Affaire C-444/06
Commission des Communautés européennes
contre
Royaume d’Espagne
«Manquement d’État — Directive 89/665/CEE — Marchés publics de fournitures et de travaux — Procédure de recours en matière de passation de marchés publics»
Sommaire de l'arrêt
Rapprochement des législations — Procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux — Directive 89/665 — Obligation pour les États membres de prévoir une procédure de recours contre les décisions d'attribution des marchés
(Directive du Conseil 89/665, art. 2, § 1, a) et b), et 6, al. 2)
Manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/665, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 92/50, un État membre dont la législation ne prévoit pas de délai obligatoire pour la notification, par le pouvoir adjudicateur, de la décision d’attribution d’un marché à tous les soumissionnaires ni ne prévoit de délai d’attente obligatoire entre l’attribution d’un marché et la conclusion du contrat.
En effet, les dispositions combinées de l’article 2, paragraphes 1, sous a) et b), et 6, second alinéa, de la directive 89/665 doivent être interprétées en ce sens que les États membres sont tenus, en ce qui concerne la décision du pouvoir adjudicateur précédant la conclusion du contrat, par laquelle ce pouvoir choisit le soumissionnaire ayant participé à la procédure de passation du marché avec lequel il conclura le contrat, de prévoir dans tous les cas une procédure de recours permettant au requérant d’obtenir l’annulation de cette décision lorsque les conditions y afférentes sont réunies, indépendamment de la possibilité d’obtenir des dommages-intérêts lorsque le contrat a été conclu. Par ailleurs, la protection juridique complète qui doit ainsi être assurée avant la conclusion du contrat, en application de l’article 2, paragraphe 1, de ladite directive, suppose en particulier l’obligation d’informer les soumissionnaires de la décision d’adjudication avant la conclusion du contrat, afin que ceux-ci disposent d’une réelle possibilité d’intenter un recours. Cette même protection exige de prévoir la possibilité, pour le soumissionnaire évincé, d’examiner en temps utile la question de la validité de la décision d’attribution. Compte tenu des exigences de l’effet utile de la directive 89/665 dont l’objectif est de garantir que les décisions illégales des pouvoirs adjudicateurs puissent faire l’objet de recours efficaces et aussi rapides que possible, il s’ensuit qu’un délai raisonnable doit s’écouler entre le moment où la décision d’attribution est communiquée aux soumissionnaires évincés et la conclusion du contrat, afin de leur permettre, notamment, d’introduire une demande de mesures provisoires jusqu’à ladite conclusion.
(cf. points 37-39, 44, 58, disp. 1)
ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
3 avril 2008 (*)
«Manquement d’État – Directive 89/665/CEE – Marchés publics de fournitures et de travaux – Procédure de recours en matière de passation de marchés publics»
Dans l’affaire C‑444/06,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 26 octobre 2006,
Commission des Communautés européennes, représentée par M. X. Lewis, en qualité d’agent, assisté de Mes C. Fernandez Vicién et I. Moreno-Tapia Rivas, abogados, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
contre
Royaume d’Espagne, représenté par M. F. Díez Moreno, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. L. Bay Larsen, K. Schiemann, J. Makarczyk (rapporteur) et P. Kūris, juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en ne prévoyant pas de délai obligatoire pour la notification, par le pouvoir adjudicateur, de la décision d’attribution d’un marché à tous les soumissionnaires, en ne prévoyant pas de délai d’attente obligatoire entre l’attribution d’un marché et la conclusion du contrat, et en permettant qu’un marché annulé continue de produire des effets juridiques, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992 (JO L 209, p. 1, ci-après la «directive recours»).
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
2 L’article 1er de la directive recours est libellé comme suit:
«1. Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application des directives 71/305/CEE, 77/62/CEE, et 92/50/CEE, les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l’article 2, paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.
[…]
3. Les États membres assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public de fournitures ou de travaux déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée. En particulier, ils peuvent exiger que la personne qui souhaite utiliser une telle procédure ait préalablement informé le pouvoir adjudicateur de la violation alléguée et de son intention d’introduire un recours.»
3 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de ladite directive:
«Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant:
a) de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher d’autres dommages d’être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou de l’exécution de toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs;
b) d’annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l’appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause;
c) d’accorder des dommages-intérêts aux personnes lésées par une violation.»
4 L’article 2, paragraphe 6, de la directive recours dispose:
«Les effets de l’exercice des pouvoirs visés au paragraphe 1 sur le contrat qui suit l’attribution d’un marché sont déterminés par le droit national.
En outre, sauf si une décision doit être annulée préalablement à l’octroi de dommages-intérêts, un État membre peut prévoir que, après la conclusion du contrat qui suit l’attribution d’un marché, les pouvoirs de l’instance responsable des procédures de recours se limitent à l’octroi des dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation.»
La législation nationale
La loi sur les marchés publics
5 L’article 41, paragraphe 1, de la loi sur les marchés publics (ley de Contratos de las Administraciones públicas), approuvée par le décret législatif royal 2/2000 (Real Decreto Legislativo 2/2000), du 16 juin 2000 (BOE n° 148, du 21 juin 2000, p. 21775), telle que modifiée par la loi 62/2003, portant diverses mesures d’ordre fiscal, administratif et social (ley 62/2003, de medidas fiscales, administrativas y del orden social), du 30 décembre 2003 (BOE n° 313, du 31 décembre 2003, p. 46874, ci-après la «loi sur les marchés publics»), prévoit que l’adjudicataire doit prouver la constitution de la garantie définitive dans un délai de quinze jours à compter de la notification qui lui a été faite de l’attribution du marché.
6 Aux termes de l’article 53 de la loi sur les marchés publics:
«Les contrats sont formés par l’attribution effectuée par le pouvoir adjudicateur compétent, quelle que soit la procédure ou la forme d’attribution utilisée.»
7 L’article 54 de ladite loi dispose:
«1. Les contrats de l’administration sont finalisés par un document administratif dans le délai de trente jours à compter du jour suivant la notification de l’attribution. […]
2. Sauf exceptions prévues par la présente loi, la constitution, par l’entrepreneur, des garanties prévues par la présente loi pour la protection des intérêts publics est une condition nécessaire de la finalisation.
3. Lorsque, pour des raisons imputables au contractant, le contrat n’a pas pu être finalisé dans le délai imparti, l’administration peut décider de le résilier, sous réserve de l’audition de l’intéressé et, si le contractant forme opposition, d’un rapport du Conseil d’État ou de l’organe consultatif équivalent de la communauté autonome concernée. Dans ce cas, la garantie provisoire doit être saisie et les préjudices occasionnés doivent être indemnisés.
Si les causes de la non-finalisation sont imputables à l’administration, le contractant reçoit des dommages-intérêts pour les préjudices occasionnés par le retard, outre le fait qu’il peut demander l’annulation du marché en vertu de l’article 111, sous d).
4. Le marché ne peut être exécuté tant qu’il n’a pas été finalisé, excepté dans les cas prévus aux articles 71 et 72.»
8 Selon l’article 60 bis de la loi sur les marchés publics, les personnes intéressées par une participation à un appel d’offres et, en toute hypothèse, les soumissionnaires peuvent demander l’adoption de mesures provisoires pour corriger une violation du droit applicable ou pour empêcher que d’autres dommages soient causés à des intérêts lésés, notamment des mesures permettant de suspendre la procédure d’attribution du marché.
9 Selon l’article 65, paragraphe 1, de la loi sur les marchés publics, la déclaration administrative de nullité des actes préparatoires du contrat ou de l’attribution du marché, lorsque celle-ci est définitive, entraîne, dans tous les cas, la nullité du contrat lui-même, lequel entre alors en phase de liquidation.
10 Selon le paragraphe 3 de ce même article, si la déclaration administrative de nullité d’un contrat perturbe gravement le service public, le maintien des effets du contrat peut être prévu, dans les mêmes conditions, jusqu’à ce que des mesures urgentes soient prises pour éviter tout préjudice.
11 Il résulte de l’article 93, paragraphe 1, de la loi sur les marchés publics que, après attribution d’un marché public par le pouvoir adjudicateur, quelle que soit la procédure suivie, ladite attribution est notifiée aux participants à l’appel d’offres et, après finalisation du contrat, est transmise à l’entité compétente qui détient le registre public des marchés visé à l’article 118 de ladite loi, aux fins prévues à l’article 58 du même texte.
12 En application du paragraphe 5 dudit article 93, le pouvoir adjudicateur communique à tout candidat ou soumissionnaire écarté qui en fait la demande, dans un délai de quinze jours à compter de la réception de celle-ci, les motifs du rejet de sa candidature ou de sa proposition ainsi que les caractéristiques de la proposition de l’adjudicataire qui ont été déterminantes pour l’attribution du marché à ce dernier.
13 L’article 83, paragraphe 4, du règlement d’application de la loi sur les marchés publics (Reglamento general de la Ley de Contratos de las Administraciones Públicas), approuvé par le décret royal 1098/2001 (Real Decreto 1098/2001), du 12 octobre 2001 (BOE n° 257, du 26 octobre 2001, p. 39252), prévoit que le résultat de l’évaluation des soumissions présentées est notifié, avec mention des soumissions retenues, de celles qui ont été rejetées ainsi que des causes du rejet.
La loi 30/1992
14 La loi 30/1992, relative au régime juridique des administrations publiques et à la procédure administrative de droit commun (ley 30/1992, de Regimen Jurídico de las Administraciones Públicas y del Procedimiento Administrativo común), du 26 novembre 1992 (BOE n° 285, du 27 novembre 1992, p. 40300), telle que modifiée par la loi 4/1999, du 13 janvier 1999 (ci-après la «loi relative à la procédure administrative de droit commun»), dispose à son article 58:
«1. Sont notifiés aux intéressés les décisions et les actes administratifs affectant leurs droits et intérêts, selon les modalités prévues à l’article suivant.
2. Toute notification doit être effectuée dans les dix jours suivant la date à laquelle l’acte a été adopté. Elle doit contenir le texte intégral de la décision et doit indiquer s’il est ou non définitif dans la voie administrative. Elle doit préciser les possibilités de recours, l’organe auprès duquel les recours doivent être introduits ainsi que le délai dans lequel ils doivent être formés, sans préjudice du fait que les intéressés peuvent former, le cas échéant, tout autre recours qu’ils estiment nécessaire.»
15 Selon l’article 107, paragraphe 1, de ladite loi, les décisions et les actes préparatoires qui tranchent, directement ou indirectement, le fond de l’affaire, qui entraînent l’impossibilité de poursuivre la procédure ou de se défendre, ou qui occasionnent des préjudices irréparables à des droits ou à des intérêts légitimes peuvent faire l’objet de recours.
16 L’article 111 de ce même texte énonce les mesures provisoires qui peuvent être demandées dans le cadre de recours administratifs, en particulier la suspension des actes attaqués.
Les antécédents du litige et la procédure précontentieuse
17 Par lettre du 30 novembre 2001, la Commission a demandé au Royaume d’Espagne de lui faire part de ses observations sur la compatibilité de la loi sur les marchés publics avec la directive recours au regard des conséquences de l’arrêt rendu par la Cour le 28 octobre 1999, Alcatel Austria e.a. (C‑81/98, Rec. p. I‑7671).
18 La Commission, n’ayant pas estimé satisfaisantes les réponses fournies par le Royaume d’Espagne dans une lettre du 27 février 2002, a adressé à celui-ci, le 16 octobre 2002, une mise en demeure. Après examen des observations présentées en réponse à ladite mise en demeure, la Commission a, le 7 juillet 2004, émis un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour se conformer audit avis dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.
19 Constatant l’absence de modification de la législation litigieuse à l’expiration de ce délai, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.
Sur le recours
20 La Commission soutient que la législation espagnole enfreint l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive recours et fait état de trois griefs, dont il convient de traiter les deux premiers ensemble.
Sur les premier et deuxième griefs
21 Par ces griefs, la Commission fait valoir que la législation nationale en cause n’est pas conforme à la directive recours dans la mesure où la combinaison de certaines dispositions de cette législation empêcherait les soumissionnaires évincés d’intenter efficacement un recours contre la décision d’attribution d’un marché avant la conclusion même du contrat qui en découle.
Argumentation des parties
22 Selon la Commission, le manquement reproché est constitué, quelle que soit la portée du concept de finalisation du contrat prévu par la législation espagnole, à savoir que l’on considère soit que cette finalisation équivaille à la conclusion même du contrat, soit qu’elle ne constitue qu’une formalité administrative, ladite conclusion ayant alors lieu en même temps que l’attribution du marché.
23 Dans la première hypothèse, où la finalisation du contrat, c’est-à-dire, selon la Commission, le moment où le contrat satisfait à toutes les conditions juridiques et où son exécution peut commencer, correspondrait à la conclusion de celui-ci au sens de la directive recours, la Commission fait valoir que les obligations imposées par ladite directive ne sont pas remplies dans la mesure où les soumissionnaires qui ne sont pas sélectionnés ne disposent pas des garanties nécessaires pour contester une décision illégale d’attribution d’un marché avant la finalisation du contrat qui en est la suite.
24 Selon la Commission, en l’absence d’obligation de notifier la décision d’attribution à toutes les personnes intéressées en même temps et en l’absence de délai d’attente au cours duquel le contrat ne peut être finalisé, excluant ainsi la possibilité, pour les soumissionnaires écartés, de disposer d’un délai raisonnable pour intenter, avant la conclusion du contrat, les recours utiles, la législation espagnole ne respecte pas les exigences de la directive recours.
25 Dans la seconde hypothèse, où la conclusion du contrat aurait lieu en même temps que l’attribution du marché, la finalisation n’étant alors qu’une simple formalité administrative, la Commission estime que le problème juridique identifié dans l’analyse relative à la première hypothèse est en réalité aggravé, dans la mesure où il n’y a pas d’acte attributif du marché concerné susceptible de recours indépendamment de l’acte de conclusion du contrat relatif à ce marché.
26 Dès lors qu’un recours n’est pas ouvert contre l’acte d’attribution à un stade antérieur à la conclusion du contrat où une éventuelle violation du droit applicable puisse encore être corrigée et où le soumissionnaire qui intente le recours puisse encore aspirer à devenir adjudicataire, la législation espagnole ne permettrait pas d’assurer une protection juridique complète avant la conclusion du contrat, contrairement aux exigences de l’article 2, paragraphe 1, de la directive recours.
27 À titre liminaire, le Royaume d’Espagne précise la portée qu’il convient de donner, respectivement, à l’acte d’attribution d’un marché et à la finalisation du contrat qui en est la suite.
28 Cet État membre indique que l’acte d’attribution d’un marché entraîne, par lui-même, la conclusion du contrat relatif à ce marché, celui-ci étant réputé exister dès l’adoption de cet acte. Ledit acte est soumis à l’obligation formelle de notification, dont l’exécution est nécessaire pour que le contrat produise ses effets à l’égard des intéressés.
29 Il précise que la finalisation du contrat, simple formalité administrative, ne revêt qu’un caractère secondaire par rapport à l’acte d’attribution. Cette finalisation est toutefois une condition nécessaire à l’exécution du marché concerné.
30 Selon le Royaume d’Espagne, la conformité de la loi sur les marchés publics avec la directive recours doit être appréciée au regard des recours qui peuvent être formés, d’une part, préalablement à l’acte d’attribution d’un marché et, d’autre part, contre cet acte d’attribution lui-même. C’est au demeurant ce qui résulterait de l’arrêt Alcatel Austria e.a., précité, qui opérerait une distinction entre le stade antérieur à la conclusion du contrat, à savoir la phase préalable à l’attribution du marché, à laquelle l’article 2, paragraphe 1, de ladite directive est applicable, et le stade postérieur à ladite conclusion, à savoir la phase qui suit l’acte d’attribution, à laquelle s’applique l’article 2, paragraphe 6, second alinéa, du même texte.
31 Or, le droit espagnol serait conforme à cette distinction. En effet, s’agissant, en premier lieu, des mesures qui précèdent l’attribution d’un marché, le Royaume d’Espagne expose que certains recours sont possibles. S’agissant, en second lieu, de cette attribution elle-même, il précise que la décision administrative dont celle-ci procède est notifiée à tous les participants à l’appel d’offres dans les dix jours suivant son adoption et que cette décision, comme tout acte administratif, peut faire l’objet d’un recours, en application de la loi sur les recours administratifs de droit commun. Par ailleurs, cet État membre ajoute que, à titre de mesure provisoire, la suspension de l’acte attaqué peut être prononcée.
32 Enfin, le Royaume d’Espagne fait valoir que la conclusion définitive d’un acte, et donc d’un contrat, n’emporte pas l’impossibilité de former un recours en nullité contre l’acte lui-même.
Appréciation de la Cour
33 Il convient, à titre liminaire, d’indiquer que le présent recours devra être examiné en prenant en considération les précisions juridiques apportées par le Royaume d’Espagne qui n’ont pas été contestées par la Commission. Ces précisions reposent essentiellement sur les interprétations jurisprudentielles émanant des juridictions nationales quant aux effets attachés, respectivement, à l’acte d’attribution et à la finalisation du contrat, ces notions juridiques relevant du droit national.
34 Ainsi, les arguments avancés par la Commission au soutien des premier et deuxième griefs devront être analysés au regard du constat selon lequel, dans le droit de l’État membre en cause, d’une part, l’acte d’attribution d’un marché emporte par lui-même la formation du contrat qui y est relatif et, partant, détermine, à lui seul, les droits et obligations des parties, et, d’autre part, la finalisation de ce contrat est une formalité qui conditionne exclusivement l’exécution du marché, sans pouvoir altérer le contrat ni produire d’effets novateurs.
35 Il ressort des premier et deuxième considérants de la directive recours que celle-ci vise à renforcer les mécanismes existant, tant sur le plan national que sur le plan communautaire, pour assurer l’application effective des directives communautaires en matière de passation de marchés publics, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées.
36 À cet égard, l’article 1er, paragraphe 1, de la directive recours impose aux États membres de mettre en place des recours efficaces et aussi rapides que possible contre les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs qui auraient violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.
37 Il résulte de la jurisprudence de la Cour que les dispositions combinées de l’article 2, paragraphes 1, sous a) et b), et 6, second alinéa, de ladite directive doivent être interprétées en ce sens que les États membres sont tenus, en ce qui concerne la décision du pouvoir adjudicateur précédant la conclusion du contrat, par laquelle ce pouvoir choisit le soumissionnaire ayant participé à la procédure de passation du marché avec lequel il conclura le contrat, de prévoir dans tous les cas une procédure de recours permettant au requérant d’obtenir l’annulation de cette décision lorsque les conditions y afférentes sont réunies, indépendamment de la possibilité d’obtenir des dommages-intérêts lorsque le contrat a été conclu (voir arrêt Alcatel Austria e.a., précité, point 43).
38 Par ailleurs, la protection juridique complète qui doit ainsi être assurée avant la conclusion du contrat, en application de l’article 2, paragraphe 1, de la directive recours, suppose en particulier l’obligation d’informer les soumissionnaires de la décision d’adjudication avant la conclusion du contrat, afin que ceux-ci disposent d’une réelle possibilité d’intenter un recours.
39 Cette même protection exige de prévoir la possibilité, pour le soumissionnaire évincé, d’examiner en temps utile la question de la validité de la décision d’attribution. Compte tenu des exigences de l’effet utile de la directive recours, il s’ensuit qu’un délai raisonnable doit s’écouler entre le moment où la décision d’attribution est communiquée aux soumissionnaires évincés et la conclusion du contrat, afin de leur permettre, notamment, d’introduire une demande de mesures provisoires jusqu’à ladite conclusion.
40 En l’espèce, il convient de relever, en premier lieu, qu’il n’est pas contesté que la législation espagnole autorise les recours contre des actes des pouvoirs adjudicateurs préalables à l’attribution d’un marché public. Par ailleurs, conformément aux dispositions de l’article 107, paragraphe 1, de la loi relative à la procédure administrative de droit commun, les intéressés ont la possibilité de former un recours à l’encontre des actes de procédure dès lors que ceux-ci tranchent, directement ou indirectement, le fond de l’affaire, entraînent l’impossibilité de poursuivre la procédure ou de se défendre, ou causent des préjudices irréparables à des droits ou intérêts légitimes. Dans le cadre de ces recours, des mesures provisoires peuvent être prises, en particulier la suspension des actes attaqués.
41 En deuxième lieu, l’acte d’attribution est notifié à l’ensemble des soumissionnaires conformément aux dispositions des articles 58, paragraphes 1 et 2, de la loi relative à la procédure administrative de droit commun, et 93, paragraphe 1, de la loi sur les marchés publics. Cette notification doit être faite selon les règles de droit commun applicables aux actes administratifs, soit dans les dix jours suivant l’adoption de cet acte d’attribution et en précisant les possibilités de recours.
42 Toutefois, dans la mesure où l’acte d’attribution emporte de jure la conclusion du contrat, il en résulte que la décision du pouvoir adjudicateur par laquelle celui-ci choisit, parmi les soumissionnaires, l’adjudicataire ne peut faire l’objet d’un recours spécifique antérieurement à la conclusion même du contrat.
43 En troisième lieu, il importe de souligner que la finalisation du contrat peut être concomitante à l’attribution du marché concerné, ou suivre celle-ci dans un très bref délai. En effet, ladite finalisation, ainsi que le reconnaît au demeurant le Royaume d’Espagne, n’est soumise à aucun délai minimal et peut intervenir dès que l’adjudicataire a prouvé la constitution d’une garantie définitive, la législation imposant seulement que ladite constitution intervienne au plus tard dans les quinze jours de la notification de l’attribution. Dès lors, l’exécution dudit contrat peut commencer avant que ladite attribution n’ait fait l’objet de l’ensemble des notifications requises.
44 Il en résulte que, dans certaines hypothèses, aucun recours utile ne peut être intenté contre l’acte d’attribution avant l’exécution même du contrat, alors que l’objectif de la directive recours est de garantir que les décisions illégales des pouvoirs adjudicateurs puissent faire l’objet de recours efficaces et aussi rapides que possible (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a., C‑470/99, Rec. p. I‑11617, point 74).
45 En quatrième lieu, la possibilité de disposer de la faculté d’introduire un recours en annulation du contrat lui-même n’est pas de nature à compenser l’impossibilité d’agir contre l’acte d’attribution du marché concerné seul, avant que le contrat ne soit conclu.
46 En conséquence, la législation en cause ne permet pas à tout soumissionnaire évincé de former un recours conforme aux exigences de la directive recours contre la décision d’attribution d’un marché public avant la conclusion même du contrat qui en découle.
47 Les deux premiers griefs sont donc fondés.
Sur le troisième grief
Argumentation des parties
48 Selon la Commission, une violation de la directive recours résulte de l’exception visant à protéger les services publics prévue à l’article 65, paragraphe 3, de la loi sur les marchés publics, selon lequel, si la déclaration administrative de nullité d’un contrat perturbe gravement le service public, le maintien des effets de ce contrat peut être prévu, dans les mêmes conditions, jusqu’à ce que des mesures urgentes soient prises pour éviter tout préjudice.
49 La Commission considère que ces dispositions confèrent au pouvoir adjudicateur un trop large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne l’exécution de la décision administrative annulant l’attribution d’un marché et, partant, le contrat qui en découle.
50 Elle estime également que la disposition en cause peut, dans un nombre non négligeable de cas, rendre inefficaces les recours des soumissionnaires évincés ayant abouti à l’annulation des décisions illégales des pouvoirs adjudicateurs, ce qui serait contraire à l’obligation des États membres de veiller à ce que les procédures de recours prévues en application de l’article 1er de la directive recours permettent d’annuler ou de faire annuler les décisions illégales prises par lesdits pouvoirs. L’effet utile de cette directive serait ainsi compromis, dans la mesure où seraient privées de toute efficacité la nullité ou l’annulation de telles décisions.
51 Le Royaume d’Espagne indique pour sa part que les dispositions critiquées n’envisagent que la poursuite exceptionnelle de contrats visés par une déclaration de nullité, pour des raisons d’intérêt public, ceci sous le contrôle des juridictions.
52 Selon cet État membre, la Commission n’a pas prouvé que la poursuite des contrats ainsi annulés constituerait une hypothèse normale dans l’application de la législation en cause.
Appréciation de la Cour
53 En l’espèce, il est constant que le maintien des effets d’un contrat visé par une déclaration administrative de nullité tel que prévu par la législation nationale critiquée ne peut intervenir qu’en cas de perturbation grave du service public.
54 Dès lors, ainsi qu’il ressort du libellé de l’article 65, paragraphe 3, de la loi sur les marchés publics, un tel maintien n’a vocation à s’appliquer qu’à titre exceptionnel et ce dans l’attente de l’adoption de mesures urgentes. Par ailleurs, ce maintien s’applique, comme l’indique le Royaume d’Espagne sans être contesté par la Commission, sous le contrôle des juridictions.
55 Ainsi, il apparaît que la finalité de ladite disposition est non de faire obstacle à l’exécution de la déclaration de nullité d’un contrat déterminé, mais d’éviter, lorsque l’intérêt général est en jeu, les conséquences excessives et éventuellement préjudiciables d’une exécution immédiate de ladite déclaration, ce dans l’attente de l’adoption de mesures urgentes, en vue d’assurer la continuité du service public.
56 Dans ces conditions, la Commission n’a pas démontré que la législation critiquée porte atteinte aux exigences de la directive recours.
57 En conséquence, le troisième grief doit être rejeté comme non fondé.
58 Compte tenu de ce qui précède, il convient de constater que, en ne prévoyant pas de délai obligatoire pour la notification, par le pouvoir adjudicateur, de la décision d’attribution d’un marché à tous les soumissionnaires et en ne prévoyant pas de délai d’attente obligatoire entre l’attribution d’un marché et la conclusion du contrat, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive recours.
Sur les dépens
59 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu de l’article 69, paragraphe 3, du même règlement, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels.
60 Dans le présent litige, il convient de tenir compte du fait que le recours n’a pas été accueilli pour l’intégralité du manquement tel qu’allégué par la Commission.
61 Il y a donc lieu de condamner le Royaume d’Espagne aux deux tiers de l’ensemble des dépens. La Commission est condamnée à supporter l’autre tiers.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:
1) En ne prévoyant pas de délai obligatoire pour la notification, par le pouvoir adjudicateur, de la décision d’attribution d’un marché à tous les soumissionnaires et en ne prévoyant pas de délai d’attente obligatoire entre l’attribution d’un marché et la conclusion du contrat, le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Le Royaume d’Espagne est condamné à supporter les deux tiers de l’ensemble des dépens. La Commission des Communautés européennes est condamnée à supporter l’autre tiers.
Signatures
* Langue de procédure: l’espagnol.