ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

19 septembre 2013 ( *1 )

«Politique sociale — Directive 92/85/CEE — Protection de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail — Article 8 — Congé de maternité — Directive 76/207/CEE — Égalité de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins — Article 2, paragraphes 1 et 3 — Droit à un congé en faveur des mères salariées à la suite de la naissance d’un enfant — Utilisation possible par la mère salariée ou par le père salarié — Mère non salariée et non affiliée à un régime public de sécurité sociale — Exclusion du droit à congé pour le père salarié — Père biologique et père adoptif — Principe d’égalité de traitement»

Dans l’affaire C‑5/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de lo Social no 1 de Lleida (Espagne), par décision du 21 décembre 2011, parvenue à la Cour le 3 janvier 2012, dans la procédure

Marc Betriu Montull

contre

Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS),

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Malenovský, U. Lõhmus, M. Safjan (rapporteur) et Mme A. Prechal, juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 février 2013,

considérant les observations présentées:

pour l’Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS), par MM. P. García Perea et A. R. Trillo García, en qualité d’agents,

pour le gouvernement espagnol, par M. A. Rubio González, en qualité d’agent,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna ainsi que par Mmes J. Faldyga et A. Siwek, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. M. van Beek ainsi que par Mmes C. Gheorghiu et S. Pardo Quintillán, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 avril 2013,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40), de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES (JO L 145, p. 4), telle que modifiée par la directive 97/75/CE du Conseil, du 15 décembre 1997 (JO 1998, L 10, p. 24, ci-après la «directive 96/34»), ainsi que du principe d’égalité de traitement consacré par le droit de l’Union.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Betriu Montull à l’Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) (Institut national de la sécurité sociale) au sujet du refus de lui attribuer une allocation de maternité en raison de l’absence d’affiliation de la mère de son enfant à un régime public de sécurité sociale.

Le cadre juridique

Le droit international

3

Aux termes de l’article 10, paragraphe 2, du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté par l’assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966, et entré en vigueur le 3 janvier 1976:

«Une protection spéciale doit être accordée aux mères pendant une période de temps raisonnable avant et après la naissance des enfants. Les mères salariées doivent bénéficier, pendant cette même période, d’un congé payé ou d’un congé accompagné de prestations de sécurité sociale adéquates.»

Le droit de l’Union

La directive 76/207

4

La directive 76/207, telle que modifiée par la directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002 (JO L 269, p. 15), a été abrogée, avec effet au 15 août 2009, par la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (JO L 204, p. 23). Toutefois, compte tenu de la date des faits du litige au principal, celui-ci demeure régi par la directive 76/207 dans sa version initiale.

5

L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 76/207 énonçait:

«La présente directive vise la mise en œuvre, dans les États membres, du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, y compris la promotion, et à la formation professionnelle ainsi que les conditions de travail et, dans les conditions prévues au paragraphe 2, la sécurité sociale. Ce principe est dénommé ci-après ‘principe de l’égalité de traitement’.»

6

L’article 2, paragraphes 1 et 3, de cette directive était libellé comme suit:

«1.   Le principe de l’égalité de traitement au sens des dispositions ci-après implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial.

[...]

3.   La présente directive ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité.»

7

L’article 5 de ladite directive prévoyait:

«1.   L’application du principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, implique que soient assurées aux hommes et aux femmes les mêmes conditions, sans discrimination fondée sur le sexe.

2.   À cet effet, les États membres prennent les mesures nécessaires afin que:

a)

soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement;

b)

soient nulles, puissent être déclarées nulles ou puissent être amendées les dispositions contraires au principe de l’égalité de traitement qui figurent dans les conventions collectives ou dans les contrats individuels de travail, dans les règlements intérieurs des entreprises, ainsi que dans les statuts des professions indépendantes;

c)

soient révisées celles des dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement lorsque le souci de protection qui les a inspirées à l’origine n’est plus fondé; que, pour les dispositions conventionnelles de même nature, les partenaires sociaux soient invités à procéder aux révisions souhaitables.»

La directive 92/85/CEE

8

L’article 8 de la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16 paragraphe 1 de la directive 89/391/CEE) (JO L 348, p. 1), relatif au congé de maternité, prévoit:

«1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les travailleuses au sens de l’article 2 bénéficient d’un congé de maternité d’au moins quatorze semaines continues, réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.

2.   Le congé de maternité visé au paragraphe 1 doit inclure un congé de maternité obligatoire d’au moins deux semaines, réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.»

La directive 96/34

9

La directive 96/34, abrogée par la directive 2010/18/UE du Conseil, du 8 mars 2010, portant application de l’accord-cadre révisé sur le congé parental conclu par BUSINESSEUROPE, l’UEAPME, le CEEP et la CES et abrogeant la directive 96/34/CE (JO L 68, p. 13), visait à mettre en œuvre l’accord-cadre sur le congé parental, conclu par les organisations interprofessionnelles à vocation générale, à savoir l’Union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe (UNICE), le Centre européen des entreprises à participation publique (CEEP) et la Confédération européenne des syndicats (CES).

10

L’accord-cadre sur le congé parental, conclu le 14 décembre 1995 et qui figure à l’annexe de la directive 96/34 (ci-après l’«accord-cadre sur le congé parental»), énonçait des prescriptions minimales visant à faciliter la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales des parents qui travaillent.

11

Le point 9 des considérations générales de l’accord-cadre sur le congé parental était libellé comme suit:

«considérant que le présent accord est un accord-cadre énonçant des prescriptions minimales et des dispositions sur le congé parental, distinct du congé de maternité [...]»

12

La clause 2, point 1, dudit accord-cadre établissait ce qui suit:

«En vertu du présent accord, sous réserve de la clause 2.2, un droit individuel à un congé parental est accordé aux travailleurs, hommes et femmes, en raison de la naissance ou de l’adoption d’un enfant, pour pouvoir s’occuper de cet enfant pendant au moins trois mois jusqu’à un âge déterminé pouvant aller jusqu’à huit ans, à définir par les États membres et/ou les partenaires sociaux.»

Le droit espagnol

13

Le statut des travailleurs, dans sa version résultant du décret législatif royal 1/1995 portant approbation du texte refondu de la loi portant statut des travailleurs (Real Decreto Legislativo 1/1995 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores), du 24 mars 1995 (BOE no 75, du 29 mars 1995, p. 9654), a été modifié par la loi 39/1999, visant à promouvoir la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle des travailleurs (Ley 39/1999 para promover la conciliacion de la vida familiar y laboral de las personas trabajadoras), du 5 novembre 1999 (BOE no 266, du 6 novembre 1999, p. 38934, ci-après le «statut des travailleurs»).

14

Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, ce statut s’applique aux travailleurs qui prestent volontairement leurs services contre rémunération pour le compte d’autrui dans le cadre de l’organisation et sous la direction d’une autre personne physique ou morale appelée l’«employeur ou entrepreneur».

15

L’article 1er, paragraphe 3, dudit statut précise que tout travail effectué dans le cadre d’une relation distincte de celle définie à l’article 1er, paragraphe 1, est exclu du cadre régi par ce statut.

16

L’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs prévoit:

«En cas d’accouchement, le contrat est suspendu pour une durée ininterrompue de seize semaines, qui peut être prolongée, en cas de naissance multiple, de deux semaines par enfant à partir du deuxième enfant. La période de suspension sera répartie au choix de l’intéressée à condition que six semaines soient prises immédiatement après l’accouchement. En cas de décès de la mère, l’autre parent pourra utiliser l’ensemble ou, le cas échéant, la partie restante de la période de suspension.

Nonobstant les dispositions précédentes, et sans préjudice des six semaines de repos obligatoire pour la mère prises immédiatement après l’accouchement, au cas où les deux parents travailleraient, la mère pourra, au début de la période de congé de maternité, choisir que l’autre parent jouisse d’une partie déterminée et ininterrompue de la période de repos après l’accouchement, de manière simultanée ou successive à son congé, sauf si, au moment de sa mise en œuvre, le retour au travail de la mère implique un risque pour sa santé.

[...]

Dans les cas d’adoption et d’accueil de mineurs de moins de six ans, que l’accueil précède l’adoption ou qu’il s’agisse d’un accueil définitif, la suspension aura une durée de seize semaines ininterrompues, prolongée en cas d’adoption ou d’accueil multiples à raison de deux semaines par enfant mineur à compter du second. Cette suspension prendra effet, au choix du travailleur, soit à compter de la décision judiciaire constitutive de l’adoption, soit à compter de la décision administrative ou judiciaire d’accueil, provisoire ou définitive. Le contrat sera suspendu également, pour seize semaines dans les hypothèses d’adoption ou d’accueil de mineurs de plus six ans lorsqu’il s’agit de mineurs handicapés ou de mineurs qui, en raison de leurs circonstances et expériences personnelles ou qui, parce qu’ils viennent de l’étranger, ont des difficultés particulières d’insertion sociale et familiale dûment établies par les services sociaux compétents. Dans le cas où les deux parents travaillent, la période de suspension sera répartie au choix des intéressés, qui pourront en jouir de manière simultanée ou successive, mais toujours pour des périodes ininterrompues et dans les limites établies.

En cas de jouissance simultanée des périodes de repos, la somme des deux périodes ne pourra pas dépasser les seize semaines visées aux paragraphes précédents ou celles correspondant aux cas d’accouchement, d’adoption ou d’accueil multiples.

Les périodes visées au présent paragraphe pourront être utilisées en régime de journée complète ou à temps partiel, après accord entre le chef d’entreprise et les travailleurs affectés, conformément à la réglementation.

[...]»

17

L’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs a été modifié postérieurement à la date des faits du litige au principal par la loi organique 3/2007 pour l’égalité effective entre femmes et hommes (Ley orgánica 3/2007 para la igualdad efectiva de mujeres y hombres), du 22 mars 2007 (BOE no 71, du 23 mars 2007, p. 12611). Cette disposition a notamment été modifiée comme suit:

«[...]

Nonobstant les dispositions précédentes, et sans préjudice des six semaines de repos obligatoire pour la mère prises immédiatement après l’accouchement, dans le cas où les deux parents travailleraient, la mère pourra, au début de la période de congé de maternité, choisir que l’autre parent jouisse d’une partie déterminée ou ininterrompue de la période de repos après l’accouchement de manière simultanée ou successive par rapport à celle de la mère.

L’autre parent pourra continuer à faire usage de la période de congé pour cause de maternité concédée initialement, même si, au moment prévu pour la réintégration de la mère au travail, cette dernière se trouve en situation d’incapacité temporaire.

Dans le cas où la mère n’aurait pas le droit de suspendre son activité professionnelle assorti d’un droit à percevoir certaines prestations en vertu des normes régissant cette activité, l’autre parent aura le droit de suspendre son contrat de travail pendant la période qui aurait dû être celle de la mère, ce qui est compatible avec l’exercice du droit reconnu à l’article suivant.

[...]»

18

La loi générale sur la sécurité sociale (Ley General de la Seguridad Social) a été adoptée par le décret législatif royal 1/1994, du 20 juin 1994 (BOE no 154, du 29 juin 1994, p. 20658) et modifiée par la loi 39/1999 (ci-après la «loi générale sur la sécurité sociale»). L’article 133 bis de cette loi est libellé comme suit:

«Aux fins de l’allocation de maternité, seront considérés comme des situations protégées la maternité, l’adoption et l’accueil, tant préalable à l’adoption que permanent, pour les périodes de repos accordées pour ces situations, conformément aux dispositions de l’article 48, paragraphe 4, du texte refondu du statut des travailleurs, adopté par le décret législatif royal 1/1995 du 24 mars 1995, et aux dispositions de l’article 30, paragraphe 3, de la loi sur les mesures adoptées pour la réforme de la fonction publique [ley de Medidas para la Reforma de la Función Pública].»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

19

Il ressort de la décision de renvoi et des observations soumises à la Cour que M. Betriu Montull est un travailleur salarié, affilié au régime général de la sécurité sociale, lequel fait partie du système public de sécurité sociale espagnol. Mme Macarena Ollé est Procuradora de los Tribunales (avouée). La profession de Procurador de los Tribunales, exercée à titre indépendant, consiste à représenter les clients dans une procédure judiciaire dans les cas où la loi l’ordonne.

20

À la date des faits du litige au principal, un Procurador de los Tribunales pouvait notamment choisir d’être affilié au régime spécial des travailleurs autonomes (Régimen Especial de Trabajadores Autónomos), qui relève du système public de sécurité sociale, ou à la mutuelle générale des avoués (Mutualidad General de los Procuradores), régime de prévoyance professionnelle étranger au système public de sécurité sociale. Le régime spécial des travailleurs autonomes prévoyait un congé de maternité, ce qui n’était pas le cas de la mutuelle générale des avoués, laquelle n’instaurait qu’une indemnité. Mme Ollé avait opté pour une affiliation à cette mutuelle.

21

À la suite de la naissance du fils de Mme Ollé et de M. Betriu Montull à Lleida le 20 avril 2004, M. Betriu Montull a demandé à percevoir l’allocation de maternité prévue à l’article 133 bis de la loi générale sur la sécurité sociale, qui vise à compenser la perte des revenus salariaux pour le parent du fait de la suspension de son contrat de travail dans le cadre du congé de maternité d’une durée de seize semaines. La demande de M. Betriu Montull portait sur la période de dix semaines suivant les six semaines de repos obligatoire que la mère doit prendre immédiatement après l’accouchement, visée à l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs.

22

Par décisions des 28 juillet et 8 août 2004, l’INSS a refusé à M. Betriu Montull l’attribution de cette allocation de maternité, au motif que, aux termes de l’article 133 bis de la loi générale sur la sécurité sociale, lu en combinaison avec l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs, le droit au congé est un droit de la mère lorsqu’elle est affiliée à un régime public de sécurité sociale, et que, dans le cas d’une maternité biologique, le père dispose non pas d’un droit propre, autonome et indépendant de celui de la mère, mais uniquement d’un droit nécessairement dérivé de celui de la mère. En l’occurrence, Mme Ollé n’étant affilée à aucun régime public de sécurité sociale, elle ne serait pas titulaire du droit originaire au congé de maternité, avec la conséquence que M. Betriu Montull ne peut bénéficier d’un congé et, partant, de l’allocation de maternité qui l’accompagne.

23

M. Betriu Montull a introduit un recours contre ces décisions de l’INSS devant le Juzgado de lo Social no 1 de Lleida en demandant la reconnaissance de son droit à l’allocation de maternité. Il a notamment invoqué une violation du principe d’égalité de traitement dans la mesure où, en cas d’adoption ou d’accueil de mineurs de moins de six ans, l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs prévoirait que le droit au congé de maternité est un droit originaire des deux parents.

24

Par ordonnance du 20 avril 2005, le Juzgado de lo Social no 1 de Lleida a saisi le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle) de la question de la conformité avec la Constitution espagnole de l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs.

25

Par arrêt du 19 mai 2011, le Tribunal Constitucional a jugé que l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs ne violait pas l’article 14 de la Constitution espagnole, qui proclame le principe de l’égalité devant la loi, ni l’article 39 de celle-ci, qui consacre la protection de la famille et des enfants, ni, enfin, l’article 41 de cette dernière, relatif à la sécurité sociale.

26

Toutefois, le Juzgado de lo Social no 1 de Lleida exprime un doute quant à la conformité avec le droit de l’Union de l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs.

27

À cet égard, la juridiction de renvoi relève que cette disposition prévoit une période de repos obligatoire de six semaines pour la mère après l’accouchement, période pendant laquelle le père ne peut jouir du congé de maternité, et que cette différence de traitement entre le père et la mère, qui ne fait pas l’objet d’une discussion entre les parties dans le cadre de l’affaire au principal, est justifiée par la protection de la mère en raison de l’accouchement.

28

En revanche, s’agissant de la période de dix semaines postérieure à ces six semaines de repos obligatoire pour la mère, alors que la situation du père et celle de la mère, travailleurs salariés, seraient comparables, ils feraient l’objet d’un traitement différent en ce que le droit du père est conçu comme étant dérivé de celui de la mère. À cet égard, selon la juridiction de renvoi, cette période de dix semaines doit être comprise comme un congé parental et une mesure de conciliation de la vie familiale et professionnelle, étant donné que le fait biologique de la grossesse et de l’accouchement, qui concerne exclusivement la femme, est couvert par la période de repos obligatoire de la mère. De ce fait, le congé en cause dans le cadre du litige au principal devrait pouvoir être pris indistinctement par la mère ou le père, dans le cas où ceux-ci sont tous les deux des travailleurs salariés et en raison de leur qualité de parents de l’enfant.

29

Par ailleurs, l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs traiterait de manière différente le père biologique et le père adoptif. En effet, dans l’hypothèse d’une adoption, cette disposition permettrait au père et à la mère de répartir comme ils l’entendent la période de congé postérieure à l’accouchement, un tel droit au congé n’étant pas un droit originaire de la mère. Ainsi, en cas d’adoption, le père salarié affilié à un régime public de sécurité sociale pourrait profiter du congé de maternité dans son intégralité et percevoir l’allocation correspondante, même si la mère n’est pas une salariée affiliée à un régime public de sécurité sociale, alors que, dans le cas d’un accouchement, le père biologique salarié ne peut bénéficier d’aucun congé lorsque la mère de l’enfant n’est pas affiliée à un régime public de sécurité sociale.

30

C’est dans ces circonstances que le Juzgado de lo Social no 1 de Lleida a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Faut-il considérer qu’est contraire à la directive 76/207[...] et à la directive 96/34[...] une disposition de la loi nationale, en l’occurrence l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs, qui érige le droit au congé pour maternité dans l’hypothèse d’un accouchement, après la période des six semaines consécutives à l’accouchement, et à l’exception des cas où il y a danger pour la santé de la mère, en droit originaire et autonome pour les mères salariées, et en droit dérivé pour les pères salariés, lesquels ne peuvent profiter de ce congé que si la mère est également salariée et choisit de céder au père une partie déterminée de ce congé?

2)

Faut-il considérer qu’est contraire au principe d’égalité de traitement qui interdit toute discrimination fondée sur le sexe une disposition nationale, à savoir l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs, qui reconnaît la suspension du contrat de travail avec maintien du poste de travail, prise en charge par la sécurité sociale dans l’hypothèse d’un accouchement, comme étant un droit originaire de la mère et non du père, même après la période des six semaines qui suivent l’accouchement, excepté les cas de danger pour la santé de la mère, de sorte que le congé ne peut être accordé au père travailleur salarié que si la mère de l’enfant a également le statut de travailleur salarié?

3)

Faut-il considérer qu’est contraire au principe d’égalité de traitement qui interdit toute discrimination une disposition nationale, à savoir l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs, qui reconnaît un droit originaire à la suspension du contrat de travail avec maintien du poste de travail et prise en charge par la sécurité sociale aux pères travailleurs salariés lorsqu’ils adoptent un enfant, alors que, lorsqu’ils ont un enfant biologique, elle ne leur reconnaît qu’un droit dérivé de celui de la mère et non un droit de suspension propre, autonome et indépendant?»

Sur la recevabilité de la demande préjudicielle

31

Le gouvernement espagnol soutient que les questions sont hypothétiques et, par conséquent, que la demande de décision préjudicielle doit être rejetée comme étant irrecevable. En effet, il ressortirait de la décision de renvoi que le refus de l’allocation de maternité demandée par M. Betriu Montull a été fondé sur l’article 133 bis de la loi générale sur la sécurité sociale, lequel suppose que le travailleur puisse jouir du congé prévu à l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs dans le cadre de son contrat de travail. Or, la décision de renvoi ne fournirait aucune indication quant au fait de savoir si M. Betriu Montull a bénéficié d’un tel congé ou, tout du moins, s’il en a fait la demande à son employeur. Au contraire, il ressortirait de cette décision que M. Betriu Montull n’a pas obtenu ce congé dans le cadre de son contrat de travail au motif que le droit au congé est un droit originaire de la mère de l’enfant.

32

Par ailleurs, lors de l’audience, l’INSS a fait valoir que les questions préjudicielles sont irrecevables dès lors qu’une réponse apportée neuf années après l’accouchement n’est d’aucune utilité pour la juridiction de renvoi, l’attribution du congé prévu à l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs et de l’allocation de maternité étant devenue impossible.

33

À cet égard, il convient de rappeler d’emblée que, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 18 juillet 2007, Lucchini, C-119/05, Rec. p. I-6199, point 43, et du 30 mai 2013, Arslan, C‑534/11, point 33).

34

Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est, en effet, possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts Lucchini, précité, point 44, et du 11 avril 2013, Della Rocca, C‑290/12, point 29).

35

En l’occurrence, il ressort clairement de la demande de décision préjudicielle que l’interprétation du droit de l’Union est nécessaire à la solution du litige au principal.

36

En effet, l’article 133 bis de la loi générale sur la sécurité sociale énonce que, aux fins de l’allocation de maternité, seront considérés comme des situations protégées la maternité, l’adoption et l’accueil, pour les périodes de repos accordées pour ces situations, conformément aux dispositions de l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs, lequel définit les conditions dans lesquelles le contrat de travail de la mère ou du père peut être suspendu. Par conséquent, ainsi que le relève d’ailleurs le gouvernement espagnol, pour avoir droit à l’allocation de maternité, le travailleur doit jouir du congé prévu à l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs.

37

M. Betriu Montull n’a pu bénéficier de l’allocation de maternité prévue à l’article 133 bis de la loi générale sur la sécurité sociale au motif que, en application de l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs, il ne disposait pas d’un droit propre au congé de maternité et que, Mme Ollé n’étant pas affiliée à un régime public de sécurité sociale, il ne disposait pas d’un droit dérivé à ce congé.

38

Dès lors, il importe d’examiner dans quelle mesure le droit de l’Union, dans une situation telle que celle de l’affaire au principal, pourrait précisément permettre au père de l’enfant de bénéficier de tout ou partie du congé de maternité prévu à l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs, ce qui, en cas de réponse positive, lui conférerait le droit de percevoir l’allocation de maternité afférente.

39

Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme étant recevable.

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

Observations liminaires

40

Dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En effet, la Cour a pour mission d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément dans les questions qui lui sont adressées par ces juridictions (voir, notamment, arrêts du 14 octobre 2010, Fuß, C-243/09, Rec. p. I-9849, point 39, et du 30 mai 2013, Worten, C‑342/12, point 30).

41

En conséquence, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité ses questions à l’interprétation des seules dispositions des directives 76/207 et 96/34, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments dudit droit qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir arrêts précités Fuß, point 40, et Worten, point 31).

42

En l’occurrence, la juridiction de renvoi vise à déterminer si M. Betriu Montull est en droit de percevoir une allocation de maternité pour la naissance de son fils. Or, ainsi qu’il a été indiqué au point 38 du présent arrêt, cette question suppose d’examiner si M. Betriu Montull peut bénéficier du congé prévu à l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs.

43

À cet égard, il convient de relever que cette disposition prévoit, d’une part, la suspension du contrat de travail de la mère pour une durée ininterrompue de seize semaines, cette période de suspension étant répartie au choix de l’intéressée, à la condition que six semaines soient obligatoirement prises immédiatement après l’accouchement. D’autre part, l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs permet à la mère, au cas où les deux parents travailleraient, de choisir que le père bénéficie en tout ou en partie d’un maximum de dix semaines sur les seize semaines correspondant au congé de maternité, sauf si, au moment de sa mise en œuvre, le retour au travail de la mère implique un risque pour sa santé.

44

Dans ces conditions, en vue de répondre utilement à la juridiction de renvoi et ainsi que le fait valoir le gouvernement espagnol, il convient de prendre en compte la directive 92/85, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail, même si la décision de renvoi ne mentionne pas explicitement cette directive.

45

En effet, le congé en cause dans l’affaire au principal doit être pris au moment de la naissance de l’enfant. Or, la directive 92/85 garantit précisément, à son article 8, le droit à un congé de maternité d’au moins quatorze semaines continues, incluant une période obligatoire d’au moins deux semaines réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales. En outre, le fait qu’une législation accorde aux femmes un congé de maternité de plus de quatorze semaines n’empêche pas que ce dernier puisse néanmoins être considéré comme un congé de maternité visé à l’article 8 de la directive 92/85 (voir arrêt du 18 novembre 2004, Sass, C-284/02, Rec. p. I-11143, point 44).

46

Par ailleurs, si la juridiction de renvoi semble considérer que la période de congé postérieure aux six semaines que la mère doit obligatoirement prendre après l’accouchement doit être comprise comme un congé parental au sens de la directive 96/34, la décision de renvoi ne contient pas d’éléments portant sur le contenu de la réglementation nationale en matière de congé parental qui permettraient de répondre aux questions posées au regard de cette directive. À cet égard, comme le relèvent l’INSS et le gouvernement espagnol, l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs, qui fait seul l’objet des trois questions posées par la juridiction de renvoi, ne concerne pas le congé parental au sens de la directive 96/34.

47

Dans ces conditions, il y a lieu de comprendre les première et deuxième questions posées comme tendant, en substance, à savoir si les directives 92/85 et 76/207 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une mesure nationale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui prévoit que le père d’un enfant, ayant le statut de travailleur salarié, peut, avec l’accord de la mère ayant également le statut de travailleur salarié, bénéficier d’un congé de maternité pour la période postérieure aux six semaines de repos obligatoire de la mère après l’accouchement, à l’exception des cas où il y a danger pour la santé de celle-ci, alors que le père d’un enfant ayant le statut de travailleur salarié ne peut bénéficier d’un tel congé lorsque la mère de son enfant ne dispose pas du statut de travailleur salarié et n’est pas affiliée à un régime public de sécurité sociale.

Sur le fond

48

Selon la jurisprudence de la Cour, le droit à un congé de maternité reconnu aux travailleuses enceintes doit être considéré comme un moyen de protection de droit social revêtant une importance particulière. Le législateur de l’Union a ainsi estimé que les modifications essentielles dans les conditions d’existence des intéressées pendant la période limitée d’au moins quatorze semaines qui précède et suit l’accouchement constituaient un motif légitime de suspendre l’exercice de leur activité professionnelle, sans que la légitimité de ce motif puisse être remise en cause, d’une manière quelconque, par les autorités publiques ou les employeurs (voir arrêt du 20 septembre 2007, Kiiski, C-116/06, Rec. p. I-7643, point 49).

49

En effet, la travailleuse enceinte, accouchée ou allaitante se trouve dans une situation spécifique de vulnérabilité qui nécessite qu’un droit à un congé de maternité lui soit accordé, mais qui, spécialement pendant ce congé, ne peut être assimilée à celle d’un homme ni à celle d’une femme qui bénéficie d’un congé de maladie (arrêt du 27 octobre 1998, Boyle e.a., C-411/96, Rec. p. I-6401, point 40).

50

Ce congé de maternité dont bénéficie la travailleuse vise à assurer, d’une part, la protection de la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse ainsi qu’à la suite de celle-ci et, d’autre part, la protection des rapports particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période postérieure à la grossesse et à l’accouchement, en évitant que ces rapports ne soient troublés par le cumul des charges résultant de l’exercice simultané d’une activité professionnelle (voir, notamment, arrêts du 12 juillet 1984, Hofmann, 184/83, Rec. p. 3047, point 25, et Kiiski, précité, point 46).

51

Il convient d’examiner si la directive 92/85 s’oppose à ce qu’une mère ayant le statut de travailleuse salariée puisse choisir que le père ayant également le statut de travailleur salarié jouisse de tout ou partie du congé de maternité pour la période postérieure aux semaines de repos obligatoire de la mère après l’accouchement.

52

À cet égard, il y a lieu de relever que l’article 8, paragraphe 1, de la directive 92/85 énonce que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour que les travailleuses bénéficient d’un congé de maternité d’«au moins» quatorze semaines continues, réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.

53

En l’occurrence, l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs, en prévoyant un congé de maternité pour la mère d’une durée ininterrompue de seize semaines, va au-delà des prescriptions minimales de cet article 8, paragraphe 1, de la directive 92/85.

54

Par ailleurs, aux termes de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 92/85, le congé de maternité doit inclure un congé de maternité obligatoire d’«au moins» deux semaines, réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.

55

L’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs, qui prévoit que la mère doit prendre obligatoirement un repos de six semaines immédiatement après l’accouchement, va également au-delà de ces prescriptions minimales.

56

Il convient d’ajouter, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence citée au point 48 du présent arrêt, que la légitimité pour les femmes de suspendre l’exercice de leur activité professionnelle pendant cette période limitée d’au moins quatorze semaines qui précède et suit l’accouchement ne peut pas être remise en cause, d’une manière quelconque, par les autorités publiques ou les employeurs. Par conséquent, le congé de maternité prévu à l’article 8 de la directive 92/85 ne peut être retiré à la mère contre la volonté de celle-ci pour être attribué, en tout ou partie, au père de l’enfant.

57

En revanche, selon la jurisprudence de la Cour, si les États membres doivent, en vertu de l’article 8 de ladite directive, prendre les mesures nécessaires pour que les travailleuses bénéficient d’un congé de maternité d’au moins quatorze semaines, il s’agit pour celles-ci d’un droit auquel elles peuvent renoncer, exception faite des deux semaines de congé de maternité obligatoire, prévues au paragraphe 2 de cet article (voir arrêt Boyle e.a., précité, point 58).

58

Par conséquent, la directive 92/85 ne s’oppose pas à ce que la mère de l’enfant ayant le statut de travailleur salarié décide que le père de l’enfant, ayant le même statut, jouisse de tout ou partie du congé de maternité pour la période postérieure à la période de repos obligatoire.

59

Cette directive ne s’oppose pas davantage à ce qu’un tel père ne puisse jouir d’un tel congé dans le cas où la mère de l’enfant, exerçant une profession à titre indépendant, n’est pas une travailleuse salariée et qu’elle a choisi de ne pas être affiliée à un régime public de sécurité sociale lui assurant un tel congé. En effet, une telle situation ne relève pas de la directive 92/85, laquelle ne vise que les travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail dont l’activité professionnelle s’exerce sous la direction d’un employeur.

60

S’agissant de la directive 76/207, il y a lieu de relever que la mesure en cause au principal établit une différence de traitement fondée sur le sexe, au sens de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, entre les mères ayant le statut de travailleur salarié et les pères ayant ce même statut. En effet, cette mesure réserve le droit au congé de maternité en cause au principal aux mères des enfants ayant le statut de travailleur salarié, le père d’un enfant ne pouvant bénéficier de ce congé qu’à la condition qu’il ait également le statut de travailleur salarié et que la mère lui cède tout ou partie du congé disponible, pour autant que le retour au travail de cette dernière n’implique pas un risque pour sa santé.

61

Quant à la justification d’une telle différence de traitement, l’article 2, paragraphe 3, de la directive 76/207 précise que celle-ci ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité (voir arrêt du 30 septembre 2010, Roca Álvarez, C-104/09, Rec. p. I-8661, point 26).

62

À cet égard, la Cour a itérativement jugé que, en réservant aux États membres le droit de maintenir ou d’introduire des dispositions destinées à assurer la protection de la grossesse et de la maternité, l’article 2, paragraphe 3, de la directive 76/207 reconnaît la légitimité, au regard du principe de l’égalité de traitement entre les sexes, d’une part, de la protection de la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse et à la suite de celle-ci et, d’autre part, de la protection des rapports particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période qui fait suite à l’accouchement (voir, notamment, arrêts précités Hofmann, point 2, et Roca Álvarez, point 27).

63

Or, il s’avère qu’une mesure telle que celle en cause au principal est, en tout état de cause, destinée à protéger la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse et à la suite de celle-ci.

64

En outre, dans une affaire telle que celle au principal, la mère de l’enfant, en sa qualité de travailleuse indépendante non affiliée à un régime public de sécurité sociale, n’est pas titulaire d’un droit originaire au congé de maternité. Par conséquent, la mère de l’enfant ne dispose d’aucun droit à un tel congé qu’elle pourrait céder au père de cet enfant.

65

Il s’ensuit que, dans ces conditions, la directive 76/207 ne s’oppose pas à une mesure telle que celle en cause dans l’affaire au principal.

66

Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et deuxième questions telles que reformulées que les directives 92/85 et 76/207 doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à une mesure nationale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui prévoit que le père d’un enfant, ayant le statut de travailleur salarié, peut, avec l’accord de la mère ayant également le statut de travailleur salarié, bénéficier d’un congé de maternité pour la période postérieure aux six semaines de repos obligatoire de la mère après l’accouchement, à l’exception des cas où il existe un danger pour la santé de celle-ci, alors que le père d’un enfant ayant le statut de travailleur salarié ne peut bénéficier d’un tel congé lorsque la mère de son enfant ne dispose pas du statut de travailleur salarié et n’est pas affiliée à un régime public de sécurité sociale.

Sur la troisième question

67

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe d’égalité de traitement consacré par le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une mesure nationale telle que celle en cause au principal qui prévoit qu’un travailleur salarié a le droit de bénéficier d’un congé de maternité lorsqu’il adopte un enfant, même si la mère adoptive ne dispose pas du statut de travailleur salarié, alors qu’un travailleur salarié, père d’un enfant biologique, ne peut bénéficier d’un tel congé que lorsque la mère de cet enfant dispose également du statut de travailleur salarié.

68

Il convient de rappeler que, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le droit de l’Union dans les limites des compétences attribuées à celle-ci (voir arrêt du 5 octobre 2010, McB., C-400/10 PPU, Rec. p. I-8965, point 51, et ordonnance du 6 juillet 2012, Hermes Hitel és Faktor, C‑16/12, point 13).

69

Il est de jurisprudence constante que, lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application du droit de l’Union, la Cour, saisie à titre préjudiciel, doit fournir tous les éléments d’interprétation nécessaires à l’appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec le droit de l’Union dont elle assure le respect. En revanche, la Cour ne dispose pas d’une telle compétence lorsque, d’une part, l’objet du litige au principal ne présente aucun élément de rattachement au droit de l’Union et, d’autre part, la réglementation dont l’interprétation est demandée ne se situe pas dans le cadre du droit de l’Union (voir arrêt du 29 mai 1997, Kremzow, C-299/95, Rec. p. I-2629, point 15, et ordonnance Hermes Hitel és Faktor, précitée, point 14).

70

S’agissant des exigences découlant des principes généraux du droit de l’Union ainsi que de la protection des droits fondamentaux, il est de jurisprudence constante qu’elles lient les États membres dans tous les cas où ils sont appelés à appliquer le droit de l’Union (voir arrêt du 19 janvier 2010, Kücükdeveci, C-555/07, Rec. p. I-365, point 23, et ordonnance Hermes Hitel és Faktor, précitée, point 15).

71

En l’occurrence, la troisième question porte sur l’application du principe d’égalité de traitement consacré par le droit de l’Union aux pères biologiques et aux pères adoptifs au regard d’un congé de maternité tel que celui prévu à l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs.

72

Or, il y a lieu de constater que la réglementation applicable au litige au principal concerne une situation qui ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union.

73

En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 82 de ses conclusions, à la date des faits du litige au principal, ni le traité CE, ni aucune directive de l’Union, ni aucune autre disposition du droit de l’Union ne prohibait les discriminations entre le père adoptif et le père biologique en ce qui concerne le congé de maternité.

74

Par ailleurs, si, en vertu de la clause 2, point 1, de l’accord-cadre sur le congé parental, un droit individuel à un congé parental est accordé aux travailleurs, hommes et femmes, en raison de la naissance ou de l’adoption d’un enfant, il convient de rappeler que, ainsi qu’il est indiqué au point 46 du présent arrêt, la décision de renvoi ne contient pas d’éléments portant sur le contenu de la réglementation nationale en matière de congé parental qui permettraient de répondre aux questions posées au regard de la directive 96/34 et que l’article 48, paragraphe 4, du statut des travailleurs ne concerne pas le congé parental au sens de cette directive.

75

Dans ces conditions, la Cour n’est pas compétente pour répondre à la troisième question.

Sur les dépens

76

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

 

Les directives 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16 paragraphe 1 de la directive 89/391/CEE), et 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à une mesure nationale, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, qui prévoit que le père d’un enfant, ayant le statut de travailleur salarié, peut, avec l’accord de la mère ayant également le statut de travailleur salarié, bénéficier d’un congé de maternité pour la période postérieure aux six semaines de repos obligatoire de la mère après l’accouchement, à l’exception des cas où il existe un danger pour la santé de celle-ci, alors que le père d’un enfant ayant le statut de travailleur salarié ne peut bénéficier d’un tel congé lorsque la mère de son enfant ne dispose pas du statut de travailleur salarié et n’est pas affiliée à un régime public de sécurité sociale.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’espagnol.