CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 24 septembre 2015 ( 1 )

Affaires jointes C‑359/14 et C‑475/14

ERGO Insurance SE, agissant par l’intermédiaire d’ERGO Insurance SE Lietuvos filialas

contre

If P&C Insurance AS, agissant par l’intermédiaire d’If P&C Insurance AS filialas

[demande de décision préjudicielle

formée par le Vilniaus miesto apylinkės teismas (Lituanie)]

et

AAS Gjensidige Baltic, agissant par l’intermédiaire d’AAS «Gjensidige Baltic» Lietuvos filialas

contre

UAB DK «PZU Lietuva»

[demande de décision préjudicielle

formée par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Lituanie)]

«Coopération judiciaire en matière civile — Choix de la loi applicable — Champs d’application des règlements Rome I et Rome II — Directive 2009/103/CE — Accident causé par un véhicule tracteur avec une remorque assurés par des assureurs différents au titre de la responsabilité civile — Accident survenu dans un État membre autre que celui de la conclusion des contrats d’assurance au titre de la responsabilité civile»

1. 

Un véhicule tracteur avec une remorque est impliqué dans un accident de la circulation dans un État membre, alors que les deux véhicules sont immatriculés dans un autre État membre où ils sont assurés au titre de la responsabilité civile auprès de deux sociétés d’assurances différentes. L’assureur du véhicule tracteur paie l’intégralité de l’indemnisation due à la victime à la suite de l’accident. Il se retourne ensuite contre l’assureur de la remorque (le véhicule tracté) pour récupérer une partie de l’indemnité versée (par une action récursoire).

2. 

Par les présentes demandes de décision à titre préjudiciel, les deux juridictions de renvoi cherchent à savoir si une telle action récursoire relève du champ d’application des règles du droit de l’Union qui déterminent la loi applicable en matière civile et commerciale et, dans l’affirmative, quelles sont les règles applicables. L’affaire C‑359/14 est présentée par le Vilniaus miesto apylinkės teismas (tribunal de district de la ville de Vilnius, Lituanie); l’affaire C‑475/14 émane du Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie). Toutes deux soulèvent d’importantes questions concernant le champ d’application et l’interprétation du droit de l’Union harmonisant les règles de conflit de lois, à savoir les règlements Rome I ( 2 ) et Rome II ( 3 ). La question de savoir si la directive 2009/103/CE ( 4 ) introduit des règles spéciales dans ce cadre pour déterminer la loi applicable en matière d’accidents de véhicules à moteur est également soulevée.

Le cadre juridique

Le système d’harmonisation du droit international privé en matière civile et commerciale

3.

Dans le cadre de l’harmonisation entre États membres du droit international privé en matière civile et commerciale, la convention de Bruxelles ( 5 ) énonçait des règles permettant d’identifier l’État membre dont les tribunaux sont compétents pour juger un litige transfrontalier. Le règlement «Bruxelles I» ( 6 ) l’a remplacée. La convention de Rome ( 7 ) a été conclue afin de poursuivre le processus d’harmonisation. Une nouvelle étape a été franchie avec l’adoption de deux règlements (connus comme les règlements Rome I et Rome II) afin d’assurer que, dans des situations de conflit de lois, les mêmes règles soient appliquées dans l’Union européenne pour désigner la loi nationale régissant les procédures, quel que soit l’État membre dans lequel l’action est introduite. Le bon fonctionnement du marché intérieur, l’amélioration de la prévisibilité de l’issue des litiges, la sécurité quant au droit applicable et la libre circulation des jugements figurent parmi les principaux objectifs des règlements Rome I et Rome II ( 8 ).

4.

Certains principes sont communs aux deux règlements, notamment l’objectif d’assurer la cohérence, entre eux et par rapport au règlement Bruxelles I, de leur champ d’application matériel et de leur interprétation ( 9 ). Les deux règlements ne s’opposent pas non plus à ce que d’autres dispositions de droit de l’Union, qui régissent des domaines particuliers, règlent des conflits de lois ( 10 ).

Le règlement Rome I

5.

Le règlement Rome I s’applique «[…] dans des situations comportant un conflit de lois, aux obligations contractuelles relevant de la matière civile et commerciale» ( 11 ).

6.

La règle générale veut que les contrats soient régis par la loi choisie par les parties ( 12 ).

7.

À défaut de choix exercé par les parties, la loi applicable au contrat est en principe déterminée selon les règles générales énoncées à l’article 4. L’article 4, paragraphe 1, prévoit les règles permettant de déterminer la loi applicable en ce qui concerne certaines catégories définies de contrats. Conformément à l’article 4, paragraphe 2, d’autres contrats et les contrats hybrides sont régis par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle. Dans d’autres circonstances, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits (article 4, paragraphes 3 et 4).

8.

Les articles 5 à 8 portent sur d’autres catégories particulières de contrats. L’article 7 concerne la loi applicable aux contrats d’assurance. L’article 7, paragraphe 3, dispose que, en ce qui concerne les contrats visés ici, les parties peuvent uniquement choisir certaines lois comme loi applicable conformément à l’article 3. La loi de l’État membre où le risque est situé au moment de la conclusion du contrat [article 7, paragraphe 3, sous a)] et la loi du pays dans lequel le preneur d’assurance a sa résidence habituelle [article 7, paragraphe 3, sous b)] figurent parmi ces lois. L’article 7, paragraphe 4, prévoit des règles supplémentaires pour les contrats d’assurance couvrant des risques pour lesquels un État membre impose l’obligation de souscrire une assurance ( 13 ).

9.

L’article 15 est intitulé «Subrogation légale». Il prévoit que, «[l]orsqu’en vertu d’un contrat une personne (‘le créancier’) a des droits à l’égard d’une autre personne (‘le débiteur’) et qu’un tiers a l’obligation de désintéresser le créancier ou encore que le tiers a désintéressé le créancier en exécution de cette obligation, la loi applicable à cette obligation du tiers détermine si et dans quelle mesure celui-ci peut exercer les droits détenus par le créancier contre le débiteur selon la loi régissant leurs relations».

10.

Conformément à l’article 16, «[l]orsqu’un créancier a des droits à l’égard de plusieurs débiteurs qui sont tenus à la même obligation et que l’un d’entre eux l’a déjà désintéressé en totalité ou en partie, la loi applicable à l’obligation de ce débiteur envers le créancier régit également le droit du débiteur d’exercer une action récursoire contre les autres débiteurs. Les autres débiteurs peuvent faire valoir les droits dont ils disposaient à l’égard du créancier dans la mesure prévue par la loi régissant leurs obligations envers le créancier».

Le règlement Rome II

11.

Le règlement Rome II s’applique, «[…] dans les situations comportant un conflit de lois, aux obligations non contractuelles relevant de la matière civile et commerciale. […]» ( 14 ).

12.

Le chapitre II est intitulé «Faits dommageables». L’article 4, paragraphe 1, établit la règle générale selon laquelle «la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent». Les articles 5 à 12 énoncent les règles applicables à des obligations non contractuelles particulières ( 15 ).

13.

L’article 18 prévoit qu’une victime peut agir directement contre l’assureur de la personne responsable. Il dispose: «La personne lésée peut agir directement contre l’assureur de la personne devant réparation si la loi applicable à l’obligation non contractuelle ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit».

14.

Le chapitre V prévoit certaines règles générales, parmi lesquelles des dispositions régissant la subrogation, à l’article 19, et les recours en cas de responsabilité multiple, à l’article 20. Ces dispositions reflètent le libellé des articles 15 et 16 du règlement Rome I.

La directive 2009/103

15.

La directive 2009/103 codifie les directives relatives à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs. En vertu de cette directive, les véhicules couverts par une assurance automobile obligatoire doivent être assurés lorsqu’ils circulent dans toute l’Union européenne. Les considérants suivants de la directive sont pertinents. Selon le considérant 12, l’obligation faite aux États membres de veiller à une couverture d’assurance constitue un élément majeur pour la protection des victimes. Le considérant 26 est libellé comme suit: «Dans l’intérêt de l’assuré, il convient que chaque police d’assurance garantisse, par une prime unique dans chacun des États membres, la couverture requise par sa législation ou la couverture exigée par la législation de l’État membre où le véhicule a son stationnement habituel, lorsque cette dernière est supérieure».

16.

Un véhicule est défini comme «tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique, sans être lié à une voie ferrée, ainsi que les remorques, même non attelées» ( 16 ).

17.

Le principe général énoncé à l’article 3 veut que chaque État membre prenne des mesures appropriées pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance ( 17 ).

18.

L’article 14 dispose:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que toutes les polices d’assurance obligatoire de responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules:

a)

couvrent, sur la base d’une prime unique et pendant toute la durée du contrat, la totalité du territoire de la Communauté, y compris tout séjour du véhicule dans d’autres États membres pendant la durée du contrat; et

b)

garantissent, sur la base de cette même prime unique, dans chacun des États membres, la couverture exigée par sa législation, ou la couverture exigée par la législation de l’État membre où le véhicule a son stationnement habituel lorsque cette dernière est supérieure.»

Le droit lituanien

19.

L’article 16 de la loi no IX‑378, du 14 juin 2001, sur l’assurance obligatoire de responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules (Transporto priemonių valdytojų civilinės atsakomybės privalomojo draudimo įstatymas) est intitulé «Principes régissant l’indemnisation». L’article 16, paragraphe 1, oblige l’assureur responsable ou le bureau à verser le dédommagement lorsque la responsabilité civile du détenteur du véhicule est engagée en raison d’un dommage causé à un tiers. Cette indemnisation doit être conforme à la législation en matière d’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules de l’État membre où l’accident de la circulation s’est produit. Conformément à l’article 16, paragraphe 5, la règle générale veut qu’un dommage causé par un véhicule tracté soit indemnisé sur le fondement du contrat d’assurance qui couvre le véhicule tracteur lorsque les deux véhicules sont reliés au moment de l’accident de la circulation. Le dommage ne sera indemnisé en vertu du contrat couvrant le véhicule tracté que lorsque les deux véhicules se sont détachés et que le dommage qui en résulte engage la responsabilité civile de l’utilisateur du véhicule tracté.

Le droit allemand

20.

Dans l’affaire C‑475/14, le juge de renvoi précise que les ordres juridiques lituanien et allemand établissent des principes différents en ce qui concerne la répartition de la responsabilité entre l’assureur du véhicule tracteur et l’assureur de la remorque lorsque le dommage a été causé par un ensemble de véhicules couplés. Les règles lituaniennes sont exposées ci‑dessus. En vertu du droit allemand, par contre, les assureurs des véhicules tracteur et tracté indemnisent à parts égales le dommage causé par l’ensemble de véhicules, indépendamment du point de savoir si la remorque s’est ou non détachée du véhicule tracteur au moment de l’accident, sauf accord contraire entre preneurs d’assurance ( 18 ). De plus, les droits lituanien et allemand diffèrent également en ce qui concerne les délais de prescription applicables aux actions récursoires.

Les faits, la procédure et les questions préjudicielles déférées

L’affaire C‑359/14

21.

Le 1er septembre 2011, un accident de la circulation s’est produit aux environs de Mannheim (Allemagne), au cours duquel un véhicule tracteur et la remorque y attachée ont quitté la route alors qu’ils faisaient demi-tour sur une voie étroite et se sont renversés, occasionnant un dommage s’élevant à 2247,45 euros [7760,02 litas lituaniens (LTL)]. La police de Cochem (Allemagne) a constaté que le conducteur du véhicule tracteur était responsable de l’accident et du dommage causé. À l’époque de l’accident, la responsabilité civile du propriétaire du véhicule tracteur était couverte par une assurance obligatoire souscrite auprès de ERGO SE (ci-après «ERGO»), tandis que la remorque était assurée auprès d’une succursale d’If P&C Insurance AS (ci-après «If P&C»). Les deux assureurs exercent leur activité habituelle en Lituanie. ERGO a indemnisé le dommage causé lors de l’accident. Il a ensuite saisi les tribunaux lituaniens au motif qu’If P&C devait répondre solidairement du dommage causé.

22.

Le Vilniaus miesto apylinkės teismas indique que le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie) a dit pour droit que, en cas d’action récursoire de l’assureur du véhicule tracteur contre l’assureur de la remorque attachée audit véhicule, la relation juridique entre eux est de nature contractuelle. Le juge de renvoi considère toutefois qu’il y a lieu de douter de cette position dans la mesure où, en droit de l’Union, les notions de relations contractuelles et non contractuelles sont des notions autonomes. De plus, aucun contrat écrit ou verbal ne lie les deux assureurs. Dans ces circonstances, il n’est de même pas clair si, dans la présente situation, ce n’est pas selon le règlement Rome II qu’il faudrait déterminer la loi applicable (loi allemande ou loi lituanienne).

L’affaire C‑475/14

23.

Le 21 janvier 2011, lors d’un accident de la circulation survenu en Allemagne, un véhicule tracteur tractant une remorque a endommagé des biens appartenant à un tiers. Au moment de l’accident, le véhicule tracteur était assuré par un contrat d’assurance de responsabilité civile conclu avec la succursale lituanienne de la société AAS Gjensidige Baltic (ci-après «Gjensidige Baltic»), tandis que la remorque était assurée par un contrat d’assurance de responsabilité civile conclu avec l’assureur UAB DK PZU Lietuva. À la suite d’une réclamation des représentants de la victime en Allemagne, Gjensidige Baltic a versé une indemnité d’un montant de 1254,36 euros (soit 4331,05 LTL). Gjensidige Baltic a ensuite cherché à récupérer la moitié de cette indemnité, c’est-à-dire 672,02 euros (soit 2165,53 LTL) auprès de l’assureur de la remorque. Un litige les a alors opposés, à propos de la loi applicable (loi allemande ou loi lituanienne) à cette action récursoire et sur le point de savoir si l’assureur est seul tenu à indemnisation ou s’il l’est conjointement avec UAB DK PZU Lietuva.

24.

Le Vilniaus miesto apylinkės teismas (tribunal de district de la ville de Vilnius) a fait droit à la requête de Gjensidige Baltic. Il a considéré que, puisque le dommage résultait d’un accident de la circulation survenu en Allemagne, le droit allemand était applicable à l’obligation non contractuelle résultant du fait dommageable, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement Rome II. Le Vilniaus apygardos teismas (tribunal régional de Vilnius) a annulé ce jugement. Gjensidige Baltic s’est alors pourvue en cassation devant le Lietuvos Aukščiausiasis Teisma (Cour suprême de Lituanie). Cette dernière considère que le litige qui lui est soumis porte essentiellement sur la qualification de la relation juridique entre les assureurs respectifs du véhicule tracteur et du véhicule tracté et sur la détermination de la loi applicable à cette relation (loi allemande ou loi lituanienne).

25.

Le juge de renvoi considère qu’il est important de déterminer si l’article 14, sous b), de la directive 2009/103 doit être considéré comme une règle de conflit de lois non seulement lorsqu’il s’agit de protéger les victimes d’un accident de la circulation, mais aussi dans le cadre de l’action récursoire d’un assureur lorsqu’un accident implique des véhicules tracteur et tracté couplés.

26.

Les questions préjudicielles suivantes ont donc été déférées à la Cour dans ces deux affaires.

Dans l’affaire C‑359/14, le Vilniaus miesto apylinkės teismas soumet à la Cour les questions suivantes:

Dans l’affaire C‑475/14, le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas pose les questions suivantes:

27.

ERGO, If P&C, les gouvernements allemand et lituanien et la Commission européenne ont présenté des observations écrites dans l’affaire C‑359/14. Gjensidige Baltic, le gouvernement lituanien et la Commission ont soumis des observations écrites dans l’affaire C‑475/14. Les deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt. Aucune audience n’a toutefois été demandée et aucune audience n’a eu lieu.

Appréciation

Remarque liminaire

28.

If P&C et le gouvernement lituanien mentionnent que la République de Lituanie est un État signataire de la convention de La Haye sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière ( 19 ). L’article 2, paragraphe 5, de cette convention indique toutefois qu’elle ne s’applique pas aux recours et aux subrogations concernant les assureurs. Elle n’est donc pas pertinente pour déterminer la loi applicable dans la présente affaire.

La directive 2009/103

29.

Dans l’affaire C‑475/14, par sa première question, le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas demande si l’article 14, sous b), de la directive 2009/103 établit une règle de conflit de lois spéciale, applicable aux actions récursoires. Cette question est également pertinente pour l’affaire C‑359/14, dans laquelle le Vilniaus miesto apylinkės teismas ne l’a pas soulevée.

30.

Gjensidige Baltic soutient que l’article 14, sous b), établit une telle lex specialis.

31.

Je ne partage pas ce point de vue.

32.

Il ressort clairement de la formulation et des objectifs de la directive que l’article 14, sous b), n’établit pas de règle de conflit de lois spéciale pour les actions récursoires entre assureurs.

33.

Premièrement, comme le fait justement remarquer la Commission, la directive n’harmonise pas les règles de conflit de lois applicables aux litiges concernant les accidents impliquant des véhicules à moteur. Elle a plutôt pour objectif général d’assurer la protection des victimes d’accidents en garantissant qu’une couverture d’assurance est en place ( 20 ).

34.

Deuxièmement, l’article 14, sous a), devrait être lu conjointement avec l’article 14, sous b). Cet article impose aux États membres de veiller à ce que les polices d’assurance automobile couvrent, sur la base d’une prime unique, la totalité du territoire de l’Union européenne pendant la durée du contrat et à ce qu’elles garantissent, sur la base de cette prime, dans chacun des États membres, la couverture requise par sa législation, ou la couverture exigée par la législation de l’État membre où le véhicule a son stationnement habituel lorsque cette dernière est supérieure ( 21 ). Le texte porte exclusivement sur l’étendue territoriale et le niveau de couverture que l’assureur est tenu de fournir, afin d’assurer une protection adéquate aux victimes d’accidents de la circulation.

35.

Il est donc impossible d’étendre la portée de ce texte jusqu’à considérer qu’il constitue une règle de conflit de lois spéciale applicable aux litiges en matière d’actions récursoires entre sociétés d’assurances. Pour le dire simplement, ni le texte ni l’objectif de la directive ne corroborent une telle lecture.

Remarques générales sur les règlements Rome I et Rome II

36.

Les parties appréhendent différemment la question de savoir s’il faut déterminer la loi applicable à l’action récursoire selon les dispositions du règlement Rome I ou du règlement Rome II. Leurs positions diffèrent essentiellement selon qu’elles considèrent que l’action récursoire trouve son origine dans une relation contractuelle (les contrats d’assurance) ou dans une relation non contractuelle (l’accident de la circulation).

37.

Dans l’affaire C‑359/14, ils sont trois (If P&C, le gouvernement allemand et la Commission) à soutenir que l’action récursoire est de nature contractuelle parce qu’elle trouve son origine a) dans le contrat entre le preneur d’assurance et l’assureur du véhicule tracteur et b) dans le contrat entre le preneur d’assurance et l’assureur du véhicule tracté, et qu’elle est liée à ces contrats. Il convient donc de déterminer la loi applicable conformément au règlement Rome I et ce sont les règles lituaniennes qui sont applicables. If P&C considère que l’article 7 du règlement Rome I, qui traite plus spécifiquement des contrats d’assurance, justifie cette position. Le gouvernement allemand soutient que l’article 16 du règlement Rome I, relatif à la pluralité de débiteurs, est applicable.

38.

La Commission souligne que, dans le cadre de l’article 5 de la convention de Bruxelles, la notion de «matière délictuelle ou quasi délictuelle» est «résiduelle», en ce sens qu’elle est née après la définition de la notion de «matière contractuelle». La Commission soutient que l’action de l’assureur relève du champ d’application des articles 15 et 16 du règlement Rome I. Il découle de l’article 16 (qui régit la pluralité de débiteurs) que, lorsque le créancier a des droits à l’égard de plusieurs débiteurs qui sont tenus à la même obligation, il n’est pas nécessaire que les débiteurs eux-mêmes soient liés par des relations contractuelles. Pour qu’une situation impliquant des responsabilités multiples relève du champ d’application du règlement Rome I, il suffit donc qu’il existe une relation entre chaque débiteur et son créancier.

39.

ERGO estime que le règlement Rome II est applicable. L’accident de la circulation fait naître une relation juridique non contractuelle entre la personne responsable de l’accident et la victime. C’est pourquoi, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement Rome II, la loi applicable est la loi allemande et les règles relatives à la pluralité de débiteurs de l’article 20 du règlement Rome II régissent l’action récursoire. Le gouvernement lituanien invoque le fait que la notion d’obligation non contractuelle devrait être interprétée largement et que la relation entre les assureurs est plus proche d’une relation non contractuelle.

40.

Dans l’affaire C‑475/14, Gjensidige Baltic soutient que la relation juridique entre les assureurs du véhicule tracteur et du véhicule tracté résulte de l’accident de la circulation et qu’elle relève donc du règlement Rome II. C’est donc l’article 20 (relatif à la pluralité de débiteurs) de ce règlement qui détermine la loi applicable à l’action récursoire entre assureurs. Le gouvernement lituanien et la Commission adoptent la même position que dans l’affaire C‑359/14.

41.

L’action récursoire de l’assureur d’un véhicule tracteur contre l’assureur d’un véhicule tracté trouve-t-elle son origine dans une obligation contractuelle ou dans une obligation non contractuelle? Les éléments suivants, au moins, ne semblent pas contestés.

42.

Premièrement, le règlement Rome I ne définit pas la notion d’«obligations contractuelles».

43.

Deuxièmement, les champs d’application matériels des règlements Rome I et Rome II devraient être cohérents entre eux et par rapport au règlement Bruxelles I ( 22 ).

44.

Troisièmement, il est ici demandé à la Cour si ce sont les dispositions du règlement Rome I ou celles du règlement Rome II qui déterminent la loi applicable à une situation où deux ou plusieurs assureurs pourraient être solidairement responsables, en vertu des contrats d’assurance respectifs, de l’indemnisation d’une victime qui a subi un dommage du fait d’un acte délictuel du preneur d’assurance et où un assureur a payé l’intégralité de l’indemnisation et demande une contribution à l’(aux) autre(s). Bien que la jurisprudence relative au règlement Bruxelles I en matière de compétence judiciaire, de reconnaissance et d’exécution des jugements ne puisse pas automatiquement être appliquée, elle peut néanmoins fournir une aide à la Cour.

45.

Il me semble que les principes suivants, qui découlent de la jurisprudence relative au règlement Bruxelles I, sont pertinents.

46.

Tout d’abord, les termes de «matière contractuelle» et de «matière délictuelle ou quasi délictuelle», au sens, respectivement, de l’article 5, paragraphes 1 et 3, du règlement Bruxelles I, doivent être interprétés de façon autonome, en se référant principalement au système et aux objectifs de ce règlement ( 23 ). Il doit en aller de même des termes «obligations contractuelles» du règlement Rome I et «obligations non contractuelles» du règlement Rome II.

47.

Ensuite, il ne faut pas perdre de vue que, dans la mesure où le règlement Bruxelles I remplace la convention de Bruxelles, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de la convention de Bruxelles vaut également pour celles du règlement Bruxelles I ( 24 ).

48.

De plus, il est constant que la notion de «matière contractuelle» au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement Bruxelles I présuppose la détermination d’une obligation juridique librement consentie par une personne à l’égard d’une autre et sur laquelle se fonde l’action du demandeur ( 25 ). La notion d’«obligation contractuelle» au sens du règlement Rome I devrait dès lors avoir le même fondement.

49.

Enfin, la notion de «matière délictuelle ou quasi délictuelle», au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement Bruxelles I, comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la «matière contractuelle», au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de ce règlement ( 26 ). Comme le fait justement remarquer la Commission, la notion de matière non contractuelle est résiduelle. La distinction entre les obligations contractuelles régies par le règlement Rome I et les obligations non contractuelles régies par le règlement Rome II devrait être établie selon la même logique.

50.

Je commencerai donc par examiner si l’action récursoire d’un assureur est de nature essentiellement contractuelle. Ce n’est que si elle ne s’inscrit pas parfaitement dans cette catégorie qu’il faudra la considérer comme non contractuelle.

Le règlement Rome I

51.

Dans l’affaire C‑359/14, le juge de renvoi demande si l’article 4, paragraphe 4, du règlement Rome I implique qu’il faut appliquer la loi allemande dans l’affaire au principal (première question). Dans l’affaire C‑475/14, le juge de renvoi souhaite savoir si les relations juridiques entre les assureurs respectifs du véhicule tracteur et de la remorque font naître des obligations contractuelles au sens de l’article 1er du règlement Rome I. Si la réponse est affirmative, il demande également s’il faut déterminer la loi applicable conformément à l’article 7 du règlement Rome I (deuxième question).

52.

Deux éléments ressortent clairement des décisions de renvoi. Premièrement, dans les deux cas, aucun contrat ne lie les deux assureurs. Par conséquent, en l’absence de contrat, les dispositions relatives à la liberté de choix de l’article 3 et les règles régissant la loi applicable en l’absence de choix de l’article 4 du règlement Rome I ne peuvent pas s’appliquer, et l’article 7 n’est pas non plus pertinent. Deuxièmement, il est indéniable que des contrats lient les preneurs d’assurance des véhicules tracteur et tracté et leur assureur respectif.

53.

Dans l’affaire C‑359/14 comme dans l’affaire C‑475/14, la juridiction de renvoi n’indique pas que ces contrats sont régis par le droit lituanien. Pour autant que nécessaire, la loi applicable aux contrats d’assurance doit être déterminée conformément aux articles 3, 4 et/ou 7 du règlement Rome I. Bien qu’il appartienne à la juridiction nationale de trancher cette question, les éléments portés à la connaissance de la Cour suggèrent qu’il s’agit vraisemblablement de la loi lituanienne ( 27 ).

54.

En ce qui concerne l’action récursoire de l’assureur, j’estime néanmoins que la loi applicable devrait être déterminée selon les règles du règlement Rome I, pour les raisons suivantes.

55.

L’article 1er, paragraphe 1, du règlement Rome I prévoit que «[l]e présent règlement s’applique, dans des situations comportant un conflit de lois, aux obligations contractuelles relevant de la matière civile et commerciale». Ces termes peuvent couvrir des situations telles que celles dont il est question dans les affaires au principal.

56.

L’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement Bruxelles I ( 28 ) utilise une formulation légèrement différente, à savoir «[…] en matière contractuelle […]». Toutefois, le champ d’application matériel des mesures d’harmonisation du droit international privé en matières civile et commerciale devrait être cohérent ( 29 ). La notion que recouvrent les mots «obligations contractuelles» de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Rome I détermine le champ d’application matériel de ce règlement. Il est donc légitime de recourir à la jurisprudence relative au règlement Bruxelles I.

57.

La Cour a jugé que l’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement Bruxelles I n’exige pas la conclusion d’un contrat, bien que l’identification d’une obligation soit néanmoins indispensable à son application, étant donné que la compétence juridictionnelle en vertu de cette disposition est établie en fonction du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée. La règle de compétence spéciale prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous a), «présuppose la détermination d’une obligation juridique librement consentie par une personne à l’égard d’une autre et sur laquelle se fonde l’action du demandeur» ( 30 ). Interpréter cette disposition sans établir cette condition serait aller au-delà des hypothèses envisagées par le règlement Bruxelles I.

58.

Je considère que ces critères qui permettent d’établir l’existence d’une «matière contractuelle» (et, implicitement, l’existence d’«obligations contractuelles») sont ici satisfaits. Chaque assureur a conclu avec son preneur d’assurance un contrat qui fait naître des obligations mutuelles. Les obligations de l’assureur comprennent la couverture de la responsabilité civile du preneur d’assurance. Celles du preneur d’assurance incluent le paiement de la prime d’assurance. Rien n’indique que ces obligations ne sont pas librement assumées par une partie envers une autre. En bref, nous avons clairement affaire à une «matière contractuelle» et à des «obligations contractuelles» en ce qui concerne ces parties.

59.

Pour qualifier les actions civiles qui sont au cœur des présents litiges, il pourrait être utile de poursuivre l’examen des relations entre les différentes parties impliquées en des termes plus abstraits.

60.

Imaginons qu’un accident de la circulation se produise, impliquant un véhicule tracteur et un véhicule tracté. L’accident cause un dommage à une victime qui n’est en rien responsable de l’accident. Appelons A le preneur d’assurance pour le véhicule tracteur, B le preneur d’assurance pour le véhicule tracté, X la victime de l’accident de la circulation, C l’assureur du véhicule tracteur et D l’assureur du véhicule tracté. A et B sont à l’origine et/ou sont responsables du dommage qu’a subi X. X détient donc une créance non contractuelle à l’encontre de A et de B en raison du fait dommageable.

61.

A et B ont chacun une relation contractuelle avec leurs assureurs respectifs C et D. X est indemnisé en vertu de ces contrats. Toutefois, même si C et/ou D indemnise directement X, il n’y a pas de relation contractuelle entre X, d’une part, et C et/ou D, d’autre part. L’accident de la circulation et les créances découlant des polices d’assurance sont les événements qui déclenchent l’obligation de payer.

62.

Il importe peu que le paiement soit effectué aux preneurs d’assurance (A et B) ou directement à la victime X. Comme l’obligation de payer trouve son origine dans le contrat, l’identité du bénéficiaire du paiement (qu’il s’agisse du preneur d’assurance, de la victime ou de l’assureur du véhicule tracteur) ne peut pas modifier la nature de l’obligation. Le centre de gravité de l’obligation d’indemniser se trouve donc dans l’obligation contractuelle (de l’assureur d’indemniser le preneur d’assurance), plutôt que dans l’obligation non contractuelle découlant de l’accident de la circulation qui lie l’auteur du dommage et la victime. Si l’auteur du dommage n’était pas assuré, il serait tenu d’indemniser lui-même la victime pour le dommage causé. À défaut d’engagement de couverture, les sociétés d’assurances n’auraient aucune obligation. Il en résulte que l’action récursoire d’un assureur contre l’autre (de C contre D dans mon exemple) trouve sa source dans les contrats d’assurance, qu’elle est donc intimement liée aux obligations contractuelles des deux assureurs à l’égard de leurs preneurs d’assurance respectifs et que, par conséquent, elle relève du règlement Rome I.

63.

Les articles 15 («Subrogation légale») et 16 («Pluralité de débiteurs») apportent-ils des éclaircissements sur la question de savoir si la loi applicable à l’action récursoire relève du règlement Rome I?

64.

Je ne le pense pas.

65.

L’article 15 prévoit que la loi applicable à l’obligation d’un tiers de désintéresser un créancier détermine si, et dans quelle mesure, celui‑ci peut exercer les droits détenus par le créancier contre le débiteur selon la loi régissant leurs relations. L’article 16 concerne les situations où un créancier a des droits à l’égard de plusieurs débiteurs qui sont tenus à la même obligation.

66.

Je commencerai par observer que le fait que ces dispositions se retrouvent dans les articles 19 et 20 du règlement Rome II suggère qu’elles ne peuvent pas être décisives pour distinguer ce qui est contractuel (et donc régi par le règlement Rome I) de ce qui est non contractuel (et donc régi par le règlement Rome II) ( 31 ).

67.

Malheureusement, le préambule du règlement Rome I n’apporte aucune information sur l’origine des articles 15 et 16 ni sur l’objectif de ces dispositions. La formulation de l’article 15 du règlement Rome I est analogue à celle de l’article 13, paragraphe 1, de la convention de Rome. Le rapport Giuliano et Lagarde indique que «la subrogation dans les droits du créancier a lieu de plein droit au profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au paiement de la dette, avait intérêt à l’acquitter» et que, puisque la convention ne concerne que la loi applicable aux obligations contractuelles, cette règle ne s’applique qu’aux créances de nature contractuelle ( 32 ). Les auteurs du rapport expliquent que cette règle ne s’applique pas à la subrogation légale lorsque la dette à payer est d’origine délictuelle (par exemple, la subrogation de l’assureur de dommages aux droits de l’assuré contre l’auteur du dommage). La subrogation légale est plus fréquente lorsqu’un créancier accorde à un débiteur un prêt avec cautionnement. Si la caution (le tiers) paie l’intégralité de la dette au créancier, elle est subrogée dans les droits du créancier (elle se substitue au créancier) et détient une créance à l’encontre du débiteur.

68.

Dans les deux affaires au principal, la situation n’est toutefois pas aussi simple que celle impliquant un créancier, un débiteur et une caution.

69.

L’article 16 du règlement Rome I préserve la continuité de la loi applicable dans les situations où il y a pluralité de débiteurs dans le cadre d’obligations contractuelles. Il n’est toutefois d’aucune aide pour déterminer si une obligation initiale particulière est ou non de nature contractuelle.

70.

C’est pourquoi ces deux dispositions n’apportent, selon moi, aucun éclaircissement sur la question de savoir si l’action récursoire relève du champ d’application du règlement Rome I.

71.

Sur la base de l’analyse que j’ai exposée ci‑dessus, je conclus que, lorsque deux ou plusieurs assureurs sont conjointement et solidairement tenus d’indemniser une victime qui a subi une perte, un dommage ou une blessure du fait d’une action ou d’une omission délictuelle de leur(s) preneur(s) d’assurance, et que l’un des assureurs a versé l’indemnité et cherche à obtenir une contribution de l’(des) autre(s), l’obligation pour l’assureur d’indemniser le preneur d’assurance ou de dédommager la victime pour le compte du preneur d’assurance devrait être qualifiée de contractuelle au sens du règlement Rome I. La nature contractuelle de l’obligation d’indemniser n’est pas modifiée selon que l’assureur verse le montant directement à la victime ou qu’un assureur verse un montant à un autre lorsqu’il contribue à une partie de l’indemnisation. Il faut donc déterminer la loi applicable conformément au règlement Rome I.

Le règlement Rome II

72.

Je suis arrivée à la conclusion que l’action récursoire de l’assureur relève du règlement Rome I. Il n’est donc, à proprement parler, plus nécessaire d’examiner le règlement Rome II. Je m’y attacherai toutefois brièvement, par souci d’exhaustivité.

73.

Selon moi, l’action récursoire de l’assureur n’entre pas dans le champ d’application de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Rome II, pour les raisons suivantes.

74.

Premièrement, les obligations non contractuelles constituent une catégorie résiduelle. Il ressort de mon analyse aux points 58 à 62 et de ma conclusion au point 71 ci‑dessus que les litiges au principal concernent des obligations contractuelles. L’article 1er, paragraphe 1, du règlement Rome II ne peut donc pas être applicable.

75.

Deuxièmement, la règle générale relative aux obligations non contractuelles de l’article 4 du règlement Rome II ne permet pas de déterminer la loi applicable. Il n’y a en effet pas de fait dommageable qui lie l’assureur du véhicule tracteur à l’assureur du véhicule tracté. L’assureur du véhicule tracteur n’a causé aucun dommage à l’assureur du véhicule tracté et ce dernier n’a causé aucun dommage au premier assureur. De ce fait, aucune obligation non contractuelle ne lie les deux assureurs. Même s’il est vrai que l’accident de la circulation et le dommage qui en a résulté pour la victime ont fait naître une (des) créance(s) en vertu du (des) contrat(s) d’assurance, les assureurs n’y ont joué aucun rôle et en sont éloignés. Leur seul lien découle des obligations prévues dans le(s) contrat(s) d’assurance qu’ils ont conclu(s) avec leur(s) preneur(s) d’assurance respectif(s) ( 33 ). Il est de jurisprudence constante qu’«une responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle ne peut être prise en compte qu’à condition qu’un lien causal puisse être établi entre le dommage et le fait dans lequel ce dommage trouve son origine» ( 34 ).

76.

Troisièmement, l’action récursoire de l’assureur n’entre dans aucune des catégories d’obligations non contractuelles visées par les articles 5 à 12 du règlement Rome II.

77.

Qu’en est-il de l’article 18, qui permet de choisir la loi applicable lorsque la «personne lésée» (c’est-à-dire la victime) souhaite agir directement contre l’assureur de l’auteur du dommage «[…] si la loi applicable à l’obligation non contractuelle ou la loi applicable au contrat d’assurance le prévoit»?

78.

Alors qu’aucun considérant ne vient éclairer le sens de l’article 18, l’exposé des motifs de la proposition de la Commission relatif à l’article 14 (devenu entre-temps l’article 18) peut apporter une aide puisqu’il indique que «[l]’article 14 détermine la loi applicable à la question de savoir si la personne lésée est autorisée à exercer une action directe contre l’assureur de la personne dont la responsabilité est invoquée. La règle proposée instaure un équilibre raisonnable entre les intérêts en présence en ce sens qu’elle protège la personne lésée, à laquelle elle accorde une option, tout en limitant le choix aux deux lois à l’application desquelles l’assureur devait légitimement s’attendre, à savoir la loi applicable à l’obligation non contractuelle, d’une part, et celle applicable au contrat d’assurance, de l’autre. Dans tous les cas, l’étendue des obligations de l’assureur relève de la loi applicable au contrat d’assurance. À l’instar de l’article 7 relatif aux atteintes à l’environnement, la formulation retenue permet d’éviter des interrogations dans l’hypothèse où la victime n’aurait pas exercé son droit d’option».

79.

Il me semble que l’article 18 se contente de donner à la victime la possibilité d’agir directement contre l’assureur (plutôt que contre l’auteur du dommage), sans toucher aux paramètres de base de la situation. C’est la loi applicable aux obligations non contractuelles qui déterminera si la victime peut agir contre l’auteur du dommage. La question de l’obligation légale imposée à l’assureur d’indemniser à la place de l’auteur dépendra des termes du contrat d’assurance, interprétés selon la loi applicable à ce contrat.

80.

Cet élément vient confirmer mon point de vue selon lequel le règlement Rome II n’est pas applicable et les règles de l’article 20 relatives à la pluralité de débiteurs ne sont, par conséquent, pas pertinentes pour déterminer la loi applicable dans les affaires C‑359/14 et C‑475/14.

Conclusion

81.

Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions déférées par le Vilniaus miesto apylinkės teismas dans l’affaire C‑359/14 et par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas dans l’affaire C‑475/14 de la manière suivante:

L’article 14, sous b), de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité, n’établit pas de règle spéciale pour déterminer la loi applicable.

Lorsque deux ou plusieurs assureurs sont conjointement et solidairement responsables d’indemniser une victime ayant subi une perte, un dommage ou une blessure du fait d’une action ou d’une omission délictuelle de leur(s) preneur(s) d’assurance, et que l’un des assureurs a payé l’indemnité et cherche à obtenir une contribution de l’(des) autre(s), l’obligation pour l’assureur d’indemniser le preneur d’assurance ou de dédommager la victime pour le compte du preneur d’assurance devrait être qualifiée de contractuelle pour les besoins de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I). La nature contractuelle de l’obligation d’indemniser n’est pas modifiée selon que l’assureur verse le montant directement à la victime ou qu’un assureur verse un montant à un autre lorsqu’il contribue à une partie de l’indemnisation. La loi applicable doit donc être déterminée conformément au règlement Rome I.


( 1 )   Langue originale: l’anglais.

( 2 )   Règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO L 177, p. 6).

( 3 )   Règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) (JO L 199, p. 40).

( 4 )   Directive du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité (JO L 263, p. 11, ci‑après la «directive 2009/103» ou la «directive»).

( 5 )   Convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres (ci-après la «convention de Bruxelles»). Pour une version consolidée, voir JO 1998, C 27, p. 1.

( 6 )   Règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1, ci-après le «règlement Bruxelles I»). Ce règlement ne s’applique pas à l’égard du Royaume de Danemark (article 1er, paragraphe 3).

( 7 )   Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles (JO 1980, L 266, p. 1).

( 8 )   Voir considérant 6 des deux règlements Rome I et Rome II.

( 9 )   Voir considérant 7 des deux règlements Rome I et Rome II.

( 10 )   Voir considérant 40 et article 23 du règlement Rome I. Voir aussi considérant 35 et article 27 du règlement Rome II.

( 11 )   Article 1er, paragraphe 1.

( 12 )   Article 3, paragraphe 1.

( 13 )   Les éléments portés à la connaissance de la Cour en ce qui concerne les lois lituanienne et allemande relatives à l’assurance obligatoire des véhicules à moteur ne sont pas suffisamment détaillés pour que je puisse utilement commenter le rôle que pourrait jouer l’article 7, paragraphe 4.

( 14 )   Article 1er, paragraphe 1.

( 15 )   Ces règles ne visent cependant pas les actions récursoires telles que celles qui découlent d’un accident de la circulation.

( 16 )   Article 1er, point 1. Voir arrêt Vnuk (C‑162/13, EU:C:2014:2146).

( 17 )   En vertu de l’article 5, les États membres peuvent, dans certaines conditions, déroger à cette obligation en ce qui concerne certaines personnes physiques ou morales, publiques ou privées. Aucun élément rapporté à la Cour ne permet de penser que l’article 5 est pertinent dans les deux affaires au principal.

( 18 )   Dans l’affaire C‑475/14, dans l’ordonnance de renvoi, le juge se réfère à l’arrêt no IV 279/08, du 27 octobre 2010, du Bundesgerichtshof (Allemagne). Cette affaire concernait des véhicules couverts par des contrats d’assurance allemands soumis au droit des assurances allemand. Cette situation est différente de celles visées dans les litiges au principal, qui concernent des véhicules immatriculés à l’étranger couverts par des assurances contractées dans un autre État membre.

( 19 )   Voir conférence de La Haye de droit international privé, Actes et documents de la onzième session (1968), tome III, Accidents de la circulation routière, p. 223.

( 20 )   Voir considérant 12 de la directive.

( 21 )   Voir considérant 26 de la directive.

( 22 )   Voir considérant 7 des règlements Rome I et Rome II. Voir, également, arrêt ÖFAB (C‑147/12, EU:C:2013:490, point 28).

( 23 )   Voir arrêt Brogsitter (C‑548/12, EU:C:2014:148, point 18 et jurisprudence citée).

( 24 )   Ibidem (point 19 et jurisprudence citée).

( 25 )   Voir arrêt ÖFAB (C‑147/12, EU:C:2013:490, point 33 et jurisprudence citée).

( 26 )   Voir arrêt Brogsitter (C‑548/12, EU:C:2014:148, points 20 et 21). Voir aussi arrêt ÖFAB (C‑147/12, EU:C:2013:490, point 32 et jurisprudence citée).

( 27 )   Le cas échéant, parce que les parties l’ont expressément choisie (article 3); sinon, parce que le prestataire de services (la société d’assurances) ou le preneur d’assurance ont leur résidence habituelle en Lituanie [respectivement article 4, paragraphe 1, sous b), et article 7, paragraphe 3, sous b)]. Il est également probable que, au moment où le contrat a été conclu, le risque se situait en Lituanie [article 7, paragraphe 3, sous a)]. Sur l’éventuelle application de l’article 7, paragraphe 4, voir note 13 ci‑dessus.

( 28 )   Conformément à la règle générale du règlement Bruxelles I, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites devant les juridictions de cet État membre (article 2). L’article 5, paragraphe 1, sous a), de ce règlement déroge à cette règle générale et prévoit une règle de compétence spéciale selon laquelle, en matière contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite devant le tribunal du lieu où l’obligation contractuelle a été ou doit être exécutée.

( 29 )   Voir point 43 ci‑dessus.

( 30 )   Voir arrêt Česká spořitelna (C‑419/11, EU:C:2013:165, points 46 et 47 ainsi que jurisprudence citée). Voir aussi mes conclusions dans cette affaire (C‑419/11, EU:C:2012:586, points 43 à 45).

( 31 )   Voir exposé des motifs de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles («Rome II») présentée par la Commission [COM(2003) 427 final, p. 26].

( 32 )   Voir rapport concernant la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, par Mario Giuliano, professeur à l’université de Milan, et Paul Lagarde, professeur à l’université de Paris I (JO 1980, C 282, p. 1), article 13 («Subrogation»).

( 33 )   Voir point 60 ci‑dessus.

( 34 )   Voir arrêt ÖFAB (C‑147/12, EU:C:2013:490, point 34 et jurisprudence citée).