ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

19 mars 2009 ( *1 )

«Manquement d’État — Directives 93/36/CEE et 93/42/CEE — Marchés publics — Procédures de passation des marchés publics de fournitures — Fournitures pour les hôpitaux»

Dans l’affaire C-489/06,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 27 novembre 2006,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme M. Patakia et M. X. Lewis, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République hellénique, représentée par Mmes D. Tsagkaraki et S. Chala, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M. T. von Danwitz, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász (rapporteur) et G. Arestis, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: M. R. Grass,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 novembre 2008,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en rejetant les offres de dispositifs médicaux revêtus de la marque de certification CE, sans, en tout état de cause, que les pouvoirs adjudicateurs compétents des hôpitaux grecs aient respecté la procédure prévue par la directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux (JO L 169, p. 1), telle que modifiée par le règlement (CE) no 1882/2003 du Parlement européen et du Conseil, du du29 septembre 2003 (JO L 284, p. 1, ci-après la «directive 93/42»), la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1), telle que modifiée par la directive 2001/78/CE de la Commission, du 13 septembre 2001 (JO L 285, p. 1, ci-après la «directive 93/36»), ainsi que des articles 17 et 18 de la directive 93/42.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2

L’article 8, paragraphes 1 à 4, de la directive 93/36 prévoit:

«1.   Les spécifications techniques visées à l’annexe III figurent dans les documents généraux ou dans les documents contractuels propres à chaque marché.

2.   Sans préjudice des règles techniques nationales obligatoires, pour autant que celles-ci soient compatibles avec le droit communautaire, les spécifications techniques visées au paragraphe 1 sont définies par les pouvoirs adjudicateurs par référence à des normes nationales transposant des normes européennes, ou par référence à des agréments techniques européens ou par référence à des spécifications techniques communes.

3.   Un pouvoir adjudicateur peut déroger au paragraphe 2:

a)

si les normes, les agréments techniques européens ou les spécifications techniques communes ne contiennent aucune disposition concernant l’établissement de la conformité ou s’il n’existe pas de moyens techniques permettant d’établir de façon satisfaisante la conformité d’un produit avec ces normes, avec ces agréments techniques européens ou avec ces spécifications techniques communes;

b)

si l’application du paragraphe 2 nuit à l’application de la directive 86/361/CEE du Conseil, du 24 juillet 1986, concernant la première étape de la reconnaissance mutuelle des agréments d’équipements terminaux de télécommunications [(JO L 217, p. 21)] ou de la décision 87/95/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986, relative à la normalisation dans le domaine des technologies de l’information et des télécommunications [(JO 1987, L 36, p. 31)] ou d’autres instruments communautaires dans des domaines précis concernant des services ou des produits;

c)

si ces normes, ces agréments techniques européens ou ces spécifications techniques communes obligeaient le pouvoir adjudicateur à acquérir des fournitures incompatibles avec des installations déjà utilisées ou entraînaient des coûts disproportionnés ou des difficultés techniques disproportionnées, mais uniquement dans le cadre d’une stratégie clairement définie et consignée en vue d’un passage, dans un délai déterminé, à des normes européennes, à des agréments techniques européens ou à des spécifications techniques communes;

d)

si le projet concerné constitue une véritable innovation et que le recours à des normes, à des agréments techniques européens ou à des spécifications techniques communes existants serait inapproprié.

4.   Les pouvoirs adjudicateurs qui ont recours au paragraphe 3 en indiquent, si possible, les raisons dans l’appel d’offres publié au Journal officiel des Communautés européennes ou dans le cahier des charges, en indiquant dans tous les cas ces raisons dans leur documentation interne, et fournissent cette information, sur demande, aux États membres et à la Commission.»

3

L’annexe III de la directive 93/36, intitulée «Définition de certaines spécifications techniques», dispose:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

1)

‘spécifications techniques’: l’ensemble des prescriptions techniques contenues notamment dans les cahiers des charges, définissant les caractéristiques requises d’un matériau, d’un produit ou d’une fourniture et permettant de caractériser objectivement un matériau, un produit ou une fourniture de manière telle qu’ils répondent à l’usage auquel ils sont destinés par le pouvoir adjudicateur. Ces caractéristiques incluent les niveaux de qualité ou de propriété d’emploi, la sécurité, les dimensions y compris les prescriptions applicables au matériau, au produit ou à la fourniture en ce qui concerne le système d’assurance de la qualité, la terminologie, les symboles, les essais et méthodes d’essai, l’emballage, le marquage et l’étiquetage;

2)

‘normes’: les spécifications techniques approuvées par un organisme reconnu à activité normative pour application répétée ou continue, dont l’observation n’est pas, en principe, obligatoire;

3)

‘normes européennes’: les normes approuvées par le comité européen de normalisation (CEN) ou par le comité européen de normalisation électronique (Cenélec) en tant que ‘normes européennes (EN)’ ou ‘documents d’harmonisation (HD)’, conformément aux règles communes de ces organisations;

4)

‘agrément technique européen’: l’appréciation technique favorable de l’aptitude à l’emploi d’un produit, basée sur la satisfaction des exigences essentielles pour la construction, selon les caractéristiques intrinsèques de ce produit et les conditions établies de mise en œuvre et d’utilisation. L’agrément européen est délivré par l’organisme agréé à cet effet par l’État membre;

5)

‘spécifications techniques communes’: les spécifications techniques élaborées selon une procédure reconnue par les États membres et qui aura fait l’objet d’une publication au Journal officiel des Communautés européennes.»

4

Les troisième, cinquième, huitième, treizième, dix-septième et vingt et unième considérants de la directive 93/42 énoncent:

«considérant que les dispositions nationales assurant la sécurité et la protection de la santé des patients, des utilisateurs et, le cas échéant, d’autres personnes en vue de l’utilisation des dispositifs médicaux doivent être harmonisées afin de garantir la libre circulation de ces dispositifs sur le marché intérieur;

[…]

considérant que les dispositifs médicaux doivent offrir aux patients, aux utilisateurs et aux tiers un niveau de protection élevé et atteindre les performances que leur a assignées le fabricant; que, dès lors, le maintien ou l’amélioration du niveau de protection atteint dans les États membres constitue un des objectifs essentiels de la présente directive;

[…]

considérant que, suivant les principes établis dans la résolution du Conseil, du 7 mai 1985, concernant une nouvelle approche en matière d’harmonisation technique et de normalisation [(JO C 136, p. 1)], les réglementations concernant la conception et la fabrication des dispositifs médicaux doivent se limiter aux dispositions nécessaires pour satisfaire les exigences essentielles; que ces exigences, parce qu’essentielles, doivent remplacer les dispositions nationales correspondantes; que les exigences essentielles doivent être appliquées avec discernement pour tenir compte du niveau technologique existant lors de la conception ainsi que des impératifs techniques et économiques compatibles avec un haut niveau de protection de la santé et de la sécurité;

[…]

considérant que, aux fins de la présente directive, une norme harmonisée est une spécification technique (norme européenne ou documentation d’harmonisation) adoptée, sur mandat de la Commission, par le CEN ou le Cenélec ou les deux, conformément à la directive 83/189/CEE du Conseil, du 28 mars 1983, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques [(JO L 109, p. 8)], ainsi qu’en vertu des orientations générales [pour la coopération entre la Commission et ces deux organismes, signées le 13 novembre 1984]; […] que, pour des domaines spécifiques, il convient d’intégrer l’acquis déjà existant sous la forme de monographies de la Pharmacopée européenne dans le cadre de la présente directive; que, dès lors, plusieurs monographies de la Pharmacopée européenne peuvent être assimilées aux normes harmonisées prémentionnées;

[…]

considérant que les dispositifs médicaux doivent être munis, en règle générale, du marquage CE matérialisant leur conformité aux dispositions de la présente directive et leur permettant de pouvoir circuler librement dans la Communauté et d’être mis en service conformément à leur destination;

[…]

considérant que la protection de la santé et les contrôles s’y référant peuvent être rendus plus efficaces au moyen de systèmes de vigilance pour les dispositifs médicaux, lesquels sont intégrés sur le plan communautaire».

5

Selon son article 1er, paragraphe 1, la directive 93/42 s’applique aux dispositifs médicaux et à leurs accessoires. Aux fins de celle-ci, les accessoires sont traités comme des dispositifs médicaux à part entière.

6

Conformément à l’article 2 de la directive 93/42, les États membres sont tenus de prendre toutes les dispositions nécessaires pour que les dispositifs médicaux ne puissent être mis sur le marché et/ou mis en service que s’ils satisfont aux exigences énoncées dans cette directive lorsqu’ils ont été dûment fournis et sont correctement installés, entretenus et utilisés conformément à leur destination.

7

En vertu de l’article 3 de ladite directive, les dispositifs médicaux doivent satisfaire aux exigences essentielles figurant à l’annexe I de celle-ci qui leur sont applicables en tenant compte de leur destination.

8

L’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/42 interdit aux États membres de faire obstacle, sur leur territoire, à la mise sur le marché et à la mise en service de dispositifs médicaux portant le marquage CE, prévu à l’article 17 de cette directive, indiquant qu’ils ont été soumis à une évaluation de leur conformité conformément à l’article 11 de celle-ci.

9

En vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 93/42, les États membres présument que sont conformes aux exigences essentielles visées à l’article 3 de ladite directive les dispositifs médicaux qui satisfont aux normes nationales correspondantes adoptées conformément aux normes harmonisées dont les numéros de référence ont été publiés au Journal officiel des Communautés européennes.

10

Le paragraphe 2 dudit article 5 précise que, aux fins de la directive 93/42, le renvoi aux normes harmonisées inclut également les monographies de la Pharmacopée européenne relatives, notamment, aux sutures chirurgicales dont les références ont été publiées au Journal officiel des Communautés européennes.

11

L’article 5, paragraphe 3, de la directive 93/42 renvoie à l’article 6, paragraphe 2, de celle-ci en ce qui concerne les mesures à prendre par les États membres si un État membre ou la Commission estime que les normes harmonisées ne satisfont pas entièrement aux exigences essentielles visées à l’article 3 de cette directive.

12

L’article 8 de ladite directive, intitulé «Clause de sauvegarde», est libellé comme suit:

«1.   Lorsqu’un État membre constate que des dispositifs visés à l’article 4 paragraphe 1 et paragraphe 2 deuxième tiret correctement installés, entretenus et utilisés conformément à leur destination risquent de compromettre la santé et/ou la sécurité des patients, des utilisateurs ou, le cas échéant, d’autres personnes, il prend toutes mesures utiles provisoires pour retirer ces dispositifs du marché, interdire ou restreindre leur mise sur le marché ou leur mise en service. L’État membre notifie immédiatement ces mesures à la Commission, indique les raisons de sa décision et, en particulier, si la non-conformité avec la présente directive résulte:

a)

du non-respect des exigences essentielles visées à l’article 3;

b)

d’une mauvaise application des normes visées à l’article 5 pour autant que l’application de ces normes est prétendue;

c)

d’une lacune dans lesdites normes elles-mêmes.

2.   La Commission entre en consultation avec les parties concernées dans les plus brefs délais. Lorsque la Commission constate, après cette consultation:

que les mesures sont justifiées, elle en informe immédiatement l’État membre qui a pris l’initiative, ainsi que les autres États membres; au cas où la décision visée au paragraphe 1 est motivée par une lacune des normes, la Commission, après consultation des parties concernées, saisit le comité visé à l’article 6 dans un délai de deux mois si l’État membre ayant pris la décision entend la maintenir et entame la procédure prévue à l’article 6,

que les mesures sont injustifiées, elle en informe immédiatement l’État membre qui a pris l’initiative ainsi que le fabricant ou son mandataire établi dans la Communauté.

3.   Lorsqu’un dispositif non conforme est muni du marquage CE, l’État membre compétent prend, à l’encontre de celui qui a apposé le marquage, les mesures appropriées et en informe la Commission et les autres États membres.

4.   La Commission s’assure que les États membres sont tenus informés du déroulement et des résultats de cette procédure.»

13

L’article 10 de la directive 93/42 prévoit:

«1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les données portées à leur connaissance, conformément aux dispositions de la présente directive, concernant les incidents mentionnés ci-après et liés à un dispositif des classes I, IIa, IIb ou III soient recensées et évaluées d’une manière centralisée:

a)

tout dysfonctionnement ou toute altération des caractéristiques et/ou des performances d’un dispositif ainsi que toute inadéquation de l’étiquetage ou de la notice d’instructions susceptibles d’entraîner ou d’avoir entraîné la mort ou une dégradation grave de l’état de santé d’un patient ou d’un utilisateur;

b)

toute raison d’ordre technique ou médical liée aux caractéristiques ou aux performances d’un dispositif pour les raisons visées au point a) et ayant entraîné le rappel systématique du marché par le fabricant des dispositifs appartenant au même type.

2.   Lorsqu’un État membre impose au corps médical ou aux institutions médicales des obligations prévoyant que les incidents visés au paragraphe 1 soient portés à la connaissance des autorités compétentes, il prend les mesures nécessaires pour que le fabricant du dispositif en question, ou son mandataire établi dans la Communauté, soit également informé de l’incident.

3.   Après avoir procédé à une évaluation, si possible conjointement avec le fabricant, les États membres, sans préjudice de l’article 8, informent immédiatement la Commission et les autres États membres des incidents visés au paragraphe 1 pour lesquels des mesures ont été prises ou sont envisagées.»

14

L’article 11 de la directive 93/42 réglemente la procédure d’évaluation de la conformité des dispositifs médicaux avec les exigences de cette directive. À cette fin, ainsi que l’énonce le quinzième considérant de celle-ci, les dispositifs médicaux sont groupés en quatre classes de produits et les contrôles dont ces derniers font l’objet sont progressivement plus stricts en fonction de la vulnérabilité du corps humain et en tenant compte des risques potentiels découlant de la conception technologique desdits dispositifs ainsi que de leur fabrication.

15

L’article 14 ter de ladite directive dispose que, lorsqu’un État membre estime, en ce qui concerne un produit ou groupe de produits donné, qu’il y a lieu, pour protéger la santé et la sécurité, et/ou assurer le respect des impératifs de santé publique conformément à l’article [30 CE], d’interdire ou de restreindre leur mise à disposition ou de l’assortir de conditions particulières, il peut prendre toutes les mesures transitoires nécessaires et justifiées. Il en informe alors la Commission et les autres États membres, en indiquant les raisons de sa décision. La Commission consulte les parties intéressées et les États membres dans tous les cas où cela est possible et adopte, si les mesures nationales sont justifiées, les mesures communautaires nécessaires selon la procédure visée à l’article 7, paragraphe 2.

16

En vertu de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 93/42, les dispositifs médicaux, autres que ceux sur mesure et ceux destinés à des investigations cliniques, qui sont réputés satisfaire aux exigences essentielles visées à l’article 3 de celle-ci, doivent porter le marquage CE de conformité lors de leur mise sur le marché.

17

Aux termes de l’article 18 de cette directive:

«Sans préjudice de l’article 8:

a)

tout constat par un État membre de l’apposition indue du marquage CE entraîne pour le fabricant ou son mandataire établi dans la Communauté l’obligation de faire cesser l’infraction dans les conditions fixées par l’État membre;

b)

en cas de persistance de l’infraction, l’État membre prend toutes mesures utiles pour restreindre ou interdire la mise sur le marché du produit en question et pour veiller à ce qu’il soit retiré du marché, conformément à la procédure prévue à l’article 8.

[…]»

18

L’annexe I de ladite directive, intitulée «Exigences essentielles», énonce, dans sa partie I, intitulée «Exigences générales»:

«1.

Les dispositifs doivent être conçus et fabriqués de telle manière que leur utilisation ne compromette pas l’état clinique et la sécurité des patients ni la sécurité et la santé des utilisateurs ou, le cas échéant, des autres personnes, lorsqu’ils sont utilisés dans les conditions et aux fins prévues, étant entendu que les risques éventuels liés à leur utilisation constituent des risques acceptables au regard du bienfait apporté au patient et compatibles avec un niveau élevé de protection de la santé et de la sécurité.

2.

Les solutions choisies par le fabricant dans la conception et la construction des dispositifs doivent se tenir aux principes d’intégration de la sécurité en tenant compte de l’état de la technique généralement reconnu.

Pour retenir les solutions les mieux appropriées, le fabricant doit appliquer les principes suivants dans l’ordre indiqué:

éliminer ou réduire autant que possible les risques (sécurité inhérente à la conception et à la fabrication),

le cas échéant, prendre les mesures de protection appropriées, y compris des dispositifs d’alarme au besoin, pour les risques qui ne peuvent être éliminés,

informer les utilisateurs des risques résiduels dus à l’insuffisance des mesures de protection adoptées.

3.

Les dispositifs doivent atteindre les performances qui leur sont assignées par le fabricant et être conçus, fabriqués et conditionnés de manière à être aptes à remplir une ou plusieurs des fonctions visées à l’article 1er paragraphe 2 point a) et telles que spécifiées par le fabricant.

[…]»

La réglementation nationale

19

La directive 93/36 a été transposée dans l’ordre juridique grec, notamment, par le décret présidentiel 370, du 14 juin 1993 (FEK A’ 199/1995). L’article 16 dudit décret présidentiel reprend, dans des termes en substance identiques, l’article 8 de la directive 93/36.

20

La décision interministérielle DY7/oik.2480, du 19 août 1994, portant mise en conformité de la législation grecque avec la directive 93/42[…] (FEK B’ 679), a transposé cette directive dans l’ordre juridique grec. En outre, l’Ethnikos Organismos Farmakon (Organisme national des médicaments) a été désigné comme l’autorité compétente en matière de dispositifs médicaux en vertu de l’article 19, paragraphe 3, de la loi 2889/2001.

La procédure précontentieuse

21

La Commission a été saisie d’une plainte selon laquelle certains hôpitaux en Grèce, qui ont procédé à l’organisation d’appels d’offres en vue de l’obtention de dispositifs médicaux, avaient violé les obligations découlant de la directive 93/36 en liaison avec la directive 93/42.

22

Selon cette plainte, certains hôpitaux grecs ont rejeté des offres de dispositifs médicaux pour des motifs tenant à la santé publique, malgré la certification desdits produits par le marquage CE et, en tout état de cause, sans que la procédure de sauvegarde prévue par la directive 93/42 soit appliquée.

23

Dans le cadre de l’investigation liée à la plainte en question, la République hellénique a, le 20 avril 2004, transmis à la Commission la circulaire 19384, du 2 avril 2004, de l’Ethnikos Organismos Farmakon (ci-après la «circulaire 19384»), laquelle reconnaissait, d’une part, que certains comités chargés des marchés dans les hôpitaux ont rejeté pour non-conformité des offres présentées par des sociétés et concernant de nombreux dispositifs médicaux munis du marquage CE, sans examen préalable par ledit organisme et notait, d’autre part, que, dans certains cas, la non-conformité concernait des spécifications arbitrairement fixées par les hôpitaux. Ladite circulaire présentait un rappel et des précisions concernant la procédure légale exclusive que lesdits comités étaient tenus de respecter.

24

Par lettre du 8 novembre 2004, le plaignant a soumis des éléments complémentaires dont il ressortait que, malgré la diffusion de la circulaire 19384, les comités compétents de certains hôpitaux, tels que les hôpitaux généraux de Komotiní, de Messolonghi, d’Agios Nikolaos de Crète et d’Héraklion, continuaient à commettre les mêmes manquements.

25

À la lumière de ces informations, la Commission a engagé à l’encontre de la République hellénique la procédure en manquement prévue à l’article 226 CE en adressant, le 21 mars 2005, une lettre de mise en demeure à cet État membre. Dans sa réponse du 24 mai 2005, ledit État membre n’a pas contesté que certains hôpitaux grecs ne se conformaient pas aux dispositions communautaires en la matière, mais a souligné le caractère exceptionnel des cas soulevés par la Commission, qui, selon lui, n’aboutissent pas à la conclusion qu’il existe un manquement horizontal étendu au droit communautaire dans ce domaine.

26

La Commission a, le 19 décembre 2005, émis un avis motivé soulignant le manquement de la République hellénique aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/36, ainsi que des articles 17 et 18 de la directive 93/42 concernant la passation des marchés publics de fournitures de dispositifs médicaux et invitant ledit État membre à s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

27

Dans sa réponse du 9 février 2006 à cet avis motivé, la République hellénique a fait valoir qu’elle a pris les mesures nécessaires pour assurer la bonne application du droit communautaire et que les cas cités dans ledit avis motivé constituaient des exceptions à la pratique habituelle. Outre l’adoption de la circulaire 19384, elle a également mentionné qu’un contrôle systématique de la qualité des fournitures des hôpitaux a été effectué à la demande de ces derniers par l’Ethnikos Organismos Farmakon. Ledit État membre a souligné que les hôpitaux nationaux respectent de plus en plus les instructions de cet organisme.

28

Toutefois, la Commission a eu connaissance de nouveaux éléments d’information selon lesquels le manquement en question subsistait. En outre, il ressortait des éléments recueillis que l’Ethnikos Organismos Farmakon n’était pas compétent pour exercer un quelconque contrôle administratif auprès des hôpitaux ni pour leur imposer une quelconque sanction et qu’aucune autre instance dans l’ordre juridique grec n’a exercé une telle compétence dans le domaine litigieux à ce jour.

29

Considérant que la République hellénique ne s’était pas acquittée des obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/36, ainsi que des articles 17 et 18 de la directive 93/42, la Commission a introduit le présent recours.

Sur le recours

Argumentation des parties

30

La Commission expose que la directive 93/36 institue un cadre précis en ce qui concerne la définition par tout pouvoir adjudicateur des prescriptions techniques auxquelles sont soumis les dispositifs inclus dans une offre. Conformément à l’article 8, paragraphe 2, de cette directive, la référence aux normes nationales transposant des normes européennes ou aux agréments techniques européens ou aux prescriptions techniques communes serait obligatoire, tant dans l’appel d’offres qu’au cours de la procédure d’évaluation de la conformité des produits d’une offre. La Commission souligne que les dérogations au principe visé audit paragraphe 2 sont énumérées limitativement au paragraphe 3 dudit article 8.

31

La Commission relève que les appels d’offres organisés par les hôpitaux grecs mentionnent, conformément à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/36, l’exigence d’un agrément technique européen particulier pour les dispositifs médicaux, à savoir le marquage CE, qui est également prévu par la directive 93/42. Toutefois, les pouvoirs adjudicateurs procéderaient de manière à exclure des offres certains dispositifs médicaux munis du marquage CE, sans qu’une telle exclusion relève de l’une des catégories de dérogations prévues à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 93/36.

32

S’agissant de la directive 93/42, la Commission expose que celle-ci fixe en détail les procédures d’agrément, de certification, de commercialisation, mais aussi de contrôle des dispositifs médicaux, de manière à ne pas laisser subsister de doute quant aux caractéristiques qualitatives certifiées ni de marge d’appréciation par les autorités nationales en dehors du cadre prévu par ses dispositions.

33

La Commission précise que les exigences fondamentales de conformité et de sécurité auxquelles sont soumis les dispositifs médicaux sont détaillées à l’annexe I de la directive 93/42 et que les produits portant le marquage CE répondent à toutes ces exigences. L’article 3 de cette directive, en combinaison avec l’article 17 de ladite directive, constituerait la base de légitimation de la marque de conformité desdits dispositifs et, partant, de leur libre pratique sur le marché intérieur.

34

La Commission relève qu’il se peut que certains dispositifs médicaux, malgré leur certification CE, soient considérés par les médecins comme dangereux pour la santé ou la sécurité des malades. Dans ce cas, la Commission souligne que de tels dispositifs peuvent être rejetés par les pouvoirs adjudicateurs, mais toujours dans le cadre de la procédure de sauvegarde prévue par la directive 93/42 et décrite dans la circulaire 19384.

35

La Commission expose que, au lieu de mettre en œuvre ladite procédure de sauvegarde, les pouvoirs adjudicateurs ont procédé de manière à rejeter directement des offres de dispositifs médicaux munis du marquage CE. La Commission relève que, dans un cas concernant l’hôpital général d’Héraklion, l’Ethnikos Organismos Farmakon a été informé, mais son jugement, selon lequel les dispositifs médicaux en question devaient être admis, n’a pas été respecté.

36

Or, selon la Commission, il résulte d’une jurisprudence constante que l’existence d’une directive rapprochant les législations des États membres, telles que les directives 93/36 et 93/42, et précisant que la conformité des produits inclus dans les offres aux prescriptions techniques fixées par cette directive est obligatoirement certifiée par le marquage CE, entraîne l’obligation pour les États membres de respecter les procédures spéciales de ladite directive en ce qui concerne la contestation de la validité de la certification.

37

La Commission fait valoir que, malgré l’adoption de la circulaire 19384 et l’envoi d’un rappel de celle-ci le 19 janvier 2006, soit deux ans plus tard, après l’avis motivé de la Commission, les comportements irréguliers des pouvoirs adjudicateurs ainsi que l’absence de contrôle de ces pouvoirs par les autorités helléniques subsistent. La Commission souligne que les cas dont elle a connaissance constituent des exemples caractéristiques d’une pratique qui semble courante dans les hôpitaux grecs. L’argument de la République hellénique tiré de l’existence de procédures nationales visant à sanctionner tout manquement signalé aux règles en matière de marchés publics ne saurait nullement justifier le manquement en cause.

38

La République hellénique fait valoir que les hôpitaux, en tant que pouvoirs adjudicateurs, respectent les dispositions pertinentes du droit communautaire et du droit national en matière de fournitures. Elle soutient que le fait que certains hôpitaux ne se soient pas conformés aux dispositions communautaires pertinentes constituerait simplement et uniquement des cas exceptionnels dont il ne saurait être déduit l’existence d’un manquement d’une grande extension sur le plan horizontal, pour ce qui concerne le droit communautaire dans le domaine en question.

39

La République hellénique fait, en outre, valoir que l’Ethnikos Organismos Farmakon a toutefois émis la circulaire no 19384, ainsi qu’un rappel de celle-ci le 19 janvier 2006, relative à la manière dont il convient d’apprécier les dispositifs médicaux en vue de leur fourniture. Par conséquent, elle aurait pris les mesures nécessaires en vue d’assurer l’application fidèle du droit communautaire. Cet État membre explique, au surplus, que la raison pour laquelle aucune sanction n’a encore été infligée aux hôpitaux qui ne se conforment pas aux dispositions communautaires pertinentes réside dans le fait que le corps des inspecteurs des services de santé et de prévoyance (Soma Epitheoriton Ypiresion Ygeias kai Pronoias) est encore en train d’effectuer une enquête sur cette question.

Appréciation de la Cour

40

Il est de jurisprudence constante que, lorsque la Commission invoque des plaintes circonstanciées faisant apparaître des manquements répétés aux dispositions d’une directive, il incombe à l’État membre concerné de contester de manière concrète les faits allégués dans ces plaintes (voir, en ce sens, arrêts du 22 septembre 1988, Commission/Grèce, 272/86, Rec. p. 4875, point 19, et du 26 avril 2005, Commission/Irlande, C-494/01, Rec. p. I-3331, point 46).

41

Or, en l’espèce, la République hellénique n’a ni présenté de preuves concrètes en vue de contredire les faits allégués par la Commission ni contesté de manière substantielle et détaillée les affirmations de celle-ci. Cet État membre a simplement reconnu dans son mémoire en défense et dans la circulaire 19384 que certains établissements hospitaliers avaient agi en violation des dispositions communautaires pertinentes.

42

Par conséquent, les faits allégués par la Commission doivent être considérés comme établis.

43

Selon la jurisprudence de la Cour, les pouvoirs adjudicateurs ayant lancé une procédure d’appel d’offres pour la fourniture de dispositifs médicaux munis du marquage CE ne peuvent pas rejeter, pour des raisons relatives à la protection de la santé publique, l’offre de tels produits directement et en dehors de la procédure de sauvegarde prévue aux articles 8 et 18 de la directive 93/42. Si un pouvoir adjudicateur considère que l’offre de dispositifs médicaux munis du marquage CE est susceptible de compromettre la santé publique, il est tenu d’en informer l’organisme compétent en vue de la mise en œuvre de ladite procédure de sauvegarde (arrêt du 14 juin 2007, Medipac-Kazantzidis, C-6/05, Rec. p. I-4557, point 55).

44

Il convient de relever que la République hellénique ne conteste pas non plus le non-respect, par les pouvoirs adjudicateurs des hôpitaux grecs mis en cause par la Commission, des dispositions prévues à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/36, ainsi qu’aux articles 17 et 18 de la directive 93/42, relatives à la procédure de passation des marchés publics concernant les dispositifs médicaux munis du marquage CE.

45

En revanche, la République hellénique soutient que les cas recensés par la Commission sont exceptionnels et ne sauraient, par conséquent, constituer un manquement.

46

Selon une jurisprudence constante de la Cour, même si la réglementation nationale applicable est en soi compatible avec le droit communautaire, un manquement peut découler de l’existence d’une pratique administrative qui viole ce droit (voir, notamment, arrêts du 12 mai 2005, Commission/Italie, C-278/03, Rec. p. I-3747, point 13, et du 27 avril 2006, Commission/Allemagne, C-441/02, Rec. p. I-3449, point 47).

47

En l’espèce, ainsi qu’il ressort des observations des parties, le présent recours en manquement ne vise pas à mettre en cause la conformité de la transposition des directives 93/36 et 93/42 par la République hellénique, mais est limité à la question de l’application de ces dispositions par les instances helléniques compétentes.

48

Pour qu’un manquement soit constaté sur la base de la pratique administrative suivie dans un État membre, la Cour a jugé que le manquement ne peut être établi que grâce à une démonstration suffisamment documentée et circonstanciée de la pratique reprochée, il faut que cette pratique administrative présente un certain degré de constance et de généralité et, pour conclure à l’existence d’une pratique générale et constante, la Commission ne peut se fonder sur une présomption quelconque (arrêt du 7 juin 2007, Commission/Grèce, C-156/04, Rec. p. I-4129, point 50 et jurisprudence citée).

49

Il y a lieu de constater, selon les éléments du dossier communiqués à la Cour, que les produits en cause sont des produits répondant aux exigences de la norme technique de la Pharmacopée européenne et doivent être, par nature, achetés de manière répétée et régulière par les hôpitaux et, par conséquent, avec un degré de récurrence avéré.

50

Pour autant, au moins seize entités adjudicatrices d’établissements hospitaliers ont rejeté les dispositifs médicaux en cause, lors de procédures d’appel d’offres, dont les hôpitaux de Komotiní, de Messolonghi, d’Agios Nikolaos de Crète, Venizeleio-Pananeio d’Héraklion, Attique, Agios Savvas, Elpis, d’Argos, Korgialeneio-Benakeio, Geniko Nosokomeio de Kalamata, de Nauplie, P. & A. Kyriakou, de Sparte, Panakardiko de Tripoli, Elena Venizelou et Asklipieio de Voula.

51

La liste des hôpitaux mentionnés par la Commission fait état d’une diversité dans la taille des établissements, puisque certains des plus gros hôpitaux de Grèce comme ceux d’Agios Savvas, de Kyriakoy et d’Asklipieio Voulas sont cités, mais également des hôpitaux de taille moyenne comme ceux d’Argos, d’Agios Nikolaos de Crète ou de Spartis.

52

En outre, cette liste se réfère à des établissements dont la couverture géographique s’étend sur l’ensemble du territoire avec, notamment, des hôpitaux à Athènes, dans le Péloponnèse et en Crète, mais concerne aussi un large domaine de compétence, incluant notamment des hôpitaux généraux, un hôpital pour enfants, un hôpital traitant les maladies du cancer et une maternité.

53

Dès lors, il peut en être déduit que la pratique administrative des entités adjudicatrices en cause, contraire aux dispositions prévues à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/36, ainsi qu’aux articles 17 et 18 de la directive 93/42, présente un degré de constance et de généralité certain.

54

Lorsque la Commission a fourni suffisamment d’éléments faisant apparaître que les autorités d’un État membre ont développé une pratique répétée et persistante qui est contraire aux dispositions d’une directive, il incombe à cet État membre de contester de manière substantielle et détaillée les données ainsi présentées et les conséquences qui en découlent (arrêt Commission/Irlande, précité, point 47), ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

55

En outre, il ressort du dossier soumis à la Cour que le comportement irrégulier des pouvoirs adjudicateurs des établissements hospitaliers grecs n’a pas été contrôlé et sanctionné avec suffisance par les autorités helléniques compétentes. L’État membre défendeur a seulement justifié l’absence d’intervention de ses services par le fait que le corps des inspecteurs des services de santé et de prévoyance était, au moment de la procédure, en train d’effectuer une enquête sur la question et que ceux-ci n’avaient pas achevé leur travail.

56

Sur la base de ce qui précède, il y a lieu de constater que, en rejetant les offres de dispositifs médicaux revêtus de la marque de certification CE, sans que les pouvoirs adjudicateurs compétents des hôpitaux grecs aient respecté la procédure prévue par la directive 93/42, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/36, ainsi que des articles 17 et 18 de la directive 93/42.

Sur les dépens

57

Selon l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République hellénique et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

 

1)

En rejetant les offres de dispositifs médicaux revêtus de la marque de certification CE, sans que les pouvoirs adjudicateurs compétents des hôpitaux grecs aient respecté la procédure prévue par la directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux, telle que modifiée par le règlement (CE) no 1882/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 29 septembre 2003, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, telle que modifiée par la directive 2001/78/CE de la Commission, du 13 septembre 2001, ainsi que des articles 17 et 18 de la directive 93/42, telle que modifiée par le règlement no 1882/2003.

 

2)

La République hellénique est condamnée aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le grec.