ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

4 septembre 2014 (*)

«Renvoi préjudiciel – Société commerciale ayant accumulé des dettes fiscales – Dirigeant de cette société ne pouvant être recruté pour exercer une fonction de dirigeant dans une autre société – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Absence d’applicabilité des dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est demandée – Incompétence manifeste de la Cour – Questions de nature hypothétique – Irrecevabilité manifeste»

Dans l’affaire C‑204/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tatabányai közigazgatási és munkaügyi bíróság (Hongrie), par décision du 14 avril 2014, parvenue à la Cour le 23 avril 2014, dans la procédure

István Tivadar Szabó

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Közép-dunántúli Regionális Adó Főigazgatósága,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. E. Juhász, président de chambre, MM. A. Rosas et C. Vajda (rapporteur), juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 26, paragraphe 2, TFUE, 35 TFUE et 56 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Szabó à la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Közép-dunántúli Regionális Adó Főigazgatósága (administration nationale des impôts et des douanes – direction principale régionale de la fiscalité de Hongrie centrale), au sujet d’une décision refusant d’accorder à l’intéressé une exemption de l’application de la réglementation nationale prévoyant qu’une société de droit hongrois ne peut engager, en tant que dirigeant, une personne ayant assuré cette fonction au sein d’une autre société de droit hongrois, pour laquelle l’administration fiscale nationale a enregistré un arriéré d’impôt, sous peine de radiation du numéro d’immatriculation fiscale de la première de ces sociétés.

 Le cadre juridique

3        L’article 24/C de la loi XCII de 2003 relative au régime de l’imposition (az adózás rendjéről szóló 2003. évi XCII. törvény, Magyar Közlöny 2003/131, ci-après la «loi relative au régime de l’imposition») prévoit:

«1)      L’administration fiscale nationale, préalablement à l’attribution du numéro d’immatriculation fiscale des contribuables visés à l’article 17, paragraphe 1, sous b), examine, à la suite de la déclaration faite conformément à l’article 17, paragraphe 1, sous b), en rassemblant les données communiquées conformément à l’article 16, paragraphe 3, et celles figurant dans les registres de l’administration fiscale nationale, s’il existe un empêchement, tel que défini au paragraphe 2, à l’attribution d’un numéro d’immatriculation fiscale.

2)      L’administration fiscale nationale refuse l’attribution d’un numéro d’immatriculation fiscale si le dirigeant du contribuable, un membre habilité à représenter le contribuable ou, dans le cas d’une société à responsabilité limitée ou d’une société en participation à responsabilité limitée, un membre ou un actionnaire du contribuable disposant de plus de 50 % des droits de vote ou d’une influence ayant le caractère d’une majorité qualifiée (de façon générale aux fins de la présente section, un membre):

a)      est ou a été dirigeant ou membre d’un autre contribuable visé à l’article 17, paragraphe 1, sous b), qui

aa)      au jour de l’introduction de la demande d’attribution du numéro d’immatriculation fiscale, a un arriéré d’impôt, enregistré auprès de l’administration nationale des impôts et des douanes, dépassant les 180 jours et s’élevant, après déduction du trop-perçu, à plus de 15 millions de forints [hongrois (HUF)], ou à plus de 30 millions de [HUF] pour les contribuables disposant de la plus grande capacité fiscale [...]

[...]

4)      Si l’administration fiscale nationale refuse l’attribution d’un numéro d’immatriculation fiscale conformément au paragraphe 2, le dirigeant ou le membre dont l’administration fiscale nationale a tenu compte pour refuser l’attribution d’un numéro d’immatriculation fiscale au contribuable peut introduire une demande d’exemption dans les huit jours à compter de la notification au contribuable de la décision de refus d’attribution d’un numéro d’identification fiscale. Le délai est impératif. En cas de dépassement de ce délai, la demande de certificat ne sera pas introduite valablement.

5)      L’administration fiscale nationale retire la décision ayant pour objet le refus d’attribution d’un numéro d’immatriculation fiscale et attribue un numéro d’immatriculation fiscale [pour les motifs énoncés ci-après].

[...]»

4        Aux termes de l’article 24/D de cette loi:

«1)      L’administration fiscale nationale examine, dans les trente jours suivant le moment où a été porté à sa connaissance un changement dans la personne du dirigeant du contribuable, d’un membre habilité à représenter le contribuable ou, dans le cas d’une société à responsabilité limitée ou d’une société en participation à responsabilité limitée, d’un membre ou d’un actionnaire du contribuable disposant de plus de 50 % des droits de vote ou d’une influence ayant le caractère d’une majorité qualifiée (de façon générale aux fins de la présente section, un membre), si ce changement est de nature à faire naître un empêchement défini à l’article 24/C, paragraphe 2.

2)      L’administration fiscale, en cas de constatation d’un empêchement, invite le contribuable à y mettre fin dans les trente jours à compter de la notification de la demande de régularisation. Dans ce cas, si le contribuable ne donne pas suite à cette demande et ne met pas fin à l’empêchement, l’administration fiscale entame la procédure prévue à l’article 24/B et communique immédiatement au contribuable, sans procéder à une communication par voie de publicité, la décision de radiation du numéro d’immatriculation fiscale.

3)      Le dirigeant ou le membre dont l’administration fiscale nationale a tenu compte pour adresser au contribuable une demande de régularisation conformément au paragraphe 2, peut introduire une demande d’exemption, conformément à l’article 24/C dans un délai strict de huit jours à compter de la réception par le contribuable de la demande de régularisation. Dans le cadre de l’examen de la demande, les dispositions de l’article 24/C doivent être appliquées mutatis mutandis, l’administration fiscale nationale ne procédant pas à la radiation du numéro d’immatriculation fiscale visée au paragraphe 2 si elle fait droit à la demande du contribuable.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

5        M. Szabó ayant été désigné en tant que dirigeant de Hilltop Neszmély Zrt (ci-après «Hilltop»), cette société de droit hongrois a demandé la modification du registre du commerce afin de tenir compte de cette désignation.

6        Au cours de vérifications, l’administration fiscale de premier degré a constaté un empêchement, au sens de l’article 24/C, paragraphe 2, de la loi relative au régime de l’imposition, dans la mesure où M. Szabó avait précédemment exercé la fonction de dirigeant de Cerbona Zrt, une société qui avait accumulé un passif fiscal d’un montant supérieur à 15 millions de HUF, resté impayé pendant plus de 180 jours. Ladite administration a donc invité Hilltop à mettre fin à cet empêchement dans les 30 jours.

7        M. Szabó a déposé une demande d’exemption devant l’administration fiscale de premier degré, en faisant valoir que l’accumulation, par Cerbona Zrt, d’une dette fiscale était indépendante de son activité au sein de cette société et ne pouvait lui être imputée.

8        Cette demande a été rejetée au motif que M. Szabó n’avait pu faire valoir l’un des motifs d’exemption visés à l’article 24/C, paragraphe 5, de la loi relative au régime de l’imposition.

9        La Nemzeti Adó- és Vámhivatal Közép-dunántúli Regionális Adó Főigazgatósága n’a pas accueilli la réclamation de M. Szabó dirigée contre ce rejet. Par conséquent, Hilltop a retiré sa décision désignant l’intéressé en tant que dirigeant, afin d’éviter que son numéro d’immatriculation fiscale soit radié en application de l’article 24/D, paragraphe 2, de la loi relative au régime de l’imposition.

10      Saisi d’un recours contre la décision de la défenderesse au principal, le Tatabányai közigazgatási és munkaügyi bíróság (tribunal des affaires administratives et du travail de Tatabánya) relève que Hilltop, dont le siège est situé en Hongrie, exerce également ses activités dans d’autres États membres de l’Union européenne. Il s’interroge sur le point de savoir si les articles 24/C et 24/D de la loi relative au régime de l’imposition, en ce qu’ils empêchent que Hilltop puisse engager M. Szabó en tant que dirigeant, restreint l’exercice de l’activité de cette société sur le marché intérieur. Si, selon la juridiction de renvoi, l’objectif de ces dispositions, consistant à empêcher les personnes qui, par leur comportement, ont contribué à ce qu’une société, en tant que contribuable, accumule une dette fiscale importante de prendre part à la constitution ou au fonctionnement d’une autre société, est susceptible de justifier cette restriction, ladite juridiction nourrit des doutes quant au caractère proportionné de celle-ci.

11      En outre, la juridiction de renvoi se demande si, dans le cadre de l’appréciation de la légalité d’une décision administrative, elle est tenue d’examiner, le cas échéant, d’office la conformité au droit de l’Union de la législation sur laquelle cette décision est fondée ou si un tel examen n’est possible que si une partie à la procédure invoque expressément le droit de l’Union pertinent.

12      Dans ces conditions, le Tatabányai közigazgatási és munkaügyi bíróság a décidé de sursoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le juge national, dans un litige en matière administrative, ayant pour objet le contrôle juridictionnel d’une décision prise par l’autorité administrative nationale sur la base d’un recours de la personne privée intéressée, est-il tenu d’examiner la question de savoir si les règles de l’État membre indiquées à titre de fondement de la décision administrative sont contraires à une disposition du droit de l’Union ayant un effet direct et étant par ailleurs pertinente dans l’affaire en cause?

2)      S’il convient de donner une réponse positive à la première question, cette obligation pèse-t-elle d’office sur le juge national ou seulement si l’une des parties invoque expressément la violation du droit de l’Union?

3)      Faut-il interpréter les articles 26, paragraphe 2, [TFUE] 35 [TFUE] et 56 TFUE en ce sens qu’est incompatible avec ces dispositions une réglementation nationale telle que celle figurant aux articles 24/C et 24/D de [la loi relative au régime de l’imposition], sur la base de laquelle une société de droit hongrois qui exerce une activité commerciale dans d’autres États membres de l’Union européenne ne peut employer comme dirigeant de la société un ressortissant hongrois pour la seule raison qu’il a exercé auparavant la même fonction de direction dans une autre entreprise hongroise exerçant son activité sur le marché domestique et que cette autre société a accumulé un passif fiscal, alors que l’accumulation de ce passif fiscal n’était pas imputable au citoyen hongrois concerné en tant qu’ancien dirigeant de ladite société?»

 Sur la compétence de la Cour et la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

13      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, de son règlement de procédure, lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire ou lorsqu’une demande ou une requête est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

14      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

 Sur la troisième question

15      Par sa troisième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 26, paragraphe 2, TFUE, 35 TFUE et 56 TFUE s’opposent à une législation nationale en vertu de laquelle une société de droit national exerçant une activité commerciale dans d’autres États membres ne peut engager, en tant que dirigeant de cette société, un ressortissant hongrois qui a exercé la même fonction au sein d’une autre société de droit national pour laquelle l’administration fiscale nationale a enregistré un arriéré d’impôt.

16      Il convient de rappeler que, si, compte tenu de la répartition des compétences dans le cadre de la procédure préjudicielle, il incombe à la seule juridiction nationale de définir l’objet des questions qu’elle entend poser à la Cour, il appartient à cette dernière, dans des circonstances exceptionnelles, d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (voir arrêt Susisalo e.a., C‑84/11, EU:C:2012:374, point 16 et jurisprudence citée).

17      À cet égard, la Cour n’est pas compétente pour répondre à une question posée à titre préjudiciel lorsqu’il est manifeste que la disposition du droit de l’Union soumise à l’interprétation de la Cour ne peut trouver à s’appliquer (voir arrêt Caixa d’Estalvis i Pensions de Barcelona, C‑139/12, EU:C:2014:174, point 41 et jurisprudence citée).

18      S’agissant, en premier lieu, de l’article 26, paragraphe 2, TFUE, en vertu duquel le marché intérieur de l’Union comporte un espace sans frontières dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions des traités, force est de relever que cette disposition n’est pas dotée d’un effet direct et, partant, n’est manifestement pas applicable au litige au principal.

19      En ce qui concerne, en second lieu, les articles 35 TFUE et 56 TFUE, il est de jurisprudence constante que les dispositions du traité FUE relatives, notamment, à la libre circulation des marchandises et à la libre prestation des services ne sont pas applicables à des activités dont l’ensemble des éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (voir, en ce sens, arrêt Esso Española, C‑134/94, EU:C:1995:414, point 13, et, en ce qui concerne plus particulièrement la libre prestation des services, arrêt Omalet, C‑245/09, EU:C:2010:808, point 12).

20      Or, en l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que tous les éléments pertinents du litige au principal sont cantonnés à l’intérieur d’un seul État membre. En effet, M. Szabó est un ressortissant hongrois et tant Hilltop que Cerbona Zrt sont des sociétés de droit hongrois. En outre, tous les faits invoqués se sont déroulés sur le territoire hongrois.

21      Le fait que Hilltop exerce également ses activités dans d’autres États membres de l’Union ne constitue pas, à lui seul, un élément de rattachement à des situations envisagées par les articles 35 TFUE et 56 TFUE.

22      En effet, la juridiction de renvoi n’explique aucunement en quoi l’impossibilité d’engager M. Szabó en tant que dirigeant est susceptible de constituer, pour Hilltop, une restriction quantitative à l’exportation ou une mesure d’effet équivalent, d’une part, ou une restriction à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union, d’autre part.

23      Il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 94, sous c), du règlement de procédure, la demande de décision préjudicielle doit contenir l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. Cet exposé, de même que l’exposé sommaire des faits pertinents requis à l’article 94, sous a), dudit règlement de procédure, doit permettre à la Cour de vérifier, outre la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, sa compétence pour répondre à la question posée (voir arrêt Siragusa, C‑206/13, EU:C:2014:126, point 19).

24      À défaut, pour la juridiction de renvoi, d’avoir fourni toute explication satisfaisant aux exigences résultant des points 22 et 23 de la présente ordonnance, il y a lieu de considérer que les articles 35 TFUE et 56 TFUE ne sont manifestement pas applicables au litige au principal.

25      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la Cour n’est manifestement pas compétente pour répondre à la troisième question posée par la juridiction de renvoi.

 Sur les première et deuxième questions

26      En ce qui concerne les première et deuxième questions, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales découlant de la procédure instaurée à l’article 267 TFUE, les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêt Unió de Pagesos de Catalunya, C‑197/10, EU:C:2011:590, point 17 et jurisprudence citée).

27      Force est de constater que, dès lors que les dispositions du droit de l’Union invoquées par la juridiction de renvoi dans sa troisième question ne sont pas applicables au litige au principal, les première et deuxième questions revêtent un caractère hypothétique.

28      Dès lors, il y a lieu de considérer que les première et deuxième questions sont manifestement irrecevables.

 Sur les dépens

29      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) ordonne:

1)      La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre à la troisième question posée par le Tatabányai közigazgatási és munkaügyi bíróság (Hongrie).

2)      Les autres questions posées par ladite juridiction sont manifestement irrecevables.

Signatures


* Langue de procédure: le hongrois.