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Document 62007TJ0110

Arrêt du Tribunal (deuxième chambre) du 3 mars 2011.
Siemens AG contre Commission européenne.
Concurrence - Ententes - Marché des projets relatifs à des appareillages de commutation à isolation gazeuse - Décision constatant une infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE - Répartition du marché - Effets à l’intérieur du marché commun - Notion d’infraction continue - Durée de l’infraction - Prescription - Amendes - Proportionnalité - Circonstances aggravantes - Rôle de meneur - Circonstances atténuantes - Coopération.
Affaire T-110/07.

European Court Reports 2011 II-00477

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2011:68

Affaire T-110/07

Siemens AG

contre

Commission européenne

« Concurrence — Ententes — Marché des projets relatifs à des appareillages de commutation à isolation gazeuse — Décision constatant une infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE — Répartition du marché — Effets à l’intérieur du marché commun — Notion d’infraction continue — Durée de l’infraction — Prescription — Amendes — Proportionnalité — Circonstances aggravantes — Rôle de meneur — Circonstances atténuantes — Coopération »

Sommaire de l'arrêt

1.      Concurrence — Ententes — Pratique concertée — Atteinte à la concurrence — Critères d'appréciation — Objet anticoncurrentiel — Constatation suffisante

(Art. 81, § 1, CE; accord EEE, art. 53, § 1)

2.      Droit communautaire — Principes — Droits fondamentaux — Présomption d'innocence — Procédure en matière de concurrence — Applicabilité

(Art. 81, § 1, CE; art. 6, § 2, UE)

3.      Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Mode de preuve — Recours à un faisceau d'indices

(Art. 81, § 1, CE)

4.      Concurrence — Ententes — Accords entre entreprises — Preuve de l'infraction — Production par la Commission de déclarations d'autres entreprises incriminées — Admissibilité

(Art. 81, § 1, CE; accord EEE, art. 53)

5.      Concurrence — Ententes — Accords entre entreprises — Preuve de l'infraction — Appréciation de la valeur probante d'un document — Critères

(Art. 81, § 1, CE)

6.      Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Preuve de l'infraction et de sa durée à la charge de la Commission

(Art. 81, § 1, CE; communication de la Commission 2002/C 45/03)

7.      Concurrence — Procédure administrative — Respect des droits de la défense — Communication des griefs — Production de preuves supplémentaires après l'envoi de la communication des griefs — Admissibilité — Conditions

(Art. 81, § 1, CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 25)

8.      Concurrence — Procédure administrative — Décision de la Commission constatant une infraction — Preuve de l'infraction et de sa durée à la charge de la Commission — Portée de la charge probatoire

(Art. 81, § 1, CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 25)

9.      Concurrence — Procédure administrative — Respect des droits de la défense — Portée du principe — Limites — Droit de l'entreprise d'interroger les témoins à charge — Exclusion

(Art. 81, § 1, CE)

10.    Concurrence — Ententes — Participation d'une entreprise à une entente

(Art. 81, § 1, CE)

11.    Concurrence — Ententes — Infraction — Caractère unique de l'infraction — Critères d'appréciation

(Art. 81, § 1, CE; accord EEE, art. 53; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 25, § 2)

12.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 1 A, al. 4 et 6)

13.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Absence de liste contraignante ou exhaustive de critères

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2)

14.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Marge d'appréciation réservée à la Commission — Élévation du niveau général des amendes

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2)

15.    Concurrence — Amendes — Décision infligeant des amendes — Obligation de motivation — Portée

(Art. 253 CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2)

16.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances aggravantes — Rôle de meneur ou d'incitateur de l'infraction

(Règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03, point 2, 3e tiret)

17.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Gravité de l'infraction — Circonstances aggravantes — Rôle de meneur de l'infraction

(Art. 81, § 1, CE)

18.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Non-imposition ou réduction de l'amende en contrepartie de la coopération de l'entreprise incriminée

(Art. 81, § 1, CE; règlement du Conseil nº 1/2003, art. 23, § 2; communication de la Commission 2002/C 45/03, points 22 et 29)

1.      Pour apprécier si une pratique concertée est prohibée par l'article 81, paragraphe 1, CE, la prise en considération de ses effets concrets est superflue lorsqu'il apparaît que celle-ci a pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur. Il en va de même, par analogie, dans le cadre de l'article 53, paragraphe 1, de l'accord sur l'Espace économique européen (EEE).

(cf. point 40)

2.      Le principe de la présomption d'innocence, tel qu'il résulte notamment de l'article 6, paragraphe 2, de la convention européenne des droits de l'homme, fait partie des droits fondamentaux qui, selon la jurisprudence de la Cour, par ailleurs réaffirmée par l'article 6, paragraphe 2, UE, constituent des principes généraux du droit communautaire.

Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu'à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s'y rattachent, le principe de la présomption d'innocence s'applique aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d'aboutir au prononcé d'amendes ou d'astreintes. Dans le cadre d'un recours tendant à l'annulation d'une décision infligeant une amende, il est nécessaire de tenir compte de ce principe. L'existence d'un doute dans l'esprit du juge doit profiter à l'entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l'existence de l'infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d'un recours tendant à l'annulation d'une décision infligeant une amende.

(cf. points 44-45)

3.      En matière de concurrence, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l'existence de l'infraction et pour fonder la ferme conviction que les infractions alléguées constituent des restrictions de concurrence sensibles au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE. Toutefois, chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l'infraction. Il suffit que le faisceau d'indices invoqué par l'institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence. L'existence d'une pratique ou d'un accord anticoncurrentiel peut donc être inférée d'un certain nombre de coïncidences et d'indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l'absence d'une autre explication cohérente, la preuve d'une violation des règles de concurrence.

Lorsque la Commission s’appuie uniquement sur la conduite des entreprises en cause sur le marché pour conclure à l’existence d’une infraction, il suffit à ces dernières de démontrer l’existence de circonstances qui donnent un éclairage différent aux faits établis par la Commission et qui permettent ainsi de substituer une autre explication plausible des faits à celle retenue par la Commission pour conclure à l’existence d’une violation des règles communautaires de concurrence. Toutefois, l’existence d’une explication alternative des faits est seulement pertinente lorsque la Commission s’appuie uniquement sur la conduite des entreprises en cause sur le marché. Ainsi une telle explication est-elle sans pertinence à partir du moment où l’existence de l’infraction n’est pas simplement présumée, mais est établie par des preuves. Par ailleurs, en vertu du principe de libre administration des preuves, tous les moyens de preuve sont admissibles pour prouver une infraction, de sorte que l’existence d’une explication alternative est sans pertinence lorsqu’une infraction est prouvée, à suffisance de droit, par des preuves autres que des preuves documentaires.

(cf. points 46-49, 51)

4.      En ce qui concerne les moyens de preuve qui peuvent être invoqués pour établir l’infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord sur l'Espace économique européen (EEE), le principe qui prévaut en droit communautaire est celui de la libre administration des preuves. En particulier, aucune disposition ni aucun principe général du droit communautaire n’interdit à la Commission de se prévaloir, à l’encontre d’une entreprise, des déclarations d’autres entreprises incriminées. Si tel n’était pas le cas, la charge de la preuve de comportements contraires aux articles 81 CE et 82 CE, qui incombe à la Commission, serait insoutenable et incompatible avec la mission de surveillance de la bonne application de ces dispositions qui lui est attribuée par le traité.

(cf. point 50)

5.      En matière de concurrence, le seul critère pertinent pour apprécier les preuves librement produites réside dans leur crédibilité. Selon les règles généralement applicables en matière de preuve, la crédibilité et, partant, la valeur probante d’un document dépendent de son origine, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et du caractère sensé et fiable de son contenu. Il convient, notamment, d’accorder une grande importance à la circonstance qu’un document a été établi en liaison immédiate avec les faits ou par un témoin direct de ces faits. En outre, les déclarations allant à l’encontre des intérêts du déclarant doivent, en principe, être considérées comme des éléments de preuve particulièrement fiables.

Ainsi doit être en principe qualifié d’élément de preuve d’une valeur probante élevée le témoignage d'une personne qui, pendant presque toute la durée de l’entente, a été l’un des représentants de l'un des principaux acteurs de l'entente dans le cadre de celle-ci, et a donc été un témoin direct des circonstances qu’elle a exposées dans son témoignage.

(cf. points 54, 75)

6.      En matière de concurrence, le fait de demander à bénéficier de l’application de la communication sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, en vue d’obtenir une réduction du montant de l’amende ne crée pas nécessairement une incitation à présenter des éléments de preuve déformés. En effet, toute tentative d’induire la Commission en erreur pourrait remettre en cause la sincérité ainsi que la complétude de la coopération du demandeur et, partant, mettre en danger la possibilité pour celui-ci de tirer pleinement bénéfice de la communication sur la coopération.

Néanmoins, dans la mesure où les déclarations d'une entreprise mise en cause pour violation des règles communautaires de concurrence sont contestées par d’autres entreprises auxquelles il est également reproché d’avoir pris part à un arrangement commun, elles doivent être étayées par d’autres éléments de preuve afin de pouvoir constituer une preuve suffisante de l’existence et de la portée de cet arrangement commun.

(cf. points 65-66)

7.      La communication des griefs doit permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission, cette exigence étant respectée lorsque la décision finale ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans la communication des griefs et ne retient que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l’occasion de s’expliquer. S’il est donc vrai que les infractions reprochées à une entreprise dans une décision ne peuvent pas être différentes de celles énoncées dans la communication des griefs, il n’en va pas de même pour les faits retenus, puisqu’il suffit, à l’égard de ces derniers, que les entreprises mises en cause aient eu la possibilité de s’exprimer sur tous les faits qui sont retenus à leur charge. En effet, aucune disposition n’interdit à la Commission de communiquer aux parties, après l’envoi de la communication des griefs, de nouvelles pièces dont elle estime qu’elles soutiennent sa thèse, sous réserve de donner aux entreprises le temps nécessaire pour présenter leur point de vue à ce sujet.

(cf. points 86-87)

8.      Il incombe à la partie ou à l’autorité qui allègue une violation des règles de la concurrence d’en apporter la preuve en établissant, à suffisance de droit, les faits constitutifs d’une infraction. En outre, il appartient à l’entreprise invoquant le bénéfice d’un moyen de défense contre une constatation d’infraction d’apporter la preuve que les conditions d’application de ce moyen de défense sont remplies, de sorte que ladite autorité devra alors recourir à d’autres éléments de preuve.

Le principe général selon lequel la Commission doit prouver tous les éléments constitutifs de l’infraction, en ce compris sa durée, et susceptibles d’avoir une incidence sur ses conclusions définitives quant à la gravité de l'infraction n’est pas remis en cause par le fait que l'entreprise concernée a soulevé un moyen de défense tiré de la prescription, dont la charge de la preuve incombe, en principe, à cette dernière.

En effet, l’invocation d’un tel moyen de défense implique nécessairement que la durée de l’infraction ainsi que la date à laquelle celle-ci a pris fin soient établies. Or, ces circonstances ne sauraient justifier, à elles seules, un transfert de la charge de la preuve à cet égard au détriment de l'entreprise concernée. D’une part, la durée d’une infraction, notion qui implique que soit connue la date finale de celle-ci, constitue l’un des éléments essentiels de l’infraction, dont la charge de la preuve incombe à la Commission, indépendamment du fait que la contestation de ces éléments fait également partie du moyen de défense tiré de la prescription. D’autre part, cette conclusion se justifie au regard du fait que la non-prescription de la poursuite par la Commission, au titre de l’article 25 du règlement nº 1/2003, constitue un critère légal objectif, découlant du principe de sécurité juridique, et, partant, une condition de la validité de toute décision de sanction. En effet, son respect s’impose à la Commission même en l’absence de l’introduction d’un moyen de défense de l’entreprise à cet égard.

Toutefois, cette répartition de la charge de la preuve est susceptible de varier dans la mesure où les éléments factuels qu’une partie invoque peuvent être de nature à obliger l’autre partie à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure que la preuve a été apportée. Notamment, lorsque la Commission a rapporté la preuve de l’existence d’un accord, il incombe à l’entreprise y ayant pris part de rapporter la preuve qu’elle s’en est distanciée, laquelle doit témoigner d’une volonté claire, et portée à la connaissance des autres entreprises participantes, de se soustraire à cet accord.

(cf. points 173-176)

9.      Le principe fondamental du respect des droits de la défense exige que les entreprises et les associations d’entreprises concernées par une enquête de la Commission en matière de concurrence soient mises en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission. Ainsi, la réponse d'une entreprise à la communication des griefs de la Commission ne peut pas être invoquée à charge contre une autre entreprise concernée par l'enquête lorsque cette dernière n’a pas eu accès à la réponse avant l’adoption de la décision par la Commission.

En revanche, ledit principe n’exige pas qu’il soit donné à l'entreprise l’occasion d’interroger elle-même, dans le cadre de la procédure administrative, les témoins entendus par la Commission.

(cf. points 189, 199)

10.    Le fait pour une entreprise de ne pas se distancier publiquement d’une infraction à laquelle elle a participé ou de ne pas la dénoncer aux autorités administratives a pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et de compromettre sa découverte, de sorte que cette approbation tacite peut être qualifiée de complicité ou de mode passif de participation à l’infraction.

(cf. point 222)

11.    Plusieurs critères sont pertinents pour apprécier le caractère unique d’une infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord sur l'Espace économique européen (EEE), à savoir l’identité ou la diversité des objectifs des pratiques en cause, l’identité des produits et des services concernés, l’identité des entreprises qui y ont pris part et l’identité des modalités de sa mise en œuvre. D’autres critères pertinents sont l’identité des personnes physiques impliquées pour le compte des entreprises et l’identité du champ d’application géographique des pratiques en cause.

S'agissant, en particulier, de la notion d’objectif commun des pratiques anticoncurrentielles, la question de savoir si un ensemble d’accords et de pratiques contraires à l’article 81, paragraphe 1, CE constitue une infraction unique et continue est une question qui dépend uniquement de facteurs objectifs, parmi lesquels l’objectif commun desdits accords et pratiques. Ce dernier est un critère qui doit être apprécié au regard du seul contenu de ces accords et pratiques et qui ne doit pas être confondu avec l’intention subjective des différentes entreprises de participer à une entente unique et continue. En revanche, cette intention subjective ne peut et ne doit être prise en compte que dans le cadre de l’appréciation de la participation individuelle d’une entreprise à un tel accord unique et continu. À cet égard, il suffit que, lorsque l'entreprise en cause, après s'être retirée, reprend sa participation à l’entente, elle soit consciente de participer à la même entente qu’auparavant. Il suffit même que ladite entreprise soit consciente des critères essentiels, mentionnés ci-dessus, justifiant la constatation du caractère unique de l’infraction, pour qu’elle puisse se voir opposer ce caractère unique, même à supposer qu’elle n’ait pas elle-même tiré la conclusion de son existence.

(cf. points 241, 246, 253)

12.    Les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA prévoient, au point 1 A, quatrième et sixième alinéas, de prendre en compte la capacité économique effective des auteurs d’infractions à créer un dommage important aux autres opérateurs et de tenir compte du poids spécifique du comportement de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction. En revanche, les lignes directrices ne prévoient pas que la capacité économique effective des entreprises ou le poids spécifique de leur comportement doivent être appréciés à l’aune d’un critère particulier, tel que leur part de marché relative au produit en cause au sein de l’Espace économique européen (EEE) ou au sein du marché intérieur. Dès lors, la Commission est libre d’appliquer, à cet égard, un critère approprié au regard des circonstances de chaque cas particulier.

(cf. point 279)

13.    La gravité des infractions aux règles communautaires de concurrence doit être établie en fonction d'un grand nombre d'éléments, tels que les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte. Figurent parmi les éléments de nature à entrer dans l'appréciation de la gravité des infractions le comportement de chacune des entreprises, le rôle joué par chacune d'elles dans l'établissement des pratiques concertées, le profit qu'elles ont pu tirer de ces pratiques, leur taille et la valeur des marchandises concernées ainsi que le risque que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de la Communauté.

Il s'ensuit, d'une part, qu'il est loisible, en vue de la détermination du montant de l'amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d'affaires global de l'entreprise qui constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique que de la part de ce chiffre qui provient des marchandises faisant l'objet de l'infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l'ampleur de celle-ci. Il en résulte, d'autre part, qu'il ne faut attribuer ni à l'un ni à l'autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d'appréciation et, par conséquent, que la fixation d'une amende appropriée ne peut être le résultat d'un simple calcul basé sur le chiffre d'affaires global. Il en est particulièrement ainsi lorsque les marchandises concernées ne représentent qu'une faible fraction de ce chiffre.

L’énoncé des éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité d’une infraction n’est donc ni contraignant ni exhaustif. Dès lors, la Commission est libre de prendre en compte d’autres éléments ou d’attribuer moins de poids à l’un des éléments énoncés ci-dessus, voire de ne pas le prendre en compte du tout, si cela lui semble approprié au regard des circonstances d’une affaire particulière.

Par ailleurs, la notion de « valeur des marchandises concernées » doit être comprise comme une mesure indiquant la part du chiffre d’affaires global des entreprises concernées qui provient des produits faisant l’objet de l’entente et non comme faisant référence à la taille du marché de ces produits au sein de l’Espace économique européen (EEE).

(cf. points 286-288)

14.    La pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence. La Commission dispose, dans le cadre du règlement nº 1/2003, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de la concurrence. Dès lors, le fait que la Commission a appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement nº 1/2003, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence. L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige, au contraire, que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique.

Il en découle que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement. Par conséquent, lesdites entreprises doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d’élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé.

(cf. points 290-291)

15.    S'agissant du calcul du montant des amendes infligées par la Commission pour infraction au droit communautaire de la concurrence, les exigences de la formalité substantielle que constitue l’obligation de motivation sont satisfaites lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction, sans être tenue d’y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende.

En particulier, l’indication des éléments chiffrés qui ont guidé, notamment quant à l’effet dissuasif recherché, l’exercice du pouvoir d’appréciation de la Commission dans la fixation des amendes est une faculté dont il est souhaitable que la Commission use, mais qui va au-delà des exigences découlant de l’obligation de motivation.

(cf. points 311-312)

16.    Pour être qualifiée de « meneur » d’une entente, une entreprise doit avoir représenté une force motrice significative pour l’entente ou avoir porté une responsabilité particulière et concrète dans le fonctionnement de celle-ci. Cette circonstance doit être appréciée d’un point de vue global au regard du contexte de l’espèce. La qualification de « meneur » est notamment retenue lorsqu’il a été établi que l’entreprise a exercé des fonctions de coordinateur au sein de l’entente et a, notamment, organisé et doté en personnel le secrétariat chargé de la mise en œuvre concrète de l’entente, ou lorsque ladite entreprise a joué un rôle central dans le fonctionnement concret de l’entente, par exemple en organisant de nombreuses réunions, en collectant et en distribuant les informations au sein de l’entente, en se chargeant de représenter certains membres dans le cadre de l’entente ou en formulant le plus souvent des propositions relatives au fonctionnement de l’entente. De plus, il est tout à fait possible que deux, voire plusieurs, entreprises se voient simultanément attribuer la qualité de meneur, notamment dans le cadre d’une entente impliquant un nombre élevé de participants.

Par ailleurs, ainsi qu’il résulte du libellé même du point 2, troisième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, il convient de distinguer la notion de « meneur » de celle d’« incitateur » d’une infraction. En effet, alors que le rôle d’incitateur a trait au moment de l’établissement ou de l’élargissement d’une entente, le rôle de meneur a trait au fonctionnement de celle-ci. Dès lors, le meneur d’une infraction et l’incitateur de cette dernière ne se trouvent pas dans une situation comparable, de sorte que le fait de traiter différemment une entreprise qualifiée d'incitateur de l'entente et le meneur de celle-ci ne constitue pas une violation du principe d'égalité de traitement.

(cf. points 337, 345, 348)

17.    À supposer même que la Commission se soit erronément abstenue de qualifier une entreprise de meneur d’une entente, malgré le rôle significatif joué par cette entreprise au sein de l’entente, une telle illégalité, commise en faveur d’autrui, ne justifie pas qu’il soit fait droit au moyen d’annulation de la décision de la Commission. En effet, le respect du principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination doit se concilier avec le respect du principe de légalité, ce qui implique que nul ne peut invoquer à son profit une illégalité commise en faveur d’autrui.

(cf. point 358)

18.    La réduction du montant des amendes en cas de coopération des entreprises participant à des infractions au droit communautaire de la concurrence trouve son fondement dans la considération selon laquelle une telle coopération facilite la tâche de la Commission visant à constater l'existence d'une infraction et, le cas échéant, à y mettre fin.

Comme cela est mentionné au point 29 de la communication sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, celle-ci a créé des attentes légitimes sur lesquelles se fondent les entreprises souhaitant informer la Commission de l’existence d’une entente. Eu égard à la confiance légitime que les entreprises souhaitant collaborer avec la Commission ont pu tirer de cette communication, la Commission est obligée de s’y conformer lors de l’appréciation, dans le cadre de la détermination du montant de l’amende imposée à une entreprise, de la coopération de celle-ci.

Dans les limites tracées par la communication sur la coopération, la Commission jouit cependant d’un large pouvoir d’appréciation pour évaluer si les éléments de preuve communiqués par une entreprise apportent ou non une valeur ajoutée, au sens du point 22 de ladite communication, et s’il y a lieu de concéder une réduction à une entreprise au titre de cette communication.

(cf. points 374-376)









ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

3 mars 2011(*)

« Concurrence – Ententes – Marché des projets relatifs à des appareillages de commutation à isolation gazeuse – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE – Répartition du marché – Effets à l’intérieur du marché commun – Notion d’infraction continue – Durée de l’infraction – Prescription – Amendes – Proportionnalité – Circonstances aggravantes – Rôle de meneur – Circonstances atténuantes – Coopération »

Dans l’affaire T‑110/07,

Siemens AG, établie à Berlin (Allemagne) et à Munich (Allemagne), représentée initialement par Mes I. Brinker, T. Loest et C. Steinle, puis par Mes Brinker et Steinle, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. F. Arbault et O. Weber, puis par MM. X. Lewis et R. Sauer, et enfin par M. Sauer et Mme A. Antoniadis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation partielle de la décision C (2006) 6762 final de la Commission, du 24 janvier 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/F/38.899 – Appareillages de commutation à isolation gazeuse), ainsi que, à titre subsidiaire, une demande de réduction de l’amende infligée à la requérante,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mmes I. Pelikánová (rapporteur), président, K. Jürimäe et M. S. Soldevila Fragoso, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 décembre 2009,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Siemens AG, est une société cotée en bourse, active dans les domaines du génie électrique et de l’électronique. Elle a son siège à Berlin (Allemagne) et à Munich (Allemagne).

2        Les appareillages de commutation à isolation gazeuse (ci-après les « AIG ») servent à contrôler le flux d’énergie dans les réseaux électriques. Il s’agit d’un matériel électrique lourd, utilisé comme composant principal de sous-stations électriques clés en main. Les sous-stations sont des centrales électriques auxiliaires qui convertissent le courant électrique. Outre le transformateur, les éléments constitutifs des sous-stations sont les systèmes de contrôle, les relais, les batteries, les chargeurs et l’appareillage de commutation. La fonction d’un appareillage de commutation est de protéger le transformateur d’une surcharge et/ou d’isoler le circuit et un transformateur défaillant.

3        Les appareillages de commutation peuvent être à isolation gazeuse, à isolation dans l’air ou à isolation hybride, lorsqu’ils combinent les deux précédentes techniques. Les AIG sont vendus dans le monde entier en tant que parties intégrantes de sous-stations électriques clés en main ou comme pièces détachées devant être intégrées dans de telles sous-stations. Ils représentent environ 30 à 60 % du prix total de ces sous-stations.

4        Le 3 mars 2004, ABB Ltd a signalé à la Commission l’existence de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des AIG et a présenté une demande orale d’immunité des amendes, conformément à la communication de la Commission du 19 février 2002 sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication sur la coopération »).

5        Les pratiques dénoncées par ABB consistaient en une coordination au niveau mondial de la vente de projets d’AIG, impliquant la répartition des marchés, l’attribution de quotas et le maintien des parts de marché respectives, l’attribution de projets d’AIG à des producteurs désignés à cet effet et la manipulation de la procédure d’appels d’offres (trucage des offres) afin que les contrats soient attribués à ces producteurs, la fixation des prix par des arrangements complexes sur les projets d’AIG qui n’étaient pas attribués, la résiliation des contrats de licence avec des sociétés non membres de l’entente et l’échange d’informations sensibles sur le marché.

6        La demande orale d’immunité des amendes présentée par ABB a été complétée par des observations orales et des preuves documentaires. Le 25 avril 2004, la Commission a accordé une immunité conditionnelle à ABB.

7        Sur la base des déclarations d’ABB, la Commission a entamé une enquête et mené, les 11 et 12 mai 2004, des inspections dans les locaux d’Areva T&D SA, de Siemens AG, du groupe VA Tech, de Hitachi Ltd et de Japan AE Power Systems Corp (ci-après « JAEPS »).

8        Le 20 avril 2006, la Commission a adopté une communication des griefs, qui a été notifiée à 20 sociétés, dont Siemens.

9        La Commission a procédé à une audition les 18 et 19 juillet 2006.

10      Le 24 janvier 2007, la Commission a adopté la décision C (2006) 6762 final, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/F/38.899 – Appareillages de commutation à isolation gazeuse) (ci-après la « décision attaquée »). Celle-ci a été notifiée à Siemens le 8 février 2007.

11      Outre à Siemens, la décision attaquée a été adressée à ABB, à Alstom, SA, à Areva, SA, à Areva T&D AG, à Areva T&D Holding SA et à Areva T&D SA, à Fuji Electric Holdings Co., Ltd et à Fuji Electric Systems Co., Ltd (ci-après, prises ensemble, « Fuji »), à Hitachi Ltd et à Hitachi Europe Ltd (ci-après, prises ensemble, « Hitachi »), à JAEPS, à Mitsubishi Electric System Corp. (ci-après « Melco »), à Nuova Magrini Galileo SpA, à Schneider Electric SA, à Siemens AG Österreich, à Siemens Transmission & Distribution Ltd (ci-après « Reyrolle »), à Siemens Transmission & Distribution SA, à Toshiba Corp. et à VA Tech Transmission & Distribution GmbH & Co. KEG.

12      Aux considérants 113 à 123 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que les différentes entreprises ayant participé à l’entente avaient coordonné l’attribution des projets d’AIG à l’échelle mondiale, à l’exception de certains marchés, selon des règles convenues, afin notamment de maintenir des quotas reflétant dans une large mesure leurs parts de marché historiques estimées. Elle a précisé que l’attribution des projets d’AIG était effectuée sur la base d’un quota conjoint « japonais » et d’un quota conjoint « européen » qui devaient ensuite être répartis entre eux respectivement par les producteurs japonais et par les producteurs européens. Un accord signé à Vienne le 15 avril 1988 (ci-après l’« accord GQ ») établissait des règles permettant d’attribuer les projets d’AIG soit aux producteurs japonais, soit aux producteurs européens, et d’imputer leur valeur sur le quota correspondant.

13      Par ailleurs, aux considérants 124 à 132 de la décision attaquée, la Commission a précisé que les différentes entreprises ayant participé à l’entente avaient conclu un arrangement non écrit (ci-après l’« arrangement commun »), en vertu duquel les projets d’AIG au Japon, d’une part, et dans les pays des membres européens de l’entente, d’autre part, désignés ensemble comme les « pays constructeurs » des projets d’AIG, étaient réservés respectivement aux membres japonais et aux membres européens du cartel. Les projets d’AIG dans les « pays constructeurs » ne faisaient pas l’objet d’échanges d’informations entre les deux groupes et n’étaient pas imputés sur les quotas respectifs. L’accord GQ contenait également des règles relatives à l’échange des informations nécessaires au fonctionnement du cartel entre les deux groupes de producteurs, lequel était notamment assuré par les secrétaires des deux groupes, à la manipulation des appels d’offres concernés et à la fixation de prix pour les projets d’AIG qui ne pouvaient pas être attribués. Selon les termes de son annexe 2, l’accord GQ s’appliquait au monde entier, à l’exception des États-Unis, du Canada, du Japon et de 17 pays d’Europe occidentale. En outre, en vertu de l’arrangement commun, les projets d’AIG dans les pays européens autres que les « pays constructeurs » étaient également réservés au groupe européen, les producteurs japonais s’étant engagés à ne pas présenter d’offres pour les projets d’AIG en Europe.

14      Selon la Commission, la répartition des projets d’AIG entre les producteurs européens était régie par un accord également signé à Vienne, le 15 avril 1988, et intitulé « E-Group Operation Agreement for GQ-Agreement » (accord du groupe E pour la mise en œuvre de l’accord GQ) (ci‑après l’« accord EQ »). Elle a indiqué que l’attribution des projets d’AIG en Europe suivait les mêmes règles et procédures que celles régissant l’attribution des projets d’AIG dans d’autres pays. En particulier, les projets d’AIG en Europe devaient également être notifiés, répertoriés, attribués, arrangés ou avaient reçu un niveau de prix minimal.

15      Au considérant 142 de la décision attaquée, la Commission a constaté que, dans l’accord GQ et dans l’accord EQ, ainsi qu’aux fins de l’organisation et du fonctionnement de l’entente, les différents membres de l’entente étaient identifiés par un code, composé de chiffres pour les membres européens et de lettres pour les membres japonais. Les codes initiaux ont été remplacés par des numéros à partir de juillet 2002.

16      À l’article 1er, sous o), de la décision attaquée, la Commission a constaté que Siemens avait participé à l’infraction pour les périodes allant du 15 avril 1988 au 1er septembre 1999 et du 26 mars 2002 au 11 mai 2004.

17      Pour l’infraction visée à l’article 1er de la décision attaquée, Siemens s’est vu infliger, à l’article 2, sous m), de la décision attaquée, une amende d’un montant de 396 562 500 euros.

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 avril 2007, Siemens a introduit le présent recours.

19      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

20      Dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, les parties ont été invitées à répondre aux questions écrites posées par le Tribunal. Les parties ont répondu à cette demande dans les délais impartis.

21      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience du 16 décembre 2009.

22      Siemens conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée dans la mesure où elle la concerne ;

–        à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner Siemens aux dépens.

 En droit

24      À l’appui de son recours en annulation, Siemens soulève trois moyens. Le premier est tiré d’une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (ci-après l’« accord EEE »). Le deuxième est tiré d’une violation de l’article 25 du règlement n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1). Le troisième est tiré d’erreurs de droit dans le calcul du montant de l’amende.

I –  Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE

25      Le premier moyen est divisé en deux branches. Dans le cadre de la première branche, Siemens fait valoir une « description insuffisante des infractions reprochées ». Dans le cadre de la seconde branche, elle invoque une « analyse incorrecte des prétendus accords et de leurs effets sur le marché commun ».

A –  Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une « description insuffisante des infractions reprochées »

1.     Arguments des parties

26      Siemens fait valoir que la Commission n’a pas précisément décrit et suffisamment prouvé l’infraction qu’elle lui reproche. Elle soutient, en substance, que, premièrement, la Commission n’a pas prouvé le caractère unique et continu des comportements reprochés, deuxièmement, celle-ci a omis de décrire les effets concrets de l’entente sur le marché commun et, troisièmement, celle-ci n’a pas apporté la preuve de son intention globale de participer, à deux reprises, à la même infraction.

27      La Commission fait valoir que ce moyen devrait être rejeté comme insuffisamment étayé. Elle soutient, par ailleurs, que les allégations de Siemens ne sont pas fondées.

2.     Appréciation du Tribunal

28      Il convient de constater que la première branche du premier moyen contient uniquement des griefs qui soit sont également soulevés dans d’autres parties de la requête, soit doivent également êtres examinés dans le cadre du traitement d’autres moyens soulevés par Siemens et ayant également trait à l’article 1er de la décision attaquée, constatant l’infraction reprochée. Ainsi, le grief pris d’absence de preuve du caractère unique et continu des comportements reprochés est également soulevé dans le cadre de la seconde branche du deuxième moyen et le grief pris de l’intention globale de Siemens de participer à cette infraction doit également être traité dans ce contexte. De même, le grief pris de l’absence de description des effets concrets de l’entente sur le marché commun est également allégué, de manière beaucoup plus détaillée, dans le cadre de la seconde branche du premier moyen. Il apparaît donc que la présente branche ne présente pas de caractère autonome.

29      Dès lors, il n’est pas nécessaire de statuer sur la première branche du premier moyen.

B –  Sur la seconde branche du premier moyen, tirée d’une « analyse incorrecte des prétendus accords et de leurs effets sur le marché commun »

30      Dans le cadre de la seconde branche du premier moyen, Siemens soulève trois griefs, tirés, respectivement, de l’absence d’une entente ayant eu des effets à l’intérieur de l’EEE, de l’absence d’une répartition géographique des marchés entre les producteurs japonais et les producteurs européens et de l’absence d’une protection des « pays constructeurs ».

31      Ces trois griefs sont étroitement liés. En effet, d’une part, les deuxième et troisième griefs se rapportent à des constatations de la Commission qui, à les supposer avérées, démontrent l’existence d’une entente ayant eu des effets à l’intérieur de l’EEE, question faisant l’objet du premier grief. D’autre part, les trois griefs sont également connexes dans la mesure où ils portent sur les mêmes éléments de preuve invoqués par la Commission. Dès lors, il y a lieu de les traiter ensemble.

1.     Arguments des parties

32      Siemens fait valoir que, en ce qui concerne la première phase de sa participation, correspondant à la période de 1988 à 1999, l’infraction qui lui est reprochée n’est pas suffisamment étayée dans la décision attaquée. En particulier, la Commission aurait considéré à tort que l’accord GQ et l’accord EQ prouvent une infraction ayant entraîné des effets au sein de l’EEE, alors que ce dernier aurait expressément été exclu du champ d’application de ces accords. Une telle infraction n’aurait pas non plus été prouvée par les autres éléments de preuve avancés par la Commission.

33      Siemens estime, à cet égard, que la Commission n’a pas prouvé que les producteurs européens et japonais avaient, dans l’arrangement commun, décidé de ne pas intervenir sur les marchés de leurs pays respectifs. Une telle répartition géographique des marchés ne serait prouvée ni par l’exclusion explicite du champ d’application de l’accord GQ des 17 États européens, ni par la prétendue imputation des projets d’AIG en Europe sur le quota global, ni encore par les déclarations de Hitachi ou de Fuji invoquées par la Commission. En revanche, le fait que les participants à l’accord GQ se sont abstenus de commercialiser leurs produits dans certains marchés européens serait exclusivement dû à des obstacles techniques et économiques à l’accès à ces marchés.

34      Siemens conteste tant l’existence d’une répartition géographique des marchés européens conformément au principe des « pays constructeurs » ou des « marchés domestiques » que sa participation aux prétendus « arrangements préalables en Europe » invoqués par la Commission pour fonder sa thèse d’une répartition des marchés dans l’EEE. Les preuves présentées par la Commission à cet égard seraient insuffisantes. Enfin, l’absence d’activités de certains producteurs sur certains marchés nationaux serait explicable autrement que par l’existence d’une entente illicite.

35      La Commission conteste les arguments avancés par Siemens.

2.     Appréciation du Tribunal

36      Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que, dans ses écritures, Siemens admet expressément les faits, tels qu’ils ont été présentés dans la décision attaquée, qui sont relatifs à la seconde phase de sa participation à l’infraction, correspondant à la période de 2002 à 2004. Le premier moyen soulevé par Siemens porte donc uniquement sur la première phase de sa participation à l’infraction, correspondant à la période de 1988 à 1999. Par conséquent, les éléments de preuve sur lesquels la Commission se fonde ne doivent être examinés dans le cadre de la présente branche du premier moyen que dans la mesure où ils se rapportent à cette dernière période ou dans la mesure où ils permettent de tirer des conclusions relatives à cette dernière période.

37      À cet égard, il y a lieu de rejeter l’argument de la Commission selon lequel il serait légitime de projeter les observations relatives à la période de 2002 à 2004 à la période antérieure, puisqu’il s’agit d’une seule et même infraction. En effet, sans qu’il soit nécessaire, à ce stade, de se prononcer sur l’existence d’une infraction unique englobant les deux périodes de la participation de Siemens à l’entente, ce n’est qu’au cas par cas qu’il convient d’apprécier dans quelle mesure des éléments de preuve se rapportant à une période particulière de l’infraction sont susceptibles de fournir des indications valables également pour la première phase de sa participation à l’infraction.

38      Par ailleurs, la thèse de la Commission selon laquelle Siemens se limite à contester l’impact de l’entente sur la concurrence dans l’EEE, alors que, dans la décision attaquée, elle lui reproche d’avoir conclu une entente dont le but était de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, ne saurait conduire à limiter l’examen des faits reprochés à Siemens. En effet, il ressort de l’ensemble des développements de Siemens dans ses écritures qu’elle conteste non seulement que l’entente reprochée ait eu des effets à l’intérieur du marché commun et de l’EEE (hors Liechtenstein et Islande), mais également le fait qu’elle ait eu pour objectif de fausser la concurrence au sein du marché commun et de l’EEE.

39      Les parties s’opposent donc, en substance, sur la question de savoir si la Commission a établi, pour la période comprise entre 1988 et 1999, l’existence d’une entente pouvant avoir des effets à l’intérieur du marché commun et de l’EEE.

40      Il convient donc de déterminer si l’accord GQ et l’accord EQ, en tant que preuves documentaires, prouvent l’existence d’une entente ayant pu avoir des effets à l’intérieur du marché commun et de l’EEE. À cet égard, il n’y a pas lieu d’opérer de distinction entre les deux alternatives de l’article 81, paragraphe 1, CE. En effet, selon une jurisprudence constante, pour apprécier si une pratique concertée est prohibée par l’article 81, paragraphe 1, CE, la prise en considération de ses effets concrets est superflue lorsqu’il apparaît que celle-ci a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun (voir arrêt de la Cour du 4 juin 2009, T‑Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, non encore publié au Recueil, point 29, et la jurisprudence citée). La jurisprudence précitée est applicable, par analogie, à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE. 

41      En cas de réponse négative, il conviendra ensuite de déterminer si l’arrangement commun invoqué par la Commission est suffisamment étayé par un ensemble d’autres éléments.

42      Cependant, avant de procéder à ces vérifications, il convient de rappeler les règles applicables en matière de charge de la preuve étant donné que les parties s’opposent également sur cette question.

a)     Sur la charge de la preuve

43      Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que la Commission doit rapporter la preuve des infractions à l’article 81, paragraphe 1, CE qu’elle constate et établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (arrêts de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 58, et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 86).

44      Dans ce contexte, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Dresdner Bank e.a./Commission, T‑44/02 OP, T‑54/02 OP, T‑56/02 OP, T‑60/02 OP et T‑61/02 OP, Rec. p. II‑3567, point 60).

45      En effet, dans cette dernière situation, il est nécessaire de tenir compte du principe de présomption d’innocence, tel qu’il résulte notamment de l’article 6, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), lequel fait partie des droits fondamentaux qui, selon la jurisprudence de la Cour, par ailleurs réaffirmée par l’article 6, paragraphe 2, UE, constituent des principes généraux du droit communautaire. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C‑199/92 P, Rec. p. I‑4287, points 149 et 150, et Montecatini/Commission, C‑235/92 P, Rec. p. I‑4539, points 175 et 176).

46      Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour établir l’existence de l’infraction (arrêt Dresdner Bank e.a./Commission, point 44 supra, point 62), et pour fonder la ferme conviction que les infractions alléguées constituent des restrictions de concurrence sensibles au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE (arrêt du Tribunal du 21 janvier 1999, Riviera Auto Service e.a./Commission, T‑185/96, T‑189/96 et T‑190/96, Rec. p. II‑93, point 47).

47      Toutefois, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence (voir arrêt Dresdner Bank e.a./Commission, point 44 supra, point 63, et la jurisprudence citée).

48      En outre, compte tenu du caractère notoire de l’interdiction des accords anticoncurrentiels et de la clandestinité dans laquelle ils sont, dès lors, mis en œuvre, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle produise des pièces attestant de manière explicite une prise de contact entre les opérateurs concernés. Les éléments fragmentaires et épars dont pourrait disposer la Commission devraient, en toute hypothèse, pouvoir être complétés par des déductions permettant la reconstitution des circonstances pertinentes. L’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel peut donc être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de concurrence (arrêt Dresdner Bank e.a./Commission point 44 supra, points 64 et 65, et arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, points 55 à 57).

49      Toutefois, lorsque la Commission s’appuie uniquement sur la conduite des entreprises en cause sur le marché pour conclure à l’existence d’une infraction, il suffit à ces dernières de démontrer l’existence de circonstances qui donnent un éclairage différent aux faits établis par la Commission et qui permettent ainsi de substituer une autre explication plausible des faits à celle retenue par la Commission pour conclure à l’existence d’une violation des règles de concurrence communautaires (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, point 186, et la jurisprudence citée).

50      En ce qui concerne les moyens de preuve qui peuvent être invoqués pour établir l’infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE, il convient d’observer que le principe qui prévaut en droit communautaire est celui de la libre administration des preuves (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Dalmine/Commission, T‑50/00, Rec. p. II‑2395, point 72). En particulier, aucune disposition ni aucun principe général du droit communautaire n’interdit à la Commission de se prévaloir, à l’encontre d’une entreprise, des déclarations d’autres entreprises incriminées. Si tel n’était pas le cas, la charge de la preuve de comportements contraires aux articles 81 CE et 82 CE, qui incombe à la Commission, serait insoutenable et incompatible avec la mission de surveillance de la bonne application de ces dispositions qui lui est attribuée par le traité CE (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 49 supra, point 192).

51      Dès lors, l’existence d’une explication alternative des faits est seulement pertinente lorsque la Commission s’appuie uniquement sur la conduite des entreprises en cause sur le marché. Ainsi, une telle explication est-elle sans pertinence à partir du moment où l’existence de l’infraction n’est pas simplement présumée, mais est établie par des preuves. Par ailleurs, en vertu du principe de libre administration des preuves évoqué au point précédent, tous les moyens de preuve sont admissibles pour prouver une infraction, de sorte que l’existence d’une explication alternative est sans pertinence lorsqu’une infraction est prouvée, à suffisance de droit, par des preuves autres que des preuves documentaires (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, points 727 et 728).

52      En l’espèce, il convient donc, pour les éléments contestés par Siemens, de vérifier si les comportements qui lui sont reprochés par la Commission dans la décision attaquée sont établis par des éléments de preuve ou s’ils ont été déduits uniquement de la conduite des entreprises en cause sur le marché. Dans cette dernière hypothèse seulement, il y aura lieu, ensuite, d’examiner s’il existe des explications alternatives de la conduite des entreprises en cause sur le marché, suffisamment plausibles pour remettre en cause les constatations faites dans la décision attaquée.

53      En revanche, selon la jurisprudence, compte tenu du caractère notoire de l’interdiction des accords anticoncurrentiels et de la clandestinité dans laquelle ils sont mis en œuvre, la preuve d’une entente peut être rapportée par un faisceau concordant d’indices (voir point 48 ci‑dessus). Dès lors, Siemens ne saurait prétendre écarter une telle preuve en tirant argument du fait que, pris isolément, les indices individuels avancés par la Commission ne suffisent pas à prouver les comportements qui lui sont reprochés. En effet, par définition, les éléments individuels faisant partie dudit faisceau concordant d’indices avancés par la Commission ne sauraient, pris isolément, constituer des preuves complètes de ce comportement.

54      S’agissant de la valeur probante qu’il convient d’accorder aux différents éléments de preuve, il convient de souligner que le seul critère pertinent pour apprécier les preuves librement produites réside dans leur crédibilité (voir arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑44/00, Rec. p. II‑2223, point 84, et la jurisprudence citée ; arrêts Dalmine/Commission, point 50 supra, point 72, et JFE Engineering e.a./Commission, point 49 supra, point 273). Selon les règles généralement applicables en matière de preuve, la crédibilité et, partant, la valeur probante d’un document dépendent de son origine, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et du caractère sensé et fiable de son contenu (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 1053 ; conclusions du juge M. Vesterdorf faisant fonction d’avocat général sous l’arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T‑1/89, Rec. p. II‑867, II‑869, II‑956). Il convient, notamment, d’accorder une grande importance à la circonstance qu’un document a été établi en liaison immédiate avec les faits (arrêts du Tribunal du 11 mars 1999, Ensidesa/Commission, T‑157/94, Rec. p. II‑707, point 312, et du 16 décembre 2003, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, T‑5/00 et T‑6/00, Rec. p. II‑5761, point 181) ou par un témoin direct de ces faits (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 49 supra, point 207). En outre, les déclarations allant à l’encontre des intérêts du déclarant doivent, en principe, être considérées comme des éléments de preuve particulièrement fiables (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 49 supra, points 207, 211 et 212).

b)     Sur la valeur probante de l’accord GQ et de l’accord EQ

55      S’agissant, d’abord, de l’accord GQ, les parties s’accordent sur le fait que cet accord prévoit la mise en oeuvre d’une entente sur les projets d’AIG au niveau mondial, incluant notamment des échanges d’informations sur des appels d’offres et sur des marchés conclus, à l’aide de formulaires standardisés, l’attribution d’un quota respectivement pour les groupes de constructeurs européen et japonais, l’attribution de marchés à l’intérieur de l’entente, le trucage d’appel d’offres, la fixation de prix minimaux et la lutte contre les entreprises extérieures à l’entente. Toutefois, il convient de relever que, à l’instar de ce qu’affirme Siemens, le libellé de l’accord GQ excluait son application en Europe. En effet, l’annexe 2 de cet accord, relatif à son champ d’application territorial, définit cinq groupes de territoires. Le premier groupe est défini comme regroupant l’Europe et la Méditerranée à l’exception des douze États membres de la Communauté à l’époque, ainsi que de l’Autriche, de la Suède, de la Suisse, de la Finlande et de la Norvège. S’agissant de l’EEE, seuls sont donc compris dans le champ d’application le Liechtenstein et l’Islande – circonstance qui n’est pertinente qu’à partir de l’entrée en vigueur de l’accord EEE, le 1er janvier 1994. Le deuxième groupe est défini comme regroupant l’Asie à l’exception du Japon.

56      Le libellé de l’accord GQ ne constitue donc pas, à lui seul, la preuve d’une entente ayant eu des effets à l’intérieur du marché commun et de l’EEE.

57      S’agissant, ensuite, de l’accord EQ, il convient de relever que celui-ci ne constitue qu’un accord exécutoire de l’accord GQ, ce qui est confirmé par son intitulé et les dispositions contenues dans son préambule selon lesquelles, notamment, l’accord EQ est applicable dans le cadre de l’exécution de l’accord GQ et les règles contenues dans ce dernier priment sur celles contenues dans l’accord EQ. En substance, l’accord EQ contient des règles concernant la redistribution du quota conjoint « européen » entre les producteurs européens. Cette redistribution se faisait selon la procédure prévue à l’article 4 de l’accord EQ et selon les quotas énoncés à l’article 8 de cet accord.

58      Puisque l’accord EQ ne fait donc, en principe, que ventiler le quota conjoint « européen » prévu par l’accord GQ, lequel exclut, comme il vient d’être exposé, le marché commun et l’essentiel de l’EEE, le libellé de l’accord EQ ne constitue pas une preuve d’une entente ayant des effets à l’intérieur du marché commun et de l’EEE. Dès lors, ainsi qu’il a été exposé au point 39 ci-dessus, il y a lieu d’examiner si la Commission a réussi d’une autre manière à prouver l’existence de tels effets. Quant aux conclusions qu’il est possible de tirer, au-delà de leur libellé, de l’accord GQ et de l’accord EQ, elles seront traitées aux points 140 et suivants ci-après, relatifs aux éléments de preuve documentaires.

c)     Sur la preuve de l’arrangement commun

59      Il convient de relever, à titre liminaire, que la circonstance que les clauses de l’accord GQ, auxquelles renvoie également l’accord EQ, excluent expressément de leur champ d’application les marchés européens et japonais ne saurait être perçue automatiquement comme une preuve de ce que l’entente n’avait pas d’effets sur les marchés européens, ni comme une preuve de l’absence de répartition géographique ou de « pays constructeurs ». En effet, si ladite exclusion peut signifier que les entreprises impliquées se livraient à une concurrence non faussée sur lesdits marchés, elle peut également signifier que l’attribution et le contrôle de quotas entre les groupes européen et japonais n’était pas nécessaire s’agissant de ces marchés, parce que ceux-ci étaient de toute manière exclusivement réservés à l’un des deux groupes, interprétation retenue par la Commission.

60      Il y a lieu de souligner qu’un arrangement visant au respect des positions privilégiées traditionnelles des parties à l’entente, respectivement, sur les marchés européen et japonais, à le supposer démontré, constitue déjà en soi une entente ayant un effet sur le marché commun, en ce qu’il supprime la concurrence potentielle des producteurs japonais sur le marché commun. Cela vaudrait même dans l’hypothèse où la Commission ne parviendrait pas à démontrer que les producteurs européens se sont, en plus, partagés entre eux le marché européen. Toutefois, comme il est expliqué ci-après, la Commission a prouvé à suffisance de droit l’ensemble des faits contestés par Siemens dans le cadre du premier moyen.

61      Afin de prouver l’existence et la portée de l’arrangement commun, la Commission a mentionné, dans la décision attaquée, un ensemble d’éléments dont, notamment, les déclarations d’ABB, du témoin M. M., de Fuji et de Hitachi, le fait que ni Alstom, ni les sociétés formant le groupe Areva, ni le groupe dont la société VA Technologie était la société mère (ci-après le « groupe VA Tech ») n’ont ouvertement contesté l’arrangement commun, une liste de projets d’AIG discutés au sein de l’entente, fournie par ABB, et certains éléments de preuve documentaires. Il y a donc lieu d’examiner la portée et la valeur probante de chacun de ces éléments.

 Sur les déclarations d’ABB et du témoin M. M.

62      Dans ses déclarations, ABB a indiqué que la protection des territoires ouest-européen et japonais existait et que certains cas, dans lesquels des producteurs japonais avaient envisagé, contrairement à ce dispositif, de répondre à des appels d’offres européens, avaient causé des problèmes au sein de l’entente, qui toutefois avaient finalement été résolus. Par ailleurs, dans sa déclaration du 3 février 2005, ABB a indiqué que les résultats de l’attribution des projets d’AIG dans le marché commun – à l’exception des « pays constructeurs » – étaient ensuite imputés sur les quotas mondiaux des producteurs européens dans l’entente. Enfin, dans sa déclaration du 4 octobre 2005, ABB a admis l’existence du système des « pays constructeurs », selon lequel, s’il n’y avait qu’un producteur dans ces pays, il était le seul propriétaire des projets et, s’il y avait plusieurs producteurs, ils se répartissaient entre eux les projets.

63      Siemens fait valoir, à cet égard, que les déclarations d’ABB sont de simples affirmations intéressées de la part de cette société, qui sont dépourvues de force probante à défaut d’être étayées par des preuves précises et vérifiables. La Commission estime, pour sa part, que la déclaration d’une entreprise désireuse d’obtenir une immunité d’amende possède une valeur probante particulière du simple fait qu’elle va à l’encontre de l’intérêt naturel de son auteur.

64      S’agissant du degré de crédibilité à attribuer aux déclarations d’ABB, il y a lieu de relever que, en l’espèce, en tant que premier dénonciateur de l’entente, ABB pouvait raisonnablement espérer bénéficier de l’immunité totale d’amendes prévue au point 8 de la communication sur la coopération. Dès lors, il ne saurait être exclu qu’elle ait pu se sentir incitée à maximiser l’importance du comportement infractionnel dénoncé, afin de nuire à ses concurrents sur le marché.

65      Cela ne signifie toutefois pas que les déclarations d’ABB doivent être considérées comme dépourvues de toute crédibilité. À cet égard, il a été jugé que le fait de demander à bénéficier de l’application de la communication sur la coopération en vue d’obtenir une réduction du montant de l’amende ne crée pas nécessairement une incitation à présenter des éléments de preuve déformés. En effet, toute tentative d’induire la Commission en erreur pourrait remettre en cause la sincérité ainsi que la complétude de la coopération du demandeur et, partant, mettre en danger la possibilité pour celui-ci de tirer pleinement bénéfice de la communication sur la coopération (arrêt du Tribunal du 16 novembre 2006, Peróxidos Orgánicos/Commission, T‑120/04, Rec. p. II‑4441, point 70).

66      Néanmoins, dans la mesure où les déclarations d’ABB sont contestées par d’autres entreprises auxquelles il est également reproché d’avoir conclu l’arrangement commun, elles doivent être étayées par d’autres éléments de preuve afin de pouvoir constituer une preuve suffisante de l’existence et de la portée de l’arrangement commun (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Enso-Gutzeit/Commission, T‑337/94, Rec. p. II‑1571, point 91, et du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 285).

67      Il convient donc de vérifier dans quelle mesure les déclarations d’ABB relatives au partage du marché entre les producteurs européens et japonais et à l’existence de « pays constructeurs » sont étayées par les autres éléments de preuve invoqués par la Commission.

68      À ce titre, il y a lieu de constater que la Commission se réfère notamment, dans la décision attaquée, aux déclarations du témoin M. M., ancien employé d’ABB qui représentait cette entreprise au niveau opérationnel de l’entente de 1988 à avril 2002.

69      Or, s’agissant de la nature des déclarations de M. M., il y a lieu de souligner, à titre liminaire, que son témoignage ne saurait être qualifié de différent et d’indépendant de celui d’ABB. En effet, non seulement il a été employé par cette société durant toute sa vie professionnelle – circonstance qui ne saurait garantir l’absence de toute divergence d’intérêts entre eux, ainsi que la Commission le fait valoir à bon droit –, mais également il s’est exprimé, auprès de la Commission, en tant que mandataire d’ABB dans le cadre de l’obligation de coopération de cette dernière aux fins d’obtenir une immunité d’amendes, conformément au paragraphe 11 de la communication sur la coopération, et en se faisant assister par l’avocat d’ABB, ainsi qu’il ressort clairement de la partie introductive de la transcription des propos tenus lors de son audition du 23 septembre 2005. Par ailleurs, la Commission a assimilé, par exemple aux notes en bas de page nos 90 et 91 de la décision attaquée, les témoignages de M. M. aux déclarations d’ABB.

70      Il s’ensuit que les déclarations de M. M. ne sauraient être considérées comme constituant un autre élément de preuve étayant les déclarations d’ABB, au sens de la jurisprudence citée au point 66 ci-dessus, mais doivent être considérées comme faisant partie de ces dernières. Cela ne les prive pas de toute valeur probante. Elles peuvent notamment servir à préciser les déclarations d’ABB. Toutefois, il est nécessaire de corroborer les informations tirées des témoignages de M. M. par d’autres éléments de preuve afin de pouvoir constituer une preuve suffisante de l’existence et de la portée de l’arrangement commun, au même titre que celles tirées des déclarations d’ABB, et cela quand bien même M. M. ne peut avoir, contrairement à ABB, un intérêt personnel à maximiser le comportement infractionnel des concurrents d’ABB. Les mêmes considérations s’appliquent, par ailleurs, aux déclarations de M. V.-A., employé d’ABB interrogé par la Commission dans les mêmes conditions que celles décrites au paragraphe précédent pour M. M.

71      Quant au contenu des déclarations de M. M., il convient de relever que celui-ci a indiqué que le principe de protection des marchés domestiques était d’une importance primordiale pour la conclusion de l’entente et que cette dernière n’aurait pas pu fonctionner sans le respect de ce principe.

72      Selon M. M., c’est pour cette raison que, lors de la détermination des quotas des différentes entreprises impliquées au moment de la création de l’entente en 1988, les marchés domestiques respectifs des producteurs japonais et européens, à savoir, d’une part, du Japon en tant que marché domestique des entreprises japonaises et, d’autre part, de l’Allemagne, de la France, de la Suède, de la Suisse et de l’Italie en tant que marchés domestiques des entreprises européennes, étaient exclus de l’évaluation des parts de marchés détenues par chaque entreprise.

73      M. M. a également indiqué que les pays européens, autres que les « pays constructeurs », étaient exclus du système de répartition des projets prévu par l’accord GQ, afin de ne pas affecter le fonctionnement de certaines pratiques collusoires qui s’étaient formées au niveau local entre les différents producteurs au fil des années. En revanche, le volume des marchés obtenus par chaque producteur était pris en compte aux fins du contrôle du respect des quotas mondiaux des groupes européen et japonais et des quotas de chaque entreprise.

74      M. M. a, par ailleurs, estimé qu’il n’existait pas d’obstacles techniques ou commerciaux insurmontables à l’entrée des entreprises japonaises sur le marché européen et qu’une telle entrée aurait été possible, à moyen terme, moyennant certains investissements. Dès lors, à son avis, les entreprises japonaises s’abstenaient de pénétrer le marché européen pour respecter les règles de l’entente plutôt que pour des raisons techniques.

75      S’agissant de la crédibilité du témoignage de M. M., il y a lieu de tenir compte du fait que, pendant presque toute la durée de l’entente, à savoir de 1988 à 2002, il a été l’un des représentants d’ABB dans le cadre de celle-ci, alors qu’ABB était elle-même l’un des principaux acteurs de l’entente. Il a donc été un témoin direct des circonstances qu’il a exposées. Partant, son témoignage doit en principe être qualifié d’élément de preuve d’une valeur probante élevée.

76      Par ailleurs, les déclarations de M. M. sont cohérentes et claires, même s’il ne se souvient pas de tous les détails factuels de la mise en œuvre de l’entente à laquelle il a participé, pour le compte d’ABB, pendant quatorze ans. Or, dans un témoignage couvrant une période d’une telle durée, le fait qu’il puisse exister quelques inexactitudes mineures dans ces déclarations doit être considéré comme normal.

77      Dès lors, il y a lieu d’attribuer une crédibilité élevée aux déclarations de M. M., sans préjudice du fait, relevé ci-dessus, qu’elles doivent être appréciées en tant que déclarations faites pour le compte d’ABB.

78      Cette appréciation n’est pas remise en cause par les arguments avancés par Siemens pour contester la crédibilité du témoignage de M. M. et, notamment, par les prétendues contradictions entre ce témoignage et celui de M. V.-A. En effet, les allégations de Siemens selon lesquelles, d’une part, M. V.-A. a indiqué que les États membres de l’EEE, au même titre que les États d’Amérique du Nord, étaient exclus du champ d’application de l’accord GQ et, d’autre part, la Commission n’avait pas démontré dans quelle mesure le témoignage de M. V.-A. serait moins crédible que celui de M. M. ne sauraient prospérer, dès lors que le témoignage de M. V.-A. ne contredit pas celui de M. M.

79      À cet égard, il convient de relever que M. V.-A. lui-même a affirmé, lors de sa déclaration du 21 septembre 2005, avoir participé à seulement six à dix réunions au niveau opérationnel entre 1997 et 1998, avoir eu des connaissances limitées et avoir été dépendant, à cet égard, de M. M., qui était le seul à disposer de certaines informations, notamment en ce qui concernait l’exclusion de l’Amérique du Nord et de l’Europe du champ d’application de l’accord GQ.

80      En outre, M. V.-A. a relevé une différence entre l’exclusion de l’Amérique du Nord et celle de l’Europe, en précisant que les États-Unis étaient exclus par crainte de s’exposer aux punitions sévères menaçant les participants à des ententes dans ce pays, alors qu’il supposait que les projets européens étaient effectivement traités par les entreprises participant à l’entente, mais non dans le cadre des réunions auxquelles il participait lui-même.

81      Enfin, M. V.-A. a indiqué avoir été témoin, lors des réunions auxquelles il avait participé, de disputes entre les représentants du groupe des producteurs japonais et ceux du groupe des producteurs européens à propos des supposées tentatives des producteurs japonais de pénétrer les marchés européens, en violation d’un accord leur interdisant de venir concurrencer les producteurs européens en Europe occidentale. Il a également précisé qu’il ne voyait aucun obstacle technique ou commercial insurmontable à ce que les producteurs japonais puissent pénétrer les marchés européens.

82      Sur le fondement des connaissances limitées sur le fonctionnement de l’entente dont il disposait selon ses propres paroles, les déclarations de M. V.-A. sont donc compatibles avec celles de M. M. et les confirment même à certains égards, notamment en ce qui concerne le partage des marchés entre les producteurs européens et japonais. Même si la Commission ne l’a pas précisé expressément dans la décision attaquée, le témoignage de M. V.-A. constitue donc un élément à charge pour Siemens plutôt qu’un élément à sa décharge. Dès lors, l’argument de Siemens tiré d’une contradiction entre les témoignages de M. M. et de M. V.-A. doit être rejeté.

83      En conclusion, les déclarations de M. M., qui bénéficient d’une crédibilité élevée, constituent un élément de preuve de l’existence du principe de protection des « pays constructeurs », de la réservation des marchés européens, hors « pays constructeurs », au profit des producteurs européens et de la prise en compte du volume de ventes dans ces derniers aux fins du respect de quotas mondiaux. Toutefois, ainsi qu’il a été constaté au point 70 ci-dessus, les déclarations de M. M. doivent être étayées par d’autres éléments de preuve, au même titre que celles d’ABB, afin de pouvoir constituer une preuve suffisante de l’existence et de la portée de l’arrangement commun.

 Sur les déclarations de Fuji

84      Fuji a déclaré avoir été au courant de l’arrangement commun selon lequel les producteurs japonais devaient s’abstenir d’entrer sur le marché européen. Toutefois, elle fait valoir que sa propre abstention du marché européen était principalement due au fait qu’elle ne pouvait pas sérieusement prétendre à fournir des AIG en Europe pour d’autres raisons, notamment sa part de marché mondiale limitée qui ne justifiait pas d’engager les coûts échoués nécessaires au développement d’une base européenne. Concernant le seul projet d’AIG que Fuji a réalisé en Europe, à savoir un projet en République tchèque en 1995, elle fait valoir qu’elle a agi, en l’occurrence, en tant que sous-contractant d’une autre société japonaise à qui elle a livré l’AIG en cause au Japon. Dès lors, elle considère ce projet comme un projet d’AIG au Japon et estime qu’il ne démontre pas sa capacité générale de livrer en Europe.

85      Siemens fait valoir, à cet égard, que cette déclaration de Fuji n’a été fournie qu’après l’audition mentionnée au point 9 ci-dessus, c’est-à-dire à un moment où Fuji n’était plus en mesure de fournir un témoignage impartial et objectif. Or, selon la jurisprudence, seuls les documents qui ont été cités ou mentionnés dans la communication des griefs constitueraient des moyens de preuve valables (voir arrêts de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 21, et du Tribunal du 16 décembre 2003, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, point 54 supra, point 34, et la jurisprudence citée).

86      Cette objection ne saurait prospérer. En effet, la communication des griefs doit permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission, cette exigence étant respectée lorsque la décision finale ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans la communication des griefs et ne retient que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l’occasion de s’expliquer (arrêt de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 94 ; arrêts du Tribunal du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T‑212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 138, et du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, point 47).

87      S’il est donc vrai que les infractions reprochées à une entreprise dans une décision ne peuvent pas être différentes de celles énoncées dans la communication des griefs, il n’en va pas de même pour les faits retenus, puisqu’il suffit, à l’égard de ces derniers, que les entreprises mises en cause aient eu la possibilité de s’exprimer sur tous les faits qui sont retenus à leur charge. En effet, ainsi qu’il a été jugé, aucune disposition n’interdit à la Commission de communiquer aux parties, après l’envoi de la communication des griefs, de nouvelles pièces dont elle estime qu’elles soutiennent sa thèse, sous réserve de donner aux entreprises le temps nécessaire pour présenter leur point de vue à ce sujet (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 190 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, point 29).

88      Or, en l’espèce, il est constant que, par lettre du 25 août 2006, la Commission a communiqué à Siemens les déclarations de Fuji et l’a invité à lui soumettre ses commentaires sur ces déclarations. En outre, lesdites déclarations ne faisaient pas état de griefs à l’égard de Siemens qui seraient nouveaux par rapport à ceux énoncés dans la communication des griefs, mais ne contenaient qu’un nouvel élément de preuve servant à étayer un grief déjà retenu dans la communication des griefs, à savoir le fait qu’il existait un arrangement commun entre les producteurs japonais et européens selon lequel les producteurs japonais ne devaient pas pénétrer le marché européen.

89      Dès lors, les déclarations de Fuji peuvent être retenues en tant qu’éléments de preuve à charge contre Siemens.

90      S’agissant de la crédibilité qu’il y a lieu d’attribuer aux déclarations de Fuji, il y a lieu de relever que, dans la mesure où cette dernière a admis, à tout le moins indirectement, que son absence du marché européen était en partie due à l’arrangement commun, elle a reconnu un fait qui pouvait être retenu à sa charge par la Commission. Or, il a déjà été jugé que les déclarations allant à l’encontre des intérêts du déclarant devaient, en principe, être considérées comme des éléments de preuve particulièrement fiables (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 49 supra, point 211).

91      Cela reste vrai même si, en l’espèce, Fuji a demandé à bénéficier de la communication sur la coopération. En effet, en premier lieu, les déclarations de Fuji n’ont pas été faites dans le cadre de cette demande, mais dans la réponse à la communication des griefs, même si les deux documents ont été établis presque concomitamment. En deuxième lieu, la reconnaissance par Fuji du fait d’avoir été au courant de la répartition des marchés européens et japonais n’a pas un caractère exclusivement accusatoire à l’égard d’autres entreprises – circonstance qui devrait conduire à traiter sa déclaration avec circonspection –, mais contient également la reconnaissance d’une infraction de sa part. Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que, en l’espèce, la déclaration de Fuji doit bénéficier d’une crédibilité élevée.

92      S’agissant, enfin, du contenu de la déclaration de Fuji, il importe de souligner que, dans cette déclaration, Fuji ne se limite pas à reconnaître un partage de marchés entre les producteurs européens et japonais mais fait également état de détails relatifs aux objectifs respectifs des entreprises ayant participé à l’entente, qui permettent de tirer d’autres conclusions. En effet, Fuji indique que, en ce qui la concerne, l’arrangement commun n’était pas la raison principale de son abstention de pénétrer le marché européen et donne toute une série de raisons qui ont, selon elle, pesé davantage dans ce choix. En particulier, l’argument selon lequel sa part de marché mondiale était trop faible pour justifier les coûts échoués nécessaires au développement d’une base européenne permet de conclure que les producteurs japonais – et, inversement, les producteurs européens – détenant une part de marché plus élevée auraient été capables de surmonter les obstacles techniques et commerciaux à l’entrée sur les marchés protégés des groupes de producteurs respectifs et de rentabiliser un tel investissement. Dans cette perspective, plus la part de marché d’une entreprise déterminée était élevée, moins l’argument tiré des obstacles techniques et commerciaux revêt d’importance pour cette entreprise et, inversement, plus l’interdiction convenue dans le cadre de l’arrangement commun de pénétrer sur les marchés de l’autre groupe de producteurs revêt d’importance.

93      Or, si l’on se réfère aux parts de marché retenues par la Commission aux considérants 484 à 488 de la décision attaquée, qui sont fondées sur les chiffres de vente indiqués par les entreprises elles-mêmes et qui ne sont pas contestées en l’espèce, il apparaît que Fuji était de très loin le plus petit des producteurs d’AIG participant à l’entente, avec 2 % au maximum du chiffre d’affaires mondial des entreprises participant à l’entente, afférent aux projets d’AIG. Les parts de marchés des autres entreprises japonaises étaient nettement supérieures et comprises entre 15 et 20 % pour Melco, entre 8 et 12 % pour Toshiba et entre 4 et 7 % pour Hitachi. Siemens détenait, quant à elle, une part de marché située entre 23 et 29 %. Dès lors, la déclaration de Fuji permet de conclure que la protection des marchés européen et japonais au profit, respectivement, des producteurs européens et des producteurs japonais revêtait un intérêt pour la plupart des entreprises concernées, puisque leur part de marché nettement supérieure à celle de Fuji leur aurait permis plus facilement de supporter les coûts d’une pénétration sur les marchés de l’autre groupe de producteurs.

94      Par ailleurs, il y a lieu de relever que la Commission ne conteste pas l’existence d’obstacles techniques et commerciaux à l’entrée sur les marchés respectifs des groupes européen et japonais, mais la considération selon laquelle ces obstacles n’ont pas pu être surmontés d’une manière rentable. Elle s’est fondée, à cet égard, sur deux projets d’AIG en République tchèque. Le premier a été remporté par Fuji et le second avait fait l’objet d’une offre de Melco, ce qui n’a pas été contesté par Siemens. Cela démontre qu’il n’existait pas d’obstacles techniques et commerciaux insurmontables à l’entrée des producteurs japonais sur les marchés européens, ce qui tend à soutenir l’argument de la Commission selon laquelle les entreprises ayant participé à l’entente avaient un intérêt subjectif à ce que les producteurs de l’autre groupe n’essayent pas de surmonter ces mêmes obstacles.

95      En conclusion, les déclarations de Fuji constituent un élément de preuve pour l’existence d’un partage des marchés européens et japonais en faveur des groupes de producteurs respectifs, bénéficiant d’une crédibilité élevée.

 Sur les déclarations de Hitachi

96      Hitachi a déclaré que les projets d’AIG en Europe répartis entre les producteurs européens étaient imputés sur le quota conjoint « européen » dans le cadre de l’accord GQ et que, pour cette raison, les producteurs japonais étaient informés ex post, jusqu’en 1999, du résultat de la répartition des projets d’AIG en Europe entre les producteurs européens. Dans sa réponse à la communication des griefs, Hitachi a en effet indiqué ce qui suit :

« Hitachi confirme que, avant 1999, les producteurs européens d’AIG communiquaient aux producteurs japonais d’AIG les détails des projets d’AIG qu’ils allaient fournir en Europe. Hitachi confirme, en outre, que le but de cette communication était d’assurer que la valeur des projets européens était prise en compte lors de l’accord sur le quota de projets hors d’Europe à attribuer entre les producteurs européens et les producteurs japonais, conformément à l’accord GQ […]

Afin de se rendre compte du défaut d’importance pratique de ce mécanisme, pendant la période où il était en vigueur (à savoir, avant 2002), il doit être souligné que la communication des détails des projets en Europe dans le cadre de l’entente GQ n’était pas liée à un quelconque consentement des producteurs japonais de se tenir à l’écart du marché européen ni ne démontre l’existence d’un tel consentement, puisque aucun ‘arrangement commun’ n’existait. Ce qui est peut-être encore plus important, en tout état de cause, c’est que, en aucune manière, l’attribution des projets d’AIG européens en vertu de l’entente européenne ne ‘résultait de’ communications entre les producteurs d’AIG européens et les producteurs d’AIG japonais, comme allégué par la Commission. Toutes les communications entre les producteurs d’AIG européens et japonais se faisaient après que l’attribution des projets d’AIG européens a eu lieu. »

97      Cette déclaration est instructive à plusieurs égards. En premier lieu, en confirmant expressément que des projets d’AIG en Europe réalisés par les producteurs européens étaient comptabilisés sur leur quota global dans le cadre de l’accord GQ, Hitachi confirme la thèse de la Commission selon laquelle les producteurs européens, dont Siemens, procédaient à des accords sur des projets à l’intérieur du marché commun (pendant les premières années du fonctionnement de l’entente, l’Europe de l’Est n’était pas encore accessible en tant que marché) et selon laquelle, dès lors, l’entente avait bien des effets à l’intérieur du marché commun et de l’EEE.

98      En second lieu, la déclaration de Hitachi constitue, et ce indépendamment de la volonté de son auteur, également un indice à l’appui de la thèse de la Commission selon laquelle les marchés européens étaient globalement réservés aux producteurs européens. En effet, Hitachi insiste, à plusieurs reprises, sur la circonstance selon laquelle l’information des producteurs japonais se faisait ex post. D’une part, elle en tire la conclusion que ces derniers n’étaient pas impliqués dans les pratiques collusoires des producteurs européens sur les marchés européens. D’autre part, elle estime que ladite information n’avait aucun lien avec un engagement des producteurs japonais de se tenir à l’écart des marchés européens ni ne prouvait un tel engagement et conteste l’existence de l’arrangement commun.

99      Or, la circonstance, également admise par Hitachi, selon laquelle des projets d’AIG en Europe, qui étaient répartis entre les producteurs européens, étaient comptabilisés sur le quota mondial ne peut trouver d’explication raisonnable si, de toute manière, les marchés européens n’étaient pas accessibles aux producteurs japonais pour des raisons techniques et commerciales. En effet, dans une telle hypothèse, les producteurs européens n’auraient eu aucune raison d’accepter de se voir imputer ces projets sur leur quota mondial, ce qui diminuait forcément le nombre et la valeur des projets d’AIG sur les marchés mondiaux auxquels ils pouvaient prétendre dans le cadre de l’entente. En revanche, le fait qu’ils aient consenti à cette contrepartie démontre que l’abstention des producteurs japonais de pénétrer les marchés européens avait, pour les producteurs européens, une valeur qui pouvait justifier ladite contrepartie.

100    Quant à la crédibilité de la déclaration de Hitachi, il y a lieu de relever que cette dernière a demandé à bénéficier de la communication sur la coopération. Dès lors, ses déclarations devraient être traitées avec circonspection dans la mesure où elles auraient un caractère exclusivement accusatoire à l’égard d’autres entreprises. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la déduction qui peut être tirée de la déclaration de Hitachi, selon laquelle les producteurs japonais avaient accepté de ne pas pénétrer les marchés européens, va à l’encontre aussi bien des intérêts de Hitachi que de ceux des autres participants à l’entente, dans la mesure où elle confirme un fait qui pourra être retenu à sa charge. En outre, Hitachi n’était, de toute évidence, pas consciente de la totalité des conclusions que le contenu de sa déclaration permettait de tirer, notamment en ce qui concerne la réservation des marchés européens au profit des producteurs européens, ce qui tend à accroître la crédibilité de sa déclaration.

101    En conclusion, il convient d’attribuer une crédibilité élevée aux déclarations de Hitachi.

 Sur le défaut de contestation d’Areva, d’Alstom et du groupe VA Tech

102    Concernant le défaut de contestation d’Areva, d’Alstom et du groupe VA Tech, il y a lieu de constater que les pièces du dossier soit ne justifient pas d’attacher à ce fait une grande valeur probante, soit ne permettent pas d’étayer les allégations faites par la Commission.

103    S’agissant, en premier lieu, d’Areva et d’Alstom, la Commission indique, au considérant 125 de la décision attaquée, que ces deux sociétés n’ont pas contesté l’arrangement commun visant au respect des positions privilégiées traditionnelles sur les marchés domestiques des entreprises ayant participé à l’entente, ni dans leurs réponses respectives à la communication des griefs ni dans leurs déclarations ultérieures des 21 et 26 novembre 2006 respectivement, à la suite de la réception de la réponse de Fuji reconnaissant l’arrangement commun. Toutefois, ni Siemens ni la Commission n’ont abordé le défaut de contestation par Areva et Alstom dans leurs écritures devant le Tribunal. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que cette question ne fait pas partie du présent litige.

104    Concernant, en second lieu, le groupe VA Tech, la Commission relève, au considérant 125 de la décision attaquée, que celui-ci n’a pas ouvertement contesté, dans sa réponse à la communication des griefs, les informations relatives à l’arrangement commun. À cet égard, premièrement, il convient de constater, que ladite réponse ne figure pas dans le dossier et que le Tribunal ne dispose que de la citation qui en a été faite par la Commission, à la note en bas de page n° 79 de la décision attaquée, libellée comme suit : « Même sans l’arrangement commun présumé, les producteurs japonais se seraient tenus à l’écart du marché européen en raison des barrières à l’entrée élevées, comme il sera démontré en détail ci-dessous. » Deuxièmement, il y a lieu de relever que le simple fait qu’une société n’ait pas ouvertement contesté certains faits ne saurait revêtir qu’une valeur probante très limitée, et ce d’autant plus qu’il n’est pas possible de vérifier le contexte du défaut de contestation sur le seul fondement d’une telle citation isolée. Troisièmement, il convient d’observer que, même prise isolément, ladite citation n’a pas le contenu que la Commission lui prête. À cet égard, il convient de mettre en évidence le terme « présumé », utilisé par le groupe VA Tech pour qualifier l’arrangement commun. Il résulte de l’utilisation de ce terme que, si le groupe VA Tech n’a pas expressément contesté l’existence de cet arrangement, il ne l’a pas pour autant admis, ne serait-ce qu’implicitement. Au contraire, le passage cité doit être interprété comme une contestation implicite de l’existence de l’arrangement commun.

105    Dès lors, le prétendu défaut de contestation de l’arrangement commun par Areva, Alstom et le groupe VA Tech ne saurait être retenu comme élément confirmant la thèse de la Commission concernant la réservation des marchés européens aux producteurs européens et la protection des « pays constructeurs ».

 Sur la liste de projets d’AIG en Europe

106    S’agissant de la liste de onze projets d’AIG invoquée par la Commission au considérant 164 de la décision attaquée, il s’agit en fait d’un extrait d’une liste de projets d’AIG discutés au sein de l’entente pendant la période comprise entre 1988 et 1999, intitulée « Enquirylist1 » et produite par ABB (ci-après la « liste globale »), qui contient des indications, notamment, quant aux dates limites pour la soumission des offres, aux entreprises ayant manifesté un intérêt pour chacun des projets et au résultat des discussions au sein de l’entente (à savoir l’attribution à un membre de l’entente ou la fixation d’un niveau de prix minimal).

107    Selon ces indications, sur les onze projets d’AIG en Europe contenus dans la liste globale, la commande a été obtenue, pour six de ces projets, par l’entreprise à laquelle le projet a été attribué dans le cadre de l’entente, ce qui a été le cas trois fois, respectivement, pour ABB et pour Siemens. Pour les cinq autres projets, la liste globale spécifie qu’ils n’ont pas été attribués à l’une des entreprises ayant participé à l’entente, mais ont fait l’objet d’un arrangement sur le niveau inférieur du prix, c’est-à-dire que les entreprises européennes ayant participé à l’entente se sont mises d’accord sur le prix minimal qu’elles proposeraient dans le cadre de leurs éventuelles réponses à l’appel d’offres en cause.

108    Siemens a, dans un premier temps, essayé, de manière générale, de semer le doute sur la fiabilité des informations contenues dans la liste globale, sans toutefois contester expressément ni la réalité des projets qui y figurent ni, en particulier, la réalité des onze projets d’AIG en Europe qui y sont mentionnés, ni encore le fait que ces projets aient été discutés au sein de l’entente.

109    Dans ce cadre, Siemens a, notamment, allégué qu’un certain nombre de projets sont mentionnés à plusieurs reprises, que de nombreux projets n’ont jamais été mis en œuvre et que, à aucun endroit, la liste globale n’indique qu’un projet d’AIG lui ait été attribué au sein de l’EEE. Dans deux cas où elle aurait remporté le projet en cause, cela aurait résulté de pratiques concurrentielles. Par ailleurs, Siemens se réfère à une analyse de la liste globale réalisée par une société indépendante, qui démontrerait, notamment, que les projets d’AIG au sein de l’EEE n’ont pas fait l’objet d’un système de répartition fonctionnant de manière comparable à celui prévu par l’accord GQ et l’accord EQ.

110    De plus, dans le cadre de sa réponse aux questions écrites du Tribunal avant l’audience, Siemens a contesté que les onze projets d’AIG en Europe contenus dans la liste globale aient fait l’objet d’une concertation au sein de l’entente.

111    Ces allégations seront examinées aux points 116 à 138 ci-après.

–       Sur l’origine et la date d’établissement de la liste globale ainsi que sur sa qualification d’élément de preuve

112    Il convient de constater, ainsi que Siemens l’a fait valoir, qu’il n’a pas été possible de déterminer avec certitude l’origine et la date d’établissement de la liste globale.

113    À cet égard, il importe toutefois de noter que, ainsi qu’il ressort du considérant 88 et de la note en bas de page n° 21 de la décision attaquée, la liste globale a été produite par ABB le 7 mai 2004, c’est-à-dire un jour après la date du 6 mai 2004, figurant dans l’en-tête de sa première page, date qui constitue donc très probablement soit la date de son établissement, soit la date de son impression. En outre, il y a lieu de relever qu’ABB bénéficiait, par rapport aux autres membres de l’entente, d’un encodage supplémentaire dans ladite liste. En effet, les membres européens – à l’exception d’ABB – et les membres japonais figurent dans la colonne intitulée « Member » de cette liste, en deux groupes, sous leurs codes respectifs, tels qu’utilisés au sein de l’entente. En revanche, ABB se « cache », selon l’expression employée par M. M. dans le cadre de son audition par la Commission, le 23 septembre 2005, dans la colonne intitulée « GCs », en principe destinée à la mention des éventuels contrats généraux. D’après les indications de M. M., il s’agissait d’une précaution prise à la suite d’une enquête menée par l’autorité suédoise de la concurrence à l’égard d’ABB.

114    Ces deux circonstances permettent de présumer que la liste globale a initialement été établie par ABB aux fins de son propre suivi interne de l’entente et qu’elle a été réimprimée aux fins de sa production devant la Commission. Il y a donc lieu de se fonder sur cette présomption, par ailleurs, la plus favorable à Siemens et compatible avec les déclarations de cette dernière, qui conteste être l’auteur de la liste globale.

115    Dès lors, il convient, ainsi que le fait valoir Siemens, de qualifier la liste globale de faisant partie des déclarations d’ABB. En effet, étant donné que, comme il a été relevé, la liste globale a été soit établie par ABB, soit imprimée par elle à partir d’un fichier électronique interne, et ce dans un contexte temporel étroit avec ses déclarations faites aux fins de sa demande d’immunité au titre de la communication sur la coopération, elle ne saurait être qualifiée de preuve documentaire. Il s’ensuit que les considérations, énoncées aux points 64 à 67 ci-dessus, sur la valeur probante des déclarations d’ABB sont également valables en ce qui concerne la liste globale. En particulier, les informations tirées de la liste globale ne peuvent pas servir à étayer les déclarations d’ABB mais, au contraire, doivent elles-mêmes être étayées par d’autres éléments de preuve, conformément à la jurisprudence rappelée au point 66 ci-dessus.

–       Sur l’allégation selon laquelle les projets d’AIG en Europe mentionnés dans la liste globale n’ont pas été discutés au sein de l’entente

116    Ainsi qu’il a été indiqué au point 110 ci-dessus, dans le cadre de sa réponse aux questions écrites du Tribunal avant l’audience, Siemens a contesté, pour la première fois, que les onze projets d’AIG en Europe contenus dans la liste globale aient fait l’objet d’une concertation au sein de l’entente. Certes, elle a indiqué, à la suite d’une question à cet égard lors de l’audience, avoir déjà soulevé cette contestation dans le cadre de la procédure administrative devant la Commission et dans la requête. Toutefois, la requête ne contient, à cet égard, que les éléments repris au point 109 ci-dessus et, à supposer même que Siemens ait soulevé cette contestation lors de la procédure administrative, cela ne saurait compenser l’absence de contestation devant le Tribunal au stade de la requête. Il y a donc lieu de rejeter comme tardive, conformément à l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, l’allégation de Siemens selon laquelle les onze projets d’AIG en Europe contenus dans la liste globale n’ont pas fait l’objet d’une discussion au sein de l’entente.

117    En outre, il importe de souligner le caractère détaillé des informations contenues dans la liste globale. En effet, celle-ci contient, notamment, des indications quant aux caractéristiques des équipements à fournir pour les projets en cause, la date prévue pour la soumission des offres, les dates de délibération au sein de l’entente, les manifestations d’intérêt aux projets de la part des différents membres de l’entente, l’identité de l’éventuel attributaire ou la mention du fait qu’un niveau de prix minimal a été décidé et, le cas échéant, l’indication que le projet a effectivement été obtenu par l’attributaire. Il ne saurait être admis que des indications d’une telle diversité et d’une telle précision soient contestées par une simple allégation selon laquelle les onze projets d’AIG en Europe n’ont pas fait l’objet de concertations au sein de l’entente.

118    Il doit être rappelé, dans ce contexte, que Siemens ne conteste pas avoir assumé la tâche de secrétaire européen de l’entente pendant la période comprise entre 1988 et 1999. Elle devait donc nécessairement avoir connaissance de la totalité des projets discutés au sein du groupe européen de producteurs et, dès lors, être en mesure de contester de manière circonstanciée et individuelle les projets énumérés par ABB sur la base de ses propres dossiers, dans l’hypothèse où il y aurait une erreur. Le fait que Siemens n’a ni saisi cette occasion, ni expliqué en quoi elle était empêchée de le faire permet donc de constater que Siemens n’a pas valablement contesté le fait que les projets contenus dans la liste globale et, en particulier, les onze projets au sein de l’EEE ont fait l’objet de concertations au sein de l’entente.

119    Il y a lieu de rejeter comme erronée l’affirmation de Siemens, faite dans le cadre de sa réponse aux questions écrites posées par le Tribunal avant l’audience, selon laquelle les onze projets en cause étaient situés en dehors de l’EEE à l’époque des faits. En effet, parmi ces onze projets, discutés au sein de l’entente entre 1992 et 1998, figurent trois projets en Espagne, un projet au Danemark, un projet en Irlande et un projet au Portugal, tous ces États ayant rejoint la Communauté avant 1988. De même, les deux projets en Finlande, datant de 1994 et 1995, sont indubitablement couverts, respectivement, par l’accord EEE et le traité CE, la République de Finlande étant membre de l’EEE depuis le 1er janvier 1994 et membre de la Communauté depuis le 1er janvier 1995. Un constat similaire s’impose pour le projet en Islande et les deux projets en Norvège, tous datant de 1998, date à laquelle la République d’Islande et le Royaume de Norvège étaient membres de l’EEE. Tous ces pays faisaient donc partie, au moment de la discussion du projet en cause, soit du marché commun, soit de l’EEE.

120    Par ailleurs, il y a lieu de rejeter l’allégation de Siemens selon laquelle la liste globale serait « obscure ». Il est vrai que cette liste, qui est établie sous forme de tableau, utilise différents codes composés de chiffres et/ou de lettres. Toutefois, des explications sur ces codes ont été fournies à la Commission, notamment, par le témoin M. M., lors de son audition le 23 septembre 2005, et il y a lieu de considérer, à la lumière de ces explications, que la liste globale donne une image claire de la manière dont les projets d’AIG étaient traités au sein de l’entente.

–       Sur les projets prétendument mentionnés à plusieurs reprises ou n’ayant pas été mis en œuvre

121    Siemens fait valoir que certains projets contenus dans la liste globale sont mentionnés à plusieurs reprises. À cet égard, il y a lieu de relever que, à supposer même que cette allégation soit fondée, cela n’affecte en rien la pertinence et la crédibilité de la liste globale et, partant, sa valeur probante. En effet, d’une part, Siemens ne spécifie pas quels sont les projets en cause ni n’indique s’ils font partie des onze projets d’AIG en Europe occidentale – ces projets étant les seuls sur lesquels la Commission s’est spécifiquement fondée dans la décision et, dès lors, les seuls pertinents aux fins de l’examen de la décision attaquée. D’autre part, le fait qu’une liste composée de plus de 1 500 entrées puisse contenir quelques erreurs n’est pas de nature à discréditer l’ensemble de ladite liste.

122    Quant à l’allégation de Siemens selon laquelle certains des projets contenus dans la liste globale n’ont jamais été mis en œuvre, il convient de relever que Siemens ne spécifie pas de quels projets il s’agirait. Au demeurant, à supposer même qu’une telle allégation soit fondée, l’absence de mise en œuvre de certains projets ne serait, en toute hypothèse, pas susceptible d’écarter l’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE pour des entreprises ayant truqué les appels d’offres afférents à ces projets dans le cadre d’une entente.

–       Sur le faible taux de projets d’AIG en Europe répertoriés dans la liste globale

123    Siemens fait valoir, sans être contredite par la Commission, que, sur les plus de 1 500 projets d’AIG répertoriés dans la liste globale, 11 projets seulement devaient être réalisés au sein de l’EEE. Il est vrai que ce taux faible ne reflète pas l’importance des marchés européens. Toutefois, il y a lieu de considérer que cette circonstance ne justifie pas de ne pas tenir compte des informations contenues dans cette liste.

124    En effet, tout d’abord, ni ABB ni la Commission n’ont allégué que la liste globale contenait la totalité des projets affectés par l’entente. De plus, l’absence, dans une large mesure, de projets « européens » sur ladite liste coïncide bien avec la thèse selon laquelle il existait des « pays constructeurs » qui étaient d’emblée réservés à certaines entreprises, sans que les projets réalisés dans ces pays soient imputés sur les quotas en vertu de l’entente. Enfin, la Commission a invoqué l’existence d’ententes supplémentaires au niveau national, au sein desquelles des projets pourraient avoir été traités, ententes également mentionnées par le témoin M. M. Ce dernier a expliqué que, dans la plupart des pays européens non constructeurs, il existait, de longue date, des ententes locales entre les différents producteurs européens dont le fonctionnement ne devait pas être affecté par l’accord GQ et l’accord EQ. Dès lors, il aurait été décidé de ne pas intégrer ces pays dans la procédure d’attribution des projets instaurée par ces accords, mais de simplement enregistrer les attributions des projets d’AIG à réaliser dans ces pays pour les imputer sur le quota mondial des entreprises européennes.

125    Or, tant dans le cas des « pays constructeurs » que dans l’hypothèse d’ententes locales préexistantes, il n’était pas nécessaire de discuter des projets d’AIG à réaliser dans les pays en cause dans le cadre de l’entente globale, ce qui serait susceptible d’expliquer la faible proportion de projets « européens » sur une liste de projets attribués dans ledit cadre, notamment en ce qui concerne des marchés nationaux aussi importants que la France, l’Allemagne et l’Italie – qui étaient tous, selon les constatations de la Commission, des « pays constructeurs » au début de l’entente.

126    Sans qu’il y ait lieu de se prononcer, en définitive, sur l’existence des prétendues ententes locales préexistantes, contestées par Siemens, il convient donc de considérer que, eu égard aux circonstances de l’espèce, la faible proportion de projets d’AIG en Europe répertoriés dans la liste globale n’empêche pas de tenir compte, dans l’appréciation des preuves, des informations contenues dans cette liste et, notamment, des informations relatives aux onze projets d’AIG en Europe qui y figurent.

127    Par ailleurs, comme la Commission l’a fait observer dans le mémoire en défense, le raisonnement de Siemens, fondé sur la prétendue exclusion totale des marchés européens – sauf ceux du Liechtenstein et de l’Islande – du champ d’application de l’entente, à la supposer établie, n’est pas susceptible d’expliquer pourquoi la liste globale contiendrait ne serait-ce qu’un seul projet d’AIG au sein de l’EEE. Dans la réplique, Siemens s’est abstenue de prendre position sur ce sujet. En réponse à une question écrite du Tribunal à cet égard, Siemens s’est bornée à contester que les onze projets d’AIG en Europe contenus dans la liste globale aient fait l’objet de concertations au sein de l’entente. Or, comme il a été relevé aux points 116 et 117 ci-dessus, il y a lieu de rejeter cette contestation, soulevée pour la première fois au stade de la procédure orale.

128    Il s’ensuit que le faible taux de projets d’AIG en Europe contenus dans la liste globale ne remet pas en cause le fait, établi par ladite liste, que des projets d’AIG en Europe ont été discutés et attribués au sein de l’entente.

–       Sur le prétendu défaut d’attribution à Siemens, dans le cadre de l’entente, de projets d’AIG dans l’EEE

129    Siemens fait valoir que la liste globale n’indique aucun cas dans lequel un projet d’AIG à réaliser au sein de l’EEE lui aurait été attribué. À cet égard, il y a lieu de relever, tout d’abord, que, à supposer même que cette allégation de Siemens soit fondée, cela ne permet pas d’écarter l’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE en ce qui la concerne dès lors qu’elle a participé à une entente illégale portant sur le marché commun et sur l’EEE, en participant aux discussions sur des projets et à des décisions d’attribution de ces projets à d’autres entreprises. En effet, de tels agissements affectent, en tant que tels, le jeu de la concurrence, indépendamment de l’identité de l’entreprise à laquelle le projet est, en fin de compte, attribué.

130    En tout état de cause, l’allégation de Siemens selon laquelle la liste globale ne fait pas état de l’attribution de projets à son égard est erronée. En effet, au point 164 de la décision attaquée, la Commission cite trois projets dont Siemens a obtenu la commande, à savoir le projet n° 1327, le projet n° 0140 et le projet n° 0144. Pour deux de ces projets, à savoir les projets nos 0140 et 0144, il découle de la liste globale que Siemens était la seule entreprise intéressée aux projets en cause et qu’elle en avait finalement obtenu la commande. En revanche, pour le troisième projet, portant le n° 1327, il découle de la liste globale que, hormis Siemens, ABB et Alstom avaient également manifesté leur intérêt au projet en cause et que le projet a été attribué à Siemens lors des discussions au sein de l’entente.

131    Enfin, s’agissant de l’argument de Siemens selon lequel, pour deux des projets – qu’elle n’a pas identifiés – pour lesquels elle a obtenu la commande, cela aurait résulté de pratiques concurrentielles, il appartient à Siemens de démontrer le fait que des commandes obtenues dans de telles conditions – à savoir après notification et discussion au sein d’une entente – résultaient de pratiques concurrentielles. À cet égard, il convient de relever que, à supposer que l’infraction se soit limitée à la notification et à la discussion de projets, elle était néanmoins susceptible d’affecter la concurrence sur le marché en cause. En effet, à titre d’exemple, la liste globale ne mentionne pas, hormis Siemens, d’autres entreprises qui auraient manifesté leur intérêt dans les projets nos 0140 et 0144. Dès lors, Siemens savait, après la discussion de ces projets au sein de l’entente, ayant eu lieu, respectivement, les 25 juin et 16 juillet 1998, qu’il n’y aurait pas d’autres soumissionnaires, ce qui lui permettait, par exemple, de fixer des prix plus élevés pour ses offres. Par ailleurs, dans un pareil cas – c’est-à-dire, au cas où seule l’une des entreprises avait manifesté son intérêt pour un projet – une attribution spécifique des projets ne présentait aucun intérêt, puisque la seule entreprise intéressée pouvait alors être certaine de remporter le projet. Il semble donc tout à fait naturel que les membres de l’entente n’aient pas procédé à une attribution formelle dans ces cas, fait qui n’est pas de nature à écarter l’application de l’article 81 CE et l’article 53 de l’accord EEE en ce qui concerne l’entreprise ayant obtenu la commande.

132    Par conséquent, l’argument de Siemens tiré du défaut d’attribution à elle, dans le cadre de l’entente, de projets d’AIG dans l’EEE doit être rejeté.

–       Sur l’analyse économétrique produite par Siemens

133    Siemens invoque l’analyse économétrique de la liste globale effectuée par une société tierce à sa demande (ci-après l’« analyse »). Selon elle, cette analyse a révélé que, dans la liste globale, n’était répertoriée qu’une partie minime du volume du marché pendant la période en cause, représentant moins de 4 % des projets d’AIG dans les pays européens sauf « pays constructeurs », que les projets d’AIG au sein de l’EEE n’avaient pas fait l’objet d’un système de répartition fonctionnant de manière comparable à celui qui est prévu par l’accord GQ et à l’accord EQ et qu’il n’existait aucun lien entre la liste globale et l’accord GQ. L’analyse aurait également démontré que le fait que les producteurs européens et japonais n’avaient pas accédé aux marchés domestiques respectifs de l’autre groupe ne s’expliquait pas par une entente, mais par les obstacles à l’accès aux marchés qui avaient continué à exister même après la libéralisation des marchés de l’énergie. Enfin, l’analyse aurait également démontré qu’une protection des « pays constructeurs » n’existait pas, notamment en raison du fait que tant ABB que Siemens étaient très actives sur les marchés de « pays constructeurs » qui n’étaient pas les leurs.

134    Or, en l’espèce, ce n’est que pour prouver l’existence de l’arrangement commun que la Commission a invoqué les projets européens contenus dans la liste globale et non pour prouver l’existence d’effets concrets de l’entente. En effet, elle a fondé la décision attaquée à titre principal sur l’objet restrictif de concurrence de l’accord sanctionné à l’article 1er de ladite décision. Ainsi, elle a d’abord constaté, aux considérants 303 et 304 de la décision attaquée, que l’ensemble des accords et/ou des pratiques concertées décrit avait pour objet de restreindre la concurrence, au sens de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE, et que, dans de telles circonstances, il était superflu, aux fins de l’application desdites dispositions, de prendre en considération les effets concrets d’un accord, avant d’ajouter, au considérant 308 de ladite décision, que, par sa nature même, la mise en œuvre d’un accord du type décrit entraîne une importante distorsion de la concurrence.

135    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il découle du texte même de l’article 81, paragraphe 1, CE que les accords entre entreprises sont interdits, indépendamment de tout effet, lorsqu’ils ont un objet anticoncurrentiel (arrêts Commission/Anic Partecipazioni, point 43 supra, point 123, et JFE Engineering e.a./Commission, point 49 supra, point 181). Par conséquent, la démonstration d’effets anticoncurrentiels réels n’est pas requise, alors même que l’objet anticoncurrentiel des comportements reprochés est établi (voir arrêt du Tribunal du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T‑62/98, Rec. p. II‑2707, point 178, et la jurisprudence citée).

136    Dans ces conditions, en premier lieu, l’analyse produite par Siemens est inopérante en tant que moyen de preuve en ce que, par sa nature, elle ne saurait livrer des informations que sur les effets de l’entente, alors que la constatation de l’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE opérée par la Commission se fondait essentiellement sur le constat d’une entente ayant eu pour objet de restreindre la concurrence. En effet, à supposer même que, ainsi que Siemens le prétend, l’analyse n’ait pas permis d’identifier des indices de l’entente reprochée par la Commission, cela ne serait pas de nature à infirmer le constat d’une entente visant à empêcher, à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence, dans la mesure où l’existence de cette dernière est prouvée à suffisance de droit. Dès lors, l’argumentation de Siemens relative à l’inexistence des effets de l’entente en cause, à la supposer fondée, ne saurait en principe, à elle seule, entraîner l’annulation de l’article 1er de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 11 janvier 1990, Sandoz prodotti farmaceutici/Commission, C‑277/87, Rec. p. I‑45 ; arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Ferriere Nord/Commission, T‑143/89, Rec. p. II‑917, point 30, et JFE Engineering e.a./Commission, point 49 supra, point 183).

137    En deuxième lieu, l’analyse ne saurait être considérée comme une expertise neutre et indépendante, dans la mesure où elle a été demandée et financée par Siemens et établie sur le fondement de bases de données mises à disposition par cette société, sans que l’exactitude ou la pertinence de ces données aient fait l’objet d’une quelconque vérification indépendante. Dès lors, il ne saurait être attribué à l’analyse une crédibilité et, partant, une valeur probante allant au-delà de celles d’une simple déclaration intéressée de Siemens.

138    Par conséquent, l’argument tiré des résultats de l’analyse produite par Siemens doit être rejeté.

 Sur les éléments de preuve documentaires

139    S’agissant des éléments de preuve documentaires, la Commission s’est fondée, pour l’essentiel, sur l’accord GQ et l’accord EQ avec leurs annexes, un document non daté trouvé lors des inspections de la Commission dans les locaux du groupe VA Tech, intitulé « Synthèse discussion avec JJC », un échange de courriers du 18 janvier 1999 entre MM. Wa., J. et B., employés du groupe VA Tech, une note interne du 2 décembre 2003, rédigée par M. We., employé du groupe VA Tech, deux faxs des 21 juillet et 18 décembre 2003 d’ABB à Siemens et à Alstom et une note interne non datée, rédigée vers septembre 2002 par M. Zi., employé du groupe VA Tech.

–       Sur l’accord GQ et l’accord EQ

140    Tout d’abord, il y a lieu de relever que, en ce qui concerne l’accord GQ et l’accord EQ ainsi que leurs annexes, s’il est vrai, ainsi qu’il a été exposé aux points 55 à 58 ci-dessus, que leur seul libellé ne prouve pas l’existence d’une entente ayant eu des effets dans l’EEE – toujours à l’exception du Liechtenstein et de l’Islande, comme indiqué au point 55 ci-dessus –, l’accord EQ contient deux dispositions susceptibles de fournir des indications quant aux incidences de l’entente sur le marché commun.

141    En premier lieu, l’article 2 de l’accord EQ, intitulé « Notification », prévoit :

« Les membres-E notifieront les demandes comme d’habitude. Aux fins des discussions avec le groupe J, les membres-E notifieront les demandes au [secrétaire européen de l’entente] en utilisant le formulaire de notification GQ figurant à l’annexe 1. »

142    À cet égard, il convient de considérer que l’expression « comme d’habitude » permet de conclure qu’il existait des notifications – et donc, une entente – antérieurement à la conclusion de l’accord GQ et de l’accord EQ, qui ont tous les deux été conclus le 15 avril 1988, fait que la Commission a relevé dans la décision attaquée, sans insister sur ce point et sans prévoir de sanctions à cet égard, et que Siemens conteste. En effet, lesdits termes ne sauraient être interprétés comme signifiant « en utilisant le formulaire prévu aux fins de l’accord GQ », parce que la seconde phrase de l’article 2 de l’accord EQ serait alors redondante par rapport à la première.

143    En second lieu, l’annexe 2 de l’accord EQ, contenant un « plan de communication », prévoit, notamment, que « [l]e secrétaire [européen] notifie automatiquement les projets [notifiés par les producteurs européens] au côté [japonais], à l’exception des projets européens » et que « MM décide sur la notification des projets européens au groupe J ». Il y a lieu de préciser, à cet égard, que, ainsi qu’il ressort également de cette annexe, « MM » signifie « assemblée des parties » (members meeting). Par ailleurs, il ressort de l’annexe 1 de l’accord GQ que « groupe E » et « groupe J » désignaient, respectivement, les groupes de producteurs européens et japonais. En outre, d’après les constatations de la Commission au considérant 147 de la décision attaquée, non contestées par Siemens, cette dernière occupait la fonction de secrétaire européen de l’entente pendant toute la période de sa première participation à l’entente, de 1988 à 1999.

144    Il découle donc de l’annexe 2 de l’accord EQ, premièrement, que des projets d’AIG en Europe étaient traités au sein du groupe des membres européens de l’entente et, deuxièmement, que ces projets étaient traités d’une manière différente de celle dont l’étaient des projets d’AIG dans le reste du monde, en ce qu’ils n’étaient pas automatiquement notifiés au groupe de producteurs japonais, mais uniquement sur décision spécifique de l’assemblée des membres européens.

145    Or, de telles communications, même à admettre qu’elles ne soient effectuées qu’occasionnellement sur décision spécifique et/ou qu’à posteriori et globalement, ainsi que l’a fait valoir Hitachi (voir point 96 ci-dessus), ne sont pas concevables sans aucune raison. Au contraire, dans le cadre d’une entente, comme celle instituée par l’accord GQ et l’accord EQ, la seule raison concevable pour effectuer de telles communications est que les informations en cause servent à la mise en œuvre de l’entente. En l’espèce, plus précisément, étant donné que, comme il a été relevé au point 55 ci-dessus, la grande majorité des pays européens était exclue de la répartition des projets entre les groupes de producteurs européens et japonais en vertu de l’accord GQ, il n’y a pas d’autre explication possible pour la communication des ventes effectuées par les producteurs européens dans ces pays que celle qu’elles aient été imputées sur le quota mondial des producteurs européens en vertu de l’entente. Or, ainsi qu’il a été expliqué au point 98 ci‑dessus, l’imputation des ventes dans les pays européens – hors « pays constructeurs » – sur le quota mondial est à son tour un indice important de l’existence de l’obligation pour les producteurs japonais de s’abstenir de pénétrer le marché européen, en vertu de l’arrangement commun.

146    En tout état de cause, les arguments présentés par Siemens à cet égard ne sauraient prospérer. En premier lieu, l’affirmation de Siemens selon laquelle la Commission tente d’invoquer des accords éventuels en Europe centrale et orientale comme preuve d’infractions prétendument commises dans l’EEE, ou des accords survenus pendant la période de 2002 à 2004, aux fins de démontrer les effets de l’entente pendant la période de 1988 à 1999, n’est pas fondée. En effet, la Commission n’a fait que tirer argument des discussions qui ont apparemment eu lieu entre les groupes de producteurs européens et japonais, à propos de la question de savoir si les marchés en Europe centrale et orientale, nouvellement accessibles après la chute du rideau de fer en 1989, devaient également être réservés aux producteurs européens. Dans ce contexte, elle a évoqué, aux considérants 126 et 127 de la décision attaquée, certains projets dans lesdits pays qui auraient fait l’objet d’une discussion avec les producteurs japonais, pour démontrer que ceux-ci avaient bien, en principe, un intérêt et la possibilité d’approvisionner ces marchés. Un tel raisonnement ne saurait être considéré comme inapproprié en tant que tel.

147    En deuxième lieu, l’argument de Siemens selon lequel la communication au groupe de producteurs japonais ne pouvait concerner que les projets dans les pays d’Europe centrale et orientale doit être rejeté. Comme la Commission le fait valoir à juste titre, ces pays n’étaient pas, au moment de la conclusion de l’accord GQ et de l’accord EQ, accessibles aux fournisseurs occidentaux. Dès lors, les projets européens mentionnés dans le plan de communication devaient être réalisés dans les pays d’Europe occidentale, dont la plupart – à la seule exception de la Suisse – faisaient partie, dès 1994, de l’EEE. De même, contrairement à ce que soutient Siemens, la thèse défendue par la Commission n’est pas illogique. En effet, la Commission n’a nullement prétendu, comme Siemens le laisse entendre, que l’obligation de notification aurait été « automatique » ou « obligatoire ». Au contraire, il était tout à fait suffisant, aux fins que la Commission prête à cette communication, qu’elle ait été effectuée globalement et postérieurement, sur décision spécifique par l’assemblée des membres européens de l’entente.

148    Enfin, il y a lieu de souligner que Siemens ne donne aucune explication convaincante sur le fait que le plan de communication prévoyait de communiquer des projets d’AIG en Europe au groupe de producteurs japonais, même de manière non systématique et uniquement sur décision spécifique du groupe de producteurs européens. En réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, Siemens a fait valoir que les communications en cause ne pouvaient tout au plus concerner que les onze projets d’AIG en Europe, mentionnés par la Commission au considérant 164 de la décision attaquée, et donc un nombre très limité de projets ne représentant que 1 % du volume des projets contenus sur la liste globale. Or, comme il a été relevé au point 125 ci-dessus, la faible quantité de projets « européens » sur la liste globale ne signifie pas que l’entente n’ait pas affecté d’autres projets en Europe, mais peut être expliquée par le fait qu’il n’était pas nécessaire de débattre de tels projets dans le cadre de l’entente générale, en présence des producteurs japonais. Dès lors, la liste globale ne saurait être pertinente aux fins de déterminer le nombre de projets sur lesquels des communications aux producteurs japonais ont été faites, conformément au plan de communication figurant à l’annexe 2 de l’accord EQ.

149    Il s’ensuit que l’annexe 2 de l’accord EQ constitue un élément de preuve valable de la constatation de la Commission selon laquelle des projets situés en Europe occidentale faisaient partie des projets discutés et répartis entre les producteurs européens et selon laquelle les producteurs japonais devaient se tenir à l’écart des marchés européens, en contrepartie d’une imputation des ventes effectuées par les producteurs européens dans ces pays sur leur quota mondial.

–       Sur le document trouvé dans les locaux du groupe VA Tech, intitulé « Synthèse discussion avec JJC »

150    Au considérant 135 de la décision attaquée, la Commission se prévaut d’un document trouvé sur un ordinateur portable lors des inspections des locaux du groupe VA Tech, intitulé « Synthèse discussion avec JJC » et créé, selon la Commission, le 10 juin 2003. Ce document est en partie difficilement compréhensible, mais permet néanmoins de tirer certaines conclusions. Notamment, il y est fait mention, à deux reprises, de la notion de « pays constr. », qui ne peut raisonnablement être interprétée autrement que comme signifiant « pays constructeurs ». De plus, dans ce document, il est fait référence à la « Dernière étude réalisée en Février 99 – Exp. Hors E et pays constr. » et, pour chacun des membres européens, identifiés par les codes valables à partir de juillet 2002, non contestés par Siemens, sont mentionnés les quotas applicables avant et après « 02/99 » (signifiant vraisemblablement le mois de février 1999). Dans ce document, sont également indiquées les parts de marché des membres européens sur les marchés européens hors « pays constructeurs » entre 1988 et 1998 et est dressée une liste non exhaustive des pays européens non constructeurs (« Fin, Dan, Nor, Es, Po, Irl, Bel, Gre, Lux.. »).

151    Quant à la valeur probante et à la crédibilité à accorder à ce document, il convient de tenir compte de ce que l’auteur, inconnu, s’y exprime sur des faits remontant à environ quatre ans avant la date de la création du document, qu’il tient probablement d’un individu également inconnu. En effet, la personne désignée comme « JJC » n’a pas été identifiée et ces initiales ne correspondent à aucune des personnes indiquées par la Commission, à l’annexe II de la décision attaquée, comme ayant participé à l’entente, pour le compte des entreprises impliquées. Si ces circonstances ne sont pas de nature à ôter toute valeur probante à ce document, elles sont néanmoins susceptibles d’inspirer une certaine circonspection à l’égard des conclusions à en tirer, notamment en ce qui concerne la valeur à attribuer aux données détaillées qu’il contient, et justifient de n’attribuer qu’une valeur probante moyenne audit document.

152    Dès lors, il y a lieu d’attribuer une certaine valeur probante au fait que la notion de « pays constructeur » est non seulement évoquée à deux reprises dans ce document, mais que ce dernier contient également une liste non exhaustive des pays non constructeurs et au fait qu’il laisse clairement apparaître qu’il existait une différence de régime applicable entre les pays non constructeurs et constructeurs, en ce que les quotas fixés au sein de l’entente n’étaient pas applicables à ces derniers. Par rapport à ce dernier point, il y a lieu de relever que les quotas indiqués dans le document comme étant applicables « après 02/99 » correspondent exactement à ceux constatés par la Commission au considérant 145 de la décision attaquée, sur le fondement d’autres éléments de preuve, comme ayant été applicables vers la fin de la première phase de la participation de Siemens à l’infraction.

153    En outre, il peut également être déduit de ce document que les producteurs européens au sein de l’entente échangeaient des informations sur le volume de leurs livraisons en Europe, hors « pays constructeurs ». En effet, la connaissance, au sein de l’entreprise appartenant au groupe VA Tech (ci-après l’« entreprise VA Tech »), de chiffres précis sur les parts de marchés en Europe (hors « pays constructeurs ») des producteurs européens, et ce sur une période de dix ans, ne saurait être expliquée autrement que par le fait que lesdits producteurs s’informaient mutuellement de leur ventes en Europe, hors « pays constructeurs ».

–       Sur les courriers échangés le 18 janvier 1999 entre MM. Wa., J. et B., employés du groupe VA Tech

154    Le 18 janvier 1999, M. Wa. a envoyé un e-mail à M. J. qui l’a fait suivre, le même jour, sous forme imprimée et annotée, par fax, à M. B. Dans cet e-mail, qui a pour objet « Siemens in UK. », M. Wa. avertit M. J. que Siemens était en train de former une alliance avec une autre société pour des projets au Royaume-Uni, ce qui était perçu comme une menace et avait été déclaré, au sein du « UK forum », comme « Bad Behaviour ». Cependant, aucune explication n’ayant été obtenue, M. Wa. proposait d’attendre et de voir ce qui se passerait. Dans le fax, M. J. préconisait de réagir en menaçant de pénétrer le marché allemand dans le secteur des AIG de 400 kilovolts. En outre, il rappelait la position du groupe VA Tech selon laquelle le marché du Royaume-Uni appartenait historiquement, à parties égales, à Reyrolle et à GEC (dont les activités en matière d’AIG ont été fusionnées avec celles d’Alstom en 1989) et toute autre entreprise obtenant des commandes devait compenser, mais déplorait que les mécanismes prévus à cet effet aient été faibles.

155    Dans le cadre de sa réponse aux questions écrites du Tribunal, Siemens a fait valoir qu’il résulterait uniquement de ce document que, de l’avis du rédacteur de l’e-mail, elle apparaissait comme un concurrent agressif sur le marché du Royaume-Uni. En revanche, il ne permettrait pas de confirmer l’existence de « pays constructeurs » protégés.

156    Premièrement, il y a toutefois lieu de considérer que cet échange de courriers atteste l’existence, dans le cadre de l’entente, d’une protection du marché du Royaume-Uni au profit des producteurs historiques Reyrolle et GEC, ce qui peut être qualifié en substance, bien que le terme ne soit pas utilisé, d’une protection du « pays constructeur ». Le fait que d’autres membres européens de l’entente aient été actifs sur ce marché ne s’oppose pas à une telle interprétation, puisque, de toute évidence, un mécanisme de compensation existait, même s’il ne fonctionnait apparemment pas de manière satisfaisante. Deuxièmement, il ressort du fax que l’entreprise VA Tech s’était tenue jusque-là à l’écart du marché allemand – du moins dans le secteur des AIG de 400 kilovolts –, et ce pour des raisons ni techniques ni commerciales, puisqu’une entrée sur ce marché était envisagée en tant que mesure de représailles à l’égard de Siemens. Il convient d’en déduire l’existence d’une protection également du marché allemand en tant que « pays constructeur », en l’absence d’une autre explication plausible. Troisièmement, il ressort de l’e-mail qu’un « UK forum » existait, dans lequel des problèmes relatifs au marché du Royaume-Uni étaient débattus. Sans qu’il y ait lieu, dans le cadre de la présente affaire, de prendre définitivement position à cet égard, il pourrait s’agir d’un forum de concertation local des membres de l’entente actifs sur ce marché.

157    En tant que documents établis pendant la durée de l’entente par des personnes impliquées dans celle-ci, ces courriers constituent un élément de preuve dont la valeur probante est très élevée.

–       Sur les éléments de preuve documentaires se rapportant à des faits ayant eu lieu lors de la période comprise entre 2002 et 2004

158    S’agissant de la note interne du 2 décembre 2003, rédigée par M. We. et résumant une réunion ayant eu lieu les 1er et 2 décembre 2003, du fax du 21 juillet 2003, envoyé par ABB à Alstom et à Siemens, ayant trait à une réunion relative à des projets en Allemagne, du fax du 18 décembre 2003, envoyé par ABB à Alstom, concernant la situation sur le marché du Royaume-Uni, et de la note interne non datée, rédigée vers septembre 2002 par M. Zi., il y a lieu d’observer que ces quatre documents ont uniquement trait à des situations et à des événements relevant clairement de la période comprise entre 2002 et 2004.

159    Or, ainsi qu’il a été indiqué au point 37 ci-dessus, il convient de rejeter l’argument de la Commission selon lequel il serait légitime de reporter les observations relatives à la période 2002 à 2004 sur la période antérieure, puisqu’il s’agit d’une seule et même infraction. Au contraire, étant donné que, à la suite de l’interruption de leur participation par certaines entreprises, les activités de l’entente étaient réduites pendant les années 1999 à 2002 et que l’année 2002 a marqué un nouveau départ avec un système modifié, il est plutôt nécessaire de prouver une continuité dans les objectifs, les participants et la portée de l’entente pour établir qu’il s’agissait en fait d’une infraction unique.

160    Par conséquent, il y a lieu de considérer que les quatre documents en cause ne sauraient constituer des éléments de preuve s’agissant de la première phase de la participation de Siemens à l’infraction, de 1988 à 1999.

d)     Conclusions sur la seconde branche du premier moyen

 Sur les effets de l’entente à l’intérieur de l’EEE

161    L’entente a eu des effets à l’intérieur de l’EEE, puisque les producteurs européens ont débattu des projets d’AIG au sein de l’EEE et se les sont répartis. Ce fait est attesté par l’ensemble de preuves constitué par les déclarations d’ABB – en ce compris la liste de projets « européens » figurant au considérant 164 de la décision attaquée et les déclarations de M. M. –, les déclarations de Fuji et celles de Hitachi, l’annexe 2 de l’accord EQ, le document « Synthèse discussions avec JJC » et l’échange de courriers du 18 janvier 1999. Parmi ces éléments de preuve, les déclarations de M. M., de Fuji et de Hitachi ainsi que l’annexe 2 de l’accord EQ et l’échange de courriers du 18 janvier 1999 ont une valeur probante élevée.

162    Les déclarations de Melco invoquées par Siemens comme prouvant le contraire ne sont, par rapport à un tel faisceau de preuves concordantes, pas susceptibles de remettre en cause cette conclusion. En effet, Melco se prononce surtout sur le champ d’application de l’entente globale, c’est-à-dire sur la coordination entre les groupes de producteurs européens et japonais, et sur le fait que, dans le cadre de l’entente, il n’y avait pas de discussions sur le marché européen ou de projets d’AIG dans ce marché. À cet égard, elle affirme ne pas disposer de preuves d’un accord sur le marché européen. En revanche, en tant qu’entreprise japonaise, elle ne saurait être informée des discussions menées au sein du groupe de producteurs européens. Or, elle laisse expressément entrevoir la possibilité que d’autres entreprises ayant participé à l’entente puissent avoir étendu l’objet de leurs discussions à d’autres sujets, en soulignant même que, à plusieurs reprises, les producteurs japonais avaient dû attendre, avant le début des réunions de l’entente, la fin de discussions entre les producteurs européens, discussions dont le contenu lui était inconnu. Mis à part le fait que Melco conteste le partage des marchés européens et japonais entre les deux groupes de producteurs et indépendamment de savoir si ses déclarations sont crédibles, il convient de relever que de telles déclarations ne peuvent donc pas être comprises comme confirmant la position de Siemens selon laquelle il n’y avait pas de discussion et d’attribution de projets d’AIG dans l’EEE.

 Sur la réservation des marchés européens et japonais, respectivement, aux groupes de producteurs européens et japonais

163    Le fait que les producteurs européens et japonais se sont globalement réparti les marchés, de sorte que le marché japonais était réservé aux producteurs japonais et le marché européen aux producteurs européens, est attesté par les déclarations d’ABB et de M. M. ainsi que par les déclarations de Fuji et de Hitachi et l’annexe 2 de l’accord EQ. À l’exception des déclarations d’ABB, tous ces éléments de preuve ont une valeur probante élevée.

 Sur la protection des « pays constructeurs » en Europe

164    Le fait qu’il existait une protection des « pays constructeurs » en Europe, de sorte que les marchés des pays dans lesquels les producteurs européens étaient présents historiquement leur étaient réservés d’emblée et sans imputation sur les quotas au titre de l’entente, est attesté par l’ensemble de preuves constitué par les déclarations d’ABB et de M. M. ainsi que le document « Synthèse discussions avec JJC » et l’échange de courriers du 18 janvier 1999. Parmi ces éléments de preuve, les déclarations de M. M. ont une valeur probante élevée et l’échange de courriers du 18 janvier 1999 a une valeur probante très élevée.

165    En résumé, chacun des griefs contestés par Siemens est fondé, outre les déclarations d’ABB et de M. M., sur d’autres éléments de preuve d’une valeur probante élevée, ainsi que sur d’autres éléments d’une moindre valeur probante. Il y a donc lieu de considérer que l’ensemble de ces éléments de preuve permet de démontrer l’existence de l’entente reprochée dans la décision attaquée.

166    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la Commission a établi, à suffisance de droit, l’existence, pendant la période de 1988 à 1999, d’une entente et, en particulier, le fait que cette entente avait des effets à l’intérieur de l’EEE, l’existence d’un partage des marchés entre les producteurs européens et japonais et l’existence de la protection des « pays constructeurs ».

167    Il s’ensuit qu’il convient de rejeter la seconde branche du premier moyen et, par conséquent, le premier moyen dans son ensemble.

II –  Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 25 du règlement n° 1/2003

168    Le deuxième moyen de Siemens est divisé en trois branches. Dans le cadre de la première branche, elle fait valoir que la Commission n’a pas prouvé qu’elle a participé à l’entente au-delà de la date du 22 avril 1999. Dans le cadre de la deuxième branche, elle invoque la prescription des poursuites. Dans le cadre de la troisième branche, elle fait valoir qu’elle n’a pas participé à l’entente au-delà de la date du 1er janvier 2004.

A –  Sur la première branche du deuxième moyen, tirée du défaut de preuve d’une participation à l’infraction entre avril et septembre 1999

1.     Arguments des parties

169    À l’appui de cette branche, Siemens soulève huit griefs, tirés, premièrement, du défaut de preuve de sa participation à un accord sur les projets après le mois d’avril 1999, deuxièmement, du défaut de preuve de sa participation à une réunion après le 22 avril 1999, troisièmement, du caractère contradictoire et peu crédible des déclarations d’ABB, quatrièmement, de l’irrecevabilité des déclarations de M. M., cinquièmement, du défaut de preuve documentaire claire de sa participation à l’entente jusqu’en septembre 1999, sixièmement, du défaut de preuves claires résultant de déclarations d’autres entreprises ayant participé à l’entente, septièmement, de l’absence de prise en compte des moyens de preuve établissant l’interruption de sa participation à l’entente dès le mois d’avril 1999 et, huitièmement, de l’absence de prise en compte des preuves économiques empiriques de l’interruption de sa participation à l’entente au plus tard en avril 1999.

170    La Commission conteste les arguments avancés par Siemens.

2.     Appréciation du Tribunal

171    Il y a lieu de relever, à titre liminaire, qu’il n’est pas contesté que Siemens a interrompu sa participation à l’entente en 1999. En revanche, les parties s’opposent sur la date exacte de cette interruption. Siemens conteste avoir participé à l’entente au-delà du 22 avril 1999, date de la réunion de Sydney (Australie) qui a été la dernière à laquelle elle a participé. La Commission, tout en admettant, ainsi qu’il ressort du considérant 295 de la décision attaquée, qu’il ne lui a pas été possible d’établir la date exacte de ladite interruption, a fixé la date dudit retrait au 1er septembre 1999. Elle a déterminé cette date sur le fondement des déclarations d’ABB et de M. M. et des indications contenues dans le document intitulé « Synthèse discussion avec JJC », recueilli lors des inspections dans les locaux du groupe VA Tech qu’elle estime confirmées par des déclarations d’Areva, de Melco, de Fuji et de Hitachi/JAEPS.

172    Ce désaccord soulève la question de savoir à qui revient la charge de la preuve à cet égard. Alors que Siemens estime qu’il appartenait à la Commission de prouver qu’elle a participé à l’entente jusqu’au 1er septembre 1999, la Commission soutient que, une fois qu’elle a démontré la participation d’une entreprise à une entente, cette participation est réputée durer jusqu’à la preuve de sa cessation, laquelle doit être apportée par l’entreprise ayant participé à cette entente.

a)     Sur la répartition de la charge de la preuve entre Siemens et la Commission

173    S’agissant de la question de savoir à quelle date a pris fin la participation de Siemens à l’infraction, il convient de rappeler, à titre liminaire, la jurisprudence constante selon laquelle, d’une part, il incombe à la partie ou à l’autorité qui allègue une violation des règles de la concurrence d’en apporter la preuve en établissant, à suffisance de droit, les faits constitutifs d’une infraction et, d’autre part, il appartient à l’entreprise invoquant le bénéfice d’un moyen de défense contre une constatation d’infraction d’apporter la preuve que les conditions d’application de ce moyen de défense sont remplies, de sorte que ladite autorité devra alors recourir à d’autres éléments de preuve (arrêt Peróxidos Orgánicos/Commission, point 65 supra, point 50 ; voir également, en ce sens, arrêts Baustahlgewebe/Commission, point 43 supra, point 58, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 48 supra, point 78).

174    En l’espèce, le principe général selon lequel la Commission doit prouver tous les éléments constitutifs de l’infraction, en ce compris sa durée (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T‑43/92, Rec. p. II‑441, point 79 ; du 13 décembre 2001, Acerinox/Commission, T‑48/98, Rec. p. II‑3859, point 55, et du 29 novembre 2005, Union Pigments/Commission, T‑62/02, Rec. p. II‑5057, point 36), et susceptibles d’avoir une incidence sur ses conclusions définitives quant à la gravité de ladite infraction n’est pas remis en cause par le fait que Siemens a soulevé, dans le cadre de la deuxième branche du deuxième moyen, un moyen de défense tiré de la prescription, dont la charge de la preuve incombe, en principe, à la partie requérante.

175    En effet, l’invocation d’un tel moyen de défense implique nécessairement que la durée de l’infraction ainsi que la date à laquelle celle-ci a pris fin soient établies. Or, ces circonstances ne sauraient justifier, à elles seules, un transfert de la charge de la preuve à cet égard au détriment de la partie requérante. D’une part, la durée d’une infraction, notion qui implique que soit connue la date finale de celle-ci, constitue l’un des éléments essentiels de l’infraction, dont la charge de la preuve incombe à la Commission, indépendamment du fait que la contestation de ces éléments fait également partie du moyen de défense tiré de la prescription. D’autre part, cette conclusion se justifie au regard du fait que la non-prescription de la poursuite par la Commission, au titre de l’article 25 du règlement n° 1/2003, constitue un critère légal objectif, découlant du principe de sécurité juridique (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 octobre 2005, Sumitomo Chemical et Sumika Fine Chemicals/Commission, T‑22/02 et T‑23/02, Rec. p. II‑4065, points 80 à 82) et, partant, une condition de la validité de toute décision de sanction. En effet, son respect s’impose à la Commission même en l’absence d’introduction d’un moyen de défense de l’entreprise à cet égard (arrêt Peróxidos Orgánicos/Commission, point 65 supra, point 52).

176    Il y a lieu de préciser, toutefois, que cette répartition de la charge de la preuve est susceptible de varier dans la mesure où les éléments factuels qu’une partie invoque peuvent être de nature à obliger l’autre partie à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure que la preuve a été apportée (arrêt Peróxidos Orgánicos/Commission, point 65 supra, point 53 ; voir également, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 48 supra, point 79). Notamment, lorsque, comme en l’espèce, la Commission a rapporté la preuve de l’existence d’un accord, il incombe à l’entreprise y ayant pris part de rapporter la preuve qu’elle s’en est distanciée, laquelle doit témoigner d’une volonté claire, et portée à la connaissance des autres entreprises participantes, de se soustraire à cet accord (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services/Commission, T‑168/01, Rec. p. II‑2969, point 86 ; voir également, en ce sens, arrêts de la Cour du 6 janvier 2004, BAI et Commission/Bayer, C‑2/01 P et C‑3/01 P, Rec. p. I‑23, point 63, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 48 supra, points 81 à 84 ).

177    C’est au regard de ces principes qu’il y a lieu de vérifier si la Commission a correctement établi les faits sur lesquels elle fonde son appréciation selon laquelle Siemens a interrompu sa participation à l’entente le 1er septembre 1999.

b)     Sur la valeur probante des éléments sur lesquels la Commission fonde son appréciation selon laquelle Siemens a interrompu sa participation à l’entente le 1er septembre 1999

178    À titre liminaire, il convient de rappeler les éléments de fait essentiels sur lesquels la Commission a fondé son appréciation selon laquelle Siemens a interrompu sa participation à l’entente le 1er septembre 1999, tels qu’ils ressortent, notamment, des considérants 186, 295, 296 et 298 de la décision attaquée.

179    Premièrement, ABB a déclaré que Siemens avait cessé de participer aux réunions de l’entente à partir de la fin 1999 et M. M. a indiqué que Siemens s’était retirée en septembre 1999. Deuxièmement, le document intitulé « Synthèse discussions avec JJC », trouvé dans les locaux du groupe VA Tech, contient une mention que la Commission interprète comme faisant référence au départ de Siemens en septembre 1999. Troisièmement, la Commission indique qu’Areva, Melco, Fuji et Hitachi/JAEPS ont confirmé que le retrait de Siemens avait eu lieu en septembre 1999.

 Sur les déclarations d’ABB et de M. M.

180    Dans le cadre du troisième grief invoqué à l’appui de la présente branche, Siemens fait valoir que les déclarations d’ABB sont particulièrement générales et contradictoires et qu’elles ont connu des « développements » au gré des circonstances, au point d’être dépourvues de toute force probante.

181    À cet égard, il y a lieu de relever que, dans sa déclaration du 7 mai 2004, ABB a indiqué que « vers 1999, pour autant qu’[elle] sache, Siemens a quitté l’entente pour une certaine période ». M. M., quant à lui, a répondu à la Commission, qui lui demandait, lors de son audition le 23 septembre 2005, s’il pouvait indiquer exactement quand Siemens avait interrompu sa participation à l’entente :

« Pas exactement. Nous étions à Genève, mais cela je m’en souviens quand M. Th. annonçait cela, mais pas 100 %. C’était [19]99. Était-ce l’automne ou le printemps, je ne m’en souviens pas. Est-ce important ? ».

182    Enfin, dans une déclaration du 4 octobre 2005, ABB a indiqué que M. M. s’était entre-temps souvenu que Siemens avait encore été représentée à la réunion annuelle de Sydney en avril 1999 et ne s’était retirée de l’entente que quatre ou cinq mois plus tard, donc en août ou septembre, ce qui aurait été annoncé par M. Th. lors d’une réunion au niveau opérationnel à Genève (Suisse).

183    Il y a donc lieu de constater que les déclarations d’ABB et de M. M. sur la date exacte à laquelle Siemens a interrompu sa participation à l’entente en 1999 ont connu une certaine évolution dans le temps. Toutefois, ces déclarations ne sont pas pour autant contradictoires, mais sont simplement devenues de plus en plus précises (« autour de 1999 », « printemps ou automne 1999 » et, enfin, « août ou septembre 1999 ») au fur et à mesure que M. M., qui semble être la source principale d’information, au sein d’ABB, pour les faits entourant l’interruption par Siemens de sa participation à l’entente, se souvenait de détails de plus en plus précis.

184    En particulier, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que fait valoir Siemens, les souvenirs ultérieurs de M. M., ayant donné lieu aux déclarations d’ABB du 4 octobre 2005, ne contredisent pas les déclarations antérieures de celui-ci sur les circonstances ayant entouré l’interruption par Siemens de sa participation. En effet, s’il a bien indiqué que, à la suite des développements défavorables du marché en 1997 et en 1998, Siemens avait relancé une concurrence agressive sur les prix, il n’a nullement indiqué que cela avait déjà été le cas en 1998. D’une part, il est concevable que le processus décisionnel au sein de Siemens en ce qui concerne la bonne réaction à l’évolution défavorable du marché ait pu prendre un certain temps. D’autre part, il est tout aussi concevable que Siemens, tout en ayant décidé à la fin de 1998 de ne pas poursuivre sa participation à l’entente et ayant adopté un comportement plus agressif sur le marché, ait essayé de profiter le plus longtemps possible de ses effets en reportant l’annonce de cette décision à septembre 1999. Or, selon une jurisprudence constante, un tel comportement – à le supposer établi – ne saurait suffire pour pouvoir constater ladite interruption, puisqu’une entreprise se comportant de cette manière peut tout simplement tenter d’utiliser l’entente à son profit (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T‑327/94, Rec. p. II‑1373, point 142 ; Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 54 supra, points 277 et 278 ; Union Pigments/Commission, point 174 supra, point 130, et du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, Rec. p. II‑3435, point 269).

185    En ce qui concerne la remise en cause par Siemens des déclarations d’ABB, il y a lieu de considérer que, même s’il ne saurait être exclu, ainsi qu’il a été constaté au point 64 ci-dessus, qu’ABB ait pu se sentir incitée à maximiser l’importance du comportement infractionnel de ses concurrents, ce fait ne saurait priver les déclarations d’ABB et de M. M. de toute valeur probante à propos de l’interruption par Siemens de sa participation à l’entente en 1999. En effet, puisqu’ABB se réfère, à cet égard, exclusivement aux souvenirs de M. M., c’est, en l’occurrence, la crédibilité du témoignage de M. M. qui détermine la crédibilité des déclarations d’ABB. Or, ainsi qu’il a été exposé au point 76 ci-dessus, le fait qu’il puisse exister quelques inexactitudes mineures dans les déclarations de M. M. n’est pas de nature à affecter, de manière générale, la valeur probante desdites déclarations.

186    En outre, il y a lieu de rejeter le quatrième grief soulevé par Siemens à l’appui de la présente branche, selon lequel les déclarations de M. M. sont irrecevables en tant que moyens de preuve, puisqu’elle n’avait pas, contrairement à ce que prévoit l’article 6, paragraphe 3, sous d), de la CEDH, la possibilité d’entendre ou d’interroger directement ce témoin.

187    Selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect (avis de la Cour 2/94, du 28 mars 1996, Rec. p. I‑1759, point 33, et arrêt de la Cour du 29 mai 1997, Kremzow, C‑299/95, Rec. p. I‑2629, point 14). À cet effet, la Cour et le Tribunal s’inspirent des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré et adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (arrêts de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18, et Kremzow, précité, point 14). Par ailleurs, aux termes de l’article 6, paragraphe 2, UE, l’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire.

188    Dès lors, il y a lieu d’examiner si, à la lumière de ces considérations, la Commission a méconnu le principe fondamental de l’ordre juridique communautaire qu’est le respect des droits de la défense (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 7) en n’offrant pas à Siemens la possibilité d’interroger directement le témoin M. M.

189    À cet égard, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, ce principe exige que les entreprises et les associations d’entreprises concernées par une enquête de la Commission en matière de concurrence soient mises en mesure, dès le stade de la procédure administrative, de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits, griefs et circonstances allégués par la Commission (voir arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Avebe/Commission, T‑314/01, Rec. p. II‑3085, point 49, et la jurisprudence citée). En revanche, ledit principe n’exige pas qu’il soit donné à ces entreprises l’occasion d’interroger elles-mêmes, dans le cadre de la procédure administrative, les témoins entendus par la Commission (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 48 supra, point 200).

190    Dès lors, il y a lieu de rejeter ce grief de Siemens.

191    En conclusion, il convient d’attribuer aux déclarations d’ABB et à celles de M. M. une valeur probante élevée, s’agissant de la date à laquelle Siemens a interrompu sa participation à l’entente en 1999. Néanmoins, conformément au principe exposé au point 66 ci-dessus, ces déclarations doivent être étayées par d’autres éléments de preuve.

 Sur le document intitulé « Synthèse discussions avec JJC »

192    Ainsi qu’il a déjà été exposé au point 151 ci-dessus, la valeur probante de ce document est sujette à caution, en particulier en ce qui concerne la valeur à attribuer aux données détaillées qu’il contient. Or, la date exacte à laquelle Siemens a interrompu sa participation à l’entente en 1999 constitue une telle information détaillée. À cela, s’ajoute le fait que le document n’est pas, s’agissant de la mention de la date de cette interruption, dépourvu de toute ambiguïté.

193    En effet, la première ligne de ce document se lit comme suit :

« A/ Arrêt  3 ==> 09/99 1 ==> courant 00 »

194    Puisque, lors de la création du document, le 10 juin 2003, le numéro « 3 » était le code de Siemens au sein de l’entente, la Commission en a déduit que Siemens avait interrompu sa participation à l’entente en septembre 1999. Or, comme Siemens le fait valoir à bon droit dans le cadre de son cinquième grief, tiré du défaut de preuve documentaire claire de sa participation à l’entente jusqu’en septembre 1999, une telle interprétation conduit obligatoirement à la conclusion qu’ABB, désignée par le code 1, a interrompu sa participation à l’entente dans le courant de l’année 2000, alors qu’il est constant qu’ABB a toujours participé à l’entente. Dès lors, soit l’interprétation par la Commission de ce passage du document est erronée, en ce qu’il ne se réfère pas à l’interruption par Siemens de sa participation à l’entente, soit l’indication « 1 ==> courant 00 » est erronée. Or, dans cette dernière hypothèse, il n’y a pas de raison pour attribuer plus de crédibilité à l’indication « 3 ==> 09/99 ». En tout état de cause, il y a lieu d’écarter l’interprétation de la Commission selon laquelle le terme « Arrêt » à la première ligne du document citée au point 193 ci-dessus ne se réfère qu’à l’indication « 3 ==> 09/99 » et non à l’indication« 1 ==> courant 00 ».

195    En conclusion, il y a lieu de considérer que la valeur probante de ce document, s’agissant de la date à laquelle Siemens a interrompu sa participation à l’infraction en 1999, est extrêmement faible.

 Sur les déclarations d’Areva, de Melco, de Fuji et de Hitachi/JAEPS

–       Sur les déclarations d’Areva

196    S’agissant des déclarations d’Areva, la Commission se réfère, au considérant 186 de la décision attaquée, à un document produit par Areva dans le cadre de sa demande d’immunité d’amendes intitulé « Note explicative concernant le fonctionnement de l’entente pour les marchés GIS ». Sous le titre « Historique » de ce document, il est indiqué ce qui suit :

« Une première entente existait entre la fin des années 1980 et 1997 où elle s’est interrompue. À partir de 1997 les participants ont continué à se rencontrer, mais ne se sont mis d’accord ni sur la répartition des marchés, ni sur les prix et les rencontres concernant cette entente ont cessé en septembre 1999, Siemens s’étant définitivement retirée. »

197    En premier lieu, il y a lieu de relever que cette indication n’est pas dépourvue d’ambiguïté. En effet, ainsi que Siemens le fait valoir dans le cadre de son sixième grief, invoqué à l’appui de la présente branche, il est possible de l’interpréter en ce sens que l’interruption de sa participation à l’entente a eu lieu avant le mois de septembre 1999, mais que l’effet de cette interruption – à savoir la cessation des rencontres dans le cadre de l’entente – ne soit intervenu qu’au mois de septembre. Toutefois, une telle interprétation ne s’impose pas. Il convient de noter, par ailleurs, que l’affirmation d’Areva selon laquelle les rencontres auraient cessé à partir du mois de septembre 1999 s’est, par la suite, révélée comme étant fausse, ainsi que cela est attesté, notamment, par les preuves présentées par la Commission aux considérants 191 à 197 de la décision attaquée. Si cette circonstance ne rend pas plus probable l’une ou l’autre des interprétations du passage cité au point 196 ci-dessus, elle est en tout état de cause susceptible de jeter un doute général sur la fiabilité des déclarations d’Areva. Il y a lieu de relever, à cet égard, que la Commission a elle-même qualifié, aux considérants 290 et 291 de la décision attaquée, les déclarations d’Areva de « contradictoires et ambiguës », fait qui a été retenu, parmi d’autres, comme une raison pour ne pas lui accorder de réduction d’amende en vertu de la communication sur la coopération, ainsi qu’il ressort du considérant 531 de la décision attaquée.

198    Dès lors, il convient d’attribuer une valeur probante plutôt faible aux déclarations d’Areva.

199    En second lieu, dans la mesure où la Commission se fonde, au considérant 285 et à la note en bas de page n° 237 de la décision attaquée, sur la réponse d’Areva à la communication des griefs, il y a lieu de faire droit à l’argument soulevé par Siemens selon lequel cette réponse ne peut pas être invoquée à charge contre elle, puisqu’elle n’y a pas eu accès avant l’adoption de la décision attaquée (voir, à cet égard, la jurisprudence citée au point 189 ci-dessus). En effet, la Commission a confirmé, dans sa réponse aux questions écrites du Tribunal avant l’audience, que la réponse d’Areva à la communication des griefs n’avait pas été communiquée à Siemens avant l’adoption de la décision attaquée.

–       Sur les déclarations de Melco

200    Melco a déclaré, dans un document du 4 novembre 2004, produit dans le cadre de sa demande au titre de la communication sur la coopération :

« Jusqu’en septembre 1999, le Groupe fonctionnait sans heurt en ligne avec ses objectifs. Puis en septembre 1999, Siemens a déclaré formellement, lors d’une réunion du Groupe, qu’elle se retirait du Groupe, en raison de ce que les dirigeants supérieurs de Siemens avaient découvert les activités du Groupe. »

201    Melco a donc confirmé expressément et sans équivoque que Siemens n’avait annoncé l’interruption de sa participation à l’entente qu’au mois de septembre 1999.

202    Dans le cadre de son sixième grief, invoqué à l’appui de la présente branche, Siemens fait valoir que, au considérant 292 de la décision attaquée, la Commission a elle-même qualifié ces déclarations de Melco de dépourvues de valeur probante, en raison de leur caractère contradictoire et ambigu. Il y a lieu de relever, à cet égard, que, au cours de la procédure administrative, Melco a soumis deux déclarations différentes, à savoir, d’une part, un document du 4 novembre 2004, produit dans le cadre de sa demande au titre de la communication sur la coopération, dont émane le passage cité au point 200 ci-dessus et, d’autre part, la réponse à la communication des griefs, datée du 5 juillet 2006. Or, ce n’est qu’à cette dernière que se rapporte la qualification de dépourvue de valeur probante figurant au point 292 de la décision attaquée. De plus, une telle qualification ne concerne qu’un aspect isolé de cette réponse, à savoir, l’allégation de Melco selon laquelle l’entente aurait totalement pris fin en 1999, après l’interruption par Siemens de sa participation à l’entente. La Commission a notamment estimé que ces allégations n’étaient fondées que sur les déclarations d’autres parties à la procédure et ne sont présentées qu’en vue de sa propre défense. En revanche, la décision attaquée ne contient pas d’appréciation expresse de la valeur probante des déclarations faites par Melco, le 4 novembre 2004, dans le cadre de sa demande au titre de la communication sur la coopération.

203    Il y a lieu de considérer que l’indication du mois de septembre 1999 comme date à laquelle Siemens a interrompu sa participation à l’entente, dans les déclarations de Melco du 4 novembre 2004, devrait bénéficier d’une crédibilité élevée, puisque Melco ne pouvait avoir aucun intérêt à indiquer une date postérieure à la date réelle de cette interruption. En effet, étant donné que le départ de Siemens – et celui de Hitachi quelques mois plus tard – était de nature à rendre plus crédible l’ « effondrement de l’entente » qui aurait eu lieu, selon Melco, à partir de 1999/2000, elle avait en fait plutôt intérêt à indiquer une date antérieure à la date effective.

–       Sur les déclarations de Fuji

204    Fuji a déclaré, dans sa réponse du 11 juillet 2006 à la communication des griefs :

« Quand Siemens s’est retirée de l’entente en septembre 1999, l’entente de l’accord GQ a commencé à s’effondrer. À la connaissance de Fuji, il n’y a plus eu de réunions incluant toutes les parties après la réunion de Sydney. »

205    Il a déjà été indiqué au point 90 ci-dessus que, contrairement à ce que soutient Siemens, il y a lieu d’attribuer une crédibilité élevée aux déclarations de Fuji, bien qu’elles aient été faites relativement tard dans le déroulement de la procédure et dans un contexte temporel étroit avec une demande au titre de la communication sur la coopération. De plus, en ce qui concerne, en particulier, l’indication de la date à laquelle Siemens a interrompu sa participation à l’entente, les mêmes considérations que pour les déclarations de Melco sont valables (voir point 203 ci-dessus) : étant donné que cette interruption rendait crédible la thèse de l’« effondrement de l’entente » quelque temps après, également défendue par Fuji, il n’était pas dans l’intérêt de cette entreprise de retarder artificiellement cette date.

–       Sur les déclarations de Hitachi

206    La Commission invoque, au considérant 186 et à la note en bas de page n° 238 de la décision attaquée, la réponse de Hitachi à la communication des griefs, dans laquelle cette dernière aurait confirmé que le mois de septembre 1999 était le moment auquel Siemens a interrompu sa participation à l’entente. Or, ainsi que Siemens le fait valoir, sans être contredite par la Commission, cette réponse ne peut pas être invoquée à charge contre elle, puisqu’elle n’y a pas eu accès avant l’adoption de la décision attaquée (voir, à cet égard, la jurisprudence citée au point 189 ci-dessus). Dès lors, il y a lieu d’écarter cet élément de preuve.

 Conclusion intermédiaire

207    Il résulte de ce qui précède que la Commission a pu se fonder sur divers éléments pour constater la participation de Siemens à l’entente jusqu’au mois de septembre 1999, dont les déclarations d’ABB et de M. M., qui ont été jugées crédibles et qui ont été confirmées, sur ce point, par les déclarations d’Areva, de Melco et de Fuji, dont certaines, à savoir celles de Melco et de Fuji, bénéficient d’une crédibilité élevée.

208    Eu égard à ces éléments, il convient ensuite d’examiner si les autres éléments avancés par Siemens sont susceptibles de renverser la constatation de la Commission et d’établir l’allégation de Siemens selon laquelle elle a interrompu sa participation à l’entente dès le mois d’avril 1999.

c)     Sur les éléments avancés par Siemens pour établir l’interruption de sa participation à l’entente dès le mois d’avril 1999

 Sur les preuves économiques empiriques de l’interruption de sa participation à l’entente au plus tard en avril 1999

209    Dans le cadre de son huitième grief, invoqué à l’appui de la présente branche, Siemens invoque l’analyse pour étayer l’interruption de sa participation à l’entente dès avril 1999. Selon elle, l’analyse a établi que, dans la période comprise entre avril et septembre 1999, elle se comportait sur le marché de manière concurrentielle, comme elle le faisait après le mois de septembre 1999 et contrairement à ce qu’elle faisait avant le mois d’avril 1999.

210    À cet égard, il est renvoyé aux considérations exposées aux points 135 à 138 ci-dessus, qui sont également valables en ce qui concerne la question de l’interruption par Siemens de sa participation à l’entente. En effet, d’une part, l’article 81 CE interdisant non seulement les accords ayant pour effet de fausser la concurrence, mais même les accords ayant un tel objet, la Commission n’est pas tenue de prouver des effets concrets dans la constatation de l’infraction. D’autre part, à supposer même que Siemens se soit comportée de manière concurrentielle pendant la période comprise entre avril et septembre 1999, cela ne prouverait pas qu’elle se soit distanciée de l’entente, mais uniquement qu’elle ne respectait pas les accords. Or, comme la Commission le fait valoir à bon droit, cela pourrait tout aussi bien être dû au fait que Siemens essayait de tirer profit de l’entente.

211    Dès lors, ce grief doit être rejeté.

 Sur le témoignage de M. Se.

212    Dans le cadre de son septième grief, invoqué à l’appui de la présente branche, Siemens se prévaut d’une déclaration de M. Se., à l’époque employé d’Alstom, qui a indiqué, en septembre 2006 : « En avril 1999, je comprends qu’il n’y a plus d’entente possible, puisque Siemens, un des principaux concurrents, a annoncé son départ du cartel. » Selon Siemens, le fait pour la Commission d’avoir écarté cette déclaration est constitutif de plusieurs erreurs de droit.

213    À cet égard, premièrement, il y a lieu de relever, que la déclaration de M. Se. n’est pas nécessairement en contradiction avec la constatation de la Commission selon laquelle Siemens a interrompu sa participation à l’entente en septembre 1999. En effet, M. Se. a daté d’avril 1999 l’annonce de la décision de Siemens de ne pas poursuivre sa participation à l’entente et non l’interruption effective de sa participation à cette entente. Il est donc concevable que, en avril 1999, Siemens n’ait fait qu’annoncer sa décision et que l’interruption de sa participation ne se soit effectivement produite qu’à une date ultérieure. Ne serait-ce que pour cette raison, il y a lieu de rejeter l’argument de Siemens.

214    Deuxièmement, la Commission n’a pas écarté le témoignage de M. Se. uniquement pour la raison qu’il avait été fait « sous le contrôle exclusif des avocats d’Alstom », comme Siemens l’a fait valoir, mais également parce qu’elle ne le jugeait pas crédible en soi, puisque M. Se. n’avait pas été lui-même témoin des faits sur lesquels il s’exprimait. Ainsi qu’il ressort du considérant 289, sous b), de la décision attaquée, elle a notamment tenu compte du fait que M. Se. avait lui-même reconnu que, avant avril 1999, il était au courant de l’entente, mais n’avait aucune information sur la façon dont cette entente fonctionnait, ignorant l’identité des participants, les dates et les lieux des réunions ainsi que les règles qui s’appliquaient. Par ailleurs, il ressort du tableau des réunions fourni par ABB le 5 octobre 2005, non contesté par Siemens, que M. Se. n’a pas lui-même participé à la réunion de Sydney en avril 1999, Alstom étant représentée par trois autres employés. Une telle appréciation des preuves par la Commission n’est pas erronée. En toute hypothèse, il n’appartient pas au Tribunal, en l’absence de contestation circonstanciée par Siemens, de la remplacer par sa propre appréciation.

215    Dès lors, il y a lieu de rejeter ce grief pour autant qu’il concerne le témoignage de M. Se.

 Sur les témoignages de MM. Tr., E. et Sch.

216    Dans le cadre de son septième grief, invoqué à l’appui de la présente branche, Siemens reproche également à la Commission de ne pas avoir pris en compte les déclarations de ses anciens employés MM. Tr., E. et Sch., qu’elle avait produites au cours de la procédure administrative.

217    Il y a tout d’abord lieu de rejeter l’allégation de Siemens selon laquelle la Commission n’a pas pris en compte les déclarations de ses anciens employés. En effet, après que Siemens a produit ces témoignages par écrit, par lettre du 7 août 2006, la Commission a indiqué, par lettre du 12 décembre 2006, ne pas estimer nécessaire d’entendre ces témoins, leurs témoignages n’ayant pas donné lieu à d’autres questions de sa part.

218    Par ailleurs, la Commission a indiqué que les déclarations des anciens employés de Siemens n’étaient pas de nature à changer son appréciation quant à la date à laquelle Siemens a interrompu sa participation à l’entente, se fondant sur la portée des déclarations et les éléments de preuve rassemblés par elle.

219    À cet égard, il convient de constater que la crédibilité des déclarations des anciens employés de Siemens se trouve fortement affectée par le fait que ces personnes contestent tout accord sur des projets d’AIG en Europe, alors que, comme il a été exposé dans le cadre du premier moyen, la Commission a établi à suffisance de droit que l’arrangement commun concernait également des projets d’AIG en Europe.

220    En outre, s’agissant de la date exacte à laquelle Siemens a interrompu sa participation à l’entente en 1999, il y a lieu de relever que M. Tr., ainsi qu’il ressort de sa déclaration, a pris sa retraite dès 1994 et a indiqué ne pas savoir précisément quand Siemens s’était retirée de l’entente. M. Sch. a indiqué que son supérieur, M. E., lui avait dit, dans le courant de l’année 1998, qu’il allait prendre sa retraite anticipée en 1999 et qu’il avait en même temps décidé que Siemens renoncerait à sa participation à l’accord GQ. Toutefois, il n’a pas indiqué quand cette décision était devenue effective et, par ailleurs, les dates indiquées par lui ne coïncidaient pas avec celles indiquées par M. E. En effet, ce dernier a indiqué n’avoir pris sa retraite que vers le milieu de l’année 2000 et avoir décidé le retrait de Siemens de l’accord GQ préalablement (« im Vorfeld ») à la réunion de Sydney, ce dont il aurait notamment informé M. Sch., en le chargeant de prendre les mesures nécessaires. Il se pourrait donc que les faits reportés par M. Sch. se soient déroulés une année après les dates indiquées par celui-ci. M. E. a, en outre, affirmé avoir informé M. V., un employé d’Alstom, avant la réunion de Sydney et les entreprises japonaises, « dans le contexte temporel immédiat » de ladite réunion, en admettant toutefois qu’il ne se rappelait pas si c’était avant ou après. En revanche, il a reconnu expressément ne pas avoir informé les autres entreprises, notamment ABB, et ne pas avoir mentionné le retrait de Siemens lors de la réunion annuelle.

221    À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de considérer que ces éléments établissent à suffisance de droit qu’il n’y a pas eu de distanciation « officielle » de Siemens lors de cette réunion. En effet, dans une entente impliquant plusieurs entreprises, une distanciation claire et expresse de la part de l’une des entreprises participantes doit être adressée à tous les autres participants. Il ne saurait être question, dès lors, d’une « discrimination inadmissible » par rapport à d’autres affaires similaires, ainsi que Siemens le fait valoir.

222    Au surplus, M. E. a également indiqué que ce n’était qu’après l’information des entreprises japonaises qu’il avait informé le secrétaire européen de l’entente de l’interruption par Siemens de sa participation à cette entente, qui aurait ensuite informé, à une date inconnue de M. E., les autres entreprises. Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que, selon les déclarations de M. Tr., le secrétariat était assuré, à cette époque, pour le compte de Siemens, par M. Th., qui était également présent lors de la réunion de Sydney. Le témoignage de M. E. ne contredit donc pas les considérations de la Commission à cet égard. Au contraire, sa déclaration confirme qu’il n’y a pas eu de distanciation ouverte de l’entente de la part de Siemens lors de la réunion de Sydney en avril 1999 et, en outre, elle est parfaitement compatible avec la version de M. M., selon laquelle ce dernier aurait été informé par M. Th. lors d’une réunion de travail à Genève en septembre 1999. Il importe de souligner, à cet égard, qu’il découle de la déclaration de M. E. que M. Th. assurait encore son rôle de secrétaire européen de l’entente pour le compte de Siemens un certain temps après la réunion de Sydney, ce qui est déjà suffisant en soi pour rejeter l’argument de Siemens selon lequel elle aurait interrompu sa participation à l’entente en avril 1999. Or, selon la jurisprudence, le fait de ne pas se distancier publiquement d’une infraction à laquelle l’entreprise en cause a participé ou de ne pas la dénoncer aux autorités administratives a pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et de compromettre sa découverte, de sorte que cette approbation tacite peut être qualifiée de complicité ou de mode passif de participation à l’infraction (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 48 supra, point 84).

223    Dès lors, loin de remettre en cause la constatation de la Commission selon laquelle Siemens n’a interrompu sa participation à l’entente qu’en septembre 1999, les témoignages de MM. Tr., E. et Sch. sont plutôt susceptibles, dans une certaine mesure, de la confirmer.

224    Il y a donc lieu de rejeter ce grief pour autant qu’il concerne les témoignages de MM. Tr., E. et Sch. et, partant de le rejeter dans son intégralité.

 Sur le défaut de preuve de la participation de Siemens à un accord sur des projets d’AIG après le mois d’avril 1999

225    Dans le cadre de son premier grief, invoqué à l’appui de la présente branche, Siemens fait valoir que, dans la décision attaquée, la Commission ne lui reproche pas d’avoir participé à un accord sur des projets après le mois d’avril 1999. Selon elle, le dernier des projets indiqués par la Commission auquel elle aurait participé daterait du 8 mars 1999 et les indications fournies par Fuji dans sa demande au titre de la communication sur la coopération n’attestent pas sa participation à des projets ou un échange d’informations à cet égard après le mois de mars 1999.

226    Il y a lieu de relever, à cet égard, que l’absence de preuve de l’existence d’accords sur les projets après le mois de mars 1999 ne signifie pas que de tels accords n’aient pas existé. Ainsi que la Commission le fait valoir, la liste globale n’est pas exhaustive. Par ailleurs, quand bien même il serait avéré que Siemens n’a pas participé à un accord sur des projets après le mois de mars 1999, cela ne constituerait pas une preuve de l’interruption de sa participation à l’entente. En effet, comme la Commission le souligne dans ses écritures, le reproche qui est fait à Siemens dans la décision attaquée va bien au-delà des seuls accords sur les projets concrets. Il suffit de citer, à cet égard, le fait que Siemens a assuré, pendant ce temps, la fonction de secrétaire européen de l’entente, fonction qui permettait le fonctionnement de cette dernière.

227    Dès lors, les arguments présentés par Siemens dans le cadre de ce grief ne sont pas susceptibles de renverser la constatation de la Commission, fondée sur les éléments de preuve examinés aux points 179 à 207 ci-dessus, indiquant que Siemens a participé à l’entente jusqu’au mois de septembre 1999. Il convient donc de rejeter ce grief.

 Sur le défaut de preuve d’une réunion après le 22 avril 1999

228    Dans le cadre de son deuxième grief, invoqué à l’appui de la présente branche, Siemens fait valoir que la Commission n’a rapporté aucune preuve indiquant qu’elle avait participé, en 1999, à une réunion postérieure à celle de Sydney organisée du 19 au 24 avril cette année-là.

229    À cet égard, il convient de relever que l’absence de preuve d’une réunion après avril 1999 n’est pas de nature à remettre en cause les indices sur lesquels s’est fondée la Commission pour constater une participation de Siemens à l’entente jusqu’au mois de septembre 1999.

230    En effet, le fait que la Commission n’a pas eu connaissance de réunions ultérieures ne signifie pas que de telles réunions n’aient pas eu lieu. En particulier, en indiquant, au considérant 183 de la décision attaquée, que « [a]près la réunion de Sydney organisée du 19 au 24 avril 1999, les réunions annuelles ont cessé », la Commission a fait clairement référence aux réunions annuelles et n’a donc pas exclu qu’il y ait eu, après cette date, d’autres réunions au niveau opérationnel. À cet égard, il ressort de l’article 3 de l’accord GQ que la réunion générale (general meeting) était prévu une fois par an. Dès lors, même si Siemens n’avait pas interrompu sa participation à l’entente dans le courant de l’année 1999, il n’aurait pas été possible de s’attendre à ce qu’une autre rencontre de ce genre ait lieu cette même année. En revanche, l’article 5 de l’accord GQ prévoit la tenue de réunions de comité (committee meetings) toutes les deux semaines, afin d’échanger les points de vue mutuels sur les projets réclamés par chaque groupe. Or, ainsi qu’il ressort de l’annexe 4 de l’accord GQ, Siemens (désigné par le code « 8 ») était membre du comité européen et devait donc participer à ces réunions. De surcroît, il ressort de l’article 5 de l’accord EQ que les réunions de travail (job meetings), auxquels devaient participer tous les membres concernés, étaient tenus tant pour les projets ayant fait l’objet d’une attribution que pour ceux n’ayant fait l’objet que d’un arrangement sur le prix minimal et qu’il incombait au secrétaire européen de l’entente – donc à Siemens – d’envoyer les invitations pour ces réunions et de les présider. Dans ces conditions, le seul fait que la Commission n’ait pas réussi à établir la date et le lieu exact d’autres réunions en 1999 après celle de Sydney ne permet pas de conclure que de telles réunions n’ont pas existé.

231    Il convient donc de rejeter ce grief.

232    Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de considérer que la Commission disposait d’éléments de preuve suffisants justifiant de conclure que Siemens avait participé à l’entente jusqu’en septembre 1999. En outre, Siemens n’a pas donné une explication alternative convaincante de l’existence de ces éléments, conformément aux exigences dégagées par la jurisprudence. Or, compte tenu des éléments factuels visés au point 207 ci-dessus, invoqués par la Commission pour établir la participation de Siemens jusqu’en septembre 1999, il incombait à cette dernière de fournir une explication ou une justification alternative susceptible de contredire les conclusions de la Commission, qui en avait la charge (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 48 supra, point 79, et arrêt Peróxidos Orgánicos/Commission, point 65 supra, point 71).

233    Partant, il y a lieu de rejeter la première branche du deuxième moyen.

B –  Sur la deuxième branche du deuxième moyen, tirée de la prescription des poursuites

1.     Arguments des parties

234    Siemens fait valoir que, concernant la première phase de sa participation à l’infraction qui lui est reprochée et qui aurait pris fin le 22 avril 1999, la prescription est intervenue le 22 avril 2004, donc avant la date des inspections, les 11 et 12 mai 2004. Selon elle, l’argument de la Commission selon lequel elle a participé, à deux reprises, à la même infraction unique et continue ne permet pas d’exclure la prescription. En effet, l’entente ayant existé de 1988 à 1999 se distinguerait nettement de celle ayant existé entre 2002 et 2004.

235    La Commission conteste les arguments avancés par Siemens.

2.     Appréciation du Tribunal

236    L’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1/2003 fixe un délai de prescription de cinq ans pour les infractions du type de celle reprochée à Siemens. En vertu du paragraphe 2, seconde phrase, dudit article, pour les infractions continues ou répétées, la prescription court à compter du jour où l’infraction a pris fin. Conformément à l’article 25, paragraphe 3, première phrase, du même règlement, la prescription est interrompue par tout acte de la Commission visant à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction.

237    En l’espèce, l’exception de prescription invoquée s’agissant de la première phase de l’infraction reprochée à Siemens présuppose donc la réunion de deux conditions cumulatives. D’une part, cette première phase doit avoir pris fin au plus tard le 10 mai 1999, c’est-à-dire cinq ans avant le jour précédant les inspections sur place auxquelles la Commission a procédé les 11 et 12 mai 2004. D’autre part, les deux phases de l’infraction qui lui est reprochée ne doivent pas faire partie d’une seule infraction unique et continue, au sens de l’article 25, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, puisque, dans une telle hypothèse, la prescription ne court qu’à compter du jour où la seconde de ces phases a pris fin en 2004.

238    Il suffit de rappeler, à cet égard, que, ainsi qu’il a été exposé au point 232 ci-dessus, la Commission a constaté à juste titre, dans la décision attaquée, que la première phase de la participation de Siemens à l’infraction n’avait pris fin qu’en septembre 1999, donc après la date du 10 mai 1999.

239    Dès lors, il y a lieu de rejeter l’exception de prescription faisant l’objet de la deuxième branche du deuxième moyen.

240    En tout état de cause, la seconde condition énoncée au point 237 ci-dessus n’est pas davantage remplie. En effet, la Commission a constaté, à juste titre, que l’entente à laquelle Siemens a participé à partir de 2002 était, en substance, la même que celle à laquelle elle avait participé jusqu’en 1999.

241    À cet égard, plusieurs critères ont été identifiés par la jurisprudence comme étant pertinents pour apprécier le caractère unique d’une infraction, à savoir l’identité ou la diversité des objectifs des pratiques en cause (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, Dansk Rørindustri/Commission, T‑21/99, Rec. p. II‑1681, point 67 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission, C‑113/04 P, Rec. p. I‑8831, points 170 et 171, et arrêt Jungbunzlauer/Commission, point 184 supra, point 312), l’identité des produits et des services concernés (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, non publié au Recueil, points 118, 119 et 124, et Jungbunzlauer/Commission, point 184 supra, point 312), l’identité des entreprises qui y ont pris part (arrêt Jungbunzlauer/Commission, point 184 supra, point 312) et l’identité des modalités de sa mise en œuvre (arrêt Dansk Rørindustri/Commission, précité, point 68). D’autres critères pertinents sont l’identité des personnes physiques impliquées pour le compte des entreprises et l’identité du champ d’application géographique des pratiques en cause.

242    En l’espèce, il y a lieu de relever que la totalité des critères mentionnés au point précédent permettent de considérer que l’entente à laquelle Siemens a participé à partir de 2002 était, en substance, la même que celle à laquelle elle avait participé jusqu’en 1999.

243    En effet, premièrement, l’objectif, consistant à stabiliser les parts de marché des membres de l’entente, à partager le marché mondial entre les producteurs japonais et européens – notamment en réservant à ces derniers les marchés européens – et à éviter l’érosion des prix, était le même pendant les deux périodes en cause. À cet égard, il y a lieu de rejeter les arguments soulevés par Siemens, selon lesquels les deux phases de sa participation à l’infraction étaient tout à fait différentes l’une de l’autre.

244    Tout d’abord, il n’est pas exact que l’entente ne s’est appliquée aux projets européens qu’à partir de 2002. Au contraire, ainsi qu’il ressort des constatations figurant au point 161 ci-dessus, la Commission a établi à suffisance de droit que l’entente s’appliquait aux projets d’AIG au sein de l’EEE dès ses débuts.

245    Ensuite, il importe peu de savoir si l’accord GQ a été abrogé et remplacé par un autre accord, comme Siemens le prétend, en s’appuyant sur les déclarations de Hitachi, ou s’il a simplement été modifié, du moment que l’objectif des pratiques en cause est resté le même.

246    Enfin, il y a lieu de rejeter la conception de la notion d’« objectif commun », implicitement défendue par Siemens. Selon cette conception, la constatation de l’existence d’une infraction unique dépend non seulement de critères objectifs, tels que mentionnés au point 241 ci-dessus, mais présuppose en plus l’existence d’un élément subjectif sous forme d’une intention globale commune, qui ferait défaut en l’espèce. Il y a lieu de relever, à cet égard, que la thèse défendue par Siemens ne trouve aucun appui dans la jurisprudence citée au point 241 ci-dessus, qui ne fait pas mention d’un critère subjectif par rapport à l’appréciation du caractère unique d’une infraction. Dès lors, la question de savoir si un ensemble d’accords et de pratiques contraires à l’article 81, paragraphe 1, CE constitue une infraction unique et continue est, au contraire, une question qui dépend uniquement de facteurs objectifs, parmi lesquels l’objectif commun desdits accords et pratiques. Ce dernier est un critère qui doit être apprécié au regard du seul contenu de ces accords et pratiques et qui ne doit pas être confondu, ainsi que Siemens semble le faire, avec l’intention subjective des différentes entreprises de participer à une entente unique et continue. En revanche, cette intention subjective ne peut et ne doit être prise en compte que dans le cadre de l’appréciation de la participation individuelle d’une entreprise à un tel accord unique et continu (voir point 253 ci-après).

247    Deuxièmement, les méthodes de fonctionnement de l’entente sont globalement restées inchangées, même si elles ont progressivement évolué au fil des années, notamment en fonction de la réduction du nombre d’entreprises participantes à la suite de la concentration du secteur et de l’évolution technique des moyens de communication. Toutefois, comme la Commission l’a exposé au considérant 280 de la décision attaquée, ces modifications ne sont pas intervenues à un moment précis entre 1999 et 2002, mais au fur et à mesure. Par ailleurs, elles n’ont pas affecté les principes essentiels du mode de fonctionnement, à savoir l’attribution de projets d’AIG entre les membres de l’entente sur la base de quotas fixés par eux et au moyen du trucage des appels d’offres, ainsi que la fixation de prix minimaux pour les projets d’AIG ne faisant pas l’objet d’une attribution.

248    Troisièmement, l’entente visait, pendant les deux périodes en cause, le même marché, à savoir celui des projets d’AIG sous forme de pièces détachées ou sous forme de sous-stations clés en main.

249    Quatrièmement, les entreprises ayant participé à l’entente sont, en substance, restées les mêmes pendant toute la durée de l’entente entre 1988 et 2004, compte tenu du processus de concentration dans le secteur des AIG ayant eu lieu pendant cette période et à la seule exception de l’absence temporaire de Siemens, de l’entreprise VA Tech et de Hitachi.

250    Cinquièmement, les personnes représentant les différentes entreprises au sein de l’entente étaient, dans une très large mesure, les mêmes en 1999 et en 2002, abstraction faite d’une certaine fluctuation normale au sein de chaque entreprise. La continuité personnelle des représentants est attestée par les différentes listes de réunions faisant partie du dossier et, notamment, celle figurant à l’annexe I de la décision attaquée, ainsi que par la liste des collaborateurs des entreprises actives dans l’entente, figurant à l’annexe II de la décision attaquée.

251    Sixièmement, le champ d’application géographique de l’entente était le même en 1999 et pendant la période de 2002 à 2004. En effet, il s’était quelque peu élargi depuis 1988, du fait que les marchés des pays de l’Europe centrale et de l’Est étaient entre-temps devenus accessibles aux membres de l’entente.

252    Septièmement, le fait, souligné par la Commission et non contesté par Siemens, que l’entente a été poursuivie par les autres membres sans les entreprises temporairement absentes et que la continuité objective d’une infraction unique a donc été préservée démontre également qu’il s’agissait d’une seule et même entente. À cet égard, il y a lieu de rejeter l’argument de Siemens selon lequel, en prenant en compte cet élément, la Commission lui impute les faits d’autrui. En effet, il n’est pas question de considérer Siemens comme responsable pour la période comprise entre septembre 1999 et mars 2002, mais de lui opposer le caractère unique de l’infraction qui s’est poursuivie en son absence. Or, comme il sera exposé au point suivant, Siemens était consciente, ou devait l’être, du fait qu’elle participait à partir de 2002 à la même entente que celle à laquelle elle avait participé jusqu’en 1999.

253    Enfin, en ce qui concerne l’élément subjectif, il suffit que, lorsque Siemens a repris sa participation à l’entente, elle ait été consciente de participer à la même entente qu’auparavant. Il suffit même que Siemens ait été consciente des critères essentiels, mentionnés au point 241 ci-dessus, justifiant la constatation du caractère unique de l’infraction, pour qu’elle puisse se voir opposer ce caractère unique, même à supposer qu’elle n’ait pas elle-même tiré la conclusion de son existence. Or, au regard du fait que ses employés MM. S. et Ze. ont participé, pour son compte, à l’entente tant avant son retrait en 1999 qu’après son retour en 2002, Siemens ne pouvait ignorer l’identité des facteurs déterminant le caractère unique de l’entente et, notamment, l’identité de ses objectifs, des produits concernés, des marchés géographiques et des entreprises participantes.

254    Dès lors, l’exception de prescription soulevée par Siemens doit, en tout état de cause, être rejetée en raison du fait que les deux phases de l’infraction qui lui sont reprochées faisaient partie d’une même infraction unique et continue.

255    En conclusion, il y a lieu de rejeter la deuxième branche du deuxième moyen, tirée de la prescription de la première phase de l’infraction reprochée à Siemens.

C –  Sur la troisième branche du deuxième moyen, tirée du défaut d’une participation à l’entente au-delà du 1er janvier 2004

1.     Arguments des parties

256    Siemens fait valoir que la Commission a erronément constaté, dans la décision attaquée, que l’infraction avait définitivement cessé le 11 mai 2004, alors qu’aucune répercussion effective n’avait été constatée dans le marché commun après janvier 2004, la dernière réunion pertinente s’étant tenue le 21 janvier 2004 et n’ayant conduit à aucun accord sur des prix. Dès lors, l’entente n’aurait plus eu d’effets sur le marché à compter de janvier 2004, et la Commission ne rapporterait, par ailleurs, aucune preuve de tels effets.

257    La Commission conteste les arguments avancés par Siemens.

2.     Appréciation du Tribunal

258    Il y a lieu de rejeter cette branche pour deux raisons.

259    En premier lieu, ainsi qu’il a été rappelé au point 135 ci-dessus, selon une jurisprudence constante, il découle du texte même de l’article 81, paragraphe 1, CE que les accords entre entreprises sont interdits, indépendamment de tout effet, lorsqu’ils ont un objet anticoncurrentiel (arrêts Commission/Anic Partecipazioni, point 43 supra, point 123, et JFE Engineering e.a./Commission, point 49 supra, point 181). Par conséquent, la démonstration d’effets anticoncurrentiels réels n’est pas requise, alors même que l’objet anticoncurrentiel des comportements reprochés est établi (voir arrêt Volkswagen/Commission, point 18435 supra, point 178, et la jurisprudence citée). Il a également été relevé, au point 134 ci-dessus, que, en l’espèce, la Commission s’est fondée à titre principal sur l’objet restrictif de concurrence de l’accord sanctionné à l’article 1er de la décision attaquée. Elle a d’abord constaté, aux considérants 303 et 304 de la décision attaquée, que l’ensemble des accords et/ou des pratiques concertées décrites avaient pour objet de restreindre la concurrence, au sens de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE, et que, dans de telles circonstances, il était superflu, aux fins de l’application desdites dispositions, de prendre en considération les effets concrets d’un accord, avant d’ajouter, au considérant 308 de ladite décision, que, par sa nature même, la mise en œuvre d’un accord du type décrit entraîne une importante distorsion de la concurrence.

260    Dès lors, comme la Commission le fait valoir à bon droit, l’arrêt du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission (T‑279/02, Rec. p. II‑897, points 236 et 240), n’est pas de nature à soutenir l’argument de Siemens. En effet, d’une part, les passages dudit arrêt invoqués par elle n’ont pas trait à la constatation de l’infraction ou de sa durée, mais uniquement à l’appréciation de sa gravité. D’autre part, la Commission s’est expressément fondée, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, sur l’incidence que l’entente avait eue sur les prix des produits en cause. Or, comme il a été rappelé au point précédent, tel n’est précisément pas le cas en l’espèce.

261    Dès lors, les arguments de Siemens tendant à étayer l’absence de nouvelles répercussions de l’entente après le 1er janvier 2004 sont dépourvus de pertinence.

262    En second lieu, ainsi que la Commission l’a indiqué au considérant 215 de la décision attaquée, sur le fondement de déclarations du groupe VA Tech et sans être contredite par Siemens, les communications et les réunions entre les membres restants au sein de l’entente après le départ d’ABB portaient, notamment, sur l’échange d’informations concernant les procédures d’appel d’offres en cours, sur la position des acteurs extérieurs à l’entente, sur le maintien ou sur l’interruption des contacts et sur des questions de sécurité. Or, ces sujets de discussion démontrent que, même si les membres restants de l’entente n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur des projets concrets, ils avaient l’intention de poursuivre l’entente à l’avenir ou, à tout le moins, n’avaient pas pris la décision d’y mettre fin.

263    Cette interprétation des faits n’est pas remise en cause, contrairement à ce que fait valoir Siemens, par une déclaration de Hitachi concernant la fin de l’entente. En effet, cette déclaration a été faite sous forme d’un tableau indiquant, pour différentes réunions dans le cadre de l’entente, respectivement la date, le lieu, les participants, un bref aperçu des objets et la source de ces informations au sein des employés de Hitachi. Tout d’abord, il y a lieu de relever, à cet égard, que les indications relatives à l’objet des différentes réunions ne sont que très brèves et parfois générales. Par exemple, pour les réunions du 17 mars et du 8 avril 2004, il est indiqué, respectivement, que « le but de la réunion était d’échanger des informations » et que « [la réunion au niveau de travail] incluait une discussion générale sur le marché ». Ces indications ne laissent pas clairement apparaître le sujet précis des discussions et n’excluent en tout état de cause pas qu’il s’agissait d’un échange d’informations et de discussions constituant une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE et à l’article 53 de l’accord EEE.

264    Par ailleurs, il convient d’observer que les extraits de la déclaration de Hitachi produits par Siemens comprennent les pages 7278, 7280 et 7281 du dossier de procédure devant la Commission, mais non la page 7279, qui est susceptible de contenir des indications relatives à d’autres réunions ayant eu lieu entre janvier et mars 2004. Indépendamment de la question de leur crédibilité et de leur valeur probante, ces documents ne rendent donc pas compte de manière complète des déclarations de Hitachi relatives aux réunions de l’année 2004, à propos desquelles Siemens prétend qu’elles n’ont plus donné lieu à de nouvelles répercussions de l’entente. Dès lors, il y a lieu de considérer que Siemens n’a pas prouvé cette allégation.

265    Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter la troisième branche du deuxième moyen, tirée de l’absence de nouvelles répercussions de l’entente à compter de janvier 2004.

266    Dès lors, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen dans son ensemble.

III –  Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit dans le calcul du montant de l’amende

267    Le troisième moyen de Siemens est divisé en six branches. Dans le cadre de la première branche, elle fait valoir que le montant de départ de l’amende est disproportionné. La deuxième branche est tirée du caractère disproportionné du coefficient multiplicateur de dissuasion. Dans le cadre de la troisième branche, Siemens fait valoir que la Commission se base sur une durée de l’infraction incorrecte. Dans le cadre de la quatrième branche, elle invoque la qualification erronée de meneur qui lui a été appliquée. Dans le cadre de la cinquième branche, elle fait valoir que la Commission aurait dû lui accorder une réduction du montant de l’amende en application de la communication sur la coopération. La sixième branche est tirée de ce que la direction générale (DG) « Concurrence » a de facto contraint le collège des commissaires.

A –  Sur la première branche du troisième moyen, tirée du caractère disproportionné du montant de départ de l’amende

268    Dans le cadre de la première branche du troisième moyen, Siemens fait valoir, en substance, que le montant de départ de l’amende qui lui a été infligée est disproportionné par rapport à la gravité de l’infraction et à ses effets économiques et n’est pas correctement motivé. Selon elle, la Commission n’aurait pas dû qualifier l’infraction de « très grave » et aurait, par conséquent, dû fixer le montant de départ de l’amende bien en deçà de 10 millions d’euros. À cet égard, elle soulève trois griefs, tirés, premièrement, de ce que la Commission n’a pas rapporté la preuve des effets de l’entente, deuxièmement, du caractère disproportionné du montant de départ de l’amende par rapport à l’importance économique de l’infraction et, troisièmement, de son inscription dans une catégorie incorrecte.

1.     Sur le premier grief, tiré d’un défaut de preuve des effets de l’entente

a)     Arguments des parties

269    Siemens conteste les constatations de la Commission aux considérants 477 et 484 de la décision attaquée, concernant les effets de l’entente, en alléguant qu’elles sont contradictoires, imprécises et erronées. Selon elle, la Commission ayant reconnu, à juste titre, que l’entente n’a eu aucun effet quantifiable, celle-ci ne pourrait pas ensuite faire référence, lors de la détermination du montant de départ, aux prétendus effets de l’infraction. En outre, la Commission n’aurait présenté aucun indice concret et crédible indiquant que l’entente ait eu un impact sur le marché et l’analyse démontrerait même que de tels effets n’ont pas existé. L’affirmation de la Commission selon laquelle la longue participation à un système coûteux démontre que l’entente était rentable pour ses membres et avait par conséquent un impact serait fondée sur de simples conjectures et non sur des facteurs économiques objectifs.

270    La Commission conteste les arguments avancés par Siemens.

b)     Appréciation du Tribunal

271    À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon les termes du point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices de la Commission pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5 [CA] (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices »), dans son calcul de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction, la Commission tient compte, notamment, de « l’impact concret [de l’infraction] sur le marché lorsqu’il est mesurable ».

272    En premier lieu, il convient de relever, à cet égard, que, contrairement à ce qu’allègue Siemens, la Commission n’a nullement reconnu, dans la décision attaquée, que l’entente n’avait eu aucun impact quantifiable. La Commission a indiqué, au considérant 477 de la décision attaquée, que, en raison du manque d’informations sur les prix probables des projets d’AIG dans l’EEE en l’absence de l’entente, il n’était pas possible de mesurer son impact concret sur le marché et que, par conséquent, elle ne s’était pas fondée spécifiquement sur un impact particulier lors de la détermination de la gravité de l’infraction, conformément au point 1 A des lignes directrices.

273    Ce n’est qu’à titre surérogatoire que la Commission a souligné que, en l’espèce, il existait des indices concrets et crédibles indiquant avec une probabilité raisonnable que l’entente avait eu un impact sur le marché, étant donné qu’elle avait été effectivement mise en œuvre, qu’elle avait duré plus de seize ans et que les participants étaient prêts à supporter des coûts considérables pour pérenniser son existence. Cette considération ne saurait être comprise comme contredisant la constatation de l’impossibilité de mesurer ledit impact. Elle ne sert de toute évidence qu’à préciser que la Commission estimait bien que l’entente avait eu un impact, même si ce dernier ne pouvait être concrètement mesuré et ne pouvait donc pas être pris en compte au titre de la détermination de la gravité de l’entente.

274    En deuxième lieu, contrairement à ce qu’affirme Siemens, il ne ressort pas du considérant 484 de la décision attaquée que la Commission a fait référence aux effets de l’entente lors de la détermination de la gravité de l’infraction. En effet, la formulation « compte tenu des circonstances décrites au point 8.3.1 ci-dessus » (point sous lequel a été inséré le considérant 477 de la décision attaquée) doit être comprise comme faisant référence, notamment, à la constatation de la Commission selon laquelle les effets de l’entente n’étaient pas quantifiables.

275    Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner si l’existence d’un impact de l’entente sur le marché pouvait être présumée sur le fondement des indices invoqués par la Commission.

276    Dès lors, le premier grief soulevé par Siemens doit être rejeté.

2.     Sur le deuxième grief, tiré du caractère disproportionné du montant de départ de l’amende par rapport à l’importance économique de l’infraction

a)     Arguments des parties

277    Siemens fait valoir que le montant de départ de l’amende est disproportionné par rapport à la valeur du marché de produits concerné et par rapport à sa propre part de marché. En fixant ce montant à 45 millions d’euros, la Commission se serait départie de sa pratique décisionnelle antérieure, alors qu’elle est tenue de suivre une pratique décisionnelle cohérente et non discriminatoire. Selon Siemens, ce montant doit être nettement inférieur à 35 millions d’euros. Elle invite par conséquent le Tribunal à réduire substantiellement le montant de départ de l’amende, dans le cadre de son pouvoir de pleine juridiction.

278    La Commission conteste les arguments de Siemens.

b)     Appréciation du Tribunal

279    Les lignes directrices prévoient, au point 1 A, quatrième et sixième alinéas, de prendre en compte la capacité économique effective des auteurs d’infractions à créer un dommage important aux autres opérateurs et de tenir compte du poids spécifique du comportement de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction. En revanche, les lignes directrices ne prévoient pas que la capacité économique effective des entreprises ou le poids spécifique de leur comportement doivent être appréciés à l’aune d’un critère particulier, tel que leur part de marché relative au produit en cause au sein de l’EEE ou au sein du marché commun. Dès lors, la Commission est libre d’appliquer, à cet égard, un critère approprié au regard des circonstances de chaque cas particulier.

280    En l’espèce, après avoir constaté, au considérant 479 de la décision attaquée, que l’infraction devait être qualifiée de « très grave », au sens des lignes directrices, la Commission a expliqué, aux considérants 480 à 490 de la décision attaquée, le traitement différencié qu’elle avait appliqué aux différentes entreprises, en fonction des parts de marché mondiales détenues par elles, reflétant leur capacité économique respective à porter un préjudice important à la concurrence.

281    La Commission a notamment expliqué, au considérant 481 de la décision attaquée, que, étant donné le caractère mondial des arrangements de l’entente, les chiffres d’affaires mondiaux reflétaient le plus fidèlement la capacité des entreprises à causer un préjudice important aux autres opérateurs de l’EEE et leurs contributions respectives à l’efficacité de l’entente dans son ensemble ou, inversement, l’instabilité qui aurait affecté l’entente si une certaine entreprise n’y avait pas participé. En particulier, la Commission a souligné le fait que le rôle des entreprises japonaises aurait été considérablement sous-estimé si elle s’était appuyée sur les chiffres d’affaires relatifs au seul EEE, étant donné que, en vertu des accords sous-tendant l’entente, ces entreprises s’étaient dans une large mesure abstenues d’activités sur les marchés européens.

282    Enfin, la Commission a indiqué que, pour Siemens et ABB qui détenaient chacune entre 23 et 29 % du chiffre d’affaires mondial afférent aux projets AIG, le montant de départ de l’amende devait être fixé, sur la base de la valeur du marché au sein de l’EEE, à 45 millions d’euros.

283    Dès lors, en fixant le montant de départ, la Commission a tenu compte, sans qu’il puisse lui être reproché une erreur manifeste d’appréciation, tant du chiffre d’affaires mondial afférent aux projets AIG que de la valeur du marché au sein de l’EEE, le premier de ces critères servant, conformément aux considérants 480 et 481 de la décision attaquée, à répartir les entreprises en plusieurs catégories. En particulier, l’application de ces critères tient compte de manière appropriée des circonstances de l’espèce, notamment du fait que les participants à l’entente étaient convenus d’un partage des marchés européens et japonais entre les groupes de producteurs respectifs. Le niveau de l’amende résultant d’un tel exercice ne saurait être qualifié de disproportionné.

284    En revanche, les arguments invoqués par Siemens n’emportent pas la conviction.

285    En premier lieu, il y a lieu de rejeter l’argument de Siemens selon lequel, dans l’arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission (C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 242), la Cour aurait déclaré que « le profit qu[e les entreprises] ont pu tirer de ces pratiques […] et la valeur des marchandises concernées » constituent des éléments essentiels du calcul du montant de l’amende.

286    À cet égard, il y a lieu de relever que cette citation incomplète ne rend pas fidèlement compte du contenu du point 242 de l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 285 supra, qui ne peut en outre être pleinement compris sans son contexte. En effet, les points 241 à 243 dudit arrêt ont la teneur suivante :

« 241            La gravité des infractions doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte […]

242      Figurent parmi les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité des infractions le comportement de chacune des entreprises, le rôle joué par chacune d’elles dans l’établissement des pratiques concertées, le profit qu’elles ont pu tirer de ces pratiques, leur taille et la valeur des marchandises concernées ainsi que le risque que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de la Communauté […]

243      Il s’ensuit, d’une part, qu’il est loisible, en vue de la détermination de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise qui constitue une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille de celle-ci et de sa puissance économique que de la part de ce chiffre qui provient des marchandises faisant l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle-ci. Il en résulte, d’autre part, qu’il ne faut pas attribuer ni à l’un ni à l’autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation et, par conséquent, que la fixation d’une amende appropriée ne peut être le résultat d’un simple calcul basé sur le chiffre d’affaires global. Il en est particulièrement ainsi lorsque les marchandises concernées ne représentent qu’une faible fraction de ce chiffre […] »

287    Premièrement, il découle du point 241 de cet arrêt que l’énoncé des éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité d’une infraction, figurant au point 242 dudit arrêt, n’est ni contraignant ni exhaustif. Dès lors, la Commission est libre de prendre en compte d’autres éléments ou d’attribuer moins de poids à l’un des éléments énoncés audit point 242, voire de ne pas le prendre en compte du tout, si cela lui semble approprié au regard des circonstances d’une affaire particulière. Une telle interprétation se trouve également confirmée par le point 243 du même arrêt. Siemens ne saurait donc s’appuyer sur le point 242 de cet arrêt pour prétendre que le montant de départ de l’amende devrait être déterminé d’une manière proportionnelle à la taille du marché des projets AIG au sein de l’EEE.

288    Deuxièmement, il découle de la première phrase du point 243 de l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 285 supra, que la notion de « valeur des marchandises concernées », utilisée au point 242 de cet arrêt, doit être comprise comme une mesure indiquant la part du chiffre d’affaires global des entreprises concernées qui provient des produits faisant l’objet de l’entente et non comme faisant référence à la taille du marché de ces produits au sein de l’EEE. Dès lors, dans ce dernier point, la Cour ne se prononce nullement, contrairement à ce qu’affirme Siemens, sur la prise en compte de la valeur du marché pertinent au sein de l’EEE.

289    En deuxième lieu, ainsi que la Commission le relève à bon droit, ni les lignes directrices ni le droit communautaire en général ne disposent que les amendes infligées par la Commission doivent obligatoirement être proportionnelles à la valeur du marché des produits concernés. En revanche, les lignes directrices prévoient expressément, s’agissant de la détermination de la gravité de l’infraction, la prise en compte d’autres facteurs dont, notamment, la capacité économique effective des entreprises, le caractère dissuasif du montant de l’amende, la dimension des entreprises concernées et le poids spécifique des différentes entreprises au sein d’une entente, critères ayant été appliqués par la Commission aux considérants 480 et 481 de la décision attaquée.

290    En troisième lieu, il y a lieu de rappeler que la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas elle-même de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence (arrêt LR AF 1998/Commission, point 87 supra, point 234). La Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 1/2003, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de la concurrence. Dès lors, le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement n° 1/2003, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence. L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige au contraire que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (voir, par analogie, arrêts Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 285 supra, point 227, et Groupe Danone/Commission, point 66 supra, point 395).

291    Il en découle que les entreprises impliquées dans une procédure administrative pouvant donner lieu à une amende ne sauraient acquérir une confiance légitime dans le fait que la Commission ne dépassera pas le niveau des amendes pratiqué antérieurement. Par conséquent, lesdites entreprises doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d’élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 285 supra, points 228 et 229).

292    Il s’ensuit que les exemples de décisions cités par Siemens ne sauraient remettre en cause, au regard du principe de légalité des peines, inscrit dans l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH, la légalité du montant de départ de l’amende fixé en l’espèce par la Commission, fût-il même, ainsi que Siemens le fait valoir, supérieur aux montants fixés dans d’autres affaires portant sur un marché d’une valeur supérieure à celle du marché en cause.

293    Dès lors, il y a lieu de rejeter le deuxième grief soulevé par Siemens.

3.     Sur le troisième grief, tiré de l’inscription de Siemens dans une catégorie incorrecte

a)     Arguments des parties

294    D’une part, Siemens fait valoir que, dans son calcul du montant de l’amende à lui infliger, la Commission aurait dû prendre en compte son chiffre d’affaires en 2001, comme pour Fuji, Hitachi, Melco et Toshiba, et non son chiffre d’affaires en 2003, comme pour ABB, Alstom, Areva et le groupe VA Tech. La Commission n’aurait donc pas appliqué sa propre méthode de calcul des amendes de manière correcte, cohérente et non discriminatoire. D’autre part, Siemens estime qu’elle n’aurait pas dû être classée dans la même catégorie qu’ABB, puisque son chiffre d’affaires, en 2001 et en 2003, était bien inférieur à celui d’ABB, ainsi qu’en attestent certains documents figurant dans le dossier. En outre, Siemens relève des incohérences quant à la valeur du marché mondial relatif aux projets d’AIG en 2001 et en 2003 et fait valoir que la Commission devrait indiquer avec précision la part de chaque participant dans le chiffre d’affaires global de l’entente pour ces deux années, ainsi que les chiffres d’affaires qu’ils ont réalisés avec des projets d’AIG.

295    La Commission réfute les arguments de Siemens.

b)     Appréciation du Tribunal

296    Tout d’abord, il y a lieu de distinguer deux éléments différents contestés par Siemens. D’une part, elle fait valoir que la Commission aurait dû choisir l’année 2001 comme année de référence pour déterminer sa part de marché. D’autre part, elle fait valoir que, au vu de sa part de marché prétendument plus faible que celle d’ABB, elle n’aurait pas dû être inscrite dans la première catégorie d’entreprises avec ABB, mais dans la deuxième catégorie.

297    S’agissant, premièrement, du choix de l’année de référence afin d’établir le poids relatif des entreprises, il y a lieu de relever que, si les lignes directrices prévoient, au point 1 A, quatrième et cinquième alinéas, un traitement différencié des entreprises en fonction de leur importance économique, elles n’indiquent pas par rapport à quelle année le poids relatif des entreprises doit être établi. À cet égard, le point 5, sous a), deuxième alinéa, des lignes directrices, qui prévoit de prendre en compte l’exercice qui précède l’année de la prise de décision, s’applique uniquement à la détermination du chiffre d’affaires au titre du respect de la limite de 10 %, conformément à l’article 23, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1/2003 et n’est donc pas applicable aux fins de la détermination du poids relatif des entreprises actives dans l’entente.

298    En l’espèce, l’année 2003, qui a été choisie par la Commission comme année de référence afin d’établir le poids relatif de Siemens et des autres entreprises européennes, était la dernière année complète de l’activité de l’entente. Un tel choix paraît approprié aux fins de la détermination du poids relatif desdites entreprises dans l’entente.

299    Le fait que la Commission a choisi l’année 2001 comme année de référence afin d’établir le poids relatif des entreprises japonaises a été expliqué, au considérant 482 de la décision attaquée, par les circonstances particulières propres aux producteurs japonais, notamment le fait que, en raison de la restructuration de leurs activités en matière d’AIG dans deux entreprises communes, la Commission ne disposait pas de chiffres d’affaires séparés pour ces entreprises. Or, il n’y a pas lieu, aux fins de la solution du présent litige, d’examiner la légalité du traitement réservé aux entreprises japonaises. En effet, même à supposer que ce traitement ait été illégal, il conviendrait, dans une telle hypothèse, de corriger la décision attaquée à l’égard des producteurs japonais et non à l’égard de Siemens.

300    En ce qui concerne, deuxièmement, la part de marché prétendument plus faible de Siemens par rapport à ABB, la Commission s’est fondée, ainsi qu’elle l’indique au considérant 483 de la décision attaquée, sur les chiffres produits par les entreprises elles-mêmes. Dans sa réponse du 5 juillet 2005 à une demande de renseignements de la Commission, Siemens a indiqué, pour l’année 2003, un chiffre d’affaires total mondial en matière d’AIG de 658,9 millions d’euros. Par ailleurs, selon ses propres estimations, le marché mondial en matière d’AIG avait, en 2003, une valeur de 2 305,5 millions d’euros, ce qui le situe dans le même ordre de grandeur que celui visé dans les estimations de la Commission, qui indique, à la note en bas de page n° 444 de la décision attaquée, un montant de 2 200 millions d’euros pour l’année 2003 et, au point 4 de la décision attaquée, une fourchette de 1 700 à 2 300 millions d’euros pour les années 2001 à 2003. Contrairement à ce que Siemens fait valoir, il n’y a pas d’incohérence entre ces chiffres.

301    Or, en calculant la part de marché de Siemens sur le fondement des chiffres relatifs à l’année 2003 qu’elle a elle-même produits, à savoir une valeur totale du marché de 2 305,5 millions et un chiffre d’affaires de Siemens de 658,9 millions, il en résulte une part de marché pour cette entreprise d’environ 28,59 % en 2003, chiffre qui se situe à la limite supérieure de la fourchette de 23 à 29 % indiquée par la Commission pour le premier groupe d’entreprises.

302    Siemens ne saurait être admise à contester ce chiffre, calculé sur le fondement de ses propres données, en se prévalant de documents internes d’Alstom et d’ABB qui font état d’une part de marché différente en ce qui la concerne.

303    De surcroît, les chiffres figurant dans ces documents se rapportent à d’autres paramètres que ceux pris en considération par la Commission. En effet, concernant, d’une part, le document émanant d’ABB produit en annexe à la requête, mis à part le fait qu’il se rapporte à l’année 2002 et non à l’année 2003, celui-ci est intitulé « Substations Competitor Overview » (Aperçu des concurrents pour les sous-stations) et ne traite donc que de la situation sur le marché des sous-stations d’AIG et non sur le marché des projets d’AIG en général. S’agissant, d’autre part, du document émanant d’Alstom figurant en annexe à la requête, mis à part le fait qu’il se rapporte aux années 2001 et 2002, non seulement il contient une liste des entreprises ayant participé à l’entente, mais il mentionne également d’autres sociétés (Others), dont la part de marché globale serait de 33,8 %. Or, ainsi qu’il ressort de la note en bas de page n° 444 de la décision attaquée, la Commission a effectué ses calculs sur le fondement des seuls chiffres d’affaires réalisés par les membres de l’entente, puisque les ventes réalisées par d’autres producteurs n’affectent pas le classement relatif des entreprises dans le cadre de la présente affaire.

304    Dès lors, il y a lieu de rejeter les critiques soulevées par Siemens à l’encontre du calcul de sa part de marché par la Commission, sans qu’il y ait lieu de demander à cette dernière de produire les chiffres d’affaires indiqués par les autres entreprises ayant participé à l’entente, ainsi que Siemens le demande.

305    Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter le troisième grief soulevé par Siemens et, par voie de conséquence, la première branche du troisième moyen dans son ensemble.

B –  Sur la deuxième branche du troisième moyen, tirée du caractère disproportionné du coefficient multiplicateur de dissuasion

1.     Arguments des parties

306    Siemens fait valoir que le facteur de dissuasion de 2,5, appliqué par la Commission pour majorer le montant de départ de son amende, est excessif et disproportionné par rapport à celui appliqué à ABB et constitue une violation du principe d’égalité de traitement. Dès lors que la Commission aurait choisi, en l’espèce, une méthode exclusivement proportionnelle au chiffre d’affaires des entreprises concernées pour déterminer le multiplicateur de dissuasion, la majoration infligée à Siemens aurait pu être au maximum quatre fois plus élevée que celle infligée à ABB, le chiffre d’affaires total de Siemens n’étant que quatre fois supérieur à celui d’ABB. Par conséquent, Siemens invite le Tribunal à réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée. En outre, elle fait valoir un défaut de motivation, la Commission n’ayant pas expliqué sa méthode de calcul dans la décision attaquée.

307    Dans le cadre de sa réponse aux questions écrites du Tribunal avant l’audience, Siemens a précisé qu’il convenait de déduire du facteur de dissuasion le nombre 1 en tant qu’élément neutre à la multiplication. Dès lors, le facteur de dissuasion appliqué à Siemens (2,5 – 1 = 1,5) serait en réalité six fois supérieur à celui d’ABB (1,25 – 1 = 0,25) et non deux fois supérieur.

308    La Commission conteste avoir enfreint la méthode qu’elle a choisie pour déterminer les coefficients de dissuasion respectifs. Elle souligne que le coefficient multiplicateur de dissuasion choisi est directement proportionnel au chiffre d’affaires des différentes entreprises concernées. En fait, le coefficient de Siemens serait même dégressif par rapport à celui appliqué à ABB. S’agissant, enfin, de l’obligation de motivation, celle-ci serait limitée en ce qui concerne le coefficient multiplicateur de dissuasion. Par ailleurs, les chiffres parleraient d’eux-mêmes.

309    En réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, la Commission a précisé qu’elle a procédé en trois étapes. Premièrement, les chiffres d’affaires des entreprises concernées auraient été divisés par dix. Deuxièmement, la racine aurait été tirée des chiffres ainsi obtenus. Troisièmement, les chiffres obtenus auraient fait l’objet d’un arrondissement vers le bas, ce qui aurait abouti aux coefficients de dissuasion effectivement appliqués aux différentes entreprises concernées et, notamment, au coefficient de 2,5 appliqué à Siemens. Par ailleurs, la Commission a souligné qu’elle n’était pas tenue d’exposer sa méthode en détail dans la décision et que, en tout état de cause, un multiplicateur de 2,5 n’est pas inhabituel au regard de sa pratique décisionnelle antérieure.

2.     Appréciation du Tribunal

310    En premier lieu, s’agissant du grief tiré du défaut de motivation, en ce que la Commission n’aurait pas expliqué la méthode de calcul des coefficients multiplicateurs de dissuasion, il y a lieu de rappeler que la motivation exigée par l’article 253 CE doit faire apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’autorité communautaire, auteur de l’acte incriminé, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63).

311    Il convient de relever, à cet égard, que, s’il est vrai que la décision attaquée n’indique pas la méthode selon laquelle la Commission est parvenue à établir le niveau précis des coefficients, il ressort de la jurisprudence que les exigences de la formalité substantielle que constitue l’obligation de motivation sont satisfaites lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction, sans être tenue d’y faire figurer un exposé plus détaillé ou les éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, points 39 à 47, et du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, points 463 et 464 ; arrêt du Tribunal du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑497, point 213).

312    En particulier, il a été jugé que l’indication des éléments chiffrés qui ont guidé, notamment quant à l’effet dissuasif recherché, l’exercice du pouvoir d’appréciation de la Commission dans la fixation des amendes est une faculté dont il est souhaitable que la Commission use, mais qui va au-delà des exigences découlant de l’obligation de motivation (arrêts Cascades/Commission, point 311 supra, points 47 et 48, et BASF/Commission, point 311 supra, point 214).

313    En l’espèce, la Commission a indiqué, au considérant 491 de la décision attaquée :

« [… L’]échelle des amendes susceptibles d’être infligées permet également de fixer leur montant à un niveau qui leur assure un effet suffisamment dissuasif, en tenant compte de la taille de chaque entreprise condamnée à une amende et des circonstances particulières de l’espèce. En ce qui concerne les entreprises ayant un chiffre d’affaires particulièrement élevé par rapport aux autres acteurs, l’application d’un coefficient multiplicateur est justifiée pour assurer un effet dissuasif suffisant. »

314    La Commission a ensuite indiqué, pour chacune des entreprises concernées, le chiffre d’affaires mondial en 2005 et le coefficient attribué, données qu’elle a reprises dans un tableau. ABB, avec un chiffre d’affaires mondial en 2005 de 18 038 millions d’euros, s’est vu appliquer un coefficient de 1,25. Melco, avec un chiffre d’affaires mondial en 2005 de 26 336 millions d’euros, s’est vu appliquer un coefficient de 1,5. Toshiba, avec un chiffre d’affaires mondial en 2005 de 46 353 millions d’euros, s’est vu appliquer un coefficient de 2. Hitachi, avec un chiffre d’affaires mondial en 2005 de 69 161 millions d’euros, s’est vu appliquer un coefficient de 2,5. Enfin, Siemens, avec un chiffre d’affaires mondial en 2005 de 75 445 millions d’euros, s’est vu appliquer un coefficient de 2,5.

315    Il ressort ainsi du considérant 491 de la décision attaquée que la Commission a estimé qu’une augmentation du montant de départ fixé pour Siemens s’imposait, afin d’assurer l’effet suffisamment dissuasif de l’amende, au vu de la taille et des ressources globales de cette entreprise. Il en ressort également que la Commission s’est appuyée, à cet égard, sur le chiffre d’affaires global en 2005.

316    À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle le chiffre d’affaires global donne une indication, fût-elle approximative et imparfaite, de la taille et de la puissance économique d’une entreprise (arrêts de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 121, et Baustahlgewebe/Commission, point 43 supra, point 139 ; arrêt BASF/Commission, point 3101 supra, point 212).

317    Il apparaît ainsi que, dans la décision attaquée, la Commission a exposé à suffisance de droit les éléments pris en considération pour l’augmentation des montants de départ des amendes aux fins de dissuasion, permettant ainsi à Siemens de connaître la justification de cette augmentation en ce qui concerne le montant de départ de son amende et de faire valoir ses droits, et mettant le juge en mesure d’exercer son contrôle. En revanche, au regard de la jurisprudence citée au point 312 ci-dessus, la Commission n’était pas tenue de fournir, dans la décision attaquée, les explications chiffrées qu’elle a fournies lors de l’audience, celles-ci ne faisant pas l’objet des exigences découlant de l’obligation de motivation.

318    Dès lors, il y a lieu de rejeter le grief tiré d’un défaut de motivation.

319    En deuxième lieu, il y a lieu de rejeter l’allégation de Siemens selon laquelle la Commission n’a pas fidèlement suivi, dans la détermination des coefficients de dissuasion, sa propre méthode, caractérisée par le chiffre d’affaires et le coefficient de dissuasion d’ABB en tant que « point de départ ». En effet, cet argument procède d’une confusion entre le coefficient de dissuasion, d’une part, et la majoration du montant de départ de l’amende résultant de l’application de ce coefficient, d’autre part. Or, si la Commission a affirmé avoir calculé les coefficients de dissuasion d’une manière proportionnelle au chiffre d’affaires des entreprises concernées, elle n’a pas affirmé, dans la décision attaquée ou dans ses écritures devant le Tribunal, qu’il devrait résulter de l’application de ces coefficients une majoration du montant de départ de l’amende qui serait à son tour proportionnelle au chiffre d’affaires. Au contraire, il découle nécessairement des chiffres exposés par la Commission au considérant 491 de la décision attaquée que le taux d’augmentation de l’amende dû à l’application du coefficient de dissuasion est progressif par rapport au chiffre d’affaires des entreprises concernées.

320    Ainsi que la Commission le fait valoir, la proportionnalité des coefficients de dissuasion peut aisément être vérifiée en établissant un graphique des différents coefficients appliqués par rapport aux chiffres d’affaires respectifs des entreprises concernées. Le graphique résultant d’un tel exercice est une droite et représente donc un rapport de proportionnalité pour toutes les entreprises concernées – à l’exception de Siemens, pour laquelle le rapport est même dégressif en ce qu’elle se voit appliquer le même coefficient que Hitachi, alors que son chiffre d’affaires mondial en 2005 était supérieur de plus de 6 milliards d’euros à celui de Hitachi. Un tel rapport de proportionnalité suffit aux exigences énoncées par le Tribunal dans son arrêt Degussa/Commission, point 260 supra (point 338), dans lequel il a précisé que la classification des entreprises par catégories aux fins de la détermination du coefficient de dissuasion, conformément au principe d’égalité de traitement, doit être objectivement justifiée. Il y a encore lieu de rappeler, à cet égard, que, conformément à la jurisprudence citée au point 316 ci-dessus, le chiffre d’affaires global des entreprises constitue un indicateur de leur taille et de leur puissance économique.

321    Dès lors, il ne saurait être question d’une application incohérente, par la Commission, de sa propre méthode de calcul, au détriment de Siemens. Par conséquent, le grief tiré du caractère excessif du coefficient de dissuasion, fondé sur une telle application incohérente, doit être rejeté.

322    Pour la même raison, Siemens ne saurait se prévaloir à bon droit de l’arrêt du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, point 86 supra (points 245 à 247), en ce qui concerne le calcul des coefficients de dissuasion. En effet, dans lesdits points de cet arrêt, le Tribunal a, en substance, reproché à la Commission de ne pas avoir suivi de manière logique et cohérente, à l’égard de toutes les entreprises concernées, la méthode qu’elle avait choisie pour déterminer le coefficient de dissuasion. Or, comme il vient d’être exposé, un tel reproche ne saurait être fait en l’espèce à la Commission.

323    En troisième lieu, il convient de relever que, si, contrairement aux coefficients de dissuasion, la majoration du montant de départ qui résulte de leur application n’est pas proportionnelle au chiffre d’affaires des entreprises concernées, mais progressive, cette circonstance résulte nécessairement de l’application de la méthode choisie par la Commission. Cette dernière a donc de toute évidence considéré qu’une telle majoration progressive par rapport au chiffre d’affaires était nécessaire afin d’assurer un effet suffisamment dissuasif des amendes à l’égard des entreprises concernées ayant un chiffre d’affaires particulièrement élevé. Le Tribunal ne saurait remplacer cette appréciation par sa propre appréciation du caractère suffisant du coefficient de dissuasion appliqué, et ce à plus forte raison en l’absence de tout élément factuel indiquant que le système appliqué par la Commission conduit à des résultats excédant ce qui est indispensable pour assurer le caractère suffisamment dissuasif des amendes.

324    Par conséquent, il y a lieu de rejeter la deuxième branche du troisième moyen.

C –  Sur la troisième branche du troisième moyen, tirée d’une erreur dans la détermination de la durée de l’infraction

325    Siemens fait valoir que, puisque l’infraction est prescrite en ce qui concerne la période antérieure à avril 1999, la Commission s’est fondée sur une durée incorrecte pour majorer le montant de départ de l’amende. Elle estime que la Commission ne pouvait lui reprocher qu’une infraction de durée moyenne justifiant, en vertu des lignes directrices, une majoration de 20 % par rapport au montant de départ de l’amende.

326    La Commission conteste les arguments de Siemens.

327    À cet égard, il suffit de rappeler que, dès lors que l’exception de prescription soulevée par Siemens, s’agissant de la première phase de l’infraction, doit être rejetée (voir points 236 à 255 ci-dessus), la présente branche, fondée sur la même exception de prescription, doit également être rejetée.

D –  Sur la quatrième branche du troisième moyen, tirée de la qualification erronée de Siemens de meneur de l’entente

328    Dans le cadre de la quatrième branche du troisième moyen, visant la qualification erronée de meneur qui lui aurait été appliquée, Siemens soulève trois griefs, tirés, premièrement, du fait qu’ABB a joué le rôle de meneur de l’entente, deuxièmement, du fait qu’elle-même n’a pas joué ce rôle et, troisièmement, du caractère excessif de la majoration du montant de base de l’amende qui lui a été infligée en raison de son rôle de meneur de l’entente. Elle invoque, à cet égard, une violation par la Commission de l’obligation de motivation et des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité des peines.

329    Il y a lieu d’examiner ensemble les premier et deuxième griefs avant d’examiner le troisième grief.

1.     Sur les premier et deuxième griefs, tirés du fait qu’ABB et non Siemens a joué le rôle de meneur de l’entente

a)     Arguments des parties

330    Siemens estime avoir démontré qu’elle n’a pas joué le rôle de meneur de l’entente. À cet égard, en premier lieu, elle rappelle que les faits qui lui sont reprochés concernant la période de 1988 à 1999 sont prescrits et que, dès lors, cette période ne saurait être prise en compte comme une circonstance aggravante pour le calcul du montant de l’amende. En deuxième lieu, Siemens fait valoir que la Commission interprète de manière incorrecte la notion de meneur et méconnaît la nature purement administrative des services de secrétariat qu’elle a assumés au sein de l’entente. En troisième lieu, selon Siemens, la Commission ne prend pas en compte le fait que, pendant la période de 2002 à 2004, elle n’a assumé aucun rôle de secrétariat.

331    Siemens affirme, par ailleurs, que la Commission méconnaît le rôle d’instigateur et de meneur joué par ABB pendant la période de 1988 à 1999, qui contredit sa qualité de meneur pendant la même période. Selon elle, le rôle joué par ABB en tant qu’instigateur, directeur et moteur de l’entente aurait été beaucoup plus important que le rôle de secrétaire européen de l’entente assumé par elle pendant la première phase de sa participation à l’infraction, la Commission ayant surestimé ce dernier. Siemens estime qu’il ne peut être remédié à cette inégalité de traitement que par l’annulation de la majoration du montant de base de l’amende qui lui a été infligée.

332    La Commission conteste les arguments de Siemens.

b)     Appréciation du Tribunal

 Sur le rôle de meneur de l’entente

333    Au considérant 514 de la décision attaquée, la Commission a retenu notamment à l’encontre de Siemens le rôle de « meneur » de l’infraction, au sens du point 2, troisième tiret, des lignes directrices, du fait d’avoir tenu le rôle de secrétaire européen de l’entente. Elle a estimé, aux considérants 514 et 522 de la décision attaquée, que le montant de base de l’amende à infliger à Siemens devait être majoré de 50 %, ce qui portait ce montant à 396 562 000 euros.

334    En ce qui concerne, tout d’abord, l’argument de Siemens selon lequel la Commission l’aurait erronément qualifiée de meneur pour la deuxième phase de sa participation à l’entente, de 2002 à 2004, il y a lieu de le rejeter comme manquant en fait. En effet, s’il est vrai que les considérants 511 à 514 de la décision attaquée, dans lesquels est apprécié le rôle de meneur dans le cadre de l’examen des circonstances aggravantes, ne contiennent pas de précisions quant aux périodes pour lesquelles la Commission a qualifié Siemens et Alstom ou Areva de meneurs, le considérant 147 de la décision attaquée énonce expressément que « la fonction de [secrétaire européen de l’entente] a été exercée jusqu’en septembre 1999 par Siemens, suivie d’Alstom pendant la période 1999-2004 ». Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que la Commission a qualifié Siemens de meneur pour la période de 2002 à 2004.

335    Ensuite, s’agissant de la prétendue prescription des faits concernant la période de 1988 à 1999, il est renvoyé aux considérations énoncées aux points 236 à 255 ci-dessus, selon lesquelles il n’y a pas prescription de la première phase de l’infraction s’agissant de la participation de Siemens.

336    Enfin, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant de base des amendes, d’examiner la gravité relative de la participation de chacune d’entre elles (arrêts de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 623, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 48 supra, point 92 ; arrêts Groupe Danone/Commission, point 66 supra, point 277, et BASF/Commission, point 311 supra, point 280). Cet exercice implique, en particulier, d’établir leurs rôles relatifs dans l’infraction pendant la durée de leur participation à celle-ci (arrêts Commission/Anic Partecipazioni, point 43 supra, point 150 ; Groupe Danone/Commission, point 66 supra, point 277, et BASF/Commission, point 311 supra, point 280). À cet égard, la liste non exhaustive de circonstances pouvant justifier une majoration du montant de base de l’amende, établie au point 2 des lignes directrices, comprend notamment, en son troisième tiret, le « rôle de meneur ou d’incitateur de l’infraction » joué par l’entreprise.

337    Selon la jurisprudence, pour être qualifiée de « meneur » d’une entente, une entreprise doit avoir représenté une force motrice significative pour l’entente (arrêts du Tribunal BASF/Commission, point 311 supra, point 374, et du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, T‑410/03, Rec. p. II‑881, point 423), ou avoir porté une responsabilité particulière et concrète dans le fonctionnement de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt BASF/Commission, point 311 supra, point 300). Cette circonstance doit être appréciée d’un point de vue global au regard du contexte de l’espèce (voir, en ce sens, arrêt BASF/Commission, point 311 supra, points 299 et 373). La qualification de « meneur » a notamment été retenue par la jurisprudence lorsqu’il a été établi que l’entreprise a exercé des fonctions de coordinateur au sein de l’entente et a, notamment, organisé et doté en personnel le secrétariat chargé de la mise en œuvre concrète de l’entente (arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, ci-après l’arrêt « ADM », points 246 et 247), ou lorsque ladite entreprise a joué un rôle central dans le fonctionnement concret de l’entente, par exemple en organisant de nombreuses réunions, en collectant et en distribuant les informations au sein de l’entente, en se chargeant de représenter certains membres dans le cadre de l’entente ou en formulant le plus souvent des propositions relatives au fonctionnement de l’entente (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 8 novembre 1983, IAZ International Belgium e.a./Commission, 96/82 à 102/82, 104/82, 105/82, 108/82 et 110/82, Rec. p. 3369, points 57 et 58, et arrêt BASF/Commission, point 311 supra, points 404, 439 et 461).

338    En l’espèce, ainsi qu’il ressort des considérants 511 à 513 de la décision attaquée, la Commission a tenu compte de ce que le secrétariat européen de l’entente a subsisté pendant toute la durée de l’entente et qu’il est resté stable dans le temps, malgré le changement de nombreuses caractéristiques organisationnelles de l’entente. Les tâches de ce secrétariat auraient été nombreuses. Par renvoi aux considérants 121 à 123, 131, 132, 142, 147 à 149, 157 à 161, 173 et 185 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que le secrétariat européen de l’entente a servi d’outil de communication entre les entreprises européennes membres de l’entente ainsi qu’entre ces dernières et le secrétariat japonais, qu’il a convoqué et présidé les réunions et qu’il a été responsable de la comptabilisation des quotas. Siemens n’a pas contesté ces faits devant le Tribunal. La Commission a estimé qu’il ressort clairement du contenu de l’accord GQ et de celui de l’accord EQ, ainsi que du fonctionnement concret de l’entente, que le rôle du secrétaire européen de l’entente était essentiel. En prenant l’initiative et en consacrant des ressources considérables à l’entente, ledit secrétaire européen aurait rendu un service considérable à ladite entente et aurait contribué de manière toute particulière à son bon fonctionnement.

339    Siemens n’a contesté ni lors de la procédure administrative devant la Commission, ni devant le Tribunal avoir assumé, pendant la première phase de sa participation à l’entente de 1988 à 1999, les fonctions de secrétaire européen de l’entente. Le fait qu’elle remplissait ce rôle ressort, par ailleurs, des témoignages de ses anciens employés MM. E. et Tr. (voir, à cet égard, point 222 ci-dessus). Toutefois, elle fait valoir que, en l’espèce, ledit secrétaire européen ne pouvait pas être qualifié de meneur, puisque son rôle se limitait à des tâches de communication et n’impliquait ni la prise d’initiatives ni un état d’esprit particulièrement contraire aux règles de concurrence et puisqu’il ne disposait d’aucun pouvoir décisionnaire.

340    À cet égard, il y a lieu de constater que les tâches exercées par le secrétaire européen de l’entente conféraient à celui-ci le rôle d’un chef de file dans la coordination de l’entente et, en tout état de cause, dans le fonctionnement concret de celle-ci. La Commission a en effet pu considérer à bon droit, dans la décision attaquée, que ledit secrétaire européen était le point de contact entre les membres de l’entente et qu’il jouait un rôle crucial dans son fonctionnement concret en ce qu’il facilitait l’échange d’informations en son sein et qu’il centralisait, compilait et échangeait avec les autres membres de l’entente des informations essentielles à son fonctionnement. Cela concernait notamment les informations relatives aux projets d’AIG, puisque le secrétaire organisait et assurait le secrétariat des réunions de travail.

341    Ce rôle crucial n’est pas remis en cause par l’existence du comité du groupe européen qui jouait lui aussi un rôle important dans l’entente. Par ailleurs, il n’est pas contesté que Siemens fût également un membre permanent de ce comité. Dès lors, ses fonctions de secrétaire européen de l’entente venaient se greffer sur sa qualité de membre permanent du comité et la distinguaient des autres membres permanents du comité, à savoir, ABB et Alstom.

342    En outre, la Commission a pu considérer à bon droit, aux considérants 147 et 513 de la décision attaquée, que la tenue du secrétariat de l’entente était une responsabilité importante impliquant des ressources substantielles, ne fût-ce qu’en termes de temps et de personnel mis à disposition. Sans la coordination et l’organisation centrale assurées par le secrétaire européen de l’entente, cette dernière n’aurait sans doute pas pu, au regard de sa complexité, fonctionner aussi efficacement. Par ailleurs, compte tenu du fait qu’il n’est pas contesté que Siemens a exécuté lesdites tâches de manière durable, dès le début de l’entente en 1988 jusqu’à l’interruption de sa participation en 1999, la Commission a pu conclure à bon droit que ladite entreprise avait, en l’espèce, représenté une force motrice significative pour l’entente et, de la sorte, tenu un « rôle de meneur de l’infraction », au sens du point 2, troisième tiret, des lignes directrices.

343    Les arguments de Siemens relatifs au rôle de meneur d’ABB ne sont pas de nature à remettre en cause cette conclusion.

344    S’agissant, tout d’abord, de l’argument de Siemens selon lequel le rôle de meneur d’ABB contredirait sa qualité de meneur, il y a lieu de rejeter la prémisse sous-tendant cet argument, selon laquelle le rôle de meneur d’une entente ne peut être rempli que par une seule entreprise à la fois.

345    En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il est tout à fait possible que deux, voire plusieurs, entreprises se voient simultanément attribuer la qualité de meneur, notamment dans le cadre d’une entente impliquant un nombre élevé de participants, comme l’entente sur les projets d’AIG l’a été, du moins pendant la première phase de son fonctionnement (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal BASF/Commission, point 311 supra, points 439 et 440, et du 26 avril 2007, Bolloré e.a./Commission T‑109/02, T‑118/02, T‑122/02, T‑125/02, T‑126/02, T‑128/02, T‑129/02, T‑132/02 et T‑136/02, Rec. p. II‑947, point 561, et la jurisprudence citée).

346    Dès lors, à supposer même qu’ABB doive être qualifiée de meneur de l’entente sur les AIG, cela ne signifierait pas que Siemens ne puisse pas également être qualifiée de meneur.

 Sur la prétendue inégalité de traitement de Siemens par rapport à ABB

347    Ensuite, il convient d’examiner l’argument de Siemens selon lequel, en lui attribuant le rôle de meneur et en ne l’attribuant pas à ABB, la Commission a violé le principe d’égalité de traitement, puisqu’ABB aurait joué un rôle d’instigateur et de meneur. Cet argument doit être rejeté pour deux raisons.

348    D’une part, s’agissant du prétendu rôle d’instigateur d’ABB, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il résulte du libellé même du point 2, troisième tiret, des lignes directrices, il convient de distinguer la notion de « meneur » de celle d’« incitateur » d’une infraction. En effet, alors que le rôle d’incitateur a trait au moment de l’établissement ou de l’élargissement d’une entente, le rôle de meneur a trait au fonctionnement de celle-ci (arrêt BASF/Commission, point 311 supra, point 316). Dès lors, le meneur d’une infraction et l’incitateur de cette dernière ne se trouvent pas dans une situation comparable, de sorte que, à supposer même que la Commission se soit abstenue, de manière erronée, de qualifier ABB d’incitateur de l’entente, le fait de traiter différemment cette société et Siemens ne constitue pas une violation du principe d’égalité de traitement.

349    D’autre part, il n’est ni établi ni même allégué qu’ABB a assumé les fonctions de secrétaire européen de l’entente ou même qu’elle a exercé seule, de manière stable et durable, l’ensemble des fonctions habituellement dévolues audit secrétaire européen. En outre, s’il est généralement admis, même par la Commission, qu’ABB a joué un « rôle significatif » au sein de l’entente, il n’a pas été démontré que ce rôle ait été comparable, du point de vue du fonctionnement de l’entente, à celui joué par Siemens et par Alstom ou Areva en tant que secrétaires européens de l’entente.

350    Les allégations de Siemens à cet égard ne sont pas susceptibles de remettre en cause ce constat.

351    En premier lieu, le rappel, par Siemens, du rôle joué par ABB au sein de l’entente sur les conduites précalorifugées à la fin des années 80 est hors de propos dans le cadre de la présente affaire – mis à part le fait, correctement retenu dans la décision attaquée, qu’ABB devait être qualifiée de récidiviste en matière d’ententes.

352    En second lieu, les éléments du dossier invoqués par Siemens ne sont pas de nature à étayer son argument selon lequel ABB devait être qualifiée de meneur de l’entente.

353    En effet, contrairement à ce que soutient Siemens, la circonstance que, au sein d’ABB, la décision de participer à l’entente a pu être prise au plus haut niveau, à la supposer démontrée, ne confirme aucunement le rôle moteur d’ABB dans l’entente. Il en va de même du fait que deux employés d’ABB étaient successivement, selon les indications de M. M., le « European speaker ». Cette circonstance ne confère pas à cette entreprise une position de meneur au sein de l’entente. À cet égard, il convient de relever que la nature de la tâche du « European speaker » ne ressort pas des pièces du dossier ni, en particulier, des écritures de Siemens. De plus, le fait que ni l’accord GQ ni l’accord EQ ne mentionnent cette fonction permet de présumer que les fonctions du « European speaker » ne revêtaient pas une grande importance dans le fonctionnement de l’entente.

354    De même, s’il est vrai que la note en bas de page n° 153 de la décision attaquée mentionne, ainsi que Siemens le fait valoir, une déclaration d’Areva selon laquelle ABB aurait présidé les réunions au niveau de la direction, l’insertion de ladite note en bas de page sous le considérant 147 de la décision attaquée et le libellé de la déclaration d’Areva font clairement apparaître que cette déclaration ne se rapporte qu’à la période comprise entre 2002 et 2004. La Commission ne reproche pas à Siemens d’avoir tenu le secrétariat de l’entente pendant cette période relativement courte – en effet, c’est Alstom ou Areva qui exerçait ce rôle pendant cette période. Or, Siemens n’indique pas en quoi le fait, à le supposer démontré, qu’ABB ait pu présider les réunions au niveau de la direction pendant une période d’à peine deux ans pendant laquelle le secrétariat était tenu par Alstom ou Areva rendrait le rôle d’ABB comparable à celui de Siemens dans la période de plus de onze ans pendant laquelle cette dernière a tenu le rôle de secrétaire européen de l’entente.

355    Le fait, relevé par Siemens, qu’ABB et Alstom avaient décidé, en 2000, d’exclure l’entreprise VA Tech de l’entente, au moyen de la mise en scène d’une « soirée d’adieu », ne démontre pas le rôle de meneur d’ABB. En effet, étant donné que, à la suite de la concentration ayant eu lieu sur le marché en cause, il ne restait plus que trois entreprises européennes dans l’entente après l’interruption de sa participation par Siemens, il ne saurait être question d’un rôle de meneur lorsque deux de ces entreprises s’allient contre la troisième.

356    Enfin, l’allégation de Siemens selon laquelle ABB a joué un rôle déterminant dans l’organisation et la mise en œuvre des mesures de rétorsion adoptées contre Siemens après son départ n’est étayée par aucun élément de preuve. En effet, ni le considérant 169 de la décision attaquée, ni la déclaration de M. M. qui est citée dans ce considérant ne contiennent la moindre indication d’un rôle déterminant qu’ABB aurait joué dans l’organisation ou la mise en œuvre de ces mesures de rétorsion.

357    Dès lors, Siemens n’a pas établi qu’ABB a été dans une situation comparable à la sienne, au regard de sa qualité de meneur, de sorte que le traitement différent qui leur a été appliqué est justifié.

358    En tout état de cause, à supposer même que la Commission se soit erronément abstenue de qualifier ABB de meneur de l’entente, malgré le rôle significatif joué par l’entreprise ABB au sein de l’entente, une telle illégalité, commise en faveur d’autrui, ne justifierait pas qu’il soit fait droit au moyen d’annulation soulevé par Siemens. En effet, selon une jurisprudence constante, le respect du principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination doit se concilier avec le respect du principe de légalité, ce qui implique que nul ne peut invoquer à son profit une illégalité commise en faveur d’autrui (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 octobre 1984, Witte/Parlement, 188/83, Rec. p. 3465, point 15 ; arrêts du Tribunal SCA Holding/Commission, point 184 supra, point 160 ; du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II‑1751, point 334, et LR AF 1998/Commission, point 87 supra, point 367).

359    Or, comme il a été exposé aux points 339 à 342 ci-dessus, c’est à bon droit que la Commission a retenu, à l’égard de Siemens, la qualification de meneur de l’entente. Dès lors, dans la mesure où l’argumentation de Siemens tend précisément à ce que l’on s’abstienne illégalement d’augmenter son amende, elle ne saurait, par conséquent, être accueillie (voir, en ce sens, arrêts Mayr-Melnhof/Commission, point 358 supra, point 334, et SCA Holding/Commission, point 184 supra, point 160).

360    Par conséquent, il y a lieu de rejeter les griefs de Siemens tirés du fait qu’elle n’a pas joué le rôle de meneur dans l’entente et du fait qu’ABB devait être qualifiée d’incitateur ou de meneur de l’entente.

2.     Sur le troisième grief, tiré du caractère excessif de la majoration du montant de base de l’amende infligée à Siemens en raison de son rôle de meneur de l’entente

a)     Arguments des parties

361    Siemens fait valoir, à titre subsidiaire, que, même si l’exercice temporaire d’activités de secrétariat devait justifier la qualification de meneur, la majoration de 50 % appliquée par la Commission est excessive et constitue une violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité. Se prévalant de la pratique décisionnelle de la Commission, Siemens soutient qu’une majoration de 50 % du montant de base de l’amende suppose l’existence d’autres circonstances aggravantes en plus du simple fait, pour l’entreprise concernée, d’avoir exercé des activités de secrétariat. Elle conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de réduire de manière substantielle la majoration qui lui a été appliquée, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction.

362    La Commission conteste les arguments de Siemens.

b)     Appréciation du Tribunal

363    Premièrement, il convient de constater que l’argument selon lequel une majoration de 50 % serait supérieure à la majoration généralement appliquée dans les autres décisions de la Commission n’est pas de nature à révéler une violation du principe de proportionnalité (arrêt Bolloré e.a./Commission, point 345 supra, point 579 ; voir également, en ce sens, arrêt ADM, point 337 supra, point 248).

364    À cet égard, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, lors de la détermination du montant de chaque amende, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation et n’est pas tenue d’appliquer, à cet effet, une formule mathématique précise (arrêts du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T‑150/89, Rec. p. II‑1165, point 59 ; du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, point 268, et Bolloré e.a./Commission, point 345 supra, point 580). Dès lors, Siemens ne saurait tirer argument des majorations appliquées par la Commission dans d’autres affaires pour fonder le grief tiré d’une violation du principe de proportionnalité.

365    Deuxièmement, en ce qui concerne l’argument de Siemens selon lequel la majoration de 50 % de l’amende en raison de son rôle de meneur de l’entente viole aussi le principe d’égalité de traitement dans la mesure où ABB a joué un rôle moteur dans l’entente, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été constaté aux points 352 à 357 ci-dessus, Siemens n’est pas parvenue à démontrer que, sur le fondement des pièces du dossier, le rôle d’ABB devrait être qualifié d’équivalent au sien. En particulier, le prétendu rôle moteur d’ABB au sein de l’entente n’est étayé par aucun élément. Dès lors, ABB et Siemens ne se trouvant pas dans la même situation, la Commission n’était pas tenue de les traiter de la même manière.

366    Par ailleurs, à supposer même que, ainsi que l’allègue Siemens, la prétendue qualité d’ABB, en tant que moteur de l’entente, impose de qualifier le rôle de cette entreprise d’équivalent à celui de Siemens, qualification que la Commission aurait alors erronément omise, une telle illégalité, commise en faveur d’autrui, ne justifierait pas qu’il soit fait droit au moyen d’annulation soulevé par Siemens. En effet, comme il a été rappelé au point 358 ci-dessus, le respect du principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination doit se concilier avec le respect du principe de légalité, ce qui implique que nul ne peut invoquer à son profit une illégalité commise en faveur d’autrui.

367    Troisièmement, s’agissant du caractère proportionné de la majoration au titre de la qualité de meneur de Siemens, il ressort de la jurisprudence que le fait, pour une entreprise, d’avoir agi en tant que chef de file d’une entente implique qu’elle doit porter une responsabilité particulière par rapport aux autres entreprises (voir, en ce sens, arrêts de la Cour IAZ International Belgium e.a./Commission, point 337 supra, points 57 et 58, et du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C‑298/98 P, Rec. p. I‑10157, point 45 ; arrêt Mayr‑Melnhof/Commission, point 358 supra, point 291).

368    En l’espèce, compte tenu de l’importance des tâches assumées par Siemens au sein de l’entente, en sa qualité de secrétaire européen de l’entente, telles que décrites aux points 338, 340 et 342 ci-dessus, une majoration de 50 % ne saurait être qualifiée de disproportionnée.

369    Dès lors, il y a lieu de rejeter le troisième grief et, par conséquent, la quatrième branche du troisième moyen.

E –  Sur la cinquième branche du troisième moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation s’agissant de l’absence de réduction de l’amende au titre de la communication sur la coopération

1.     Arguments des parties

370    Siemens fait valoir que c’est à tort que la Commission ne lui a accordé aucune réduction du montant de l’amende en application de la communication sur la coopération. Elle fait valoir qu’elle a produit des preuves ayant une valeur ajoutée significative et cite à ce propos la communication d’une série de réunions de l’entente, un fichier reconstitué, un courrier d’un avocat concernant le fonctionnement de l’entente entre 2002 et 2004, le résultat de l’inspection interne de Siemens en 2005 et les témoignages de ses anciens employés, MM. Tr., E. et Sch.

371    La Commission conteste les arguments de Siemens.

2.     Appréciation du Tribunal

372    Conformément au paragraphe 21 de la communication sur la coopération, afin de pouvoir prétendre à une réduction de l’amende au titre de ladite communication, une entreprise doit notamment fournir à la Commission des éléments de preuve de l’infraction présumée qui apportent une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission.

373    Aux termes du paragraphe 22 de la communication sur la coopération, la notion de « valeur ajoutée » vise la mesure dans laquelle les éléments de preuve fournis renforcent, par leur nature même et/ou leur niveau de précision, la capacité de la Commission d’établir les faits en question.

374    Selon la jurisprudence, la réduction du montant des amendes en cas de coopération des entreprises participant à des infractions au droit communautaire de la concurrence trouve son fondement dans la considération selon laquelle une telle coopération facilite la tâche de la Commission visant à constater l’existence d’une infraction et, le cas échéant, à y mettre fin (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 285 supra, point 399 ; arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 325 ; Finnboard/Commission, T‑338/94, Rec. p. II‑1617, point 363, et Mayr-Melnhof/Commission, point 358 supra, point 330).

375    Comme cela est mentionné au paragraphe 29 de la communication sur la coopération, celle-ci a créé des attentes légitimes sur lesquelles se fondent les entreprises souhaitant informer la Commission de l’existence d’une entente. Eu égard à la confiance légitime que les entreprises souhaitant collaborer avec la Commission ont pu tirer de cette communication, la Commission est donc obligée de s’y conformer lors de l’appréciation, dans le cadre de la détermination du montant de l’amende imposée à Siemens, de la coopération de celle-ci (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 15 mars 2006, Daiichi Pharmaceutical/Commission, T‑26/02, Rec. p. II‑713, point 147, et la jurisprudence citée).

376    Dans les limites tracées par la communication sur la coopération, la Commission jouit cependant d’un large pouvoir d’appréciation pour évaluer si les éléments de preuve communiqués par une entreprise apportent ou non une valeur ajoutée au sens du paragraphe 22 de la communication sur la coopération et s’il y a lieu de concéder une réduction à une entreprise au titre de cette communication (voir, par analogie, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 285 supra, points 393 et 394, et arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, Rec. p. II‑5169, point 532). Cette évaluation fait l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint.

377    En l’espèce, il y a donc lieu de vérifier si la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation, en estimant que les déclarations de Siemens mentionnées aux considérants 533 à 536 de la décision attaquée n’apportaient pas une valeur ajoutée significative.

378    En ce qui concerne ces déclarations, il convient de relever, à titre liminaire, que les informations fournies par Siemens entre le 28 mai 2004, date de sa demande au titre de la communication sur la coopération, et la communication des griefs à la fin d’avril 2006 ne concernaient que la seconde phase de sa participation à l’entente, à savoir la période allant de 2002 à 2004. En revanche, elle a observé, jusqu’à la communication des griefs, le silence quant à sa participation à l’infraction entre 1988 et 1999.

379    Par ailleurs, il y a lieu de souligner que, dans toutes ses communications au titre de sa coopération avec la Commission, Siemens a toujours contesté que les accords auxquels elle avait participé avaient pour objet des projets d’AIG au sein de l’EEE ou avaient eu des effets au sein de l’EEE. Plutôt qu’un esprit de coopération sincère, ces communications font donc apparaître une tentative de dissimuler, dans toute la mesure du possible, le véritable contenu des accords, tel que prouvé par la Commission dans la décision attaquée.

380    Toutefois, la condition de coopération totale posée par le paragraphe 11 de la communication sur la coopération ne s’applique qu’aux demandes d’immunité d’amendes et non aux demandes de clémence, ainsi qu’il résulte du paragraphe 20 de cette communication. Dès lors, le manque évident de sincérité dans les déclarations de Siemens n’empêche pas qu’il lui soit accordé une réduction de l’amende dans la mesure où, conformément au paragraphe 21 de ladite communication, elle aurait fourni des éléments de preuve d’une valeur ajoutée significative.

381    S’agissant de la prétendue valeur ajoutée des informations fournies par Siemens, premièrement, elle fait valoir que, dans sa lettre du 28 mai 2004, elle a décrit « plus en détail toute une série de réunions de l’entente ».

382    À cet égard, il y a lieu de relever que, dans sa demande du 28 mai 2004 au titre de la communication sur la coopération, Siemens a reconnu que ses employés MM. R., S. et Ze. ont eu, à partir du début de l’année 2002, des contacts avec ABB, Alstom ou Areva et le groupe VA Tech et qu’elle a produit une première liste de réunions au niveau de la direction et au niveau opérationnel. Toutefois, elle a indiqué que l’objet de ces contacts était le « benchmarking » – c’est-à-dire l’échange de bonnes pratiques aux fins de l’augmentation de la compétitivité des entreprises du secteur – et de discuter la possibilité de coopérer en matière de fournitures communes ou de l’échange de produits préliminaires. En outre, Siemens a également reconnu qu’un nombre très limité de projets concrets avait été discuté lors de ces réunions. Néanmoins, elle a indiqué qu’il ne s’agissait que de projets internationaux sans aucun rapport avec l’EEE. De plus, ces projets n’auraient pas fait l’objet d’accords sur les prix, mais il aurait été fait appel à un comportement « raisonnable » des producteurs en ce qui concerne le niveau de leurs offres.

383    Ces informations ne sauraient être qualifiées d’« éléments de preuve de l’infraction présumée », au sens du paragraphe 21 de la communication sur la coopération, puisqu’elles ne font état que de contacts absolument anodins entre les producteurs européens d’AIG. De plus, comme la Commission l’a indiqué au considérant 534 de la décision attaquée, sans être contredite par Siemens, elle avait déjà connaissance de ces réunions ainsi que de leurs participants.

384    Deuxièmement, Siemens fait valoir qu’elle a décodé et fourni à la Commission des données.

385    À cet égard, il y a lieu de relever que, dans sa lettre du 23 juillet 2004, Siemens a produit divers documents. En premier lieu, elle a produit une liste de projets d’AIG pour lesquels des offres devaient être soumises dans les années 2002 et 2003, situés exclusivement hors de l’EEE, avec indication des producteurs auxquels ils avaient été attribués, cette liste ayant été reconstituée à partir d’un fichier saisi lors des inspections effectuées par la Commission dans ses locaux. En deuxième lieu, elle a produit une liste des communications qui avaient été faites, entre le 22 avril et le 22 mai 2004, avec la carte SIM de son employé M. Ze. En troisième lieu, elle a produit plusieurs documents découverts sur l’ordinateur portable de M. Ze. et évoquant les possibilités de coopération bilatérale envisagées avec les autres producteurs d’AIG.

386    S’agissant de la liste de projets, elle ne contient aucun projet d’AIG en Europe et n’est donc pas susceptible de fournir des informations sur les effets de l’entente au sein de l’EEE. En ce qui concerne la liste des communications téléphoniques, elle ne contient que la date, l’heure et la durée des appels sortants ainsi que le numéro appelé. En outre, Siemens n’a pas indiqué dans quelle mesure cette liste aurait pu servir à la Commission pour établir l’existence de l’entente – d’autant plus qu’elle se rapporte à une période (avril et mai 2004) pendant laquelle, selon Siemens, l’entente avait déjà cessé d’exister. Enfin, les documents provenant de l’ordinateur portable de M. Ze. ne font état que de projets de coopération anodins et ne présentant aucun rapport avec l’entente en cause, tels des activités de benchmarking et l’éventuelle formation de consortiums pour certains projets.

387    Dès lors, aucun de ces documents ne saurait être qualifié d’élément de preuve renforçant la capacité de la Commission d’établir l’existence de l’entente.

388    Troisièmement, Siemens fait valoir qu’elle a communiqué un courrier rédigé au nom de ses anciens employés ayant participé à l’entente, qui décrivait « de manière détaillée le mode de fonctionnement de l’entente » et énumérait « de manière minutieuse les accords portant sur différents projets [d’AIG] dans l’EEE ». Selon elle, ce document constitue un « document précis relatant les accords conclus entre 2002 et 2004 ».

389    À cet égard, il y a lieu d’observer que, le 7 décembre 2004, Siemens a effectivement communiqué à la Commission un courrier daté du 25 novembre 2004, rédigé par le conseil juridique d’anciens collaborateurs de Siemens non identifiés. Siemens suppose qu’il s’agit de M. R., de M. S. et/ou de M. Z., par lesquels, selon les constatations de la Commission, elle se faisait représenter lors de la seconde phase de sa participation à l’entente. Dans ce courrier, sont résumées les déclarations de ces employés et il est, notamment, indiqué que, au cours de réunions ayant eu lieu, à partir du mois d’octobre 2002, avec ABB, Alstom et le groupe VA Tech, il avait été discuté de projets d’AIG dans le marché commun, en vue de coordonner les comportements, de conclure des accords et de fixer des prix, qu’Alstom s’était chargée de tâches de secrétariat et que la communication s’était faite par voie téléphonique, par fax et par e-mails encodés. Dans sa lettre de transmission en date du 7 décembre 2004, Siemens a indiqué que, à la lumière du contenu dudit courrier, ses déclarations antérieures étaient éventuellement incomplètes ou même erronées. Elle a également précisé, contrairement à ce qu’elle affirme devant le Tribunal, que « les informations transmises [n’étaient] pas très détaillées ».

390    Si ces informations revêtent une certaine valeur probante au regard de l’infraction – la Commission ayant cité le courrier du 25 novembre 2004 à la note en bas de page n° 153 de la décision attaquée comme confirmant le fait qu’Alstom ou Areva avait tenu le secrétariat européen à la suite du départ de Siemens en 1999 –, elles ne font que confirmer les éléments que la Commission détenait déjà auparavant. En effet, Areva avait elle-même reconnu, dans un document transmis à la Commission par fax le 25 mai 2004, avoir tenu le secrétariat. Dès lors, les informations soumises par Siemens ne sauraient être qualifiées d’apportant une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission.

391    Quatrièmement, Siemens fait valoir qu’elle a analysé la situation de la concurrence sur les principaux marchés de l’Union et a présenté ses conclusions à la Commission et qu’aucune autre entreprise n’a fourni des informations aussi détaillées sur le contexte du marché et de la concurrence.

392    À cet égard, il convient d’observer que, le 4 juillet 2005, Siemens a communiqué à la Commission le résumé écrit d’une inspection interne. Elle a indiqué que, dans le cadre de cette inspection, il avait notamment été procédé à un examen de la totalité des projets d’AIG qu’elle avait réalisés en Europe entre janvier 2000 et avril 2004, sous l’angle du respect des dispositions légales en matière d’ententes. Selon elle, malgré les efforts considérables qu’elle avait consentis, cette inspection n’avait pas abouti à des résultats concrets susceptibles de confirmer les griefs formulés par la Commission et n’avait pas permis de constater des irrégularités permettant de conclure à l’existence d’accords entre les concurrents s’agissant de projets particuliers au sein de l’Union.

393    Dès lors, il n’est pas possible d’attribuer une valeur probante aux informations transmises par Siemens le 4 juillet 2005. En particulier, il n’apparaît pas que les prétendues « informations détaillées sur le contexte du marché et de la concurrence » ont renforcé la capacité de la Commission d’établir l’infraction constatée dans la décision attaquée et sont donc d’une valeur ajoutée significative.

394    Cinquièmement, Siemens fait valoir qu’elle a transmis à la Commission les témoignages de ses anciens employés MM. Tr., E. et Sch., qui contenaient des informations détaillées sur la conclusion de l’accord GQ et sur le rôle joué par ABB au sein de l’entente.

395    À cet égard, il convient de relever que, en annexe à une lettre du 7 août 2006, Siemens a communiqué à la Commission les procès-verbaux des témoignages de ses anciens employés MM. Tr., E. et Sch. Dans ladite lettre, le conseil juridique de Siemens a résumé la substance desdits témoignages. Il a notamment indiqué que c’est BBC, devenue ABB, qui avait pris l’initiative de l’accord GQ et qui avait été le moteur des discussions préliminaires au sein des producteurs européens, que l’accord GQ visait les marchés du Moyen-Orient et ne concernait pas des projets européens, que Siemens s’était distanciée de l’accord GQ à la fin 1998 ou, au plus tard, au début de 1999, et que l’entente à laquelle Siemens avait participé entre 2002 et 2004 n’avait aucun rapport avec l’entente antérieure fondée sur l’accord GQ.

396    Il convient également d’observer que ces informations ont été transmises plus de trois mois après la communication des griefs intervenue à la fin d’avril 2006, dans laquelle la Commission avait déjà présenté ses moyens de preuve relatifs à l’infraction reprochée aux producteurs d’AIG. En outre, le seul élément nouveau qui se dégage de l’ensemble de ces témoignages est l’affirmation selon laquelle ABB aurait été l’incitateur et le moteur lors de la conclusion de l’accord GQ. Or, comme il a été constaté aux points 350 à 357 ci-dessus, cette affirmation n’est pas étayée par les autres éléments du dossier. Dès lors, les témoignages de MM. Tr., E. et Sch. ne sauraient être qualifiés d’éléments ayant renforcé la capacité de la Commission d’établir l’infraction constatée dans la décision attaquée et ayant apporté une valeur ajoutée significative.

397    Il découle de ce qui précède que la Commission n’a pas violé la communication sur la coopération en refusant d’accorder à Siemens une réduction de l’amende qui lui a été infligée. Par conséquent, il y a lieu de rejeter la cinquième branche du troisième moyen.

F –  Sur la sixième branche du troisième moyen, tirée du fait que la DG « Concurrence » aurait de facto contraint le collège des commissaires

1.     Arguments des parties

398    Siemens dénonce le fait que, la veille de la décision du collège des commissaires relative à la présente affaire, certains médias ont fait état du fait qu’une amende d’un montant exorbitant serait infligée aux entreprises ayant participé à l’entente présumée, indiquant avec précision le montant des amendes infligées aux différentes entreprises concernées. Elle estime que cette manière de procéder constitue une violation du principe fondamental du droit communautaire en vertu duquel le collège des commissaires adopte ses décisions sous sa seule responsabilité et de manière autonome.

399    La Commission exprime ses regrets au sujet de l’incident relevé par Siemens. Elle souligne, toutefois, que la publication de ces chiffres n’était pas délibérée, ni même consciente. Elle aurait mené, sans succès, un contrôle interne à ce sujet afin de détecter la fuite et, par la suite, modifié la pratique décisionnelle, pour éviter qu’un tel incident ne se reproduise. S’agissant de l’appréciation juridique de ce point, la Commission estime qu’une publication prématurée de ce genre n’est pas de nature à restreindre l’indépendance des commissaires et que ledit incident ne remet pas en cause la légalité de la décision attaquée.

2.     Appréciation du Tribunal

400    Il convient de rappeler que l’article 287 CE fait obligation aux membres, fonctionnaires et agents des institutions de la Communauté « de ne pas divulguer les informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel, et notamment les renseignements relatifs aux entreprises et concernant leurs relations commerciales ou les éléments de leur prix de revient ». Si cette disposition vise surtout les renseignements recueillis auprès d’entreprises, l’adverbe « notamment » montre qu’il s’agit d’un principe général qui s’applique aussi bien à d’autres informations confidentielles (arrêt de la Cour du 7 novembre 1985, Adams/Commission, 145/83, Rec. p. 3539, point 34 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Postbank/Commission, T‑353/94, Rec. p. II‑921, point 86).

401    En l’espèce, il ressort du dossier que, avant l’adoption de la décision attaquée, des éléments essentiels du projet de décision soumis, pour approbation définitive, au collège des commissaires ont fait l’objet d’une divulgation à une agence de presse. En effet, le 23 janvier 2007, la veille de l’adoption de la décision attaquée, vers 19 heures, cette agence a publié des informations précises quant au montant total des amendes et quant aux montants des amendes individuelles de Siemens, de Melco et d’Alstom, ainsi que l’information selon laquelle ABB avait bénéficié de l’immunité d’amendes en tant qu’informateur de la Commission. Cette dernière, tout en affirmant ne pas avoir pu détecter l’auteur de la divulgation à la presse, n’a pas contesté que la fuite s’était produite au sein de ses services.

402    Selon une jurisprudence constante, une irrégularité de ce genre peut entraîner l’annulation de la décision en cause s’il est établi que, en l’absence de cette irrégularité, ladite décision aurait eu un contenu différent (arrêts Suiker Unie e.a./Commission, point 336 supra, point 91, et Dunlop Slazenger/Commission, point 174 supra, point 29). Or, en l’espèce, Siemens n’a pas apporté une telle preuve. En effet, rien ne laisse supposer que, si les informations litigieuses n’avaient pas été divulguées, le collège des commissaires aurait modifié le montant de l’amende ou le contenu de la décision proposés. En particulier, il n’existe aucun élément indiquant que le collège des commissaires dans son ensemble ou certains commissaires se seraient sentis contraints ou auraient considéré qu’ils ne pourraient pas s’écarter des éléments du projet de décision qui avaient déjà fait l’objet d’une divulgation à la presse.

403    Par conséquent, cette branche du troisième moyen doit également être écartée. Le troisième moyen doit donc être rejeté dans son ensemble.

404    Les trois moyens soulevés par Siemens ayant été rejetés, il convient de rejeter le recours.

 Sur les dépens

405    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Siemens ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Siemens AG est condamnée aux dépens.

Pelikánová

Jürimäe

Soldevila Fragoso

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 mars 2011.

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

I –  Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 81, paragraphe 1, CE et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE

A –  Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une « description insuffisante des infractions reprochées »

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

B –  Sur la seconde branche du premier moyen, tirée d’une « analyse incorrecte des prétendus accords et de leurs effets sur le marché commun »

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

a)  Sur la charge de la preuve

b)  Sur la valeur probante de l’accord GQ et de l’accord EQ

c)  Sur la preuve de l’arrangement commun

Sur les déclarations d’ABB et du témoin M. M.

Sur les déclarations de Fuji

Sur les déclarations de Hitachi

Sur le défaut de contestation d’Areva, d’Alstom et du groupe VA Tech

Sur la liste de projets d’AIG en Europe

–  Sur l’origine et la date d’établissement de la liste globale ainsi que sur sa qualification d’élément de preuve

–  Sur l’allégation selon laquelle les projets d’AIG en Europe mentionnés dans la liste globale n’ont pas été discutés au sein de l’entente

–  Sur les projets prétendument mentionnés à plusieurs reprises ou n’ayant pas été mis en œuvre

–  Sur le faible taux de projets d’AIG en Europe répertoriés dans la liste globale

–  Sur le prétendu défaut d’attribution à Siemens, dans le cadre de l’entente, de projets d’AIG dans l’EEE

–  Sur l’analyse économétrique produite par Siemens

Sur les éléments de preuve documentaires

–  Sur l’accord GQ et l’accord EQ

–  Sur le document trouvé dans les locaux du groupe VA Tech, intitulé « Synthèse discussion avec JJC »

–  Sur les courriers échangés le 18 janvier 1999 entre MM. Wa., J. et B., employés du groupe VA Tech

–  Sur les éléments de preuve documentaires se rapportant à des faits ayant eu lieu lors de la période comprise entre 2002 et 2004

d)  Conclusions sur la seconde branche du premier moyen

Sur les effets de l’entente à l’intérieur de l’EEE

Sur la réservation des marchés européens et japonais, respectivement, aux groupes de producteurs européens et japonais

Sur la protection des « pays constructeurs » en Europe

II –  Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 25 du règlement n° 1/2003

A –  Sur la première branche du deuxième moyen, tirée du défaut de preuve d’une participation à l’infraction entre avril et septembre 1999

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

a)  Sur la répartition de la charge de la preuve entre Siemens et la Commission

b)  Sur la valeur probante des éléments sur lesquels la Commission fonde son appréciation selon laquelle Siemens a interrompu sa participation à l’entente le 1er septembre 1999

Sur les déclarations d’ABB et de M. M.

Sur le document intitulé « Synthèse discussions avec JJC »

Sur les déclarations d’Areva, de Melco, de Fuji et de Hitachi/JAEPS

–  Sur les déclarations d’Areva

–  Sur les déclarations de Melco

–  Sur les déclarations de Fuji

–  Sur les déclarations de Hitachi

Conclusion intermédiaire

c)  Sur les éléments avancés par Siemens pour établir l’interruption de sa participation à l’entente dès le mois d’avril 1999

Sur les preuves économiques empiriques de l’interruption de sa participation à l’entente au plus tard en avril 1999

Sur le témoignage de M. Se.

Sur les témoignages de MM. Tr., E. et Sch.

Sur le défaut de preuve de la participation de Siemens à un accord sur des projets d’AIG après le mois d’avril 1999

Sur le défaut de preuve d’une réunion après le 22 avril 1999

B –  Sur la deuxième branche du deuxième moyen, tirée de la prescription des poursuites

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

C –  Sur la troisième branche du deuxième moyen, tirée du défaut d’une participation à l’entente au-delà du 1er janvier 2004

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

III –  Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit dans le calcul du montant de l’amende

A –  Sur la première branche du troisième moyen, tirée du caractère disproportionné du montant de départ de l’amende

1.  Sur le premier grief, tiré d’un défaut de preuve des effets de l’entente

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur le deuxième grief, tiré du caractère disproportionné du montant de départ de l’amende par rapport à l’importance économique de l’infraction

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

3.  Sur le troisième grief, tiré de l’inscription de Siemens dans une catégorie incorrecte

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

B –  Sur la deuxième branche du troisième moyen, tirée du caractère disproportionné du coefficient multiplicateur de dissuasion

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

C –  Sur la troisième branche du troisième moyen, tirée d’une erreur dans la détermination de la durée de l’infraction

D –  Sur la quatrième branche du troisième moyen, tirée de la qualification erronée de Siemens de meneur de l’entente

1.  Sur les premier et deuxième griefs, tirés du fait qu’ABB et non Siemens a joué le rôle de meneur de l’entente

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

Sur le rôle de meneur de l’entente

Sur la prétendue inégalité de traitement de Siemens par rapport à ABB

2.  Sur le troisième grief, tiré du caractère excessif de la majoration du montant de base de l’amende infligée à Siemens en raison de son rôle de meneur de l’entente

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

E –  Sur la cinquième branche du troisième moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation s’agissant de l’absence de réduction de l’amende au titre de la communication sur la coopération

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

F –  Sur la sixième branche du troisième moyen, tirée du fait que la DG « Concurrence » aurait de facto contraint le collège des commissaires

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’allemand.

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