62000J0080

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 6 juin 2002. - Italian Leather SpA contre WECO Polstermöbel GmbH & Co.. - Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne. - Convention de Bruxelles - Article 27, point 3 - Inconciliabilité - Modalités d'exécution dans l'État requis. - Affaire C-80/00.

Recueil de jurisprudence 2002 page I-04995


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1. Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions - Reconnaissance et exécution - Motifs de refus - Décisions inconciliables - Décisions en référé, l'une prononçant une injonction de ne pas faire, l'autre refusant d'octroyer une telle injonction

(Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, art. 27, point 3)

2. Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions - Reconnaissance et exécution - Motifs de refus - Décisions inconciliables - Caractère obligatoire du refus de reconnaissance

(Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, art. 27, point 3)

Sommaire


1. L'article 27, point 3, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique et par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise, doit être interprété en ce sens qu'une décision étrangère en référé prononçant une mesure enjoignant à un débiteur de ne pas accomplir certains actes est inconciliable avec une décision en référé refusant d'octroyer une telle mesure rendue entre les mêmes parties dans l'État requis.

( voir point 47, disp. 1 )

2. Dès lors qu'elle constate l'inconciliabilité, au sens de l'article 27, point 3, de la convention du 27 septembre 1968, d'une décision d'une juridiction d'un autre État contractant avec une décision rendue entre les mêmes parties par une juridiction de l'État requis, la juridiction de ce dernier État est tenue de refuser la reconnaissance de la décision étrangère.

( voir point 52, disp. 2 )

Parties


Dans l'affaire C-80/00,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, par le Bundesgerichtshof (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Italian Leather SpA

et

WECO Polstermöbel GmbH & Co.,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation du titre III, intitulé «Reconnaissance et exécution», de la convention du 27 septembre 1968, précitée (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1) et par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1),

LA COUR

(cinquième chambre),

composée de MM. P. Jann, président de chambre, D. A. O. Edward, A. La Pergola, M. Wathelet (rapporteur) et C. W. A. Timmermans, juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour Italian Leather SpA, par Me J. Kummer, Rechtsanwalt,

- pour WECO Polstermöbel GmbH & Co., par Me J. Schütze, Rechtsanwalt,

- pour le gouvernement allemand, par M. R. Wagner, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement hellénique, par Mmes S. Chala et K. Grigoriou, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement italien, par M. U. Leanza, en qualité d'agent, assisté de M. O. Fiumara, avvocato dello Stato,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme G. Amodeo, en qualité d'agent, assistée de M. A. Layton, QC,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. J. L. Iglesias Buhigues, en qualité d'agent, assisté de Me B. Wägenbaur, Rechtsanwalt,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales d'Italian Leather SpA, représentée par Me J. Kummer, du gouvernement hellénique, représenté par Mme K. Grigoriou, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. A. Layton, et de la Commission, représentée par Mme A.-M. Rouchaud, en qualité d'agent, assistée de Me B. Wägenbaur, à l'audience du 22 novembre 2001,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 21 février 2002,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 10 février 2000, parvenue à la Cour le 7 mars suivant, le Bundesgerichtshof a, en application du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, posé trois questions préjudicielles sur l'interprétation du titre III, intitulé «Reconnaissance et exécution», de cette convention (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77), par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1) et par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise (JO L 285, p. 1, ci-après la «convention de Bruxelles»).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la société de droit italien Italian Leather SpA (ci-après «Italian Leather»), établie à Bironto (Italie), à la société de droit allemand WECO Polstermöbel GmbH & Co. (ci-après «WECO»), établie à Leimbach (Allemagne), au sujet des modalités d'utilisation d'une marque dans le cadre d'un contrat de distribution exclusive de meubles rembourrés en cuir.

Le cadre juridique

La convention de Bruxelles

3 Aux termes de son article 1er, premier alinéa, la convention de Bruxelles s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction.

4 L'article 24 de la convention de Bruxelles dispose:

«Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un État contractant peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet État, même si, en vertu de la présente convention, une juridiction d'un autre État contractant est compétente pour connaître du fond.»

5 Le titre III de la convention de Bruxelles fixe les règles en vertu desquelles les décisions rendues par les juridictions d'un État contractant sont reconnues et mises à exécution dans les autres États contractants.

6 L'article 25 de la convention de Bruxelles prévoit:

«On entend par décision, au sens de la présente convention, toute décision rendue par une juridiction d'un État contractant quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu'arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d'exécution, ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès.»

7 L'article 26, premier alinéa, de la convention de Bruxelles énonce:

«Les décisions rendues dans un État contractant sont reconnues dans les autres États contractants, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure».

8 L'article 27 de la convention de Bruxelles est libellé comme suit:

«Les décisions ne sont pas reconnues:

[...]

3) si la décision est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'État requis;

[...]»

9 Aux termes de l'article 31, premier alinéa, de la convention de Bruxelles:

«Les décisions rendues dans un État contractant et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État contractant après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.»

10 L'article 34, premier alinéa, de la convention de Bruxelles dispose:

«La juridiction saisie de la requête statue à bref délai, sans que la partie contre laquelle l'exécution est demandée puisse, en cet état de la procédure, présenter d'observation.»

La réglementation allemande

11 Selon le Bundesgerichtshof, conformément à l'article 935 de la Zivilprozessordnung (code de procédure civile allemand, ci-après la «ZPO»), une mesure provisoire peut être ordonnée s'il est à craindre que les droits de l'une des parties peuvent être mis en échec ou compromis par une modification de l'état existant. Dans ces circonstances, la juridiction saisie est appelée en substance à garantir le maintien de l'état existant.

12 Le Bundesgerichtshof précise en outre que, en application de l'article 940 de la ZPO, la juridiction saisie peut aussi régler provisoirement un rapport juridique dans la mesure où cela apparaît nécessaire pour prévenir un dommage important ou un danger imminent ou encore pour d'autres raisons.

13 Par ailleurs, conformément à l'article 890, paragraphe 1, de la ZPO, les décisions des juridictions allemandes qui ont pour objet une injonction de ne pas faire peuvent donner lieu à une astreinte administrative, voire, lorsque celle-ci ne peut pas être recouvrée, à une contrainte par corps.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14 Italian Leather est une société qui distribue des meubles rembourrés en cuir sous la dénomination «LongLife». La société WECO vend également des meubles du même type.

15 En 1996, Italian Leather a accordé à WECO, en vertu d'un «contrat d'exclusivité», le droit de distribuer ses marchandises pendant une durée de cinq ans dans un rayon géographique délimité. Ce contrat contenait notamment les clauses suivantes:

«2) Les acheteurs n'ont le droit d'utiliser la marque LongLife que pour la vente de meubles recouverts de cuir LongLife.

[...]

4) L'acheteur n'a pas le droit d'utiliser la marque LongLife pour faire sa propre publicité sans l'autorisation écrite du fournisseur.»

16 Les parties ont attribué compétence aux tribunaux de Bari (Italie) pour connaître des litiges relatifs audit contrat.

17 En 1998, WECO a reproché à Italian Leather une mauvaise exécution du contrat. Elle a informé celle-ci que, en conséquence, elle n'accepterait pas de message publicitaire commun lors des foires à venir et qu'elle présenterait sa propre marque WECO.

18 Italian Leather a assigné WECO en référé devant le Landgericht Koblenz (Allemagne), juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le siège de WECO, afin de faire interdire à cette société de commercialiser des produits en cuir présentés comme étant d'un entretien facile, sous la marque «naturia longlife by Maurizio Danieli».

19 Par jugement du 17 novembre 1998, le Landgericht Koblenz, qui avait été saisi en application de l'article 24 de la convention de Bruxelles, a rejeté cette demande en raison de l'absence d'une «cause de référé».

20 Selon ladite juridiction, faire droit à la demande d'Italian Leather reviendrait à condamner WECO à exécuter le contrat. Or, Italian Leather n'aurait pas démontré l'existence d'un danger de dommage irréparable ou de la perte définitive d'un droit, conditions préalables, selon le droit allemand, à l'adoption de la mesure sollicitée. Par ailleurs, WECO aurait déjà pris des mesures concrètes pour faire la publicité et la commercialisation de ses produits en cuir provenant d'autres fournisseurs. De ce fait, elle subirait, elle aussi, un dommage considérable si l'interdiction sollicitée était prononcée.

21 Quelques jours avant le prononcé du jugement du 17 novembre 1998 par le Landgericht Koblenz, Italian Leather avait introduit une demande de mesures provisoires devant le tribunal de Bari. Dans son ordonnance du 28 décembre 1998, celui-ci a apprécié différemment la condition d'urgence. Il a jugé à ce sujet que «[l]e péril en la demeure (l'urgence) réside dans le préjudice économique de la demanderesse et la `mort' juridique qui peut s'ensuivre et qui ne pourrait pas être réparée».

22 En conséquence, le tribunal de Bari a interdit à WECO d'utiliser le mot «LongLife» pour la distribution de ses produits d'ameublement en cuir dans certains États membres, notamment en Allemagne.

23 Sur requête d'Italian Leather, le Landgericht Koblenz a, par ordonnance du 18 janvier 1999 (ci-après l'«ordonnance d'exequatur»), d'une part, revêtu l'ordonnance du tribunal de Bari de la formule exécutoire et, d'autre part, assorti celle-ci d'une astreinte sur le fondement de l'article 890, paragraphe 1, de la ZPO.

24 Sur recours de WECO, l'Oberlandesgericht compétent a réformé l'ordonnance d'exequatur, en considérant que l'ordonnance du tribunal de Bari était inconciliable, au sens de l'article 27, point 3, de la convention de Bruxelles, avec le jugement du 17 novembre 1998 par lequel le Landgericht Koblenz avait rejeté la demande présentée par Italian Leather et visant à faire interdire à WECO d'utiliser la marque «LongLife» pour la commercialisation de ses produits en cuir.

25 Italian Leather a introduit un pourvoi contre la décision de l'Oberlandesgericht devant le Bundesgerichtshof.

26 Celui-ci éprouve des doutes au sujet de l'interprétation de l'article 27, point 3, de la convention de Bruxelles.

27 Selon le Bundesgerichtshof, la jurisprudence de la Cour relative au point de savoir si les conséquences juridiques de différentes décisions s'excluent mutuellement n'a concerné, jusqu'à présent, que des situations dans lesquelles existaient des divergences de droit matériel. Or, l'espèce dont il est saisi présenterait la particularité que les divergences entre les deux décisions en référé en cause ne seraient imputables qu'à des différences portant sur les exigences procédurales.

28 À supposer que lesdites décisions soient inconciliables, la juridiction de l'État requis devrait cependant être en droit de ne pas appliquer l'article 27, point 3, de la convention de Bruxelles si elle considère que, du point de vue de l'État requis, la divergence n'est pas suffisamment importante. En effet, cette disposition aurait pour seul but d'éviter que l'ordre social d'un État contractant puisse être troublé par la possibilité de se prévaloir de deux jugements contradictoires. La question de savoir si, dans un cas déterminé, un tel trouble est à redouter devrait être appréciée du seul point de vue de l'État requis.

29 Dans l'hypothèse où il confirmerait l'ordonnance d'exequatur, le Bundesgerichtshof se demande en outre s'il peut, voire s'il doit, maintenir l'astreinte dont le Landgericht Koblenz a assorti l'ordonnance du tribunal de Bari, sur le fondement du droit allemand, pour le cas où celle-ci ne serait pas exécutée.

30 Rappelant que la convention de Bruxelles a pour objet de favoriser la reconnaissance transfrontalière des jugements, le Bundesgerichtshof interprète les articles 31, premier alinéa, et 34, premier alinéa, de ladite convention en ce sens que, d'une manière générale, la juridiction de l'État requis doit faire bénéficier, autant que possible, la décision juridictionnelle étrangère dont l'exequatur est demandé des mêmes conditions d'exécution favorables que celles qui s'appliquent à une décision comparable des juridictions de l'État requis.

31 À cet égard, le Bundesgerichtshof relève que le droit italien ne connaît pas d'autre mode d'exécution forcée directe des obligations de ne pas faire que le paiement de dommages-intérêts.

32 Dans ces circonstances, l'application de moyens de coercition du droit allemand aux fins de l'exécution directe d'une obligation de ne pas faire prononcée par une juridiction italienne aurait des effets plus importants que ceux prévus par le droit de l'État d'origine. La juridiction de renvoi a des doutes quant au point de savoir si les articles 31, premier alinéa, et 34, premier alinéa, de la convention de Bruxelles permettent, voire commandent, une telle solution.

33 En conséquence, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Des décisions peuvent-elles être inconciliables au sens de l'article 27, point 3, de la convention de Bruxelles si elles ne divergent qu'en ce qui concerne les conditions particulières dans lesquelles une mesure provisoire ou conservatoire autonome (au sens de l'article 24 de ladite convention) peut être prise?

2) La juridiction de l'État requis laquelle, conformément aux articles 34, premier alinéa, et 31, premier alinéa, de la convention de Bruxelles, déclare exécutoire une décision étrangère enjoignant au débiteur de s'abstenir de certains actes peut-elle et doit-elle ordonner en même temps les mesures qui, selon le droit de l'État requis, sont nécessaires à l'exécution d'une injonction judiciaire de ne pas faire?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question: y a-t-il lieu de prendre les dispositions nécessaires à l'exécution de l'injonction de ne pas faire dans l'État requis également si la décision à reconnaître ne comporte pas elle-même de dispositions comparables selon le droit de l'État d'origine et que, d'une manière générale, ce droit ne prévoit pas que des injonctions judiciaires de ce type sont directement exécutoires?»

Sur la première question

34 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance, d'une part, si l'article 27, point 3, de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens qu'une décision étrangère en référé prononçant une mesure enjoignant à un débiteur de ne pas accomplir certains actes est inconciliable avec une décision en référé refusant d'octroyer une telle mesure rendue entre les mêmes parties dans l'État requis, alors même que les effets respectifs desdites décisions sont imputables aux différences affectant les conditions procédurales au respect desquelles le droit national subordonne l'adoption de la mesure d'interdiction dans l'État d'origine et dans l'État requis. Dans l'affirmative, elle demande, d'autre part, si la juridiction de ce dernier est tenue de refuser la reconnaissance de la décision étrangère ou si ladite convention l'autorise à ne prononcer ce refus que si elle estime que l'ordre social de l'État requis serait effectivement et suffisamment troublé par la coexistence de deux décisions contradictoires.

Observations des parties

35 En ce qui concerne la première partie de cette première question, le gouvernement du Royaume-Uni soutient, dans ses observations écrites, que la notion d'inconciliabilité oblige le juge de l'État requis à opérer certaines distinctions, telles que celle existant entre les conditions d'octroi d'un type particulier de mesure et les effets de la décision octroyant ou refusant d'accorder une telle mesure ou la distinction entre les conditions de fond et de forme auxquelles le prononcé de la mesure sollicitée est subordonné.

36 S'agissant de la première distinction, le gouvernement du Royaume-Uni relève que l'article 27, point 3, de la convention de Bruxelles vise uniquement les effets juridiques de la décision et non ses conditions d'octroi. Examiner celles-ci pourrait néanmoins s'avérer nécessaire afin de déterminer la portée juridique de la décision concernée et d'apprécier, par voie de conséquence, dans quelle mesure elle est inconciliable avec une autre décision. Tel serait particulièrement le cas lorsque la mesure sollicitée a été refusée. En effet, il pourrait alors s'avérer nécessaire de se référer aux conditions d'octroi de celle-ci pour comprendre le contenu de la décision de refus.

37 S'agissant de la seconde distinction mentionnée au point 35 du présent arrêt, le juge pourrait, pour apprécier le contenu et l'effet de chacune des décisions en présence, rechercher si les conditions d'octroi des mesures en question sont relatives au fond ou à la forme. Cela vaudrait tout particulièrement lorsque le juge de l'État requis est confronté à une décision qui refuse d'ordonner une mesure particulière, car, dans cette hypothèse, il n'existerait pas de «mesure» à analyser en tant que telle.

38 À l'audience, le gouvernement du Royaume-Uni en a déduit que, dans l'affaire au principal, les effets négatifs du jugement du 17 novembre 1998 du Landgericht Koblenz pouvaient difficilement être considérés comme inconciliables avec les effets positifs de l'ordonnance du tribunal de Bari du 28 décembre 1998. Ce ne serait que si les critères respectivement appliqués par ces deux juridictions et les preuves qui leur ont été soumises étaient identiques que les effets des décisions rendues par celles-ci pourraient être considérés comme inconciliables.

Appréciation de la Cour

39 À titre liminaire, la Cour part de la prémisse que, le juge de fond étant le Tribunal de Bari, le Landgericht Koblenz n'a pas, par son jugement du 17 novembre 1998, excédé les limites de la compétence qu'il tirait de l'article 24 de la convention, telles qu'interprétées par la Cour (voir les arrêts du 17 novembre 1998, Van Uden, C-391/95, Rec. p. I-7091, points 37 à 47, et du 27 avril 1999, Mietz, C-99/96, Rec. p. I-2277, points 42, 46 et 47).

40 En premier lieu, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, afin d'établir s'il y a inconciliabilité au sens de l'article 27, point 3, de la convention, il convient de rechercher si les décisions en cause entraînent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement (arrêt du 4 février 1988, Hoffmann, 145/86, Rec. p. 645, point 22).

41 En deuxième lieu, il importe peu que les décisions concernées aient été rendues dans le cadre de procédures de référé ou de procédures au fond. Visant des «décisions» sans autre précision, à l'instar de l'article 25 de la convention de Bruxelles, l'article 27, point 3, de celle-ci revêt une portée générale. En conséquence, les décisions en référé sont soumises aux règles édictées par ladite convention en matière d'inconciliabilité, au même titre que les autres décisions visées à l'article 25.

42 En troisième lieu, il est tout aussi indifférent que les règles organisant les procédures nationales de référé soient susceptibles de varier davantage selon les États contractants que celles organisant les procédures au fond.

43 En effet, d'une part, la convention n'a pas pour objet d'unifier les règles de procédure des États contractants, mais de répartir les compétences judiciaires pour la solution des litiges en matière civile et commerciale dans les relations intracommunautaires et de faciliter l'exécution des décisions judiciaires (arrêts du 15 mai 1990, Hagen, C-365/88, Rec. p. I-1845, point 17, et du 7 mars 1995, Shevill e.a., C-68/93, Rec. p. I-415, point 35).

44 D'autre part, ainsi que cela découle du point 22 de l'arrêt Hoffmann, précité, l'inconciliabilité caractérise les effets des décisions juridictionnelles; elle ne concerne pas les conditions de recevabilité et de procédure, éventuellement variables d'un État contractant à l'autre, au respect desquelles est subordonnée l'adoption desdites décisions.

45 À la lumière des considérations qui précèdent, force est de constater que des décisions en référé telles que celles en cause au principal sont inconciliables.

46 En effet, le tribunal de Bari a fait droit à la demande introduite par Italian Leather à l'encontre de WECO, visant à faire interdire à cette dernière d'utiliser la marque LongLife pour la commercialisation de ses produits en cuir, après que le Landgericht Koblenz eut rejeté une demande identique formée par la même requérante à l'encontre de la même défenderesse.

47 Dès lors, il y a lieu de répondre à la première partie de la première question que l'article 27, point 3, de la convention de Bruxelles doit être interprété en ce sens qu'une décision étrangère en référé prononçant une mesure enjoignant à un débiteur de ne pas accomplir certains actes est inconciliable avec une décision en référé refusant d'octroyer une telle mesure rendue entre les mêmes parties dans l'État requis.

48 S'agissant de la seconde partie de la première question, relative aux conséquences découlant de l'inconciliabilité entre une décision étrangère et une décision d'une juridiction de l'État requis, il convient de constater d'abord que, selon les termes du rapport de M. Jenard relatif à la convention de Bruxelles (JO 1979, C 59, p. 1, 45), «[i]l est incontestable que l'ordre social d'un État serait troublé si on pouvait s'y prévaloir de deux jugements contradictoires».

49 Ensuite, il y a lieu de rappeler que l'article 27, point 3, de la convention de Bruxelles dispose que les décisions ne sont pas reconnues si la décision est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'État requis.

50 Le motif de refus de reconnaissance des décisions prévu à l'article 27, point 3, de la convention de Bruxelles revêt dès lors un caractère obligatoire, contrairement à ce qui ressort de l'article 28, deuxième alinéa, de la convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, conclue à Lugano le 16 septembre 1988 (JO L 319, p. 9), disposition en vertu de laquelle la reconnaissance d'une décision peut être refusée dans l'un des cas prévus aux articles 54 ter, paragraphe 3, et 57, paragraphe 4, de ladite convention.

51 Enfin, il serait contraire au principe de la sécurité juridique, dont la Cour a itérativement jugé qu'il constitue l'un des objectifs de la convention de Bruxelles (voir arrêts du 4 mars 1982, Effer, 38/81, Rec. p. 825, point 6; du 28 septembre 1999, GIE Groupe Concorde e.a., C-440/97, Rec. p. I-6307, point 23, et du 19 février 2002, Besix, C-256/00, non encore publié au Recueil, point 24), d'interpréter l'article 27, point 3, en ce sens qu'il confère au juge de l'État requis la faculté d'autoriser la reconnaissance d'une décision étrangère alors que celle-ci est inconciliable avec une décision juridictionnelle rendue dans cet État contractant.

52 Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde partie de la première question que, dès lors qu'elle constate l'inconciliabilité d'une décision d'une juridiction d'un autre État contractant avec une décision rendue entre les mêmes parties par une juridiction de l'État requis, la juridiction de ce dernier État est tenue de refuser la reconnaissance de la décision étrangère.

Sur les deuxième et troisième questions

53 Compte tenu de la réponse donnée à la première question, il n'y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

54 Les frais exposés par les gouvernements allemand, hellénique, italien et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 10 février 2000, dit pour droit:

1) L'article 27, point 3, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique et par la convention du 26 mai 1989 relative à l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise, doit être interprété en ce sens qu'une décision étrangère en référé prononçant une mesure enjoignant à un débiteur de ne pas accomplir certains actes est inconciliable avec une décision en référé refusant d'octroyer une telle mesure rendue entre les mêmes parties dans l'État requis.

2) Dès lors qu'elle constate l'inconciliabilité d'une décision d'une juridiction d'un autre État contractant avec une décision rendue entre les mêmes parties par une juridiction de l'État requis, la juridiction de ce dernier État est tenue de refuser la reconnaissance de la décision étrangère.