ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

21 décembre 2016 ( *1 )

«Pourvoi — Aides d’État — Redevances aéroportuaires — Article 108, paragraphe 2, TFUE — Article 263, quatrième alinéa, TFUE — Décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen — Recevabilité du recours en annulation — Personne individuellement concernée — Intérêt à agir — Article 107, paragraphe 1, TFUE — Condition relative à la sélectivité»

Dans l’affaire C‑524/14 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 20 novembre 2014,

Commission européenne, représentée par MM. T. Maxian Rusche, R. Sauer et V. Di Bucci, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Hansestadt Lübeck, venant aux droits de Flughafen Lübeck GmbH, représentée par Mes M. Núñez Müller et I. Ruck, Rechtsanwälte,

partie demanderesse en première instance,

soutenue par :

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,

Royaume d’Espagne, représenté par M. M. A. Sampol Pucurull, en qualité d’agent,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. T. von Danwitz, J. L. da Cruz Vilaça, E. Juhász et Mme A. Prechal, présidents de chambre, MM. A. Borg Barthet, J. Malenovský, E. Jarašiūnas (rapporteur), F. Biltgen, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. N. Wahl,

greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 31 mai 2016,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 septembre 2016,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 9 septembre 2014, Hansestadt Lübeck/Commission (T‑461/12, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2014:758), par lequel celui-ci a, d’une part, annulé la décision C (2012) 1012 final de la Commission, du 22 février 2012, concernant les aides d’État SA.27585 et SA.31149 (2012/C) (ex NN/2012, ex CP 31/2009 et CP 162/2010) – Allemagne (ci-après la « décision litigieuse »), dans la mesure où cette décision concerne le règlement relatif aux redevances de l’aéroport de Lübeck (Allemagne) adopté en 2006 (ci-après le « règlement de 2006 ») et, d’autre part, rejeté le recours pour le surplus.

Les antécédents du litige

2

L’aéroport de Lübeck a été exploité, jusqu’au 31 décembre 2012, par Flughafen Lübeck GmbH (ci-après « FL »). FL a été détenue, jusqu’au 30 novembre 2005, à 100 % par la demanderesse en première instance, Hansestadt Lübeck (ville de Lübeck). Du 1er décembre 2005 à la fin du mois d’octobre 2009, FL a été détenue à 90 % par l’entreprise privée néozélandaise Infratil et à 10 % par la ville de Lübeck. À compter du mois de novembre 2009, FL a de nouveau été détenue à 100 % par la ville de Lübeck. Le 1er janvier 2013, l’aéroport de Lübeck a été vendu à Yasmina Flughafenmanagement GmbH. FL a été absorbée par la ville de Lübeck et rayée du registre du commerce le 2 janvier 2013.

3

Conformément à l’article 43a, paragraphe 1, de la Luftverkehrs-Zulassungs-Ordnung (règlement d’agréation pour la navigation aérienne), du 19 juin 1964 (BGBl. I, p. 370), tel qu’il était en vigueur en 2006 (ci-après la « LuftVZO »), FL a adopté le règlement de 2006, qui a été approuvé par l’autorité aérienne du Land de Schleswig-Holstein. Ce règlement s’applique depuis le 15 juin 2006 à l’ensemble des compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Lübeck, sauf accord conclu entre le gestionnaire de celui-ci et une compagnie aérienne.

4

Au cours de l’année 2007, la Commission a adopté une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen concernant un contrat conclu entre FL et la compagnie aérienne Ryanair, ledit contrat fixant pour cette compagnie des redevances aéroportuaires inférieures à celles prévues dans le règlement relatif aux redevances de 1998 applicable à l’aéroport de Lübeck à l’époque.

5

Estimant notamment que le règlement de 2006 était également en tant que tel susceptible de contenir une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, la Commission a, par la décision litigieuse, ouvert la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, à l’égard de diverses mesures relatives à l’aéroport de Lübeck, dont ce règlement.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

6

Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 19 octobre 2012, FL a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse dans la mesure où, d’une part, elle ouvre la procédure formelle d’examen à l’égard du règlement de 2006 et, d’autre part, elle oblige la République fédérale d’Allemagne à répondre à l’injonction de fournir des informations en ce qui concerne ce règlement.

7

Dans la réplique, déposée au greffe du Tribunal le 20 février 2013, la ville de Lübeck a déclaré se substituer à FL aux fins de poursuivre le recours introduit par cette dernière.

8

À l’appui de son premier chef de conclusions, la ville de Lübeck a soulevé cinq moyens, tirés, le premier, d’une violation des droits de la défense de la République fédérale d’Allemagne, le deuxième, d’une violation de l’obligation de procéder à un examen diligent et impartial, le troisième, d’une violation de l’article 108, paragraphes 2 et 3, TFUE ainsi que des articles 4, 6 et 13, paragraphe 1, du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), le quatrième, d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et, le cinquième, d’une violation de l’obligation de motivation.

9

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que le premier chef de conclusions était recevable, en considérant que, d’une part, FL était directement et individuellement concernée par la décision litigieuse et avait donc qualité pour agir lors de l’introduction du recours et, d’autre part, FL avait conservé un intérêt à agir après la vente de l’aéroport de Lübeck. Sur le fond, il a accueilli le quatrième moyen en estimant que cette décision était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que la Commission avait considéré dans celle-ci que les avantages institués par le règlement de 2006 présentaient un caractère sélectif. Il a, en conséquence, annulé ladite décision dans la mesure où elle ouvre la procédure formelle d’examen à l’égard de ce règlement.

Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

10

La Commission demande à la Cour :

d’annuler l’arrêt attaqué ;

de déclarer irrecevable le recours en première instance ou, à titre subsidiaire, de déclarer sans objet ledit recours ;

à titre également subsidiaire, de déclarer non fondée la branche du quatrième moyen du recours par laquelle la ville de Lübeck dénonce la violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE en ce qui concerne la condition relative à la sélectivité et renvoyer l’affaire au Tribunal en ce qui concerne les autres branches de ce moyen ainsi que les premier à troisième et cinquième moyens du recours, et

de condamner la ville de Lübeck aux dépens de première instance et du pourvoi ou, à titre subsidiaire, en cas de renvoi au Tribunal, de réserver la décision sur les dépens de première instance et du pourvoi.

11

La ville de Lübeck demande à la Cour :

de rejeter le pourvoi dans son intégralité, de faire droit aux conclusions qu’elle a présentées en première instance dans leur intégralité, et

de condamner la Commission aux dépens.

12

Par décisions du président de la Cour des 26 mars et 14 avril 2015, la République fédérale d’Allemagne et le Royaume d’Espagne ont été admis à intervenir au soutien des conclusions de la ville de Lübeck.

Sur le pourvoi

Sur le premier moyen, tiré de ce que FL n’était pas individuellement concernée par la décision litigieuse

Argumentation des parties

13

Par son premier moyen, la Commission fait grief au Tribunal d’avoir jugé que FL était individuellement concernée par la décision litigieuse, alors que, selon elle, c’est l’autorité de tutelle du Land et non l’exploitant de l’aéroport qui fixe les redevances aéroportuaires. En considérant, aux points 29 à 35 de l’arrêt attaqué, que, par l’adoption du règlement de 2006, FL avait exercé des compétences qui étaient dévolues à elle seule, le Tribunal aurait ignoré la règle de droit national applicable en l’espèce, selon laquelle un règlement relatif aux redevances aéroportuaires doit être approuvé par l’autorité de tutelle du Land, qui est elle-même liée par la législation fédérale sur les redevances aéroportuaires. Le simple fait que l’entreprise publique gestionnaire de l’aéroport soit chargée de proposer ce règlement ne signifierait pas que ce soit elle, et non l’État, qui dispose du pouvoir de déterminer la gestion et les politiques qu’elle applique au moyen dudit règlement. À cet égard, l’appréciation du Tribunal serait en contradiction avec celle qui résulte de l’arrêt du 10 juillet 1986, DEFI/Commission (282/85, EU:C:1986:316), dans lequel il a notamment été constaté que, en vertu de la réglementation française pertinente, le gouvernement français disposait du pouvoir de déterminer la gestion et la politique de l’organisme concerné et donc de définir les intérêts que cet organisme devait défendre.

14

La ville de Lübeck et la République fédérale d’Allemagne concluent au rejet de ce moyen.

Appréciation de la Cour

15

Ainsi que l’a rappelé le Tribunal au point 26 de l’arrêt attaqué, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne peuvent prétendre être individuellement concernés au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire le serait (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, 223 ; du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 72, ainsi que du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 46).

16

En l’espèce, pour juger que FL était individuellement concernée par la décision litigieuse, le Tribunal a considéré, au point 34 de l’arrêt attaqué, que cette décision, en ce qu’elle a trait au règlement de 2006, affecte un acte dont FL est l’un des auteurs et empêche celle-ci d’exercer, comme elle l’entend, ses compétences propres. Pour parvenir à cette appréciation, il a notamment relevé, au point 29 de cet arrêt, que l’article 43a, paragraphe 1, de la LuftVZO prévoyait, certes, que l’autorité de tutelle du Land, en l’occurrence l’autorité aérienne du Land de Schleswig-Holstein, devait approuver le règlement sur les redevances applicables à un aéroport, mais qu’il ressortait de cette disposition que ce règlement devait être proposé par l’exploitant de l’aéroport en cause et que l’autorité de tutelle n’avait pas de compétence propre pour fixer elle-même lesdites redevances, ne pouvant qu’autoriser ou refuser le règlement proposé.

17

Le Tribunal a également relevé, aux points 30 et 31 de l’arrêt attaqué, qu’il ressortait de la décision litigieuse et du règlement de 2006 que la possibilité d’appliquer des redevances réduites, dans le cadre de remises prévues par ledit règlement, était soumise à un accord conclu directement entre le gestionnaire de l’aéroport de Lübeck et une compagnie aérienne, sans intervention de l’autorité de tutelle, et que c’était d’ailleurs au moyen d’accords conclus directement entre FL et Ryanair que des redevances particulières, dérogeant à celles prévues par le règlement de 2006, avaient été appliquées à cette compagnie aérienne.

18

Il en a déduit, au point 32 dudit arrêt, que FL était investie, en sa qualité d’exploitant de l’aéroport de Lübeck, d’une compétence propre en matière de fixation des redevances aéroportuaires applicables à cet aéroport et n’agissait pas seulement comme un prolongement de l’État en exerçant des compétences dévolues uniquement à ce dernier. Ainsi, selon le Tribunal, la compétence pour adopter le règlement de 2006 appartenait à FL et non aux autorités étatiques, nonobstant l’exigence d’une approbation dudit règlement par l’autorité de tutelle.

19

Il apparaît que le Tribunal a ainsi, au vu du droit national applicable, considéré que FL avait, au-delà du pouvoir de proposer à l’autorité de tutelle le règlement fixant les redevances aéroportuaires applicables à l’aéroport de Lübeck, une compétence propre pour adopter ce règlement.

20

La Commission remettant en cause cette considération par son argumentation exposée au point 13 du présent arrêt, il convient de rappeler que, s’agissant d’une interprétation du droit national effectuée par le Tribunal, la Cour n’est compétente, dans le cadre du pourvoi, que pour vérifier s’il y a eu une dénaturation de ce droit, laquelle doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier (voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI,C‑263/09 P, EU:C:2011:452, point 53, et du 3 avril 2014, France/Commission, C‑559/12 P, EU:C:2014:217, points 79 et 80 ainsi que jurisprudence citée).

21

Or, en l’occurrence, la Commission n’a pas fait valoir et, a fortiori, n’a pas démontré une telle dénaturation du droit national. Elle n’a, en effet, pas soutenu ni établi que le Tribunal s’était livré à des considérations allant de façon manifeste à l’encontre du contenu des dispositions du droit allemand en cause ou bien avait attribué à l’une d’entre elles une portée qui ne lui reviendrait manifestement pas par rapport aux autres éléments du dossier (voir, en ce sens, arrêt du 3 avril 2014, France/Commission, C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 81).

22

Partant, le premier moyen doit être rejeté comme étant irrecevable.

Sur le deuxième moyen, tiré de ce que la ville de Lübeck n’avait pas d’intérêt actuel à agir

Argumentation des parties

23

Par son deuxième moyen, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit, au point 37 de l’arrêt attaqué, en considérant, d’une part, que FL avait un intérêt à agir, même après la vente de l’aéroport de Lübeck à un investisseur privé, dès lors que la procédure formelle d’examen n’avait pas été close et que la décision litigieuse continuait donc à produire ses effets et, d’autre part, que, en tout état de cause, FL avait conservé un intérêt à agir pour la période antérieure à la vente.

24

Elle fait valoir que, même en l’absence d’une décision finale clôturant la procédure formelle d’examen, la décision litigieuse avait cessé de produire son unique effet juridique, à savoir l’obligation de suspendre la mesure d’aide durant l’enquête, puisqu’il n’y avait pas eu de suspension prononcée avant le 31 décembre 2012 et que le règlement de 2006 ne pouvait plus, à compter du 1er janvier 2013, date de la privatisation de l’aéroport de Lübeck, être considéré comme un régime d’aides en cours d’exécution, ce dernier n’étant plus financé par des fonds publics. L’appréciation du Tribunal serait contraire à la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle l’intérêt doit être né et actuel et ne perdure que si le recours est susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a formé. La ville de Lübeck n’aurait d’ailleurs pas démontré qu’elle avait un quelconque intérêt à maintenir son recours après la privatisation de l’aéroport.

25

La ville de Lübeck et la République fédérale d’Allemagne concluent au rejet de ce moyen.

Appréciation de la Cour

26

Selon une jurisprudence constante de la Cour, l’intérêt à agir du requérant doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci sous peine d’irrecevabilité. Cet objet du litige doit perdurer, tout comme l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (arrêt du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 61 ainsi que jurisprudence citée).

27

En l’espèce, pour écarter l’argument de la Commission selon lequel la vente de l’aéroport de Lübeck à une société privée le 1er janvier 2013 a mis un terme au régime d’aides en cause, de telle sorte que l’obligation de suspension dudit régime ne ferait plus grief et que la ville de Lübeck n’aurait donc pas d’intérêt actuel à solliciter l’annulation de la décision litigieuse, le Tribunal a considéré, comme indiqué au point 23 du présent arrêt, que, la procédure formelle d’examen n’étant pas close, ladite décision produisait encore ses effets et que la ville de Lübeck conservait à tout le moins un intérêt à agir pour la période antérieure à la vente de l’aéroport.

28

Au préalable, au point 27 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé, en se référant notamment à l’arrêt du 24 octobre 2013, Deutsche Post/Commission (C‑77/12 P, non publié, EU:C:2013:695, points 52 et 53), qu’une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure en cours d’exécution et qualifiée d’« aide nouvelle » emporte des effets juridiques autonomes, en particulier en ce qui concerne la suspension de cette mesure. Il a relevé qu’une telle décision modifie nécessairement la portée juridique de la mesure considérée ainsi que la situation juridique des entreprises qui en sont bénéficiaires, notamment en ce qui concerne la poursuite de la mise en œuvre de cette mesure. Il a également observé qu’il existe à tout le moins, après l’adoption d’une telle décision, un doute important sur la légalité de la mesure en cours d’exécution qui doit conduire l’État membre à en suspendre l’application et qu’une telle décision peut également être invoquée devant un juge national appelé à tirer toutes les conséquences découlant de la violation de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE.

29

À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a également jugé, dans l’arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa (C‑284/12, EU:C:2013:755, point 45), et dans l’ordonnance de la Cour du 4 avril 2014, Flughafen Lübeck (C‑27/13, non publiée, EU:C:2014:240, point 27), que, lorsque, en application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la Commission a ouvert une procédure formelle d’examen à l’égard d’une mesure non notifiée en cours d’exécution, une juridiction nationale, saisie d’une demande tendant à la cessation de l’exécution de cette mesure et à la récupération des sommes déjà versées, est tenue d’adopter toutes les mesures nécessaires en vue de tirer les conséquences d’une éventuelle violation de l’obligation de suspension de l’exécution de ladite mesure. À cette fin, la juridiction nationale peut décider de suspendre l’exécution de la mesure en cause et d’enjoindre la récupération des montants déjà versés. Elle peut aussi décider d’ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder, d’une part, les intérêts des parties concernées et, d’autre part, l’effet utile de la décision de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen.

30

Ainsi, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, contrairement à ce que soutient la Commission, l’obligation de suspendre l’exécution de la mesure en cause n’est pas l’unique effet juridique d’une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen.

31

En l’occurrence, au regard de cette jurisprudence, il apparaît que, ainsi que l’a relevé le Tribunal, la ville de Lübeck demeurait à tout le moins exposée, après la privatisation de l’aéroport de Lübeck, au risque qu’une juridiction nationale ordonne la récupération des éventuelles aides accordées alors que FL était propriétaire de cet aéroport. C’est dès lors à bon droit que le Tribunal a jugé que, en l’absence d’une décision finale de la Commission venant clôturer la procédure formelle d’examen, les effets de la décision litigieuse perduraient, de sorte que la ville de Lübeck conservait un intérêt à agir pour solliciter l’annulation de celle-ci.

32

Il y a lieu, en conséquence, de rejeter le deuxième moyen comme étant non fondé.

Sur le troisième moyen, tiré d’une appréciation erronée du caractère sélectif du règlement de 2006

Argumentation des parties

33

Par son troisième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a fait une interprétation erronée de la condition relative à la sélectivité au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en estimant, aux points 53 à 55 de l’arrêt attaqué, que, afin d’apprécier le caractère éventuellement sélectif d’un barème tarifaire établi par une entité publique pour l’utilisation d’un bien ou d’un service, il convenait de vérifier si ce barème tarifaire s’appliquait de manière non discriminatoire à l’ensemble des entreprises utilisant, ou pouvant utiliser, ce bien ou ce service et que la circonstance en l’espèce que le règlement de 2006 ne s’appliquait qu’aux compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Lübeck n’était pas pertinente.

34

Cette interprétation serait en contradiction avec la jurisprudence de la Cour selon laquelle une mesure ne constitue pas une mesure générale de politique fiscale ou économique, et présente donc un caractère sélectif, si elle ne s’applique qu’à certains secteurs de l’économie ou à certaines entreprises au sein d’un secteur donné. Or, ne s’appliquant jamais à tous les opérateurs économiques, une mesure établissant les conditions auxquelles une entreprise publique propose ses propres biens ou ses services constituerait toujours une mesure sélective.

35

Il importerait peu que cette mesure s’applique de manière non discriminatoire à l’ensemble des entreprises utilisant, ou pouvant utiliser, ces biens ou ces services, la question d’une inégalité de traitement ou d’une discrimination n’étant pas pertinente pour juger de l’existence d’une aide. Le Tribunal se serait à cet égard fondé à tort sur le critère retenu dans l’arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C‑143/99, EU:C:2001:598), qui ne s’appliquerait qu’aux mesures fiscales, et aurait méconnu la portée des arrêts du 2 février 1988, Kwekerij van der Kooy e.a./Commission (67/85, 68/85 et 70/85, EU:C:1988:38), du 29 février 1996, Belgique/Commission (C‑56/93, EU:C:1996:64), du 20 novembre 2003, GEMO (C‑126/01, EU:C:2003:622), et du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732).

36

À titre subsidiaire, la Commission fait valoir que le Tribunal a également méconnu, aux points 52 et 53 de l’arrêt attaqué, la jurisprudence de la Cour selon laquelle, d’une part, le caractère sélectif d’une mesure s’apprécie essentiellement au regard des effets de cette mesure et, d’autre part, les mesures dont ne bénéficie qu’un secteur d’activité sont sélectives. Elle souligne que, alors que l’aéroport de Lübeck se trouve en concurrence directe avec celui de Hambourg (Allemagne), l’avantage conféré par le règlement de 2006 ne profite qu’aux compagnies aériennes qui utilisent le premier, ce qui suffit, selon elle, à démontrer que ce règlement est sélectif. L’approche retenue par le Tribunal aurait pour conséquence de soustraire aux règles relatives aux aides d’État les règlements fixant les redevances aéroportuaires.

37

À titre encore plus subsidiaire, la Commission soutient que, à supposer que le critère établi dans l’arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C‑143/99, EU:C:2001:598), soit applicable pour constater la sélectivité de règlements fixant les redevances de certaines institutions publiques, le Tribunal a interprété ce critère de manière erronée. Pour déterminer l’ensemble des entreprises se trouvant dans une situation comparable, il faudrait en effet non pas s’attacher au champ d’application de la mesure en cause, mais prendre en compte les entreprises qui ont des postes de dépenses analogues à ceux des entreprises favorisées par celle-ci. En outre, le règlement de 2006 serait sélectif parce qu’il ne respecte pas le principe, inscrit à l’article 43a, paragraphe 1, de la LuftVZO, qui s’impose à tous les aéroports allemands et donc à toutes les compagnies aériennes desservant ces aéroports, selon lequel les redevances aéroportuaires doivent couvrir les coûts. En retenant comme élément déterminant le champ d’application dudit règlement et non l’objectif poursuivi par cette disposition, le Tribunal aurait commis une erreur de droit.

38

La Commission soutient, enfin, que le Tribunal a également commis une erreur de droit en ayant omis d’examiner si les remises prévues par le règlement de 2006 étaient sélectives au motif que seules en bénéficiaient les compagnies aériennes remplissant certaines conditions.

39

La ville de Lübeck, la République fédérale d’Allemagne et le Royaume d’Espagne concluent au rejet de ce moyen.

Appréciation de la Cour

40

Ainsi que l’a rappelé le Tribunal au point 43 de l’arrêt attaqué, la qualification d’« aide d’État » requiert, selon une jurisprudence constante, que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir, notamment, arrêt du 16 juillet 2015, BVVG,C‑39/14, EU:C:2015:470, point 24).

41

En ce qui concerne la condition relative à la sélectivité de l’avantage, qui est constitutive de la notion d’« aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, celui-ci interdisant les aides « favorisant certaines entreprises ou certaines productions », il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour, rappelée aux points 45 et 46 de l’arrêt attaqué, que l’appréciation de cette condition impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, une mesure nationale est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable. La notion d’« aide d’État » ne vise pas les mesures étatiques introduisant une différenciation entre entreprises et, donc, a priori sélectives, lorsque cette différenciation résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elles s’inscrivent (voir arrêts du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, C‑143/99, EU:C:2001:598, points 41 et 42 ; du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, points 82 et 83 ; du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 74 et 75, ainsi que du 14 janvier 2015, Eventech, C‑518/13, EU:C:2015:9, points 54 et 55).

42

Pour accueillir le moyen soulevé par la ville de Lübeck, tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE en ce que la Commission a considéré, dans la décision litigieuse, que le règlement de 2006 était sélectif, le Tribunal a d’abord constaté, au point 50 de l’arrêt attaqué, que cette considération reposait, dans ladite décision, sur le seul motif que les avantages en cause étaient accordés uniquement aux compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Lübeck.

43

Ensuite, au point 51 de cet arrêt, le Tribunal a relevé que le fait que le règlement de 2006 ne s’appliquait qu’auxdites compagnies était consubstantiel au régime juridique allemand relatif aux redevances aéroportuaires et à la nature même d’un règlement fixant de telles redevances et que, dans le cadre de ce régime juridique, les compagnies aériennes fréquentant les autres aéroports allemands étaient soumises, dans ces aéroports, aux règlements sur les redevances spécifiquement applicables à ceux-ci et ne se trouvaient donc pas dans une situation comparable à celle des compagnies utilisant l’aéroport de Lübeck.

44

Par ailleurs, au point 52 dudit arrêt, le Tribunal a considéré que, s’il ressort de la jurisprudence qu’une aide peut être sélective même lorsqu’elle concerne tout un secteur économique, cette jurisprudence, élaborée notamment dans le contexte de mesures nationales de portée générale, n’était pas directement pertinente en l’espèce, la mesure en cause concernant non pas tout le secteur aéroportuaire, mais les seules compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Lübeck.

45

Enfin, au point 53 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a énoncé, en substance, que le caractère sélectif d’une mesure par laquelle une entité publique établit un barème tarifaire pour l’utilisation de ses biens ou de ses services s’évalue en se référant à l’ensemble des entreprises utilisant, ou pouvant utiliser, ces biens ou ces services et en examinant si toutes ou seulement certaines d’entre elles bénéficient, ou sont en mesure de bénéficier, d’un éventuel avantage.

46

Au regard de ces considérations, le Tribunal a jugé, aux points 54 et 55 de l’arrêt attaqué, que la seule circonstance que le règlement de 2006 ne s’appliquait qu’aux compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Lübeck n’était pas pertinente pour considérer que celui-ci présentait un caractère sélectif et que, n’étant pas contesté que toutes les compagnies aériennes pouvaient bénéficier des dispositions tarifaires dudit règlement, « c’[était] à tort, au regard de la motivation figurant dans la décision [litigieuse], que la Commission [avait] considéré que le règlement de 2006 était sélectif ».

47

À cet égard, il convient d’observer que, contrairement à ce que soutient la Commission, il ne ressort nullement de la jurisprudence de la Cour qu’une mesure par laquelle une entreprise publique établit les conditions d’utilisation de ses biens ou de ses services est toujours, et donc par nature, une mesure sélective au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Les arrêts auxquels elle se réfère, en particulier ceux mentionnés au point 35 du présent arrêt, n’énoncent pas une telle généralité.

48

Il est, en revanche, de jurisprudence constante que l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets, et donc indépendamment des techniques utilisées (arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 87 ainsi que jurisprudence citée).

49

Dès lors, s’il ne saurait être exclu qu’une mesure par laquelle une entreprise publique établit les conditions d’utilisation de ses biens ou de ses services, bien que d’application générale à l’ensemble des entreprises utilisant ces biens ou ces services, présente un caractère sélectif, il y a lieu, pour déterminer si tel est le cas, de s’attacher non pas à la nature de cette mesure, mais à ses effets en recherchant si l’avantage qu’elle est supposée procurer ne profite en réalité qu’à certaines de ces entreprises par rapport aux autres, alors même que, au regard de l’objectif poursuivi par le régime concerné, l’ensemble desdites entreprises se trouvent dans une situation factuelle et juridique comparable.

50

Il s’ensuit que n’est pas fondée l’argumentation principale de la Commission, exposée au point 34 du présent arrêt, selon laquelle une mesure établissant les conditions auxquelles une entreprise publique propose ses propres biens ou ses services constituerait toujours une mesure sélective.

51

Cette appréciation n’est pas remise en cause par l’allégation de la Commission, évoquée au point 35 du présent arrêt, selon laquelle il importe peu, pour juger de l’existence d’une aide, qu’une telle mesure s’applique de manière non discriminatoire à l’ensemble des entreprises utilisant, ou pouvant utiliser, ces biens ou ces services, ni par l’argument selon lequel le Tribunal s’est fondé à tort sur la jurisprudence relative aux mesures fiscales.

52

En effet, d’une part, pour déterminer si une mesure, bien que d’application générale à un ensemble d’opérateurs économiques, a pour effet de n’avantager, en définitive, que certaines entreprises, il y a lieu d’examiner, ainsi que cela résulte de la jurisprudence rappelée au point 41 du présent arrêt, si certaines entreprises sont favorisées par rapport à d’autres se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique concerné, dans une situation factuelle et juridique comparable.

53

L’examen de la question de savoir si une telle mesure présente un caractère sélectif coïncide ainsi, en substance, avec celui de savoir si cette mesure s’applique à cet ensemble d’opérateurs économiques de manière non discriminatoire (voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2015, Eventech, C‑518/13, EU:C:2015:9, point 53). Le concept de sélectivité est donc lié, ainsi que M. l’avocat général le souligne au point 75 de ses conclusions, à celui de discrimination.

54

D’autre part, ainsi que cela résulte également de cette jurisprudence, cet examen de la sélectivité doit être effectué « dans le cadre d’un régime juridique donné ». Aux fins d’apprécier la sélectivité d’une mesure, il convient, par conséquent, d’examiner si, dans le cadre d’un régime juridique déterminé, ladite mesure constitue un avantage pour certaines entreprises par rapport à d’autres se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime, dans une situation factuelle et juridique comparable (arrêts du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 56, et du 28 juillet 2011, Mediaset/Commission, C‑403/10 P, non publié, EU:C:2011:533, point 36).

55

Cet examen implique donc, en principe, de définir au préalable le cadre de référence dans lequel s’inscrit la mesure concernée. Ainsi que le fait valoir M. l’avocat général aux points 77 et 86 à 89 de ses conclusions, cette méthode n’est pas réservée à l’examen des mesures fiscales, la Cour ayant seulement observé que la détermination du cadre de référence revêt une importance accrue dans le cas de mesures fiscales, puisque l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 56).

56

Quant à l’argumentation subsidiaire de la Commission, exposée aux points 36 à 38 du présent arrêt, il convient de souligner, en premier lieu, concernant le grief relatif à l’absence de prise en compte des effets de la mesure concernée, que le Tribunal a examiné la légalité de la décision litigieuse au vu des motifs de celle-ci, selon lesquels les avantages en cause étaient accordés uniquement aux compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Lübeck, en constatant que ces motifs constituaient la seule motivation de ladite décision concernant la sélectivité.

57

Au demeurant, en estimant implicitement, au point 53 de l’arrêt attaqué, que le règlement de 2006 n’était pas discriminatoire et en constatant, au point 55 du même arrêt, qu’il n’était pas contesté que toutes les compagnies aériennes utilisant ou étant susceptibles d’utiliser l’aéroport de Lübeck pouvaient bénéficier des dispositions tarifaires de ce règlement, le Tribunal a tenu compte des effets de celui-ci.

58

En deuxième lieu, contrairement à ce qu’affirme la Commission, une mesure dont ne bénéficie qu’un secteur d’activité ou une partie des entreprises de ce secteur n’est pas nécessairement sélective. Elle ne l’est en effet, ainsi qu’il découle des considérations énoncées aux points 41 et 47 à 55 du présent arrêt, que si, dans le cadre d’un régime juridique donné, elle a pour effet d’avantager certaines entreprises par rapport à d’autres appartenant à d’autres secteurs ou au même secteur et se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime, dans une situation factuelle et juridique comparable.

59

De même, le fait que, en l’occurrence, l’aéroport de Lübeck soit en concurrence directe avec celui de Hambourg ou avec d’autres aéroports allemands et que seules les compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Lübeck profitent des avantages éventuellement conférés par le règlement de 2006 ne suffit pas à démontrer le caractère sélectif de ce règlement. Pour avoir un tel caractère, il devrait être établi que, dans le cadre du régime juridique dont relèveraient tous ces aéroports, ledit règlement avantage les compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Lübeck au détriment des compagnies utilisant les autres aéroports se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime, dans une situation factuelle et juridique comparable.

60

En troisième lieu, ainsi que cela découle des considérations énoncées aux points 52 à 55 du présent arrêt, la détermination de l’ensemble des entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable dépend de la définition préalable du régime juridique au regard de l’objectif duquel doit, le cas échéant, être examinée la comparabilité de la situation factuelle et juridique respective des entreprises favorisées par la mesure en cause et de celles qui ne le sont pas.

61

Or, à cet égard, aux points 32 et 51 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, dans le cadre de son pouvoir d’interprétation du droit national, constaté, ainsi qu’il ressort des points 16 à 21 du présent arrêt, que, conformément à l’article 43a, paragraphe 1, de la LuftVZO, le gestionnaire d’un aéroport élabore, en exerçant une compétence qui lui est propre, le barème des redevances aéroportuaires applicables à cet aéroport.

62

Il ressort de cette constatation que, en l’occurrence, c’est non pas l’article 43a, paragraphe 1, de la LuftVZO ou une autre réglementation applicable à tous les aéroports, à laquelle le règlement de 2006 aurait éventuellement dérogé en faveur des compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Lübeck, qui établit les redevances aéroportuaires applicables à un aéroport, mais le règlement adopté à cette fin par le gestionnaire de l’aéroport lui-même dans l’exercice d’une compétence limitée à cet aéroport. Dès lors, il apparaît que, ainsi que le relève M. l’avocat général au point 112 de ses conclusions, le cadre de référence pertinent pour examiner si le règlement de 2006 avait pour effet de favoriser certaines compagnies aériennes par rapport à d’autres se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable était celui du régime applicable au seul aéroport de Lübeck.

63

Dans ces conditions, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal, ayant ainsi circonscrit le régime juridique pertinent en l’espèce, a considéré que les compagnies aériennes desservant les autres aéroports allemands ne se trouvaient pas dans une situation comparable à celle des compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Lübeck.

64

Partant, ayant relevé que le règlement de 2006 s’appliquait de manière non discriminatoire à l’ensemble des compagnies aériennes utilisant ou étant susceptibles d’utiliser l’aéroport de Lübeck, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au regard de la motivation de la décision litigieuse, que la Commission avait considéré à tort que ce règlement présentait un caractère sélectif.

65

En dernier lieu, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir omis d’examiner si les remises prévues par le règlement de 2006 avaient un caractère sélectif en ce qu’elles favoriseraient certaines compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Lübeck au détriment d’autres compagnies utilisant ce même aéroport. En effet, si, comme le soutient la Commission, la décision litigieuse contient une description desdites remises et une appréciation juridique préliminaire, il demeure que cette dernière ne concerne que l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et que la motivation de ladite décision concernant la sélectivité repose sur la seule constatation que les avantages en cause bénéficiaient uniquement aux compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Lübeck. C’est dès lors à bon droit que le Tribunal, en examinant le moyen soulevé par la ville de Lübeck, tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE commise par la Commission dans son appréciation de la condition relative à la sélectivité, s’est prononcé sur la légalité de ladite décision au regard des seuls motifs qui fondaient cette appréciation.

66

Il s’ensuit que l’argumentation subsidiaire de la Commission n’est pas fondée.

67

En conséquence, il y a lieu de rejeter le troisième moyen comme étant non fondé.

Sur le quatrième moyen, tiré de défauts de motivation de l’arrêt attaqué

Argumentation des parties

68

Par son quatrième moyen, la Commission soutient, premièrement, que l’arrêt attaqué présente trois défauts de motivation. Tout d’abord, cet arrêt ne contiendrait aucune constatation relative à l’objectif poursuivi par la mesure en cause, alors que c’est à la lumière de cet objectif qu’il convient de déterminer les entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable. Ensuite, ledit arrêt ne contiendrait aucune motivation concernant les remises prévues par le règlement de 2006. Enfin, il n’exposerait pas les raisons pour lesquelles ledit règlement présente un caractère non sélectif tellement manifeste que la Commission n’était pas en droit d’ouvrir une procédure formelle d’examen.

69

La Commission considère, deuxièmement, que le raisonnement du Tribunal est contradictoire, car il applique, aux points 51 et 53 de l’arrêt attaqué, la jurisprudence relative au caractère sélectif de mesures fiscales, puis déclare, au point 57 de cet arrêt, que cette jurisprudence n’est pas pertinente.

70

La ville de Lübeck, la République fédérale d’Allemagne et le Royaume d’Espagne concluent au rejet de ce moyen.

Appréciation de la Cour

71

Il apparaît, premièrement, que, au regard de la motivation de la décision litigieuse et de l’argumentation de la Commission développée devant lui, selon lesquelles le règlement de 2006 était sélectif étant donné qu’il ne s’appliquait qu’aux compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Lübeck, le Tribunal a amplement exposé, dans l’arrêt attaqué, les raisons pour lesquelles il a jugé que cette seule circonstance ne permettait pas d’aboutir à une telle appréciation. Concernant, en particulier, la détermination des entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable, il a précisé, au point 51 de l’arrêt attaqué, les motifs pour lesquels les compagnies aériennes fréquentant les autres aéroports ne se trouvaient pas, dans le cadre du régime juridique en cause, dans une situation comparable à celle des compagnies utilisant l’aéroport de Lübeck.

72

Deuxièmement, pour les motifs exposés au point 65 du présent arrêt, le Tribunal n’était pas tenu de se prononcer sur les remises prévues par le règlement de 2006.

73

Troisièmement, il incombait au Tribunal non pas d’apprécier si ce règlement avait ou non, manifestement, un caractère sélectif, mais, ainsi que cela sera examiné dans le cadre du cinquième moyen, si la décision litigieuse était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

74

Enfin, l’argument de la Commission relatif à une contradiction de motifs procède d’une affirmation qui n’est nullement étayée.

75

Il convient, par conséquent, de rejeter le quatrième moyen comme étant non fondé.

Sur le cinquième moyen, tiré d’une méconnaissance des limites du contrôle juridictionnel s’exerçant sur une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen en matière d’aides d’État

Argumentation des parties

76

Par son cinquième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a méconnu le fait qu’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen est soumise à un contrôle juridictionnel restreint, notamment en ce qui concerne sa motivation. Elle expose qu’un simple examen préliminaire des faits ne lui a pas permis de lever ses doutes sur le caractère sélectif ou non du règlement de 2006. Or, l’arrêt attaqué ne contiendrait aucune explication quant aux raisons pour lesquelles ce règlement présentait un caractère non sélectif tellement manifeste que la Commission n’était pas en droit d’ouvrir la procédure formelle d’examen.

77

La ville de Lübeck, la République fédérale d’Allemagne et le Royaume d’Espagne concluent au rejet de ce moyen.

Appréciation de la Cour

78

Ainsi que l’a rappelé le Tribunal au point 42 de l’arrêt attaqué, le contrôle de légalité d’une décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen exercé par le juge de l’Union, lorsque la partie requérante conteste l’appréciation de la Commission quant à la qualification de la mesure litigieuse d’« aide d’État », est limité à la vérification du point de savoir si la Commission n’a pas commis d’erreurs manifestes d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Alcoa Trasformazioni/Commission, C‑194/09 P, EU:C:2011:497, point 61).

79

Or, il découle des considérations énoncées aux points 47 à 55 du présent arrêt que l’appréciation de la Commission selon laquelle les avantages découlant du règlement de 2006 étaient sélectifs au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE au seul motif qu’ils étaient accordés uniquement aux compagnies aériennes utilisant l’aéroport de Lübeck et sur le fondement de laquelle elle a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’égard de ce règlement est manifestement erronée.

80

C’est dès lors à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 59 de l’arrêt attaqué, que, au regard de cette motivation, la décision litigieuse était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation et qu’il a annulé cette décision dans la mesure où elle concerne le règlement de 2006.

81

Le cinquième moyen doit, par conséquent, être rejeté comme étant non fondé.

82

Aucun des moyens invoqués par la requérante au soutien de son pourvoi n’étant accueilli, celui-ci doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

83

Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses moyens et la ville de Lübeck ayant conclu à la condamnation de celle-ci aux dépens, il y a lieu de la condamner aux dépens afférents au présent pourvoi.

84

Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du même règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, la République fédérale d’Allemagne et le Royaume d’Espagne supporteront leurs propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

 

1)

Le pourvoi est rejeté.

 

2)

La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Hansestadt Lübeck.

 

3)

La République fédérale d’Allemagne et le Royaume d’Espagne supportent leurs propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.