ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

18 décembre 2014 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Protection des intérêts financiers de l’Union européenne — Règlement (CE, Euratom) no 2988/95 — Article 4 — Budget général de l’Union — Règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 — Article 53 ter, paragraphe 2 — Décision 2004/904/CE — Fonds européen pour les réfugiés pour la période 2005-2010 — Article 25, paragraphe 2 — Fondement juridique de l’obligation de récupération d’une subvention en cas d’irrégularité»

Dans l’affaire C‑599/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Raad van State (Pays-Bas), par décision du 20 novembre 2013, parvenue à la Cour le 22 novembre 2013, dans la procédure

Somalische Vereniging Amsterdam en Omgeving (Somvao)

contre

Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Ó Caoimh, Mme C. Toader (rapporteur), MM. E. Jarašiūnas et C. G. Fernlund, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Bulterman et M. Noort ainsi que par M. J. Langer, en qualité d’agents,

pour le gouvernement estonien, par Mme N. Grünberg, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par Mme D. Maidani ainsi que par MM. B.‑R. Killmann et G. Wils, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4 du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO L 312, p. 1), de l’article 53 ter, paragraphe 2, initio et sous c), du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) no 1995/2006 du Conseil, du 13 décembre 2006 (JO L 390, p. 1, ci-après le «règlement no 1605/2002»), ainsi que de l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2004/904/CE du Conseil, du 2 décembre 2004, établissant le Fonds européen pour les réfugiés pour la période 2005-2010 (JO L 381, p. 52).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Somalische Vereniging Amsterdam en Omgeving (Association somalienne d’Amsterdam et alentours, ci-après la «Somvao»), association qui est établie à Amsterdam (Pays-Bas), au Staatsecretaris van Veiligheid en Justitie (secrétaire d’État à la sécurité et à la justice, ci-après le «Staatssecretaris») au sujet de la décision de ce dernier de réduire et de récupérer une partie du montant de la subvention octroyée à cette association au titre dudit Fonds européen pour les réfugiés.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement (CEE) no 4253/88

3

L’article 23, paragraphe 1, du règlement (CEE) no 4253/88 du Conseil, du 19 décembre 1988, portant dispositions d’application du règlement (CEE) no 2052/88 en ce qui concerne la coordination entre les interventions des différents Fonds structurels, d’une part, et entre celles-ci et celles de la Banque européenne d’investissement et des autres instruments financiers existants, d’autre part (JO L 374, p. 1), tel que modifié par le règlement (CEE) no 2082/93 du Conseil, du 20 juillet 1993 (JO L 193, p. 20, ci-après le «règlement no 4253/88»), est libellé ainsi:

«1.   Afin de garantir le succès des actions menées par des promoteurs publics ou privés, les États membres prennent, lors de la mise en œuvre des actions, les mesures nécessaires pour:

vérifier régulièrement que les actions financées par la Communauté ont été menées correctement,

prévenir et poursuivre les irrégularités,

récupérer les fonds perdus à la suite d’un abus ou d’une négligence. Sauf si l’État membre et/ou l’intermédiaire et/ou le promoteur apportent la preuve que l’abus ou la négligence ne leur est pas imputable, l’État membre est subsidiairement responsable du remboursement des sommes indûment versées. Pour les subventions globales, l’intermédiaire peut, avec l’accord de l’État membre et de la Commission, recourir à une garantie bancaire ou toute autre assurance couvrant ce risque.

[…]»

Le règlement no 2988/95

4

Les troisième à cinquième considérants du règlement no 2988/95 se lisent comme suit:

«considérant que les modalités de [la] gestion [financière] décentralisée et des systèmes de contrôle font l’objet de dispositions détaillées différentes selon les politiques communautaires en question; qu’il importe cependant de combattre dans tous les domaines les atteintes aux intérêts financiers des Communautés;

considérant que l’efficacité de la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés requiert la mise en place d’un cadre juridique commun à tous les domaines couverts par les politiques communautaires;

considérant que les comportements constitutifs d’irrégularités, ainsi que les mesures et sanctions administratives y relatives, sont prévus dans des réglementations sectorielles en conformité avec le présent règlement».

5

L’article 1er de ce règlement dispose:

«1.   Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire.

2.   Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue.»

6

L’article 4 du règlement no 2988/95, qui figure sous le titre II, intitulé «Mesures et sanctions administratives», de celui-ci, prévoit:

«1.   Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l’avantage indûment obtenu:

par l’obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus,

[…]

2.   L’application des mesures visées au paragraphe 1 est limitée au retrait de l’avantage obtenu augmenté, si cela est prévu, d’intérêts qui peuvent être déterminés de façon forfaitaire.

[…]

4.   Les mesures prévues par le présent article ne sont pas considérées comme des sanctions.»

Le règlement no 1605/2002

7

Le titre IV du règlement no 1605/2002, qui figure sous la première partie de celui-ci, est intitulé «Exécution du budget». Le chapitre 2 de ce titre IV est relatif aux modes d’exécution du budget. Il comprend les articles 53 à 57 de ce règlement. L’article 53 de celui-ci prévoit:

«La Commission exécute le budget conformément aux dispositions des articles 53 bis à 53 quinquies:

a)

de manière centralisée;

b)

en gestion partagée ou décentralisée, ou

c)

en gestion conjointe avec des organisations internationales.»

8

L’article 53 ter dudit règlement énonce:

«1.   Lorsque la Commission exécute le budget en gestion partagée, des tâches d’exécution du budget sont déléguées à des États membres. Cette méthode s’applique en particulier aux actions visées aux titres I et II de la deuxième partie.

2.   Sans préjudice des dispositions complémentaires incluses dans la réglementation sectorielle pertinente, afin d’assurer, en gestion partagée, une utilisation des fonds conforme aux règles et principes applicables, les États membres prennent les mesures législatives, réglementaires, administratives ou autres nécessaires pour protéger les intérêts financiers des Communautés. À cet effet, ils doivent notamment:

[…]

c)

récupérer les fonds indûment versés ou mal employés ou les fonds perdus par suite d’irrégularités ou d’erreurs;

[…]

À cet effet, les États membres procèdent à des vérifications et mettent en place un système de contrôle interne efficace et efficient […]. Ils engagent les poursuites nécessaires et appropriées.

[…]»

9

L’article 53 ter du règlement no 1605/2002 a été abrogé à partir du 31 décembre 2013, par l’article 212 du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil (JO L 298, p. 1).

La décision 2004/904

10

Sous le titre «Contrôles et corrections financières effectués par les États membres», l’article 25 de la décision 2004/904 dispose:

«1.   Sans préjudice de la responsabilité de la Commission dans l’exécution du budget général de l’Union européenne, les États membres assument en premier ressort la responsabilité du contrôle financier des actions. À cette fin, ils prennent, notamment, les mesures suivantes:

[…]

b)

ils préviennent, détectent et corrigent les irrégularités, ils les communiquent à la Commission, qu’ils tiennent informée de l’évolution des poursuites administratives et judiciaires;

[…]

2.   Les États membres procèdent aux corrections financières requises en rapport avec l’irrégularité constatée, en tenant compte de son caractère individuel ou systémique. Les corrections financières auxquelles procède l’État membre consistent en une suppression de tout ou partie de la contribution communautaire, et donnent lieu, en cas de non-remboursement à la date d’échéance fixée par l’État membre, au versement d’intérêts de retard, au taux prévu à l’article 26, paragraphe 4.

[…]»

11

L’article 32 de cette décision, intitulé «Destinataires», énonce:

«Les États membres sont destinataires de la présente décision conformément au traité instituant la Communauté européenne.»

La décision 2006/399/CE

12

La Commission a, par sa décision 2006/399/CE, du 20 janvier 2006, portant modalités d’exécution de la décision 2004/904/CE du Conseil en ce qui concerne l’éligibilité des dépenses dans le cadre des actions cofinancées par le Fonds européen pour les réfugiés mises en œuvre dans les États membres (JO L 162, p. 1), adopté les conditions d’éligibilité desdites dépenses.

13

Plus particulièrement, selon la règle no 6 de l’annexe de la décision 2006/399, les coûts doivent avoir été effectivement exposés, correspondre à des paiements effectués par le bénéficiaire, être enregistrés dans ses comptes ou figurer sur ses documents fiscaux et être identifiables et contrôlables. En règle générale, les paiements effectués par les bénéficiaires seront accompagnés des factures acquittées. Lorsque ce n’est pas possible, ces paiements seront justifiés par des documents comptables ou des pièces de valeur probante équivalente.

Le droit néerlandais

14

L’article 4:49 de la loi générale sur le droit administratif (Algemene wet bestuursrecht, ci-après l’«Awb») prévoit, à son paragraphe 1:

«L’autorité administrative peut abroger la décision de liquidation de la subvention ou la modifier au détriment du bénéficiaire:

a)

en raison de faits ou de circonstances qu’elle ne pouvait raisonnablement pas connaître au moment de la liquidation et qui l’auraient amenée à liquider la subvention à un montant inférieur à celui prévu dans la décision d’octroi;

b)

si la décision de liquidation était inexacte et que le bénéficiaire le savait ou aurait dû le savoir;

c)

si, après la liquidation de la subvention, le bénéficiaire n’a pas rempli les obligations liées à la subvention.»

15

L’article 4:57, paragraphe 1, de l’Awb est rédigé comme suit:

«L’autorité administrative peut récupérer les montants de subvention versés indûment».

16

Le cadre de mise en œuvre du Fonds européen pour les réfugiés aux Pays-Bas, programme pluriannuel 2005-2007 (Uitvoeringskader Europees Vluchtelingenfonds Nederland, Meerjarenprogramma 2005-2007, ci-après le «cadre national de mise en œuvre»), lequel a été adopté sur le fondement de la décision 2006/399, prévoit, à son paragraphe 2.1, que le bénéficiaire est chargé de saisir les données et de (faire) tenir une documentation du projet compréhensible et contrôlable.

17

Le paragraphe 2.2 du cadre national de mise en œuvre, intitulé «administration financière», renvoie à la décision 2006/399 pour les règles détaillées relatives aux coûts admissibles.

Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

18

La Somvao est une association qui œuvre en faveur de la communauté somalienne résidant à Amsterdam et à proximité de cette ville. Elle a introduit, le 18 août 2005, une demande de subvention pour un projet d’aide aux réfugiés dénommé «Tesfa Himilio II» (ci-après le «projet»), qui devait se dérouler sur la période allant du 1er mai 2005 au 30 mai 2008. Pour la mise en œuvre de ce projet, la Somvao collaborait avec la Stichting Dir, une organisation éthiopienne, établie également à Amsterdam. Le projet visait à promouvoir l’intégration et la participation des éthiopiens et des somaliens à la société néerlandaise, notamment en développant et en offrant des programmes spécifiques d’insertion sociale et professionnelle visant les jeunes, les femmes et les personnes âgées.

19

Par décision du 27 avril 2006, le Staatssecretaris a accordé une subvention pour la première phase du projet à la Somvao, d’un montant de 199761 euros, soit 45 % des coûts admissibles, à prélever sur le Fonds européen pour les réfugiés.

20

Concernant les conditions pour l’octroi d’une subvention, la décision du Staatssecretaris, du 27 avril 2006, renvoyait au cadre national de mise en œuvre du Fonds européen pour les réfugiés aux Pays-Bas.

21

À la suite du dépôt du décompte final, la subvention a été fixée audit montant par une décision du 27 juillet 2007. La juridiction de renvoi indique que, pour la fixation de ce montant, le Staatssecretaris, d’une part, s’est contenté des données qui avaient été fournies avec la demande de fixation de la subvention pour la première phase du projet et, d’autre part, n’a pas contrôlé la totalité des documents du projet.

22

Au mois de février 2009, à l’initiative de la Commission, une société d’audit a effectué un contrôle de la régularité de l’utilisation de la subvention, au cours duquel les décomptes présentés par la Somvao concernant les coûts du projet ont été examinés. Après avoir pris en compte les observations de la Somvao, cette société a conclu, le 6 octobre 2009, qu’une grande partie des postes de dépenses et des décomptes indiqués par la Somvao, notamment en ce qui concerne les frais de personnel, n’étaient pas justifiés de manière claire et acceptable, de telle sorte qu’un montant de 188675,87 euros avait été indûment versé au titre de la subvention.

23

À la suite du rapport final de contrôle, le Staatssecretaris a, par décision du 12 novembre 2009, modifié la décision du 27 juillet 2007 portant sur la fixation de la subvention, en réduisant celle-ci à 11 085,13 euros et en ordonnant le recouvrement du trop-perçu, à savoir 188675,87 euros.

24

Le Staatssecretaris ayant, le 31 mai 2010 et à la suite d’une réclamation de la Somvao, confirmé sa décision du 12 novembre 2009, ladite association a formé un recours contre la décision du Staatssecretaris du 12 novembre 2009 devant le Rechtbank Amsterdam. Cette juridiction, par jugement en date du 22 septembre 2011, a déclaré le recours non fondé. Plus précisément, elle a jugé que, si le Staatssecretaris ne pouvait pas tirer du droit national la compétence pour modifier, au détriment de la Somvao, le montant de la subvention qui avait été accordé, il était toutefois tenu, sur le fondement de l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2004/904, de modifier ce montant.

25

La Somvao a interjeté appel de ce jugement devant l’Afdeling Bestuursrechtspraak (section du contentieux administratif) du Raad van State.

26

Le Raad van State considère que le manquement, constaté par le Staatssecretaris, à l’obligation de tenir une bonne comptabilité du projet constitue une irrégularité telle que définie à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 2988/95. À l’instar du Rechtbank Amsterdam, la juridiction de renvoi estime que le fait que la Somvao n’ait pas tenu une comptabilité claire ne peut être regardé comme constituant l’une des hypothèses énumérées à l’article 4:49, paragraphe 1, sous a) à c), de l’Awb permettant à l’autorité administrative d’abroger ou de modifier la décision de fixation d’une subvention au détriment de son bénéficiaire, dès lors que l’absence de bonne comptabilité du projet est une circonstance dont le Staatssecretaris aurait déjà dû avoir connaissance lorsque la subvention en cause a été liquidée. Le Raad van State conclut que la décision modifiant la subvention et ordonnant la récupération de celle-ci est dépourvue de base juridique en droit interne.

27

Par conséquent, cette juridiction se demande si le droit de l’Union permet de fonder juridiquement une décision réduisant le montant d’une subvention déjà accordée et ordonnant la récupération des montants indûment perçus, dans l’hypothèse où des irrégularités, telles que celles constatées dans l’espèce qui lui est soumise, sont constatées. Plus spécifiquement, elle se demande si l’article 4 du règlement no 2988/95, l’article 53 ter, paragraphe 2, initio et sous c), du règlement no 1605/2002 ou encore l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2004/904 peuvent constituer le fondement juridique de la décision de réduire la subvention accordée en vertu du Fonds européen pour les réfugiés et de récupérer une grande partie de cette subvention.

28

S’appuyant sur les arrêts Vereniging Nationaal Overlegorgaan Sociale Werkvoorziening e.a. (C‑383/06 à C‑385/06, EU:C:2008:165) ainsi que Chambre de commerce et d’industrie de l’Indre (C‑465/10, EU:C:2011:867), concernant le règlement no 4253/88, la juridiction de renvoi fait valoir qu’il semble pouvoir être déduit de ces arrêts qu’une règle générale visant la protection des intérêts financiers de l’Union ne peut pas constituer le fondement juridique d’une décision de réduction et de récupération d’une subvention. Seule une règle spécifique pourrait servir de fondement juridique à une telle décision. Cela impliquerait, selon la juridiction de renvoi, que les règlements nos 2988/95 et 1605/2002 ne peuvent servir de base juridique à la décision ordonnant la réduction ainsi que la récupération de la subvention.

29

Par ailleurs, la juridiction de renvoi doute que l’article 25, paragraphe 2, de la décision 2004/904 puisse servir de base légale à la décision de réduction de la subvention qui a été accordée, étant donné que cette décision, exclusivement adressée aux États membres, ne peut, par elle-même, créer des obligations dans le chef d’un particulier.

30

Dans ces circonstances, le Raad van State a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

L’article 4 du règlement no 2988/95 ou bien l’article 53 ter, paragraphe 2, initio et sous c), du règlement no 1605/2002 fournissent-ils un fondement juridique à une décision de modification au détriment du bénéficiaire et de récupération auprès de celui-ci par les autorités nationales d’une subvention issue du Fonds européen pour les réfugiés?

2)

L’article 25, paragraphe 2, de la décision 2004/904 peut-il constituer un fondement juridique pour une décision de modification au détriment du bénéficiaire et de récupération auprès de celui-ci par les autorités nationales, d’une subvention déjà fixée, issue du Fonds européen pour les réfugiés, sans qu’une habilitation prévue par le droit national soit nécessaire à cet effet?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

31

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4 du règlement no 2988/95 ou bien l’article 53 ter, paragraphe 2, initio et sous c), du règlement no 1605/2002 doit être interprété en ce sens que, à défaut de base légale issue du droit interne, soit l’une de ces dispositions, soit l’autre fournit un fondement juridique à une décision des autorités nationales modifiant, au détriment du bénéficiaire, le montant d’une subvention accordée au titre du Fonds européen pour les réfugiés, dans le cadre de la gestion partagée entre la Commission et les États membres, et ordonnant la récupération auprès de celui-ci d’une partie de ce montant.

32

S’agissant du règlement no 2988/95, il y a lieu de rappeler que, selon son article 1er, paragraphe 1, ce règlement introduit une réglementation générale relative à des contrôles homogènes ainsi qu’à des mesures et à des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit de l’Union, et ce, ainsi qu’il ressort du troisième considérant dudit règlement, afin de combattre dans tous les domaines les atteintes aux intérêts financiers de l’Union (arrêts FranceAgriMer, C‑670/11, EU:C:2012:807, point 41 et jurisprudence citée, ainsi que Cruz & Companhia, C‑341/13, EU:C:2014:2230, point 43).

33

Ainsi qu’il ressort du quatrième considérant du règlement no 2988/95, l’efficacité de la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union requiert la mise en place d’un cadre juridique commun à tous les domaines couverts par les politiques de l’Union. En outre, selon le cinquième considérant du même règlement, les comportements constitutifs d’irrégularités, ainsi que les mesures et les sanctions administratives y afférentes, sont prévus dans des réglementations sectorielles en conformité avec le règlement no 2988/95. Dans le domaine des contrôles et des sanctions des irrégularités commises en droit de l’Union, le législateur de l’Union a, en adoptant le règlement no 2988/95, posé une série de principes et exigé que, en règle générale, l’ensemble des règlements sectoriels respectent ces principes (arrêt FranceAgriMer, EU:C:2012:807, points 42 et 43 ainsi que jurisprudence citée).

34

Ainsi, le règlement no 2988/95 a vocation à régir toute situation mettant en cause une «irrégularité», au sens de l’article 1er de celui-ci, à savoir une violation d’une disposition du droit de l’Union résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général de l’Union ou à des budgets gérés par celle-ci soit par la diminution ou par la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte de l’Union, soit par une dépense indue (arrêt FranceAgriMer, EU:C:2012:807, point 44).

35

Comme l’article 4, paragraphe 1, premier tiret, du règlement no 2988/95 le prévoit, toute irrégularité doit entraîner, en règle générale, le retrait de l’avantage indûment obtenu, notamment par l’obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus (arrêt FranceAgriMer, EU:C:2012:807, point 46 et jurisprudence citée).

36

À l’égard de l’obligation de restituer un avantage indûment perçu au moyen d’une pratique irrégulière, la Cour a déjà précisé que cette obligation ne constitue pas une sanction, mais est la simple conséquence de la constatation que les conditions requises pour l’obtention de l’avantage résultant de la réglementation de l’Union n’ont pas été respectées, rendant indu l’avantage perçu (voir, en ce sens, arrêts Pometon, C‑158/08, EU:C:2009:349, point 28 et jurisprudence citée, ainsi que Cruz & Companhia, EU:C:2014:2230, point 45).

37

Toutefois, la Cour a également précisé que le règlement no 2988/95 se borne à établir des règles générales de contrôles et de sanctions dans un but de protection des intérêts financiers de l’Union. C’est donc sur le fondement d’autres dispositions, à savoir, le cas échéant, sur le fondement de dispositions sectorielles, que doit s’effectuer une récupération de fonds mal employés (voir, en ce sens, arrêt Chambre de commerce et d’industrie de l’Indre, EU:C:2011:867, point 33 et jurisprudence citée).

38

Dès lors, il convient de vérifier si une mesure telle que celle en cause au principal peut être prise sur la base de l’article 53 ter, paragraphe 2, initio et sous c), du règlement no 1605/2002.

39

À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 53 ter du règlement no 1605/2002 a été inséré dans le droit de l’Union par le règlement no 1995/2006. Bien qu’il ait été abrogé entre temps, il trouvait à s’appliquer à la date des faits au principal.

40

Ayant été adopté sur le fondement de l’article 279 CE, devenu article 322 TFUE, lequel permettait l’adoption de règles financières fixant notamment les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du budget général de l’Union, le règlement no 1605/2002 prévoit à son article 53, sous a) à c), que la Commission exécute le budget général soit de manière centralisée, soit en gestion partagée ou décentralisée, soit en gestion conjointe avec des organisations internationales.

41

Ainsi qu’il résulte de l’intitulé du chapitre 2 du titre IV du règlement no 1605/2002, l’article 53 ter de ce dernier consacre un mode d’exécution du budget général de l’Union dans le domaine de la gestion partagée. Selon le paragraphe 1 de la même disposition, lorsque la Commission coopère avec les États membres afin d’exécuter le budget en gestion partagée au sens de l’article 53, paragraphe 1, sous b), du même règlement, les tâches d’exécution du budget sont déléguées aux États membres.

42

Quant à lui, l’article 53 ter, paragraphe 2, initio et sous c), du règlement no 1605/2002 énonce que les États membres doivent prendre toutes les mesures législatives, réglementaires, administratives ou autres nécessaires pour protéger les intérêts financiers de l’Union, notamment en récupérant les fonds indûment versés ou mal employés ou les fonds perdus par suite d’irrégularités ou d’erreurs.

43

Il convient de relever que les termes de cette disposition sont rédigés d’une manière analogue au libellé de l’article 23, paragraphe 1, troisième tiret, du règlement no 4253/88, lequel, à la différence du règlement no 1605/2002, constitue un règlement sectoriel.

44

La Cour a déjà constaté, à l’égard de l’article 23, paragraphe 1, troisième tiret, du règlement no 4253/88, qu’il crée une obligation pour les États membres, sans qu’une habilitation prévue par le droit national soit nécessaire, de récupérer les fonds perdus à la suite d’un abus ou d’une négligence. Tout exercice, par l’État membre en cause, d’un pouvoir d’appréciation sur l’opportunité d’exiger ou non la restitution de fonds communautaires indûment ou irrégulièrement octroyés serait incompatible avec ladite obligation de récupération (voir arrêt Chambre de commerce et d’industrie de l’Indre, EU:C:2011:867, points 34 et 35 ainsi que jurisprudence citée).

45

Les termes non équivoques et inconditionnels de l’article 53 ter, paragraphe 2, initio et sous c), du règlement no 1605/2002 ne sauraient, eux non plus, être interprétés en ce sens qu’ils laissent aux États membres une marge d’appréciation sur l’opportunité de procéder ou non à des corrections financières en rapport avec les irrégularités constatées.

46

Ainsi, ayant choisi, postérieurement à l’entrée en vigueur de l’article 4 du règlement no 2988/95 et de l’article 23 du règlement no 4253/88, d’adopter l’article 53 ter du règlement no 1605/2002, le législateur de l’Union a entendu créer, dans la réglementation générale, une obligation, pour les États membres, de procéder, lorsqu’ils exécutent le budget en gestion partagée, à des corrections financières, notamment de récupérer les fonds perdus à la suite d’un abus ou d’une négligence, non seulement sans qu’une habilitation prévue par le droit national soit nécessaire, mais aussi sans qu’une réglementation sectorielle soit indispensable.

47

Cette interprétation est confortée par le fait que, selon sa phrase introductive, cet article 53 ter, paragraphe 2, trouve à s’appliquer «[s]ans préjudice des dispositions complémentaires incluses dans la réglementation sectorielle pertinente». Les termes «sans préjudice de» indiquent précisément que ledit article 53 ter est à lui seul suffisant. De même, l’adjectif «complémentaires», qui concerne la réglementation sectorielle, indique que, si celle-ci existe, elle ne se substitue pas à l’article 53 ter du règlement no 1605/2002, mais se limite à le compléter.

48

Une autre lecture de cet article aurait pour effet de priver le règlement no 1605/2002 de son effet utile et nuirait à la protection des intérêts financiers de l’Union.

49

Il s’ensuit que la phrase introductive de l’article 53 ter, paragraphe 2, dudit règlement constitue un fondement juridique pour la modification d’une subvention au détriment du bénéficiaire, lorsque cette modification vise à la protection des intérêts financiers de l’Union. De même, le point c) de ladite disposition constitue une base juridique pour l’adoption de mesures relatives à la récupération des fonds indûment versés ou mal employés à la suite d’irrégularités ou d’erreurs.

50

Par ailleurs, la Cour a déjà précisé que le retrait des montants indûment versés ne peut être effectué que conformément aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime (voir, en ce sens, arrêt Vereniging Nationaal Overlegorgaan Sociale Werkvoorziening e.a., EU:C:2008:165, point 53).

51

Ainsi, le principe de sécurité juridique exige qu’une réglementation de l’Union permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose (voir arrêt ROM-projecten, C‑158/06, EU:C:2007:370, point 25 et jurisprudence citée).

52

Pour ce qui est du principe de la protection de la confiance légitime, la Cour a déjà jugé que le bénéficiaire d’une subvention ne peut pas se prévaloir d’une telle protection dans le cas où il n’a pas exécuté l’une des conditions auxquelles l’octroi de la subvention était subordonné (voir, en ce sens, arrêt Vereniging Nationaal Overlegorgaan Sociale Werkvoorziening e.a., EU:C:2008:165, point 56 ainsi que jurisprudence citée).

53

Dans l’affaire au principal, il ressort des éléments fournis à la Cour que la décision d’octroi du 27 avril 2006 était subordonnée au respect, par la Somvao, des règles de la décision 2006/399 et, notamment, de l’obligation de saisir les données et de tenir une documentation du projet compréhensible et contrôlable.

54

Sur la base de ces éléments, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, compte tenu du comportement tant du bénéficiaire des fonds que de l’administration nationale, les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, tels qu’entendus en droit de l’Union, ont été respectés à l’égard des demandes de remboursement.

55

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 53 ter, paragraphe 2, initio et sous c), du règlement no 1605/2002 doit être interprété en ce sens que, à défaut de base légale de droit interne, cette disposition fournit un fondement juridique à une décision des autorités nationales modifiant, au détriment du bénéficiaire, le montant d’une subvention accordée au titre du Fonds européen pour les réfugiés, dans le cadre de la gestion partagée entre la Commission et les États membres, et ordonnant la récupération auprès de celui-ci d’une partie de ce montant. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, compte tenu du comportement tant du bénéficiaire de la subvention que de l’administration nationale, les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, tels qu’entendus en droit de l’Union, ont été respectés à l’égard de la demande de remboursement.

Sur la seconde question

56

Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

57

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

 

L’article 53 ter, paragraphe 2, initio et sous c), du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes, tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) no 1995/2006 du Conseil, du 13 décembre 2006, doit être interprété en ce sens que, à défaut de base légale de droit interne, cette disposition fournit un fondement juridique à une décision des autorités nationales modifiant, au détriment du bénéficiaire, le montant d’une subvention accordée au titre du Fonds européen pour les réfugiés, dans le cadre de la gestion partagée entre la Commission européenne et les États membres, et ordonnant la récupération auprès de celui-ci d’une partie de ce montant. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, compte tenu du comportement tant du bénéficiaire de la subvention que de l’administration nationale, les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, tels qu’entendus en droit de l’Union, ont été respectés à l’égard de la demande de remboursement.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le néerlandais.