ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

4 février 2016 ( *1 )

«Libre prestation des services — Article 56 TFUE — Jeux de hasard — Monopole public en matière de paris sur les compétitions sportives — Autorisation administrative préalable — Exclusion des opérateurs privés — Collecte de paris pour le compte d’un opérateur établi dans un autre État membre — Sanctions pénales — Disposition nationale contraire au droit de l’Union — Éviction — Transition vers un régime prévoyant l’octroi d’un nombre limité de concessions à des opérateurs privés — Principes de transparence et d’impartialité — Directive 98/34/CE — Article 8 — Règles techniques — Règles relatives aux services — Obligation de notification»

Dans l’affaire C‑336/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Sonthofen (tribunal cantonal de Sonthofen, Allemagne), par décision du 7 mai 2013, parvenue à la Cour le 11 juillet 2014, dans la procédure pénale contre

Sebat Ince,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, MM. A. Borg Barthet, E. Levits, Mme M. Berger et M. S. Rodin (rapporteur), juges,

avocat général: M. M. Szpunar,

greffier: M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 juin 2015,

considérant les observations présentées:

pour Sebat Ince, par Mes M. Arendts, R. Karpenstein et R. Reichert, Rechtsanwälte,

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents,

pour le gouvernement belge, par Mes P. Vlaemminck, B. Van Vooren, et R. Verbeke, advocaten, et par Mmes M. Jacobs, L. Van den Broeck et J. Van Holm, en qualité d’agents,

pour le gouvernement hellénique, par Mmes E.‑M. Mamouna et M. Tassopoulou, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. G. Braun et Mme H. Tserepa‑Lacombe, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 octobre 2015,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 56 TFUE et de l’article 8 de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information (JO L 204, p. 37), telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO L 217, p. 18, ci‑après la «directive 98/34»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre de deux procédures pénales jointes engagées à l’encontre de Mme Ince, à laquelle il est reproché d’avoir procédé, sans autorisation délivrée par l’autorité compétente, à l’intermédiation de paris sportifs sur le territoire du Land de Bavière.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 5 à 7 de la directive 98/34 sont libellés comme suit:

«(5)

considérant qu’il est indispensable que la Commission dispose des informations nécessaires avant l’adoption des dispositions techniques; que les États membres qui, en vertu de l’article 5 du traité, sont tenus de lui faciliter l’accomplissement de sa mission doivent donc lui notifier leurs projets dans le domaine des réglementations techniques;

(6)

considérant que tous les États membres doivent être également informés des réglementations techniques envisagées par l’un d’entre eux;

(7)

considérant que le marché intérieur a pour but d’assurer un environnement favorable à la compétitivité des entreprises; qu’une meilleure exploitation par les entreprises des avantages inhérents à ce marché passe notamment par une information accrue; qu’il importe, par conséquent, de prévoir la possibilité pour les opérateurs économiques de faire connaître leur appréciation sur l’impact des réglementations techniques nationales projetées par d’autres États membres, grâce à la publication régulière des titres des projets notifiés ainsi qu’au moyen des dispositions concernant la confidentialité de ces projets».

4

L’article 1er de cette directive énonce:

«Au sens de la présente directive, on entend par:

1)

‘produit’: tout produit de fabrication industrielle et tout produit agricole, y compris les produits de la pêche;

2)

‘service’: tout service de la société de l’information, c’est‑à‑dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

[...]

3)

‘spécification technique’: une spécification qui figure dans un document définissant les caractéristiques requises d’un produit, telles que les niveaux de qualité ou de propriété d’emploi, la sécurité, les dimensions, y compris les prescriptions applicables au produit en ce qui concerne la dénomination de vente, la terminologie, les symboles, les essais et les méthodes d’essai, l’emballage, le marquage et l’étiquetage, ainsi que les procédures d’évaluation de la conformité.

[...]

4)

‘autre exigence’: une exigence, autre qu’une spécification technique, imposée à l’égard d’un produit pour des motifs de protection, notamment des consommateurs ou de l’environnement, et visant son cycle de vie après mise sur le marché, telle que ses conditions d’utilisation, de recyclage, de réemploi ou d’élimination lorsque ces conditions peuvent influencer de manière significative la composition ou la nature du produit ou sa commercialisation;

5)

‘règle relative aux services’: une exigence de nature générale relative à l’accès aux activités de services visées au point 2 et à leur exercice, notamment les dispositions relatives au prestataire de services, aux services et au destinataire de services, à l’exclusion des règles qui ne visent pas spécifiquement les services définis au même point.

[...]

11)

‘règle technique’: une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent, dont l’observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l’établissement d’un opérateur de services ou l’utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l’article 10, les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ou interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services.

[...]»

5

L’article 8, paragraphe 1, de ladite directive dispose:

«Sous réserve de l’article 10, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit. Ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l’établissement d’une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet.

Le cas échéant, et à moins qu’il n’ait été transmis en liaison avec une communication antérieure, les États membres communiquent en même temps le texte des dispositions législatives et réglementaires de base principalement et directement concernées, si la connaissance de ce texte est nécessaire pour l’appréciation de la portée du projet de règle technique.

Les États membres procèdent à une nouvelle communication dans les conditions énoncées ci‑dessus s’ils apportent au projet de règle technique, d’une manière significative, des changements qui auront pour effet de modifier le champ d’application, d’en raccourcir le calendrier d’application initialement prévu, d’ajouter des spécifications ou des exigences ou de rendre celles‑ci plus strictes.

[...]»

Le droit allemand

Le droit fédéral

6

L’article 284 du code pénal (Strafgesetzbuch) énonce:

«(1)   Quiconque organise ou tient publiquement un jeu de hasard sans autorisation administrative ou fournit les installations nécessaires à cet effet est passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement au maximum ou d’une amende.

[...]

(3)   Quiconque agit dans la situation visée au paragraphe 1

1.

à titre professionnel ou

2.

en tant que membre d’une bande organisée pour commettre ces actes de façon continue

est passible d’une peine de trois mois à cinq ans d’emprisonnement.

[...]»

Le traité sur les jeux de hasard

7

Par le traité d’État relatif aux loteries en Allemagne (Staatsvertrag zum Lotteriewesen in Deutschland, ci‑après le «traité relatif aux loteries»), entré en vigueur le 1er juillet 2004, les Länder ont créé un cadre uniforme pour l’organisation, l’exploitation et le placement, à titre commercial, de jeux de hasard, à l’exception des casinos.

8

Dans un arrêt du 28 mars 2006, le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) a jugé, au sujet de la réglementation assurant la transposition du traité relatif aux loteries dans le Land de Bavière, que le monopole public en matière de paris sur les compétitions sportives existant dans ce Land enfreignait l’article 12, paragraphe 1, de la loi fondamentale (Grundgesetz), garantissant la liberté professionnelle. Ladite juridiction a notamment considéré que, dès lors qu’il excluait l’activité d’organisation de paris privés sans toutefois être accompagné d’un cadre réglementaire qui soit propre à assurer structurellement et substantiellement, tant en droit qu’en fait, que les objectifs de réduction de la passion pour le jeu et de lutte contre l’assuétude à celui‑ci soient effectivement poursuivis, ledit monopole portait une atteinte disproportionnée à la liberté professionnelle ainsi garantie.

9

Le traité d’État sur les jeux de hasard (Staatsvertrag zum Glücksspielwesen, ci‑après le «traité sur les jeux de hasard»), entré en vigueur le 1er janvier 2008, a institué un nouveau cadre uniforme pour l’organisation, l’exploitation et l’intermédiation des jeux de hasard visant à satisfaire aux exigences posées par le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) dans ledit arrêt du 28 mars 2006. Le traité sur les jeux de hasard avait été notifié à la Commission à l’état de projet au titre de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 98/34.

10

Aux termes de l’article 1er du traité sur les jeux de hasard, les objectifs de celui‑ci étaient les suivants:

«1.

prévenir la dépendance aux jeux de hasard et aux paris, et créer les conditions pour lutter efficacement contre la dépendance,

2.

limiter l’offre de jeux de hasard et canaliser de manière organisée et contrôlée l’instinct de jeu de la population, en prévenant notamment une dérive vers des jeux de hasard non autorisés,

3.

garantir la protection des mineurs et des joueurs,

4.

assurer le bon déroulement des jeux de hasard, la protection des joueurs contre les manœuvres frauduleuses et prévenir la criminalité liée aux jeux de hasard et découlant de ceux‑ci.»

11

L’article 4 de ce traité disposait:

«(1)   L’organisation ou l’intermédiation des jeux de hasard publics ne peut se faire qu’avec l’autorisation de l’autorité compétente du Land concerné. Toute organisation et toute intermédiation de tels jeux sont interdites sans cette autorisation (jeu de hasard illicite).

(2)   Cette autorisation est refusée lorsque l’organisation ou l’intermédiation du jeu de hasard est contraire aux objectifs de l’article 1er. L’autorisation ne doit pas être délivrée pour l’intermédiation de jeux de hasard illicites selon le présent traité d’État. Il n’existe aucun droit acquis à l’obtention d’une autorisation.

[...]

(4)   L’organisation et l’intermédiation de jeux de hasard publics sur Internet sont interdites.»

12

Aux termes de l’article 5, paragraphe 3, dudit traité:

«La publicité pour le jeu de hasard public est interdite à la télévision […], sur l’Internet et par l’intermédiaire d’équipements de télécommunications.»

13

L’article 10 de ce même traité était libellé comme suit:

«(1)   Pour atteindre les objectifs énoncés à l’article 1er, les Länder ont l’obligation réglementaire de garantir une offre de jeux de hasard suffisante. Ils sont assistés par un comité technique constitué d’experts spécialisés dans la lutte contre la dépendance aux jeux de hasard.

(2)   En vertu de la loi, les Länder peuvent assumer cette tâche soit eux‑mêmes, soit par l’intermédiaire de personnes morales de droit public ou de sociétés de droit privé dans lesquelles des personnes morales de droit public ont une participation directe ou indirecte déterminante.

[...]

(5)   Seule l’organisation de loteries et des jeux conformément aux dispositions de la troisième section peut être autorisée aux personnes autres que celles citées au paragraphe 2.»

14

L’article 21, paragraphe 2, du traité sur les jeux de hasard interdisait, notamment, que l’organisation et l’intermédiation de paris sportifs ou la publicité pour de tels paris soient associées à la retransmission d’événements sportifs par des services de radiodiffusion et des télémédias.

15

L’article 25, paragraphe 6, de ce traité énonçait les conditions dans lesquelles les Länder étaient autorisés, par dérogation à l’article 4, paragraphe 4, dudit traité, à permettre l’organisation et l’intermédiation de loteries sur Internet.

16

L’article 28, paragraphe 1, de ce même traité prévoyait la possibilité pour les Länder de proroger ce dernier à son expiration le 31 décembre 2011. Les Länder n’ont pas fait usage de cette faculté. Toutefois, ils ont chacun, à l’exception du Land de Schleswig‑Holstein, adopté des dispositions prévoyant que, à l’expiration du traité sur les jeux de hasard, les règles de celui‑ci continueraient à s’appliquer en tant que législation du Land jusqu’à l’entrée en vigueur d’un nouveau traité entre les Länder. En Bavière, la disposition à cet effet figurait à l’article 10, paragraphe 2, de la loi bavaroise d’exécution du traité sur les jeux de hasard (Bayerisches Gesetz zur Ausführung des Staatsvertrages zum Glücksspielwesen in Deutschland), du 20 décembre 2007 (GVBl S. 922, BayRS 2187‑3‑I, ci‑après la «loi d’exécution du traité sur les jeux de hasard»). Ni cette loi ni les dispositions correspondantes adoptées par les autres Länder n’ont été notifiées à la Commission à l’état de projet au titre de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 98/34.

Le traité modificatif sur les jeux de hasard

17

Le traité modificatif sur les jeux de hasard (Glücksspieländerungsstaatsvertrag, ci‑après le «traité modificatif»), conclu entre les Länder, est entré en vigueur en Bavière le 1er juillet 2012.

18

Les articles 1er et 4 du traité modificatif sont, en substance, identiques aux articles 1er et 4 du traité sur les jeux de hasard.

19

L’article 10 du traité modificatif dispose:

«(1)   Pour atteindre les objectifs énoncés à l’article 1er, les Länder ont l’obligation réglementaire de garantir une offre de jeux de hasard suffisante. Ils sont assistés par un comité technique. Celui‑ci est composé de personnes qui, au regard des objectifs visés à l’article 1er, disposent d’une expérience scientifique ou pratique particulière.

(2)   En vertu de la loi, les Länder peuvent assumer cette tâche soit eux‑mêmes, soit par l’intermédiaire d’un organisme public géré conjointement par l’ensemble des Länder parties au traité [modificatif], soit par l’intermédiaire de personnes morales de droit public ou de sociétés de droit privé dans lesquelles des personnes morales de droit public ont une participation directe ou indirecte déterminante.

[...]

(6)   Seule l’organisation de loteries et des jeux conformément aux dispositions de la troisième section peut être autorisée aux personnes autres que celles citées aux paragraphes 2 et 3.»

20

Selon l’article 10a du traité modificatif, intitulé «Clause d’expérimentation des paris sportifs»:

«(1)   Afin de parvenir au mieux à réaliser les objectifs énoncés à l’article 1er, notamment dans le cadre de la lutte contre le marché noir constaté lors de l’évaluation, l’article 10, paragraphe 6, ne s’appliquera pas à l’organisation des paris sportifs pour une durée de sept ans à compter de l’entrée en vigueur du premier traité modificatif sur les jeux de hasard.

(2)   Durant cette période, les paris sportifs ne peuvent être organisés qu’avec une concession (articles 4a à 4e).

(3)   Le nombre maximal de concessions est fixé à 20.

(4)   La concession donne au concessionnaire, selon les dispositions de fond et les dispositions accessoires fixées conformément à l’article 4c, paragraphe 2, le droit d’organiser et de procéder à l’intermédiation des paris sportifs sur l’Internet, par dérogation à l’interdiction prévue à l’article 4, paragraphe 4. L’article 4, paragraphes 5 et 6, est applicable par analogie. Le champ d’application de la concession est limité au territoire de la République fédérale d’Allemagne et à celui des États membres qui admettent la validité de l’autorisation allemande pour leur territoire national.

(5)   Les Länder limitent le nombre d’organismes d’intermédiation de paris afin d’atteindre les objectifs visés à l’article 1er. L’intermédiation de paris sportifs dans ces organismes nécessite l’autorisation visée à l’article 4, paragraphe 1, première phrase. L’article 29, paragraphe 2, deuxième phrase, est applicable par analogie.»

21

L’article 29 du traité modificatif permet aux opérateurs publics titulaires d’une autorisation d’organisation de paris sportifs, ainsi qu’à leurs intermédiaires, de continuer à proposer de tels paris pendant un an à compter de la délivrance de la première concession, sans disposer eux‑mêmes d’une concession.

22

Les articles 4a à 4e du traité modificatif encadrent le régime de concessions. En particulier, l’article 4a, paragraphe 4, de ce traité énonce les conditions auxquelles l’octroi d’une concession est subordonné et exige notamment que l’origine licite des moyens nécessaires à l’organisation de jeux de hasard soit établie. L’article 4b dudit traité prévoit les modalités de la procédure d’octroi des concessions. Cet article énumère, notamment, à son paragraphe 5, les critères permettant de départager plusieurs candidats aptes à obtenir une concession.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

23

La juridiction de renvoi est appelée à statuer sur les griefs soulevés par le ministère public de Kempten (Staatsanwaltschaft Kempten, Land de Bavière) dans le cadre de deux procédures pénales jointes engagées à l’encontre de Mme Ince, ressortissante turque domiciliée en Allemagne, au titre de l’article 284 du code pénal.

24

Le ministère public de Kempten reproche à Mme Ince d’avoir exercé des activités d’intermédiation de paris sportifs, sans disposer d’une autorisation délivrée par l’autorité compétente du Land concerné, au moyen d’une machine à paris installée dans un bar sportif situé en Bavière. Mme Ince aurait collecté de tels paris pour le compte d’une société ayant son siège en Autriche, et titulaire d’une licence dans cet État membre l’autorisant à organiser des paris sportifs. Toutefois, ladite société n’était pas titulaire d’une licence pour organiser de tels paris en Allemagne.

25

Les charges pesant contre Mme Ince concernent, s’agissant de la première procédure pénale, la période allant du 11 au 12 janvier 2012, et, en ce qui concerne la seconde procédure pénale, la période allant du 13 avril au 7 novembre 2012. Ces procédures se distinguent, en substance, uniquement au regard du cadre juridique allemand en vigueur à l’époque des faits reprochés.

26

Les faits à l’origine des premières charges, ainsi que des secondes charges pour la période allant du 13 avril au 30 juin 2012, relevaient de la loi d’exécution du traité sur les jeux de hasard, laquelle prévoyait que, à la suite de l’expiration du traité sur les jeux de hasard, les règles de celui‑ci continueraient à s’appliquer en Bavière en tant que droit du Land. Ce traité instituait un monopole public sur l’organisation et l’intermédiation de paris sportifs, d’une part, en interdisant, à son article 4, paragraphe 1, l’organisation et l’intermédiation de paris sportifs sans autorisation délivrée par l’autorité compétente du Land de Bavière et, d’autre part, en excluant, à son article 10, paragraphe 5, la délivrance de telles autorisations à des opérateurs privés.

27

Par les arrêts Stoß e.a. (C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07, EU:C:2010:504) ainsi que Carmen Media Group (C‑46/08, EU:C:2010:505), la Cour a jugé que les juridictions allemandes pouvaient légitimement être amenées à considérer que le monopole public résultant du traité relatif aux loteries et du traité sur les jeux de hasard n’était pas propre à garantir la réalisation des objectifs d’intérêt général invoqués par le législateur allemand d’une manière cohérente et systématique, au motif, notamment, que les titulaires de ce monopole public se livraient à des campagnes publicitaires intensives et que les autorités compétentes menaient des politiques visant à encourager la participation à certains jeux de hasard ne relevant pas dudit monopole et entraînant un risque d’assuétude particulièrement élevé.

28

Selon la juridiction de renvoi, toutes les juridictions allemandes appelées à déterminer, à la suite desdits arrêts de la Cour, si le monopole public sur les paris sportifs était conforme au droit de l’Union ont conclu que tel n’était pas le cas. Toutefois, ces juridictions s’opposent quant aux conséquences qu’il convient de tirer de l’illégalité dudit monopole.

29

D’une part, certaines juridictions allemandes, parmi lesquelles des juridictions administratives supérieures, à l’instar de certaines autorités administratives, considèrent que seul l’article 10, paragraphe 5, du traité sur les jeux de hasard, prévoyant l’exclusion des opérateurs privés, est incompatible avec le droit de l’Union, l’obligation d’autorisation édictée à l’article 4, paragraphe 1, de ce traité étant en principe conforme à ce droit. Par conséquent, ces juridictions ont écarté l’application de la disposition prévoyant l’exclusion des opérateurs privés en vertu du principe de primauté du droit de l’Union. Elles ont alors considéré que devaient être appliquées à de tels opérateurs les conditions matérielles prévues par le traité sur les jeux de hasard et les lois d’application des Länder relatives à l’octroi d’autorisations aux opérateurs publics. Ainsi, selon lesdites juridictions, il convient d’examiner au cas par cas si un opérateur privé peut obtenir, selon une procédure d’autorisation fictive, une autorisation dans les conditions prévues pour les titulaires du monopole public et leurs intermédiaires (ci‑après la «procédure d’autorisation fictive»).

30

Le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) a validé et ultérieurement complété la jurisprudence rendu à la suite des arrêts Stoß e.a. (C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07, EU:C:2010:504) ainsi que Carmen Media Group (C‑46/08, EU:C:2010:505), par plusieurs arrêts rendus le 16 mai 2013, en permettant l’interdiction préventive de l’organisation et de l’intermédiation de paris sportifs par un opérateur privé sans autorisation allemande jusqu’à la clarification, par les autorités compétentes, de l’aptitude de cet opérateur à bénéficier d’une telle autorisation, à moins qu’il ne soit manifeste que les conditions matérielles d’octroi d’une autorisation prévues pour les opérateurs publics, à l’exception des dispositions potentiellement illicites relatives au régime de monopole, sont remplies.

31

La juridiction de renvoi souligne qu’aucun opérateur privé n’a obtenu d’autorisation d’organisation ou d’intermédiation de paris sportifs sur le territoire allemand au terme de la procédure d’autorisation fictive.

32

D’autre part, d’autres juridictions allemandes estiment que, dès lors qu’une violation du droit de l’Union résulte de l’effet combiné de l’obligation d’autorisation et de l’exclusion des opérateurs privés prévues par le traité sur les jeux de hasard et les lois d’application des Länder, le fait d’écarter l’application de ladite exclusion et d’y substituer la procédure d’autorisation fictive ne suffit pas à pallier l’illégalité constatée. Au soutien d’une telle approche, la juridiction de renvoi relève que la procédure et les critères d’autorisation prévus par le traité sur les jeux de hasard et les lois d’application de celui‑ci ont été conçus exclusivement pour les opérateurs publics organisant des paris sportifs et leurs intermédiaires.

33

Les faits à l’origine des secondes charges pour la période allant du 1er juillet au 7 novembre 2012 étaient régis par le traité modificatif. La clause d’expérimentation des paris sportifs, instituée à l’article 10a de ce traité, a levé jusqu’au 30 juin 2019 l’interdiction de délivrer à des opérateurs privés une autorisation d’organiser des jeux de hasard, au titre de l’article 10, paragraphe 6, dudit traité, en ce qui concerne les paris sportifs. Les opérateurs privés peuvent ainsi, en théorie, obtenir une telle autorisation moyennant la délivrance préalable d’une concession pour l’organisation de paris sportifs.

34

Au titre de cette nouvelle réglementation, il incombe à l’organisateur de paris sportifs d’obtenir une telle concession. Une fois la concession accordée à cet organisateur, ses intermédiaires peuvent obtenir une autorisation pour collecter les paris pour le compte de ce dernier. Ledit article 10a prévoit l’octroi d’un nombre maximal de 20 concessions à des opérateurs publics et/ou privés, au terme d’une procédure organisée de façon centralisée pour l’ensemble du territoire allemand. Cependant, en vertu de l’article 29 du traité modificatif, l’obligation de détenir une concession n’a vocation à s’appliquer aux organisateurs publics déjà en activité et aux intermédiaires qu’à compter d’une année suivant l’octroi de la première concession.

35

Le 8 août 2012, l’autorité concédante a publié un avis de marché au Journal officiel de l’Union européenne mettant en concours 20 concessions pour l’exercice d’activités d’organisation de paris sportifs.

36

Dans un premier temps, une phase de présélection a été organisée afin d’éliminer les candidats ne satisfaisant pas aux conditions minimales d’obtention d’une concession. S’est ensuivie, dans un second temps, une phase de négociation au cours de laquelle les candidats retenus au terme de la première phase étaient invités à présenter leurs projets à l’autorité concédante. À l’issue de cette seconde phase, une sélection comparative a été menée sur la base d’une série de critères.

37

Certains opérateurs privés ont émis des doutes sur le caractère transparent et impartial de cette procédure.

38

La juridiction de renvoi a relevé que, à la date de dépôt de la demande de décision préjudicielle, aucune concession n’avait encore été délivrée en vertu de l’article 10a du traité modificatif. Dans ses observations écrites, le gouvernement allemand a exposé que, bien que 20 candidats aient été retenus au terme de la procédure de sélection, l’octroi des concessions a été suspendu par les ordonnances rendues dans le cadre d’actions en référé introduites par certains candidats évincés. Lors de l’audience du 10 juin 2015, ce gouvernement a précisé que les concessions n’avaient toujours pas été attribuées à cette date, en raison d’autres incidents intervenus dans le cadre de procédures judiciaires nationales.

39

La juridiction de renvoi considère que les éléments objectifs de l’infraction reprochée à Mme Ince au titre de l’article 284 du code pénal se trouvent réunis dès lors qu’elle a exercé des activités d’intermédiation de paris sportifs sans détenir d’autorisation à cet effet. Toutefois, cette juridiction nourrit des doutes sur le caractère punissable de ces activités au regard du droit de l’Union.

40

Dans ces conditions, l’Amtsgericht Sonthofen (tribunal cantonal de Sonthofen) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«[I. S’agissant des premières charges (janvier 2012) et des deuxièmes charges (pour la période allant jusqu’à la fin du mois de juin 2012) pesant sur la prévenue:]

1)

a)

L’article 56 TFUE doit‑il être interprété en ce sens qu’il est interdit aux autorités répressives de sanctionner l’intermédiation de paris sportifs, effectuée sans autorisation allemande, à des organisateurs de paris titulaires d’une licence dans un autre État membre de l’Union européenne lorsque cette intermédiation présuppose également que l’organisateur dispose d’une autorisation allemande, mais que, en raison d’une situation juridique contraire au droit de l’Union (‘monopole sur les paris sportifs’), les autorités nationales n’ont pas le droit de délivrer une autorisation à un organisateur de paris privé?

b)

La réponse à la première question, sous a), est‑elle différente si, dans l’un des 15 Länder allemands qui ont instauré et exploitent conjointement un monopole des paris sportifs, les pouvoirs publics soutiennent dans le cadre des procédures d’interdiction et des procédures pénales que l’interdiction légale de délivrer une autorisation à des prestataires privés n’est pas appliquée dans ce Land dans le cas d’une éventuelle demande d’autorisation d’organisation ou d’intermédiation?

c)

Les principes du droit de l’Union, et notamment la libre prestation des services, ainsi que l’arrêt Stanleybet International e.a. (C‑186/11 et C‑209/11, EU:C:2013:33) doivent‑ils être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle à une interdiction durable et décrite comme ‘préventive’ ou à une sanction de l’intermédiation transfrontalière des paris sportifs, lorsque cela est motivé par le fait que, à la date de la décision, il n’était pas ‘manifeste pour l’autorité d’interdiction, c’est‑à‑dire perceptible sans autre examen’ que l’activité d’intermédiation satisfaisait à l’ensemble des conditions matérielles d’autorisation, abstraction faite du monopole d’État?

2)

La directive 98/34 doit‑elle être interprétée en ce sens qu’elle fait obstacle à la sanction de l’intermédiation de paris sportifs, effectuée sans autorisation allemande, à un organisateur de paris titulaire d’une licence dans un autre État membre de l’Union, au moyen d’une machine automatique proposant des paris, lorsque les interventions étatiques reposent sur une loi d’un Land spécifique qui n’a pas fait l’objet d’une notification à la Commission européenne et dont la teneur correspond au [traité sur les jeux de hasard] qui est devenu caduque?

[II. S’agissant des deuxièmes charges pesant sur la prévenue pour la période courant à compter du mois de juillet 2012:]

3)

L’article 56 TFUE, le principe de transparence, le principe d’égalité et l’interdiction du favoritisme prévus par le droit de l’Union [...] doivent‑ils être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle à la sanction de l’intermédiation de paris sportifs, effectuée sans autorisation allemande, à un organisateur de paris titulaire d’une licence dans un autre État membre de l’[Union] dans un cas caractérisé, en vertu du [traité modificatif], instauré pour une durée de neuf ans, par une ‘clause d’expérimentation pour les paris sportifs’ qui prévoit pour une durée de sept ans la possibilité théorique d’attribuer également à des organisateurs de paris privés, avec effet de légalisation pour l’ensemble des Länder allemands en tant que condition nécessaire d’une autorisation d’intermédiation, un nombre de concessions fixé au maximum à 20 lorsque:

a)

la procédure de concession et les litiges conduits dans ce cadre sont menés conjointement par l’organisme concessionnaire et le cabinet d’avocats qui a conseillé de manière habituelle, dans le cadre du monopole des paris sportifs contraire à la législation de l’Union européenne, la majorité des Länder et leurs sociétés de loterie, qui les a représentés en justice contre les prestataires de paris privés et qui défendait les intérêts des pouvoirs publics dans les procédures préjudicielles à l’origine des arrêts Stoß e.a. (C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07, EU:C:2010:504), Carmen Media Group (C‑46/08, EU:C:2010:505), ainsi que Winner Wetten (C‑409/06, EU:C:2010:503);

b)

aucun détail concernant les conditions minimales relatives aux concepts à présenter, le contenu des explications et des éléments de preuve exigés au demeurant et le choix des 20 concessionnaires maximum ne résultait de l’appel d’offres en vue de la concession publié au Journal Officiel de l’Union européenne du 8 août 2012, des détails n’ont été communiqués que postérieurement à l’expiration du délai de candidature, dans un ‘mémorandum d’information’ et dans de nombreux documents additionnels, aux seuls candidats sélectionnés pour une ‘deuxième étape’ de la procédure de concession;

c)

contrairement à l’appel d’offres, l’autorité concédante n’a invité, huit mois après le début de la procédure, que [quatorze] candidats concessionnaires à une présentation personnelle de leurs concepts en matière de questions sociales et de sécurité, parce que ces candidats satisfaisaient à l’intégralité des conditions minimales, mais a indiqué, [quinze] mois après le début de la procédure, qu’aucun candidat n’avait établi, sous une ‘forme vérifiable’, qu’il satisfaisait aux conditions minimales;

d)

le candidat concessionnaire contrôlé par des organismes publics [...], constitué des sociétés publiques de loterie, figurait parmi les [quatorze] candidats invités à présenter leurs concepts à l’autorité concédante alors que, en raison de ses liens organisationnels avec les organisateurs de manifestations sportives, il ne semble pas être apte à se voir accorder une concession, parce que la législation [...] exige une séparation stricte entre, d’une part, les activités sportives et les associations qui les organisent et, d’autre part, l’organisation et l’intermédiation des paris sportifs;

e)

la présentation ‘de l’origine licite des moyens nécessaires à l’organisation de l’offre de paris sportifs envisagés’ est notamment exigée pour l’attribution d’une concession, et

f)

l’autorité concédante et le collège des jeux de hasard [(‘Glücksspielkollegium’)], qui est composé de représentants des Länder et statue sur l’attribution des concessions, ne font pas usage de la possibilité d’attribuer des concessions à des organisateurs privés de paris, alors que des entreprises publiques de loterie peuvent, pendant une durée allant jusqu’à un an après l’éventuel octroi de telles concessions, organiser des paris sportifs, des loteries et d’autres jeux de hasard sans disposer d’une concession ainsi que les exploiter et promouvoir, par l’intermédiaire de leur réseau étendu de points de collecte professionnelle de paris?»

Appréciation de la Cour

Sur la compétence de la Cour

41

Le gouvernement belge conteste, en substance, la compétence de la Cour pour répondre aux questions préjudicielles au motif que la situation en cause au principal ne relève pas du champ d’application de la libre prestation des services, laquelle ne bénéficie, au vu du libellé de l’article 56 TFUE, qu’aux ressortissants des États membres, à l’exclusion des ressortissants d’États tiers tels que Mme Ince.

42

À cet égard, il convient de constater que, dans la mesure où Mme Ince collectait des paris sportifs pour le compte d’une société établie en Autriche, la situation en cause au principal relève de l’exercice, par cette société, de la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE.

43

En effet, lorsqu’une société établie dans un État membre poursuit une activité de collecte de paris par l’intermédiaire d’un opérateur économique établi dans un autre État membre, les restrictions imposées aux activités de cet opérateur relèvent du champ d’application de la libre prestation des services (voir, par analogie, arrêt Gambelli e.a., C‑243/01, EU:C:2003:597, point 46).

44

Par conséquent, la Cour est compétente pour répondre aux questions préjudicielles.

Sur la première question

Sur la recevabilité

45

Le gouvernement allemand excipe de l’irrecevabilité de la première question, sous a), au motif qu’elle revêtirait un caractère hypothétique, dès lors que, eu égard à la pratique de certaines autorités administratives et judiciaires bavaroises, consistant à appliquer «fictivement» aux opérateurs privés les conditions d’autorisation prévues aux fins de la sélection des titulaires de droits exclusifs au titre du monopole public jugé contraire au droit de l’Union, ce monopole aurait en réalité cessé d’exister.

46

Cet argument doit être écarté dans la mesure où la compatibilité de cette pratique avec l’article 56 TFUE fait précisément l’objet des deuxième et troisième parties de la première question. Ainsi, la réponse de la Cour à la première partie de cette question demeurerait nécessaire à la résolution du litige au principal dans l’hypothèse où la Cour estimerait, en réponse aux deuxième et troisième parties de ladite question, qu’une telle pratique ne permet pas d’assurer la mise en conformité avec l’article 56 TFUE d’un régime de monopole public, tel que celui résultant des dispositions du traité sur les jeux de hasard et de ses lois régionales d’application jugées contraires au droit de l’Union aux termes des constatations opérées par les juridictions nationales.

47

Par ailleurs, le gouvernement grec conteste la recevabilité de la première question, sous b) et c), au motif qu’elle revêtirait un caractère hypothétique, en raison du fait que les autorités allemandes n’ont pas eu l’occasion d’examiner l’aptitude de Mme Ince à obtenir une autorisation d’organisation ou d’intermédiation de paris sportifs.

48

À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence qu’un État membre ne peut appliquer une sanction pénale pour une formalité administrative non remplie lorsque l’accomplissement de cette formalité est refusé ou rendu impossible par l’État membre concerné en violation du droit de l’Union. Étant donné que la première question préjudicielle, sous b) et c), vise à établir si les conditions auxquelles l’attribution d’une autorisation était soumise en vertu de la législation nationale étaient contraires au droit de l’Union, la pertinence de cette question pour la résolution du litige pendant devant la juridiction de renvoi ne saurait être remise en cause (voir, en ce sens, arrêt Costa et Cifone, C‑72/10 et C‑77/10, EU:C:2012:80, point 43).

49

Il ressort de tout ce qui précède que la première question est recevable.

Sur le fond

50

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités répressives d’un État membre sanctionnent l’intermédiation sans autorisation de paris sportifs par un opérateur privé pour le compte d’un autre opérateur privé ne disposant pas d’une autorisation pour organiser des paris sportifs dans cet État membre, mais titulaire d’une licence dans un autre État membre, lorsque l’obligation de détenir une autorisation d’organisation ou d’intermédiation de paris sportifs s’inscrit dans le cadre d’un régime de monopole public que les juridictions nationales ont jugé contraire au droit de l’Union. En outre, ladite juridiction demande si l’article 56 TFUE s’oppose à une telle sanction même lorsqu’un opérateur privé peut, en théorie, obtenir une autorisation d’organisation ou d’intermédiation de paris sportifs dans la mesure où la connaissance de la procédure d’octroi d’une telle autorisation n’est pas assurée et que le régime de monopole public sur les paris sportifs, que les juridictions nationales ont jugé contraire au droit de l’Union, a perduré en dépit de l’adoption d’une telle procédure.

51

Ainsi, la juridiction de renvoi interroge essentiellement la Cour sur les conséquences que les autorités administratives et judiciaires d’un État membre doivent tirer du constat d’incompatibilité avec le droit de l’Union des dispositions de droit interne instituant un monopole public sur les paris sportifs, telles que celles en cause au principal, en attendant qu’une réforme législative ou réglementaire remédie à une telle violation du droit de l’Union.

52

À cet égard, il convient de rappeler d’emblée que, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union, les dispositions des traités et les actes des institutions directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres, de rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute disposition contraire de la législation nationale (voir arrêts Simmenthal, 106/77, EU:C:1978:49, point 17; Factortame e.a., C‑213/89, EU:C:1990:257, point 18, ainsi que Winner Wetten, C‑409/06, EU:C:2010:503, point 53).

53

La Cour a précisé que, en raison de la primauté du droit de l’Union directement applicable, une réglementation nationale relative à un monopole public sur les paris sur les compétitions sportives qui, selon les constatations opérées par une juridiction nationale, comporte des restrictions incompatibles avec la libre prestation des services, faute pour lesdites restrictions de contribuer à limiter les activités de paris d’une manière cohérente et systématique, ne peut continuer à s’appliquer pendant une période transitoire (voir arrêts Winner Wetten, C‑409/06, EU:C:2010:503, point 69, ainsi que Stanleybet International e.a., C‑186/11 et C‑209/11, EU:C:2013:33, point 38).

54

Toutefois, le refus d’octroi d’une période transitoire en cas d’incompatibilité de la réglementation nationale avec l’article 56 TFUE n’entraîne pas nécessairement l’obligation pour l’État membre concerné de libéraliser le marché des jeux de hasard s’il devait estimer qu’une telle libéralisation n’est pas compatible avec le niveau de protection des consommateurs et de l’ordre social que cet État membre entend assurer. En effet, en l’état actuel du droit de l’Union, une réforme du monopole existant afin de le rendre compatible avec les dispositions du traité FUE, en le soumettant notamment à un contrôle effectif et strict de la part des autorités publiques, reste ouverte aux États membres (voir arrêt Stanleybet International e.a., C‑186/11 et C‑209/11, EU:C:2013:33, point 46).

55

En tout état de cause, si l’État membre concerné devait estimer qu’une réforme du monopole existant, afin de le rendre compatible avec les dispositions du traité, n’est pas envisageable et que la libéralisation du marché des jeux de hasard répond mieux au niveau de protection des consommateurs et de l’ordre social qu’il entend assurer, il sera tenu de respecter les règles fondamentales des traités, notamment l’article 56 TFUE, les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination en raison de la nationalité ainsi que l’obligation de transparence qui en découle. Dans un tel cas, l’introduction dans cet État membre d’un régime d’autorisation administrative préalable en ce qui concerne l’offre de certains types de jeux de hasard doit être fondée sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales afin que celui‑ci ne puisse être utilisé de manière arbitraire (voir arrêts Carmen Media Group, C‑46/08, EU:C:2010:505, point 90, ainsi que Stanleybet International e.a., C‑186/11 et C‑209/11, EU:C:2013:33, point 47).

56

Il convient de vérifier, à la lumière de ces principes, si une pratique telle que la procédure d’autorisation fictive d’organisation et d’intermédiation de paris sportifs en cause au principal obéit à des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance.

57

À cet égard, il y a lieu de relever qu’une telle pratique n’est, par définition, pas codifiée. Par ailleurs, en dépit de la circonstance, invoquée par le gouvernement allemand, que l’autorité compétente pour délivrer de manière centralisée les autorisations pour l’organisation de paris sportifs dans le Land de Bavière a été saisie de près de 70 demandes d’autorisation émanant d’opérateurs privés, il ne ressort ni de la décision de renvoi ni des observations présentées par les intéressés que cette pratique aurait fait l’objet de mesures de publicité en vue d’être portée à la connaissance des opérateurs privés susceptibles d’exercer des activités d’organisation ou de collecte de paris sportifs. Ainsi, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il ne saurait être considéré que la connaissance de ladite pratique par de tels opérateurs était assurée.

58

En outre, il ressort de la décision de renvoi que les autorités compétentes des Länder n’appliquent pas ladite procédure d’autorisation fictive d’une manière unanime et uniforme, seules certaines de ces autorités y ayant recours. De même, ainsi qu’il a été exposé aux points 29 à 32 du présent arrêt, les juridictions allemandes sont divisées en ce qui concerne la légalité d’une telle procédure.

59

Dans ces conditions, il ne saurait être exclu que des opérateurs privés ne soient en mesure de connaître ni la procédure à suivre afin de solliciter une autorisation d’organisation et d’intermédiation de paris sportifs ni les conditions dans lesquelles une autorisation leur sera accordée ou refusée. Une telle indétermination ne permet pas aux opérateurs concernés de connaître l’étendue de leurs droits et de leurs obligations découlant de l’article 56 TFUE, de sorte que ledit régime doit être considéré comme étant contraire au principe de sécurité juridique (voir, par analogie, arrêts Église de scientologie, C‑54/99, EU:C:2000:124, point 22; Commission/France, C‑483/99, EU:C:2002:327, point 50, et Festersen, C‑370/05, EU:C:2007:59, point 43).

60

En tout état de cause, il y a lieu de souligner que, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, aucune autorisation d’organisation ou d’intermédiation de paris sportifs n’a été délivrée à un opérateur privé au terme de la procédure d’autorisation fictive en cause au principal.

61

À cet égard, la juridiction de renvoi a observé que, dès lors que les conditions d’octroi d’une autorisation d’organisation de paris sportifs applicables aux opérateurs publics en vertu du traité sur les jeux de hasard et des lois d’application des Länder visent précisément à justifier l’exclusion des opérateurs privés, ceux‑ci ne peuvent en pratique jamais remplir ces conditions. Il en irait ainsi à plus forte raison à la suite des arrêts du Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) du 16 mai 2013, lesquels permettent l’interdiction préventive de l’organisation et de l’intermédiation de paris sportifs par des opérateurs privés en l’absence d’aptitude manifeste de ceux‑ci à obtenir une telle autorisation.

62

Il découle d’un tel constat que, ainsi que l’ont fait valoir la juridiction de renvoi, Mme Ince et la Commission, une pratique telle que la procédure d’autorisation fictive en cause au principal ne saurait être considérée comme ayant remédié à l’incompatibilité avec le droit de l’Union, constatée par les juridictions nationales, de dispositions de droit interne instituant un régime de monopole public sur l’organisation et l’intermédiation des paris sportifs.

63

S’agissant des conséquences d’une telle incompatibilité, il y a lieu de rappeler qu’un État membre ne peut appliquer une sanction pénale pour une formalité administrative non remplie lorsque l’accomplissement de cette formalité est refusé ou rendu impossible par l’État membre concerné en violation du droit de l’Union (voir arrêts Placanica e.a., C‑338/04, C‑359/04 et C‑360/04, EU:C:2007:133, point 69; Stoß e.a., C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07, EU:C:2010:504, point 115, ainsi que Costa et Cifone, C‑72/10 et C‑77/10, EU:C:2012:80, point 43).

64

Une telle interdiction, qui découle du principe de primauté du droit de l’Union et du principe de coopération loyale prévu à l’article 4, paragraphe 3, UE, s’impose, dans le cadre de leurs compétences, à tous les organes de l’État membre concerné, parmi lesquels les autorités répressives (voir, en ce sens, arrêt Wells, C‑201/02, EU:C:2004:12, point 64 et jurisprudence citée).

65

Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question, sous a) à c), que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités répressives d’un État membre sanctionnent l’intermédiation, sans autorisation, de paris sportifs par un opérateur privé pour le compte d’un autre opérateur privé ne disposant pas d’une autorisation pour organiser des paris sportifs dans cet État membre, mais titulaire d’une licence dans un autre État membre, lorsque l’obligation de détenir une autorisation d’organisation ou d’intermédiation de paris sportifs s’inscrit dans le cadre d’un régime de monopole public que les juridictions nationales ont jugé contraire au droit de l’Union. L’article 56 TFUE s’oppose à une telle sanction même lorsqu’un opérateur privé peut, en théorie, obtenir une autorisation d’organisation ou d’intermédiation de paris sportifs, dans la mesure où la connaissance de la procédure d’octroi d’une telle autorisation n’est pas assurée et que le régime de monopole public sur les paris sportifs, que les juridictions nationales ont jugé contraire au droit de l’Union, a perduré en dépit de l’adoption d’une telle procédure.

Sur la deuxième question

66

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 1, de la directive 98/34 doit être interprété en ce sens que le projet d’une législation régionale qui maintient en vigueur, à l’échelle de la région concernée, les dispositions d’une législation commune aux différentes régions d’un État membre venue à expiration, se trouve soumis à l’obligation de notification prévue audit article 8, paragraphe 1, dans la mesure où ce projet contient des règles techniques au sens de l’article 1er de cette directive, de telle sorte que le manquement à cette obligation entraîne l’inopposabilité de ces règles techniques à un particulier dans le cadre d’une procédure pénale, et ce même lorsque ladite législation commune avait précédemment été notifiée à la Commission à l’état de projet conformément à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 98/34 et prévoyait expressément la possibilité d’une prorogation, dont il n’a toutefois pas été fait usage.

67

À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la méconnaissance de l’obligation de notification prévue à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 98/34 constitue un vice de procédure dans l’adoption des règles techniques concernées et entraîne l’inapplicabilité de ces règles techniques, de telle sorte qu’elles ne peuvent être opposées aux particuliers (voir, notamment, arrêt Ivansson e.a., C‑307/13, EU:C:2014:2058, point 48 ainsi que jurisprudence citée).

68

À cet égard, il convient de souligner que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 60 de ses conclusions, bien que l’article 8, paragraphe 1, de cette directive exige la communication à la Commission de l’intégralité d’un projet de loi contenant des règles techniques (voir, en ce sens, arrêt Commission/Italie, C‑279/94, EU:C:1997:396, points 40 et 41), l’inapplicabilité qui résulte de la méconnaissance de cette obligation s’étend, non pas à l’ensemble des dispositions d’une telle loi, mais aux seules règles techniques y figurant.

69

En conséquence, afin d’apporter une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient, en premier lieu, de vérifier si les dispositions du traité sur les jeux de hasard prétendument violées par Mme Ince, qui demeuraient applicables, à l’expiration de ce traité, en tant que droit du Land de Bavière en vertu de la loi d’exécution du traité sur les jeux de hasard, constituent des «règles techniques» au sens de l’article 1er, point 11, de la directive 98/34.

70

Aux termes de cette disposition, la notion de «règle technique» recouvre quatre catégories de mesures, à savoir, premièrement, la «spécification technique» au sens de l’article 1er, point 3, de la directive 98/34, deuxièmement, l’«autre exigence» telle que définie à l’article 1er, point 4, de cette directive, troisièmement, la «règle relative aux services» visée à l’article 1er, point 5, de ladite directive et, quatrièmement, les «dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ou interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services».

71

Il apparaît, tout d’abord, que le traité sur les jeux de hasard ne comprend aucune disposition relevant de la première catégorie de règles techniques, à savoir de la notion de «spécification technique» au sens de l’article 1er, point 3, de la directive 98/34. En effet, cette notion vise exclusivement les mesures nationales qui se réfèrent au produit ou à son emballage en tant que tels et fixent, dès lors, l’une des caractéristiques requises d’un produit (voir arrêts Fortuna e.a., C‑213/11, C‑214/11 et C‑217/11,EU:C:2012:495, point 28, ainsi que Ivansson e.a., C‑307/13, EU:C:2014:2058, point 19). Or, le traité sur les jeux de hasard réglemente l’organisation et l’intermédiation de paris sportifs sans se référer aux produits éventuellement impliqués dans de telles activités.

72

Pour cette même raison, le traité sur les jeux de hasard ne saurait davantage comporter de dispositions relevant de la deuxième catégorie de règles techniques, à savoir de la notion d’«autre exigence» au sens de l’article 1er, point 4, de ladite directive, cette notion visant le cycle de vie d’un produit après sa mise sur le marché.

73

Enfin, il convient de vérifier si le traité sur les jeux de hasard contient des règles relevant des troisième et/ou quatrième catégories de «règles techniques» énumérées à l’article 1er, point 11, de la directive 98/34, à savoir les «règles relatives aux services» ou celles «interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services».

74

Au titre de l’article 1er, point 5, de ladite directive, constitue une «règle relative aux services» toute exigence de nature générale relative à l’accès aux activités de services visées à l’article 1er, point 2, de cette même directive, lesquelles désignent «tout service de la société de l’information, c’est‑à‑dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services».

75

À cet égard, il convient de constater que, ainsi que la Commission l’a fait valoir lors de l’audience, certaines des dispositions du traité sur les jeux de hasard sont susceptibles d’être qualifiées de «règles relatives aux services», dans la mesure où elles concernent un «service de la société de l’information» au sens de l’article 1er, point 2, de la directive 98/34. Ces dispositions incluent l’interdiction de proposer des jeux de hasard sur Internet prévue à l’article 4, paragraphe 4, du traité sur les jeux de hasard, les exceptions à cette interdiction énumérées à l’article 25, paragraphe 6, de ce traité, les limitations apportées à la possibilité de proposer des paris sportifs par des moyens de télécommunication au titre de l’article 21, paragraphe 2, dudit traité, ainsi que l’interdiction de diffuser de la publicité pour les jeux de hasard sur Internet ou par des moyens de télécommunication en vertu de l’article 5, paragraphe 3, de ce même traité.

76

S’agissant, en revanche, des dispositions du traité sur les jeux de hasard autres que celles relatives à un «service de la société de l’information» au sens de l’article 1er, point 2, de la directive 98/34, telles que les dispositions instituant l’obligation d’obtenir une autorisation pour l’organisation ou la collecte de paris sportifs ainsi que l’impossibilité de délivrer une telle autorisation à des opérateurs privés, elles ne constituent pas des «règles techniques» au sens de l’article 1er, point 11, de cette directive. En effet, des dispositions nationales qui se limitent à prévoir les conditions pour l’établissement ou la prestation de services par des entreprises, telles que des dispositions qui soumettent l’exercice d’une activité professionnelle à un agrément préalable, ne constituent pas des règles techniques au sens de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt Lindberg, C‑267/03, EU:C:2005:246, point 87).

77

Il incombera à la juridiction de renvoi de vérifier s’il est reproché à Mme Ince, dans le cadre des procédures pénales jointes en cause au principal, d’avoir enfreint certaines des dispositions énumérées au point 75 du présent arrêt, lesquelles doivent être considérées comme instituant des règles relatives aux services au sens de l’article 1er, point 5, de la directive 98/34.

78

Il convient, en second lieu, d’examiner si la loi d’exécution du traité sur les jeux de hasard, en ce qu’elle a rendu les dispositions du traité sur les jeux de hasard applicables en tant que droit du Land de Bavière à l’expiration de ce traité, se trouvait soumise à l’obligation de notification à la Commission au titre de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 98/34, de telle sorte que, dans l’hypothèse où il serait reproché à Mme Ince d’avoir violé une ou plusieurs des règles techniques établies par le traité sur les jeux de hasard, celles‑ci lui seraient inopposables en l’absence d’une telle notification.

79

À cet égard, il y a lieu d’observer d’emblée que, ainsi que l’a souligné la Commission, les dispositions de la loi d’exécution du traité sur les jeux de hasard ne sauraient faire l’objet de l’obligation, que l’article 8, paragraphe 1, alinéa 3, de la directive 98/34 impose aux États membres, de procéder à une «nouvelle communication» des changements significatifs apportés à un projet de règle technique. En effet, cette obligation ne vise que l’hypothèse, dont ne relève pas le cas d’espèce, dans laquelle des modifications significatives sont apportées, au cours du processus législatif national, à un projet de règle technique postérieurement à la notification de ce projet à la Commission.

80

En revanche, il convient d’examiner si la loi d’exécution du traité sur les jeux de hasard aurait dû, préalablement à son adoption, faire l’objet d’une notification à la Commission au titre de l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 98/34, en sus et indépendamment de la notification du traité sur les jeux de hasard à l’état de projet.

81

À cet égard, il y a lieu de relever que, bien que les règles régissant l’organisation et l’intermédiation des paris sportifs en vertu de la loi d’exécution du traité sur les jeux de hasard présentent un contenu identique à celui des règles du traité sur les jeux de hasard ayant été précédemment notifiées à la Commission, elles s’en distinguent en ce qui concerne leur champ d’application temporel et territorial.

82

Dès lors, la réalisation des objectifs poursuivis par la directive 98/34 requiert que le projet d’une législation telle que la loi d’exécution du traité sur les jeux de hasard soit notifié à la Commission au titre de l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive. Ainsi qu’il ressort notamment de ses considérants 5 et 6, celle‑ci vise, en premier lieu, à assurer un contrôle préventif des règles techniques envisagées par un État membre en permettant à la Commission et aux autres États membres d’en prendre connaissance avant leur adoption. En second lieu, comme l’indique le considérant 7 de ladite directive, cette dernière cherche à permettre une meilleure exploitation des avantages inhérents au marché intérieur par les opérateurs économiques en assurant la publication régulière des réglementations techniques projetées par les États membres et en mettant ainsi ces opérateurs en mesure de faire connaître leur appréciation sur l’impact de celles‑ci.

83

Eu égard, en particulier, à ce second objectif, il importe que les opérateurs économiques d’un État membre soient informés des projets de règles techniques adoptés par un autre État membre ainsi que du champ d’application temporel et territorial de ces dernières, afin qu’ils soient en mesure de connaître l’étendue des obligations susceptibles de leur être imposées et d’anticiper l’adoption de ces textes en adaptant, le cas échéant, leurs produits ou leurs services en temps utiles.

84

Par conséquent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 8, paragraphe 1, de la directive 98/34 doit être interprété en ce sens que le projet d’une législation régionale qui maintient en vigueur, à l’échelle de la région concernée, les dispositions d’une législation commune aux différentes régions d’un État membre venue à expiration, se trouve soumis à l’obligation de notification prévue audit article 8, paragraphe 1, dans la mesure où ce projet contient des règles techniques au sens de l’article 1er de cette directive, de telle sorte que le manquement à cette obligation entraîne l’inopposabilité de ces règles techniques à un particulier dans le cadre d’une procédure pénale. Une telle obligation n’est pas remise en cause par la circonstance que ladite législation commune avait précédemment été notifiée à la Commission à l’état de projet conformément à l’article 8, paragraphe 1, de ladite directive, et prévoyait expressément la possibilité d’une prorogation, dont il n’a toutefois pas été fait usage.

Sur la troisième question

85

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre sanctionne l’intermédiation sans autorisation de paris sportifs sur son territoire pour le compte d’un opérateur économique titulaire d’une licence pour l’organisation de paris sportifs dans un autre État membre:

lorsque la délivrance d’une autorisation d’organisation de paris sportifs est subordonnée à l’obtention d’une concession par ledit opérateur selon une procédure d’octroi de concessions, telle que celle en cause au principal, pour autant que la juridiction de renvoi constate que cette procédure ne respecte pas les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination en raison de la nationalité ainsi que l’obligation de transparence qui en découle, et

dans la mesure où, en dépit de l’entrée en vigueur d’une disposition nationale permettant l’octroi de concessions à des opérateurs privés, l’application des dispositions instituant un régime de monopole public sur l’organisation et l’intermédiation des paris sportifs, que les juridictions nationales ont jugées contraires au droit de l’Union, a perduré dans les faits.

86

Il convient de rappeler, à titre liminaire, que les autorités publiques qui concluent des contrats de concession de services sont tenues de respecter les règles fondamentales du traité en général, notamment l’article 56 TFUE, et, en particulier, les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination en raison de la nationalité ainsi que l’obligation de transparence qui en découle (voir, en ce sens, arrêt Sporting Exchange, C‑203/08, EU:C:2010:307, point 39 et jurisprudence citée).

87

Cette obligation de transparence, qui est un corollaire du principe d’égalité, a, dans ce contexte, essentiellement pour but d’assurer que tout opérateur intéressé puisse décider de soumissionner à des appels d’offres sur le fondement de l’ensemble des informations pertinentes et de garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur. Elle implique que toutes les conditions et les modalités de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire, précise et univoque, de façon, d’une part, à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière et, d’autre part, à encadrer le pouvoir discrétionnaire de l’autorité concédante et de mettre celle‑ci en mesure de vérifier effectivement si les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant la procédure en cause (arrêt Costa et Cifone, C‑72/10 et C‑77/10, EU:C:2012:80, point 73 ainsi que jurisprudence citée).

88

Il appartient, en dernier ressort, à la juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour apprécier les faits et pour interpréter la législation nationale, d’examiner, à la lumière de ces principes, si les facteurs qu’elle a énoncés, pris isolément ou par leur effet combiné, sont susceptibles de mettre en cause la conformité d’une procédure d’octroi de concessions pour l’organisation de paris sportifs, telle que celle en cause au principal, avec les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination en raison de la nationalité ainsi que l’obligation de transparence qui en découle.

89

Il y a lieu de relever que, en l’occurrence, la juridiction de renvoi a observé, dans le cadre de la troisième question, sous f), que l’autorité concédante n’a pas fait usage de la possibilité d’attribuer des concessions à des opérateurs privés en vertu de l’article 10a du traité modificatif. Ainsi qu’il a été mentionné au point 38 du présent arrêt, il ressort des observations du gouvernement allemand que l’attribution des concessions aux candidats retenus au terme de la procédure de sélection a été suspendue par plusieurs ordonnances en référé rendues par des juridictions allemandes. Dès lors, à l’époque des faits reprochés à Mme Ince, aucun opérateur privé n’était autorisé à organiser ou à collecter des paris sportifs en Allemagne, la jurisprudence du Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) mentionnée aux points 29 et 30 de cet arrêt continuant à s’appliquer aux opérateurs privés.

90

En revanche, ainsi que l’Amtsgericht Sonthofen (tribunal cantonal de Sonthofen) l’a également constaté dans le cadre de la troisième question, sous f), les opérateurs publics titulaires d’une autorisation d’organisation ou d’intermédiation de paris sportifs obtenue en application du traité sur les jeux de hasard ou des lois d’application régionales de celui‑ci pouvaient, en vertu de la disposition transitoire figurant à l’article 29 du traité modificatif, continuer à exercer de telles activités pendant un an à compter de la délivrance de la première concession, sans disposer eux‑mêmes d’une concession.

91

Dans ces conditions, cette juridiction considère que le régime de monopole public sur l’organisation et l’intermédiation des paris sportifs prévu par le traité sur les jeux de hasard et ses lois d’application régionales, que les juridictions allemandes ont jugé contraire au droit de l’Union, a perduré dans les faits.

92

À cet égard, il convient de souligner que, ainsi qu’il a été rappelé aux points 53 à 55 du présent arrêt, la Cour a jugé, dans l’arrêt Stanleybet International e.a. (C‑186/11 et C‑209/11, EU:C:2013:33, points 38, 46 ainsi que 47), qu’une réglementation nationale relative à un monopole public sur les paris sportifs qui, selon les constatations opérées par une juridiction nationale, comporte des restrictions incompatibles avec la libre prestation des services, ne peut continuer à s’appliquer pendant une période transitoire. Le refus d’octroi d’une période transitoire n’oblige cependant pas l’État membre concerné à libéraliser le marché des jeux de hasard, celui‑ci pouvant également réformer le monopole existant afin de le rendre compatible avec le droit de l’Union ou le remplacer par un système d’autorisation administrative préalable fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance.

93

Eu égard à ce qui précède, et sans qu’il soit nécessaire de déterminer, en outre, si chacun des facteurs énoncés dans le cadre de la troisième question, sous a) à e), pris isolément ou par leur effet combiné, est susceptible de mettre en cause la conformité de la procédure d’octroi de concessions en cause au principal avec l’article 56 TFUE, il y a lieu de considérer qu’une réforme législative, telle que celle qui résulte de l’introduction de la clause d’expérimentation des paris sportifs prévue à l’article 10a du traité modificatif, ne saurait être considérée comme ayant remédié à l’incompatibilité avec l’article 56 TFUE d’un régime de monopole public sur l’organisation et l’intermédiation des paris sportifs, tel que celui qui résulte des dispositions du traité sur les jeux de hasard et de ses lois d’application, dans la mesure où, compte tenu des circonstances décrites dans le cadre de la troisième question, sous f), un tel régime a continué à s’appliquer en pratique en dépit de l’entrée en vigueur de cette réforme.

94

Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 63 du présent arrêt, un État membre ne peut appliquer une sanction pénale pour une formalité administrative non remplie lorsque l’accomplissement de cette formalité est refusé ou rendu impossible par cet État membre en violation du droit de l’Union.

95

Partant, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre sanctionne l’intermédiation sans autorisation de paris sportifs sur son territoire, pour le compte d’un opérateur titulaire d’une licence pour l’organisation de paris sportifs dans un autre État membre:

lorsque la délivrance d’une autorisation d’organisation de paris sportifs est subordonnée à l’obtention d’une concession par ledit opérateur selon une procédure d’octroi de concessions, telle que celle en cause au principal, pour autant que la juridiction de renvoi constate que cette procédure ne respecte pas les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination en raison de la nationalité ainsi que l’obligation de transparence qui en découle, et

dans la mesure où, en dépit de l’entrée en vigueur d’une disposition nationale permettant l’octroi de concessions à des opérateurs privés, l’application des dispositions instituant un régime de monopole public sur l’organisation et l’intermédiation des paris sportifs, que les juridictions nationales ont jugées contraires au droit de l’Union, a perduré dans les faits.

Sur les dépens

96

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

 

1)

L’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités répressives d’un État membre sanctionnent l’intermédiation, sans autorisation, de paris sportifs par un opérateur privé pour le compte d’un autre opérateur privé ne disposant pas d’une autorisation pour organiser des paris sportifs dans cet État membre, mais titulaire d’une licence dans un autre État membre, lorsque l’obligation de détenir une autorisation d’organisation ou d’intermédiation de paris sportifs s’inscrit dans le cadre d’un régime de monopole public que les juridictions nationales ont jugé contraire au droit de l’Union. L’article 56 TFUE s’oppose à une telle sanction même lorsqu’un opérateur privé peut, en théorie, obtenir une autorisation d’organisation ou d’intermédiation de paris sportifs, dans la mesure où la connaissance de la procédure d’octroi d’une telle autorisation n’est pas assurée et que le régime de monopole public sur les paris sportifs, que les juridictions nationales ont jugé contraire au droit de l’Union, a perduré en dépit de l’adoption d’une telle procédure.

 

2)

L’article 8, paragraphe 1, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 juillet 1998, doit être interprété en ce sens que le projet d’une législation régionale qui maintient en vigueur, à l’échelle de la région concernée, les dispositions d’une législation commune aux différentes régions d’un État membre venue à expiration, se trouve soumis à l’obligation de notification prévue audit article 8, paragraphe 1, dans la mesure où ce projet contient des règles techniques au sens de l’article 1er de cette directive, de telle sorte que le manquement à cette obligation entraîne l’inopposabilité de ces règles techniques à un particulier dans le cadre d’une procédure pénale. Une telle obligation n’est pas remise en cause par la circonstance que ladite législation commune avait précédemment été notifiée à la Commission à l’état de projet conformément à l’article 8, paragraphe 1, de ladite directive, et prévoyait expressément la possibilité d’une prorogation, dont il n’a toutefois pas été fait usage.

 

3)

L’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre sanctionne l’intermédiation sans autorisation de paris sportifs sur son territoire, pour le compte d’un opérateur titulaire d’une licence pour l’organisation de paris sportifs dans un autre État membre:

lorsque la délivrance d’une autorisation d’organisation de paris sportifs est subordonnée à l’obtention d’une concession par ledit opérateur selon une procédure d’octroi de concessions, telle que celle en cause au principal, pour autant que la juridiction de renvoi constate que cette procédure ne respecte pas les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination en raison de la nationalité ainsi que l’obligation de transparence qui en découle, et

dans la mesure où, en dépit de l’entrée en vigueur d’une disposition nationale permettant l’octroi de concessions à des opérateurs privés, l’application des dispositions instituant un régime de monopole public sur l’organisation et l’intermédiation des paris sportifs, que les juridictions nationales ont jugées contraires au droit de l’Union, a perduré dans les faits.

 

Signatures


( *1 )   Langue de procédure: l’allemand.