Affaire C-243/09

Günter Fuß

contre

Stadt Halle

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Verwaltungsgericht Halle)

«Politique sociale — Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs — Directive 2003/88/CE — Aménagement du temps de travail — Sapeurs-pompiers employés dans le secteur public — Service d’intervention — Articles 6, sous b), et 22, paragraphe 1, premier alinéa, sous b) — Durée maximale hebdomadaire de travail — Refus d’effectuer un travail dépassant cette durée — Mutation forcée dans un autre service — Effet direct — Conséquence pour les juridictions nationales»

Sommaire de l'arrêt

1.        Politique sociale — Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs — Directive 2003/88 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail

(Directive du Parlement européen et du Conseil, 2003/88, art. 6, b))

2.        Politique sociale — Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs — Directive 2003/88 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail — Article 6, sous b) — Effet direct

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2003/88, art. 6, b))

1.        L'article 6, sous b), de la directive 2003/88, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui permet à un employeur du secteur public de procéder à la mutation forcée dans un autre service d'un travailleur employé en qualité de sapeur-pompier dans un service d'intervention, au motif qu'il a demandé que la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire prévue à ladite disposition soit respectée dans ce dernier service. La circonstance qu'un tel travailleur ne subit, en raison de cette mutation, aucun préjudice spécifique autre que celui résultant de la violation dudit article 6, sous b), est à cet égard sans incidence.

(cf. points 53-55 et disp.)

2.        L'article 6, sous b), de la directive 2003/88, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, remplit toutes les conditions requises pour produire un effet direct, étant donné qu'il met à la charge des États membres, dans des termes non équivoques, une obligation de résultat précise, et qui n'est assortie d'aucune condition quant à l'application de la règle qu'il énonce, consistant à prévoir un plafond de 48 heures, comprenant les heures supplémentaires, en ce qui concerne la durée moyenne hebdomadaire de travail. La circonstance que la directive permet aux États membres de déroger à l'article 6 de ladite directive n'affecte pas le caractère précis et inconditionnel de ce dernier article, sous b). En effet, la faculté des États membres de ne pas appliquer l'article 6 est subordonnée au respect de toutes les conditions énoncées à l'article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de la même directive, de sorte qu'il est possible de déterminer la protection minimale qui doit en tout état de cause être mise en œuvre.

Dès lors, un travailleur employé dans le secteur public est en droit de se prévaloir directement des dispositions de l'article 6, sous b), de la directive 2003/88 à l'encontre de son employeur afin de faire respecter le droit à une durée moyenne hebdomadaire de travail n'excédant pas 48 heures garanti par cette disposition. À cet égard, les juridictions nationales et les organes de l'administration, y inclus les autorités décentralisées, ont l'obligation d'appliquer intégralement le droit de l'Union et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire du droit interne.

Une mutation forcée, au motif que le travailleur a demandé que la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire prévue à ladite disposition soit respectée, a pour effet de vider de toute substance le droit conféré par cette disposition. Une telle mesure annihile l'effet utile de la disposition à l'égard de ce travailleur. Il est donc manifeste que ladite mesure n'assure ni l'application intégrale dudit article 6, sous b), de la directive 2003/88 ni la protection des droits que cette disposition confère aux travailleurs dans l'État membre concerné.

En outre, le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, laquelle a, selon l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE, «la même valeur juridique que les traités», serait substantiellement affecté si un employeur, en réaction à une plainte ou à une action en justice engagée par un travailleur en vue d’assurer le respect des dispositions d’une directive visant à protéger sa sécurité et sa santé, était en droit de prendre une mesure de rétorsion. En effet, la crainte de pareille mesure de rétorsion, contre laquelle aucun recours juridictionnel ne serait ouvert, risquerait de dissuader les travailleurs s’estimant lésés par une mesure prise par leur employeur de faire valoir leurs droits par voie juridictionnelle et, partant, serait de nature à compromettre gravement la réalisation de l’objectif poursuivi par la directive.

(cf. points 57-61, 63, 65-66)







ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

14 octobre 2010 (*)

«Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Directive 2003/88/CE – Aménagement du temps de travail – Sapeurs-pompiers employés dans le secteur public – Service d’intervention – Articles 6, sous b), et 22, paragraphe 1, premier alinéa, sous b) – Durée maximale hebdomadaire de travail – Refus d’effectuer un travail dépassant cette durée – Mutation forcée dans un autre service – Effet direct – Conséquence pour les juridictions nationales»

Dans l’affaire C‑243/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Verwaltungsgericht Halle (Allemagne), par décision du 25 mars 2009, parvenue à la Cour le 3 juillet 2009, dans la procédure

Günter Fuß

contre

Stadt Halle,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. A. Arabadjiev, A. Rosas, U. Lõhmus et A. Ó Caoimh (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M.A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Fuß, par Me M. Geißler, Rechtsanwalt,

–        pour la Stadt Halle, par M. Willecke, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et C. Blaschke, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par MM. V. Kreuschitz et M. van Beek, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO L 299, p. 9).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Fuß à son employeur, la Stadt Halle, au sujet de sa mutation forcée dans un service autre que celui dans lequel il était précédemment affecté en qualité de sapeur-pompier.

 Le cadre juridique

 La réglementation de l’Union

3        Selon son premier considérant, la directive 2003/88 procède, dans un souci de clarté, à la codification des dispositions de la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO L 307, p. 18), telle que modifiée par la directive 2000/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 2000 (JO L 195, p. 41, ci-après la «directive 93/104»). Les directives 93/104 et 2000/34 devaient être transposées par les États membres dans leur droit interne au plus tard respectivement les 23 novembre 1996 et 1er août 2003.

4        Aux termes de l’article 1er de la directive 2003/88, intitulé «Objet et champ d’application»:

«1.      La présente directive fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail.

2.      La présente directive s’applique:

a)      aux périodes minimales de repos journalier, de repos hebdomadaire et de congé annuel ainsi qu’au temps de pause et à la durée maximale hebdomadaire de travail, et

[…]»

5        Sous le titre «Durée maximale hebdomadaire de travail», l’article 6 de la même directive dispose:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs:

a)      la durée hebdomadaire du travail soit limitée au moyen de dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou de conventions collectives ou d’accords conclus entre partenaires sociaux;

b)      la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n’excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires.»

6        L’article 15 de ladite directive, intitulé «Dispositions plus favorables», énonce:

«La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ou de favoriser ou de permettre l’application de conventions collectives ou d’accords conclus entre partenaires sociaux plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs.»

7        L’article 17 de la directive 2003/88, intitulé «Dérogations», prévoit:

«1.      Dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, les États membres peuvent déroger aux articles 3 à 6, 8 et 16 lorsque la durée du temps de travail, en raison des caractéristiques particulières de l’activité exercée, n’est pas mesurée et/ou prédéterminée ou peut être déterminée par les travailleurs eux-mêmes, […]

[…]

3.      Conformément au paragraphe 2 du présent article, il peut être dérogé aux articles 3, 4, 5, 8 et 16:

[…]

c)      pour les activités caractérisées par la nécessité d’assurer la continuité du service ou de la production, notamment lorsqu’il s’agit:

[…]

iii)      […] des services […] de sapeurs-pompiers ou de protection civile».

8        L’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive est libellé comme suit:

«Un État membre a la faculté de ne pas appliquer l’article 6 tout en respectant les principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs et à condition qu’il assure, par les mesures nécessaires prises à cet effet, que:

a)      aucun employeur ne demande à un travailleur de travailler plus de quarante-huit heures au cours d’une période de sept jours, calculée comme moyenne de la période de référence visée à l’article 16, point b), à moins qu’il [n’]ait obtenu l’accord du travailleur pour effectuer un tel travail;

b)      aucun travailleur ne puisse subir aucun préjudice du fait qu’il n’est pas disposé à donner son accord pour effectuer un tel travail;

c)      l’employeur tienne des registres mis à jour de tous les travailleurs qui effectuent un tel travail;

d)      les registres soient mis à la disposition des autorités compétentes qui peuvent interdire ou restreindre, pour des raisons de sécurité et/ou de santé des travailleurs, la possibilité de dépasser la durée maximale hebdomadaire de travail;

e)      l’employeur, sur demande des autorités compétentes, donne à celles-ci des informations sur les accords donnés par les travailleurs pour effectuer un travail dépassant quarante-huit heures au cours d’une période de sept jours, calculée comme moyenne de la période de référence visée à l’article 16, point b).»

9        Conformément à son article 28, la directive 2003/88 est entrée en vigueur le 2 août 2004.

 La réglementation nationale

10      L’article 2, paragraphe 1, du règlement du Land de Saxe-Anhalt sur le temps de travail des sapeurs-pompiers fonctionnaires des villes et des communes (Verordnung über die Arbeitszeit der Beamtinnen und Beamten im feuerwehrtechnischen Dienst der Städte und Gemeinden des Landes Sachsen-Anhalt), du 7 octobre 1998 (ci-après l’«ArbZVO-FW 1998»), en vigueur jusqu’au 31 décembre 2007, prévoyait ce qui suit:

«La durée normale de travail des fonctionnaires employés en travail posté et dont l’activité hebdomadaire a lieu essentiellement au sein du service de garde est en moyenne de 54 heures. […]»

11      Avec effet au 1er janvier 2008, l’ArbZVO-FW 1998 a été remplacé par l’ArbZVO-FW du 5 juillet 2007 (ci-après l’«ArbZVO-FW 2007»).

12      L’article 2, paragraphe 1, de l’ArbZVO-FW 2007 dispose:

«La durée normale hebdomadaire de travail des fonctionnaires s’élève à 48 heures en moyenne annuelle, heures supplémentaires comprises.»

13      L’article 4 du même ArbZVO-FW 2007, intitulé «Arrangements individuels», est libellé comme suit:

«1.      Sous réserve du respect des principes généraux de sécurité et de protection de la santé, la durée du travail posté peut dépasser la durée moyenne normale hebdomadaire visée à l’article 2, paragraphe 1, si les personnes concernées marquent leur accord et que l’employeur en apporte la preuve.

2.      L’accord visé au paragraphe 1 peut être révoqué moyennant un préavis de six mois. Les intéressés doivent en être informés par écrit.»

14      L’article 612 a du code civil (Bürgerliches Gesetzbuch) prévoit que, dans les accords qu’il prend avec un travailleur ou les mesures qu’il adopte à son égard, l’employeur ne peut pas désavantager ce travailleur au motif que celui-ci a exercé ses droits de manière licite.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

15      M. Fuß est employé par la Stadt Halle depuis le 10 mai 1982. Nommé fonctionnaire au cours de l’année 1998, au grade de sapeur-pompier supérieur («Oberbrandmeister»), il détient, depuis le 15 décembre 2005, le grade de sapeur-pompier principal («Hauptbrandmeister»).

16      Jusqu’au 4 janvier 2007, M. Fuß était affecté au service d’intervention «protection anti-incendie» des sapeurs-pompiers de la Stadt Halle en qualité de commandant d’engin. Son horaire de service prévoyait un temps de travail d’une durée moyenne de 54 heures par semaine.

17      Lors d’une réunion du personnel organisée au début de l’année 2006, la direction de la Stadt Halle a annoncé aux membres du service d’intervention qu’il y aurait des mutations au centre de commandement des interventions si le respect de la directive 2003/88 était exigé.

18      Par lettre du 13 décembre 2006, M. Fuß, invoquant l’ordonnance du 14 juillet 2005, Personalrat der Feuerwehr Hamburg (C‑52/04, Rec. p. I‑7111), a demandé que, à l’avenir, son temps de travail hebdomadaire ne dépasse plus la limite maximale moyenne de 48 heures prévue à l’article 6, sous b), de la directive 2003/88. Par cette même lettre, M. Fuß a revendiqué des droits à compensation pour les heures supplémentaires effectuées illégalement au cours de la période comprise entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2006.

19      Par une décision du 18 décembre 2006, la Stadt Halle a mis en place un plan d’affectation du personnel en vertu duquel un poste à occupation rotative, devenu vacant à la centrale de commandement des interventions des sapeurs-pompiers, devait être pourvu à compter du 1er avril 2007 pour éviter toute carence qualitative dans l’organigramme.

20      Le 21 décembre 2006, M. Fuß a été entendu par son employeur quant au projet de ce dernier de procéder à sa mutation sur ledit poste. Au cours de cet entretien, M. Fuß a indiqué qu’il voulait continuer à travailler dans le service d’intervention.

21      Par décision du 2 janvier 2007, la Stadt Halle a procédé à la mutation de M. Fuß pour une durée limitée, soit du 5 janvier 2007 au 31 mars 2009, à la centrale de commandement, au motif qu’une telle mutation était nécessaire pour des raisons d’organisation du service (ci-après la «décision de mutation»). Selon la Stadt Halle, le poste en question exigeait une formation au grade de sapeur-pompier principal, une expérience de plusieurs années en qualité de commandant d’engin et une formation d’infirmier secouriste. En outre, cette mutation permettrait à M. Fuß, notamment, de travailler en respectant la durée maximale hebdomadaire de 48 heures.

22      Depuis sa mutation, M. Fuß travaille 40 heures par semaine et n’a plus à effectuer des gardes d’une durée de 24 heures. Par ailleurs, compte tenu du nombre moins élevé des heures de service pénibles (nuits, dimanches et jours fériés), il perçoit une prime spéciale réduite au titre du service accompli à de telles heures.

23      Le 4 janvier 2007, M. Fuß a introduit un recours administratif auprès de la Stadt Halle contre la décision de mutation, en faisant valoir, pour l’essentiel, qu’il ne souhaitait pas travailler selon un autre programme d’organisation du service.

24      Par décision du 23 janvier 2007, la Stadt Halle a rejeté ce recours au motif, en substance, que la décision de mutation était une mesure à caractère personnel, fondée sur le pouvoir de direction de l’autorité hiérarchique, que celle-ci pouvait exercer de façon discrétionnaire.

25      Le 28 février 2007, M. Fuß a saisi le Verwaltungsgericht Halle d’un recours tendant à l’annulation de la décision de mutation et à sa réintégration sur le poste qu’il occupait antérieurement à la mesure dont il a fait l’objet. Il soutient en substance que sa mutation a été décidée pour la seule raison qu’il avait demandé une réduction de son temps de travail conformément aux dispositions de la directive 2003/88. La Stadt Halle estime, en revanche, que ladite décision n’a en rien pour objet de sanctionner M. Fuß, mais permet de satisfaire la demande de ce dernier tendant au respect d’une semaine de travail de 48 heures, sans devoir adapter prématurément et pour lui seul le plan de service, adaptation qui aurait entraîné des problèmes d’organisation. La mise en conformité du plan de service par rapport à la directive 2003/88 devrait en effet être effectuée de manière uniforme pour tous les agents du service.

26      Dans sa décision de renvoi, la juridiction nationale constate la conformité de la décision de mutation avec le droit national. En effet, d’une part, M. Fuß aurait été muté dans un emploi du même grade et relevant de la même catégorie de rémunération. D’autre part, la mutation de M. Fuß, à supposer même qu’elle ne puisse être motivée par des raisons d’organisation du service, reposerait sur un motif matériel, à savoir la volonté de mettre fin à une violation de l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 à l’égard de l’intéressé, sans pour autant modifier ni mettre en conformité avec celle-ci le plan de service ou le temps de travail des autres sapeurs-pompiers.

27      Ladite juridiction se demande toutefois si la décision de mutation n’est pas contraire à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), de la directive 2003/88.

28      Elle observe que, certes, à la date des faits litigieux, l’article 2, paragraphe 1, de l’ArbZVO-FW 1998 n’était pas conçu comme une disposition dérogatoire à l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 au sens de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de celle-ci et qu’aucune autre disposition du droit national ne prévoyait la possibilité d’une telle dérogation dans le respect de l’ensemble des conditions prévues à cette dernière disposition, notamment celle, énoncée audit alinéa, sous b), selon laquelle aucun travailleur ne doit subir un préjudice du fait qu’il n’est pas disposé à donner son accord pour effectuer un service excédant la durée moyenne maximale de 48 heures de travail hebdomadaire. Toutefois, sauf à admettre que les droits découlant de la directive 2003/88 soient contournés et que celle-ci n’atteigne pas son objectif, l’interdiction de causer un préjudice aux travailleurs devrait s’appliquer a fortiori lorsque l’employeur, malgré l’absence d’une disposition expresse de droit national l’y autorisant, exige d’un travailleur qu’il effectue un travail d’une durée excédant la limite maximale prévue audit article 6, sous b), et que ce travailleur exige le respect de cette disposition.

29      Selon la juridiction de renvoi, la question se pose cependant de savoir si la notion de «préjudice» figurant à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), de la directive 2003/88 doit être interprétée de façon subjective ou objective. D’un point de vue subjectif, un préjudice devrait être constaté au détriment de M. Fuß dès lors que ce dernier a ressenti le changement d’affectation comme une sanction. En revanche, d’un point de vue objectif, M. Fuß ne subirait aucun préjudice puisque sa nouvelle affectation serait moins dangereuse que celle qu’il avait antérieurement et qu’il se serait vu offrir la possibilité d’obtenir des qualifications professionnelles supplémentaires. Certes, M. Fuß aurait subi une perte de rémunération en raison de la réduction de sa prime spéciale pour service accompli à des heures pénibles. Toutefois, cette réduction serait justifiée par le fait qu’il assure moins d’heures pénibles et elle serait compensée par un gain de temps de loisirs. Par ailleurs, le caractère limité dans le temps de la mutation serait sans incidence dès lors que, conformément à l’ArbZVO-FW 2007, tel qu’en vigueur depuis le 1er janvier 2008, M. Fuß pourrait être maintenu sur un poste ne relevant pas du service d’intervention s’il n’accepte pas un dépassement de la limite hebdomadaire de 48 heures.

30      Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Halle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le préjudice visé à l’article 22, paragraphe 1, [premier alinéa,] sous b), de la directive [2003/88] doit-il être apprécié de façon objective ou subjective?

2)      Y a-t-il un préjudice au sens de l’article 22, paragraphe 1, [premier alinéa,] sous b), de la directive [2003/88] lorsque, en raison de sa demande de s’en tenir à la durée maximale de travail, un fonctionnaire d’un service d’intervention est muté contre son gré à un autre poste impliquant essentiellement un service de bureau?

3)      Un traitement inférieur doit-il être considéré comme un préjudice au sens de l’article 22, paragraphe 1, [premier alinéa,] sous b), de la directive [2003/88] lorsque la mutation emporte une réduction des heures de service pénibles (nuits, dimanches et jours fériés) et, partant, une réduction de la prime spéciale correspondant à ces heures de service?

4)      Dans le cas d’une réponse affirmative à la deuxième question […] ou à la troisième question, un préjudice résultant d’une mutation peut-il être compensé par d’autres avantages liés au nouveau poste, tels que des temps de travail plus courts ou une formation continue?»

 Sur les questions préjudicielles

31      Par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande en substance si la notion de «préjudice» figurant à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), de la directive 2003/88 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à un employeur du secteur public de procéder à la mutation forcée d’un travailleur employé en tant que sapeur-pompier dans un service d’intervention, au motif que celui-ci a demandé que la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire prévue à l’article 6, sous b), de cette directive soit respectée dans ledit service d’intervention.

32      À cet égard, il convient de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que la directive 2003/88 a pour objet de fixer des prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs par un rapprochement des réglementations nationales concernant, notamment, la durée du temps de travail. Cette harmonisation au niveau de l’Union européenne en matière d’aménagement du temps de travail vise à garantir une meilleure protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, en faisant bénéficier ceux-ci de périodes minimales de repos – notamment journalier et hebdomadaire – ainsi que de périodes de pause adéquates, et en prévoyant une limite maximale à la durée hebdomadaire de travail (voir, notamment, arrêts du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C‑397/01 à C‑403/01, Rec. p. I‑8835, point 76; du 1er décembre 2005, Dellas e.a., C‑14/04, Rec. p. I‑10253, points 40 et 41, ainsi que du 7 septembre 2006, Commission/Royaume-Uni, C‑484/04, Rec. p. I‑7471, points 35 et 36).

33      Ainsi, l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 oblige les États membres à prendre les mesures nécessaires pour que, en fonction des impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n’excède pas 48 heures, y compris les heures supplémentaires. Cette limite maximale en ce qui concerne la durée moyenne hebdomadaire de travail constitue une règle du droit social de l’Union revêtant une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale destinée à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé (voir arrêts précités Pfeiffer e.a., point 100; Dellas e.a., point 49, ainsi que Commission/Royaume-Uni, point 38).

34      Dans le système mis en place par la directive 2003/88, si l’article 15 de celle-ci permet de manière générale l’application ou l’introduction de dispositions nationales plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, seules certaines de ses dispositions limitativement énumérées sont susceptibles de faire l’objet de dérogations prévues par les États membres ou les partenaires sociaux. La mise en œuvre de telles dérogations est en outre subordonnée à des conditions strictes de nature à assurer une protection efficace de la sécurité et de la santé des travailleurs (voir arrêt Pfeiffer e.a., précité, points 77 et 96).

35      Ainsi, l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2003/88, qui fait l’objet des questions préjudicielles, offre la faculté aux États membres de ne pas appliquer l’article 6 de celle-ci, pour autant qu’ils respectent les principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs et qu’ils remplissent un certain nombre de conditions cumulatives énoncées à cette disposition, notamment celle, prévue audit alinéa, sous b), selon laquelle des mesures doivent être prises afin d’assurer qu’aucun travailleur ne puisse subir un préjudice du fait qu’il n’est pas disposé à donner son accord pour effectuer un travail dont la durée moyenne hebdomadaire excède la limite maximale édictée à l’article 6, sous b), de cette même directive.

36      En l’occurrence, il est toutefois constant que ni la République fédérale d’Allemagne, comme la Cour l’a déjà constaté au point 85 de l’arrêt du 9 septembre 2003, Jaeger (C‑151/02, Rec. p. I‑8389), et au point 98 de l’arrêt Pfeiffer e.a., précité, ni le Land de Saxe-Anhalt, ce qui a été établi par la juridiction saisie du litige au principal dans sa décision de renvoi et confirmé dans le cadre de la présente procédure tant par le gouvernement allemand que par la Stadt Halle dans leurs observations écrites, n’avaient, à la date des faits du litige au principal, fait usage de cette possibilité de dérogation, les dispositions du droit interne en vigueur à cette date ne comportant aucune mesure conforme à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2003/88 ou visant à transposer cette disposition. Interrogés sur ce point par la Cour par une question écrite, la Stadt Halle a réitéré cette constatation, tandis que M. Fuβ et le gouvernement autrichien ont également pris position en ce sens.

37      Tout au plus la juridiction de renvoi relève-t-elle à cet égard que cette faculté de dérogation prévue à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), de la directive 2003/88 a été utilisée par la suite par le Land de Saxe-Anhalt dans le cadre de la réglementation adoptée ultérieurement pour transposer spécifiquement ladite directive à l’égard des sapeurs-pompiers employés par les villes et communes de ce Land. Cette réglementation n’est toutefois entrée en vigueur que le 1er janvier 2008, soit à une date postérieure à celle de la décision de mutation.

38      Il en résulte que, en l’absence de mesures de droit interne mettant en œuvre la faculté de dérogation ouverte aux États membres à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2003/88, cette disposition est dépourvue de toute pertinence pour trancher le litige au principal et que, partant, seul l’article 6, sous b), de cette directive, en ce qu’il énonce le principe du respect par les États membres d’une durée moyenne maximale de travail de 48 heures pour chaque période de sept jours, doit être pris en considération.

39      Il convient à cet égard de rappeler que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En effet, la Cour a pour mission d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément dans les questions qui lui sont adressées par ces juridictions (voir en ce sens, notamment, arrêts du 8 mars 2007, Campina, C‑45/06, Rec. p. I‑2089, points 30 et 31; du 26 juin 2008, Wiedemann et Funk, C‑329/06 et C‑343/06, Rec. p. I‑4635, point 45, ainsi que du 2 septembre 2010, Kirin Amgen, C-66/09, non encore publié au Recueil, point 27).

40      En conséquence, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité ses questions à l’interprétation du seul article 22, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), de la directive 2003/88, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments dudit droit qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir arrêt du 12 janvier 2010, Wolf, C-229/08, non encore publié au Recueil, point 32 et jurisprudence citée).

41      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la juridiction saisie du litige au principal considère que, dès lors que la condition relative à l’absence de préjudice causé au travailleur, prévue à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), de la directive 2003/88, s’applique lorsqu’un employeur n’a pas, en présence de mesures de droit interne mettant en œuvre cette disposition, obtenu l’accord du travailleur pour déroger à l’article 6, sous b), de la même directive, cette condition doit s’appliquer a fortiori lorsque, comme dans les circonstances de l’espèce, un employeur impose, malgré l’absence de dispositions de droit interne l’y autorisant, une telle dérogation et que le travailleur concerné s’y oppose en exigeant le respect dudit article 6, sous b).

42      La juridiction de renvoi suggère ainsi que, si le travailleur concerné ne subit aucun préjudice du fait qu’il n’a pas donné son accord au dépassement du plafond de 48 heures prévu à l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 pour la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire, il ne serait pas contraire à cette directive que son employeur puisse, en vertu du droit interne, décider de le muter contre son gré dans un autre service qui respecte, quant à lui, le plafond prévu à cette disposition, dans la mesure où une telle mutation met un terme à la violation de celle-ci à l’égard de ce travailleur.

43      Dans ces conditions, en vue de répondre utilement à la juridiction de renvoi, il convient de reformuler les questions posées en ce sens que, par celles-ci, cette juridiction demande en substance si l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à un employeur du secteur public de procéder à la mutation forcée dans un autre service d’un travailleur employé en tant que sapeur-pompier dans un service d’intervention, au motif qu’il a demandé le respect dans ce dernier service de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire prévue à ladite disposition, dans le cas où ce travailleur ne subit aucun préjudice du fait d’une telle mutation.

44      À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il découle du point 61 de l’ordonnance Personalrat der Feuerwehr Hamburg, précitée, les activités exercées par des forces d’intervention d’un service public de sapeurs-pompiers – hormis le cas de circonstances exceptionnelles d’une gravité et d’une ampleur telles que l’objectif visant à assurer le bon fonctionnement des services indispensables à la protection des intérêts publics doit prévaloir provisoirement sur celui consistant à garantir la sécurité et la santé des travailleurs affectés aux équipes d’intervention et de secours, circonstances qui ne sont pas en cause dans l’affaire au principal – relèvent du champ d’application de la directive 2003/88, de sorte que, en principe, l’article 6, sous b), de celle-ci s’oppose au dépassement du plafond de 48 heures prévu pour la durée maximale hebdomadaire de travail, y compris les services de garde.

45      Or, en l’occurrence, il est constant que la réglementation du Land de Saxe-Anhalt applicable à l’époque des faits au principal imposait aux sapeurs-pompiers qui, tel M. Fuß, étaient employés dans un service d’intervention des villes et des communes de ce Land une durée de travail excédant le plafond maximal de travail hebdomadaire prévu à l’article 6, sous b), de la directive 2003/88.

46      Dans ces conditions, pour répondre aux questions de la juridiction de renvoi, il convient, d’une part, d’examiner si, comme celle-ci le suggère, la constatation de l’existence d’une violation de l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 est subordonnée à la condition qu’un préjudice ait été subi par le travailleur concerné et, d’autre part, de déterminer quelles sont les conséquences qui découlent pour les juridictions nationales d’une éventuelle violation de cette disposition.

47      En ce qui concerne, en premier lieu, la question de la pertinence de l’existence d’un préjudice subi par le travailleur concerné aux fins de constater une violation de l’article 6, sous b), de la directive 2003/88, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort déjà du point 33 du présent arrêt, cette disposition constitue une règle du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, qui impose aux États membres l’obligation de prévoir un plafond de 48 heures pour la durée moyenne hebdomadaire de travail, limite maximale incluant les heures supplémentaires, ainsi qu’il est expressément précisé à ladite disposition, et à laquelle, en l’absence de mise en œuvre en droit interne de l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive, il ne peut être dérogé en ce qui concerne des activités telles que celle de sapeur-pompier en cause au principal.

48      En effet, ainsi qu’il a déjà été dit au point 34 du présent arrêt, seules certaines dispositions explicitement visées de la directive 2003/88 sont susceptibles de faire l’objet de dérogations par les États membres ou les partenaires sociaux.

49      Or, d’une part, l’article 6 de la directive 2003/88 n’est mentionné qu’à l’article 17, paragraphe 1, de celle-ci, alors qu’il est constant que cette dernière disposition vise des activités qui ne présentent aucun rapport avec celles accomplies par des sapeurs-pompiers. En revanche, le paragraphe 3, sous c), iii), dudit article 17 se réfère aux «activités caractérisées par la nécessité d’assurer la continuité du service», au nombre desquelles figurent notamment les «services […] de sapeurs-pompiers», mais cette disposition prévoit une possibilité de dérogation non à l’article 6 de ladite directive, mais à d’autres dispositions de celle-ci (voir, par analogie, arrêt Pfeiffer e.a., précité, point 97).

50      D’autre part, ainsi qu’il ressort déjà des points 35 et 36 du présent arrêt, il est constant que ni la République fédérale d’Allemagne ni le Land de Saxe-Anhalt n’ont fait usage de la possibilité de dérogation prévue à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2003/88, qui ouvre aux États membres la faculté de ne pas appliquer l’article 6 de celle-ci, pour autant que certaines conditions cumulatives sont remplies (voir, par analogie, arrêt Pfeiffer e.a., précité, point 98).

51      Dans ces conditions, pour garantir la pleine effectivité de la directive 2003/88, il importe que les États membres empêchent tout dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail telle que fixée à l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 (arrêt Pfeiffer e.a., précité, point 118).

52      Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, les États membres ne peuvent dès lors déterminer unilatéralement la portée de ladite disposition, en subordonnant à quelque condition ou restriction que ce soit l’application du droit des travailleurs à ce que la durée moyenne hebdomadaire de travail n’excède pas 48 heures (arrêt Pfeiffer e.a., précité, point 99).

53      Partant, le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire fixée à l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 constitue, en tant que tel, une violation de cette disposition, sans qu’il soit besoin de démontrer en outre l’existence d’un préjudice spécifique. En l’absence de mesure de droit interne mettant en œuvre la faculté de dérogation prévue à l’article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de la même directive, la notion de «préjudice» figurant à cette disposition est donc dépourvue de toute pertinence pour l’interprétation et l’application dudit article 6, sous b).

54      En réalité, ainsi qu’il ressort du point 32 du présent arrêt, la directive 2003/88 poursuivant l’objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d’un repos suffisant, le législateur de l’Union a considéré que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire prévue audit article 6, sous b), en ce qu’il prive le travailleur d’un tel repos, lui cause, de ce seul fait, un préjudice dès lors qu’il est ainsi porté atteinte à sa sécurité et à sa santé.

55      Il s’ensuit qu’une réglementation nationale, telle que celle au principal, qui prévoyait, s’agissant d’un travailleur employé en qualité de sapeur-pompier dans un service d’intervention, une durée de travail qui excède le plafond maximal édicté à l’article 6, sous b), de la directive 2003/88, constitue une violation de cette disposition, sans qu’il soit besoin d’établir en outre l’existence d’un préjudice spécifique subi par ce travailleur.

56      En ce qui concerne, en second lieu, les conséquences qui découlent pour les juridictions nationales d’une telle violation de l’article 6, sous b), de la directive 2003/88, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que, dans tous les cas où des dispositions d’une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer à l’encontre de l’État, y compris en sa qualité d’employeur, notamment lorsque celui-ci s’est abstenu de transposer dans les délais cette directive en droit national ou lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 1986, Marshall, 152/84, Rec. p. 723, points 46 et 49, ainsi que du 23 avril 2009, Angelidaki e.a., C‑378/07 à C‑380/07, Rec. p. I-3071, points 193 et 194).

57      Or, l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 satisfait à ces critères, étant donné qu’il met à la charge des États membres, dans des termes non équivoques, une obligation de résultat précise et qui n’est assortie d’aucune condition quant à l’application de la règle qu’il énonce, consistant à prévoir un plafond de 48 heures, comprenant les heures supplémentaires, en ce qui concerne la durée moyenne hebdomadaire de travail (voir, en ce sens, arrêt Pfeiffer e.a., précité, point 104).

58      À cet égard, même si la directive 2003/88 permet aux États membres, à son article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de déroger aux dispositions de l’article 6 de celle-ci, cette circonstance n’affecte pas le caractère précis et inconditionnel de ce dernier article, sous b). En effet, la faculté des États membres de ne pas appliquer cet article 6 est subordonnée au respect de toutes les conditions énoncées audit article 22, paragraphe 1, premier alinéa, de sorte qu’il est possible de déterminer la protection minimale qui doit en tout état de cause être mise en œuvre (voir, en ce sens, arrêt Pfeiffer e.a., précité, point 105).

59      Partant, l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 remplit toutes les conditions requises pour produire un effet direct (voir, en ce sens, arrêt Pfeiffer e.a., précité, point 106).

60      En conséquence, dès lors que, à la date des faits du litige au principal, le délai de transposition de la directive 93/104 était expiré et que le Land de Saxe-Anhalt n’avait pas, à cette date, procédé à une telle transposition dans son droit interne en ce qui concerne les sapeurs-pompiers employés dans un service d’intervention, un travailleur comme M. Fuß, employé par la Stadt Halle dans un tel service, est en droit de se prévaloir directement des dispositions de l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 à l’encontre de cet employeur public afin de faire respecter le droit à une durée moyenne hebdomadaire de travail n’excédant pas 48 heures garanti par cette disposition.

61      À cet égard, il convient de préciser que, dès lors que ladite disposition a un effet direct, elle s’impose à toutes les autorités des États membres, à savoir non seulement les juridictions nationales, mais également tous les organes de l’administration, y compris les autorités décentralisées, telles que les Länder, les villes ou les communes, et ces autorités sont tenues d’en faire application (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 1989, Costanzo, 103/88, Rec. p. 1839, points 30 à 33).

62      Dans l’affaire au principal, la Stadt Halle considère que la mutation forcée de M. Fuß, après qu’il eut demandé à son employeur de respecter la durée maximale hebdomadaire de travail prévue à l’article 6, sous b), de la directive 2003/88, dans un autre service dans lequel ce plafond est respecté est de nature à assurer la pleine application de cette directive à l’égard de M. Fuß, puisque cette mutation met un terme à la violation du droit de l’Union commise à son encontre.

63      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les juridictions nationales et les organes de l’administration ont l’obligation d’appliquer intégralement le droit de l’Union et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire du droit interne (voir, en ce sens, arrêts Costanzo, précité, point 33, et du 11 janvier 2007, ITC, C‑208/05, Rec. p. I‑181, points 68 et 69 ainsi que jurisprudence citée).

64      En l’occurrence, il importe que l’effet utile des droits conférés directement aux travailleurs par l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 soit intégralement assuré dans l’ordre juridique interne (voir arrêt Dellas e.a., précité, point 53).

65      Or, force est de constater qu’une mutation forcée, telle que celle en cause au principal, a pour effet de vider de toute substance le droit conféré par l’article 6, sous b), de la directive 2003/88, et reconnu par la Cour dans l’ordonnance Personalrat der Feuerwehr Hamburg, précitée, à un sapeur-pompier employé dans un service d’intervention, tel que M. Fuß, d’être soumis à une durée maximale hebdomadaire de travail de 48 heures dans cet emploi et, partant, une telle mesure annihile l’effet utile de cette disposition à l’égard de ce travailleur. Il est donc manifeste que ladite mesure n’assure ni l’application intégrale dudit article 6, sous b), de la directive 2003/88 ni la protection des droits que cette disposition confère aux travailleurs dans l’État membre concerné.

66      En outre, ainsi que la Commission l’a fait valoir à juste titre, le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, laquelle a, selon l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE, «la même valeur juridique que les traités», serait substantiellement affecté si un employeur, en réaction à une plainte ou à une action en justice engagée par un travailleur en vue d’assurer le respect des dispositions d’une directive visant à protéger sa sécurité et sa santé, était en droit de prendre une mesure telle que celle en cause au principal. En effet, la crainte de pareille mesure de rétorsion contre laquelle aucun recours juridictionnel ne serait ouvert risquerait de dissuader les travailleurs s’estimant lésés par une mesure prise par leur employeur de faire valoir leurs droits par voie juridictionnelle et, partant, serait de nature à compromettre gravement la réalisation de l’objectif poursuivi par la directive (voir, par analogie, arrêt du 22 septembre 1998, Coote, C‑185/97, Rec. p. I‑5199, points 24 et 27).

67      Il convient dès lors de répondre aux questions posées que l’article 6, sous b), de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à un employeur du secteur public de procéder à la mutation forcée dans un autre service d’un travailleur employé en qualité de sapeur-pompier dans un service d’intervention, au motif qu’il a demandé que la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire prévue à ladite disposition soit respectée dans ce dernier service. La circonstance qu’un tel travailleur ne subit, en raison de cette mutation, aucun préjudice spécifique autre que celui résultant de la violation dudit article 6, sous b), est à cet égard sans incidence.

 Sur les dépens

68      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

L’article 6, sous b), de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à un employeur du secteur public de procéder à la mutation forcée dans un autre service d’un travailleur employé en qualité de sapeur-pompier dans un service d’intervention, au motif qu’il a demandé que la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire prévue à ladite disposition soit respectée dans ce dernier service. La circonstance qu’un tel travailleur ne subit, en raison de cette mutation, aucun préjudice spécifique autre que celui résultant de la violation dudit article 6, sous b), est à cet égard sans incidence.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.