critère de distinction entre un règlement et une décision doit être recherché dans la portée générale ou non de l’acte en question (voir, notamment, ordonnance du 12 juillet 1993, Gibraltar et Gibraltar Development/Conseil, C‑168/93, Rec. p. I‑4009, point 11). Un acte a une portée générale s’il s’applique à des situations déterminées objectivement et s’il produit des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite (voir, notamment, arrêt du 6 octobre 1982, Alusuisse Italia/Conseil et Commission, 307/81, Rec. p. 3463, point 9).

52      L’article 7, paragraphe 1, du règlement de base habilite la Commission à adopter des mesures pour mettre fin à des menaces graves pour la conservation des ressources aquatiques vivantes ou pour l’écosystème marin lorsque ces menaces résultent des activités de pêche. Les mesures adoptées affectent donc les opérateurs économiques dans le secteur de la pêche dans une zone donnée et pour une espèce vivante donnée. La mesure d’urgence n’est donc pas adoptée en fonction des intérêts des opérateurs économiques mais dans le seul but de conserver les ressources aquatiques vivantes et l’écosystème marin. Les règlements adoptés sur le fondement dudit article 7, paragraphe 1, s’appliquent à des situations déterminées objectivement et produisent des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite, au sens de la jurisprudence rappelée au point précédent du présent arrêt.

53      Il résulte de ces considérations que l’article 7, paragraphe 2, du règlement de base n’est pas invalide en ce qu’il ne prévoit pas, lors du processus d’adoption des mesures d’urgence prévues au paragraphe 1 de cet article, de recueillir les observations des opérateurs susceptibles d’être affectés par ces mesures.

54      Par ailleurs, l’article 47 de la charte, en ce qu’il prévoit que toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal, est la réaffirmation du principe de protection juridictionnelle effective, lequel constitue un principe général du droit de l’Union découlant des traditions constitutionnelles communes aux États membres (voir arrêts du 13 mars 2007, Unibet, C‑432/05, Rec. p. I‑2271, point 37, ainsi que du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, point 335).

55      Dans la mesure où la juridiction de renvoi interroge la Cour non pas sur l’éventuel non-respect du droit à un recours effectif devant un tribunal mais sur l’absence de possibilités pour les parties intéressées et les États membres de présenter leurs observations écrites avant que la Commission ne prenne des mesures d’urgence en application de l’article 7, paragraphe 1, du règlement de base, l’article 47 de la charte n’est pas applicable.

56      Il convient donc de répondre aux septième à neuvième questions que l’examen des questions posées n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement ainsi que celle de l’article 7, paragraphe 2, du règlement de base au regard du principe du contradictoire et du principe de protection juridictionnelle effective.

 Sur les première et deuxième questions

57      Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si le règlement satisfait à l’obligation de motivation figurant à l’article 296, paragraphe 2, TFUE et, notamment, si cette motivation établit suffisamment les conditions dans lesquelles la Commission peut agir sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, du règlement de base.

58      Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée à l’article 296, paragraphe 2, TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296, paragraphe 2, TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir en ce sens, notamment, arrêts du 12 décembre 2002, Belgique/Commission, C‑5/01, Rec. p. I‑11991, point 68; du 15 juillet 2004, Espagne/Commission, C‑501/00, Rec. p. I‑6717, point 73, et du 5 mars 2009, France/Conseil, C‑479/07, point 49).

59      Il ressort également d’une jurisprudence constante que la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et que, s’agissant d’actes à portée générale, la motivation peut se borner à indiquer, d’une part, la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption et, d’autre part, les objectifs généraux qu’il se propose d’atteindre. Dans ce contexte, la Cour a précisé, notamment, qu’il serait excessif d’exiger une motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés si l’acte contesté fait ressortir l’essentiel de l’objectif poursuivi par l’institution (voir, notamment, arrêts du 7 novembre 2000, Luxembourg/Parlement et Conseil, C‑168/98, Rec. p. I‑9131, point 62; du 9 septembre 2003, Kik/OHMI, C‑361/01 P, Rec. p. I‑8283, point 102, ainsi que du 9 septembre 2004, Espagne/Commission, C‑304/01, Rec. p. I‑7655, point 51).

60      La Cour a également jugé que l’obligation de motivation prévue à l’article 296, paragraphe 2, TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2002, Espagne/Commission, C‑113/00, Rec. p. I‑7601, point 47, et France/Conseil, précité, point 50).

61      En application des principes qui viennent d’être rappelés, il convient de rechercher si le règlement répond aux conditions de motivation exigées à l’article 296, paragraphe 2, TFUE.

62      Le règlement a été adopté sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, du règlement de base. Aux termes de cette disposition, la Commission peut, notamment d’office, prendre des mesures d’urgence sous trois conditions. Il doit d’abord exister une menace grave pour la conservation des ressources aquatiques vivantes ou pour l’écosystème marin. Ensuite, cette menace doit résulter des activités de pêche. Enfin, une intervention immédiate doit être nécessaire pour faire cesser ladite menace.

63      En ce qui concerne la justification de l’existence d’une menace grave pour la conservation des stocks de thon rouge, les premier à troisième considérants du règlement rappellent l’importance des TAC fixés pour le thon rouge dans le cadre du plan pluriannuel de reconstitution du stock de ce poisson. Par ailleurs, il ressort du sixième considérant du règlement que les informations recueillies par les inspecteurs de la Commission démontrent que les possibilités de pêche attribuées aux senneurs à senne coulissante risquaient d’être épuisées avant la fin normale de la campagne de pêche. Il en résulte que la Commission a satisfait à l’obligation de motivation du règlement en ce qui concerne l’existence d’une menace grave pour la conservation du stock de thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée.

64      S’agissant de la justification de ce que la menace sur la conservation de ce stock résultait des activités de pêche par les senneurs à senne coulissante ainsi que du débarquement subséquent de ces poissons chez les opérateurs communautaires, il ressort, d’une part, du septième considérant du règlement que le comité scientifique de la CICTA estime que la surcapacité de pêche de ces navires est le principal facteur qui pourrait mener à l’effondrement du stock de thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée.

65      D’autre part, il ressort du huitième considérant du règlement que les informations dont dispose la Commission démontrent que les États membres n’ont pas respecté, dans leur intégralité, les exigences établies par le règlement n° 1559/2007 dont l’objectif est de parvenir à la reconstitution du stock de thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée.

66      À cet égard, il convient de rappeler que le respect des obligations incombant aux États membres en vertu des règles de l’Union s’avère impératif afin d’assurer la protection des fonds de pêche, la conservation des ressources biologiques de la mer et leur exploitation sur des bases durables et dans des conditions économiques et sociales appropriées (voir, à propos du non-respect du régime des quotas pour les campagnes de pêche de 1991 à 1996, arrêt du 25 avril 2002, Commission/France, C‑418/00 et C‑419/00, Rec. p. I‑3969, point 57).

67      Au vu de ces considérations, il apparaît que la motivation du règlement démontre suffisamment qu’une menace grave pour la conservation du stock de thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée résultait de l’activité de pêche des senneurs à senne coulissante ainsi que du débarquement subséquent de ces poissons chez les opérateurs communautaires.

68      Enfin, en ce qui concerne l’urgence qu’il y avait à prendre des mesures, le quatrième considérant du règlement rappelle que la politique commune de la pêche vise à assurer la viabilité à long terme du secteur de la pêche grâce à une exploitation durable des ressources aquatiques vivantes, fondée sur le respect du principe de précaution. Ce rappel de l’objectif poursuivi par l’Union et la constatation d’un dépassement imminent des quotas de pêche attribués aux senneurs à senne coulissante, en tout cas avant la fin normale de la campagne de pêche, constituent une motivation suffisante de l’urgence dans laquelle la Commission devait agir conformément au principe de précaution.

69      Il convient donc de répondre aux première et deuxième questions que l’examen des questions posées n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement au regard de l’exigence de motivation résultant de l’article 296, paragraphe 2, TFUE.

 Sur la troisième question

70      Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si le règlement est invalide en ce que les mesures qu’il prévoit privent les opérateurs communautaires de la confiance légitime qu’ils avaient fondée sur la fixation des quotas de pêche de thon rouge notamment par le règlement n° 446/2008.

71      Il convient de rappeler que le droit de réclamer la protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier se trouvant dans une situation de laquelle il ressort que l’administration communautaire a fait naître dans son chef des espérances fondées (voir, en ce sens, arrêts du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens et Van Dijk Food Products (Lopik)/CEE, 265/85, Rec. p. 1155, point 44, ainsi que du 15 juillet 2004, Di Lenardo et Dilexport, C‑37/02 et C‑38/02, Rec. p. I‑6911, point 70).

72      Constituent des assurances susceptibles de faire naître de telles espérances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels, concordants et émanant de sources autorisées et fiables (voir arrêt du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission, C‑537/08 P, non encore publié au Recueil, point 63). En revanche, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration (voir arrêts du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, Rec. p. I‑5479, point 147, ainsi que du 25 octobre 2007, Komninou e.a./Commission, C‑167/06 P, point 63).

73      De même, lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure communautaire de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer le bénéfice d’un tel principe lorsque cette mesure est adoptée (voir arrêts précités Van den Bergh en Jurgens et Van Dijk Food Products (Lopik)/CEE, point 44, ainsi que Belgique et Forum 187/Commission, point 147).

74      Ainsi que l’a fait valoir à juste titre la Commission, les opérateurs communautaires n’ont reçu aucune assurance de la Commission qu’ils seraient livrés de la totalité de la quantité de thon rouge pour laquelle ils avaient conclu des contrats avec les pêcheurs.

75      Par ailleurs, la possibilité de prendre des mesures ayant pour effet d’arrêter les campagnes de pêche avant la date normale est prévue, notamment, aux articles 7, paragraphe 1, et 26, paragraphe 4, du règlement de base. Les opérateurs communautaires, dont l’activité consiste à acheter des thons rouges aux fins d’élevage et d’engraissement, ne peuvent invoquer le bénéfice de la protection de la confiance légitime car ils sont en mesure de prévoir que de telles mesures peuvent être prises.

76      Il convient donc de répondre à la troisième question que l’examen de la question posée n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement au regard du principe de protection de la confiance légitime.

 Sur les quatrième et cinquième questions

77      Par ces questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si le règlement est contraire au principe de proportionnalité en ce qu’il prévoit, à compter d’une certaine date, l’interdiction pour les opérateurs communautaires d’accepter le débarquement ou la mise en cage aux fins d’engraissement ou d’élevage de thons rouges même si ceux-ci ont été capturés avant cette date ou par des navires battant pavillon d’États tiers. La juridiction de renvoi s’interroge également sur l’aptitude des mesures prises par le règlement à atteindre l’objectif de reconstitution du stock de thon rouge.

78      S’agissant de la date de capture des thons rouges concernés par l’interdiction de débarquement, il convient de relever qu’il ressort du dixième considérant du règlement que l’interdiction faite aux opérateurs communautaires d’accepter les débarquements, les mises en cage à des fins d’engraissement ou d’élevage ainsi que les transbordements dans les eaux ou dans les ports communautaires de thons rouges capturés par des senneurs à senne coulissante dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée l’a été afin de renforcer l’efficacité des mesures d’interdiction de pêche et n’en constitue donc que l’accessoire. En conséquence, l’article 3 du règlement doit être lu, à la lumière des articles 1er et 2 du même règlement, en ce sens que l’interdiction faite aux opérateurs ne concerne pas les thons rouges capturés avant le 16 juin 2008 ou le 23 juin 2008, selon le pavillon du senneur, quelle que soit la date de leur débarquement.

79      Pour le surplus, il convient de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser l’objectif visé et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (voir, en ce sens, arrêts du 14 décembre 2004, Swedish Match, C‑210/03, Rec. p. I‑11893, point 47, ainsi que du 7 juillet 2009, S.P.C.M. e.a., C‑558/07, Rec. p. I‑5783, point 41).

80      Selon une jurisprudence constante, le législateur de l’Union dispose dans ce domaine de l’agriculture, y compris la pêche, d’un large pouvoir d’appréciation qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 40 TFUE à 43 TFUE lui attribuent. Par conséquent, le contrôle du juge doit se limiter à vérifier si la mesure en cause n’est pas entachée d’erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ou si l’autorité en question n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 2001, Jippes e.a., C‑189/01, Rec. p. I‑5689, point 80; du 9 septembre 2004, Espagne/Commission, précité, point 23, ainsi que du 23 mars 2006, Unitymark et North Sea Fishermen’s Organisation, C‑535/03, Rec. p. I‑2689, point 55).

81      En ce qui concerne le contrôle juridictionnel des conditions de la mise en œuvre de ce principe, eu égard au large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union en matière de politique agricole commune, y compris la pêche, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir, en ce sens, arrêt Unitymark et North Sea Fishermen’s Organisation, précité, point 57 et jurisprudence citée).

82      Il incombe, dès lors, à la Cour de vérifier si l’interdiction faite aux opérateurs communautaires d’accepter les débarquements, les mises en cage à des fins d’engraissement ou d’élevage ainsi que les transbordements dans les eaux ou dans les ports communautaires de thons rouges capturés dès le 16 ou le 23 juin 2008, par des senneurs à senne coulissante dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, n’était pas manifestement inappropriée.

83      En adoptant le règlement n° 1559/2007, le Conseil a eu pour objectif de mettre en œuvre le plan de reconstitution pour le thon rouge recommandé par la CICTA. Cette reconstitution doit se faire, ainsi qu’il est rappelé au troisième considérant de ce règlement, par une réduction progressive des TAC. Ces derniers, dont la quantité est rappelée à l’article 3 de ce règlement, se répartissent entre l’Union et les autres parties contractantes de la CICTA. Le respect des quotas alloués aux États membres est donc nécessaire à la réalisation de l’objectif de reconstitution du stock de thon rouge. Dès lors, les mesures d’interdiction de pêche prises par la Commission dans le règlement au motif que l’épuisement des quotas était imminent ne sont pas manifestement inappropriées.

84      De même, l’interdiction faite aux opérateurs communautaires d’accepter les débarquements, les mises en cage à des fins d’engraissement ou d’élevage ainsi que les transbordements dans les eaux ou dans les ports communautaires de thons rouges capturés dès le 16 ou le 23 juin 2008, quel que soit le pavillon du senneur à senne coulissante les ayant capturés, n’est pas manifestement inappropriée dans la mesure où elle permet également d’atteindre l’objectif de respect des TAC dont la réduction permettra, à terme, de reconstituer le stock de thon rouge.

85      Il convient donc de répondre aux quatrième et cinquième questions que l’examen des questions posées n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement au regard du principe de proportionnalité.

 Sur la sixième question

86      Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si le règlement est invalide au motif qu’il opère une distinction, d’une part, entre les senneurs à senne coulissante battant pavillon espagnol ou enregistrés dans cet État membre (ci-après les «senneurs espagnols») et ceux qui battent pavillon maltais, grec, français, italien ainsi que chypriote ou enregistrés dans ces États membres (ci-après les «autres senneurs») et, d’autre part, entre ces six États membres et les autres États membres et qu’il instaure, en conséquence, une discrimination fondée sur la nationalité en violation de l’article 12 CE.

87      Il convient de préciser que le règlement ne concernait que les senneurs à senne coulissante pêchant le thon rouge et non la pêche au thon rouge par d’autres méthodes de pêche, notamment artisanales.

88      Le respect du principe de non-discrimination requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir, notamment, arrêts du 17 octobre 1995, Fishermen’s Organisations e.a., C‑44/94, Rec. p. I‑3115, point 46; du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, C‑87/03 et C‑100/03, Rec. p. I‑2915, point 48, ainsi que du 8 novembre 2007, Espagne/Conseil, C‑141/05, Rec. p. I‑9485, point 40).

89      D’emblée, il convient de constater que les États membres non visés par le règlement étaient dans une situation différente des autres États membres. En effet, pour l’année 2008, aucun senneur à senne coulissante battant pavillon des États membres non visés dans le règlement n’avait été autorisé, en application de l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 1559/2007, à pêcher le thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée.

90      S’agissant des États membres visés par le règlement, la Commission a autorisé les senneurs espagnols à pêcher des thons rouges dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, à les conserver à bord, à les mettre en cage aux fins d’engraissement ou d’élevage, à les transborder, à les transférer ainsi qu’à les débarquer jusqu’au 23 juin 2008 alors que ces activités ont été interdites pour les autres senneurs dès le 16 juin 2008.

91      Par ce même règlement, la Commission a autorisé les opérateurs communautaires à accepter le débarquement, la mise en cage aux fins d’engraissement ou d’élevage ainsi que le transbordement des thons rouges capturés dans cette zone jusqu’au 23 juin 2008 par les senneurs espagnols alors que ces activités ont été interdites en ce qui concerne les thons rouges capturés par les autres senneurs dès le 16 juin 2008.

92      Le règlement a donc traité différemment ces deux catégories de navires selon leur pavillon ou leur État d’enregistrement ainsi que les opérateurs communautaires selon qu’ils avaient ou non traité avec les senneurs espagnols. Il convient de vérifier s’il existait des raisons objectives justifiant cette différence de traitement.

93      Il convient de rappeler que les éléments qui caractérisent différentes situations et leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause (voir, par analogie, arrêts du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, Rec. p. I‑9895, point 26, ainsi que du 18 novembre 2010, Kleist, C‑356/09, non encore publié au Recueil, point 34).

94      Le règlement a été adopté sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, du règlement de base. Aux termes de cette disposition, ainsi que cela a été rappelé au point 62 du présent arrêt, la Commission peut, notamment d’office, prendre des mesures d’urgence sous trois conditions. Il doit d’abord exister une menace grave pour la conservation des ressources aquatiques vivantes ou pour l’écosystème marin. Ensuite, cette menace doit résulter des activités de pêche. Enfin, une intervention d’urgence doit être nécessaire pour faire cesser ladite menace. Sur ce dernier point, il est précisé aux termes de l’article 7, paragraphe 3, du règlement de base, que ces mesures d’urgence prennent effet immédiatement.

95      Par conséquent, il apparaît que, lorsqu’elle agit sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, du règlement de base, la Commission applique, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, «l’approche de précaution en adoptant des mesures destinées à protéger et à conserver les ressources aquatiques vivantes», ce qui constitue, aux termes de cette disposition, un moyen propre à atteindre les objectifs visés par la politique commune de la pêche.

96      Aussi, dans la mise en œuvre de mesures prises sur le fondement de l’article 7 du règlement de base, une différence de traitement peut être justifiée si elle permet de mieux atteindre les objectifs de conservation des ressources aquatiques vivantes ou de protection de l’écosystème marin.

97      S’agissant du règlement, la Commission a considéré qu’il existait une menace grave pour la conservation du stock de thon rouge dans la zone maritime visée par ce règlement et que cette menace résultait des activités de pêche des senneurs à senne coulissante. En effet, il résulte du septième considérant dudit règlement que, d’une part, les flottes de senneurs à senne coulissante sont en surcapacité et, d’autre part, la capacité de capture de chaque senneur est si importante que le TAC aurait pu être rapidement atteint, voire dépassé.

98      Pour justifier la différence quant à la date d’entrée en vigueur de la mesure d’interdiction pour les senneurs espagnols, la Commission a fait valoir que, compte tenu de leur faible nombre, ces navires ne risquaient pas de dépasser le quota de capture qui leur avait été alloué avant le 23 juin 2008 alors que ce risque existait dès le 16 juin 2008 pour les autres senneurs, compte tenu de leur nombre important.

99      Ainsi que la Commission l’a fait valoir, à juste titre, celle-ci n’avait pas arrêté les activités de pêche au thon rouge sur le fondement de l’article 26, paragraphe 4, du règlement de base puisqu’une telle mesure suppose que le quota attribué à un État membre soit épuisé, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Le but recherché était simplement de mettre fin à un type de pêche, à savoir la pêche au moyen de senneurs à senne coulissante, alors que le quota attribué aux États membres n’était pas encore atteint.

100    Au vu des explications fournies à la Cour, il n’apparaît pas que des différences objectives existent entre les senneurs à senne coulissante en fonction de leur pavillon ou de l’État membre auprès duquel ils sont enregistrés, quant à leur capacité à capturer des thons rouges et quant à leur impact sur l’épuisement des stocks de ce poisson. Il n’a pas été démontré ou même soutenu que, sur ce point, les senneurs espagnols étaient différents des autres senneurs visés par le règlement.

101    Dès lors, bien que la Commission indique qu’elle n’a pas arrêté les mesures d’interdiction en raison des risques d’épuisement des quotas attribués aux États membres, force est de constater que le report au 23 juin 2008 de l’entrée en vigueur des mesures d’interdiction pour les senneurs espagnols n’est fondé que sur le risque d’épuisement des quotas, même s’il ne s’agit que de ceux alloués à ces senneurs. La différence de traitement qui résulte de ce report ne paraît donc fondée que sur le ratio existant entre le nombre de ces senneurs et le quota de capture de thons rouges qui leur avait été alloué.

102    Il résulte de ces considérations que, alors que l’action de la Commission visait à prévenir l’effondrement du stock de thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée et alors que celle-ci a traité différemment les senneurs à senne coulissante des autres navires ou engins de pêche en se fondant, ainsi qu’il est dit au point 97 du présent arrêt, sur leur capacité d’épuisement du stock de thon rouge, elle a reporté au 23 juin 2008 l’entrée en vigueur des mesures d’interdiction pour les senneurs espagnols en se fondant uniquement sur leur capacité théorique à atteindre leur quota de capture et non sur leur capacité réelle à capturer des thons rouges.

103    En effet, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 125 de ses conclusions, il ressort des observations écrites de la Commission que le quota de chaque État membre est réparti en fonction du nombre de navires battant pavillon ou étant enregistrés dans cet État. Pendant l’année 2008, les 131 senneurs à senne coulissante autorisés à pêcher le thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée étaient répartis ainsi: 1 chypriote, 4 maltais, 6 espagnols, 16 grecs, 36 français et 68 italiens. Le quota individuel pour les senneurs de plus de 24 mètres était de 110 à 120 tonnes pour les senneurs français, de 52 tonnes pour les senneurs italiens et de 251 à 352 tonnes pour les senneurs espagnols.

104    La Commission a également expliqué, lors de l’audience, que les senneurs espagnols pêchent essentiellement dans la zone des Baléares et commencent leur campagne de pêche une semaine après les autres senneurs. Cependant, la Commission a étayé ses affirmations seulement par le document figurant à l’annexe 6 de ses observations écrites. Or, il ressort de ce document, d’une part, que les senneurs espagnols ont capturé des thons rouges dans la zone des Baléares au moins dès le 27 mai 2008 et, d’autre part, que des senneurs français pêchaient dans la même zone et à la même période et que, en conséquence, la situation des senneurs espagnols n’était pas singulière.

105    À cet égard, il convient de relever que l’article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1559/2007 interdit la pêche au thon rouge par les senneurs à senne coulissante dans l’Atlantique Est et la Méditerranée entre le 1er juillet et le 31 décembre, sans qu’une exception soit prévue pour les senneurs espagnols en raison du début tardif de leur campagne de pêche.

106    Il résulte de l’ensemble de ces considérations qu’il n’est pas établi que les senneurs espagnols étaient dans une situation objectivement différente de celle des autres senneurs visés par le règlement qui aurait justifié, pour eux, le report au 23 juin 2008 de l’entrée en vigueur des mesures d’interdiction afin de mieux protéger les stocks de thon rouge dans l’Atlantique Est et la Méditerranée.

107    En conséquence, alors qu’elle agissait, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, du règlement de base, dans le but de mettre fin à la menace d’effondrement du stock de thon rouge de l’Atlantique Est et de la Méditerranée du fait de l’activité des senneurs à senne coulissante, la Commission a différé jusqu’au 23 juin 2008 l’entrée en vigueur des mesures d’interdiction de pêche pour les seuls senneurs espagnols, sans que ce délai supplémentaire soit objectivement justifié eu égard à l’objectif poursuivi.

108    En agissant ainsi, la Commission a traité différemment les senneurs espagnols et les autres senneurs sans que cette différence de traitement soit objectivement justifiée. Il s’ensuit que cette violation du principe de non-discrimination affecte la validité du règlement dans la mesure où les senneurs espagnols ont été autorisés à pêcher des thons rouges après le 16 juin 2008 et à conserver à bord, à mettre en cage aux fins d’engraissement ou d’élevage, à transborder, à transférer et à débarquer ces thons rouges après cette date.

109    En ce qui concerne les opérateurs communautaires, ceux visés à l’article 3, paragraphe 2 du règlement avaient conclu des contrats d’achat de thons rouges avec les senneurs espagnols et ont pu accepter les débarquements, les mises en cage aux fins d’engraissement ou d’élevage ainsi que les transbordements des thons rouges capturés par ces senneurs entre le 16 juin 2008 et le 23 juin 2008.

110    Au contraire, les opérateurs visés à l’article 3, paragraphe 1, du même règlement et qui, telle AJD Tuna, avaient conclu de tels contrats avec d’autres senneurs, ont dû refuser ces opérations en ce qui concerne les thons rouges capturés par ces senneurs dès le 16 juin 2008. Ces deux catégories d’opérateurs communautaires ont été traitées différemment et cette différence de traitement est la conséquence directe de la différence de traitement injustifiée dont ont bénéficié les senneurs espagnols.

111    En effet, la possibilité pour les opérateurs communautaires ayant conclu des contrats avec des senneurs espagnols d’accepter les débarquements, les mises en cage aux fins d’engraissement ou d’élevage ainsi que les transbordements des thons rouges capturés par ces senneurs entre les 16 juin et 23 juin 2008 n’est pas justifiée dès lors que ces opérateurs se trouvent dans une situation objectivement équivalente à celle des autres opérateurs.

112    Cette violation du principe de non-discrimination affecte la validité du règlement dans la mesure où les opérateurs communautaires qui avaient conclu des contrats d’achat de thons rouges avec les senneurs espagnols ont pu continuer leurs opérations en ce qui concerne les thons rouges capturés dès le 16 juin 2008 du fait de l’autorisation de capture dont bénéficiaient ces senneurs après cette date.

113    Il convient donc de répondre à la sixième question que le règlement est invalide dans la mesure où, ayant été adoptées sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, du règlement de base, les interdictions qu’il édicte prennent effet à compter du 23 juin 2008 en ce qui concerne les senneurs espagnols et les opérateurs communautaires ayant conclu des contrats avec eux alors que ces interdictions prennent effet à compter du 16 juin 2008 pour les autres senneurs et les opérateurs communautaires ayant conclu des contrats avec eux, sans que cette différence de traitement soit objectivement justifiée.

114    Compte tenu de la réponse apportée à la sixième question, il n’y a pas lieu de répondre séparément à la dixième question posée.

 Sur les dépens

115    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      L’examen des questions posées n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement (CE) n° 530/2008 de la Commission, du 12 juin 2008, établissant des mesures d’urgence en ce qui concerne les senneurs à senne coulissante pêchant le thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, ainsi que celle de l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2371/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche, au regard du principe du contradictoire et du principe de protection juridictionnelle effective.

2)      L’examen des questions posées n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement n° 530/2008 au regard de l’exigence de motivation résultant de l’article 296, paragraphe 2, TFUE, du principe de protection de la confiance légitime et du principe de proportionnalité.

3)      Le règlement n° 530/2008 est invalide dans la mesure où, ayant été adoptées sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 2371/2002, les interdictions qu’il édicte prennent effet à compter du 23 juin 2008 en ce qui concerne les senneurs à senne coulissante battant pavillon espagnol ou enregistrés dans cet État membre et les opérateurs communautaires ayant conclu des contrats avec eux alors que ces interdictions prennent effet à compter du 16 juin 2008 pour les senneurs à senne coulissante qui battent pavillon maltais, grec, français, italien ainsi que chypriote ou enregistrés dans ces États membres et les opérateurs communautaires ayant conclu des contrats avec eux, sans que cette différence de traitement soit objectivement justifiée.

Signatures


* Langue de procédure: le maltais.

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